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LES ORGANISATIONS DE SOINS DE LONGUE DUREE: Points de vue scientifiques et critiques sur les CHSLD et les EHPAD
LES ORGANISATIONS DE SOINS DE LONGUE DUREE: Points de vue scientifiques et critiques sur les CHSLD et les EHPAD
LES ORGANISATIONS DE SOINS DE LONGUE DUREE: Points de vue scientifiques et critiques sur les CHSLD et les EHPAD
Ebook449 pages6 hours

LES ORGANISATIONS DE SOINS DE LONGUE DUREE: Points de vue scientifiques et critiques sur les CHSLD et les EHPAD

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Il n’existe pas de publication qui rassemble les points de vue scientifiques et critiques sur les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD, au Québec) et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD, en France). Pourtant, ces organisations sont depuis longtemps l’objet de vives critiques, notamment dans les médias, à cause du manque de main-d’oeuvre, de services déficients aux résidents ou de la faible qualité des infrastructures. Avec la crise de la COVID-19 subie en 2020, ces critiques semblent trouver, de façon tragique, toute leur justification.
Les auteurs de l’ouvrage visent à combler ce manque en présentant une diversité de regards sur la situation de ces organisations. De la vie quotidienne des résidents à la place qu’occupent les CHSLD et les EHPAD dans le continuum de services, en passant par les enjeux organisationnels et professionnels, ils convoquent le travail social, les sciences infirmières, administratives et récréationnelles, ou encore la sociologie, pour expliquer ce contexte si difficile et proposer des améliorations. Ce livre inspirant, qui marie la réflexion, le récit et l’analyse, permet également l'accès à une bande dessinée originale en ligne sur le travail et la vie des préposés aux bénéficiaires, des « anges gardiens » bien humains.
Le grand public, mais aussi toutes les personnes qui gravitent autour des CHSLD, des EHPAD ou d’autres types d’organisations gériatriques, ainsi que les étudiants en sciences infirmières, en gérontologie, en travail social ou en administration y trouveront réponse à leurs questions et bien plus.


François Aubry est professeur au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), ainsi que chercheur au centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM).
Yves Couturier est professeur titulaire à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke et directeur scientifique du Réseau de connaissances en services et soins de santé intégrés de première ligne.
Flavie Lemay est assistante de recherche et étudiante à la maîtrise en travail social à l’Université de Montréal.
LanguageFrançais
Release dateDec 3, 2020
ISBN9782760642348
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    LES ORGANISATIONS DE SOINS DE LONGUE DUREE - François Aubry

    Sous la direction de François Aubry,

    Yves Couturier et Flavie Lemay

    LES ORGANISATIONS

    DE SOINS DE LONGUE DURÉE

    Points de vue scientifiques

    et critiques sur les CHSLD et les EHPAD

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Les organisations de soins de longue durée: points de vue scientifiques et critiques sur les CHSLD et les EHPAD / François Aubry, Yves Couturier, Flavie Lemay.

    Noms: Aubry, François, 1983- auteur. Couturier, Yves, 1966- auteur. Lemay, Flavie, 1995- auteur.

    Collections: Paramètres.

    Description: Mention de collection: Paramètres Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200075942 Canadiana (livre numérique) 20200075950 ISBN 9782760642324 ISBN 9782760642331 (PDF) ISBN 9782760642348 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Établissements de soins de longue durée—Québec (Province) RVM: Foyers pour personnes âgées—France.

