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Éthique et intégrité du service public
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Éthique et intégrité du service public
Ebook415 pages5 hours

Éthique et intégrité du service public

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About this ebook

Les administrations publiques du Québec et de ses municipalités, de même que celles du Canada, ont fait l’objet de nombreux scandales politico- administratifs depuis la fin des années 1990. Il en est allé de même pour la plupart des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cela a mené cette dernière à publier de nombreux documents et politiques qui visent à encourager ses membres à adopter un ensemble de mesures pour encadrer l’intégrité des agents publics et promouvoir l’éthique au sein des administrations publiques. S’en est suivi le développement d’une infrastructure de l’intégrité et de l’éthique dans la plupart des pays membres de l’OCDE.

Dans sa première partie, le présent ouvrage fait un état des lieux des politiques du Québec et de ses municipalités en la matière, de même que de celles du Canada et de l’OCDE. La seconde partie est consacrée aux portraits de pays anglo-saxons, de l’Europe de l’Ouest et des pays scandinaves. C’est l’occasion d’établir des comparaisons et de montrer les limites de telles infrastructures pour quiconque souhaite véritablement promouvoir des pratiques qui s’inscrivent dans une culture propice à la promotion de l’éthique et de l’intégrité dans les services publics. Cet ouvrage intéressera les étudiantes et étudiants de premier et deuxième cycle universitaire, de même que les chercheuses et chercheurs qui souhaitent avoir un portrait clair des infrastructures de l’éthique et de l’intégrité au sein des administrations publiques des pays membres de l’OCDE. Ils pourront y trouver des informations relatives aux origines et véritables finalités de ces infrastructures, et prendre connaissance de leurs limites.
LanguageFrançais
Release dateNov 2, 2022
ISBN9782760557925
Éthique et intégrité du service public

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    Éthique et intégrité du service public - André Lacroix

    Introduction

    André Lacroix

    Les démocraties occidentales, encouragées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 1998b), ont procédé à une importante refonte de leurs systèmes de gouvernance au tournant des années 1980-1990. Les réformes qui en ont découlé ont favorisé la mise en place de modes de gestion par résultats au sein des administrations publiques, de même que le développement des partenariats avec le privé et l’attribution d’une marge de manœuvre accrue aux agents publics. Si ces mesures ont augmenté l’efficacité de la gouvernance publique aux yeux de plusieurs, elles ont aussi contribué à faire saillir les questions d’éthique publique (Lacroix et Boisvert, 2015) en raison de l’insuffisance des modes de régulation (Reynaud, 1997) existant pour baliser la conduite des agents publics et de l’absence de formation éthique adéquate chez ces mêmes agents. La cascade de scandales politico-administratifs qui ont secoué autant le Canada que le Québec et plusieurs démocraties occidentales a en effet mis en évidence ces insuffisances et l’importance de nous pencher sur le renforcement d’une « infrastructure politique et éthique de régulation des comportements, et de formation des agents publics » pour reprendre les termes de l’OCDE, ce que nous traduirons en nos mots par une infrastructure de l’intégrité et de promotion de l’éthique qui n’est rien de plus qu’une nouvelle manière d’encadrer les comportements des agents publics. Parce que, comme l’affirme Zask dans un texte paru en 2014, « Gouverner par les normes est analogue à une expression plus ancienne, exercer un contrôle social » (Zask, 2014, p. 337).

