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Profession latiniste
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Ebook66 pages51 minutes

Profession latiniste

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Dans l’imaginaire collectif, le latiniste est un érudit qui travaille exclusivement à la littérature religieuse et mystique du Moyen Âge. Bien que cette représentation ne soit pas tout à fait erronée, comment comprendre, toutefois, que l’auteure d’Harry Potter ait décidé de faire traduire les sept volumes de la série en latin et même en grec ancien? De la traduction à l’usage moderne du latin, cet essai nous dévoile les facettes inconnues et fascinantes de ce métier.

Jean-François Cottier est professeur au Département des littératures de langue française et directeur du Centre d’études médiévales de l’Université de Montréal.
LanguageFrançais
Release dateMay 26, 2011
ISBN9782760625785
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    Profession latiniste - Cottier, Jean-François

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    Introduction

    Rosa rosa rosam

    Rosæ rosæ rosa

    Rosæ rosæ rosas

    Rosarum rosis rosis

    C’est le plus vieux tango du monde

    Celui que les têtes blondes

    Ânonnent comme une ronde

    En apprenant leur latin…

    Jacques Brel, « Rosa », 1962

    Si on devait citer le titre d’un ouvrage qui a marqué l’imaginaire collectif de ces dernières années, il est probable que les sept volumes de la série Harry Potter emporteraient la palme. Quel rapport toutefois entre Harry Potter et le latin ? Entre la littérature fantastique et l’Université ? Entre l’imaginaire et la philologie ? Beaucoup, en fait ! Et pas seulement parce que J.K. Rowling a tenu à faire traduire ses ouvrages en latin (1. Harrius Potter et Philosophi Lapis ; 2. Harrius Potter et Camera secretorum), et même en grec ancien (Areios Potèr kai è philosophou lithos)… D’abord, il y a tous les noms propres qui sont tirés directement des légendes du monde classique et qui sont utilisés à bon escient : Argus (monstre à cent yeux) Rusard est le concierge-espion de Poudlard ; Rémus (frère de Romulus et nourri comme lui par une louve) Lupin (lupus, i : le loup) est un loup-garou ; Severus Rogue, maître des potions, est bien sûr… sévère ; Rubeus (rouge) Hagrid est roux et possède un caractère difficile ; Albus (blanc) Dumbeldore est le sage directeur de l’école à la longue barbe blanche… Les animaux fantastiques comme le Basilic, la Chimère ou le Phénix pullulent, et le nom latin des sortilèges dit leur pouvoir : doloris (de douleur), imperium (de volonté), fidelitas (pour cacher un secret dans une personne fidèle). On trouve aussi des devises latines à tous les coins de porte et des mots de passe ou des formules magiques qui sont autant de locutions latines. L’auteur a même poussé l’invention verbale jusqu’à créer des mots-valises latins comme animagus — sorcier capable de se transformer en animal (animal-magus) — ou médicomage — médecin-magicien (medicus-magus).

    Mais l’intérêt de cette série pour mon propos est ailleurs et touche sans doute plus directement le cœur de ma réflexion. L’univers qui est décrit dans Harry Potter oppose symboliquement deux mondes : celui des moldus, braves bourgeois qui ont leur télévision pour seul horizon et qui ressemblent à s’y méprendre à la middle-class idéale du libéralisme ambiant, et celui des sorciers et de leur école placé sous le signe d’une culture classique devenue occulte. Le monde « réel » ne la comprend plus et tout ce qu’elle véhicule est devenu de facto invisible aux non-initiés. « Faites du latin, pas du marketing », pourrait être la morale d’une histoire qui ravit les lecteurs jeunes et moins jeunes par le message libérateur qu’elle véhicule. C’est aussi un peu l’idée générale de ce petit livre qui voudrait non seulement présenter la profession de latiniste, mais qui aimerait aussi rappeler l’apport intellectuel et culturel de cette langue rangée trop vite, voilà près de quarante ans, au rayon des vieilleries inutiles.

    En 1962, Jacques Brel chantait « Rosa, rosa, rosam » en évoquant l’école et les années d’enfance qui pour tous alors étaient placées sous le signe du latin. Mais ce « tango des bons Pères et des forts en thème » était aussi le cauchemar des « forts en rien » et le symbole redouté de deux institutions, l’Église et l’École, qui voyaient leurs bases ébranlées par les bouleversements des années 1960. Le concile Vatican II d’une part, Mai 68 et la Révolution tranquille d’autre part marquèrent en effet un tournant décisif pour le monde occidental, et en particulier pour la France et pour le Québec où, au nom de la modernisation, le latin quitta à la fois les autels et les salles de classe. En 1968, les Lois Edgar-Faure supprimèrent l’enseignement du latin au début du secondaire au cri de « À bas le latin ! » ; à la même époque, le latin disparut de l’enseignement secondaire public québécois.

    Et pourtant le latin a été parlé et utilisé sans discontinuer pendant vingt siècles, pourtant il a donné des œuvres littéraires majeures, pourtant il a servi d’instrument de communication à des penseurs aussi importants que Cicéron, Sénèque, Augustin, Boèce, Anselme, Abélard, Thomas d’Aquin, Pétrarque, Érasme, Thomas More, Bacon, Descartes, Spinoza… C’est encore en latin qu’une très grande partie des documents médiévaux et modernes nous a été transmise, en latin que la première histoire du Canada fut composée au XVIIe siècle et en latin toujours que Rimbaud composa quelques vers fameux. De nos jours, le latin est utilisé en France comme outil pédagogique

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