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Petites urgences en proctologie : fissure anale, abcès de la marge anale,

thromboses hémorroïdaires

par Marc Leclerc du Sablon*

Chirurgien, hôpital de Vanves (Morbihan), Médecins Sans Frontières, Paris.

Le canal anal doit son importance physiologique à la présence de l'appareil


sphinctérien anal qui assure les mécanismes de l'exonération et de la continence.
Le canal anal mesure 4 à 5 cm de long, à partir de la marge ano-cutanée. Il est
recouvert d'une muqueuse riche en terminaisons sensitives. Sous la muqueuse se
trouve un riche réseau veineux formant les plexus hémorroïdaires internes et
externes, qui communiquent largement entre eux. La muqueuse du canal anal
présente un relief bien visible en déplissant l'anus : la ligne pectinée, formée par le
bord libre de petites valvules qui recouvrent des cryptes au fond desquelles
débouchent des glandes muqueuses situées dans l'épaisseur du canal anal.

Le sphincter est un système musculaire complexe formé d'une part par un


renforcement de la couche musculeuse lisse de la paroi rectale, qui forme le
sphincter interne et d'autre part par les muscles striés du plancher pelvien qui
convergent autour du canal anal et forment le sphincter externe (figure 1).

Une riche innervation sensitive et motrice autorise les mécanismes complexes de la


continence anale et de la défécation.

I. Examen du malade qui souffre de la région anale

Un interrogatoire patient et minutieux fait préciser les motifs qui amènent le malade à
consulter.

- Les saignements peuvent survenir isolément ou accompagner les selles ; ils sont
minimes ou importants (caillots). Ils inquiètent le malade à juste titre et doivent
conduire à un examen complet pour préciser leur origine.

- La douleur, souvent très vive, peut être permanente (en cas d'abcès ou de
thrombose hémorroïdaire) ou provoquée par la défécation (en cas de fissure).
- La perception d'une tuméfaction (une « boule ») : hémorroïdes, tumeurs,
prolapsus...

- Le prurit anal est fréquent mais peu spécifique.

- Les suintements dont il faut préciser la nature (pus, selles, glaires).

- Les troubles de la défécation : diarrhée, constipation, faux besoins douloureux.

Par l'interrogatoire on précise le mode de vie du malade : profession, boissons


alcoolisées, nourritures épicées, antécédents, notamment vénériens, etc.

• L'examen clinique

Il faut disposer d'un local fermé, isolé, avec un bon éclairage. On doit expliquer ce
que l'on va faire au malade et comment l'examen se déroule. Il faut être patient,
doux et respecter la pudeur de certaines personnes tout en expliquant que cet
examen est absolument nécessaire car il n'est pas question par exemple de rassurer
faussement un patient avec un diagnostic d'hémorroïdes que l'on n'aurait pas vérifié.

L'examen peut se faire sur un malade placé en décubitus latéral (en chien de fusil),
ou en position génu-pectorale (figure 2).

Le port de gants jetables est nécessaire pour éviter toute contamination.


En déplissant doucement les berges de l'anus on peut déjà faire quelques
observations : présence de pus, orifice fistuleux ou abcès, paquet hémorroïdaire,
fissure anale ou ulcération vénérienne, dermatose, condylomes (crêtes de coq),
tumeur. Lorsque l'anus est étroitement fermé, spasmé, très douloureux, l'examen est
difficile. Il y a intérêt à appliquer localement un gel de xylocaïne et attendre quelques
minutes, puis reprendre l'examen avec douceur. Avec l'index on palpe d'abord la
marge anale, puis en introduisant le doigt, le sphincter, les parois du canal puis les
parois et le contenu de la partie basse du rectum. Ce toucher rectal sera refait si
nécessaire, le malade étant placé en décubitus dorsal, ce qui donne des informations
complémentaires (prostate, cul de sac de Douglas, col utérin).