    Au Canada, ces scandales ont eu pour nom le scandale des commandites, le Shawinigate, l’affaire Radwanski, tandis qu’au Québec, les nombreuses situations de collusion observées au sein des municipalités et de certains ministères ont amené la création de la commission Charbonneau. Si ces nombreux scandales ne découlent pas tous des réformes promues par l’OCDE, il n’en reste pas moins qu’elles en sont souvent les causes directes et indirectes. Il faut en effet rappeler qu’à partir du début des années 1980, on assiste à un démantèlement progressif de l’État-providence un peu partout en Occident, et à l’atténuation, sinon à la disparition, des frontières usuelles entre le service public et le secteur privé. Dans le premier cas, on insiste pour encourager le transfert de services jusque-là pris en charge par les administrations publiques vers le secteur privé. On pense ici à la promotion des partenariats privés-publics pour le développement de chantiers publics tels que la construction et l’entretien d’infrastructures (ponts, hôpitaux, écoles, universités), la gestion et la surveillance de ces chantiers, la sous-traitance pure et simple de certaines missions historiques de l’État comme la construction et la gestion d’hôpitaux, la gestion et la sous-traitance de services jusque-là assumés directement par l’État comme les services aux citoyens, tandis que les administrations municipales transféreront plusieurs services de proximité au secteur privé afin de faire des économies et de rechercher des gains de productivité, des manières de faire prônées par l’OCDE, qui plaide pour une meilleure gestion du secteur privé en encourageant le calque des manières de faire et de la culture du secteur privé dans le secteur public. Ces nouvelles manières de faire qui favorisent une révolution au sein de l’Administration publique auront deux conséquences principales : d’abord, une perte d’expertise historique pour les administrations publiques, qui voient plusieurs experts, professionnels et gestionnaires jusque-là à leur emploi passer au service des entreprises privées ; ensuite, l’effacement progressif de la frontière qui avait été jusqu’à ce moment assez claire entre le privé et le public.

    Dans ce dernier cas, l’effacement des frontières va générer un nouveau phénomène que l’on qualifiera de « portes tournantes », phénomène qui consiste au passage continuel de personnels de l’administration publique vers le secteur privé avant de revenir à l’emploi de l’administration publique pour de courtes périodes. En encourageant ces nouvelles manières de faire, l’OCDE a tout simplement encouragé la disparition, ou à tout le moins la réduction, des modes de régulation étatique, transférant sur les seuls agents publics le poids de la responsabilité des décisions, et la gestion quotidienne de l’État, avec à la clé une augmentation de ces fameux scandales cachant enrichissement personnel, corruption et conflits d’intérêts multiples. C’est pour faire face à ces nombreux dérapages que l’OCDE a ensuite encouragé ces mêmes États à développer de nouvelles stratégies régulatoires pour encadrer le travail des agents publics. Et ces stratégies régulatoires se sont traduites par l’adoption de lois et la création d’une kyrielle d’organismes publics visant à encadrer les comportements des agents publics et à promouvoir l’éthique.

    Bien que ces stratégies régulatoires soient d’autant plus nécessaires que la démocratie a besoin de garde-fous pour rester saine et faire primer l’intérêt public sur les intérêts individuels (Walzer, 2003 ; Anctil, Robichaud et Turmel, 2012), elles ne sont pas pour autant sans soulever des questions quant à leur finalité et aux missions confiées aux nouveaux organismes. Face aux mutations culturelles et aux transformations sociales, nos États peinent à réguler les comportements des acteurs sociaux, comme en témoignent les scandales politico-administratifs (Boisvert, 2009) et l’augmentation de la défiance à l’égard des institutions publiques (Pharr et Putnam, 2000). C’est dans ce contexte que les recherches pour comprendre les phénomènes émergents de corruption se sont développées (Lascoumes, 2011) et que les mesures administratives pour les tempérer par une démarche relative au contrôle de l’intégrité des agents publics ont gagné en popularité (Anechiarico et Segal, 2010). Pourtant, selon une recherche de Boisvert (2009), les politiciens québécois et canadiens se sentent peu concernés par ces scandales politico-administratifs. Tout au plus reconnaissent-ils une responsabilité à l’administration publique et cherchent-ils à pallier cette faiblesse en développant des programmes répondant aux recommandations de l’OCDE (1998a, 1998b) et à ses 12 principes visant à contrôler les comportements des agents public (Menzel, 2009). Et on peut penser que cette indifférence de nos femmes et hommes publics est sensiblement partagée dans la plupart des pays membres de l’OCDE.