    Classification: LCC RA998.C3 A93 2020 CDD 362.1609714—dc23

    Mise en pages: Folio infographie

    Dépôt légal: 2e trimestre 2020

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2020

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Tableau des abréviations

    ARS Agence régionale de santé

    ASSTSAS Association paritaire pour la santé et les services sociaux du secteur affaires sociales

    CHSLD Centre d’hébergement et de soins de longue durée

    CISSS Centre intégré de santé et de services sociaux

    CIUSSS Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux

    CRSH Conseil de recherches en sciences humaines du Canada

    EHPAD Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

    INSPQ Institut national de santé publique du Québec

    MCPD Manifestations comportementales et psychologiques de la démence

    MSSS Ministère de la Santé et des Services sociaux

    OCCI Outil de cheminement clinique informatisé

    OEMC Outil d’évaluation multiclientèle

    PAB Préposé aux bénéficiaires

    RPA Résidence privée pour aînés

    RSSS Réseau de la santé et des services sociaux

    SCPD Symptômes comportementaux et psychologiques de la démence

    SMAF Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle

    TMS Troubles musculosquelettiques

    USLD Unité de soins de longue durée

    USP Unité de soins palliatifs

    VAC Vêtements adaptés commerciaux

    Introduction

    Le contexte du vieillissement global de la population à l’échelle internationale, où seuls deux pays sur les 193 membres de l’ONU connaissent un rajeunissement de leur population, explique pourquoi les organisations de soins de longue durée sont l’objet de réflexions nombreuses, complexes et néanmoins urgentes. Au Québec comme en France (mais aussi dans un grand ensemble de pays industrialisés), la population, les résidents et leurs proches, les professionnels, les gestionnaires et les décideurs publics en appellent tous à des transformations importantes de ces organisations. De tels changements adviendront seulement si le point de vue des principaux concernés est véritablement pris en considération. Ce livre s’intéresse donc aux résidents et à leur vie dans ces organisations, tout comme aux employés et aux gestionnaires qui y travaillent et qui les gèrent. En ce sens, il se veut une contribution à l’effort soutenant l’évolution de ces organisations.

    Des organisations nécessaires, mais critiquées

    Souvent considérées, à juste titre, comme la dernière étape avant la mort, les organisations de soins de longue durée – centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) au Québec ou établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en France – demeurent de facto la réponse sociétale principale à une problématique clinique majeure: fournir des soins et des services de santé à une population en grande perte d’autonomie fonctionnelle, physique et cognitive et qui, pour ces raisons, nécessite quotidiennement une assistance et un soutien que ne peuvent plus offrir les services réguliers d’aide à domicile.

    La mission officielle d’un CHSLD nous permet de constater à quel point ces organisations visent à admettre des personnes en très grande perte d’autonomie:

    La mission d’un centre d’hébergement et de soins de longue durée est d’offrir de façon temporaire ou permanente un milieu de vie substitut, des services d’hébergement, d’assistance, de soutien et de surveillance ainsi que des services de réadaptation, psychosociaux, infirmiers, pharmaceutiques et médicaux aux adultes qui, en raison de leur perte d’autonomie fonctionnelle ou psychosociale, ne peuvent plus demeurer dans leur milieu de vie naturel, malgré le support de leur entourage (Loi sur les services de santé et les services sociaux, chap. S-4.2, art. 83).

    Pour sa part, selon sa définition, un EHPAD en France présente les mêmes caractéristiques, malgré quelques différences (ex.: exigence d’âge de 60 ans pour l’admission en EHPAD et niveau de perte d’autonomie pour l’admission en CHSLD; différences dans la direction, etc.). Les organisations de soins de longue durée sont donc une formule d’hébergement adéquate pour les personnes en grande perte d’autonomie.

    Il n’y a pourtant rien de «naturel» à ce que des institutions comme les organisations de soins de longue durée demeurent la formule principale pour répondre aux besoins des personnes en grande perte d’autonomie. Les services d’aide à domicile connaissent une évolution positive, tout comme divers modèles d’hébergement plus souples qu’on expérimente afin de réduire l’effet iatrogène des formes asilaires, plus lourdes. Cette formule, éprouvée depuis au moins le début du XXe siècle, est proche d’un modèle organisationnel de type hospitalier, dont le fonctionnement, plus industriel, est davantage fondé sur l’efficacité des soins que sur l’adaptabilité aux styles de vie individuels. La tendance actuelle vise davantage à soutenir les aînés à leur domicile le plus longtemps possible, en leur fournissant les soins et services requis, selon leur niveau d’autonomie. Les CHSLD, comme les EHPAD, deviennent alors des espaces réservés aux personnes dont la perte d’autonomie est la plus élevée, le plus souvent lorsque les solutions de soutien à domicile proposées sont insuffisantes. Cela produit un réel alourdissement des clientèles et un repositionnement des CHSLD et des EHPAD dans les continuums de services du côté des ressources spécialisées.

