L'Oiseau Griffon et autres Nouvelles: Nouvelles Facétieuses
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Ce recueil présente un choix de nouvelles de deux auteurs contemporains du XVI° siècle, le maître et le disciple, dit-on. Nouvelles galantes non dénuées d'un humour certain, une douzaine pour Bandello, et les quatre seules qui soient parvenues jusqu'à nous pour Molza.
Matteo Bandello
Le plus important héritier de Boccace est Matteo Bandello (ca 1485-1561), dont les 214 Nouvelles ont presque toutes pour fond des faits réels. La violence des passions, l'atrocité des crimes, forment leurs traits dominants. Il fut très lu ; en Angleterre romanciers et dramaturges, notamment Shakespeare, lui empruntèrent quantité de sujets par l'intermédiaire de ses adaptateurs français ( notamment le thème de Roméo et Juliette).
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L'Oiseau Griffon et autres Nouvelles - Matteo Bandello
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
Les auteurs
Matteo Bandello
Francesco Maria Molza
Remarques
NOUVELLES DE BANDELLO
L’oiseau griffon
L’écolier et ses deux maîtresses
Dom Bassano et son évêque
Étrange mariage d’un gentilhomme de Navarre
Plaisante histoire d’un conventuel et d’une courtisane
Sottise d’un gentilhomme
La vengeance d’un gentilhomme bafoué
L’adroite chambrière
Les trois frères et leur maîtresse
Sagesse d’un conseiller de Paris
Le gentil page
NOUVELLES DE MOLZA
Théodorica la Flamande
Nouvelle du Mantouan
Les Trompettes
Ridolfo de Florence
Nouvelle de Bandello imitée de Molza
Bandello, au distingué Messer Marco Antonio Cavezza
Le Trompette Arnauld
Introduction
Dans ce volume, j’ai choisi aujourd’hui de vous présenter deux auteurs italiens contemporains, en fait le maître et le disciple.
Bien que le maître, Francesco Maria Molza, ait rédigé, sur l’exemple de Boccace, un Decameron, il n’en reste que peu de chose. En effet, étant resté à l’état de manuscrit, et ce qui en a été publié étant devenu rarissime, il semble que de nos jours il ait quasi entièrement disparu. Seules restent quatre nouvelles, imprimées initialement en 1549, ainsi que des ouvrages en latin, en langue vernaculaire, des poèmes.
Le disciple se serait fortement inspiré du manuscrit qui a certainement dû lui passer entre les mains. Repris, imité, voire pillé diront même certains. Mais, à cette époque, comme nous avons pu le constater avec les facéties des auteurs français déjà publiés (d’Ouville, Garon, l’auteur de la Gibecière de Mome, etc.), les auteurs de l’époque n’hésitaient pas à tirer profit de l’existant, et soit le reproduire quasi à l’identique, soit s’en inspirer pour y ajouter leur « patte ». Ce n’est pas La Fontaine ni Molière qui me contrediront, pour ne citer qu’eux – il y a bien Perrault aussi, les frères Grimm, et tant d’autres.
Ce que nous retiendrons surtout, c’est le côté facétieux de ces nouvelles galantes, et le plaisir que leur lecture nous procure.
Les auteurs
1) Matteo Bandello
Matteo Maria Bandello est né à Castelnuovo Scrivia, dans l'actuelle province d'Alexandrie, au Piémont, en 1480 (certains contestent cette date. La BNF avance timidement 1484, ou encore 1485 pour l’Encyclopedia Britannica – tous s’accordent toutefois sur sa date de décès, en 1561).
Son oncle, Vincenzo Bandello, est le prieur du couvent de Santa Maria delle Grazie de Milan, de 1495 à 1500, avant de devenir général de l’ordre. Matteo Bandello suit son exemple en entrant dans les ordres. Il fait ses études dans divers couvents dominicains.
À Milan, il est au service d'Alessandro Bentivoglio et de son épouse Ippolita Sforza, dont il mentionne souvent les noms. Il a fait un voyage à la cour de France en 1510-1511. Il fréquente la cour de Maximilien Sforza jusqu’à la chute de celui-ci en 1515. On le retrouve alors à Mantoue. C'est là qu'il rencontre la Mencia dont il chante la beauté dans ses Rime. Il rentre à Milan en 1522, après la victoire remportée sur les Français par François II Sforza.