    Puisque la confiance à l’égard des élus et des hauts fonctionnaires est liée à une certaine forme de prévisibilité et d’attentes positives à l’égard de l’autre selon Luhman (2006), les différentes mesures ont tout naturellement pris la forme de normes à suivre et de modèles d’intégrité devant être respectés. Autant de démarches qui sont de nouvelles formes de gouvernance répondant à de nouvelles normes pour pallier les comportements déviants de certains hauts fonctionnaires et politiciens (Seidman, 1941). Mais comme plusieurs chercheurs le mentionnent (Bégin, 2009 ; Lacroix, 2011 ; Pope, 2000 ; Menzel, 2007 ; Kremer Marietti, 1995), ces approches hautement déontologiques et comportementalistes font très peu de place à l’éthique, malgré le libellé des mesures. Et cela est en grande partie dû au fait que toutes ces approches portent sur la répression et les changements de comportement sans prendre en compte la culture présente dans les institutions, même si de nombreuses études ont montré que la répression seule ne fonctionnait pas (Pope, 2000a, 2000b ; Anechiarico et Jacobs, 1996). D’où l’importance de développer une infrastructure éthique prenant en compte une pluralité de facteurs et d’indicateurs, pour agir sur le plan institutionnel et auprès des titulaires de charges publiques et traduire correctement les besoins des nouvelles formes de gouvernance (Ost et Van de Kerchove, 2010 ; Supiot, 2018). C’est alors le design institutionnel des infrastructures éthiques qui doit être analysé.

    On doit à Pope et au groupe Transparency international l’élaboration de la notion d’infrastructure éthique, notion largement utilisée par le groupe PUMA de l’OCDE qui insiste beaucoup pour faire le lien entre la modernisation des modes de gouvernance (Paquet 2011) et le recours à l’éthique largement associé au concept d’intégrité (Hoekstra et Kaptein, 2012). Dans les faits, les notions d’intégrité et d’infrastructure éthique soulèvent toutes deux d’importantes questions puisque, selon Huberts et Six (2012), la notion d’intégrité recouvre neuf composantes et de multiples sens, tandis que la notion d’infrastructure éthique recouvre de nombreux enjeux selon Pope (2000a, 2000b). De la même manière, l’imbrication de ces deux notions au sein d’une approche répondant aux besoins actuels d’encadrements administratifs des titulaires de charges publiques soulève aussi des problèmes de fond, tandis que les infrastructures éthiques développées au Québec et au Canada lors des 30 dernières années ont d’abord eu pour fonction de répondre à des impératifs politiques plutôt qu’à une logique d’encadrement. C’est pourquoi il nous faut aborder de front ces trois questions, soit les infrastructures existantes au Québec et au Canada, de même que les approches scandinaves pour les comparer avec les premières, puisqu’elles servent souvent de référent pour l’OCDE, les modèles d’infrastructure ayant été théorisés par les chercheurs et la conception de l’éthique pouvant servir à articuler ces modèles pour les rendre efficaces et en phase avec les impératifs du terrain.

    Au Québec, il existe plusieurs organismes chargés de réguler la dimension éthique de l’espace public (p. ex. Vérificateur général du Québec, Directeur général des élections, Commissaire au lobbyisme, président de la Commission de la fonction publique, Commission d’accès à l’information et Commissaire à l’éthique et à la déontologie) tandis que plusieurs mesures existent au Canada (Registre des lobbyistes, qui est accessible au public ; mécanisme de dénonciation pour les personnes ayant été témoins d’un acte allant à l’encontre des lois et des codes de conduite ; lois visant le comportement des titulaires de charge publique ; impossibilité pour un ancien titulaire de charge publique d’effectuer le lobbying face à son ancien employeur durant un certain temps). Ces mesures et institutions renvoient au phénomène d’institutionnalisation de l’éthique qui a généré une infrastructure éthique. Cette infrastructure éthique repose sur des dispositifs en tout genre qui peuvent prendre la forme d’organisations chargées d’assurer la conformité des agents publics, de mettre en place des processus administratifs qui servent surtout à exercer différents contrôles, ou encore d’élaborer des stratégies de socialisation visant la loyauté des employés (Boisvert, 2011b) ou de développer des institutions réflexives (Maesschalck et Bertok, 2011). Dans tous les cas de figure, la réactualisation de l’éthique au sein des administrations publiques doit se faire en deux temps : repenser le design des infrastructures et s’assurer que la réception est possible, ce qui implique de considérer que la culture permet l’éclosion d’une réflexion éthique au sein des administrations publiques. Cela est d’autant plus important que l’infrastructure qui s’est développée au Québec et au Canada renvoie souvent à diverses compréhensions de l’éthique et repose sur des finalités tout aussi diverses. C’est pourquoi il faut d’abord répertorier les infrastructures existantes, pour ensuite déterminer et analyser leurs finalités et leur efficacité afin de réconcilier les besoins de conformité et d’intégrité dans la gestion publique, pour enfin les comparer aux modèles de référence que sont les modèles scandinaves.