    Statistiquement, au Québec, les CHSLD accueillent une minorité de personnes âgées de 65 ans et plus, soit moins de 3%. Une très grande majorité (86%) vivent à domicile, tandis que 10% demeurent dans une résidence collective, principalement de type résidence privée, et 1%, dans des ressources intermédiaires ou de type familial.

    Cet ouvrage ne remet pas en cause l’utilité des organisations de soins de longue durée ni d’ailleurs ne propose de modèle de rechange. Nous affirmons d’entrée de jeu que ces organisations demeurent nécessaires, dans le sens où aucune autre forme de soins (par exemple une assistance soutenue à domicile) ne suffit à répondre adéquatement aux besoins de ce 3% de la population âgée, ni au Québec ni en France.

    Le fonctionnement de ces organisations est aujourd’hui fortement critiqué, pour au moins deux raisons. La première tient à la faible qualité (moyenne) des soins et services apportés aux résidents. Ces derniers, leurs familles ou les associations qui les réunissent dénoncent ces problèmes de qualité. C’est ainsi qu’en 2018 le Conseil pour la protection des malades a décidé de déposer une demande d’action collective contre l’ensemble des CHSLD du Québec afin de dénoncer les conditions de vie des résidents, jugées dégradantes. La seconde raison porte sur l’accroissement constant de la charge de travail des employés de ces organisations, et notamment des équipes de travail d’assistance et de soins, c’est-à-dire les infirmières et les aides-soignants (en France) ou préposés aux bénéficiaires (au Québec). On se souviendra de la longue grève de 2018, en France, à l’EHPAD Les Opalines, durant laquelle le personnel soignant a dénoncé les cadences de travail, qu’il ne supportait plus.

    S’agit-il de malveillance, d’incompétence? Globalement, nous pensons que non. Plusieurs chercheurs montrent dans cet ouvrage les effets délétères du mode de fonctionnement de ces organisations sur les travailleurs, sur les gestionnaires et, in fine, sur les résidents. Ces trois groupes souffrent de la difficulté à faire évoluer ces organisations.

    Que ce soit du point de vue du résident, du travailleur ou de l’organisation, une tendance se dessine: l’organisation de soins de longue durée est un type d’établissement contraint par des tensions qui peuvent paraître, à première vue, contradictoires. Certaines de ces tensions sont dues à une double réalité, soit d’une part un modèle d’organisation historiquement peu innovant, fondé sur un système hiérarchique et quasi industriel, et d’autre part un investissement massif dans la production de règlements et de normes de qualité ainsi que dans des innovations cliniques favorables, en principe, à l’accroissement de la qualité de vie des résidents et du bien-être des travailleurs.

    La surmédiatisation et une image trop négative

    Les organisations de soins de longue durée sont surmédiatisées, c’est-à-dire qu’elles font l’objet de nombreux commentaires et images diffusés dans les médias, et ce, pour diverses (bonnes et mauvaises) raisons: cas de maltraitance et de négligence, manque de main-d’œuvre, locaux désuets, etc. Une telle médiatisation montre sans nul doute l’intérêt de chacun d’entre nous pour le sort des résidents vivant dans les organisations de soins de longue durée, mais le plus souvent sous la forme d’une image inversée: «Je n’aimerais pas finir ma vie en CHSLD» est certainement l’une des formules les plus partagées par des personnes prenant connaissance, par les médias, de la situation des résidents dans ces organisations. Les propos ne sont pas très différents quant au sort des préposés et des aides-soignants: «Je ne sais pas comment tu fais pour travailler ici, je ne pourrais pas». Le CHSLD ou l’EHPAD représentent, d’une certaine façon, une fin de vie non souhaitée, voire crainte. La médiatisation des cas de maltraitance tend à renforcer l’image négative de ces milieux, considérés alors comme des mouroirs. Cette mauvaise perception n’invite pas les jeunes à travailler dans ces organisations, rend les employés méfiants les uns envers et les autres, produit une intériorisation de pratiques inadéquates, démobilise les uns et les autres à l’égard du changement, suscite de la part du personnel des pratiques d’autoprotection, etc. Ce contexte négatif, dont on comprend bien les raisons empiriques, produit à terme un effet délétère sur la capacité de ces organisations à relever les défis qui se présentent à elles.

