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Elles étaient seize: Les premières femmes journalistes au Canada
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Ebook312 pages4 hours

Elles étaient seize: Les premières femmes journalistes au Canada

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About this ebook

Seize journalistes canadiennes, à l’été 1904, font le voyage en train pour visiter la Foire universelle de Saint-Louis. Au cours de ces dix jours riches en péripéties, elles fondent le Canadian Women’s Press Club (CWPC), premier du genre au pays.
S’appuyant sur des lettres et des entrevues, mais surtout sur les articles de journaux produits dans le sillage de l’événement, Linda Kay dresse un portrait saisissant de ces femmes qui avaient en commun de n’avoir que peu de droits civiques, et met en lumière les divergences culturelles entre les membres francophones et anglophones du groupe. À la faveur d’une analyse minutieuse des prises de position individuelles et des dynamiques collectives, elle évoque avec brio les luttes menées par ces femmes, et nous permet de mesurer l’ampleur du chemin parcouru.

Linda Kay est professeure au Département de journalisme de l’Université Concordia.
LanguageFrançais
Release dateMar 3, 2015
ISBN9782760632332
Elles étaient seize: Les premières femmes journalistes au Canada
Author

Linda Kay

Linda Kay Christensen, a former farm girl from central Illinois, has enjoyed many years as a bank manager, a self-employed accountant and tax preparer (CPA), and an online instructor for Keller Graduate School (DeVry University). She earned her undergrad in Business Management and her Masters in Human Resources from the University of Illinois, Springfield. Linda’s history in writing has included everything from business communication, teaching, and journaling to occasional poetry. Her inspiration for Annie’s Love comes from a series of five prints by C. Clyde Squires given to her grandmother in 1916 as a wedding gift. The characters in these prints will come alive in Linda’s series of the “five stages of love”. Linda helped her mother, Wilma Diekhoff, complete her memoirs in a book that includes 200 recipes from family and friends. Wilma held a book signing at Barnes and Noble at the age of 82. Flavors From The Past is now available in e-book format on Nook and Kindle. Linda is married to Jerry, a former engineer and now a master gardener, living in Fredericksburg, Texas. They have traveled extensively, meeting many characters who contribute to Linda’s writing.

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    Elles étaient seize - Linda Kay

    Introduction

    Nous sommes 16. Huit Canadiennes anglaises et huit Canadiennes françaises, mais nous sommes toutes des sœurs par la pensée et par la plume, et nous nous rapprochons, unies de cœur et d’âme avant même de nous connaître. […] Ah! le bel exemple que nous avons donné là!

    Anne-Marie Gleason, La Patrie, 27 juin 1904.

    Les seize femmes journalistes, qui ont fondé le Canadian Women’s Press Club (CWPC) dans une voiture du train qui les menait à l’Exposition universelle de Saint-Louis en 1904, se démarquaient par là de leur époque. Les femmes n’avaient alors que peu de droits et ne jouaient aucun rôle dans les affaires de la cité. Au Canada, elles n’avaient le droit de vote ni aux élections fédérales ni aux élections provinciales et elles ne pouvaient occuper de poste dans la fonction publique. De forts préjugés s’opposaient à leur présence sur le marché du travail, particulièrement si elles étaient mariées. La femme au foyer incarnait l’image même de la respectabilité¹, et c’était une idée communément reçue que les études supérieures ne convenaient pas au «sexe faible»². En fondant une association professionnelle, ces femmes faisaient donc plus qu’un geste audacieux, elles prenaient une position politique retentissante.

    Au début du siècle dernier, quelques dizaines de femmes seulement travaillaient comme journalistes au Canada. On les engageait pour tenir les pages dites féminines, qui paraissaient d’ordinaire le samedi et visaient expressément le lectorat féminin. Cette section de journal adoptait une formule éprouvée qui faisait alterner les observations personnelles d’une rédactrice avec des extraits de poésie et de prose, tirés d’autres publications, des nouvelles de la scène locale et des lettres de lectrices (accompagnées d’une réponse). Pour ces pionnières qui voulaient qu’on les prenne au sérieux comme auteures, les pages féminines représentaient un premier véhicule appréciable d’expression littéraire.