Il fuit Milan en 1525, et assure alors la fonction de secrétaire de Cesare Fregoso. En 1529 il a participé à la négociation pour le mariage de son maître, avec Costanza Rangoni. Quand Cesare Fregoso choisit le parti du roi de France François Ier, en 1536, il est reçu avec son maître par le roi à Avignon en septembre. La sœur du roi, Marguerite de Navarre les reçoit chaleureusement.
Il est l’hôte du marquis Aloisio Gonzaga, à Castel Goffredo, de 1538 à 1541. Lucrezia Gonzaga di Gazzuolo devient son élève. Il écrit une série de onze poèmes en son hommage, i canti XI, pœma in ottave in lode di Lucrezia Gonzaga di Gazzuolo. C'est pendant ce séjour qu'il traduit en vers italiens l' Hécube d'Euripide. Il envoie la traduction à Marguerite de Navarre avec une dédicace datée du 20 juin 1539.
Cesare Fregoso est assassiné le 3 juillet 1541 à Pavie au cours du voyage d'une mission diplomatique pour le roi de France à Venise. La protection de Marguerite de Navarre leur a permis de venir en France où le cardinal de Lorraine, évêque d'Agen, leur laisse la disposition du château de Bazens, résidence d'été des évêques.
Matteo Bandello suit Costanza Rangoni Fregoso en Guyenne, vivant dans les résidences épiscopales de Bazens et de Monbran. Il est d'abord nommé curé de l'église Notre-Dame de Cabalsaut. Depuis les deux épiscopats des della Rovere, Leonardo (1487-1519) et Antonio (1519-1538), un petit cénacle d'artistes italiens se trouvait à Agen. Jules César Scaliger¹ y était arrivé à la demande d'Antoine de La Rovère en 1525.
En 1550, il est nommé par Henri II évêque d'Agen ; préférant une carrière littéraire, il se démet de ses fonctions au bout de 5 ans au profit de son ancien élève Giano Fregoso, fils de Cesare Fregoso. Vivant ensuite dans le château de Bazens, il a été enterré dans l'église des Jacobins de Port-Sainte-Marie.
En France, ses œuvres ont été popularisées par deux écrivains du XVI°, Boistuau² et Belleforest³. C’est par eux, et par leur traduction de Bandello, que Shakespeare eut connaissance de l’histoire de Roméo et Juliette. Mais le sujet ne lui appartenait pas en propre (voir notre remarque ci-haut pour les « inspirations » et reprises de thèmes) ; il l’avait trouvé chez un autre conteur, Luigi da Porto⁴, et se l’était approprié en lui donnant des formes nouvelles, une plus grande délicatesse dans la mise en scène, en en faisant un récit mieux lié, mérites qui sont grands assurément, mais qui ne peuvent faire oublier le premier inventeur .
Enfin, les Histoires tragiques, extraites de l’Italien de Bandel, de Boaistuau et de Belleforest sont leur œuvre personnelle à peu près autant que celle de Bandello, à force de broder, et le Privilège qui leur conférait le droit de publier ces Histoires était parfaitement dans le vrai en constatant qu’elles sont « traduites et enrichies outre l’invention de l’auteur ».
¹ Jules César Scaliger est un érudit d'origine italienne, fils de Benedetto Bordon, peintre en miniatures. Toutefois, il prétendait descendre de la noble maison della Scala. Il est le père de Joseph Juste Scaliger.
² Pierre Boaistuau, dit Pierre Launay, né en 1517 à Nantes, mort en 1566 à Paris, était un compilateur, traducteur et écrivain français.
³ François de Belleforest, né en 1530 à Samatan et mort le 1er janvier 1583 à Paris, est un écrivain français très prolifique.
