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Évaluer la communication des organisations: 7 concepts et leurs mesures
Évaluer la communication des organisations: 7 concepts et leurs mesures
Évaluer la communication des organisations: 7 concepts et leurs mesures
Ebook414 pages3 hours

Évaluer la communication des organisations: 7 concepts et leurs mesures

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About this ebook

Comme toutes les activités stratégiques, la communication nécessite d’être évaluée. S’il est possible de se fixer des objectifs pour guider les actions, il est complexe de mesurer réellement leurs effets. Les mesures existantes posent problème, car elles varient en fonction des besoins, des contextes ou encore des outils utilisés. S’il n’y a pas de recette miracle, il existe cependant des questionnements pertinents et des méthodes éprouvées afin d’accompagner au mieux les praticiens actuels et futurs dans l’évaluation de leurs pratiques.

L’ouvrage Évaluer la communication des organisations est destiné aux praticiens, aux étudiants et à leurs enseignants. Il a pour visée de les guider dans l’évaluation de stratégies de communication. Pour cela, cet ouvrage court, didactique, et fondé sur les dernières avancées de la recherche, est construit autour de sept concepts fondamentaux. Chacun des concepts fait l’objet d’un chapitre long rédigé par un universitaire et d’un chapitre court, rédigé par un praticien, abordant leurs aspects numériques.

Évaluer la communication des organisations participe ainsi à la formation de professionnels réflexifs, aptes à s’adapter aux contextes pour évaluer les stratégies qu’ils déploient.
LanguageFrançais
Release dateJan 5, 2022
ISBN9782760555839
Évaluer la communication des organisations: 7 concepts et leurs mesures
Author

Camille Alloing

Professeur au département de communication sociale et publique de l'UQAM.

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    Book preview

    Évaluer la communication des organisations - Camille Alloing

    Introduction

    Évaluer et mesurer les actions de communication : pour quoi faire ?

    Lorsqu’une organisation communique à destination de ses publics, elle définit généralement des objectifs à atteindre : faire connaître un produit ou un service, faire voir un message ou un contenu, ou encore faire réagir les publics en provoquant un comportement spécifique. Plus la communication est jugée stratégique, plus il paraît nécessaire d’évaluer les résultats, c’est-à-dire d’apprécier la valeur ainsi produite, de juger de la réussite des actions déployées à l’aide de méthodes ou de techniques tant qualitatives que quantitatives.

    Pour cela, il est souvent utile d’analyser l’atteinte des objectifs, et son niveau. Si cette stratégie de communication a nécessité un investissement conséquent, il est alors courant d’évaluer son retour sur investissement. Mais dans un cas comme dans l’autre, il faut s’appuyer sur des éléments concrets, autrement dit, dans les organisations, des éléments « chiffrables » ou comparables. En effet, les logiques managériales, peu importe le type d’organisation, imposent une constante optimisation de ce qui est produit. Dès lors, l’évaluation passe généralement par des mesures, dont le but est de fournir un ensemble de points de repère nécessaire à toute évaluation : des indicateurs. Mais si, par exemple, l’organisation définit comme objectif l’amélioration de sa réputation, pour ensuite comparer les investissements qui ont été nécessaires aux résultats obtenus, comment mesurer cette réputation ?

    Une multitude de théories, de méthodes et d’outils existe, mais leur hétérogénéité reflète le flou des objets ou concepts que l’on tente de mesurer. Pour la réputation, les recherches sur le sujet nous disent qu’elle est à la fois une agrégation d’opinions, d’images mentales ou encore de réactions émotionnelles. Mesurer la réputation suppose donc de collecter des opinions, de décrire les images mentales ou encore de capter les réactions émotionnelles. Cette complexité à mesurer des concepts flous, car non stabilisés, explique les difficultés qu’ont parfois les professionnels de la communication pour valoriser leurs actions, voire pour en comprendre eux-mêmes leurs réels effets. Car contrairement au marketing, qui se centre sur les comportements de consommation pour évaluer la performance, la communication n’implique pas systématiquement des conséquences observables et objectivables. Si les environnements numériques donnent l’impression de mieux pouvoir « mettre en chiffre » certaines actions, là encore, de nombreux facteurs font obstacle au praticien qui souhaite évaluer les résultats de sa stratégie. Entre un impératif d’évaluation de la performance imposé par son commanditaire et les limites à une mesure pertinente d’actions souvent plus qualitatives que quantitatives, le professionnel de la communication se fiera à certains standards ou bricolera les siens.