    Ces journalistes ne couvraient pas l’actualité. Elles n’étaient pas engagées pour cela. Elles avaient une belle plume et mettaient à profit ce talent pour se faire une situation. En usant de pseudonymes, elles se créaient des personnalités mystérieuses. Certaines qui publiaient dans des journaux à grand tirage sont ainsi devenues de véritables vedettes. Cette célébrité n’allait toutefois pas sans paradoxe. Apparues en pleine ère victorienne, les premières journalistes se trouvaient dans une position délicate vis-à-vis de la direction de leur journal et du public, jouant à la femme nouvelle, ouverte d’esprit et audacieuse, ce qu’elles étaient véritablement, et défendant en même temps les valeurs traditionnelles d’une société qui voyait dans le mariage et la maternité la vraie vocation des femmes³.

    À force de fréquenter le milieu journalistique, ces femmes ont su développer ce sens de la nouvelle qu’on associe aujourd’hui à la pratique même du métier. Mais elles ont dû travailler avec acharnement pour réussir à repousser les limites que leur imposaient leurs éditeurs convaincus que les femmes ne s’intéressaient qu’aux tâches ménagères. Plusieurs d’entre elles avaient reçu une formation d’institutrice, qui offrait alors une possibilité de carrière acceptable pour une célibataire, et elles transposèrent leurs talents de pédagogue dans leur écriture, se voyant comme les guides et les porte-parole de leurs lectrices en toutes matières.

    Une affectation à l’Exposition universelle aurait représenté une aubaine pour n’importe quel journaliste en 1904, mais pour les seize femmes envoyées en reportage à Saint-Louis, cela constituait un accomplissement professionnel. Confinées aux pages féminines, les femmes journalistes se contentaient le plus souvent de couvrir les activités mondaines et de répondre aux questions des lectrices sur l’étiquette ou la morale. Elles avaient rarement l’occasion de voyager pour le travail et de rendre compte d’événements importants.

    L’exposition marquant le Centenaire de l’achat de la Louisiane, communément désignée comme l’Exposition universelle de Saint-Louis, était la grande affaire du moment, commémorant ce que les historiens ont retenu comme la plus avantageuse vente de terrain jamais réalisée, avec la cession aux États-Unis par la France de plus de deux millions de kilomètres carrés. Ce territoire couvrait en totalité ou en partie quinze États américains et deux provinces canadiennes actuels. Et cet achat ouvrait enfin à ces deux pays la colonisation de l’ouest du continent.

    L’exposition qui attira vingt millions de visiteurs et servit de cadre aux premiers Jeux olympiques tenus en Amérique du Nord fut, selon le mensuel américain National Magazine, l’un des trois plus importants sujets d’actualité en 1904, les deux autres étant la guerre russo-japonaise qui commença en février et la campagne à l’élection présidentielle qui opposa le républicain Theodore Roosevelt au démocrate Alton B. Parker⁴. Les seize journalistes canadiennes envoyées à Saint-Louis assistèrent donc à deux de ces trois événements: l’Exposition universelle et une partie de la campagne électorale qui ne figurait pas à l’origine au programme de leur voyage.

    Le trajet jusqu’à Saint-Louis avec des escales à Chicago et à Détroit leur fit connaître de visu certains coins du Canada et des États-Unis et élargit considérablement leur horizon professionnel. L’exposition elle-même, avec plus de 60 pays participants, leur donnait une vue de la scène mondiale qu’autrement, dans l’ordinaire de leur travail, elles n’auraient pas eu grand chance d’observer. Elles purent ainsi découvrir de nouveaux produits et diverses innovations de partout dans le monde.

    Ce voyage confirma leur statut de journalistes, elles y furent traitées avec les mêmes égards que les autres représentants de la presse, alors que leurs collègues masculins les tenaient habituellement à l’écart. Plus important encore, en fondant le CWPC, elles posèrent les bases d’une collaboration entre femmes journalistes qui contribuera, malgré les grandes distances qui les séparaient parfois, à établir leur crédibilité et à améliorer leur condition professionnelle dans les décennies suivantes.

    À un moment du trajet, ces seize femmes et leur accompagnateur, George Ham, qu’on qualifierait aujourd’hui de directeur des relations publiques du Canadien Pacifique, reconnurent qu’il y avait dans cette voiture de train une concentration de talents qui gagneraient beaucoup à se regrouper. Il fallait absolument empêcher ce potentiel remarquable de se dissiper bêtement à la fin du voyage. Ham les incita à créer un organisme qui les représentât et, ensemble, ces journalistes francophones et anglophones mirent sur pied le Canadian Women’s Press Club, la première association de femmes journalistes dans le monde à se constituer sur une base nationale. Le CWPC allait par la suite devenir le club de presse féminin, établi sur une telle base, le plus ancien du monde.

