Ozée: L’autre rive
By Jonas Rano
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À PROPOS DE L'AUTEUR
Comme chacun d’entre nous, Jonas Rano sait mille et un déchirements, mais il tente à sa manière, avec humilité, d’en traduire les sonorités à l’infini. Docteur en Lettres, titulaire d’un DEA en éthique et spiritualité, et par ailleurs chercheur au CREM, chercheur associé à l’ITEM-CNRS et à l’Agence Universitaire de la Francophonie, il ajoute un authentique regard d’horizon sur les soleils de fulgurances poétiques, dont le déferlement, vague après vague, caresse le rivage de nos âmes étonnées.
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Book preview
Ozée - Jonas Rano
Cet alcool de sauvage
… En guise de décollage
Ozée
Le grand Jalvin, d’un coup de sabre, a culbuté
L’écale de coco…, puis du bout de l’outil,
D’un geste circulaire, il creuse le pistil
D’où gicle un long filet brusquement éjecté !
Mais avant, pour ne point commettre d’imprudence, Jalvin, respectueux de nos vieilles coutumes,
Avale d’un seul trait un « sec-sec-mort-aux-rhumes »
À même le fruit, tout doucement, il boit
Par petites gorgées, tandis que son pied droit,
Émissaire du corps frémissant de bien être
Marque le rythme lent du geste rituel
Que les mains, toute l’année, verront renaître
Comme le gai Soleil, fidèle et fraternel !²
Le flacon de rhum
Jadis quand je vivais dans les îles en fleurs,
Ma jeune vie était de lumière inondée.
Qu’il m’est doux de pouvoir respirer les odeurs
Grâce aux ailes de feu d’une émouvante idée !
Flacon d’un rhum très vieux qu’un ami m’a donné,
Grâce à toi, je refais mes voyages aux îles.
Hauteurs de Salazie ! Antilles ! Soirs tranquilles !
Le passé me revient net et coordonné.
Voici les champs de canne où l’on chante en cadence,
Où les longs coutelas coupent les blonds roseaux.
Voici la sucrerie où le vesou s’élance
au sortir du moulin, dans un tumulte d’eau.
Se peut-il ô, flacon, que dorment, sous ton verre,
tant de beaux souvenirs
et tant de beaux émois :
l’odeur de la bagasse et les oiseaux de bois
et l’encens du soir rouge où fume la chaudière ?
Fait d’un lointain passé surgir les odeurs fortes.
Je revois les beaux soirs où j’aimais ardemment
les yeux miraculeux d’une jeune créole.
Ah ! vivent les rayons de cette liqueur folle
Qui me ramène aux jours heureux du sentiment !
Mais l’adorable est morte au pied du noir cratère.
et c’est pour oublier ce cruel souvenir
Que je boirai, flacon doré, ton dernier verre
Sympathique flacon qui fait si bien dormir.
là-bas, les champs de canne au morne et sur la dune
Ont fleuri ; leur blancheur moutonne au vent du soir ;
et battu par les mains arides d’un vieux Noir,
le tam-tam saccadé résonne au clair de lune…
Canne à sucre, rayon de soleil condensé
Dans un roseau mûri sous le ciel du tropique,
Je chante en ton honneur et dans Londres glacé.
C’est toute la rumeur de la nuit exotique !
Lettre ouverte à mon frère
pour une « ivresse » de sens
Avec la chute du mur de Berlin (1989), le monde, déchiré par la dualité Est/Ouest, a vu ses conflits changer de pôles dans un subtil renversement Nord-Sud. Hélas ! Sans que rien ait changé vraiment entre l’Est et l’Ouest. Malheureusement, d’aucuns se disent « Je t’aime ! », satisfaits, quand d’autres éructent ce : « Je te déteste ! »
J’ose cette lettre ouverte, comme une amère reconquête d’une liberté perdue, mais une authentique et dynamique prospective, pour les années à venir. Une lettre portée par le souhait que certaines murailles mortifères et honteuses s’écroulent ! Que toutes les murailles s’écroulent comme le sous-entend si bien Max Frisch : « la grande muraille de Chine avait été érigée comme une barrière contre les barbares des steppes. Elle fut une des nombreuses tentatives pour arrêter aussi le temps. Mais comme nous le savons aujourd’hui, elle fut inefficace. On ne peut simplement pas arrêter le temps³ ». D’autres sont enfin tombées à l’Est (mai 2004) ! Les Corées du Nord et du Sud, les tomberont-elles désormais comme l’Inde et le Pakistan, quand d’autres s’érigent honteusement ? Ces curieux axes génèrent une peur terrible ! Sans doute, est-ce pour cela que les nations riches – et celles qui sont en voie de le devenir – se barricadent tout en accaparant les richesses des plus faibles, elles auraient la mémoire bien courte : les pays du Sud n’ont-ils pas contribué à ces richesses, souvent au prix du sang des leurs ? Combien de pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique jusqu’aux Antilles, à la belle Kanaky, en ont souffert, en souffrent encore. Et, bien d’autres « colonies » n’étaient-elles pas de lointaines provinces, portugaises, espagnoles, hollandaises, italiennes, françaises, anglaises, allemandes ? Le Liberia, terre libre ou déversoir américain ? Les Antilles dans cette valse ? Que sont devenues les colonies satellites africaines et caribéennes, dans leurs « regrettables » rapports Nord/Sud, guère moins d’un demi-siècle (pour certaines) après la proclamation de leur indépendance ? Quelle politique humaine en circonscrit profondément leurs difficultés ? Quelle politique véritable en souligne leurs différences ? Qui en parlerait, la tête haute, avec une franche honnêteté ? Qui y exprime – la tête droite – la démocratie⁴ véritable ? Les formules centralisatrices de la Baule (à deux reprises), et d’ailleurs comment peuvent-elles encore influencer ?