⁴ Luigi da Porto, né en 1485 à Vicence et mort le 10 mai 1529 dans la même ville, (donc contemporain de Bandello), est un écrivain et historiographe italien, surtout connu comme auteur du roman Novella novamente ritrovata, l'histoire de Roméo et Juliette, publiée vers 1530 et reprise plus tard par William Shakespeare pour son célèbre drame. Il s'est probablement inspiré de son histoire personnelle : en 1511, Luigi da Porto est apparemment tombé amoureux de sa cousine Lucina Sarvognan (seize ans). Il a créé les noms de Romeus (Roméo) et Giulietta (Juliette) ainsi que les personnages de Mercutio, Tybalt, Laurence et Paris.
2) Francesco Maria Molza
La page française de Wikipedia est étrangement vide concernant le personnage – heureusement, d’autres sources existent !
On a, contrairement à Bandello, bien plus de certitudes quant à sa vie : né le 18 juin 1489, à Modène, il y décédera le 28 février 1544.
Quasiment ignoré actuellement, il fut illustre en son temps, on le plaçait à côté de Bembo⁵, de Berni⁶, de Sannazar⁷, de l'Alamanni⁸, et Messer Pietro d'Arezzo, le fameux Arétin⁹.
Issu d’une famille ancienne et honorable, après de fortes études qui embrassèrent le latin, le grec et l'hébreu, Molza alla à Bologne pour y prendre à l'Université ses grades de droit ; puis à Rome pour y chercher fortune. À Rome, il s'occupa beaucoup moins de poursuivre l'inconstante déesse qu'à courtiser les chastes muses et à fréquenter les jolies pécheresses qui abondaient alors dans la capitale du monde chrétien.
À partir de 1516, il vécut à Rome avec le cardinal Hippolyte de Médicis et, après sa mort, avec Alessandro Farnèse, ses mécènes. Il était l'ami des écrivains les plus importants du XVI° siècle. Pietro Bembo l'a désigné comme un exemple d'excellent écrivain en latin et en langue vernaculaire.
Il a fréquenté plusieurs papes : Léon X, Adrien VI, Clément VII. Il n'avait pas rencontré la fortune ; mais il avait aussi tout fait pour ne pas la trouver. Il éprouva les duretés du service, la faim, la soif et les horreurs du tinel ; il connut des jours de gêne telle qu'en 1531 il n'avait ni habits ni linge de corps. Il se consolait de sa misère avec ses livres, ses amis et les belles. Pour être sujet au « flux de bourse » comme dit Rabelais, il ne perdait rien de sa gaîté qui le faisait aimer de tous et rechercher par les plus grands personnages.
Vers 1540, Molza retourna à Modène, où il mourut dans la maison de ses aïeux, à l'âge de cinquante-quatre ans d'une syphilis contractée au cours de son existence dissolue.
Sa petite-fille est la poétesse et musicienne Tarquinia Molza.
C'était un polygraphe polyvalent. De ses divers poèmes en langue vernaculaire, en particulier un poème en octaves, La ninfa tiberina, composé pour célébrer Faustine Mancini, était célèbre. L'œuvre, composée vers 1537, fut jugée par ses contemporains même supérieure aux Stanze del Poliziano pour son élégance stylistique. En langue vernaculaire, il a également écrit des poèmes d'amour dans le style de Pétrarque, des chansons et des chapitres. Il a adhéré au courant de l'intonation vulgarisée avec des compositions sur des sujets insolites et apparemment inaptes au traitement en vers, comme, par exemple, une épigramme intitulée Laudes de la salade (...), et des chapitres érotiques, dans le style de Boccace.
Au poète ses nombreux amis accordaient une imagination riante et gracieuse, un style châtié, l'harmonie du rythme, l'élégance et la désinvolture de la phrase et l'ingéniosité de la pensée. De l'homme, ils vantaient la bonté, l'honnêteté et l'esprit vif et enjoué.
⁵ Pietro Bembo, né le 20 mai 1470 à Venise, mort le 18 janvier 1547 à Rome, est un écrivain, poète, bibliothécaire, historien, traducteur, théoricien de la littérature et essayiste vénitien, cardinal de l'Église catholique. Le Pogge a mentionné son nom.
