#SANSTABOU Tome 2: Coming in
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About this ebook
On parle souvent de coming out, mais presque jamais de coming in. Pourtant, avant de pouvoir sortir du placard, on doit déjà y être entré, non? Pour annoncer au monde qui on est et qui on aime, on doit d’abord l’avoir réalisé.
Il y a autant de manières de prendre conscience de son orientation sexuelle qu’il existe de personnes homosexuelles ou bisexuelles. Ce livre contient le coming in de Zachary, Adriana, Jesse, Maxine et William, cinq adolescents complètement différents. Chacun leur tour, ils racontent leur histoire sans détour.
Samuel Champagne
Samuel Champagne est postdoctorant en sciences sociales à l'Université Laval. Il travaille sur le concept inédit du coming-in (l'entrée dans le placard). Il s'intéresse notamment aux milieux de vie et structures familiales influençant la construction identitaire des adolescent(e)s homosexuels-les, bisexuels-les et lesbiennes. Sa thèse en recherche-création sur le thème du placard en littérature destinée aux adolescents et jeunes adultes a obtenu le prix de la meilleure thèse. Il est l'auteur de douze romans jeunesse et d'un ouvrage pour adulte, en plus d'avoir publié plusieurs nouvelles et articles. Il a été l’invité d'honneur au Salon du Livre de Montréal en 2018, récipiendaire de la bourse Dorais-Ryan en 2015, du prix AQPF-ANEL en 2015, du prix Relève du CMCC en 2016, d'une bourse de recherche du FRQSC en 2018 et du prix Espiègle en 2019. Auteur au talent d’écriture évident, ses histoires touchent notre sensibilité et permettent à tous de comprendre et d’accepter la complexité de l’humain que nous sommes.
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#SANSTABOU Tome 2 - Samuel Champagne
Samuel Champagne
#SANS TABOU
2. COMING IN
Logo des Éditions de MortagneCatalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre : #sansTABOU.
Autres titres : mot-clic sansTABOU | hashtag sansTABOU |
sansTABOU | Coming in.
Noms : Champagne, Samuel, 1985- Coming in
Description : Sommaire incomplet : vol. 2. Coming in / Samuel Champagne.
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20190037636 | Canadiana (livre numérique) 20190037644 | ISBN 9782897923815 (vol. 2) | ISBN 9782897923822 (PDF : vol. 2) | ISBN 9782897923839 (EPUB : vol. 2)
Classification : LCC PS8329.5.Q4 S26 2020 | CDD jC843/.60109283— dc23
Tous droits réservés
Les Éditions de Mortagne
© Ottawa 2022
Édition : Valérie Gagné
Direction littéraire : Jade Lavoie
Révision : Myriam de Repentigny
Correction d’épreuves : Élaine Parisien
Maquette de la couverture : France Sévigny
Graphisme intérieur et adaptation numérique : Studio C1C4
Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale de France
3e trimestre 2022
Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Financé par le gouvernement du CanadaMembre de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL)
Logo de l’Association nationale des éditeurs de livresAu printemps 2020, alors que le monde entier était déstabilisé par une pandémie, j’ai lancé un appel à tous. Je cherchais des volontaires pour un projet de postdoctorat intitulé Le coming in : l’entrée dans le placard des jeunes Québécois de la diversité sexuelle. Je souhaitais m’entretenir avec des jeunes qui accepteraient de me raconter le moment de la prise de conscience de leur orientation sexuelle. J’ai reçu en cadeau des histoires parfois difficiles, parfois d’une simplicité déroutante, mais toujours honnêtes et inspirantes. Une vingtaine de personnes ont répondu à l’appel et m’ont tendu la main à un moment où tous s’éloignaient les uns des autres, par nécessité. Leurs récits ont inspiré ces nouvelles.
Je vous remercie de votre ouverture, de votre confiance. Ce livre est pour vous.
