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Spiritualités féministes: Pour un temps de transformation des relations
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Ebook429 pages5 hours

Spiritualités féministes: Pour un temps de transformation des relations

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About this ebook

Malgré l'abondance des travaux féministes et théologiques produits au Québec depuis plus de quarante ans, il n’existait toujours pas, avant ce livre, de synthèse sur le féminisme en regard de la spiritualité. Il était plus que temps de rassembler dans un ouvrage ses principales théoriciennes : voilà une lacune comblée.

L’autrice fait ici un retour sur les idées fortes élaborées durant ses quelque trente années d’enseignement et de recherche dans le domaine. « Le personnel est politique… et théorique », dit le slogan féministe dont elle s’est inspirée. Sa démarche, qu’elle qualifie d’existentielle, l’a amenée à relire l’histoire de sa vie, ses engagements et ses postures théoriques pour poser des questions essentielles. Quelles intersections construire entre le féminisme et la spiritualité ? Comment vivre dans ce temps de transformations des relations ? Comment des féministes chrétiennes québécoises ont-elles relu le christianisme et parlé de la Dieue, de Christa, de la trinité et de Marie ? Comment se vivent les solidarités interspirituelles ? Et comment déconstruire le patriarcat néoconservateur religieux ? En parlant de l’ultime à travers l’intime, l’autrice dans cet ouvrage fondamental pose les jalons de la transformation du féminisme dans le domaine du religieux et du spirituel.
LanguageFrançais
Release dateJan 22, 2021
ISBN9782760643208
Spiritualités féministes: Pour un temps de transformation des relations

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    Spiritualités féministes - Denise Couture

    Denise Couture

    Spiritualités

    féministes

    Pour un temps de transformation

    des relations

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Spiritualités féministes: pour un temps de transformation des relations / Denise Couture.

    Noms: Couture, Denise, auteur.

    Collections: Matière à pensée.

    Description: Mention de collection: Matière à pensée | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200095064 | Canadiana (livre numérique) 20200095072 | ISBN 9782760643185 | ISBN 9782760643192 (PDF) | ISBN 9782760643208 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Théologie féministe—Québec (Province) | RVM: Spiritualité féministe—Québec (Province)

    Classification: LCC BT83.55.C68 2021 | CDD 230.082—dc23

    Mise en page: Folio infographie

    Dépôt légal: 1er trimestre 2021

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2021

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, et de la Corporation canadienne des sciences humaines.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Introduction

    Au terme d’une séance du cours Éthique théologique que je donnais au premier cycle universitaire, une étudiante vint me voir en pleurs. Elle me relata comment la lecture que nous venions de faire en classe d’un rare texte traduit en français de la théologienne noire et étatsunienne Shawn Copeland, sur le thème de la différence, l’avait bouleversée. Le cours, précisa-t-elle, était le dernier de son baccalauréat en théologie, un programme composé de trente cours. De toutes ses années d’études dans le domaine, raconta-t-elle — cette histoire se déroule dans les années 1990 —, elle venait de lire pour la première fois un texte écrit par une femme en théologie. L’idée que des femmes produisaient de la théologie n’avait jusqu’alors pas traversé son esprit, parvint-elle à exprimer, les larmes coulant sur ses joues. Elle découvrait un univers nouveau qui la passionnait et qui correspondait à ses désirs profonds. L’expérience la décida à poursuivre des études à la maîtrise où elle concentra son temps de lecture à des textes rédigés par des théologiennes.

    Une théologie féministe en contexte québécois

    Je poursuis deux objectifs avec ce livre. Le premier consiste à offrir une synthèse de théologie féministe en contexte québécois, et ce, pour combler une lacune. En effet, on ne dispose pas encore d’un tel ouvrage malgré l’abondance de littérature féministe et théologique produite au Québec depuis plus de quarante ans. Sur la scène mondiale, la théologie féministe québécoise est reconnue dans le domaine pour sa créativité et pour son originalité, pour son ancrage dans son propre contexte et pour sa vitalité, exprimée en particulier par des groupes de la base. Il était temps de rassembler dans un ouvrage ses principales données.

