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Pour des parties prenantes engagées dans les projets: Réflexions théoriques et pratiques
Pour des parties prenantes engagées dans les projets: Réflexions théoriques et pratiques
Pour des parties prenantes engagées dans les projets: Réflexions théoriques et pratiques
Ebook465 pages5 hours

Pour des parties prenantes engagées dans les projets: Réflexions théoriques et pratiques

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L’engagement des parties prenantes est une question centrale en gestion de projet, car le succès des projets contemporains en dépend ! La gestion des parties prenantes a longtemps été réduite à un simple processus managérial où l’on tentait de canaliser les besoins et les attentes à travers une rationalisation de l’action sociale individuelle et collective aux bénéfices exclusifs des intérêts stratégiques des directions de projets. La gestion de projet s’engage maintenant dans une approche relationnelle avec ses parties prenantes !

La recherche comme les constats sur le terrain soulignent abondamment la nécessité d’une approche plus inclusive, une gestion de projet « pour et avec » les parties prenantes. Que leurs besoins et attentes soient parfois conflictuels, contradictoires, instables ou évolutifs, tout au long du cycle de vie du projet, les parties prenantes, quels que soit leur importance, leur poids économique ou politique, sont des partenaires du projet dont il faut chercher l’engagement et le maintenir.

L’actualité le démontre tous les jours : sans acceptation sociale, sans l’engagement réel des parties prenantes, des communautés ou plus largement des citoyens, les directions de projets peineront à vendre leur projet. Il y a une forte pression aujourd’hui de la part de la société pour des projets qui ont un impact social, à forte valeur transformative et pour des projets plus responsables et durables, plus éthiques.

À travers les différents chapitres contenus dans cet ouvrage collectif, nous tentons d’éclairer la polyphonie et le foisonnement des travaux qui s’expriment à travers de multiples lectures critiques sur la question de l’engagement des parties prenantes. Tous ces travaux ont en commun de rendre compte de l’importance de la variable humaine dans le fonctionnement des projets contemporains, et de la remettre au centre de l’échiquier. Une place qu’elle n’aurait jamais dû quitter !
LanguageFrançais
Release dateJan 5, 2022
ISBN9782760556218
Pour des parties prenantes engagées dans les projets: Réflexions théoriques et pratiques
Author

Sonia Boivin

Professeure régulier en management (psychologie organisationnelle), au département des sciences économiques et administratives à l'UQAC.

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    Pour des parties prenantes engagées dans les projets - Sonia Boivin

    Introduction générale /

    Des parties prenantes

    aux parties engagées

    Vers une co-construction des projets

    Philippe Boigey, Christophe Leyrie et Sonia Boivin,

    Université du Québec à Chicoutimi

    La question des parties prenantes et de leur engagement fait l’objet d’une recherche foisonnante en sciences de gestion en particulier depuis les travaux popularisés par Freeman en 1984, et la littérature des dernières années dans le champ de la gestion de projet souligne que chercheurs et praticiens la prennent sérieusement en considération. Le sujet est d’un intérêt majeur pour la croissance des organisations et la réussite des projets.

    Afin d’éclairer le lecteur sur l’état des conversations et des débats universitaires au fil du temps, nous tenterons ici, de manière très synthétique et non exhaustive, de souligner les principales clés de lecture qui nous semblent pertinentes concernant la question des parties prenantes et leur engagement en gestion de projet. Pour ce faire, une mise en perspective historique permettra de fixer quelques points de repère quant à l’évolution de cette question. Cela nous permettra ensuite de souligner que le foisonnement de travaux universitaires a eu pour conséquence d’engendrer une polysémie définitionnelle dont l’incomplétude ne permet toujours pas de définir avec précision ce qu’est une partie prenante. De même que l’engagement est un concept très large dont les définitions rencontrées n’ont de sens que dans le contexte dans lequel il s’inscrit. Combinés, les parties prenantes comme l’engagement restent des termes difficiles à saisir. Néanmoins, des repères définitionnels permettront de saisir les termes rencontrés dans cet ouvrage. Nous poursuivrons ensuite ce tour d’horizon en axant plus précisément sur la gestion de projet pour rendre compte de l’importance et de la centralité des parties prenantes et de leur nécessaire engagement pour améliorer le taux de succès de projets et leur performance. Finalement, cet ouvrage collectif souligne à nouveau l’importance de la variable humaine au cœur des dynamiques de projets et rappelle avant tout que ceux-ci sont des activités fondamentalement humaines (Garel, 2013 ; Klein, 2010).