    I.1 L’évaluation et ses mesures : des processus à appréhender dans leur complexité

    Dans tous les bons manuels de communication, à destination des étudiants ou non, écrits par des universitaires ou pas, un chapitre est réservé à l’évaluation des stratégies et actions de communication. Mais avec la variété des manières de communiquer et des publics potentiels, est-ce suffisant ? Comme cela a été souligné, une évaluation n’est pas systématiquement quantitative. Un jugement, comme celui d’un public sur la créativité d’une publicité, est une forme d’évaluation qui ne repose sur aucun repère quantitatif. Toute la difficulté est donc d’articuler l’évaluation faite par le public avec les impératifs d’évaluation financière de l’organisation. Dans un monde où la communication ne doit pas répondre à une logique d’évaluation de la performance, la difficulté consiste à identifier les bons indicateurs pour affiner ce que l’on communique aux publics. La mesure est alors un point de repère partagé. Elle agence et transforme des considérations tant qualitatives que quantitatives, tant subjectives qu’objectivables.

    Avant de vous laisser plonger dans ce manuel entièrement consacré à la question de l’évaluation d’une stratégie de communication des organisations, il est pertinent de présenter certains mécanismes qui participent à la production de mesures, et par extension aux évaluations qui les emploient. L’analyse de la fabrique d’une mesure suppose de s’approprier, au moins, quatre notions (Alloing, 2020).

    La quantification (Desrosières et Kott, 2005) : lorsque ce que l’on souhaite évaluer ne renvoie pas à des phénomènes naturels (la lumière, la température, etc.), on ne mesure pas, mais on quantifie. La quantification regroupe un ensemble de processus de calcul, de négociations entre acteurs pour définir des standards, ou encore d’outils ad hoc afin de « faire du nombre », de traduire un objet en chiffres. Dire que l’image de votre organisation a augmenté de trois points suppose de construire ce « point », de lui donner un sens afin que le chiffre « 3 » devienne un indice. Plus que de la mesure, l’évaluation des actions de communication suppose des quantifications d’objets, de concepts ou de phénomènes similaires.

    La commensuration (Espeland et Stevens, 1998) consiste à traduire des valeurs et des qualités en quantités, mais avec pour objectif de réduire le volume d’information afin de comparer des phénomènes, objets ou concepts, hétérogènes. Par exemple, comparer la réputation d’un restaurant gastronomique évaluée par des critiques avec celui d’un fast food noté par des internautes, pour répondre à la question : « Où bien manger à Montréal ? ». Contrairement à la quantification, ou en articulation avec elle, la commensuration s’applique spécifiquement à des phénomènes ou à des objets différents pour qu’ils puissent être classés et confrontés.

    Les conventions (Orléan, 2004), soit l’ensemble des cadres (interprétatifs, culturels, sociaux, économiques, etc.) permettant de coordonner des acteurs entre eux, avec ou sans négociation. Par exemple, les conventions établies par les associations professionnelles de publicitaires définissent certaines mesures de la publicité, tant dans leur forme que dans le sens à leur donner. Elles peuvent être formalisées dans des documents, ou non, et ne supposent pas d’être contractualisées : on ne signe pas un contrat d’adhésion à des conventions, on les respecte ou pas.

    La performativité (Austin, 1975) : fait de nommer, de désigner ou de décrire quelque chose qui n’existe pas permet de lui donner forme, donc de le faire exister. Par exemple, énoncer que « ce restaurant a une réputation de 4 étoiles sur 5 » crée la réputation de ce restaurant. Dit autrement, construire la mesure d’un objet ou d’un phénomène participe à créer ce phénomène, à le rendre tangible.

    Cette dernière notion offre un garde-fou indispensable lorsque l’on s’intéresse aux questions d’évaluation et des mesures qui l’accompagnent. À vouloir tout évaluer et mesurer, le risque est grand de générer des analyses et d’orienter des actions autoréférentielles, qui ne font que confirmer ce que l’on croyait déjà savoir et souhaitait déjà obtenir. Cette mise en garde est d’autant plus importante avec les environnements numériques : ce sont les plateformes et autres dispositifs sociotechniques qui quantifient, comparent et définissent leurs propres conventions et terminologies pour fournir des indicateurs de mesure dont on connaît peu de chose, et qui ne font qu’appuyer les propres politiques de ces plateformes.

    I.2 Pour une pratique réflexive de l’évaluation en communication : présentation du manuel

    Le manuel que vous tenez entre les mains est né de ces différents constats. De la nécessité d’évaluer la communication pour affirmer son importance dans les organisations, aux limites des mesures dont on fait usage pour cela, en passant par le renouvellement constant des métriques numériques, comment guider au mieux les praticiens actuels et futurs ?

