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Les grandes passions de l'histoire - Destin d'une bourgeoise amoureuse
Les grandes passions de l'histoire - Destin d'une bourgeoise amoureuse
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Ebook331 pages4 hours

Les grandes passions de l'histoire - Destin d'une bourgeoise amoureuse

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About this ebook

Derrière chaque grand personnage historique se cache au moins une histoire d’amour…

Dès lors qu’une diseuse de bonne aventure l’assure qu’elle sera aimée d’un roi, Jeanne Antoinette Poisson en rêve sans cesse. Pourtant, elle doit se montrer réaliste; ne possédant aucun titre de noblesse, le monarque ne pourra pas s’intéresser à elle… Elle épouse Charles-Guillaume Le Normant, un homme riche, cultivé et très amoureux d’elle. Bien que sa situation maritale et sa vie mondaine soient satisfaisantes au départ, après quelques temps, son désir de grandeurs refait surface.

Lorsqu’elle apprend que le roi Louis XV participe à des parties de chasse près de son domaine, Jeanne commence à s’intéresser à ce noble sport. Elle élabore des plans et use de différents stratagèmes pour se faire remarquer par le roi, se faisant parfois aider par des gens de son entourage, qui voient dans la concrétisation du rêve de Jeanne le possible aboutissement de leurs propres intérêts.

Son plan vire au drame lorsqu’elle est atteinte à la jambe par une balle perdue. Elle réussit toutefois à attirer l’attention du roi.

Cette rencontre suffira-t-elle à provoquer chez le monarque, profondément amoureux de sa maîtresse actuelle les sentiments tendres que Jeanne espère? Le chemin pour y parvenir est plus long et parsemé d’embûches pour la jolie madame Le Normant, qui s’impatiente et désespère de voir un jour son rêve se réaliser...
LanguageFrançais
Release dateFeb 11, 2022
ISBN9782898180965
Les grandes passions de l'histoire - Destin d'une bourgeoise amoureuse
Author

Chantal Valois

Chantal Valois, née à Trois-Rivières, réside aujourd’hui à Saint-Constant. Infirmière et mère de trois garçons, elle s’adonne à l’écriture dès qu’elle en a l’occasion. Ses deux premiers romans, La Ménechme et En quête du passé paraissent en 2012, tandis que sa trilogie Isabelle au Clair de Lune est publiée aux Éditions ADA en 2017. Avec Mozart, elle signe son sixième roman et travaille déjà sur son prochain.

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    Les grandes passions de l'histoire - Destin d'une bourgeoise amoureuse - Chantal Valois

    Chapitre 1

    Paris, 1741

    Dans toute sa splendeur, l’église Saint-Eustache de Paris étalait son style gothique. Vaste et haute, elle était dotée de plusieurs arches ogivales, tout comme la cathédrale Notre-Dame. D’énormes piliers soutenaient le poids de son immense voûte. De l’intérieur, à peine quelques sublimes vitraux coloraient la grisaille des murs, la faisant paraître austère, dépouillée. Toutefois, chacun s’entendait pour admettre la grandiose impression qu’elle suscitait en pénétrant dans son enceinte. Ce jour-là, elle était bondée. Des membres de la famille, certains amis, mais aussi beaucoup de curieux s’étaient rassemblés dans la nef.

    Vêtu d’une soutane et d’un large surplis blanc, la tête couverte d’une barrette noire, bonnet carré à cornes métalliques réunies au centre par un pompon, le prêtre s’avança au centre du chœur. Il récita une lecture biblique, qu’il termina sur une courte prière. Après la réponse de l’assemblée, il ferma son missel d’un coup sec. Il invita ensuite le jeune couple qui se tenait devant lui à le suivre devant l’autel.

    L’homme du couple, coiffé d’une perruque à catogan, étrennait pour l’occasion un habit noir sur une chemise à jabot. Il fit passer devant lui la jeune femme qui s’était tenue jusque-là à ses côtés. Cette dernière, dans l’éclatante blancheur d’une robe ornée d’une broderie de fil rose, avança avec une certaine nervosité jusqu’au célébrant, un voile devant le visage. Obéissant au signe du prêtre, elle s’agenouilla devant lui. Le jeune homme l’imita puis prit les mains moites de cette femme si belle qui deviendrait sienne. Ce simple geste rassura cette dernière.