    I.1 / Une mise en perspective historique

    D’une manière générale, la littérature a longtemps rattaché la gestion des parties prenantes à des logiques économiques et déterministes. Dans le premier cas, certains travaux définissent la gestion des parties prenantes comme un système qui aide une organisation à améliorer sa prise de décision (Freeman et Evan, 1990), qui aide à réduire les risques (Fama, 1970 ; Godfrey, Merrill et Hansen, 2009) ou à renforcer sa réputation et ses relations de confiance (Fischer et Reuber, 2007). Dans le second cas, la logique déterministe considère plutôt la gestion des parties prenantes comme un système motivé par l’orientation morale et la vision institutionnelle de l’entreprise (Friedman et Miles, 2006 ; Jones et Wicks, 1999), son engagement à respecter les droits de propriété et les contrats sociaux (Phillips, Freeman et Wicks, 2003 ; Donaldson et Preston, 1995), ou à promouvoir des principes de justice équitable (Phillips, 1997 ; Clarkson, 1995). Dans les deux cas, l’approche de gestion des parties prenantes se concentre principalement sur son utilité pour l’organisation en question, c’est-à-dire sur les avantages instrumentaux de la gestion des parties prenantes, en les traitant comme des objets et comme des moyens aux fins organisationnelles souhaitées.

    L’orientation organisationnelle est maintenant passée de la simple gestion de groupes de parties prenantes multiples et diversifiés à l’interaction et à l’engagement avec des parties prenantes spécifiques basées sur une vision relationnelle (Bourne et Walker, 2005b ; Mok, Shen et Yang, 2015 ; Olander et Landin, 2005). À cet effet, les parties prenantes ne sont pas de simples objets inanimés, des objets statiques (Pajunen, 2006) que l’on peut aisément contrôler ou canaliser à travers des arrangements sociopolitiques ou la rationalisation artificielle des dynamiques individuelles et collectives au bénéfice exclusif de l’organisation ou des commanditaires du projet à travers une approche instrumentale (Jones, 1995). Dans cette perspective, rappelons que l’approche instrumentale de la gestion des parties prenantes n’a pas entraîné d’amélioration significative de la perception de la réussite du projet (Achterkamp et Vos, 2008 ; Bourne, 2015 ; Heravi, Coffey et Trigunarsyah, 2015).

    Cette orientation relationnelle met en tension deux dimensions. La première dimension porte sur les contextes environnementaux avec la mise en œuvre, dans l’agenda des chefs de projet (Aaltonen, 2011 ; Newcombe, 2003), d’actions liées aux clients, aux utilisateurs, aux communautés et aux commanditaires dans une perspective d’engagement. La seconde dimension porte sur les contextes sociaux en intégrant les questions de communication, de confiance et de leadership (Littau, Jyothi et Adlbrecht, 2010). Cette complexité sociopolitique sous-jacente, associée à la complexité générale du projet, complique, de fait, sa gestion et son organisation, et surtout l’engagement des parties prenantes (Geraldi et Adlbrecht, 2007 ; Maylor, Vidgen et Carver, 2008). Parce que, indépendamment des intérêts et des buts distincts, les acteurs du projet doivent travailler ensemble vers l’objectif commun et unique du projet pendant un temps limité et avec des ressources limitées (Jones et Lichtenstein, 2008).