    Pour fournir des apports pertinents et pérennes à ces questions, 16 auteurs proposent une analyse et description de 7 concepts ou objets dont la mesure est convoquée pour évaluer une stratégie de communication : l’audience, l’opinion, l’influence, les émotions, le discours, la créativité et la médiation.

    Chacun de ces objets, de ces concepts, est tout d’abord présenté dans un chapitre réalisé par des universitaires. En effet, donner une définition stabilisée et pérenne de ces concepts requiert une approche généalogique s’appuyant sur une littérature et des recherches scientifiques qui ont fait leurs preuves. Les mesures issues des dispositifs numériques étant en évolution rapide, donc par définition instables, chacun des chapitres réalisés par des chercheurs est accompagné d’un autre, écrit par des praticiens spécialistes de la transposition numérique de ces mesures. Mais plus que de donner une image de ce qui se fait à un instant T, au risque de ne faire que suivre les tendances impulsées par les plateformes, ces chapitres se centrent sur les usages de ces mesures numériques en fonction des besoins auxquels elles doivent répondre.

    Le choix de ces sept concepts et objets mesurés, plutôt que d’autres, répond à deux logiques. Dans un premier temps, le manuel s’intéresse à des concepts communicationnels que l’on peut combiner entre eux pour en produire de nouveaux, comme les opinions et les émotions pour la réputation, et qui sont centraux pour d’autres mesures et évaluations :

    L’audience est le premier d’entre eux (chapitre 1), tant sa quantification et son usage sont nécessaires pour évaluer de nombreuses actions de communication, qu’elles aient pour objectif d’influencer des publics ou de médiatiser un discours. Son pendant numérique (chapitre 2), appelé « analytics », regroupe là aussi un ensemble d’éléments au cœur de nombreuses autres mesures numériques.

    L’opinion publique (chapitre 3), dont la mesure est tout autant convoitée par les organisations politiques que par les organisations commerciales pour diriger et évaluer leurs actions. Une opinion qui, quand elle devient numérique (chapitre 4), est au cœur des pratiques ordinaires de communication qui se déploient sur le Web dit social.

    L’influence (chapitre 5), notion essentielle pour les relations publiques, dont la mesure permet de définir les leviers essentiels afin d’accroître la réputation d’une organisation, ou encore agir sur son environnement économique. L’influence numérique, quant à elle (chapitre 6), qui vise la mobilisation et l’évolution de l’opinion, nécessite un ensemble de mesures en vue d’évaluer les effets sur les comportements des publics des actions de communication numérique.

    Si l’émotion (chapitre 7) reste un objet nébuleux, les organisations ne cessent de rêver à sa mesure pour favoriser son activation. C’est d’ailleurs le seul chapitre du manuel n’ayant pas son équivalent numérique : la quantification des émotions, en ligne ou hors ligne, est (très) loin d’être fiable, les propos tenus dans un seul chapitre sont donc suffisants pour en comprendre les enjeux, les méthodes et les limites.

    Ces sept premiers chapitres répondent ainsi à la question centrale : pourquoi, et comment, évaluer une action de communication par la mesure de l’audience/opinion/influence/émotion ?

    Dans un second temps, l’ouvrage présente trois autres concepts qui sont le résultat de pratiques concrètes, et dont les auteurs s’interrogent sur la manière de les évaluer par l’intermédiaire de différentes méthodes :

    Le discours (chapitre 8), dont l’évaluation est abordée par un prisme qualitatif et quantitatif afin de favoriser son analyse comme sa production. Et le discours numérique (chapitre 9), qui ici se réfère à la production éditoriale en ligne, et aux indicateurs utilisés pour l’évaluer.

    La créativité (chapitre 10), Graal de tous les publicitaires et au-delà, dont l’évaluation doit être effectuée à chaque étape du processus de planification stratégique afin de s’assurer qu’il répond aux attentes des publics comme des commanditaires. La créativité numérique (chapitre 11), quant à elle, se réfère dans le manuel aux méthodes, aux techniques et aux outils utilisés pour mesurer le design des interfaces (sites Web, etc.).

    Enfin, la médiation (chapitre 12), concept et pratique clé de la communication, dont l’évaluation est ici présentée pour les milieux culturels, qui se voient imposer depuis quelques années une logique managériale, donc aussi évaluative. Ce chapitre propose alors des réflexions importantes sur les limites, voire sur les effets délétères d’une telle approche appliquée à la médiation culturelle. Lorsque la médiation a lieu en ligne (chapitre 13), elle regroupe les pratiques de gestion de communautés numériques et leurs mesures : ce qui fait le lien entre le public et les organisations sur une plateforme numérique est la médiation effectuée par les algorithmes autant que les praticiens que sont les gestionnaires de communautés.