    Le religieux leva ensuite la main droite au-dessus des futurs époux. Selon sa responsabilité, il vérifia, par trois questions, les conditions validant l’union à venir et la certifiant digne d’être prononcée. Il s’adressa à eux en citant leur nom complet :

    — Jeanne Antoinette Poisson et Charles-Guillaume Le Normant voulez entrer dans le Saint-État de mariage et demandez qu’il soit confirmé devant la sainte Église ?

    — Nous le demandons.

    — Vous, Jeanne Antoinette Poisson et Charles-Guillaume Le Normant, êtes-vous libres de tout autre engagement ?

    — Nous le sommes.

    — Vous, Jeanne Antoinette Poisson et Charles-Guillaume Le Normant, attestez que votre degré de parenté n’est pas assez proche pour qu’il soit un obstacle à cette union ?

    — Nous l’attestons.

    — Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il se prononce immédiatement ou se taise à jamais.

    Dans la nef, derrière les fiancés, un léger murmure parcourut l’assistance, des têtes se tournèrent mais personne ne s’objecta. Obtenant ainsi la réponse souhaitée, le célébrant fit se relever le jeune couple. Celui-ci, soulagé que personne ne s’oppose à son mariage, s’exécuta. Un jeune garçon apporta le coussin nécessaire à la poursuite de l’événement.

    Suivant les gestes du prêtre du regard, Jeanne et Charles-Guillaume le virent effectuer la rituelle bénédiction. L’ecclésiastique éleva du coussin les anneaux, qu’il aspergea d’eau bénite. Il fit de même avec le treizain traditionnel, ensemble de treize pièces de monnaie remis à la fiancée par le fiancé pour porter chance à leur union. Après avoir récité une courte prière, le célébrant regarda ensuite le jeune homme.

    — Charles-Guillaume, jurez-vous d’aimer, de chérir et de protéger Jeanne Poisson, ici présente, et ce, jusqu’à ce que la mort vous sépare ?

    — Je le jure.

    — Jeanne, jurez-vous d’aimer, de chérir et de protéger Charles-Guillaume, ici présent, et ce, jusqu’à ce que la mort vous sépare ?

    La jeune femme tourna la tête vers l’assistance. Elle réalisait difficilement, malgré l’importance de l’événement, que tous ces gens s’étaient expressément déplacés pour eux. Elle embrassa du même coup cette vaste salle du regard, témoin muet de son union avec Charles-Guillaume. Jeanne posa ensuite des yeux brillants sur l’homme face à elle. Celui-ci patientait en lui tenant la main, un sourire radieux sur le visage. Le cœur rempli d’une intense allégresse, elle mesura encore une fois sa chance. Qu’elle était heureuse que le destin l’ait mis sur sa route !

    — Jeanne ? répéta le célébrant.

    — Jeanne ? Jeanne ?

    Doucement secouée, Jeanne ouvrit les yeux. Perdue, elle fixa sans véritablement la voir la silhouette qui venait de l’interpeller. D’abord flou, Charles-Guillaume lui apparut bientôt, cependant il n’était plus vêtu d’un habit noir. Il portait une chemise d’un blanc immaculé et une culotte moulante grise qui s’arrêtait au bas des genoux sur des bas de soie blancs. Perplexe, elle se demanda pour quelle raison il avait changé sa tenue. Toutefois, son cerveau trop embrumé la rendait incapable de remuer les lèvres pour l’interroger.

    — Vous revenez de loin, on dirait ! Et votre regard fixe m’indique que vous n’êtes probablement pas encore au même endroit que moi. Réveillez-vous, très chère, il faut vous préparer. Ce que je suis à faire.

    Charles-Guillaume s’effaça, sans doute pour joindre ses gestes à ses paroles, lui révélant la grande bibliothèque contre le mur face à elle. Peu à peu, la réalité la rattrapait. La jeune femme sourit faiblement. Elle s’était visiblement assoupie sur son canapé et son époux la sortait d’un sommeil au cours duquel elle avait revécu la cérémonie l’ayant unie à lui quelques mois auparavant.

    Plus tôt, en s’installant sur son siège un livre entre ses mains, elle avait noté qu’en ce neuvième jour de juin, trois mois tout juste s’étaient écoulés depuis leur mariage. Cette pensée ne pouvait être étrangère à ce songe. Cependant, elle ne savait plus comment l’interpréter puisque ce jour grandiose ainsi que les suivants, qui lui avaient été si enivrants d’amour, ne suscitaient plus de pareilles émotions. À peine trois mois après, elle croyait cet amour largement affaibli.