    Le deuxième but est d’ordre existentiel. J’aurai travaillé comme professeure et comme chercheuse à l’Université de Montréal pendant trente-deux ans, principalement dans le secteur de la théologie féministe. Ayant décidé de prendre ma retraite deux années avant le jour prévu du départ, je me suis donné comme dernier grand projet de recherche l’écriture de ce livre. Je désirais faire un retour sur les idées fortes que j’avais développées dans le domaine, les rassembler et les relier entre elles. Dans la foulée du slogan féministe Le personnel est politique… et théorique, la démarche m’a amenée à relire mon histoire de vie, mes engagements et mes postures théoriques et à construire des liens entre ces dimensions.

    Finalement, le deuxième objectif a interféré avec le premier. L’inscription personnelle de mes expériences et mes perspectives ont pris plus de place que je ne le pensais au départ, ce qui d’ailleurs convient parfaitement à une spiritualité féministe forcément matérielle et située. L’écriture du livre s’est avérée elle-même une expérience forte comme démarche de relecture de mon propre parcours engagé et intellectuel. J’aurai accompli autre chose qu’une synthèse de données de théologie féministe. J’ai réalisé plutôt un assemblage de mes travaux antérieurs, demeurés parfois épars; j’ai effectué, en même temps, une intégration existentielle des dimensions qui me traversent, une démarche qui s’accorde tout à fait à une théologie féministe enracinée.

    Ayant pratiqué une théologie féministe de la libération, j’ai participé à de nombreux groupes de la base qui ont fourni les principaux thèmes de la recherche universitaire. Ces groupes tiennent une place importante dans le livre, en particulier la collective féministe et chrétienne L’autre Parole. Fondée en 1976 et constituée de petits groupes localisés dans diverses villes au Québec, celle-ci participe activement à la production d’une spiritualité féministe. J’en suis membre depuis ma jeunesse, ce qui transparaîtra dans plusieurs récits rapportés dans le livre.

    Renforcer les points forts

    Shawn Copeland marqua l’étudiante qui venait de lire son premier texte écrit par une théologienne. Elle laissa une empreinte durable sur moi également, plus précisément sur ma manière de comprendre les interactions entre les postures théoriques à l’université. Je la rencontrai en 1995 au congrès annuel de l’American Academy of Religion (AAR), à Philadelphie, où elle animait un colloque. Société savante dans le domaine de la religion, l’AAR regroupe annuellement des milliers d’universitaires, entre cinq et six mille à l’époque, un nombre impressionnant pour une personne du Québec où les études religieuses avancées figurent comme un secteur marginal. Le colloque donnait la parole à des théologiennes womanists1. Une quarantaine de personnes assistaient à la présentation. Dans son introduction, l’animatrice explicita comment la théologie womanist donnait la priorité au respect des positions situées et à la construction de relations justes, y compris entre les universitaires. Elle demanda à l’auditoire d’entrer dans le jeu de l’approche proposée lors de la période de questions, de déconstruire la manière bien apprise d’entrer dans le discours qui consiste à signaler les points faibles de l’intervention de l’autre, à la contredire pour insérer ses propres vues; elle invita les personnes participantes à honorer, plutôt, la posture située de l’autre, à souligner ses forces, à intervenir de sorte à renforcer la position de l’autre tout en précisant ce que nous en apprenons pour nous-mêmes et pour nos propres perspectives, localisées ailleurs. Mais arriva ce qui devait arriver. Un premier collègue prit la parole. Il ne put s’empêcher d’agir selon les plis bien appris à l’université. Il entreprit de démolir systématiquement la position de l’une des conférencières. L’animatrice l’interrompit et il s’ensuivit une discussion houleuse sur le mode de prise de parole, et l’auditoire buta sur les consignes données tout au long de la période de questions.