    Dès ses débuts, le CWPC se donna trois objectifs concrets: promouvoir et protéger les intérêts professionnels de ses membres, favoriser le développement d’un sentiment national canadien dans les journaux où elles publiaient et encourager une haute tenue littéraire dans l’écriture journalistique. À une époque où n’existait pas d’école de journalisme au Canada et où les femmes n’avaient qu’un accès limité aux études supérieures, le club devint un lieu de formation et d’information crucial. Les membres purent y échanger sur leur pratique du métier et, grâce aux laissez-passer accordés par les compagnies de chemins de fer, elles purent aussi acquérir un savoir de première main sur le Canada, sa géographie, son histoire et ses habitants.

    Ce petit club professionnel pour femmes prit très vite de l’importance. Des sections locales, où les journalistes pouvaient se rencontrer régulièrement, s’ouvrirent partout au pays. Ses effectifs à l’échelle nationale atteignirent un sommet à la fin des années 1960, avec près de 700 membres. Pour en faire partie, les postulantes devaient prouver qu’elles avaient publié dans des journaux ou des magazines et qu’elles avaient été payées pour le faire. Le CWPC accrut son influence au point que d’éminentes figures politiques et même les premiers ministres Lester B. Pearson, John Diefenbaker et Pierre Elliot Trudeau lui rendirent visite ou prirent la parole à ses assemblées générales.

    Le club compta plusieurs des premières féministes du Canada dans ses rangs. Emily Murphy, la première femme juge de l’Empire britannique, et la romancière Nellie McClung, qui ont mené toutes deux le combat pour clarifier le statut des Canadiennes dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et obtenir qu’on les reconnaisse comme «personnes», en sont très tôt devenues membres. Comme a fait aussi Lucy Maud Montgomery, l’auteure du livre le plus populaire jamais écrit au Canada, Anne… la maison aux pignons verts.

    *

    J’ai pour la première fois entendu parler du CWPC à l’occasion des célébrations du centenaire de sa fondation à Ottawa, un événement important mais qui laissait un arrière-goût amer, puisque le club se saborda formellement ce week-end de juin 2004. Celles qui étaient toujours membres, mais qui n’avaient pas réussi à regarnir ses rangs, firent le constat que le club n’avait plus sa raison d’être. Ses effectifs s’étaient effondrés dans les années 1970, alors même que de plus en plus de femmes accédaient au métier de journaliste et ne ressentaient donc plus autant le besoin d’une association professionnelle pour défendre leurs intérêts.

    En ce week-end du centenaire, je me sentis interpellée par l’histoire de ce club fondé dans une voiture de train – un début typiquement canadien. Étant moi-même journaliste, j’étais curieuse de connaître celles qui m’avaient précédée. J’ai débuté dans le métier à une époque où les femmes y étaient les bienvenues, encore que pas complètement acceptées. Je ne savais rien de ces femmes exceptionnelles qui, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, ont ouvert la voie à mes collègues féminines et à moi-même. C’étaient, à bien des égards, des personnalités audacieuses qui défiaient les normes sociales de leur temps, en s’insurgeant contre l’image stéréotypée de la femme qu’on avait à l’ère victorienne.

    Dans mes recherches sur le CWCP, j’ai trouvé que ses origines au cours de ce voyage en train restaient enveloppées dans la légende, particulièrement pour ce qui concernait son contingent canadien-français qui formait pourtant la moitié des membres fondatrices. Les sources fiables sur les débuts du club étaient extrêmement rares. Lorsqu’à l’occasion de son cinquantenaire, en 1954, sa direction tenta dans un effort méritoire d’assembler une histoire qui fasse autorité, Kathleen Mathers, la responsable des publications du jubilé et une recherchiste méticuleuse, faillit déclarer forfait devant les comptes rendus contradictoires du nombre de participantes, de leurs noms et pseudonymes, et des journaux auxquels elles collaboraient. Incapable de clarifier cette histoire, elle déclara, découragée, dans une lettre à Mae Clendenan, secrétaire du club à l’époque, que tout cela lui donnait presque le goût d’aller se «jeter en bas du pont de Saint-Louis⁵!».