    Des milieux hypernormalisés peu innovants

    Les organisations de soins de longue durée peuvent être présentées comme des milieux hypernormalisés. Le nombre de cadres de référence, de politiques, de programmes, de lois et de normes qui encadre le fonctionnement des CHSLD et des EHPAD est impressionnant. Cette hypernormalisation vise, sans nul doute, à s’assurer que l’image de ces organisations s’améliore, en tentant d’imposer une culture de la qualité. Pour autant, les CHSLD et les EHPAD demeurent des organisations reconnues comme peu innovantes, c’est-à-dire dans lesquelles la capacité d’innovation réelle est très réduite. Cela indique probablement que la production de normes énonçant la visée de qualité est insuffisante si l’on ne transforme pas en profondeur l’organisation en tant que telle. Si les innovations médicales et technologiques peuvent être appliquées dans l’organisation, il est compliqué de transformer profondément l’organisation des soins de longue durée, notamment l’organisation du travail, la gestion du personnel, etc.

    Un des paradoxes, et non des moindres, porte sur le rapport entre la place fondamentale donnée, en principe, à la qualité des soins, à l’expérience «milieu de vie» des résidents, et le peu d’importance accordé aux compétences des préposés aux bénéficiaires, à leurs points de vue, à leurs besoins et aux conditions objectives entravant l’expression de leurs compétences. Pourtant, ces intervenants forment une catégorie de personnel doté d’une véritable expertise pour assister adéquatement les résidents et soutenir les proches aidants. Pourquoi un tel manque de reconnaissance? La raison tient sans doute au fonctionnement quasi industriel des organisations de soins de longue durée, mais aussi à une culture managériale bien ancrée et qui peine à évoluer: l’efficience de la prestation des services y est symboliquement et pratiquement plus importante que la qualité du soin, notamment de la dimension relationnelle de l’activité de «prendre soin». Et même si, au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux met officiellement l’accent sur l’importance de valoriser le rôle des préposés aux bénéficiaires, peu d’innovations permettent d’observer des effets concrets à cet égard.

    Un milieu sensible à la santé des résidents,

    mais peu à celle des travailleurs

    En France comme au Québec, les organisations de soins de longue durée visent le maintien de l’autonomie des résidents et de leur santé. Paradoxalement, elles sont aussi celles, dans le réseau de la santé, dont les employés risquent le plus d’avoir des blessures ou des problèmes de santé psychologique. Ici encore, les innovations sont peu nombreuses, alors même que les recherches scientifiques sur le sujet existent, et mettent en avant des propositions innovantes.

    Le présent livre a donc une portée critique sur les organisations de soins de longue durée, mais pas uniquement. Plusieurs chapitres portent un regard original sur différents thèmes ou sujet, notamment sur la transformation des organisations de soins de longue durée, les innovations possibles, les améliorations à apporter, etc. Si nous nous rallions au consensus sur la nécessité de privilégier le maintien à domicile, lorsque cela est cliniquement possible, nous pensons que les organisations de soins de longue durée peuvent et doivent évoluer pour mieux répondre aux attentes de la population.

    L’ouvrage

    Ce livre présente les points de vue de plusieurs chercheurs qui s’intéressent à ce type d’organisations sous l’angle des résidents, des travailleurs ou des gestionnaires. Ces différents points de vue donnent de la profondeur à l’analyse des organisations de soins de longue durée. Il n’existe aucun livre dans l’espace francophone qui prend pour objet d’étude les organisations de soins de longue durée, au contraire d’autres organisations comme l’hôpital. En cela, il constitue une contribution que nous croyons originale, et que nous espérons inspirante pour les lecteurs.