    L’approche contemporaine est centrée sur les parties prenantes : elle prend en compte leurs préoccupations, qu’elles aient ou non un rôle officiel dans le projet (Loch et Kavadias, 2011). Il est donc important, comme le soulignent Whitton et ses collègues (2016), d’évoluer vers une forme de dialogue participatif dans les décisions plutôt qu’une forme de consultation dirigée par des experts. D’ailleurs, les pressions concurrentielles actuelles exigent que les organisations établissent et entretiennent des relations solides avec leurs parties prenantes, leurs clients et leurs bailleurs de fonds financiers (Davis et Pharro, 2003 ; Cova et Salle, 2011). Dans cette perspective, les travaux universitaires montrent un intérêt croissant pour des projets éthiques grâce à un engagement inclusif et holistique des parties prenantes, à savoir « la gestion pour les parties prenantes » (Eskerod et Huemann, 2013 ; Eskerod, Huemann et Ringhofer, 2015 ; Eskerod, Huemann et Savage, 2015). Fassin (2008) notait déjà que la gestion des parties prenantes était devenue un outil important pour appliquer l’éthique à la pratique et à la stratégie de gestion. Pour atteindre l’équilibre, les entreprises ne peuvent pas compter sur la croissance spontanée des relations entre les parties prenantes, mais elles doivent développer une approche managériale à travers laquelle établir des liens durables (Freeman, 1999). En ce sens, une organisation doit s’engager à développer un large réseau de relations et investir pour les entretenir et les rendre sans cesse plus efficaces (Perrini et Tencati, 2006).

    Le projet contemporain se doit aujourd’hui d’être davantage conçu et exécuté comme une co-construction collective de sens, une cocréation de valeur (Noland et Phillips, 2010) et d’avantages grâce à la collaboration entre les parties prenantes (Matinheikki et al., 2016 ; Artto Ahola et Vartrainen, 2016) : il repose sur une plus large vision d’acceptabilité sociale dans le but d’atteindre un objectif commun en tenant compte des besoins et des exigences, parfois contradictoires, des revendications complexes et conflictuelles des parties prenantes (McKenna et Metcalfe, 2013 ; Li et al., 2011), des positions des parties prenantes (Aaltonen, Kujala et Tuomas, 2008 ; Eskerod et Vaagaasar, 2014), incertaines (de Oliveira et Rabechini, 2019 ; Ward et Chapman, 2008) ou encore imprévisibles (Baser et Morgan, 2008 ; Datta, Shaxson et Pellini, 2012), de toutes les parties prenantes en présence pour obtenir une meilleure performance du projet (Cleland, 1986 ; Donaldson et Preston, 1995 ; Eskerod, Huemann et Ringhofer, 2015 ; Eskerod, Huemann et Savage, 2015). Cela nécessite un engagement des parties prenantes qui permet la cocréation (Keeys et Huemann, 2017), qui suscite des capacités de collaboration et des valeurs d’ouverture et de réactivité par le développement d’un contexte pluraliste pour les projets où le pouvoir est diffusé entre les acteurs et l’équipe de projet et où les points de vue sont divers (Keeys, Huemann et Turner, 2013) . La création d’un réseau interconnecté de parties prenantes pourrait signifier un pouvoir de contrôle accru à l’égard du projet (Eskerod, Huemann et Ringhofer, 2015) et le développement d’une compréhension mutuelle (Loorbach et al., 2010) entre tous ses acteurs.

    En revanche, sous-estimer la capacité des parties prenantes qui se sentiraient incomprises ou exclues des processus de décision (Dyer, 2017 ; Mok, Shen et Yang, 2015) serait une erreur pour la réussite du projet, car elles peuvent bloquer celui-ci, à travers des manifestations, par exemple (Bornstein, 2010 ; Teo et Loosemore, 2014). Ainsi, les difficultés d’engagement peuvent nuire aux relations entre les parties prenantes et, finalement, favoriser l’échec des projets. L’engagement des parties prenantes leur permet d’exprimer leurs préoccupations et d’obtenir les informations nécessaires (Turner et Zolin, 2012) à l’exercice de la prise en compte de leurs revendications. Plus concrètement, il s’agit de dépasser la conception communément acceptée de l’engagement traditionnel des parties prenantes du projet, qui les soumet aux priorités de celui-ci dans une relation à sens unique, où les problèmes proviennent de l’intérêt du projet (Eskerod et Huemann, 2011).