    La womanist Katie Canon explicite l’option qui allie la solidarité et la réciprocité entre des positions qui luttent contre les injustices. Elle la situe dans le contexte de l’apprentissage mutuel entre diverses postures anti-oppressives (Canon, 1995). J’avais pris connaissance de cette idée dans des textes, mais je l’ai intégrée, je l’ai comprise avec mon corps, lors du colloque à Philadelphie par l’exercice d’animation engagée de Shawn Copeland.

    Cette approche opère un renversement dans le monde universitaire où l’on a appris à combattre les idées des autres pour imposer les siennes, pour s’imposer. Une culture guerrière structure assez spontanément les discussions où le plus fort remporte une victoire au prix de détruire (les idées de) ses adversaires. Le changement de culture consiste en ceci: il s’agit de reconnaître que les postures multiples qui luttent contre les oppressions sont situées, uniques, singulières, créatives. La solidarité et la réciprocité entre elles conduisent à renforcer les points forts des unes et des autres et à en apprendre quelque chose de significatif pour sa propre posture, différente et située ailleurs. Je mets en œuvre cette méthode de lecture dans ce livre.

    Le plan de l’ouvrage

    Comment situer la diversité des approches féministes? Quelle perspective choisir parmi les conceptions variées de la spiritualité? Le chapitre 1 vise à répondre à ces questions. Il façonne un positionnement. J’y relate des détours et des options qui conduisent à un féminisme intersectionnel, dans le contexte québécois, une position qui s’attaque à toutes les formes d’exclusion que subissent des femmes. J’y montre le développement récent et multiple du vocable spiritualité que je propose de comprendre comme une vie vécue avec intensité en lien avec l’énergie vitale. Comment l’analyser? Comment pratiquer les études religieuses et la théologie d’une manière adaptée à l’époque contemporaine? Comment les réinventer pour correspondre aux expériences du temps présent? Comment reconnaître la mutation subie par la religion, devenue subjective, et la fin de la supériorité du christianisme qui l’accompagne?

    Le prochain pas consiste à construire des croisements entre les postures féministe et spirituelle. L’approche retenue met en relief l’indépendance des deux formations, souvent en tension, en conflit. Elle s’oriente vers l’étude de points de rencontre advenus entre elles. Au Québec, on considère assez couramment le féminisme et la religion comme incompatibles. D’où provient cette vision de discordance? Comment créer plutôt des ponts entre les deux domaines?

    Il ressort de la posture personnelle, politique et théorique, construite dans le chapitre 1, l’invitation à tourner l’attention vers les subjectivités féministes et spirituelles, vers les récits de vie, vers les constructions de soi, vers l’agir et vers les engagements. L’analyse d’une spiritualité féministe passe ainsi par des récits de parcours vécus, y compris le mien; on les retrouvera dans tout le livre, mais je conclus le premier chapitre sur l’élaboration du positionnement par une grande (hypo)thèse sur les conditions de l’époque dans laquelle nous vivons, sur l’espace-temps qu’y occupe le féminisme et sur les mutations de l’altérité que nous serions en train de subir, des transformations considérées comme des effets des mécanismes de la (post)modernité.

    La théologie chrétienne universitaire du vingtième siècle a opéré ce que l’on appelle un «tournant anthropologique». Cela veut dire qu’on lui fait prendre son point de départ dans une conception de l’humain pour ensuite, dans un deuxième temps, parler de Dieu. La séquence des chapitres 2 et 3 emprunte ce chemin en lui faisant subir une modification ajustée au vingt et unième siècle. En effet, l’on a désormais déconstruit l’idée (coloniale) d’une conception générale de l’humain valable universellement pour s’engager plutôt dans des analyses des conditions de vie localisées, temporaires et en mouvement. Avant d’aborder les symboles chrétiens, nous parcourrons des éléments d’une postanthropologie. Celle-ci évite de décrire des caractéristiques de l’humain. Elle analyse plutôt, de manière située, les conditions politiques de lutte contre les exclusions ainsi que les phénomènes en cours de transformation des relations (Braidotti, 2013).

