La vie au Conte-Gouttes: Dessins, fragments et analectes, les miscellanées de Mr Charles
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About this ebook
Ici, l’histoire du musicien se mêle à la fiction, à travers sa rencontre avec Amir, jeune Français d’origine maghrébine. Entre incompréhension initiale et respect mutuel, à la croisée d’univers si dissemblables, l’auteur lui enseignera la technique de la batterie, lui fera découvrir la musique, l’amour du jazz, à ses yeux expression de liberté, et de fil en aiguille… la vie.
Parallèlement, Charles Benarroch nous relate la chronique du Conte Gouttes, un bar à vins de banlieue à l’ancienne, avec son patron, sa patronne… et Momo, vieux prof à la retraite, personnage haut en couleur qui boit bien son coup et trinque avec l’auteur, en débattant et polémiquant sur l’actualité, la littérature, la philosophie, l’amour, la vieillesse et le monde tel qu’il va... Le tout est agrémenté de dessins d’humour et de presse, de photos souvenirs, de portraits et caricatures, tous de la main de l’auteur.
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La vie au Conte-Gouttes - Charles Benarroch
La vie au Conte-Gouttes
Charles Benarroch
La vie au Conte-Gouttes
Dessins, fragments et analectes, les miscellanées de Mr Charles
Journal
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2023
ISBN : 978-2-312-13247-1
À Lucile, ma femme, ma mère, mon amante,
ma sœur-jumelle, mon amie fidèle, sans elle la vie
serait un désert aride, un monde dépeuplé...
« Combien de récits simultanés un lecteur consentirait-il à suivre ? »
Hervé Le Tellier
« L’anomalie »
« Le plus artiste sera d’écrire par petits bonds, sur cent sujets qui surgissent à l’improviste, d’émietter pour ainsi dire sa pensée. De la sorte rien n’est forcé.
Tout a le charme du naturel.
On ne provoque pas : on attend. »
Jules Renard.
« Journal 1887-1910 »
Prologue
Longtemps, je me suis levé de bonne heure.
Quotidienne, sempiternelle ou rabâchée,
Chacune de nos actions est unique.
Chaque lever, un miracle en soi…
Sitôt debout, je vais risquer un œil à la fenêtre.
Sous son ciel de traîne la rue est déserte et glacée.
Tout est à sa place.
Rien à signaler.
D’habitude rassuré, confiant, je file me recoucher.
Mais vendredi, c’était le jour des encombrants !
Il faisait sacrément froid.
Par moins cinq degrés en dessous du zéro, j’ai passé la matinée dehors à attendre le camion-benne.
Personne ne m’a ramassé.
Pas facile de se débarrasser de soi…
J’ai rêvé n’être qu’un passant sachant passer.
J’aurai aimé faire ça léger, vif et vite avant l’enlisement essoufflé. Trépasser dans la jeunesse de mon corps/esprit, déchirer le ciel comme un météore fou, frotter la chair de ma matière en fusion, me perdre encore chaud et spumescent entre les cuisses de l’atmosphère.
Tout, sauf mourir longtemps…
« Vivre vite, mourir jeune, et faire un beau cadavre » Telle était la devise de l’auteur afro-américain Willard Motley. »
Ci-gît, les 6 J dont deux pour Janis Joplin. Robert Johnson. Brian Jones. Jimi Hendrix. Jim Morrison, tous morts à 27 ans.
En ce qui concerne mon admission au « Forever 27 Club » c’est raté !…
SALUT L’ARTISTE !…
On m’avait invité sur France inter.
Il allait de soi qu’il s’agirait d’évoquer Jacques Higelin et notre groupe BBH 75. Le tout premier vrai groupe de rock français !
Voilà ! C’est dit !
J’étais un des B, lui c’était le H, parti depuis peu, la tête dans les étoiles, en maraude dans les labyrinthes célestes, avec ses anges et ses démons.
À l’annonce de sa mort, je n’ai d’abord pas saisi ce que les infos ressassaient en boucle…
Impossible de relier Jacques à cet événement. Lui si bondissant, si créatif, si crispant, si vivant !
Gros Blues…
J’ai déambulé, me suis tordu les chevilles dans les allées du Père-Lachaise. J’ai suivi, en vain, des groupes d’inconnus se dirigeant vers un point de rendez-vous cérémoniel tacite avant l’inhumation. Pas vu un seul visage ami.
Encore tiède il ne nous appartenait déjà plus.
J’ai abandonné son public à sa dévoration dévotionnelle. Rentré chez moi, j’ai bu ma ration de rhum pour le mois, écouté mon vieux vinyle en boucle :
« Boxon »
« Est-ce-que ma guitare est un fusil ?! »
« Mona Lisa Klaxon »
Etc.
Ça n’avait pas pris deux rides…
img1.pngJacques Higelin & Charles Benarroch – Année 74-75.{1}
LE PUTAIN DE FILM
Ce jour-là à France Inter, il ne s’agissait pas de la mort d’Higelin, mais des 90 ans nous séparant de la naissance de Gainsbarre et des quelques jours passés avec lui pour enregistrer la musique de Tenue de soirée « le Putain de film ».