Ces nouvelles sont aussi pour toutes les personnes qui vivent, ont vécu ou vivront dans le placard, qui ont besoin, ont eu besoin ou auront besoin de se sentir accompagnées. Ces nouvelles sont pour tous ceux, celles et celleux qui sont curieux, qui veulent comprendre et aider, peut-être. Je ne sais pas si, un jour, le placard ne sera plus une étape obligée pour les jeunes de la diversité sexuelle, mais une chose est sûre : mieux on le comprendra et plus il sera facile d’en sortir, de rendre cette pause dans le placard moins ardue, d’y ajouter quelques décorations, de la lumière…
Préface
Comment réalise-t-on qu’on est homosexuel ou lesbienne ? Bisexuel ? Bisexuelle ? C’est une question difficile, hein ? Est-ce qu’il existe UN moment qui fait en sorte qu’eurêka ! une lumière s’allume au-dessus de notre tête pour que tout soit clair ? Bien sûr que non. Alors, comment ça se passe ?
Il y a autant de manières de prendre conscience de son orientation sexuelle qu’il existe de personnes homosexuelles ou bisexuelles. Impossible de créer une histoire qui engloberait tous les cas de figure et encore moins LA bonne manière de découvrir cette part extrêmement importante de notre identité. C’est pourquoi, dans cet ouvrage, vous pourrez lire cinq nouvelles relatant cinq coming in. Le coming in, qu’est-ce que c’est ? On parle toujours de la sortie du placard, du coming out. Mais pour sortir de quelque part, il faut y être d’abord entré, non ? Donc, avant de faire son coming out, il faut qu’on découvre ce qui se passe en nous et qu’on le comprenne. Bref, qu’on entre dans ce fichu placard !
Les cinq personnages de ces nouvelles sont tous différents et ils vous racontent leurs expériences de coming in sans détour. Mais attention : le coming in n’est qu’une partie de leur histoire et de leur processus pour s’accepter en tant que personnes homosexuelles ou bisexuelles. Il leur restera encore bien du chemin à parcourir. À vous d’imaginer la suite !
Zachary
SEPTEMBRE
S’il y a une chose que l’école m’a apprise, c’est comment la société fonctionne. Une école est une microsociété, un petit État en soi. Tous les films le démontrent, ce n’est pas moi qui ai inventé ça ! Je ne veux pas dire que je suis super intelligent, mais ça, je l’ai bien vite compris : il y a une chaîne alimentaire dans une école et il vaut mieux être tout en haut que tout en bas. Rien n’est pire qu’être les derniers, qui sont ridiculisés, écrasés, les cibles parfaites. Quand on est au milieu, on est oublié, ce qui n’est pas mieux, mais au moins, ceux qui sont tout en haut nous laissent tranquille.
Où je suis, moi ? Je monte, de plus en plus haut. Lorsque je suis entré au secondaire, il y a deux ans, j’étais au milieu. Les plus vieux, ceux qui étaient en secondaire quatre et cinq se fichaient pas mal des nouveaux. Ils s’en prenaient parfois aux plus petits, à ceux qui avaient l’air de s’être échappés d’une garderie, mais, pour la plupart, ils ne semblaient pas nous voir. Et puis, j’ai vieilli… Secondaire deux, puis secondaire trois. Qui commence à peine. Et je me suis taillé une place. Tout le monde me voit. Sait qui je suis.
— Yo, Zach !
Je me retourne rapidement et frappe dans la main de Bastien, un de mes coéquipiers. On joue au hockey ensemble depuis… wow, vraiment longtemps. J’avais tout juste cinq ans lorsque j’ai enfilé des patins pour la première fois et, en février, quand j’aurai quinze ans, ça fera dix ans qu’on est amis et qu’on pratique ce sport. C’est pour ça que tout le monde me connaît, à l’école. Je suis Zachary Tremblay, première étoile de presque tous les matchs. Deuxième, si notre gardien a fait un jeu blanc. Depuis le début du secondaire, je suis aussi Zachary Tremblay, joueur de basket. J’ai beaucoup grandi durant l’été de mes onze ans et je suis rapide. Je ne suis pas le meilleur joueur de basket de l’école, mais certainement pas le pire. Ça me convient. Tout ça me permet de grimper les échelons de la chaîne alimentaire. Je me rapproche du sommet, de l’endroit où la vue doit être la plus belle, où personne ne te surpasse et où tu es à l’abri de tout.