Esclaves bien incapables, nous sommes ! Comment dites-vous ? Combien de « nos » pays qui ne savent plus nourrir nos enfants, possèdent cependant autant d’armes et de munitions ? Autant de corrompus ? (déjà dit), comme de coopérants-sous-marins. Autant d’illusionnistes-conseillers ? (Pas du tout : depuis Pythagore et Einstein, il est vrai que nous sommes tous des génies). Par conséquent, il n’a jamais été envisagé ni même imaginé, pour nos éminences subtiles, d’arrêter d’exploiter l’Afrique aujourd’hui dépouillée de tout ! De vider les « colonies, demeurées malgré elles des colonies », de leurs matières naturelles voire de leur matière grise ! Comment apporter désormais un peu de baume au cœur de ces « néo-colonisés » ? Car ils sont évidemment – regardez le sort fait à la belle Haïti – toujours couillonnés !
Que de sectes ! Que de leurres ! Que de promesses ! Que de miroiteries ! Que de sournoiseries ! Que d’interdits ! Plus de pain, plus d’eau, plus de droits d’exprimer sa pensée, le « droit » d’être, d’expression, d’existence, voire de différence ! Et même depuis « Rio » nos grands manitous se contentent de pousser quelques « pions » (pourvu que cela fasse étiquette) : encore une fois au sommet de la terre de Johannesburg (2002), et à la conférence des Nations unies sur le climat de Copenhague (2009), à Rio encore (2012) – plus d’électricité, les massacres, les folies claniques, l’École dans la famine, la rue : le quotidien des peuples plongés dans une course infernale vers la mort. Combien de nos pays nantis se trouvent engagés et corrupteurs dans cette situation innommable ?
Craquantes paillettes ! Au reste, on peut légitimement s’interpeller, se demander si la victoire de la liberté – si chère à ma France mère, à certains pays européens, comme aux États-Unis – dont s’enorgueillissent les peuples riches, et d’autres en voie de l’être, et – leurs vassaux – au détriment des peuples pauvres, n’est pas le boomerang qui fera imploser bientôt le monde dans son ensemble. Faut-il encore craindre une pareille apocalypse ? « Le système démocratique [hypocrite, égoïste et inhumain] est en passe de s’imposer comme un modèle unique sur toute la planète, c’est là le problème : l’histoire est finie », nous interpelle Francis Fukuyama⁵. Les lois du marché démontrent assez bien cette réalité : il s’agit, dans la lutte de l’homme avec la nature, du désir de ce dernier d’être reconnu comme un humain pour faire valoir ensuite sa supériorité économique. En atteignant un niveau de prospérité sans équivalent, les nations occidentales ont convaincu leurs « obligés », notamment les mondes en voie de développement, autres terres d’expériences, qu’elles avaient découvert la formule miraculeuse. Un leurre ?
Car ces dernières y croient dur comme fer ! Mais ont-elles – de la macronite alarmiste à la trumpiste aiguë, ces « phares » n’acceptant pas de résistance à leurs « lumières » ni à leurs manières – un autre choix ?
Il ne fut pas vain que Cheikh Anta Diop se soit demandé en son temps, ce que je m’efforce de souligner ci-dessous en faveur d’une réalité politique nouvelle, par exemple : quand pourra-t-on parler d’une renaissance africaine ? Celle d’une renaissance créole, également ?
De fait, de la nécessité de la renaissance d’une culture métisse fondée sur les langues françaises et africaines. Nous mettait-il en garde ainsi : « Les intellectuels doivent étudier le passé non pour s’y complaire, mais pour y puiser des leçons⁶ ». La sagesse collective des peuples implique la notion nouvelle de partage – refusée par ceux-là mêmes, imbus d’eux-mêmes, outrageusement sûrs de leurs expériences –, s’imaginant que la mort n’interviendra jamais dans leur destinée : leurs richesses accumulées – quelquefois très maladroitement⁷ – n’expliquent pas la somme des choix dits « démocratiques » : par exemple :
nombre de « Gott mit uns » au détriment des faibles, hommes et peuples déshérités, volés, désavoués, colonisés, exploités, fagotés, estropiés, brimés, cassés, violés,
de… notre liberté confisquée.
Nos pontifes souverains nous prendraient pour des attardés : constatez, pour exemple, que tel discours africain d’un brillantissime ex-président de la République française ne se voulait pas une grosse méconnaissance de l’histoire de France ? Notre brave homme aurait-il simplement lu son « bon nègre » sans comprendre « son affaire » ? Comment trop lui en vouloir quand, bien avant lui, Napoléon avait vendu ses frères de race et leurs nègres de Louisiane pour quelques dollars !
La sagesse collective des peuples – dont s’enorgueillissent les tout-puissants à grands cris⁸ – appelle à toujours plus de dignité et de valorisation envers l’homme, tout homme et tout l’homme, et renvoie à l’urgence de la véritable liberté sans contrepartie de