    J’ai ressenti la même frustration à essayer de faire revivre ces seize femmes et leur aventure. J’ai pris comme point de départ les articles qu’elles ont écrits sur leur visite à Saint-Louis il y a plus de cent ans. À partir de leurs témoignages, j’ai voulu reconstituer ce voyage et les vies qui se cachaient sous ces signatures. Pour ce faire, j’ai suivi leurs traces de l’Île-du-Prince-Édouard à l’Alberta, j’ai recherché leurs écrits personnels dans des fonds d’archives et j’ai retrouvé leurs descendants.

    Rien que de réussir à identifier qui se cachait sous tel ou tel pseudonyme m’a demandé un travail considérable. Les femmes journalistes utilisaient à l’époque des noms de plume, et certaines en avaient plusieurs. Par exemple, Kate Simpson Hayes, en plus de son pseudonyme «Mary Markwell», écrivait aussi sous le nom de «Yukon Bill». Anne-Marie Gleason signait ses articles «Madeleine» ou «Myrto». Irene Currie Love utilisait les pseudonymes «Nan» et «Margaret Currie». Il n’a pas toujours été possible de confirmer l’identité véritable de celles qui publiaient dans les journaux à l’époque. Les seize journalistes du voyage à Saint-Louis collaboraient à un total de 34 périodiques au Canada et aux États-Unis, sans qu’on puisse toujours remonter avec une absolue certitude à celle qui se cachait sous tel ou tel pseudonyme. Précisons enfin que les listes de passagers du train pour Saint-Louis ne m’ont été d’aucun secours. Léonise Valois, par exemple, y était inscrite comme «Miss Valois, Ottawa». Il m’a fallu des mois pour découvrir qu’elle était plutôt originaire de Québec et travaillait à Montréal.

    George Ham, le directeur des relations publiques du Canadien Pacifique, avait baptisé ses invitées les Sweet Sixteen, autrement dit les «seize douces créatures», mais il reconnaissait lui-même que ce cliché était de son cru et que «certaines d’entre elles ne s’estimaient pas douces du tout⁶». De fait, on avait affaire là à un échantillon remarquable de femmes fortes et audacieuses, et presque chacune d’entre elles aurait mérité qu’on lui consacre une biographie à part entière. Ce groupe comprenait la première femme à travailler à plein temps pour un journal du Québec, la première femme journaliste accréditée comme correspondante de guerre, la première femme à publier un recueil de poésie au Québec, la fondatrice d’un magazine très populaire qui deviendra plus tard la version française du Châtelaine, et l’auteure d’un livre recommandé par le New York Times.

    Six des membres du groupe ne se sont jamais mariées – dont cinq Canadiennes françaises. Trois d’entre elles ont obtenu une séparation judiciaire ou un divorce à une époque où la chose passait encore pour quelque peu scandaleuse. Deux de celles qui se sont mariées ont eu une longue carrière dans le journalisme, mais n’ont jamais eu d’enfants. Une seule a eu un enfant, un mariage durable et une carrière fructueuse comme journaliste. Les luttes qu’ont eu à mener ces pionnières trouvent ainsi un écho significatif chez les jeunes femmes d’aujourd’hui qui, plus d’un siècle plus tard, ont encore du mal à concilier le travail et la maternité.

    En écrivant ce livre, j’ai cherché à répondre à beaucoup de questions. Qui étaient ces femmes qui ont ouvert de nouveaux horizons à leur profession? Qu’ont-elles vu et fait à l’occasion de ce voyage déterminant? Sur quels sujets ont-elles choisi d’écrire? En quoi ces sujets reflétaient-ils leur identité culturelle? Comment la visite d’un autre pays les a-t-elle révélées à elles-mêmes et les unes aux autres? Quelle influence ce voyage a-t-il eue sur leur vie personnelle et professionnelle? Et quelle influence en retour ces femmes ont-elles eue sur la pratique journalistique? Qu’est-ce que leur expérience nous apprend sur les femmes journalistes du Canada au début de XXe siècle, quand elles commençaient tout juste à investir ce domaine? Qu’est-ce qu’elle nous apprend sur la société canadienne de l’époque? Et, finalement, peut-on aujourd’hui tirer des leçons de l’histoire de la fondation de ce club de femmes professionnelles?

    Dans les pages qui suivent, j’ai tenté de faire revivre cette histoire.

    Note du traducteur: Le texte des citations originales comporte assez souvent des fautes de grammaire ou de ponctuation, des coquilles et des lacunes. Ces erreurs sont toujours insignifiantes et la plupart ne sont pas de la responsabilité de leur auteure. La rigueur historique voudrait qu’on les conserve, j’ai préféré ne pas gêner la lecture en multipliant les [sic]. Le lecteur qui le veut pourra consulter les originaux dont il trouvera toujours la référence en note; plusieurs de ces sources sont accessibles en ligne.