    Peinant à revenir à une pleine conscience, la jeune femme referma ses paupières encore lourdes. Impuissante à les contrôler, elle laissait ses pensées errer, cherchant où ce désintérêt avait commencé.

    D’abord ambivalente, Jeanne avait vite été excitée à l’idée d’épouser cet excellent parti. Une rencontre avait suffi à la convaincre. Sans afficher une beauté exceptionnelle, Charles-Guillaume possédait des traits agréables et se voulait charmant, cultivé, aimable et généreux. De plus, en sa qualité d’assistant fermier général, haut fonctionnaire financier, ses moyens leur permettraient une vie aisée. Ce mariage, proposé et organisé par son tuteur, également oncle de Charles-Guillaume, lui avait paru idéal en tous points… jusqu’à ce qu’il ne satisfasse plus son bonheur.

    Charles-Guillaume, revenu au salon et la voyant toujours assise et assoupie sur le canapé de velours rose, revint à la charge. Il pressa doucement l’épaule de son épouse, ce qui lui fit ouvrir les yeux à nouveau. Persuadé qu’elle l’écoutait, il l’exhorta à se presser. S’éloignant du fauteuil, il passa son bras dans la veste de brocart grise qu’il avait apportée avec lui.

    — Allons, Jeanne ! Vous vous êtes rendormie et il vous est apparemment pénible de vous éveiller complètement. Mais à présent, il vous faut vous sortir de votre rêverie. Je serai bientôt prêt et il vous reste peu de temps avant notre départ pour vous préparer.

    Elle remua doucement la tête et lui souffla un acquiescement. Le mari, croyant son épouse enfin tirée de son sommeil, se dirigea vers une autre pièce en sifflotant pour y terminer de boutonner sa veste. Laissée à elle-même, Jeanne referma les yeux et poursuivit ses réflexions, seule chose dont elle se sentait encore la force d’entreprendre.

    Peut-être restait-elle inapte à réagir tel que son époux le lui demandait ? Elle profita de la situation pour chercher des réponses à ses questionnements depuis l’éveil. Néanmoins, sans doute préférait-elle inconsciemment repousser le temps à passer en sa compagnie. Pourtant, elle réalisait bien devoir le suivre.

    Si ces derniers jours, Jeanne songeait avec un certain ennui aux moments vécus avec son époux, une part d’elle se refusait, chaque fois qu’elle s’y attardait, à cette idée d’un amour s’amenuisant. Femme de principes, elle cherchait donc à redonner à ces souvenirs la joie et l’amour dont ils avaient été imprégnés au départ plutôt que de leur attribuer la possible fin de son union. Cette réflexion sur son mariage la laissant plus amère, elle lui fit entrevoir une réalité qu’elle tentait de fuir. Elle devait l’admettre ; son mari l’agaçait de plus en plus.

    Récemment revenu la hanter, un rêve de jeunesse semblait expliquer l’usure précoce de son amour. Cette aspiration s’avérait d’un réalisme discutable. Ce constat à lui seul lui dictait de ne plus s’accrocher à cette chimère. Pourtant, bien qu’il fût un mirage ambitieux, elle y avait été préparée, elle y avait investi plusieurs années, et, reconnaissant le peu que lui inspirait maintenant son époux, Jeanne constatait qu’elle souhaitait y croire à nouveau. À la lumière de ce désir renaissant, elle ne pouvait plus affirmer avec certitude quel sentiment elle avait réellement éprouvé pour Charles-Guillaume.

    En effet, la façon dont elle avait été courtisée, les célébrations entourant leurs fiançailles et leur mariage, l’attention que Charles-Guillaume lui prodiguait ne lui avaient probablement procuré qu’un sentiment d’ivresse et de plaisir intense plutôt qu’un amour profond. Si un tel sentiment l’avait véritablement habitée, il était enfoui loin en elle. Si cela s’avérait, pourrait-il refaire surface ?

    Rapidement devenu éperdument amoureux d’elle, il l’avait comblée dès les débuts de cadeaux, de délicates attentions et d’affection. De cet homme empreint de galanterie, elle pouvait citer de nombreuses qualités. Comment alors ne pas tomber sous son charme ?

    En fait, dut convenir Jeanne, il était facile pour la toute jeune femme qu’elle était, n’ayant pas encore vingt ans, de se laisser impressionner sans pour autant en devenir véritablement amoureuse.