— T’as vu la vidéo de Carine La Grosse ? me demande Bastien.
Je fais non de la tête. Son vrai nom, c’est Carine Legros. Personne ne l’embêterait si elle n’était pas, justement, si… grosse. Le jeu de mots est trop facile et plusieurs personnes ne se gênent pas pour l’utiliser. Ce n’est pas trop mon style, j’évite d’entrer dans ce genre de discussions autant que possible. Bastien met son cellulaire devant moi, si bien que je dois arrêter de marcher pour me concentrer sur l’image. On y voit Carine penchée dans son casier, à la recherche de je ne sais quoi. Ses hanches larges prennent presque tout l’écran et on voit le haut de ses fesses puisque ses pantalons sont trop serrés. Est-ce que c’est légal, de filmer une fille comme ça ? Je pense que non, moi… Et puis, personne ne mérite ça.
Je détourne le regard.
C’est exactement pour ça qu’il faut rester en haut de la chaîne.
— C’est drôle, non ? demande Bastien en empochant son cellulaire.
Je souris sans répondre. Je ne trouve pas ça amusant du tout. Mais si tu le dis, tu descends les barreaux de l’échelle imaginaire. Pire, tu te fais traiter de noms. Ni l’un ni l’autre ne me tente.
Alors je me tais et me contente d’apprécier le fait que personne n’aurait envie de partager mes moments les moins gracieux ou de me filmer à mon insu quand j’ai l’air d’un imbécile. Parce que je suis bon en sport et qu’on me respecte. On me soutient, on m’encourage lors des matchs, on me salue dans les corridors, on veut s’asseoir avec moi à la cafétéria. Les gens comme Carine… ils n’ont pas ça.
Avançant au milieu des casiers, nous sommes rejoints par plusieurs de nos amis.
— Ouh, regarde Anya, lance Bastien en me tapant le bras du revers de la main. Ça, c’est une vidéo que j’aimerais bien avoir !
— Oh, yeah, baby ! rigole Alexis, les yeux fixés au bout de la rangée de casiers.
Anya est en petit bonhomme, fouillant dans son sac d’école, ses longs cheveux blonds glissant contre son épaule et cachant son visage.
— Vous avez vu ses…, commente Alexis en plaçant ses mains près de ses pectoraux. Elle a grandi pendant l’été.
Tous les garçons ricanent et je suis le groupe. Ce n’est pas faux, elle a plus de poitrine qu’au mois de juin. Pas de quoi s’énerver. Bastien a bien grandi de dix centimètres cet été et personne n’en fait tout un plat ! Les autres continuent de faire des blagues sur Anya ou les autres filles qu’ils croisent, mais je ne les écoute plus. Je pense à ce soir, à mon premier entraînement de basketball de l’année. J’ai hâte. Bastien fait maintenant partie de l’équipe, lui aussi. C’est le seul truc que j’aime vraiment dans cet endroit : le sport.
Nous débouchons dans la place commune. Les bancs, alignés près des murs, sont occupés par plusieurs petits groupes qui attendent que la cloche sonne. Ce n’est pas comme si on avait grand-chose à faire ; l’école vient de commencer ! Il y a de grandes fenêtres qui laissent entrer le soleil du matin. C’est le centre de l’école, d’où partent plusieurs corridors menant vers les salles de classe. Je sors mon horaire de ma poche arrière. Je ne me souviens pas encore des locaux par cœur. Mon père m’a forcé à l’imprimer, il déteste que je sois collé à mon cellulaire tout le temps. J’ai fait comme il a dit, ça ne valait pas une chicane. Le papier est déjà froissé, par contre, et déchiré aux endroits où je l’ai plié. Vraiment moins pratique.