    1. Ramsay Cook et Wendy Mitchinson (dir.), The Proper Sphere: Woman’s Place in Canadian Society, Toronto, Toronto University Press, 1976, p. 6.

    2. The London Advertiser, 2 juillet 1904. Un article en première page rapportait l’avis de G. Stanley Hall, éminent psychologue et président de l’Université Clarke à Worcester (Massachusetts), qui déclarait lors d’un colloque national sur l’éducation aux États-Unis que les études supérieures pour les femmes entraînaient une «course au suicide».

    3. Janice Fiamengo, The Woman’s Page: Journalism and Rhetoric in Early Canada, Toronto, Toronto University Press, 2008, p. 14-15.

    4. Edmund S. Hoch, «Features of the Exposition», National Magazine, juin 1904, vol. 20, no 3, accessible en ligne, <www.philsp.com/homeville/FMI/t1014.htm>.

    5. Kathleen (Kay) Mathers à Mae Clendenan, 27 avril 1954. Bibliothèque et Archives Canada, Fonds Media Club of Canada, correspondance autour du jubilé 1953-1954, dossier 17-3.

    6. George Ham, Reminiscences of a Raconteur, Toronto, The Musson Book Company Ltd., 1921, p. 153.

    1

    Une requête pour l’égalité des droits

    C’est une grande exposition. Grande à tous les sens du mot. Grande par son ambition – et réussie de grande façon. Les hommes, les femmes et les enfants qui ont l’occasion de voir ces merveilles et qui ne le font pas vont passer à côté d’une des plus grandes choses que le monde ait connues.

    Kate Simpson Hayes, Manitoba Free Press, 2 juillet 1904.

    En ce jour du début de juin 1904, Margaret Graham s’amenait d’un bon pas au siège social du Canadien Pacifique à la gare Windsor de Montréal. Correspondante à Ottawa du Halifax Herald, où elle traitait la politique fédérale sous un angle féminin, elle appartenait au petit groupe privilégié des femmes qui avaient un emploi de journaliste au Canada. Le recensement de 1901 dénombrait quelque 50 femmes qui déclaraient le journalisme comme profession. Parfois de véritables vedettes en leur temps, elles attiraient souvent autant de lecteurs que leurs collègues masculins. Margaret Graham, âgée de 34 ans et dotée d’un puissant talent d’écriture, collaborait au Halifax Herald depuis près de sept ans. Plusieurs facteurs avaient mené à son embauche, dont une conjoncture exceptionnellement favorable.

    Les journaux jouissaient d’une immense popularité au début du XXe siècle, et ce, pour deux raisons principales: le nombre de gens sachant lire avait beaucoup augmenté et la population des villes était en pleine expansion. Plus d’un million de personnes – soit un Canadien sur cinq – habitaient en ville et la lecture des quotidiens leur était devenue indispensable¹. Selon Le Monde de Montréal, il fallait désormais considérer le quotidien comme «un article de première nécessité, comme le pain et la viande²». À Toronto, en 1893, chaque famille achetait en moyenne deux journaux par jour³.

    Soutenus à leurs débuts par des partis politiques ou des organisations religieuses, la plupart des quotidiens de la fin du XIXe siècle s’étaient transformés en médias de masse qui cherchaient à séduire le plus grand nombre de lecteurs possible. N’ayant plus d’affiliation politique ou religieuse, ils devaient désormais compter sur les revenus de la publicité pour se maintenir à flot et faire face aux coûts croissants des changements technologiques qui les affectaient. Comme les annonceurs voulaient courtiser les femmes qui géraient le budget des familles, les éditeurs engagèrent donc des femmes journalistes pour attirer le public féminin⁴.

    En 1886, Sara Jeannette Duncan devint ainsi la première femme au Canada à pénétrer dans cette chasse gardée masculine, en devenant journaliste à plein temps. Embauchée par le Globe de Toronto, Duncan – qui deviendrait plus tard une romancière célèbre – inaugura une nouvelle ère pour les femmes de lettres que d’astucieux éditeurs commencèrent bientôt à recruter parce qu’ils avaient saisi l’avantage économique qu’ils trouvaient à se doter d’une «voix féminine».