    Ses trop nombreuses attentions, l’affection et la passion intacte qu’il lui démontrait, que Jeanne avait réellement appréciées au départ, commençaient à lui peser. Par gentillesse ou par compassion, Jeanne s’efforçait de ne pas le démontrer. Si parfois elle fit preuve d’indifférence, soit il ne l’avait pas remarqué, soit il lui pardonnait aisément parce qu’il n’avait à ce jour émis aucun commentaire, ni demandé d’explications à cette froideur. Et, malheureusement pour lui, en ce jour précis, Jeanne réalisa que sa volonté de faire semblant avait dangereusement fléchi.

    Plus elle se sentait s’éloigner de lui, plus il usait de douceur et la comblait de ses gentillesses, ce qui la désemparait et l’ennuyait. Involontairement, il suscita cette réaction en l’appelant depuis l’autre pièce avec sa patience d’ange et son air doucereux.

    — Jeanne, ma chère, ma tendre épouse, êtes-vous sur pieds ?

    Délicieuses en des temps plus joyeux, ses fréquentes marques d’affection l’irritaient de plus en plus. En même temps, puisque son travail de financier tenait Charles-Guillaume éloigné d’elle une grande partie de la journée, il lui manquait. Cette constatation la dérangeait. Se croyant maintenant privée des sentiments que de son côté son époux ressentait toujours pour elle, Jeanne ne pouvait plus exprimer la raison exacte de cette ambivalence qui l’habitait.

    Ignorant les pensées peu flatteuses de Jeanne à son égard, celui-ci, n’ayant pas obtenu la réaction souhaitée, revenait vers elle, son jabot entre les mains. Une part d’inquiétude l’envahit alors qu’il la vit toujours assise à la même place et l’émotion commença à poindre dans son appel.

    — Jeanne, ma chérie, vous allez bien ?

    — Je vais bien, répondit-elle presque inconsciemment en le regardant.

    Elle lutta contre ses sentiments négatifs pour puiser en elle la force et la volonté nécessaires à garder les yeux ouverts. Rassuré de la voir à présent consciente, il ne put s’empêcher de la semoncer légèrement en ajustant sa collerette.

    — Il est heureux que vous le soyez ! Maintenant je vous prie d’éviter de me préoccuper et empressez-vous de vous préparer ! Nous sommes attendus ! Mon jabot est-il bien placé ?

    La question achevant enfin de la sortir de sa torpeur, Jeanne examina son époux afin de lui répondre adéquatement. Planté devant elle, la main sur l’ornement de mousseline blanche tombant sur le haut de la chemise à la hauteur de la veste, il le déployait de manière à trouver le meilleur effet. Chaque fois qu’ils sortaient, il s’inquiétait que sa mise soit impeccable. Or, tout comme à ce moment, Jeanne ne pouvait jamais s’offrir le luxe d’un commentaire négatif.

    Lasse de cette perfection à laquelle il aspirait dans tout ce qu’il accomplissait, elle murmura son approbation. Pendant une seconde, elle songea à clore à nouveau ses yeux, le temps que passe bientôt l’exaspération dans laquelle son époux la mettait en cet instant. Mais n’était-ce pas ce qu’elle tentait de faire vainement depuis le premier instant où il l’avait réveillée ?

    Convenant qu’au fond il n’y était pour rien dans ce qu’elle ressentait, elle se ressaisit rapidement pour éviter la colère justifiée qu’il lui déverserait bientôt, de la voir si lente à se préparer. Comme ce 9 juin semblait important pour lui puisqu’il en parlait depuis quelques jours, Jeanne se dit qu’elle devait s’efforcer de démontrer un peu d’entrain. Son mari, revenu tôt de son travail dans ce but précis, souhaitait très certainement passer cette soirée commémorative avec sa femme, et ce, le plus agréablement possible.

    Il lui fallait se composer une mine joyeuse par respect pour sa considération envers elle. Elle disposerait bien d’autres moments pour mettre en branle son grand rêve. Aussi, une heureuse nouvelle se profilait. À cause du retard de ses règles, Jeanne pressentait qu’elle n’était plus seule. Ce grand bonheur méritait qu’elle lui manifeste une meilleure humeur.