    Plusieurs recherches ont été menées sur les national integrity systems (Head, Brown et Connors, 2008 ; Johnson, 2004 ; Pope, 2000a ; Sampford, Smith et Brown, 2005) afin de cartographier les systèmes de contrôle éthique existants. Et c’est l’OCDE qui est en partie à l’origine de ce travail en cherchant à imposer un standard de validation de la gouvernance des États depuis la fin des années 1990 avec sa proposition d’une infrastructure de l’éthique dans le service public, standard qui concerne les trois piliers essentiels de l’éthique : 1) les instruments ; 2) les processus ; 3) les structures (ou infrastructures). À défaut d’entériner ces standards, plusieurs chercheurs (Johnston et Segal, 2010 ; Six et Vander Veen, 2012) reconnaissent la nécessité de développer un réseau, ou une infrastructure éthique, qui permet aux États de répondre aux besoins de la population tout en résolvant les problèmes éthiques. Les réformes qui en ont découlé ont favorisé la mise en place de modes de gestion par résultats au sein des administrations publiques, de même que le développement de partenariats avec le privé et l’attribution d’une marge de manœuvre accrue aux titulaires de charges publiques (Menzel, 2007 ; Jacob, Imbeau et Bélanger, 2011).

    La proposition de l’OCDE, qui vise essentiellement à éliminer les comportements indésirables, reste confinée à une logique de conformité assimilée à « une relation sociale par laquelle un acteur […] parvient à imposer, restreindre ou empêcher […] un comportement d’un autre acteur […] » (Bélanger et Lemieux, 2002, p. 35). L’éthique au sein de l’administration publique s’est par conséquent beaucoup développée sur le mode de la réaction et comme un outil politique servant à légitimer l’action pour conserver le pouvoir. Pourtant, selon Anechiarico et Segal (2010), il existerait trois types d’infrastructure éthique (ou integrity network) mettant l’accent sur des aspects très différents de l’institutionnalisation de l’éthique. Ils qualifient le premier type de law enforcement network, qui est fondé sur les relations qu’une institution de contrôle comme l’inspecteur général (IG) peut avoir avec les autres institutions pour renforcer les enquêtes et développer des audits. Il s’agit bien alors de renforcer la loi pour lutter contre la corruption. Le deuxième type est qualifié de law enforcement and administrative deterrence networks et consiste à renforcer les contrôles comme le premier type, tout en formant les agents publics et en s’assurant de la mise en place des contrôles. On parlera ici d’une approche fondée sur l’« intégrité publique » qui mise sur la lutte contre la corruption et sur la formation. Le troisième type, enfin, est qualifié de integrated enforcement and administrative assesment network. Il est fondé sur le renforcement des lois et le développement d’agences d’enquête, tout en encourageant la coopération avec les gestionnaires dont les méthodes seront basées sur l’intégrité et l’efficience. Bien que différentes dans leur démarche et leur finalité, ces approches sont complémentaires selon Menzel (2007), d’où l’importance de mieux comprendre leurs a priori conceptuels et méthodologiques, de même que leurs conditions d’application afin d’évaluer leur cohérence conceptuelle, tout autant que leur capacité d’être déployées de manière concomitante. Cela est d’autant plus important que la seule étude des infrastructures institutionnelles ne suffit pas pour comprendre leur échec (Pope, 2000 ; Langseth et al., 1997). Il est en effet clair pour les chercheurs qu’il faut jumeler ce travail à une réflexion de fond sur le management et l’intégrité (Klijn, 2007), comme le reflète la typologie d’Anechiarico et Segal (2010). Il faut par conséquent étudier l’infrastructure éthique et la culture (Brown et Nisa, 2005) dans lesquelles elle sera appelée à fonctionner afin de s’assurer que l’infrastructure réponde aux besoins des agents publics tout autant qu’aux attentes de conformité de la population à l’endroit des titulaires de charges publiques et au contexte culturel et institutionnel qui lui servira d’écrin. Certaines conditions requises pour qu’une infrastructure éthique puisse être développée avec succès, et en coordination avec les modes de gestion au sein des entreprises publiques, ont ainsi été déterminées par Kickert, Klijn et Koppenjan (1997). Selon eux, les principaux éléments sur lesquels les administrations publiques devraient travailler seraient les suivants : l’aménagement du travail, l’organisation et la gestion des confrontations, le développement de procédure, l’avancement des moyens d’action, la médiation et l’arbitrage (Anechiarico et Segal, 2010). Pourtant, même en élargissant le spectre des approches relatives aux infrastructures éthiques, les approches esquissées connaissent encore des succès mitigés en raison des distorsions et des écarts constatés entre les cadres conceptuels déployés et les finalités attendues d’une infrastructure éthique.