• L'anuscopie nécessite un petit matériel anuscope, lampe, cotons, pince à


biopsie, gel de xylocaïne. Cet examen très simple permet de bien préciser les
données du toucher en montrant parfaitement l'aspect du canal anal et de la
partie inférieure de la muqueuse rectale (tumeurs, hémorroïdes, polypes,
ulcération, etc.).

Lorsque ces examens ne permettent pas de préciser le diagnostic, il faudra


compléter le bilan par d'autres examens plus spécialisés : rectosigmoïdoscopie,
examen parasitologique des selles, lavement baryté ou colonoscopie.

Il. Fissure anale

Les symptômes de la fissure anale sont évocateurs. Le malade en général constipé,


se plaint d'une douleur très vive immédiatement après la défécation, douleur qui dure
souvent une heure ou deux et qui réapparaît après chaque selle. Mais entre les
selles le malade ne souffre pas.

L'examen est difficile à cause du spasme sphinctérien qui contracte l'orifice anal.
En déplissant l'anus avec douceur (après anesthésie locale si besoin), on observe
une ulcération longitudinale le plus souvent au pôle inférieur de l'anus (à 6 heures)
de un centimètre de long, plus ou moins profonde, avec un fond blanchâtre
(scléreux).

Le toucher rectal fait avec une grande douceur confirme l'hypertonie du sphincter, et
l'anuscopie permet de mieux voir la fissure et de préciser son caractère.

L'évolution se fait par poussées avec des rémissions.

• Le traitement des fissures récentes peut être médical : traiter la constipation,


hygiène locale, traitements locaux (pommade antiseptique et cicatrisante).

Dans le cas d'une fissure ancienne, deux gestes sont possibles :

- L'injection sous le lit de la fissure de produits sclérosants (solution de quinine-urée),


sous anesthésie locale, a souvent un résultat temporaire.

- La dilatation. Ce geste doit se faire sous anesthésie générale. Cette anesthésie


doit être menée avec toute les précautions en raison du risque faible mais réel d'arrêt
cardiaque lors de la dilatation (malade à jeun, matériel d'intubation à proximité ... ).
On introduit un doigt puis deux doigts, ce qui permet de bien percevoir l'hypertonie et
la sclérose du sphincter qui doit être dilaté doucement, jusqu'à admettre trois doigts,
sans jamais forcer.

- L'intervention chirurgicale est réservée aux fissures anciennes et récidivantes. Elle


consiste à exciser le lit de la fissure, réaliser une sphinctérotomie interne (incision
limitée du sphincter interne, sous la ligne pectinée, soit latérale soit à six heures, et
abaissement du lambeau muqueux décollé sur le sphincter, suturé par quelques
points de fil résorbable.

Les soins postopératoires sont très simples hygiène et antisepsie locale, pommade
cicatrisante, laxatifs (huile de paraffine).

III. Suppurations anales

L'abcès de la marge anale est une affection fréquente et douloureuse qui est
provoquée par la surinfection d'une glande située à l'intérieur du canal anal, au
niveau de la ligne pectinée (figure 3). A partir de cette petite glande il se forme une
collection abcédée qui peut prendre des proportions importantes et surtout diffuser
dans les espaces celluleux de la région anorectale, espaces qui sont délimités par le
revêtement cutané, la muqueuse du canal anal et les divers muscles du sphincter
anal (figures 4 et 5). Finalement cet abcès s'extériorise et devient visible sous la
peau de la marge anale. S'il s'ouvre spontanément ou s'il est incisé
chirurgicalement, il persistera un trajet fistuleux plus ou moins direct entre l'orifice
de la glande pathologique dans le canal anal (la cryptite) et l'orifice externe cutané.
C'est ce trajet fistuleux, que l'on appelle aussi fistule anale, qu'il faudra traiter pour
éviter les récidives.
L'abcès de la marge anale s'accompagne d'une douleur vive, lancinante, pulsatile,
empêchant le sommeil, accentuée à la moindre pression. Localement l'examen
retrouve une tuméfaction rouge, chaude, inflammatoire, visible sur une berge de
l'orifice anal.