    Une grossesse la rapprocherait-elle de son époux ? Donnerait-elle un second souffle à leur union ? Elle se permettait encore de le croire. Cette sortie aurait été une excellente occasion pour lui annoncer. Pourtant, il lui fallait se retenir ; elle n’avait encore aucune certitude et mieux valait ne pas partager cette nouvelle maintenant, puisqu’elle ignorait où et avec qui d’autre elle passerait la soirée.

    Bien qu’elle fût à présent bien réveillée, cette pensée d’un nouveau petit être la plongea à nouveau dans un monde intérieur et elle referma les yeux. Charles-Guillaume, revenant et la supposant toujours dans ce même état, s’inquiéta sérieusement. L’énervement de son époux devint tangible alors qu’il l’interrogea de nouveau.

    — Jeanne ? Vous m’entendez ? Vous êtes certainement dans un très mauvais état ! cria-t-il presque en la secouant plus vigoureusement.

    À la fois inquiet de cette inertie qui se prolongeait et légèrement réconforté par ses récents signes d’éveil, il hésitait entre juger sa femme absorbée par autre chose que ses paroles ou pire, atteinte d’une troublante indisposition. Avant de choisir la seconde option, il répéta sa dernière question et la secoua davantage, espérant ainsi la tirer définitivement des bras de Morphée.

    Ce faisant, il fit tomber sur le canapé le livre qu’elle avait gardé ouvert, face contre son ventre, avant de somnoler. Cette chute provoqua enfin l’effet escompté. Elle lui fournit une réponse intelligible, puis jeta négligemment un coup d’œil à l’ouvrage gisant à côté d’elle. Elle en lut le titre : Œdipe. Il s’agissait d’une pièce de théâtre écrite par le célèbre Voltaire. Plus jeune, elle avait appris par cœur deux des pièces de cet auteur, Hérode et Mariamne et Zaïre, respectivement écrites en 1724 et 1732. Elle avait beaucoup apprécié la plume de Voltaire qui racontait, dans la première œuvre, la mort tragique de Mariamne, provoquée par son époux jaloux, et dans la seconde, l’histoire d’une enfant d’esclave recueillie par un sultan qui en devient amoureux. Depuis, Jeanne aimait lire ses créations. Elle en possédait plusieurs dans sa bibliothèque personnelle.

    — Jeanne, mon trésor, vous m’inquiétez ! Montrez-moi que je ne dois pas !

    Cet appel, plus implorant que les autres, acheva de la sortir de sa léthargie et des pensées préoccupantes qui l’habitaient. Jeanne s’étira en baillant, ramassant machinalement au passage le coussin de tissu broché gris que sa main effleura de l’autre côté d’elle. La jeune femme le serra contre sa poitrine pendant qu’elle s’expliquait plus longuement, pour le soulagement de son mari.

    — Si, si, je vais bien, n’en doutez point ! Je me suis apparemment endormie pendant ma lecture. Vous m’avez réveillée et je vous entendais, cependant je peinais à revenir à une pleine conscience, de manière à réagir adéquatement à vos demandes. Cette lourdeur, ce moment d’égarement, desquels il m’a été pénible de surgir, sont terminés à présent et je vais de ce pas me préparer pour cette soirée. Je suis désolée de vous avoir inquiété et retardé. J’espère que vous saurez me pardonner !

    Pour appuyer ses dires, elle laissa tomber à sa droite le coussin qu’elle tenait entre ses bras et accepta avec un sourire rassurant la main aidante de Charles-Guillaume avec laquelle il l’extirpa du confort du siège. L’époux fut heureux de constater que sa tendre moitié revenait à elle, qu’elle tenait sur ses jambes, minimisa l’étrange épisode et se retint de la questionner davantage. Bien qu’il lui restât un soupçon d’inquiétude, il se montra plutôt rassuré, se contentant de bien l’observer alors qu’elle effectuait quelques pas devant lui.

    — À la bonne heure ! Mes appréhensions ne s’avèrent pas fondées ! Vous êtes toute pardonnée, Jeanne chérie, vous le savez bien ! Pendant que vous irez à votre appartement, je vais moi-même terminer mes préparatifs. Avant de rentrer, je suis passé chez le barbier, quérir mes ailes de pigeon. Il les a colorées exactement de la teinte que je voulais et je dois m’en coiffer la tête pour en apprécier l’effet final.

    — Faites, mon ami. Mais je ne m’en soucie point, ces rouleaux vous vont si bien. De mon côté, je tâcherai de ne pas être trop longue pour me faire belle.

