De ouf
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Luitpold von Scharffenlow souffrait profondément de l’actuelle conjoncture mondiale. Sa noble famille s’était vue destituée de son incontestable statut mondain après avoir dilapidé sa fortune, quant à lui... Il était sans doute le trentenaire le plus paresseux de la planète Terre. Et il était bien loin de s’imaginer que des toilettes de chantier allaient bouleverser sa vie pour toujours… même si c’était bien son style, finalement.
« L’histoire la plus absurde de tous les temps »
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De ouf - A. A. Reichelt
C’est relou !
Pourquoi ce serait bien que le présent soit bientôt passé.
Poldi se réveilla à moitié vautré devant son canapé. Un film passait à la télé, dans lequel deux jeunes voyageurs dans le temps faisaient les expériences les plus bizarres.. En se redressant, il remarqua que son pantalon était mouillé. Il approcha son nez. Ce n’était pas de l’urine. De la bière. À côté de lui gisait une cannette vide.
« Bravo, le glandeur ! », ne put retenir son surmoi.
Luitpold von Scharffenlow souffrait profondément de l’actuelle conjoncture mondiale. Sa noble famille s’était vue destituée de son incontestable statut mondain après avoir dilapidé sa fortune, quant à lui... Il était sans doute le trentenaire le plus paresseux de la planète Terre. Voire de la Lune, si on partait du principe que celle-ci jouissait d’une importance similaire. Même Michael Collins, qui se baladait autour de la planète tandis que ses collègues Aldrin et Armstrong se risquaient à faire leurs premiers pas sur le sol sableux du satellite, avait accompli davantage dans la vie. On avait notamment donné son nom à une petite planète. Elle s’appelait « 6471 Collins ». Ce qui était nettement plus impressionnant que « 0815 Scharffenlow », étudiant en cinquième année de gestion d’entreprises et toujours aussi loin de sa licence que Collins de la surface de la Lune.
Ses envies avaient finalement cédé leur place à des besoins. Il ne rêvait pas d’une vie heureuse, d’une relation épanouissante ou d’un métier lucratif. Il n’était pas non plus disposé à faire quoi que ce soit pour couvrir lui-même les diverses dépenses dont il était à l’origine. Ses parents réglaient toutes ses factures et lui donnaient un peu d’argent de poche pour les nombreux manuels dont il avait régulièrement besoin pour la fac, mais qu’il n’achetait en réalité jamais.
À côté de lui dormait son pote Hansi. Son pantalon à lui aussi était mouillé. En le reniflant, Poldi eut un haut-le-cœur. Dégeu. De la limonade. Hansi buvait toujours du soda. Et s’endormait quand même sur place. Hansi, quoi.
L’appartement situé au troisième étage d’une barre d’immeubles en bordure de Francfort faisait, depuis des années, office de « solution temporaire au problème du logement ». Il n’y avait en effet rien de plus pérenne qu’une mesure provisoire.
Sa principale préoccupation du moment, c’était la chasse d’eau cassée des toilettes. Mais il n’aurait pas été un Von Scharffenlow s’il n’avait pas eu de solution à tout. Ses plantes vertes lui servaient ainsi d’urinoir (le ficus et le yucca avaient déjà subi des dommages considérables). Bien sûr, il avait aussi un lavabo. Mais pisser dedans le dégoûtait un peu. Le pire avait été évité grâce à la société de construction immobilière locale. En train de planifier un nouveau lotissement à même pas vingt mètres de l’entrée de son bâtiment, elle y avait installé un cabinet de toilettes mobile le jour-même de sa débâcle personnelle de WC. Ce sont ces mêmes toilettes de chantier qu’il utilisait depuis avec régularité et entrain.
Il y a des années de cela, sa mère lui avait offert un étendoir et des pinces à linge. Il utilisait ces dernières pour se boucher le nez lorsqu’il se rendait aux toilettes du chantier, afin que la puanteur ne pénètre pas ses narines. En bon Von Scharffenlow, il était en effet capable de se débrouiller. Récemment, il avait même vissé dans la paroi en plastique un petit porte-magazines, dans l’espoir que quelqu’un y glisse une revue un de ces jours. En vain, pour l’instant.
Alors que Poldi organisait son petit-déjeuner (en cherchant trois euros dans son porte-monnaie afin de s’acheter une saucisse au kiosque du magasin de bricolage), Hansi s’était réveillé à son tour.
« Faut que je pisse. À qui le tour : le ficus ou le yucca ? », demanda-t-il depuis le salon.
« Le chiotte du chantier !
— Le chiotte du chantier ?
— Le chiotte du chantier !
Poldi entendit son copain quitter l’appartement en grinchant.
« À partir de maintenant, une seule personne est autorisée à pisser dans le logement provisoire... ».
Le cul bordé de nouilles
Dans la vie, on ne peut pas avoir la poisse tout le temps. J’ai testé par moi-même !
« Il pue, le chiotte du chantier. »
Poldi était occupé à chercher sa deuxième chaussette quand Hansi lui balança sa phrase cinglante à la tronche.
« Va falloir t’y habituer. Le monde pue. Pas étonnant, vu comme il est merdique. »
Hansi leva les yeux au ciel.
« Ils sont en train de livrer un deuxième chiotte sur le chantier. »
Poldi enfila sa chaussure pied nu. Cette fois, c’est son ça qui prit la parole : « C’est ta chance. Il te suffit de coller un écriteau ‘Hors Service’ sur la porte et le chiotte t’appartiendra à toi seul !
— Tu ne peux pas faire ça. Ce n’est sans doute pas pour rien qu’ils ont commandé un deuxième WC. Ils en ont besoin eux-mêmes », contra le surmoi.
Il détestait ces querelles permanentes.
« Ça suffit ! » cria-t-il au milieu de la pièce. Mais du ça et du surmoi, personne ne se sentit visé. Juste Hansi.
« Oh, désolé... T’es de bonne humeur, dis ! Tu t’es levé du mauvais pied ?
— Je te parlais pas à toi. »
Hansi rentra dans la cuisine, vit son copain assis sur une chaise, un pied avec une chaussure sans chaussette, l’autre avec une chaussette sans chaussure.
« Levé du pied cinglé surtout », corrigea-t-il sa dernière phrase.
Poldi bondit, clopina avec son unique chaussure jusqu’à son « bureau » où il écrivit au feutre épais sur une feuille blanche « HORS SERVICE ! ». Il colla ensuite du ruban adhésif aux quatre coins avant de sortir de l’appartement.
Il était beau, le nouveau WC de chantier. Bleu. Tout neuf, vierge.
Il colla le papier sur la porte, bien au centre.
Un rouleau de ruban de signalisation trainait à côté d’une grande scie circulaire. Pour plus de sécurité, il enroula le cabinet entier avec la rubalise rouge et blanche. Puis contempla son œuvre, légèrement irrité par le « pfff » de son surmoi et les applaudissements du ça.
Il retourna chez lui le sourire aux lèvres. De nature, le Von Scharffenlow était un