Autour de la table truffée de micros, des biographes, musicologues, écrivains, des gens savants sélectionnés par Laurent Goumarre notre hôte.
Nous étions censés évoquer l’homme à tête de chou.
Les gens savants « savaient » tout sur lui et sur tout, beaucoup plus et bien mieux formulé que moi.
Intimidant !
Mais en vrai, aucun d’eux n’avait réellement approché Serge. Aucun d’eux n’avait parlé, échangé, dîné et encore moins collaboré artistiquement, ou saisi son humanité, son génie si particulier et son désespoir…
img2.jpgAMIR
L’œil du gamin…
De tous les agités de ma rue, Amir est le seul à avoir ce feu noir avec ces petites poussières d’étoiles vives qui brillent dedans tout le temps.
Il est intrusif et casse-bonbons, mais avec lui j’arrive à faire le point, un petit peu sur ce-que-je-sais, un max sur le reste…
Il te pose des questions plus vite qu’une Kalach, certaines rafales qu’il balance te tueraient tout pareil :
« T’en fumes toi des djockos ?
– J’ai arrêté les clopes et le reste depuis longtemps…
– J’ai un voisin qui fait facteur à la poste, il te connaît ! Il livre des vinyles en recommandé chez toi.
– J’en reçois souvent…
– Il dit que t’as fait musicien avec des stars super connues.
– C’est vrai…
– Mais genre quoi ? Booba, Maître Gims, Nekfeu ou style variétoche Pokora ?
– Non, c’était plutôt Dutronc, Souchon, Julien Clerc, Higelin…
– Ah ouais que des vieux !
– Ils sont toujours debout !…
– Il dit que Benarroch c’est juif comme nom.
– Oui c’est vrai…
– Alors t’es riche.
– Pas spécialement…
– Mais alors c’est pourquoi faire ?
– Pourquoi faire quoi ?
– C’est pourquoi faire que t’es juif !!
– …
T’es né musulman et je suis né juif.
C’est comme ça, il n’y a ni honte ni fierté là-dedans ! »
Comment lui expliquer ma façon de vivre ce bazar, d’accommoder cette regrettable et tragique invention ?
De tout temps, au même titre que le nationalisme ou l’idéologie, ce truc a divisé l’humanité et provoqué des catastrophes.
Lier/religare/relier,
Étymologie-mon-cul !
« Guerre de religions »
Dans l’aberration dramatique de cette association de mots, tout est dit !
« Moi je n’ai guère de religion. »
Voilà l’aveu que m’a soutiré intra-muros, l’éternel petit juif que j’héberge et trimballe depuis le début, même si la fidélité à l’âme de mon peuple est indéfectible.
Je ne rends visite à Dieu que poussé par la crue de mes tourments. Lorsque trop de questions trouvent portes closes. Lorsque le flot de mes doutes déborde le lit de mes certitudes.
Les poètes, les écrivains, les artistes sont mes vrais coreligionnaires. Jaune, marron rouge noir ou blanc, les musiciens ne se préoccupent pas de couleurs de peaux, de race, ou de religion. Entre nous pas d’à priori, pas de discrimination.
Les maîtres mots : partager, s’enrichir de la culture de l’autre, échanger, mixer nos savoirs.
– Prends Daniel Barenboïm et Edward Saïd par exemple. Ils ont réussi un miracle ! Fonder et diriger le « West-Eastern Divan Orchestra », un orchestre symphonique composé de Palestiniens et d’Israéliens, aux pires heures du conflit au Moyen-Orient, avec pour seul critère : pouvoir jouer et générer ensemble un univers sonore harmonieux.
img3.jpgJe ne sais pas si Amir a bien tout compris.
Le voilà déjà reparti sur ses questions qui fâchent :
« Tu penses quoi toi des migrants, Pourquoi ils viennent tous ici ?
– Certains sont ici parce que la France était là-bas…
Ils sont chassés de chez eux par la misère, la sécheresse, la famine, la corruption, la guerre, les épidémies, les violences, les viols.
Ils fuient leur pays parce qu’ils espèrent vivre mieux ici, mais ils sont trop nombreux alors on les laisse traîner dehors ou dans des camps par manque de moyens ou d’humanité.
D’abord il faudrait les aider à rester au pays…
Migrant, c’est un miroir tendu aux types comme moi, migrant c’est le scandale et la honte ! »
Je l’ai emmené métro Stalingrad dans un couloir de correspondance avec des courants d’air pas possibles et des gens qui vont et viennent dans tous les sens.
Sur un carton j’ai écrit : « Réfugiés Syriens. On a faim ! »
Nous avons tenu le carton à tour de rôle.
Au bout d’une heure, on avait récolté un euro, deux pièces de cinquante, un ticket de métro et des centaines de regards.
Certains indifférents, d’autres carrément haineux.
Au retour Amir a dit :
« Derrière ton carton j’ai vu les yeux des gens et j’ai compris comment c’est « migrant ! »
img4.jpgDéraisonner c’est facile, mais la raison c’est plus compliqué. Faire l’expérience de l’autre, l’expérimenter dans sa chair.