    Margaret Graham avait su profiter de cette conjoncture. En ce jour de juin 1904 où elle grimpait les escaliers du siège social du Canadien Pacifique et qu’elle arpentait ses corridors, elle allait sûre d’elle à la rencontre du directeur des relations publiques George Henry Ham, consciente du pouvoir que lui donnait son statut de journaliste. Elle venait tout juste de frapper un grand coup avec une interview de la femme du premier ministre Laurier.

    Elle s’était bien préparée à ce rendez-vous avec un dirigeant dont le caractère affable était légendaire. Décrit comme «un colosse plein d’humanité, voué corps et âme au Canadien Pacifique», George Ham, avec son tempérament jovial et son sens de l’humour, était l’un des hommes les plus populaires de son temps⁵. Mais Margaret Graham, que sa famille et ses amis surnommaient Miggsy, n’avait pas le cœur à plaisanter, elle était en service commandé.

    En entrant dans le bureau, elle salua l’assistante de Ham, Kate Simpson Hayes. Cette grande femme dans la quarantaine, d’allure distinguée, portant des lunettes cerclées d’acier, tenait, sous le pseudonyme de «Mary Markwell», une chronique hebdomadaire au ton vif et enjoué, qui visait le public féminin du Manitoba Free Press. Le métier de journaliste ne payait pas très bien et plusieurs femmes l’exerçaient avec un autre emploi ou prenaient beaucoup de contrats à la pige. Ainsi, Kate Simpson Hayes envoyait sa chronique par télégraphe au Manitoba chaque semaine et, parallèlement, elle assistait Ham à son bureau de Montréal dans la campagne de publicité massive que menait le Canadien Pacifique pour attirer des immigrants dans l’Ouest.

    Autour de 1900, le réseau ferroviaire canadien s’étendait sur environ 28 300 kilomètres, en comptant les lignes principales et les lignes secondaires⁶. Pour bien saisir l’énormité de l’investissement consenti en très peu de temps pour construire ce réseau, rappelons qu’en 1850, le pays ne comptait que 106 kilomètres de voies ferrées. En 1867, à la signature de la Confédération, quand la Colombie-Britannique se vit promettre une liaison ferroviaire avec l’est du pays, il y avait déjà 15 compagnies de chemins de fer qui opéraient un réseau de plus de 4000 kilomètres, dans une compétition effrénée pour la domination du marché du transport⁷.

    En 1904, le Canadien Pacifique était la plus importante de ces compagnies avec sa ligne transcontinentale achevée en 1885, mais bien d’autres concurrents se disputaient encore les territoires de l’Ouest. À quoi le Canadien Pacifique répliquait en construisant de nouvelles lignes⁸. Ultimement, c’est lui qui l’emporta. Le Canadian Northern Railway fut repris par le gouvernement fédéral en 1917 pour devenir le Canadien National et un sort semblable attendait en 1920 le réseau du Grand Tronc qui appartenait à des intérêts britanniques⁹.

    Au moment où Margaret Graham venait rendre visite à George Ham, la compagnie cherchait à établir sa domination du marché en s’assurant d’un trafic suffisant pour soutenir son expansion. Cela faisait partie de sa stratégie d’encourager les Canadiens à s’établir dans l’Ouest et, plus encore, les immigrants qui venaient surtout des États-Unis et des îles britanniques. Kate Simpson Hayes avait justement été engagée pour faire la promotion de la colonisation de l’Ouest, et ce n’était pas une tâche facile. Le Canadien Pacifique a dû dépenser des millions pour combattre l’image d’une contrée désolée et glaciale qu’avait popularisée en 1897 un poème de Rudyard Kipling, intitulé Our Lady of the Snows («Notre Dame des Neiges»), une allégorie du Canada. Ironiquement, ce poème se voulait plutôt un éloge du Dominion, mais le mal était fait¹⁰. George Ham et Kate Simpson Hayes s’appliquèrent soigneusement à changer cette perception.

    Margaret Graham ne perdit pas de temps à exposer la raison de sa visite: «Vous invitez des journalistes à tous les événements que vous organisez, que ce soit l’arrivée de paquebots, l’inauguration d’hôtels, de circuits touristiques ou d’expositions, mais vous n’invitez jamais de femmes, pourquoi?» Pourquoi, voulait savoir Graham, les femmes journalistes ne recevaient-elles pas les mêmes invitations que leurs collègues masculins¹¹?

    Dans ses mémoires publiés dans les années 1920, Ham donne sa version de cette

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