    Ces échecs à réguler les comportements des individus peuvent alors être abordés d’au moins trois façons : en interrogeant les failles de ces institutions, ce qui suppose que le design de l’institution est inapproprié par rapport à la fin visée ; en interrogeant les défaillances des acteurs qui œuvrent au sein de l’institution (Hardin, 1996) ; en analysant la culture développée par l’institution pour en saisir l’orientation (Sutherland, 1983 ; Boltanski et Thévenot, 1991). Bien que légitime, chacune de ces orientations ne nous donne qu’une compréhension partielle du phénomène, ce qui nous empêche de les aborder séparément. En effet, si l’interrogation des failles de l’institution vaut en elle-même comme objet d’analyse, elle ne permet pas à elle seule de penser des correctifs efficaces de régulation des comportements éthiques des acteurs. Trop souvent, cette orientation s’en tient à une hypothèse d’arrière-plan selon laquelle il suffirait d’ajouter des contraintes normatives, là où les acteurs « moralement déficients » nuisent aux finalités de l’institution, pour obtenir les résultats souhaités. Or il est loin d’être certain que l’ajout de contraintes normatives suffise à la tâche (Lacroix, 2013, 2014), pas plus qu’il n’est certain que les nuisances soient toujours le fait d’acteurs moralement déficients (Lacroix, 2011, 2015). Quant à l’interrogation des défaillances des acteurs au sein de l’organisation, elle a également tendance à reposer sur des hypothèses qui ne sont que partiellement valides. Il est en effet trop souvent présumé que ces défaillances relèvent entièrement de la faiblesse de la volonté des acteurs, de l’incompréhension des règles et des conduites attendues des acteurs, ou d’un sens moral défaillant (Bégin, 2009). Cette lecture uniquement centrée sur l’acteur conduit à privilégier des modes d’intervention favorisant le développement d’attitudes et de dispositions morales (Oakley et Cocking, 2001) ou le jugement réflexif des acteurs. Enfin, la troisième lecture nous incite à remettre en question le type de culture dans laquelle l’action des titulaires de charges publiques s’inscrit. Malheureusement, ramener l’intervention au seul cadre culturel fait l’impasse sur la capacité de l’agent à interpréter ce cadre de référence, tout autant que sur celle de l’institution à le redéfinir. Nous croyons par conséquent que les hypothèses sur lesquelles s’appuient les trois orientations établies plus haut négligent le rôle des facteurs contextuels et organisationnels sur les conduites des acteurs. Voilà pourquoi il importe de penser ensemble les failles des institutions et les défaillances des acteurs.