    Cette conception renouvelée des parties prenantes vise à les impliquer dans la planification, la prise de décision et la mise en œuvre du projet, afin de réduire les conflits et d’établir des priorités de projet claires (Baken, Foliente et Jasuja, 2005 ; Davis, 2016), à travers la mise en place de mécanismes et de routines de communication authentique (Mok, Shen et Yang, 2015 ; Baken, Foliente et Jasuja, 2005 ; Kerzner, 2009), y compris des canaux de communication personnels et professionnels (Karlsen, Græe et Massaoud, 2008). L’objectif ici est de maintenir la confiance des parties prenantes (Turner, 2009) et de suivre les changements de culture du projet (Bourne et Walker, 2005b), d’établir des relations bilatérales de confiance (Pinto, Slevin et English, 2009 ; Aubert et Kelsey, 2000 ; Hartman, 2003 ; Karlsen, 2008), et ce, dans le but d’engager les parties prenantes (Deegan et Parkin, 2011 ; Webler et Tuler, 2000). Car sans le réel engagement de celles-ci, les projets n’avancent plus et risquent d’échouer. Un projet est plus susceptible d’être couronné de succès lorsque les parties concernées travaillent de pair pour favoriser sa réussite, ce qui suggère qu’elles devraient engager des dialogues afin de cocréer des réseaux de valeurs mutuellement bénéfiques (Cova et Salle, 2008, 2011 ; Vargo et Lusch, 2004).

    D’un point de vue plus théorique et conceptuel, certains auteurs soutiennent qu’actuellement, la gestion de projet traditionnelle ne fonctionne tout simplement plus parce que le contexte dynamique dans lequel les projets se déroulent nécessite des ajustements continus (Cuppen et al., 2016 ; de Bruijn et ten Heuvelhof, 2007). Plutôt que d’appliquer une pure stratégie de gestion de « prévision et de contrôle », une stratégie de gestion de processus de « préparation et d’engagement » est préconisée, ou la combinaison des deux (Koppenjan et al., 2011). Certains auteurs (Aaltonen, 2011 ; Achterkamp et Vos, 2008) défendent l’idée qu’il est nécessaire de trouver une approche et un engagement avec les parties prenantes pour parvenir à la réussite du projet. Écouter et répondre aux intérêts et aux préoccupations des parties prenantes est un processus qui aide les chefs de projet à maximiser la contribution positive des parties prenantes et à minimiser tout effet négatif (Bourne et Walker, 2005a ; Cleland et Ireland, 2007) : à mesure qu’une identité se forme avec le projet et des objectifs partagés, la tolérance des acteurs vis-à-vis des difficultés rencontrées augmente (Bourne et Walker, 2005b). L’engagement des parties prenantes caractérise la manière dont l’équipe du projet interagit avec les parties prenantes (Huemann, Eskerod et Ringhofer, 2016 ; Trentim, 2013). Olander et Landin (2008) soulignent combien il est important de communiquer sur tous les différents aspects du projet afin de susciter l’intérêt de toutes les parties prenantes (Di Maddaloni et Davis, 2017).

    L’engagement des parties prenantes est donc essentiel, fondamental (Hongyang et al., 2016), et nulle organisation aujourd’hui ne prendrait le risque de ne pas les considérer pleinement et de ne pas s’assurer de leur engagement en pratique, en développant des méthodes, des techniques et des outils pour favoriser leur engagement (Larson, Measham et Williams, 2010 ; Mahjabeen, Shrestha et Dee, 2003) et changer la culture organisationnelle des projets (Zuo, Zillante et Coffey, 2009 ; Griffith-Cooper et King, 2007). L’engagement des parties prenantes est une fonction clé de la gestion de projet (Eskerod, 2013 ; Turner, 2014). À cet effet, l’engagement peut être considéré comme un outil de gestion pour promouvoir la collaboration : une plateforme d’apprentissage social pour établir des objectifs communs et un besoin éthique de maintenir la justice et l’équité (Mathur, Price et Austin, 2008).