    En la gratifiant de multiples compliments sur sa beauté naturelle, il pivota et retourna à son miroir, près duquel sa perruque l’attendait sur une table basse en bois ciselé. Entendre Jeanne s’exprimer en plusieurs phrases, la constater motivée à se préparer et la voir s’éloigner enfin de son lieu de repos achevèrent de rasséréner Charles-Guillaume. Tâchant de chasser les préoccupations qu’elle lui avait causées, il surenchérit plutôt sur les attraits physiques de sa femme.

    — Beaucoup sont de mon avis. Vous n’avez point besoin de longues minutes pour rehausser une beauté que vous avez déjà superbe. Quant à votre grâce intérieure, je pourrais également dresser une longue liste d’appréciables épithètes.

    Après l’avoir remercié, elle l’assura en riant qu’elle ne lui en demandait pas tant. Tandis qu’elle le vit sortir de la pièce, ses pensées volaient déjà vers un autre sujet en entendant des chiens japper au loin. Instinctivement, son regard se tourna vers les grandes fenêtres derrière le canapé rose, qui laissaient entrer les rayons d’un soleil de fin d’après-midi. Après deux jours de pluie, l’astre solaire éclairait timidement la forêt et certains promeneurs en profitaient visiblement malgré le temps venteux.

    Attirée par les aboiements qui persistaient, elle contourna le canapé afin de se rapprocher des fenêtres. Elle aperçut du mouvement aux limites du terrain. Elle ne comprenait pas les raisons qui poussaient les gens à se rassembler dans la forêt, dès que l’absence de précipitations le permettait, ne se préoccupant point des multiples flaques boueuses laissées par la pluie.

    Leurs jardins s’étendaient suffisamment autour de la maison pour que cette dernière se trouve loin des parties de chasse qui se donnaient dans la forêt de Sénart, délimitant le domaine où ils habitaient. Néanmoins, de plusieurs points de leur résidence, ils en voyaient l’orée et entendaient parfois les chiens aboyer ainsi que le bruit des sabots des chevaux frappant le sol dès que ceux-ci s’approchaient de leur propriété.

    Peinée, Jeanne trouvait cruelle cette chasse à courre où les chiens entraînés avisaient leurs maîtres à cheval qu’ils avaient débusqué les pauvres bêtes, sous peu mises à mort. L’hallali, lors duquel le son des cors suivait les aboiements et marquait l’imminente acquisition du trophée des chasseurs, lui crevait chaque fois le cœur.

    Passablement dégoûtée, Jeanne remarqua qu’un souffle du vent agitait un pan des tentures, entièrement brodées de fleurs roses et blanches. Elle ferma la fenêtre en frissonnant, ressentant brusquement la fraîcheur qui entrait à travers l’ouverture.

    Ce faisant, seuls des aboiements étouffés parvenaient désormais à ses oreilles. Jeanne s’éloigna du carreau, redoutant le chant sinistre des cors. Les bras croisés sur elle, elle était découragée que des gens sensés puissent s’adonner à ce genre d’activité.

    Jeanne se retourna, puis pendant quelques secondes, embrassa du regard le séjour où elle se trouvait. Pourtant satisfaite du nouveau décor, qu’elle avait elle-même créé, la jeune épouse n’arrivait pas à retrouver l’étincelle qui l’avait habitée pendant le premier mois suivant son installation dans cette vaste demeure à Étiolles.

    Et revoilà ces préoccupations qui accaparent toujours mes pensées, se dit-elle alors que la voix de son mari s’élevait à nouveau pour la ramener à l’ordre.

    Le paisible petit village d’Étiolles était situé près d’un ruisseau, entre la Seine et la luxuriante futaie de Sénart. Bâti dans une clairière qu’on avait agrandie, à proximité de cette forêt de feuillus, le domaine, offert pour le couple en cadeau de noces par l’oncle de l’époux, leur avait immédiatement plu. Ils avaient été charmés par cette belle et grande résidence en pierres de taille, dans ce bel environnement où la nature, les oiseaux et les animaux semblaient leur parler chaque jour.

    Toutefois, en ce qui la concernait, cette envie d’y être, ce sentiment d’appartenance n’avaient pas duré. Jeanne avait cherché à comprendre la raison de cette aversion progressive. Sa première idée fut qu’ayant habité et apprécié la ville depuis sa tendre enfance et devenant le témoin involontaire d’un sport qu’elle abhorrait, Jeanne n’arrivait plus à s’y sentir chez elle. Mais au fond d’elle, la jeune femme avait vite reconnu une autre possibilité à cette animosité croissante.