⁶ Francesco Berni, né à Lamporecchio vers 1497 et mort à Florence le 26 mai 1535, est un écrivain et poète italien. Ses poèmes burlesques donnèrent naissance au genre « bernesque ».
⁷ Jacopo Sannazaro, parfois francisé Jacques Sannazar, né à Naples le 28 juillet 1458 et mort en 1530, est un poète italien de la Renaissance. Il a passé quelques années de sa vie en exil en France de 1501 à 1504.
⁸ Luigi Alamanni est un homme d’Église et un poète, né le 6 mars 1495 à Florence et mort le 18 avril 1556 à Amboise.Il est l’auteur d’une œuvre poétique prolifique et est considéré comme l’introducteur de l’épigramme dans la poésie italienne. Il fut, au XVI° siècle, l'un des plus parfaits exemples de la culture italienne et de son rayonnement en Europe. Il était admiré par les poètes de la Pléiade.
⁹ Pierre l’Arétin ou Pierre Arétin, nommé « le divin Arétin », est un écrivain et dramaturge italien, né le 20 avril 1492 à Arezzo et mort le 21 octobre 1556 à Venise.
Remarques concernant cet ouvrage
Les Nouvelles de Bandello, objet de la première partie de cet ouvrage, sont extraites d’un livre paru à Paris en 1922, traduit de l’italien par G. Garnier et illustré par Paul Jacob-Hians.
Les Nouvelles de Molza de la seconde partie sont, quant à elles, extraites d’un ouvrage paru à Bruxelles en 1890, traduit par M.M.L (?) et illustrées par F. Gaillard. Aux strictes nouvelles de cet auteur, au nombre de quatre, le livre ajoute deux autres, qui auraient été imitées par Bandello. Sur les deux en question, je n’en ai conservé qu’une, celle d’Arnaud le Trompette ; l’autre, intitulée Adroite ruse d’une servante pour sauver de la mort sa patronne et l’amant de sa patronne, a été éliminée car faisant doublon avec la nouvelle L’adroite chambrière, figurant dans la première partie.
Je vous souhaite une bonne lecture !
Christophe Noël,
Bibliophile
L’Oiseau Griffon
et autres nouvelles
Nouvelles Galantes
L’OISEAU GRIFFON
Dans notre région de Brescia se trouve un village situé dans la vallée de Sabbia, appelé du même nom que cet objet grâce auquel les hommes plaisent tant aux dames, encore qu’elles rougissent de le désigner. Le curé de cette paroisse, dom Faustino de Nigolini, était un homme d’une culture moyenne et fort beau parleur, mais pour le reste si lourd et si épais qu’on lui aurait facilement fait accroire tout ce qu’on aurait voulu. En effet, à part l’instruction qu’il avait reçue dans sa jeunesse, à part aussi la direction spirituelle de ses ouailles, il n’était vraiment bon à rien dans la vie courante. Il était facile de le duper et de lui faire prendre une chose pour une autre. Pourtant l’honnêteté de sa vie le faisait généralement estimer. À toutes les fêtes, avant de chanter la messe, il avait coutume de lire la passion de notre Sauveur, et au milieu de la messe, il faisait un sermon ; très souvent il allait bénir les champs, récitant ses psaumes, Pater noster et autrès oraisons, et il plaçait au-dessus des portes des croix bénies ; pour les bœufs et le bétail, il disait l’oraison de M. Saint Bovo : aussi tout le monde le tenait pour un saint homme. S’il s’élevait quelque dispute ou quelque rixe parmi ses paroissiens, il n’avait de cesse qu’il n’eût ramené la concorde. De même lorsque l’un d’eux tombait malade, dom Faustino s’empressait de le visiter et de le secourir autant qu’il pouvait. En somme il se montrait avec tous affectueux et charitable. Il est vrai que c’était un confesseur très sévère ; il gourmandait sans indulgence les pécheurs, et remplissait de confusion les hommes et les femmes qui étaient amoureux ; contre eux il avait dans ses sermons de terribles paroles, et les faisait tous dévorer par Lucifer. Il était pourtant le confident non seulement de son village, mais de toute la vallée.
Il n’y avait pas de puits dans le pays, mais