    Dans le contexte plus large des théories des parties prenantes, la littérature tente depuis longtemps d’identifier et de classifier les parties prenantes selon leur importance, leur poids politique ou leur importance supposée. Par exemple, de nombreux spécialistes de la théorie des parties prenantes ont proposé des cadres conceptuels et des modèles analytiques qui se sont concentrés presque exclusivement sur les principales parties prenantes importantes pour les intérêts économiques du projet (Aaltonen et Tuomas, 2008 ; Hart et Sharma, 2004). Les principales parties prenantes sont caractérisées par leur relation contractuelle avec le projet : ce sont les clients, les fournisseurs ou ceux qui ont une autorité légale directe sur le projet, les organisations gouvernementales, par exemple. Les parties prenantes secondaires n’ont pas de lien contractuel formel avec le projet ou d’autorité légale directe sur celui-ci (Eesley et Lenox, 2006), mais elles peuvent l’influencer durablement, de manière positive ou négative (Clarkson, 1995). Selon Aaltonen, Kujala et Tuomas (2008), ces parties prenantes, si elles sont exclues par les gestionnaires de projet, peuvent s’engager dans un ensemble d’actions pour faire avancer leurs revendications, avec des conséquences négatives quant aux coûts opérationnels et à la réputation de l’organisation focale (Eesley et Lenox, 2006).

    Ainsi, de nombreux travaux tentent de proposer des méthodes pratiques pour définir les parties prenantes. Pour Gupta (1995), l’analyse des parties prenantes est le moyen systématique d’identifier « qui peut exercer une influence », de décrire les interrelations de ces parties et de préciser leurs préoccupations. Ces travaux ont en commun d’affirmer que l’identification des parties prenantes et des intérêts, l’évaluation des relations et l’évaluation de leur effet sont les principales étapes de l’analyse des parties prenantes (Mushove et Coleen, 2005 ; Reed, 2008). On trouve par exemple des méthodes telles que le modèle de saillance des parties prenantes de Mitchell, Agle et Wood (1997), la méthodologie du cercle des parties prenantes de Bourne et Walker (2008), l’indice d’impact des parties prenantes d’Olander (2007) et celui de la matrice pouvoir/ intérêt de Newcombe (2003). Plus largement, la prise en compte des besoins et des exigences des parties prenantes primaires et secondaires du projet en tant qu’élément essentiel pour une meilleure performance de ce dernier fournit une base solide pour l’identification, la classification et l’évaluation des parties prenantes (Cleland, 1986 ; Donaldson et Preston, 1995 ; Eskerod, Huemann et Ringhofer, 2015 ; Eskerod, Huemann et Savage, 2015), qui sont les premières étapes requises pour un engagement efficace des parties prenantes (Reed, 2008).