RAY CHARLES
Cet épisode me renvoie à cet été 86 à Sablé-sur-Sarthe.
Pour nos vacances on nous avait prêté une énorme maison.
Nous avions rameuté famille, amis proches et leurs enfants.
Nous nous baignions dans les eaux encore avenantes et pures de la Sarthe qui murmurait au bout du vaste jardin.
Au menu, ping-pong, baby-foot, taper dans un ballon de mousse, tricher aux cartes, bâfrer, s’engueuler, se disputer l’unique hamac et s’évanouir accablés, le temps d’une sieste.
Nous nous perdions dans la campagne mais la rivière nous ramenait à bon port à travers l’entrelacs reptilien de ses boucles. Cet été-là fut l’été de l’innocence retrouvée…
Mon dernier été d’adulte de huit ans.
Parmi les enfants, Vincent, l’ami d’enfance de notre neveu Yannis.
Le fils que Ray Charles a eu avec Anne Gregory, française et parolière.
Lors de l’une de nos balades au centre-ville, j’eu l’idée farfelue d’organiser un jeu… Les faire marcher les yeux fermés et se fier à moi pour les guider.
Juste un moment d’inattention, une distraction, et Vincent est allé heurter un poteau électrique en fer qui orna son front d’une petite bosse bleue.
Faire ça au fils du génial chanteur « aveugle »
Ballot, confus, coupable, j’ai réfléchi plus tard à la portée de cet incident. La pensée qu’il ait pu saisir en ce court instant, la vie de son père dans le noir, ne m’a pas évité de ployer sous mes reproches.
LITTÉRATURE
Un ami écrivain et musicien de jazz que j’appréciais au point de lui confier en toute confiance mon premier manuscrit, m’avait dit, sans l’avoir lu vraiment, à peine feuilleté :
« Pas littéraire ! »
Il s’agissait du récit de ma vie{2}.
La littérature n’était pas mon propos. Ça m’avait mis dans une de ces rognes !!
Mon orgueil blessé a secrété une hémorragie interne revancharde :
– Ouais ! C’est l’attitude classique de l’aristo éduqué à la méritocratie biberonnée au berceau et qui, parce qu’il a enduré un long semestre d’ennui à user ses fonds de culotte sur les bancs de Normal Sup, se venge cordialement, face à un batteur niveau certif qui prétend raconter sa vie et ne peut qu’écrire avec les pieds, ça lui en a coincé une !!!…
Qu’il n’ait pas saisi et apprécié l’oralité de mes écrits, je peux le comprendre. Pour ses futures publications, je lui souhaite le fameux bandeau rouge dont on gratifie les bouquins primés : « Prix Goncourt » Je n’ai, pour ma part, jamais brigué rien d’approchant.
Je me contenterai du « Prix Tongrocu » (l’anagramme de Goncourt…) Quant à la littérature il a raison, n’est pas Proust, Flaubert ou Stendhal qui veut…
MOMO
Le roi Momo trône au « Conte Gouttes ». Un bar à vins, un bistrot à l’ancienne, sans PMU, ni flipper, ni télé à jet continu… Une oasis au cœur de cette proche banlieue aux contours flous, que sa présence irrigue et ensoleille. Une source inépuisable de bons trucs à lichetrogner, sélectionnés avec soins par le patron.
Momo a troqué son bureau d’instit à la retraite contre un coin du bar qui lui est réservé, à partir duquel il perpétue son prêche laïc de vieux républicains.
Un foisonnement de crinière grise, tisse une auréole lactescente autour de sa bouille ravinée de vieux lion à l’œil bleu toujours en alerte. Il paye sa tournée et renouvelle son coup à une cadence intimidante.
C’est un vieil ami, un habitué bruyant, chahuteur, mais les tauliers l’ont à la bonne. Il fait rire la patronne…
Nous voilà encore une fois emportés, entre deux rasades, dans une de nos tortueuses, ergoteuses, et vaines chamailleries de vieux cons.
Le ton est parfois un peu rude et nous sortons de ces empoignades énervées, légèrement bourrés, mais jamais fâchés.
Momo est plus retors que réac, quoiqu’il sache tenir les deux rôles !
Je lui ai parlé de mon problème de littérature et j’ai eu tort, ça l’a déclenché, il ne m’a plus laissé en placer une !…
– Momo.
Les écrivains, les vrais, il n’y en a plus beaucoup…
Le monde est plein de graphomanes qui bon an, mal an, vous pondent une futilité hyper médiatisée, une fiction qui court rattraper la vie.
Mais la vie n’est pas un roman !!
Les deux sabots dans la boue, c’est ça la réalité !
Elle est indécrottable la réalité, avec pipi-caca étalés partout, la misère, le désespoir, la vieillesse, la maladie et la mort au bout !
Moi
– T’oublies l’amour Momo !
Momo
– Oui, ok ! Je ne nie pas l’amour parfois et quelques états de grâce