A la palpation, cette tuméfaction exquisément douloureuse, peut paraître indurée,


infiltrée, ou déjà fluctuante si l'abcès est collecté. Si l'abcès est plus profond, on
retrouve une induration diffuse d'un côté de l'anus, également retrouvée au toucher
rectal. Le diagnostic est alors moins facile et pourrait hésiter avec une tumeur, par
exemple. Mais la fièvre et l'hyperleucocytose sont en faveur d'un abcès. En fait,
c'est l'examen sous anesthésie générale qui apporte le plus d'informations et permet
de préciser le siège exact de la collection.

• Traitement

Une anesthésie générale est souhaitable. En attendant que le patient soit à jeun, on
peut calmer la douleur avec du paracétamol (2 cp à 500 mg) et commencer un
traitement antibiotique (métronidazole, amoxicilline, aminosides), si le syndrome
infectieux paraît sévère, ce traitement n'étant jamais suffisant par lui-même.

Le malade est placé en décubitus dorsal, les jambes bien repliées (position « gynéco
»). Après préparation du champ opératoire, le premier temps consiste à examiner le
périnée, par un toucher rectal notamment, qui précisera au mieux le siège de l'abcès,
la zone collectée et les prolongements, soit vers le haut (le long du rectum), soit
autour de l'anus (abcès « en fer à cheval » en arrière de l'anus par exemple).

Après quoi l'on incise au bistouri la région abcédée, par une incision radiée (en
rayon, à partir de l'anus), superficielle (attention au sphincter en profondeur) mais
assez large (2 cm). Si l'abcès est superficiel, cette incision suffit et le pus franc
s'écoule largement. En cas de collection plus profonde, il faut dissocier les plans
superficiels avec une petite pince ou des ciseaux mousses (écarter prudemment
sans inciser, pour ne pas léser le sphincter), en se guidant avec l'index gauche
introduit dans le canal anal, qui oriente le bout des ciseaux vers l'abcès. Là encore
l'issue de pus prouve que l'on a bien ouvert l'abcès. Du doigt on effondre doucement
les cloisons pour finir d'évacuer cet abcès, puis la cavité sera lavée (sérum
additionné de povidone iodée) et drainée (lame ondulée en latex), puis couverte d'un
pansement à plat (pas de mèche), maintenu avec un bandage en T. A ce stade, si
l'on n'est pas, soi-même, habitué à cette chirurgie, on s'abstiendra de rechercher et
de drainer la crypte pathologique et la fistule responsables de cet abcès ; c'est un
temps qui peut être délicat voire même délabrant dans ces tissus infectés. Dans
certains cas particuliers, l'anesthésie générale n'est pas possible (manque
d'anesthésiste ou de drogues) ou pas souhaitée, si l'état du patient est précaire.
Dans ces cas il est possible de réaliser l'intervention sous rachianesthésie. Si celle-
ci n'est pas réalisable, il est quand même possible d'inciser l'abcès sous anesthésie
locale : faire une petite papule superficielle, à la surface de l'abcès (il ne s'agit pas de
l'anesthésie de toute la région de l'anus) avec de la xylocaïne à 1 % (deux à trois cc
injectés avec prudence, en surveillant le pouls du malade, en raison du risque de
choc).
Dès le réveil le soulagement est complet. Le pansement est renouvelé chaque jour.
La lame est retirée après 48 heures. Les antibiotiques sont poursuivis pendant 5
jours sauf cas particuliers. De l'huile de paraffine est donnée chaque matin pour
faciliter le transit et l'hygiène locale est très importante. Les bains de siège ou les
lavages à l'eau douce sont souhaitables.

La cicatrisation est obtenue en 10 à 15 jours.