    Dans cette perspective, on retrouve ainsi des travaux qui se centrent sur les classifications du type : primaire/secondaire (Clarkson, 1995), externe/interne (Aaltonen et Sivonen, 2009), direct/indirect (Lester, 2007), partisans/opposants (Winch et Bonke, 2002), noyau/ marginal (Hart et Sharma, 2004), activement/passivement impliqué (Vos et Achterkamp, 2006) fiduciaire/non fiduciaire (Goodpaster, 1991). Pour ce faire, les chercheurs ont donc eu une forte tendance à classer les parties prenantes en utilisant le modèle dominant de saillance des parties prenantes proposé par Mitchell, Agle et Wood (1997). Le pouvoir, la légitimité et l’urgence sont trois attributs distincts des parties prenantes (Mitchell, Agle et Wood, 1997). Le pouvoir permet à un acteur d’accomplir sa propre volonté. Le pouvoir d’un acteur peut provenir de sa capacité à mobiliser des forces sociales et politiques ainsi que de sa capacité à retirer des ressources de l’organisation. La légitimité donne la possibilité à une partie prenante de déterminer une sorte de risque bénéfique ou dommageable pour son organisation. L’urgence est le degré auquel une partie prenante est capable d’appeler une attention immédiate. Ce système de classification indique le degré d’attention que les chefs de projet doivent accorder aux besoins des parties prenantes. Bien que ce modèle soit populaire, nombre de chercheurs (Bourne et Walker, 2005a ; Johnson, Scholes et Whittington, 2005) soulignent qu’il ne reflète pas pour autant l’évolution dynamique des attitudes des parties prenantes à travers les différentes phases du cycle de vie du projet (Olander, 2007 ; Zeng et al., 2015). Plus largement, cette méthode d’identification des parties prenantes ne représente pas les relations complexes entre elles (Huemann, Eskerod et Ringhofer, 2016) ou l’interaction entre elles et le projet (Aaltonen et Sivonen, 2009 ; Missonier et Loufrani-Fedida, 2014), qui peuvent changer les structures de pouvoir (Frooman, 1999 ; Hart et Sharma, 2004) au sein des projets. Par exemple, les parties prenantes secondaires, qui ne peuvent affecter qu’indirectement le projet et ne sont qu’indirectement affectées par celui-ci (Clarkson, 1995), peuvent organiser et tirer parti des relations avec les parties prenantes primaires.

    Par conséquent, dans la théorie traditionnelle des parties prenantes, leur identification a pris un caractère générique et artificiel (Crane et Ruebottom, 2011), qui, selon McVea et Freeman (2005), nécessite de passer des simplifications offertes par l’« identification basée sur les rôles » à l’identification en tant qu’individus ayant des identités et des intérêts précis : c’est l’« approche des noms et des visages ».

    I.2 / La polysémie définitionnelle des parties prenantes et de l’engagement

    La locution partie prenante est polysémique et difficile à définir tant les frontières sont dépendantes du contexte dans lequel elle est présente et de la situation dans laquelle elle est observée. D’ailleurs, il y a encore des débats sur les définitions précises et correctes des acteurs du projet (Achterkamp et Vos, 2008 ; Eskerod, Huemann et Ringhofer, 2015). Cleland et Kerzner (1986) ont répertorié jusqu’à 18 parties prenantes du projet, faisant passer le concept de partie prenante de la gestion d’entreprise à la gestion de projet. Par définition, une partie prenante est, selon la formulation proposée par Freeman en 1984 (p. 46), « any group or individual who can affect or is affected by the achievement of the organization’s objectives ». Cette définition nous permet de faire le lien avec une perspective managériale et stratégique, reprise par d’autres auteurs, qui soulignent que l’entreprise doit porter attention aux revendications des parties prenantes qui sont importantes pour sa survie (Donaldson, 2002 ; Donaldson et Preston, 1995). Si plusieurs centaines de définitions (Mainardes, Alves et Raposo, 2011 ; Littau, Jyothi et Adlbrecht, 2010) sont d’un usage répandu à travers la littérature en sciences de gestion, force est de constater que la plupart des auteurs ne définissent pas le terme partie prenante ni ce qu’est réellement une partie prenante.

    La perception consensuelle actuelle s’inscrit dans la continuité des travaux originaux de Freeman (1984) et considère donc les parties prenantes du projet comme des organisations ou des individus qui peuvent d’une manière ou d’une autre affecter la réalisation des objectifs du projet ou être affectés par la réalisation de ses objectifs. Cette définition inclut un large éventail d’acteurs, tels que les clients, les fournisseurs, les employés, les autorités réglementaires, les communautés locales et les syndicats, en tant que parties prenantes légitimes. Plus particulièrement, si l’on devait résumer les multiples définitions rencontrées dans la littérature, en particulier en gestion de projet, on pourrait s’accorder pour dire qu’une partie prenante est une personne, une entité ou un groupe d’individus qui contribue à la prise de décision ainsi qu’une personne qui bénéficie des résultats de la prise de décision (Phillips, Freeman et Wicks, 2003).

