Mémoires d'un policier profondément humain
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Lavallée Darcy
Ancien policier, Darcy Lavallée lève le voile sur un métier à la fois valorisé et critiqué. Ses mémoires nous laissent divertis, ébranlés, mais surtout admiratifs devant les efforts de ces hommes et femmes qui se donnent corps et âme pour nous servir et nous protéger.
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Mémoires d'un policier profondément humain - Lavallée Darcy
Aux policiers qui ont guidé mes premiers pas
À toutes les victimes
Ceux qui me connaissent, savent.
Ceux qui ne me connaissent pas, jugent.
Ceux qui pensent tout savoir de moi, se trompent.
Bouddha
Présentation
Dès notre plus jeune âge, on nous parle des policiers, parfois maladroitement, et du rôle qu’ils jouent dans la société. Si un enfant de cinq ans n’a aucune idée de ce qu’est un ergothérapeute, un fiscaliste ou un notaire, il sait très bien ce qu’est un policier. Le policier fait partie de notre univers personnel depuis notre plus tendre enfance. Il représente, physiquement, le combat entre le « bien » et le « mal ». C’est celui qui te protégera des méchants, même s’il ne te connaît pas ! Parce que, bien entendu, il fait partie des gentils. Et les gentils gagnent toujours à la fin ! Ouain, peut-être, mais souvent les gentils ne finissent pas forts, forts ! Ils sont un peu maganés !
Qu’on aime ou non les policiers, leur travail fascine et intrigue. Et paradoxalement, cette profession est l’une des plus méconnues du grand public, ou du moins ses acteurs le sont. Pourquoi donc ? Sans doute parce qu’on ne voit toujours qu’un seul côté de la médaille : le côté spectaculaire… ou présentable ! Ce que l’on veut bien vous montrer, finalement ! On en oublie l’humain derrière chaque policier…
Quoi qu’il en soit, nous avons tous notre propre vision du policier. Et à moins d’être soi-même policier, cette vision est très souvent erronée.
C’est donc en toute humilité que je vous présente ces quelques histoires tirées de ma carrière policière. Je n’ai pas choisi les événements en fonction de leur côté spectaculaire, mais bien pour leur diversité : agression armée, poursuite à pied, avis de décès, accident de la route, agressions sexuelles, personnes en détresse, etc. En fait, j’ai simplement mis sur le papier ce que vivent une multitude de policiers, tous les jours et de différentes façons.
Ces histoires sont survenues alors que j’étais policier pour la Sûreté municipale de Rouyn-Noranda ou pendant mes années de service à la Sûreté du Québec. Elles sont issues de mes expériences de patrouilleur ou de mon travail au Bureau des enquêtes criminelles. Et bien que ces anecdotes aient une saveur « locale », puisqu’elles ont toutes eu lieu à Rouyn-Noranda, elles auraient très bien pu se passer dans n’importe quelle ville du Québec… ou même ailleurs.
Je dois également préciser que les récits ne sont pas rapportés en ordre chronologique. Vous aurez donc l’occasion de voyager dans le temps, entre 1991 et la fin des années 2010. J’ai intentionnellement sauté, ici et là, d’une année à l’autre, pour faire alterner les anecdotes de patrouille et celles des enquêtes.
Certaines histoires sont cocasses, alors que d’autres sont tristes, dramatiques ou inusitées. Par l’entremise de ces récits, je vous ouvrirai une fenêtre sur mes réflexions. Je vous ferai part de mes impressions (parfois drôles), de mes craintes, frustrations, incompréhensions, émotions. Et tout ça comme si vous étiez dans ma tête ! Mais attention, le langage est parfois un peu cru !
En terminant, je sollicite bien humblement votre indulgence. Il ne faut pas oublier que certaines anecdotes sont arrivées il y a près de trente ans. Ma mémoire a pu me jouer des tours sur certains détails sans grande importance, par exemple sur la couleur de certains éléments ou sur la température. De plus, beaucoup de choses ont changé avec le temps. En retournant sur les lieux de certains événements, j’ai constaté que des sections de rues ont été fermées, que des feux de signalisation ont été ajoutés, que des terre-pleins ou autres infrastructures ont subi des modifications, etc. Quoi qu’il en soit, ces petites erreurs ne modifient en rien les anecdotes. Celles-ci sont véridiques, j’y ai participé.
Un bras dans le viaduc
L’histoire suivante est vraiment inusitée ! Elle est survenue en 1993. Patrouilleur, j’amorce ma troisième année de service pour la Sûreté municipale de Rouyn-Noranda. Le mois de juin débute à peine, mais déjà l’été s’annonce prometteur. C’est dimanche, il fait soleil ; la journée est parfaite.
Aujourd’hui, je travaille sur le quart de soir. Nous sommes en fin de journée et j’ai entrepris mon service il y a un peu plus d’une heure. Seul à bord de mon auto-patrouille, je circule au centre-ville au moment où je reçois un appel de la centrale :
— Véhicule 1-07 pour la centrale.
— 10-01 (à l’écoute), véhicule 1-07.