    Le chapitre 2 repose sur l’idée qu’une mutation des relations est en train de se produire devant nous, en nous et par nous. Il s’agit d’apprendre à la penser, à la vivre dans une perspective féministe et à prendre position parmi les options qui s’offrent. La première section du chapitre analyse le changement des relations de sexe et de genre, entre les femmes et les hommes et entre les personnes qui subvertissent la normativité du genre; la deuxième relate le changement décolonial en cours des relations entre les Autochtones et les colonisateurs au Québec et au Canada, alors que la troisième aborde les enjeux de racialisation qui nous traversent. Enfin, la dernière section étudie la mutation des relations que nous expérimentons avec la «nature» dans ce temps de réchauffement climatique. L’analyse de la spiritualité féministe des chapitres subséquents demeure étroitement liée à cette lecture du temps présent, axée sur la transformation des relations pour créer la justice.

    Je conçois le féminisme comme un mode de vie et la spiritualité comme une manière de vivre intensément le temps et les relations. L’étude de la spiritualité féministe, dans sa multiplicité et dans sa diversité, part de la vie, et les chapitres 3 et 4 procèdent ainsi. Le chapitre 3 présente des relectures féministes de la tradition chrétienne. Il se concentre sur les questions de Dieue2, de Christa, de la trinité et de Marie. Les trois thèmes classiques de la théologie chrétienne, la création, la rédemption et l’eschatologie apparaissent en correspondance avec les trois dimensions de la trinité. Le tout forme une petite synthèse de théologie féministe chrétienne. J’y tisse des fils entre les vies spirituelles des féministes et des concepts universitaires fructueux, imaginés par des théologiennes.

    Le chapitre 4 plonge dans la matérialité du sujet et décrit la vie quotidienne, politique et constructive de féministes spirituelles. Par rap-port au chapitre précédent, qui propose une relecture féministe du christianisme, le cercle s’élargit aux multiples spiritualités et religions, tout en demeurant ancré dans le contexte québécois. Il importe de le faire, car, pour des chrétiennes, la diversité spirituelle représente davantage qu’un phénomène objectif figurant devant nous. La multiplicité nous traverse plutôt, ce qui m’a amenée à me définir comme une féministe chrétienne et interspirituelle. J’explicite cette posture dans la première section du chapitre. Celui-ci relate des effets de la mondialisation des années 1990 sur le mouvement féministe dont, dans le domaine religieux et du point de vue occidental, l’entrée dans l’ère de l’interspiritualité. Une histoire d’interconnexions entre des relectures des traditions religieuses ou spirituelles par des féministes autochtones, bouddhistes, chrétiennes, hindoues, juives et musulmanes fait percevoir un processus transversal de déconstruction et de reconstruction des traditions. S’ensuivent des récits des manières dont diverses féministes vivent une spiritualité dans le quotidien. Le chapitre se clôt par une description de dynamiques de groupes communautaires de la base. En théologie chrétienne classique, il s’agirait du chapitre sur l’Église, un vocable remplacé par les mots «groupes d’affinité», ekklèsia ou kosmopolis.

    Le chapitre 5 reprend le thème de l’Église chrétienne, celle qui est séculaire et institutionnelle, pour en présenter une critique féministe radicale. J’ai réservé pour la fin la tâche d’une déconstruction systématique du système phallocentrique/patriarcal dont les institutions religieuses néoconservatrices font la promotion en me concentrant sur l’étude de la théologie et de la politique du Vatican, le catholicisme romain étant la religion historique et majoritaire au Québec. L’analyse s’inscrit dans la suite de ma critique du système de subordination des femmes aux hommes. Cette fois, je m’y attelle jusque dans les détails. L’approche heuristique vise autant à apprendre à déconstruire les systèmes phallocentriques/patriarcaux qui se trouvent partout autour de nous qu’à prendre connaissance du système religieux qu’édictent les autorités catholiques romaines.