    Pour favoriser une lecture analytique de ce manuel, chaque chapitre regroupe des sections similaires : définition du concept, intérêt de son évaluation ou de sa mesure, méthodes d’évaluation ou de quantification, limites et questions éthiques afférentes. Un glossaire vous permet d’accéder rapidement à des définitions synthétiques des principales notions évoquées.

    En somme, ce manuel n’est pas là pour vous fournir seulement des méthodes et des mesures clés en main. Il soulève des questions pertinentes et expose les limites à prendre en compte afin que vous puissiez ne plus compter seulement sur des évaluations génériques, mais bien que vous soyez en mesure d’évaluer ce qui compte vraiment pour les stratégies de communication que vous produisez.

    Bonne lecture !

    Bibliographie

    A

    lloing

    , C. (2020). Construire les publics numériques par leurs mesures. Dans E. Kessous et J.-P. Nau (dir.), Les technologies et le gouvernement des marchés. Des algorithmes aux biotechnologies. L’Harmattan, 63-83.

    A

    ustin

    , J. L. (1975). How to Do Things with Words (vol. 88). Oxford University Press.

    D

    esrosières

    , A. et K

    ott

    , S. (2005). Quantifier. Genèses, (1), 2-3.

    E

    speland

    , W. N. et S

    tevens

    , M. L. (1998). Commensuration as a social process. Annual Review of Sociology, 24(1), 313-343.

    O

    rléan

    , A. (2004). Analyse économique des conventions (2e éd.). Presses universitaires de France, coll. « Quadrige ».

    Chapitre

    1

    L’audience des médias

    Cécile Méadel
    Résumé

    Dans ce chapitre, l’audience est mise en perspective par le prisme de la notion de public, de son utilité et de son usage par les médias. Après une définition de ce concept, les différentes méthodes de mesure de l’audience sont présentées, ainsi que leurs limites et leurs biais. Les nombreuses tensions naissant de la difficulté à stabiliser, et donc à mesurer cet objet sont ainsi circonscrites.

    1.1 Qu’est-ce que l’audience ?

    La notion d’audience porte en elle, comme en atteste son étymologie, l’idée d’écoute, d’attention portée à celui qui parle. Elle renvoie à différents phénomènes : la foule, mais aussi la rencontre ; la réputation, mais aussi l’examen (judiciaire comme administratif). Elle définit désormais aussi l’ensemble des individus touchés par un média, autrement dit son public. Mais cette définition qui semble couler d’évidence soulève en fait de nombreuses questions. À ce stade, considérons qu’audience et public se confondent, ce qui est souvent le cas ; or, ce qui permet de constituer un public ne va pas de soi. On utilisera le terme public aussi bien pour parler des lecteurs de Balzac que des adeptes de Games of Thrones, des spectateurs de l’opéra de Paris que des amateurs de cricket. Qu’ont en commun les membres de ces publics à part un contenu, une activité ? Ils peuvent se livrer à une même occupation simultanément ou pas, dans un même lieu ou pas, au même moment ou pas… Pour un même contenu, les conditions de participation seront très variables ; ainsi le théâtre peut être proposé dans l’espace contraint d’une salle qui, le plus souvent, assied son public, le fait taire et le plonge dans le noir ; mais il peut aussi s’écouter à la radio ou se voir à la télévision, dans un lieu fixe ou en mobilité, se regarder à distance, se projeter dans une salle de cinéma, se lire, etc. Les relations contractuelles avec l’organisme producteur ou avec l’auteur sont elles aussi plurielles, de la gratuité, avec plus ou moins de contreparties en publicité ou en données personnelles, à l’abonnement en passant par l’achat à la pièce ou par lot. Et l’on pourrait encore longuement poursuivre cette liste des modalités variées de ce qui fait le public (Cefaï et Pasquier, 2004).

    Pourtant, chaque fois, on emploiera le terme public pour désigner ceux qui ont en commun un intérêt pour un contenu donné, pour un média, pour un mode de transmission. L’indétermination du phénomène concerné par cette notion s’ancre dans une double acception débattue tout au long du XVIIe siècle : le terme désigne à la fois un collectif politique qui professe une opinion, ou un ensemble d’individus récepteurs d’un même message ; le premier s’exprime dans l’espace public, même si celui-ci est alors contraint par l’absolutisme des régimes politiques ; le second relève davantage des appréciations individuelles et est cantonné au for intérieur, à l’appréciation et à la délibération de chacun (Merlin, 1994). Ainsi, peut-on définir le public par le partage d’un contenu qui n’est pas destiné à un interlocuteur préidentifié ; celui-ci est voué à intéresser des personnes sans liens nécessaires, ni entre elles, ni avec le producteur de l’œuvre, du spectacle. Des auteurs pionniers comme Gabriel Tarde (1989) et John Dewey (2010) contribuent à cerner ce que recouvre la notion de public en insistant à la fois sur l’importance des échanges entre les membres de ces collectifs et des interactions croisées avec le contenu.