— Oui, véhicule 1-07, il faudrait aller récupérer un bras dans le viaduc de Rouyn.
« Récupérer un bras » ? « Dans le viaduc » ? Pourquoi y aurait-il un bras dans le viaduc ? Je ne suis vraiment pas certain d’avoir bien compris.
— Centrale, pouvez-vous répéter ? Je ne suis pas certain d’avoir bien compris.
— Il y aurait un bras dans le viaduc, il faudrait aller le récupérer !
— Euh… Avez-vous plus de détails ?
— Pas vraiment. C’est l’hôpital qui a appelé. L’employé a demandé qu’on aille récupérer un bras dans le viaduc, et il a raccroché. Je n’en sais pas plus.
— 10-04 (message compris). En direction.
Étant déjà au centre-ville, je me trouve à moins d’une minute du viaduc en question. Je me rends rapidement sur les lieux. Mais un viaduc, ça paraît grand quand il faut y chercher un bras. Celui-ci possède deux voies de circulation de chaque côté d’un terre-plein. En ce beau dimanche, il y a beaucoup de circulation automobile et, en plus, je ne sais pas où se trouve exactement le fameux bras.
Je passe une première fois en direction ouest dans le viaduc, mais je ne vois rien qui ressemble de près ou de loin à un bras. Je reviens ensuite dans l’autre sens. Toujours rien ! Je passe une deuxième fois en direction ouest dans le viaduc… et toujours pas de bras !
Je suis en mode « urgence » et mon cerveau tourne à 100 km/h ! C’est quoi, cette histoire-là ? Il est où, le foutu bras ? Pendant une seconde ou deux, je m’imagine qu’il s’agit peut-être d’une mauvaise blague. Mais non, car c’est l’hôpital qui a appelé la centrale. Et le fait que l’employé ait raccroché, sans donner plus d’information, n’est pas vraiment une surprise. Ce n’est pas la première fois que les employés de l’établissement agissent ainsi lorsqu’il y a urgence. Quoi qu’il en soit, le constable Bégin nous informe sur les ondes radio qu’il s’en va au centre hospitalier pour tenter d’obtenir plus d’information.
Toute cette histoire se passe très rapidement. De mon côté, je suis toujours à la recherche du bras. Le constable Marsan est venu me rejoindre au viaduc pour participer aux recherches. Nous devons songer à tous les scénarios possibles :
« Il y a un chemin de fer qui passe sur le viaduc. Peut-être que quelqu’un s’est fait sectionner le bras par un train qui circulait sur la voie ferrée ? » Je me rends donc sur la voie ferrée.
« Il y a une cour à bois du côté nord du viaduc. Peut-être que quelqu’un s’est passé le bras dans un banc de scie par accident ? » Le constable Marsan va dans la cour à bois pour vérifier notre hypothèse.
Mon collègue et moi, nous sommes maintenant en haut du viaduc, un de chaque côté, ce qui nous donne une vue en plongée de celui-ci. Je suis à pied, et je marche quelques mètres le long de la voie ferrée. Puis, finalement, le constable Marsan communique avec moi sur les ondes radio. Je peux l’apercevoir de l’autre côté du viaduc, mais il est trop loin pour me parler de vive voix. Il s’écrie sur un ton énervé :
— Je le vois ! Il est dans la voie de circulation. Les véhicules passent dessus !
Pendant qu’il me parle, le constable Marsan montre du doigt l’endroit où se trouve le bras. Je localise rapidement ce dernier. Effectivement, les automobilistes circulent sur « l’objet » ; sans même s’en rendre compte. Moi-même, quelques instants plus tôt, j’ai probablement fait la même chose…
Au pas de course, je retourne à mon auto-patrouille dans le but de redescendre dans le viaduc. Idéalement, il faudrait récupérer le bras avant que toute la ville soit passée dessus. Rapidement, j’effectue une manœuvre de recul et… bang ! J’accroche un poteau de clôture ! Ce qui cause de légers dommages à mon auto-patrouille. Bravo, champion, je suis très fier de toi !
Finalement, je parviens à me rendre jusqu’au bras. Je bloque complètement la voie de circulation de gauche pour éviter que d’autres véhicules ne l’écrasent. Évidemment, à la vue de l’auto-patrouille, la réaction des automobilistes est immédiate. Ils cherchent à comprendre ce qui se passe… jusqu’à ce qu’ils aperçoivent le bras sur le pavé. Et celui-ci est salement amoché ! Là aussi, la réaction est immédiate : j’ai droit à une parade de grimaces de toutes sortes. Je me rappelle même une femme qui, en passant à mes côtés, m’avait donné l’impression qu’elle allait vomir dans son véhicule. Ce qu’elle a probablement fait…
Au même moment, le constable Bégin revient du centre hospitalier. Il a apporté un sac de glace. Il s’amène à pied à ma rencontre, avec le sac de glace bien ouvert, afin que j’y dépose le bras. Et là, c’est le petit côté drôle de l’histoire : qui va ramasser le bras ? Pour ma part, je n’y tiens pas tellement !
Je lance au constable Bégin :
— Donne-moi le sac, Georges, j’vais le tenir.