    L’ouvrage général est structuré en trois thématiques: gérer les organisations gériatriques et y travailler; vivre dans ces organisations et créer un «milieu de vie»; transformer ces environnements. Ces trois grands thèmes n’épuisent pas l’ensemble des sujets qui sont en lien avec les organisations de soins de longue durée (et notamment le volet clinique, l’architecture, etc.), mais ils font état de grands enjeux politiques, médiatiques et sociétaux actuels auxquels doivent faire face ces organisations. La majorité des chapitres présenteront la situation des organisations de soins de longue durée au Québec, tandis que d’autres mettront en avant le contexte français. Bien sûr, les constats, très comparables entre la France et le Québec, peuvent être transposés en Belgique, en Suisse, et aussi dans les autres provinces canadiennes ou aux États-Unis, avec tout de même quelques différences, notamment pour ce qui est du niveau d’implication de l’État dans les services et les soins aux aînés en institution.

    Notre objectif est tout autant de présenter des thématiques spécifiques aux lecteurs intéressés par ces sujets (gestionnaires, citoyens, professionnels, employés) que de fournir des bases de réflexion aux chercheurs et aux étudiants qui fondent leurs recherches sur ces environnements complexes. Si nous proposons des solutions pratiques et spécifiques, au fil du texte, pour améliorer les organisations de soins de longue durée, notre objectif initial est de montrer qu’il existe des champs de recherche sur ces thématiques qui tendent actuellement à se développer. D’une certaine manière, nous souhaitons que cet ouvrage contrebalance un peu, par son apport scientifique, la prépondérance des messages médiatiques et politiques sur le sujet.

    * * *

    La crise de la COVID-19 subie en 2020 – et qui est loin d’être terminée au moment d’écrire ces lignes – a dévoilé dans de nombreux pays la fragilité du modèle des établissements gériatriques de soins de longue durée. Qu’il s’agisse de l’organisation des services, de la gestion des ressources humaines, ou d’autres aspects sociaux ou organisationnels, la pandémie a placé les CHSLD et les EHPAD au cœur de l’attention médiatique, politique et citoyenne. Les résidents de ces centres en ont été les premières victimes, compte tenu principalement de leur état de santé et de leur faible autonomie fonctionnelle. Mais le personnel, employés et gestionnaires, a également été dans l’œil de la tempête. Un ouvrage sur cette thématique n’aura jamais été autant d’actualité.


    Note de l’éditeur: Dans ce livre, le générique masculin est considéré comme un neutre et inclut le féminin sans discrimination.

    PREMIÈRE PARTIE

    GÉRER UNE ORGANISATION

    DE SOINS DE LONGUE DURÉE

    ET Y TRAVAILLER

    CHAPITRE 1

    Les trajectoires de vie et de soins

    vers l’hébergement de longue durée

    Yves Couturier, Maude-Émilie Pépin et Ibrahima Diallo

    Au Québec, l’hébergement dans les CHSLD est sans conteste un événement majeur de la trajectoire de vie de toute personne qui doit, un jour, être admise dans ce type d’organisation. Moment le plus souvent sans retour, il découle d’une dégradation importante de l’autonomie fonctionnelle. En raison des importants risques iatrogéniques, c’est-à-dire les effets des interventions sur la santé des personnes (notamment la dégradation rapide d’autonomie), l’hébergement de longue durée est une décision de dernier recours. En amont de cette décision, il faut privilégier, autant que possible, les stratégies d’adaptation, de compensation ou de restauration de l’autonomie afin de soutenir la vie de la personne dans un domicile naturel, soit dans une maison, un logement, un logement adapté ou une résidence privée pour aînés (RPA). Dans nombre de cas, le soutien à domicile se déploie sur une longue durée et au travers d’une série de transitions d’une formule d’hébergement à une autre, chacune mieux adaptée à l’évolution des besoins de la personne. L’aboutissement de cette trajectoire peut être le CHSLD pour une partie modeste de la population âgée, soit 4,5% des plus de 75 ans (Commissaire à la santé et au bien-être, 2017). Chaque transition comporte ses enjeux, son lot de risques, et c’est d’autant plus vrai de celle qui conduit à l’hébergement permanent. Toute transition doit donc s’effectuer pour les bons motifs, de façon coordonnée, et à partir d’une évaluation rigoureuse et obligatoire des besoins de la personne concernée. Une telle évaluation tiendra compte des capacités des ressources mobilisables autour de cette personne.