    Ces auteurs nous permettent aussi d’éclairer la différence entre les deux notions, difficiles à distinguer, de public et d’audience, qui ne recouvrent pas deux types de réalités, mais renvoient à des approches et à des concepts différents. Le premier terme, public, met l’accent sur le partage qui accompagne l’usage des médias, sur l’aspect commun de l’activité et il s’oppose au privé. Le second est davantage appréhendé comme le résultat de l’action des médias et il conduit à l’idée de masse. La notion de public oriente le regard vers l’action collective ; celle d’audience, sur la somme d’actions individuelles ; pour simplifier, on pourrait dire que cela correspond d’un côté à la sphère publique à la Habermas (1978), de l’autre à l’univers de la consommation. De ce fait, on oppose souvent, dans l’espace public comme dans les travaux scientifiques, un public qui serait actif, impliqué, réflexif, et une audience vue comme passive, malléable, inconsistante. Cette méfiance à l’égard des audiences s’inscrit dans la longue tradition de l’inquiétude que provoquent les médias et plus généralement la culture de masse d’un point de vue politique et culturel (Livingstone, 2005).

    Avec l’explosion du Web collaboratif et des réseaux sociaux numériques, la distinction entre public et audience tend de plus en plus à s’estomper ; la portée culturelle, sociale ou politique, supposée propre à la notion de public, contamine celle d’audience. Les petits cercles impliqués dans une activité particulière, les groupes d’amateurs réunis pour sous-titrer leur série préférée (ce que l’on appelle le fansubbing), les membres d’une liste de discussion sur une maladie, les commentaires autour d’une chaîne YouTube ; tous ces groupes, plus ou moins constitués, souvent labiles et instables, contribuent à la construction du lien social, à la restructuration des collectifs en ligne et hors ligne. Les internautes peuvent avoir, parfois presque simultanément, par rapport à un même contenu une posture d’adhésion repue, une activité de commentaires interpersonnels, une attention vigilante à un réseau social… (Cardon, 2019, p. 141-162) Les frontières se brouillent donc entre les concepts d’audience et de public.

    Il reste cependant une différence entre les approches des publics et celles des audiences : le public fait l’objet, dès l’émergence de la notion au XVIIIe siècle, d’explorations qui visent à le faire parler, à recueillir ses avis, à suivre ses évolutions, à le surveiller par des enquêtes policières, administratives et plus tard sociologiques (Le Play et al., 2013) principalement d’ordre qualitatif, et parfois avec quelques dénombrements. La quantification extensive et dominante est liée en revanche à la notion d’audience et c’est autour d’elle que se construisent les multiples outils de calcul, qui deviennent un élément central de définition des audiences.

    1.2 Mesurer l’audience : pour quoi faire ?

    Aujourd’hui, toute audience, quel que soit son média, fait l’objet d’un nombre très important de mesures qui lui permettent de qualifier ses membres suivant une large variété de critères et avec des méthodes d’une grande diversité. Ces chiffres sont mobilisés dans toutes les phases du travail de production et de diffusion des médias et ils y jouent un rôle déterminant, si déterminant même que l’on a tendance à oublier qu’ils ne vont jamais seuls et ne prennent tout leur sens que par confrontation avec d’autres formes d’évaluation, avec d’autres indicateurs, formels et informels (Akrich, 2006, 212-213).

    Cette importance des mesures n’est pas propre aux médias ; elle résulte, à partir de la fin du XIXe siècle, d’une montée en importance des données quantitatives dans tous les aspects de la vie économique, sociale, politique (Desrosières, 1993 ; Didier, 2009). Cette culture du chiffre trouve son origine dans l’émergence de la statistique publique d’abord, puis dans les transformations des approches économiques : le développement du marketing tout au long du XXe siècle vise à rationaliser l’organisation des entreprises et à établir des processus de planification, de contrôle, d’évaluation, qui progressivement s’incarnent dans des données chiffrées (Cochoy, 1999). Dès lors, pour gouverner, il faut compter.

    Mais mesurer le public ne

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