    La première section du chapitre présente une synthèse de la «théologie de la femme» du Vatican. Ce discours réitère avec insistance être favorable aux femmes, une inversion qui suscite de l’exaspération, d’où la deuxième section qui fait ressortir l’approche explicitement antiféministe du Vatican. Un système politique de domination, tel le phallocentrisme, assure d’autant sa reproduction que les dominées l’acceptent. Il s’agit de voir comment le Saint-Siège accomplit concrètement une opération réussie de dissimulation. Le Vatican possède le statut d’État. Il signe des concordats avec de nombreux autres pays. Il agit activement aux Nations Unies à titre d’État observateur. Sur la scène internationale, il intervient avec puissance afin d’implanter sa politique antiféministe partout où cela lui est possible. Sa théologie politique phallocentrique a des effets délétères sur toutes les citoyennes, pas seulement sur les catholiques. Le chapitre se termine par un plaidoyer afin que les instances civiles, y compris l’État qui se dit laïque, participent à une lutte contre les positions anti-femmes du Vatican.

    Une liste des ouvrages cités clôture le tout. On pourra l’utiliser comme une bibliographie de théologie féministe québécoise. Puisque cette dernière s’est construite activement dans un dialogue international, des autrices de partout dans le monde y figurent. En contrepoids de l’expérience étudiante en théologie ou en études religieuses de lecture de textes presque exclusivement masculins, dans ce livre — et c’est délibéré — la presque totalité des sources citées est rédigée par des femmes! Ce sont elles que nous lisons dans ces pages. Je souhaite faire éprouver leur lecture comme un plaisir d’apprentissage dans la fluidité.

    J’aurai assemblé les sections des chapitres comme les pièces d’un casse-tête. On pourra les lire dans l’ordre désiré en commençant par les thèmes qui suscitent le plus l’intérêt ou la curiosité. Chaque section se tient par elle-même, demeurant liée à l’ensemble par un fil conducteur, soit la construction d’une spiritualité féministe dans un temps de transformation des relations. «Spiritualité féministe»: cela veut dire que les deux formations, l’engagement féministe et la vie spirituelle, peuvent se rencontrer et se sont déjà rencontrées dans la multiplicité. Leurs croisements produisent une culture alternative du changement, dont l’étude constitue pour moi une passion que je partage dans cet ouvrage. «Pour un temps de transformation des relations»: voilà une invitation à entrer dans la danse d’une mutation de l’altérité déjà en cours, d’une transformation déjà là qui traverse nos vies. La posture féministe intersectionnelle l’oriente dans la direction de la création de relations justes.

    Remerciements

    Je tiens à remercier mes étudiantes et mes étudiants en études religieuses qui m’ont beaucoup appris. Leurs questions sont devenues les miennes. Elles ont influencé grandement ma manière d’aborder le sujet.

    J’exprime ma reconnaissance aux artisanes de la théologie féministe en contexte québécois dont ce livre présente une synthèse. Mes remerciements particuliers à chacune des femmes de la collective féministe et chrétienne L’autre Parole, la communauté de co-construction de la théologie féministe dans laquelle je suis engagée depuis ma jeunesse.

    Un merci particulier à mes premières lectrices, Élise Couture-Grondin, Christine Lemaire et Lucie Hervieux. Vous avez été inspirantes.

    1. Une womanist est une femme noire étatsunienne qui lutte contre la triple oppression de race, de genre/sexe et de classe. Proposé par la romancière Alice Walker en 1983, le terme womanist, dérivé de womanish, était un mot populaire de langue afro-américaine aux États-Unis utilisé par les femmes noires pour désigner: agir comme une femme ou agir de façon outrageuse, audacieuse, courageuse, décidée, par opposition à girlish: agir de façon frivole, irresponsable, futile. La womanist agit de façon responsable, sérieuse, en vue de grandir; elle est solidaire des autres femmes; elle aime la danse, la lune, la musique, l’Esprit, l’amour, la nourriture, la lutte, son peuple et elle-même (Canon, 1995, p. 22).

    2. J’explicite le contexte de l’écriture féministe de Dieue avec e au chapitre 3.

    1. Construire une posture féministe

    et spirituelle

    Est-ce vrai? C’est difficile à dire.