    Par contraste, l’engagement des parties prenantes est généralement défini comme leur implication dans un projet par le biais d’une collaboration, d’une coordination ou d’une consultation à différents moments pour recueillir des informations, partager des connaissances, résoudre des problèmes et prendre des décisions (Mysore, Elmualim et Kirytopoulos, 2019 ; Missonier et Loufrani-Fedida 2014). Deux principes émergent constamment dans la littérature liée à l’engagement. Premièrement, l’engagement d’un sujet vis-à-vis de l’objet ou de l’activité focale comprend un traitement cognitif actif (Mollen et Wilson, 2010 ; Rich, Lepine et Crawford, 2010), un lien comportemental ou émotionnel (Brodie et al., 2013 ; Pansari et Kumar, 2017), et un comportement à l’égard d’un objet ou d’une activité focale (Brodie et al., 2013 ; van Doorn et al., 2010 ; Verleye, Gemmel et Rangarajan, 2014). Deuxièmement, l’engagement se déroule dans un contexte relationnel ou interactif (Mollen et Wilson, 2010 ; Pansari et Kumar, 2017).

    I.3 / L’importance et la centralité de l’engagement des parties prenantes en gestion de projet

    Comprendre les parties prenantes et leurs influences, et concevoir des stratégies d’engagement basées sur des analyses, est devenu une habileté nécessaire au sein des organisations par projets (Morris, 2013). L’idée de base de la théorie des parties prenantes est qu’une organisation entretient des relations avec de nombreux groupes constitutifs et qu’elle peut engendrer et maintenir le soutien de ces groupes en considérant et en équilibrant leurs intérêts pertinents (Freeman, 1984 ; Jones et Wicks, 1999). La gestion des parties prenantes est au cœur même de la gestion de projet : les projets en tant qu’efforts temporaires affectent et sont influencés par un certain nombre d’organisations ou d’individus divers et dépendent beaucoup de leurs contributions, de leurs compétences et de leurs capacités.

    D’une manière très synthétique, la recherche sur les parties prenantes des projets est actuellement divisée en courants de recherche distincts, fragmentés et diffus qui traitent des définitions, des outils et des caractéristiques des parties prenantes, de leurs influences comportementales et de leurs stratégies de gestion. Ce sont tous des points de vue pertinents pour mieux comprendre l’étendue des différentes parties prenantes d’un projet. Les apports majeurs sur la théorie des parties prenantes se sont concentrés sur le développement de différents types d’outils et de cadres pour évaluer leurs attributs et leurs caractéristiques (Olander et Landin, 2005 ; Bourne et Walker, 2005b). Cela inclut, entre autres, le cadre de saillance des parties prenantes par Mitchell, Agle et Wood (1997) ; la catégorisation de Frooman (1999) des stratégies d’influence des parties prenantes, les travaux de Rowley (1997) sur les réseaux de parties prenantes et les stratégies de réponse des entreprises, les travaux sur les stratégies de gestion des parties prenantes, les modèles de cycle de vie des parties prenantes par Jawahar et McLaughlin (2001) et la recherche sur les stratégies de mobilisation des parties prenantes (Rowley et Moldoveanu, 2003). Tous ces travaux se sont articulés autour d’une meilleure compréhension de la gestion des parties prenantes dans les contextes de projets temporaires (Eskerod, Huemann et Ringhofer, 2015). Les travaux universitaires montrent un intérêt croissant pour des projets éthiques grâce à un engagement inclusif des parties prenantes, à savoir « la gestion pour les parties prenantes » (Eskerod et Huemann, 2013 ; Eskerod, Huemann et Ringhofer, 2015 ; Eskerod, Huemann et Savage, 2015 ; Freeman, Harrison et Wicks, 2007). Ce qui a été proposé comme « gestion pour et avec les parties prenantes » est le développement de projets durables et rationnels grâce à un effort conscient pour l’équité et l’engagement de toutes les parties prenantes.