    Dès 1988, Denhardt notait qu’au sein des administrations publiques, l’éthique souffrait d’un manque de cadre théorique (Smith, 2005). Et si les études et travaux de toutes sortes se sont succédé depuis, peu ont porté sur le cadre théorique, soit la définition d’une conception de l’éthique pouvant être jumelée à une conception du politique servant d’ancrage théorique à ces travaux. En revanche, l’éthique, l’intégrité et le management organisationnel ont fait l’objet de nombreuses recherches et généré des propositions intéressantes (Klitgaard, 1988 ; Menzel, 2005 ; Trevino, Brown et Pincu Hartman, 2003). La plupart insistent sur la nécessité de trouver un équilibre entre les approches liées à la conformité et celles mettant à l’avant-plan l’intégrité (Huberts et Six, 2012). Il appert également qu’au sein de l’administration publique, la notion d’intégrité est typiquement reliée aux notions de corruption, de mauvaise conduite et de mauvaise administration avec l’objectif d’établir une culture du comportement éthique, alors que la plupart des chercheurs prétendent que l’amélioration des infrastructures éthiques passe par le développement d’une culture éthique (Aulich, 2011). Pourvu que l’on s’entende sur la signification du terme, l’éthique peut en effet être comprise comme une compétence qui devrait se retrouver de facto dans le profil culturel des acteurs qui ont volontairement décidé d’occuper une charge publique. Aussi, c’est la capacité de l’acteur à réfléchir sur la portée de ses décisions et actions, ainsi que sa disposition à réguler sa conduite en fonction des attentes des parties prenantes qui constituent l’essence même de cette éthique. Dans une telle perspective, l’agent public doit intégrer l’environnement culturel, moral et politique (administratif) qui marque sa fonction afin de comprendre ce que l’on attend de lui et il doit développer des stratégies d’action répondant positivement à ces attentes (Aulich, 2011).

    Fort de ces constats sociohistoriques et conceptuels, nous souhaitons dresser le portrait actuel des infrastructures de l’intégrité et de l’éthique en Occident, en insistant sur la situation au Québec et au Canada tout d’abord. Un tel travail a déjà été fait en partie dans un ouvrage dirigé par Yves Boisvert et paru en 2011 (Boisvert, 2011a). Ce dernier s’était alors penché sur les recommandations de l’OCDE en ces matières avant d’exposer le développement de ces infrastructures selon une lecture historico-politique des événements, pour le Canada et le Québec. Cet ouvrage se voulait, de l’avis même de Boisvert, un livre d’introduction aux questions d’éthique de l’administration publique et le regard était surtout mis sur la dimension politique de ces administrations publiques en rappelant entre autres les nombreux scandales qui ont précédé l’adoption d’une infrastructure éthique. Tout en reprenant en bonne partie les divisions de Boisvert, tout spécialement en ce qui a trait aux trois premiers chapitres, le présent ouvrage vient en quelque sorte bonifier ce précédent livre. Nous reprenons ainsi dans la première partie les mêmes divisions que Boisvert avait faites alors : OCDE, Canada, Québec et les municipalités, tout en revisitant toutefois de manière quelque peu différente ces questions selon la lecture qu’en fait chaque auteur des chapitres.

    D’une certaine manière, le découpage des trois premiers chapitres du livre se veut assez standard. Il nous a ainsi semblé pertinent de rappeler dans le premier chapitre ce qui constitue les principaux cadres de référence internationalement reconnus en ces matières, soit ceux qui ont été mis de l’avant par l’OCDE. Cet organisme est en effet le principal producteur de normes, d’études et de recommandations en matière d’intégrité et d’éthique pour les États. C’est souvent, pour ne pas dire toujours, à partir des outils de référence produits par cet organisme que les États ont construit leur infrastructure visant à encadrer l’intégrité et à promouvoir l’éthique. Il revient à Boisvert de reprendre l’analyse qu’il en faisait dans son ouvrage de 2011 ainsi que dans d’autres textes parus depuis, en apportant de nouvelles précisions et en ajoutant de nouveaux commentaires. Une fois ces cadres de référence rappelés et discutés, Bégin et Boisvert abordent ces questions pour le Québec et ses municipalités dans le deuxième chapitre, à la lumière de la riche actualité politique qui a marqué le Québec depuis 2010, avec entre autres la publication du rapport de la commission Charbonneau. Reprenant la présentation des infrastructures depuis la fin du XXe siècle jusqu’à nos jours, c’est tout le déploiement des instituions relatives aux questions d’éthique et d’intégrité qui est passé en revue. Ces questions sont d’ailleurs abordées dans le troisième chapitre selon la même logique et en suivant la même grille que Bégin et Boisvert, mais elles concernent précisément le Canada. Ces premiers chapitres constituent la première partie de l’ouvrage. Nous aurions bien sûr pu élargir le portrait aux administrations publiques de chaque province et territoire du Canada, mais nous avons voulu d’abord nous concentrer sur ces deux pôles que sont le Canada et le Québec, reflétant d’une certaine manière deux traditions assez différentes, comme nous le verrons, deux manières de faire écho aux demandes et injonctions de l’OCDE. Deux manières aussi de concevoir le problème public que constituent l’infrastructure de l’intégrité et de l’éthique au sein d’une administration publique.

