Profession philosophe
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Michel Seymour est professeur titulaire au Département de philosophie de l’Université de Montréal. Il est l’auteur de plusieurs livres dont L’institution du langage (PUM, 2005).
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Profession philosophe - Seymour, Michel
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Introduction
Je suis philosophe de profession, mais je n’en fais pas une profession de foi. Je ne suis pas entré en philosophie comme on entre en religion. Je ne me rappelle pas d’avoir décidé que j’allais faire une carrière de philosophe. Cela m’est venu sans que je m’en rende compte, vers l’âge de seize ans, alors que s’amorçaient mes études collégiales et que je découvrais Hegel (La logique de l’être) et Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra). Je ne me suis jamais départi de cet enthousiasme juvénile, je le retrouve encore lorsque, pour préparer un cours, je rassemble quelques articles photocopiés que je me propose de lire.
Je ne vais pas dans cet ouvrage raconter sur un mode biographique comment j’ai été amené à la philosophie, puisque je viens tout juste de le faire et qu’il n’y a rien d’autre à ajouter. Je vais encore moins procéder à une autobiographie intellectuelle qui serait aussi prétentieuse qu’ennuyante. Je n’ai pas l’outrecuidance de penser que l’histoire de ma démarche intellectuelle est d’un quelconque intérêt pour qui que ce soit. Je me propose plutôt de répondre de diverses façons à la question de savoir comment se vit l’existence d’un philosophe dans la Cité. Quelles relations un philosophe entretient-il avec la société dans laquelle il se trouve, à commencer par la société des philosophes ? Il est difficile d’en rester à des considérations générales pour témoigner de cette expérience ou pour se prononcer sur le rôle que le philosophe peut ou doit jouer. Les philosophes étant eux-mêmes des personnes différentes, ils se comportent différemment face aux enjeux sociaux. La philosophie est en outre une discipline qui est plus que deux fois millénaire et elle recouvre des domaines très variés qui peuvent être affectés de mille et une façons par les préoccupations citoyennes. Les philosophes forment un ensemble très diversifié de chercheurs et les ressemblances entre eux ne sont que des ressemblances de famille. Ainsi, on ne peut pas parler de l’insertion sociale du philosophe de façon univoque, parce qu’il existe plusieurs façons d’exercer cette profession.
Il existe, par exemple, un grand pan de la philosophie – je songe à l’histoire de cette discipline – qui n’exige peut-être pas au départ que l’on se sente concerné par l’actualité sociale et politique, alors que d’autres secteurs vivent plus directement ce contact. Les historiens ont affaire à des objets d’étude, les grands penseurs de l’Antiquité (des Présocratiques aux Épicuriens et Stoïciens), du Moyen Âge (de saint Augustin à Dun Scot Origène et Guillaume d’Occam), de la Renaissance (d’Érasme à Montaigne) ou de l’époque moderne (de Descartes à Kant et Hegel) qui, pour l’essentiel, demeurent les mêmes, tout comme demeurent à peu près les mêmes leurs épigones et les auteurs appartenant à la littérature secondaire. Leur objet d’étude n’est pas perturbé par l’actualité politique. Du moins est-ce ainsi que l’on se représente très souvent la pratique de l’historien philosophe. Les exigences méthodologiques sont bien évidemment devenues de plus en plus grandes avec le temps, car il est de plus en plus difficile de se réclamer d’une interprétation originale quand on étudie un grand texte classique. Mais, parmi les tâches qui attendent l’historien, il n’y a pas l’urgence d’intervenir sur la place publique. Le préjugé populaire, qu’il soit fondé ou non, veut que les exigences de l’historien n’aient pas grand-chose à voir avec une quelconque préoccupation à l’égard de la réalité sociale et politique dans laquelle il vit. Sans aller jusqu’à dire que l’histoire de la philosophie est elle-même à l’abri des vicissitudes de l’histoire, la présence forte de la réalité sociale et politique dans la vie académique n’est pas nécessairement ce qui vient perturber le chercheur œuvrant dans ce secteur. En tant que citoyen, il n’est pas moins sollicité que les autres par les événements de son époque et il peut même l’être en partie à titre de philosophe. Mais il n’est pas tenu de l’être par sa propre pratique d’historien de la philosophie, au sens où il ne s’agit pas d’une nécessité inscrite dans cette pratique. Il n’est en tout cas pas du tout poussé dans cette direction, à moins que ses travaux n’aient depuis toujours porté sur des ouvrages classiques d’éthique ou de philosophie politique.
Il en va de même, pense-t-on, même si c’est dans une moindre mesure, du philosophe œuvrant dans le secteur de la philosophie dite « continentale », postkantienne et posthégélienne, couvrant une période s’étalant de la deuxième moitié du xixe siècle à nos jours. Je songe ici principalement à la philosophie franco-allemande, se déployant à partir de Schopenhauer et Nietzsche. Il s’agit d’un courant de pensée qui se présente comme une critique de l’idéalisme allemand traditionnel, c’est-à-dire comme une critique de l’illusion des pouvoirs de la raison, du volontarisme et de l’autonomie du sujet individuel, au profit d’une approche plus réaliste qui se propose de prendre acte des divers déterminismes affligeant la