    Le premier choix: vivre chez soi

    Malgré l’expérience de la perte d’autonomie fonctionnelle, la très grande majorité des personnes souhaitent demeurer à domicile. Cette pulsion de vie facilite le maintien, voire l’accroissement des capacités fonctionnelles par la nécessité quotidienne, par exemple, de préparer les repas, de faire le ménage ou d’arroser les plantes. De plus, la conservation du sens de la vie grâce au maintien de la personne dans son habitat personnel la protège contre la dépression et la perte de sens, entre autres risques psychosociaux. En revanche, l’hébergement permanent est souvent délétère à nombre d’égards, que ce soit quant au maintien de l’autonomie fonctionnelle, aux risques iatrogéniques (perte de continence par l’usage prématuré d’une protection contre l’incontinence) qu’il fait courir à des personnes pourtant reconnues fragiles et à ses conséquences sur le bien-être psychosocial (ex.: isolement social) de ces dernières. En plus de contrevenir aux désirs de la très grande majorité des personnes et de présenter de nombreux effets iatrogéniques, ce mode de réponse aux besoins est très coûteux, et il satisfait difficilement les attentes en ce qui concerne la qualité des soins, selon Etheridge et al. (2014). C’est pourquoi cette forme d’hébergement ne doit être recommandée que pour les personnes dont le maintien à domicile n’est plus possible, et ce, au bon moment dans leur trajectoire de soins, et pour de bons motifs cliniques.

    Ainsi, puisque l’hébergement de longue durée doit être une solution de dernier recours, le gouvernement du Québec, comme d’autres gouvernements de pays industrialisés, a affirmé la primauté du domicile (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2003), et entrepris d’aligner ses politiques publiques avec cette orientation fondamentale. À la suite d’un vaste et profond mouvement de désinstitutionnalisation dans la majorité des pays développés, de larges dispositifs de soutien à domicile se sont constitués, le plus souvent selon un modèle d’économie mixte articulant des services publics, privés et associatifs, en tenant compte des différentes configurations nationales. Il faut souligner, de plus, l’importante contribution des proches aidants sans qui cette orientation fondamentale ne serait tout simplement pas possible. Partout, les stratégies publiques d’intervention en matière d’aide à domicile requièrent la collaboration de ces quatre groupes d’acteurs. Cette diversité d’acteurs reflète la multidimensionnalité des situations cliniques ainsi que leur caractère chronique et évolutif. En raison de la diversité de ces contributions, leur intégration dans un continuum explicite et coordonné est nécessaire à la cohérence des actions tout au long de la trajectoire de vie et de soins de chaque personne.

    En ce qui concerne la participation des familles, les cultures nationales ou de classes sociales sont déterminantes dans les formes que prend cette contribution. De plus, une évolution rapide est en cours dans les pays les plus développés en raison de transformations sociologiques fondamentales (taille et configuration des familles, mobilité des personnes, arrivée des baby-boomers à l’âge de la perte d’autonomie, etc.). Celle-ci devra être prise en compte rapidement dans l’organisation des services à domicile.