    Quand je l’aurai ainsi nommée,

    cette opération sera déjà d’un autre ordre.

    Luce Irigaray

    La seconde vague féministe a soufflé sur l’Occident dès la fin des années 1960. Elle a affecté profondément les collectivités et les vies des femmes; elle a enclenché un processus irréfrénable de transformation des relations entre toutes les entités, particulièrement entre les femmes et les hommes. En quelques décennies à peine, la remise en question de la domination masculine est passée de l’irrévérence et de la marginalité à un lieu commun. Mais le succès du féminisme, manifesté par ces changements rapides, risque de faire perdre de vue sa radicalité et sa puissante dose d’énergie affirmative et créatrice pour le temps présent.

    Quel féminisme?

    Une formule bien connue de Christine Delphy est éclairante à ce sujet: la lutte féministe, écrit-elle, «consiste autant à découvrir les oppressions inconnues, à voir l’oppression là où on ne la voyait pas, qu’à lutter contre les oppressions connues» (Delphy, 1977, p. 30, souligné dans le texte). La radicalité de la posture féministe s’exprime en ceci qu’elle nous engage dans un processus continu de défamiliarisation des évidences qui supportent les injustices, poussant chaque femme à une individualisation créative en liberté (Lamoureux, 2014).

    La dimension de radicalité du féminisme m’a toujours attirée et habitée. Elle fait l’objet des pages qui suivent. Je conclurai la section par la question de la position des hommes dans le féminisme.

    Le féminisme comme manière de vivre

    Je me rallie à Sara Ahmed pour qui le féminisme répond d’abord à la question Comment vivre? Elle le considère comme une manière de vivre, de se situer quotidiennement dans le monde, de construire sa propre individualité, de s’engager à créer une justice relationnelle, de choisir une tournure d’existence et de pensée qui se consolide avec le temps, qui change aussi au fil des nouvelles prises de conscience, en lien avec des actions des mouvements des femmes ou de résistance (Ahmed, 2017).

    Cette posture possède forcément un caractère situé et contextualisé. Elle prend des couleurs variées selon les identités sexuelles, nationales, ethniques, raciales et religieuses. Elle est déterminée par les histoires personnelles dans la famille et avec l’entourage proche ou lointain, par des choix de vie, par l’âge et par l’expérience acquise, par des malheurs subis et par des parcours de résilience, par des expériences de migrations nationales ou identitaires.

    Considérée comme une tournure matérielle d’existence dans le quotidien, qui évolue avec l’histoire des personnes, la position féministe se déploie dans une immense multiplicité. C’est sur le fond d’une telle diversité que plusieurs préfèrent parler des féminismes au pluriel, ce qui implique aussi, certes, de tenter de le définir à partir d’un lieu spécifique et d’une histoire singulière (Lamoureux, 2016).

    Féministe de seconde génération

    Au fil des années, j’ai retenu une définition proposée par Elspeth Probyn (1992), le féminisme comme posture qui naît du choc de la reconnaissance d’être femme. Elle émane d’une prise de conscience de situations intolérables vécues par des femmes parce qu’elles sont des femmes, de situations insupportables vécues par soi-même parce qu’individue femme.

    Cette prise de conscience, je l’ai faite au milieu de la vingtaine. Fille d’une mère féministe, je m’étais identifiée jusqu’alors comme féministe, mais de manière douce et passive, sans en faire activement une position personnelle et politique. Cette expérience s’inscrit dans le contexte de conditions de vie fondamentalement différentes pour trois générations de femmes québécoises, grand-mère, mère et fille.

    Ma grand-mère, née au début du vingtième siècle, a consacré sa vie à sa famille, ayant eu 9 enfants, dont 3 sont morts à la naissance ou tout petits. Née dans les années 1930, ma mère a eu accès à la contraception. Mère de trois enfants, elle avait désiré faire des études postsecondaires qui lui furent refusées parce qu’elle était une femme. Professeure universitaire et mère de deux enfants, j’ai vécu mon enfance dans les années 1960 pendant la Révolution tranquille et mon adolescence pendant les années 1970, celles du grand souffle du mouvement féministe de la seconde vague.