— Ah ben non, c’est moi qui tiens le sac !
— Niaise pas, Georges, je vais tenir le sac pour toi.
— Pas besoin, je le tiens déjà ! Toi, ramasse le bras, t’as déjà tes gants !
« T’as déjà tes gants ! » C’est une des rares fois où j’ai regretté d’avoir mis mes gants aussi rapidement ! Mais cette petite discussion dura à peine quelques secondes.
Donc, je m’accroupis pour ramasser le bras. Sauf que, maintenant, je le cueille comment, ce fameux bras ? En le prenant par la main ? Il est positionné paume contre le sol. Lorsque je vais le récupérer, va-t-il se retourner soudainement pour saisir mon propre bras, comme dans le film Carrie ? Bon, je divague un peu, là ! Mais essayez de vous imaginer les scénarios qui me passaient par la tête…
Je prends donc le bras, en le tenant près du coude et par le dessus de la main, et le dépose dans le sac de glace. Ensuite, le constable Bégin quitte immédiatement les lieux en direction de l’hôpital, avec le sac de glace et son précieux contenu. Malheureusement, la victime apprend qu’il n’y a plus rien à faire avec le membre. Le bras est pratiquement en lambeaux, surtout près du coude. La victime devra en faire son deuil.
Une fois mon intervention terminée dans le viaduc, je me rends au centre hospitalier où se trouve le constable Bégin. On lui a confié l’enquête dans ce dossier. Je ne sais toujours pas ce qui s’est passé. Le constable Bégin m’informe qu’une automobile est impliquée dans cet événement. Celle-ci se trouve justement dans le stationnement de l’hôpital. Impossible de se tromper de véhicule ; il est facilement repérable. Une fois près de lui, je suis surpris de voir autant de sang à l’intérieur. Il y en a partout !
Finalement, l’enquête du constable Bégin nous a permis d’établir les faits :
L’homme qui a perdu son bras était assis à l’avant dans une Pontiac Sunbird conduite par un de ses amis. Étant donné la superbe température, les deux occupants du véhicule se promenaient avec les fenêtres ouvertes. Le bras droit du passager reposait sur le bord de la fenêtre, comme il nous arrive tous de le faire l’été en voiture.
Les deux amis avaient tout d’abord circulé sur la 15e Rue, en direction sud. Ils avaient ensuite tourné à gauche, sur le boulevard Rideau, pour emprunter le viaduc en direction est. En effectuant sa manœuvre, le conducteur avait abordé le virage trop largement… et possiblement trop vite. Le véhicule avait été déporté vers la droite sur une certaine distance. Celui-ci avait alors frotté contre le mur de ciment à l’intérieur du viaduc. Sous l’impact, le bras de la victime s’était tendu à l’extérieur du véhicule et s’était coincé entre deux barreaux du parapet de métal longeant la voie piétonnière. Vous pouvez imaginer la suite… Le démembrement avait été instantané.
Plus tard, en retournant examiner la scène, le constable Bégin et moi avions constaté la présence d’une mince traînée de sang, de chair et de petits morceaux d’os sur une bonne partie du parapet.
À la suite de l’incident, le conducteur du véhicule avait préféré se rendre directement au centre hospitalier. La victime était semi-consciente et perdait énormément de sang. Dans ce cas précis, c’était probablement la bonne décision à prendre.
Des accusations de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles furent déposées contre le conducteur de la Sunbird. Celui-ci prétexta qu’un véhicule, qui roulait trop près de lui, l’avait forcé à effectuer une manœuvre vers la droite.
À ma connaissance, il plaida coupable aux accusations portées contre lui.
Le beau et la bête
L’histoire suivante est survenue en 2010. À cette époque, je fais partie du Bureau des enquêtes du poste de la Sûreté du Québec à Rouyn-Noranda. Par le passé, j’ai reçu une formation sur les crimes à caractère sexuel, alors la plupart des dossiers qu’on me confie concernent des crimes sexuels.
Un bureau d’enquête, c’est une équipe d’enquêteurs et d’enquêteuses à qui on assigne des dossiers d’enquête individuellement, mais qui partagent toutefois plusieurs tâches. Dans certains dossiers, il est pratiquement impossible de tout faire soi-même. C’est donc dire qu’un seul enquêteur est responsable du dossier, et du cheminement qu’il entend lui donner, mais il peut requérir l’assistance de ses collègues selon les tâches à effectuer.
Par une belle journée de juin 2010, mon confrère, le sergent Bellemare, me demande de l’aider dans l’un de ses dossiers.
La majorité des dossiers du sergent Bellemare concernait des crimes à caractère sexuel. Il était mon principal partenaire dans ce genre de cas, alors j’étais heureux de lui donner un coup de main lorsqu’il sollicitait mon aide. Sauf que, cette fois, sa requête est plutôt inattendue.
Celui-ci commence par me demander si je peux interroger le suspect dans son dossier. « Bien sûr ! » lui dis-je, surtout que l’interrogatoire de suspects était l’une des parties de mon travail que j’aimais beaucoup.
Bien entendu, je m’informe :
— Et c’est