    Une variété de trajectoires

    La trajectoire de soins, sous l’angle de la perte d’autonomie fonctionnelle liée au vieillissement, connaît une évolution dont la courbe archétypique générale est assez bien connue. En début de perte d’autonomie, la personne s’adapte spontanément, seule ou parfois avec l’aide de ses proches, à sa nouvelle condition de vie. De cette adaptation découle une très grande variété de stratégies, soit autant qu’il y a de particularités et de conditions de vie. Pendant cette période adaptative, les services de soins primaires, assurés notamment par le médecin de famille, sont plus présents dans la vie des personnes en raison de la survenue de divers problèmes de santé, précurseurs ou concomitants de la perte d’autonomie fonctionnelle. À cette étape, l’accès facile à des soins de proximité a une incidence marquée sur la vitesse à laquelle ces personnes perdent leur autonomie fonctionnelle. Lorsque les forces d’adaptation s’épuisent ou sont insuffisantes, les personnes gèrent le plus souvent elles-mêmes la situation en déménageant d’une maison vers un logement privatif, puis de ce logement vers une RPA, soit un hébergement pouvant offrir certains services compensateurs contre rétribution. Ces stratégies d’adaptation, parce que personnelles et familiales, font l’objet de très peu d’études ou d’interventions publiques, malgré le fait qu’elles constituent une contribution majeure au maintien de l’autonomie fonctionnelle du plus grand nombre.

    Pendant cette trajectoire d’adaptation de l’hébergement, la dégradation de la santé de la personne ou l’amenuisement de ses forces adaptatives peuvent survenir, ce qui appelle la sollicitation directe ou indirecte de services de soutien à domicile. Malheureusement, trop souvent ces services sont déclenchés tardivement, à la suite d’un épisode aigu de santé (une hospitalisation), alors même que l’autonomie s’est déjà dégradée et qu’une intervention préventive de maintien de l’autonomie perd de son intérêt clinique.

    À partir du moment où la perte d’autonomie fonctionnelle s’installe et est reconnue, la mobilisation de services publics ou associatifs compensatoires permettra à la personne de demeurer à son domicile, qu’il s’agisse d’une maison, d’un logement privatif, d’une habitation à loyer modique ou d’un appartement dans une RPA. Lorsque la situation de santé de la personne devient instable ou que les forces de compensation s’épuisent, notamment les proches aidants, l’hébergement dans des établissements de courte ou de moyenne durée est envisagé pour les situations où un retour à domicile demeure envisageable (ex.: convalescence). Le plus souvent, cette solution, en principe transitoire, révèle le profond épuisement de l’aidant, ce qui compromet alors le retour à domicile. Cette situation a notamment pour effet des séjours hospitaliers évitables, en ce sens qu’ils ne se font pas vraiment pour des motifs cliniques (attente d’une ressource d’hébergement, par exemple). Ces hospitalisations comportent des risques liés à la santé, dont l’issue est trop souvent la perte d’autonomie fonctionnelle et l’hébergement définitif.

    Pour les situations où un tel retour à domicile est cliniquement impossible, diverses modalités d’hébergement permanent existent et sont accessibles en fonction des caractéristiques cliniques de chaque personne. Dubuc et ses collaborateurs (2009) ont fait un portrait détaillé de ces diverses formules intermédiaires d’hébergement. Celles-ci requièrent une organisation des services qui permet une importante compensation de la perte d’autonomie fonctionnelle (organisation spatiale, présence de professionnels et d’équipements spécialisés, etc.).

    Penser cette trajectoire de vie au regard d’un continuum cohérent de formules d’hébergement favorise l’adéquation de l’habitat aux besoins de la personne, pourvu que la transition d’une formule d’hébergement à l’autre soit bien planifiée, fondée sur une évaluation clinique des besoins, et qu’elle s’effectue sans délai nuisible. Si cet étagement logique de formules d’hébergement et la recherche d’adéquation aux besoins cliniques sont en principe louables, ils comportent néanmoins une conséquence potentiellement néfaste, soit les effets cliniques (ex.: cognitifs) découlant de mouvements fréquents, à un temps de la vie où de tels changements sont risqués ou épuisants.

    En raison de délais dans les transitions à certaines étapes du continuum de services, une hospitalisation pourtant évitable,

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