Je me tourne vers mes amis et les interromps.
— Vous avez quoi comme premier cours ?
— Maths, répond Bastien. Toi ?
— Histoire.
Je fais semblant de vomir. Il n’y a rien que je déteste plus que les cours qui ne font que ressasser le passé. « Histoire » rime avec ennui mortel et discours prétentieux. C’est le genre de cours où je sens que je vais pouvoir rattraper quelques heures de sommeil !
Je me sépare du groupe pour emprunter le couloir de droite. C’est l’endroit où se déroulent les cours de biologie et d’histoire. Bref, le couloir de la mort lente et pleine de souffrance que tout le monde préférerait éviter.
Une fois dans le bon local, je me glisse entre les bureaux placés trop près les uns des autres et me laisse tomber sur une chaise tout au fond, dans le coin de la classe, près des fenêtres. Au moins, cet endroit a une vue sur les terrains de soccer. Je ne joue pas, mais tout est mieux que de regarder des cartes du monde et des drapeaux de je ne sais où. Peut-être que je pourrais m’inscrire au soccer ? Nah, je n’aurais pas le temps. C’est déjà un assez gros casse-tête de jongler entre le basket et le hockey. Je doute que l’école accepte de me faire sauter les cours d’anglais ou de « beurk historique » pour aller pratiquer un autre sport. Mais je pourrais être bon, qui sait ?
Un claquement de porte me tire de mon observation des terrains. Le professeur s’est installé sur son bureau, les fesses appuyées contre le rebord de bois. Il est vieux. Il a une grosse moustache et des sourcils broussailleux qui lui donnent un peu l’air d’Einstein. Je réprime un frisson, mais je me dis que j’aurais aussi pu avoir un cours de maths, ce matin, comme les gars. C’est inhumain de commencer la journée avec des mathématiques. De la torture. Moi et les maths, ça fait deux. Moi et l’école, ça fait deux, en fait.
J’écoute d’une oreille distraite. Blablabla, ouverture sur le monde, blablabla, sociétés extraordinaires à découvrir, blablabla, cultures magnifiques et différentes, blablabla, économie, lois, blablabla, long projet scolaire en équipe… Quoi ?
Mes yeux quittent à nouveau la fenêtre. Je déteste les projets d’équipe ! Mon horaire est déjà assez compliqué comme ça avec les entraînements. Quand je sors de l’école, je n’ai pas envie de travailler encore plus et de devoir vivre avec l’horaire de quelqu’un d’autre !
— J’ai préparé des équipes, continue le sosie d’Einstein.
De mieux en mieux ! J’attends anxieusement qu’il nomme mon prénom. En espérant que je sois avec une fille ! Elles travaillent mieux que les gars, tout le monde sait ça.
— Benjamin et Zachary. Andréa et Youssef…
Je n’écoute plus. Instinctivement, je cherche Benjamin du regard. Je sais qui il est. Un des meilleurs de notre niveau, peu importe le cours. Un cerveau, un vrai geek. On se suit depuis le début du secondaire ; l’an dernier, il était avec moi en français et en anglais, cette année, en français, en maths et dans ce cours-ci, manifestement. Je ne l’ai jamais vraiment apprécié ni détesté. Lui et son petit air intelligent… Il m’énerve un peu. Il est assis au-devant de la classe, le menton appuyé dans sa main, les yeux fixés sur le tableau. Il ne m’accorde même pas un regard. Super… Les prochaines semaines s’annoncent palpitantes. J’ai autant envie de travailler sur ce projet que de recevoir une puck de hockey dans les parties.
— Voici les informations que vous avez besoin de savoir, dit Einstein en distribuant un paquet de feuilles aux élèves de la première rangée.
N’ayant pas le choix, Benjamin se retourne pour donner les feuilles restantes à son voisin de derrière et nos regards se croisent enfin. Son air bête me confirme qu’il est probablement aussi enchanté que moi d’être coincé en équipe de deux.