    Mes souvenirs de petite fille sont meublés de discussions vives lors desquelles ma mère défendait des positions féministes polémiques. Je me souviens moins du contenu des conversations que de la fierté d’être sa fille et de défendre avec elle ses idées, notamment dans les réunions de famille où un réel corps-à-corps a réussi à faire cesser la circulation quotidienne de farces sexistes, courantes à l’époque. Ma jeunesse a été marquée, dans la famille et à l’école, par des discours et par des tactiques visant à assouplir la répartition rigide des rôles féminins et masculins. Le grand mouvement de changement, que nous désirions ardemment, traversait notre peau.

    Il me fut encore possible, au début des années 1980, à Montréal, de compléter des programmes de baccalauréat et de maîtrise en théologie, sans aucun enseignement féministe, obtenant les grades sans avoir accompli une petite lecture selon cette approche. Lors d’études aux États-Unis qui s’ensuivirent, la situation s’inversa. Toutes les professeures et tous les professeurs intégraient à leur enseignement des perspectives féministes et souvent antiracistes, certaines professeures reliant les deux perspectives étroitement. J’y vécus le choc de la reconnaissance d’être femme et l’éveil affirmé à la posture féministe.

    L’une de mes professeures, Elisabeth Schüssler Fiorenza, une mère de la théologie féministe chrétienne de la seconde vague aux États-Unis, enseignait une théorie selon laquelle le féminisme lutte non seulement contre le patriarcat, mais aussi contre ce qu’elle appelait la kyriarchie (de kyrios, qui signifie seigneur), un ensemble de dominations interreliées, comme le sexisme, le racisme, le classisme et autres, de sorte que le féminisme lutte contre toutes les formes d’oppression qui affectent des femmes (Schüssler Fiorenza, 1983, 2018.) Cette théorie féministe fut la première que j’aie apprise à l’université. Je l’ai adoptée et appliquée jusqu’à ce jour. Cette histoire personnelle, autant que des considérations théoriques, explique probablement ma position à ce sujet.

    Lors du même séjour d’études aux États-Unis, un élément soulevé par la professeure Sharon Welch a attiré mon attention. Welch analysait la position de celles qu’elle identifiait comme des féministes de seconde génération, la sienne, position en laquelle je me suis reconnue. Ces femmes ont vécu leur adolescence pendant l’essor de la seconde vague féministe, protégées de dominations masculines dans la famille et à l’école, sans avoir à se définir alors activement comme féministes. Cette génération, pour Sharon Welch, a souvent choisi la posture féministe après l’entrée sur le marché du travail où les relations entre femmes et hommes demeuraient nettement inégales (Welch, 1985).

    De retour à Montréal, j’étais donc devenue féministe. Pour l’apprendre et pour le pratiquer avec d’autres femmes, j’ai adhéré à L’autre Parole, une collective féministe et chrétienne fondée en 1976 qui tient un colloque annuel et qui publie une revue du même nom. Depuis lors, je suis membre de la petite cellule de cette collective appelée Bonne Nouv’ailes. Nous nous rencontrons mensuellement chez les unes et chez les autres pour traiter des questions soulevées par les mouvements de femmes et pour faire une analyse féministe de nos vies où tout y passe: la vie de mère, de famille et d’amitiés, la vie professionnelle, les amours, la sexualité, la santé, les choix d’existence et les questions politiques ou polémiques de l’heure. Nous prenons plus de temps à écouter la compagne qui vit des souffrances parfois aiguës.

    Ce positionnement détermine la manière dont j’analyse la posture féministe et sa pertinence pour notre temps. Dans ce qui suit, je désire faire ressortir quelques-unes de ses singularités qui la rendent passionnante à mes yeux.

    Des liens entre le sort de chaque femme

    et celui de toutes les femmes

    Une articulation étroite entre les dimensions individuelle et collective

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