    Comme il nous semblait important d’élargir quelque peu les référentiels de l’intégrité et de l’éthique afin de présenter un portrait des principales initiatives prises par les différents pays membres de l’OCDE, nous complétons la présentation des infrastructures en matière d’éthique et d’intégrité en brossant un état des lieux de ce qui se fait dans les principaux pays de l’OCDE pour offrir quelques comparables. Nous présentons ainsi trois blocs de pays dans la seconde partie du livre. Nous les avons regroupés en fonction de trois grands ensembles géographiques où les infrastructures relatives à l’intégrité et à l’éthique ont été développées selon les logiques défendues par l’OCDE, soit les pays nordiques, les pays européens (Europe de l’Ouest) et les pays anglo-saxons. Pourquoi ces pays plutôt que d’autres ? Et pourquoi avoir insisté sur un noyau de pays pour chacun de ces regroupements ? D’abord, pour refléter des ensembles relativement homogènes et faire apparaître un certain nombre de lignes de force pour chaque ensemble, d’où le fait que certains pays ayant fait des choix plus audacieux dictés par leur situation unique, tel que l’Islande, ont été omis. De ce fait, le choix du premier groupe composé par les pays nordiques s’est imposé parce que ces pays sont sans doute le groupe de pays le plus avancé selon les indicateurs à notre disposition en ces matières. Les pays européens et les pays anglo-saxons, tenant de cultures assez différentes, ont suivi leur propre chemin et produit une infrastructure revêtant ses propres spécificités. Dans le cas des pays anglo-saxons, leur approche plus déontologique les distinguait assurément des pays européens. Les choix furent donc beaucoup plus disparates. Ces différents ensembles allaient nous permettre de présenter des blocs relativement homogènes quant à la manière d’encadrer l’intégrité et de promouvoir l’éthique.

    Pour pouvoir dégager des tendances et déterminer les principales caractéristiques des démarches et des mesures adoptées par ces pays regroupés au sein de ces cinq catégories (Canada, Québec, pays nordiques, pays européens et pays anglo-saxons), il nous est apparu important de regrouper les différentes mesures prises par les pays en six blocs bien définis, ce qui permettra au lecteur d’établir les comparaisons de manière plus rapide. Nous avons ainsi établi un premier bloc d’actions réalisées par les États en matière de lutte contre la corruption et la collusion. Le deuxième bloc retenu est celui des mesures consacrées à l’encadrement des conflits d’intérêts. Le troisième bloc est celui du lobbyisme. Ces trois premiers blocs sont les plus importants et aussi, souvent, les plus structurants pour encadrer les pratiques et promouvoir une culture responsable au sein des administrations publiques. Selon ce qui s’est fait dans les États, il nous a ensuite semblé opportun de consacrer un quatrième bloc aux mesures prises pour encadrer les pratiques des agents publics en ce qui a trait à la dénonciation et au traitement des plaintes. Un cinquième bloc concerne le financement des partis politiques et la transparence de l’État. Enfin, un sixième et dernier bloc est consacré aux dispositifs institutionnels, que ce soit des institutions créées de toutes pièces ou de simples politiques, adoptées pour promouvoir l’éthique au sein des administrations publiques. Ces regroupements ont ainsi servi à structurer la présentation des infrastructures en matière d’intégrité pour les chapitres deux à

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