Il serait souhaitable que ces patients soient vus ensuite par un chirurgien pour traiter
plus complètement une éventuelle fistule anale persistante, de façon à prévenir le
risque de récidive de l'abcès. En effet le traitement de ces fistules est un peu délicat,
en raison notamment du risque sphinctérien, et doit plutôt être confié à un chirurgien
qualifié.

IV. Les thromboses hémorroïdaires

La maladie hémorroïdaire affecte les sinus veineux sous-muqueux du canal anal, qui
sont dilatés et prolabés à des degrés variables et plus ou moins gênants pour le
patient. Elle débute à l'âge adulte et évolue par poussées, favorisées par la
constipation (ou les diarrhées aiguës), le mode de vie (sédentaire), l'alimentation
(alcool, épices), etc. Les complications sont les rectorragies, les prolapsus et parfois
la thrombose.

Pour certaines régions locales, poussée hémorroïdaire aiguë, prolapsus


hémorroïdaire, constipation et hypertonie sphinctérienne, il peut se produire une
thrombose du paquet veineux hémorroïdaire.

La thrombose hémorroïdaire externe est très douloureuse. Le début en est brutal.


La douleur est permanente. A l'examen on retrouve facilement un ou plusieurs
nodules bleu noir, sous la muqueuse anale. Ces nodules sont exquisément
douloureux au toucher ou à la pression. A côté l'on retrouve les hémorroïdes non
compliquées, plus ou moins extériorisées, d'un bleu plus clair et non douloureuses.

• Le traitement de ces thromboses est très simple et peut se faire sous anesthésie
locale.

Le malade est rassuré sur le diagnostic et informé de ce qui va être fait.

Il est placé en décubitus dorsal, jambes repliées.

Préparation du champ opératoire :

Anesthésie locale par injection d'1 ou 2 cc de xylocaïne à 1 % avec une aiguille très
fine (intradermique) formant une papule superficielle directement sur la thrombose et
sous la base de celle-ci.

Incision au bistouri qui permet d'évacuer un caillot noirâtre (le thrombus). Il faut
évacuer un par un chaque thrombus (parfois trois ou quatre). Il peut être utile de
compléter à la curette l'évacuation de thrombus un peu anciens et adhérents. Des
antalgiques sont parfois utiles en postopératoire : paracétamol, 2 cp à 500 mg 3 fois
par jour.

Un pansement à plat avec une pommade cicatrisante et antiseptique est ensuite


appliqué.

La cicatrisation se fait en quelques jours, facilitée par un laxatif, l'hygiène et les soins
locaux et un éventuel traitement médical de la maladie hémorroïdaire (topiques
veineux, anti-inflammatoires, etc.).

• Le traitement définitif des hémorroïdes sera ensuite confié au spécialiste ou au


chirurgien selon les cas et les possibilités locales.

V. Le prolapsus hémorroïdaire

Il se présente comme un volumineux bourrelet d'hémorroïdes extériorisées en


permanence, congestives de couleur rouge sombre (bien différente du prolapsus
rectal dont la muqueuse est de couleur rose clair), douloureux et difficilement
réductible. Ce prolapsus est susceptible de s'étrangler (un peu comme une hernie
en raison du spasme sphinctérien) et de se thromboser.

• Le traitement de ce prolapsus nécessite une anesthésie générale. Si l'on n'est


pas familier de la chirurgie de cette région, on se contentera de faire une
dilatation anale douce et très progressive, au doigt, jusqu'à lever le spasme
sphinctérien et pouvoir introduire sans forcer 2 à 3 doigts, puis à réduire le
prolapsus. Repos, laxatifs, traitement anti-hémorroïdaire local complèteront ce
geste simple.

Ces quelques aspects de la pathologie anale sont volontairement limités à quelques


gestes qui peuvent être faits par un médecin non spécialisé ou un infirmier isolé,
avec peu de matériel. Ils peuvent néanmoins rendre service car ces « petites
urgences » sont très fréquentes et fort douloureuses, et l'on n'a pas toujours un
spécialiste à ses côtés.

Développement et Santé, n°105, Juin 1993

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