    I.4 / La structure de l’ouvrage

    La division de cet ouvrage en trois parties permet de rendre compte de la diversité des travaux sur la question de l’engagement des parties prenantes. La première partie regroupe un ensemble de chapitres sur le changement de perspective dans la reconnaissance de la centralité de l’engagement des parties prenantes. Le chapitre 1 souligne la vision de parties prenantes contributrices aux projets et les implications découlant d’une participation des parties prenantes aux projets dans certains contextes, et porte sur l’importance d’accompagner les gestionnaires de projet dans un nouveau rôle de conseiller. Le chapitre 2 présente une approche « énactive » fondée sur l’ontologie processuelle comme piste pour approfondir la compréhension des processus dynamiques par lesquels les parties prenantes s’engagent dans le projet et contribuent à son élaboration. L’approche défendue ici est une nouvelle lecture de la dynamique de l’engagement des parties prenantes. Le chapitre 3 explore l’engagement des parties prenantes par le biais d’une approche misant sur une démarche délibérément et authentiquement inclusive des acteurs projets, autour du concept d’enjeux propres au projet. Le chapitre 4 fait état des connaissances tirées plus particulièrement de la psychologie pour expliquer les différentes formes d’engagement de plusieurs parties prenantes internes fortement impliquées en gestion du changement.

    La deuxième partie de l’ouvrage rassemble des chapitres qui, à partir d’approches de co-construction, favorisent l’engagement des parties prenantes. Le chapitre 5 porte un éclairage sur l’engagement des parties prenantes à partir d’alternatives managériales, la co-construction, comme catalyseur de remobilisation de l’engagement à travers les dispositifs de co-construction. Le chapitre 6 éclaire la mise en œuvre de la co-construction dans un projet de changement portant sur la fusion de services dans une organisation de santé et de services sociaux. Le chapitre 7 présente une réflexion théorique sur la mise en œuvre de ce processus de recherche en co-construction en s’appuyant sur une recherche sur la mise en place d’un nouveau rôle professionnel dans les organisations de santé et de services sociaux au Québec, celui de l’infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne (IPSPL).

    La troisième partie de l’ouvrage porte plus précisément sur les enjeux de l’engagement des parties prenantes dans les projets. Le chapitre 8 éclaircit les différents concepts exprimant l’opposition entre parties prenantes, notamment celle des tensions, dans le cadre des projets complexes. Les auteurs discutent de la question de la valeur partagée en l’inscrivant sous l’angle de l’approche des paradoxes et proposent un modèle de reconnaissance de ces tensions. Le chapitre 9 est une application empirique du modèle théorique d’identification des tensions entre les gestionnaires de projet et les autres parties prenantes en contexte de projet complexe. Cette application permet aux auteurs d’en souligner les apports et les nuances, ce qui ouvre la voie à de futures recherches. Le chapitre 10 s’inscrit dans la lignée des travaux fondés sur l’aide multicritère à la décision participative, en reconnaissant l’étape de structuration du problème et d’explicitation des enjeux et des préoccupations des différentes parties prenantes comme cruciale et essentielle à la qualité de la prise de décision. Le cas d’étude présenté ici porte sur le choix de scénario d’aménagement forestier durable. Enfin, le chapitre 11 mobilise la théorie de l’acteur stratégique pour éclairer les décisions d’engagement des sous-traitants à l’égard de la santé et de la sécurité au travail dans les projets.

    Références

    AALTONEN, K. (2011). Project stakeholder analysis as an environmental interpretation process. International Journal of Project Management, 29(2), 165-183.

    AALTONEN, k., KUJALA, J. et TUOMAS, O. (2008). Stakeholder salience in global projects. International Journal of Project Management, 26(5), 509-516.

    AALTONEN, K. et SIVONEN, R. (2009). Response strategies to stakeholder

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