    Par son mariage, la nouvelle madame Le Normant était devenue la maîtresse de cette résidence. Non seulement était-elle destinée à y vivre, mais elle se devait d’honorer la générosité de l’oncle de son époux. Par conséquent, Jeanne avait tenté de stimuler cet intérêt par les multiples réaménagements décoratifs dont le domaine avait besoin. La jeune mariée s’était persuadée qu’en adaptant les décors à son goût, et par ce fait, en gardant son esprit occupé, la fierté d’y vivre lui reviendrait, comme aux premiers jours. Ses premières initiatives lui donnèrent raison. Du moins, au début.

    Aidée de couturières et de tapissiers, elle avait commencé dès la fin d’avril, avec un enthousiasme certain, à améliorer les pièces de sa demeure. Au moyen d’un décor tourné davantage vers les nouvelles tendances, elle avait apporté des changements de couleurs et de tissus sur le sol, les murs et certaines pièces de mobilier. Des peintures aux couleurs chaudes accrochées aux murs, aux tapis colorés jetés sur le carrelage du sol, en passant par des tapisseries judicieusement choisies pour orner les murs et des vases de porcelaine, dont certains avaient été conçus de ses mains, elle avait tout bien ordonné pour redonner une âme aux pièces.

    Ne se contentant pas que de l’intérieur, elle avait orné le jardin de nouveaux bosquets fleuris, de statues et de magnifiques fontaines, qu’elle pouvait tous apercevoir de la terrasse ou de l’intérieur de la maison. Même si ces derniers travaux étaient toujours en cours, leur aspect final se précisait et Jeanne en tirait une grande fierté.

    Souvent loué par son entourage, son esprit créatif ne l’avait que rarement déçue. Avec la fin récente de ce réaménagement intérieur, elle pouvait se dire plutôt satisfaite du résultat. La plupart des invités qui avaient traversé ces pièces depuis partageaient son avis. Presque tous la complimentaient largement pour ces efficaces améliorations. Hélas, cette euphorie, ce sentiment d’une réelle identification aux lieux n’avaient été qu’éphémères. Depuis juin, une certaine solitude et la tranquillité firent suite aux visites des curieux. En partie à cause de cela, la jeune épousée ne parvenait toujours pas à s’y sentir pleinement chez elle. La lassitude envers son mari, faisant progressivement place à la ferveur déjà éprouvée, ajoutait certes à l’inconfort, dut-elle convenir.

    Jeanne soupira. Si la modification de ses sentiments envers son époux expliquait vraisemblablement cette sensation d’imposture dans cette demeure, il serait plus ardu d’y remédier. Pour l’heure, elle ne souhaitait réfléchir plus longuement ni aux raisons qui l’éloignaient de Charles-Guillaume ni aux solutions pour éviter de jeter l’éponge ; il lui fallait se préparer à la soirée que ce dernier voulait garder mystérieuse et attendait avec impatience.

    Elle s’empara du livre de Voltaire sur le canapé afin de le ranger dans sa bibliothèque au fond de la pièce, entre un recueil de poèmes et un autre titre de ce même auteur. Elle se dirigea ensuite vers la pièce où elle s’affairerait à se rendre plus présentable pour la soirée prévue par son époux, dont l’importance lui paraissait grande. Chemin faisant, quoique elle s’y fût attendue, une longue sonnerie de cors et trompettes la fit sursauter et la cloua sur place.

    — L’hallali, dit Jeanne tout bas, en se demandant avec tristesse qui du lièvre ou du cerf se trouvait à la merci de la horde des cruels chasseurs à cheval et des chiens aboyeurs.

    — On dirait qu’ils ont trouvé de quoi se mettre sous la dent ! s’exclama Charles-Guillaume depuis le couloir, où se trouvait un plus grand miroir. Ils vont enfin quitter la forêt et ces aboiements ne vous perturberont plus. Je déteste vous voir dans ce triste état. Cela dit, serez-vous disposée à partir sou peu, mon bel amour ? Il me tarde de vous emmener.

    Jeanne soupira pour elle-même, consciente que les chasseurs reviendraient dans les jours suivants, mais surtout parce qu’elle se sentait dans une impasse. Ignorant

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