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Dawson College
25 octobre 2011
La maîtresse des illusions
«Le maître des illusions» est le premier roman de l’auteure américaine Donna Tartt. Écrit
sur une longue période de convalescence qui devait durer huit ans, il a été loué par les
critiques pour sa construction magistrale de la psyché des ses personnages. Six étudiants
qui a bien pu pousser une jeune auteure à cette douce misogynie, à cette mythification des
femmes? Son sujet s’y prête, tout simplement. «Il tourmentait Camilla pour la seule
raison qu’elle était une fille. Par certains côtés, c’était sa victime la plus vulnérable —
non par sa faute, mais simplement parce qu’en grécité, de façon générale, les femmes
sont des créatures inférieures, qu’il vaut mieux voir qu’entendre. Ce sentiment
prédominant chez les Argives est si pénétrant qu’il s’infiltre même jusqu’au squelette du
langage […].»1 Pour comprendre cette grécisation de la femme moderne par Tartt, il faut
faussement passive, tentatrice, intouchable; est reflet, garçon, idéal; elle est Autre.
D’abord, Camilla est montrée comme étant une Autre primale. Tartt la décrit dans des
termes du terroir, mais aussi ésotériques, mystiques: «[…] C’était une rêverie vivante: la
vulgaire au divin.»2 «[…] Camilla était le véritable mystère, le coffre que je ne saurais
jamais forcer.»3 Mystérieuse, ténébreuse, Camilla a toutes les facettes de la Nature. Elle
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doré de sa chevelure chaotique et frisé»4; sa chevelure est une fleur, et son corps sort de
l’eau. Sa peau aussi, d’ailleurs, est telle une fleur: «Camilla, […], le coude posé
négligemment sur la table et le menton sur la main, était lisse comme une orchidée.» 5
Tout ce qui est resté au narrateur du baiser d’adieu de Camilla, c’est la pluie. 6 Elle est
aussi liée au règne animal. «Le chien s’appelait Frost. Il adorait Camilla et la suivait
partout […].»7 «Camilla dit que pendant un temps elle a cru qu’elle était une biche.» 8
Même la mort, le meurtre, partie prenante de la Nature, lui va comme un gant: «Elle était
tranquillement assise au bord d’un ruisseau, les pieds dans l’eau, sa robe blanche sans une
seule tache, aucune trace de sang sauf dans les cheveux.»9 «Elle avait été complice du
meurtre de deux hommes; elle était restée d’un calme de madone en regardant mourir
Bunny.»10 C’est une des facettes de l’attraction du narrateur pour Camilla, cette beauté
animale, primale: «Elle était essoufflée, et des plaques rouges vif lui brûlaient les joues;
attrait auquel il ne sert à rien de résister: «Elle avait un grain de beauté à vous briser le
cœur, une pointe rouge rubis juste sous le dessous de l’œil. Pris d’un élan irrésistible, je
me suis mis penché pour l’embrasser.» 12 Avec l’incorporation des éléments de la Nature à
son charme, son sauvage attrait, Camilla ne peut être qu’Autre. Elle a le mystère, se voile
de ténèbres, ne peut pas jouer de réciprocité avec aucun sujet, sinon le monde et elle-
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même. Elle a pouvoir de vie et de mort, ce qui fait défaut au narrateur. Elle lui est
Si Camilla est Autre primordiale, elle est aussi Autre sociale. Elle se vêt des masques de
l’indifférence, tente et séduit, manipule. Elle joue la fille sage, mais se laisse aller à des
jeux de séduction élaborés. Elle est distante : «Camilla a souri, pas vraiment à mon
vendeur dans une boutique.»13 «Je pouvais me perdre à jamais dans cet étrange petit
visage, dans le pessimisme de cette bouche magnifique.» 14 Elle est de l’ancienne mode, la
courtisane qui plaît par son effacement de jour, et son dévoilement de nuit. «Elle, à mon
avis, était très belle, d’une beauté troublante, presque médiévale, que n’aurait pas
remarquée un spectateur peu attentif.» 15 Elle semble presque inconsciente de son effet sur
les autres, et pourtant en abuse. «Camilla, […], m’a souri. Je lui ai rendu son sourire, un
peu médusé.»16 Son charme, s’il peut parfois être animal, elle le contient sous une
certaine langueur, une passivité feinte: «Camilla, les joues rouges, ensommeillée, laissait
traîner sa main dans l’eau.»17 «Camilla toute molle dans les bras d’Henry, la tête rejetée
en arrière comme une noyée, la courbe de sa gorge magnifique et sans vie.»18 Pourtant,
gardant l’intérêt vivant, elle se met parfois sur le mode actif. Le narrateur nous le décrit
maintes fois: «Je suis resté devant elle, ahuri, clignant des yeux, le sang battant dans mes
veines, ayant oublié tous mes plans soigneusement préparés en vue d’un baiser, quand
soudain elle s’est jetée dans mes bras. J’ai eu son souffle rauque dans l’oreille, et quand
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elle l’a posée contre la mienne, un instant plus tard, sa joue était glacée; quand j’ai pris sa
main gantée, j’ai senti sous mon pouce le pouls accéléré de son poignet fragile.» 19 Elle
nargue, même. «Elle m’a planté un petit baiser sur la joue. « Comment vas-tu? Tu t’es
demandé où on était? » »20 Tout cela amène l’amène à s’aliéner les autres, tout en les
gardant bien en laisse: «Camilla était ma favorite, mais quel que soit le plaisir de sa
charme ou de gentillesse envers moi, mais par ma faute, à cause d’un trop grand désir de
lui faire bonne impression.»21 Elle est une tentatrice, dont le but n’est pas plus élaboré
que de tenter. «J’ai ouvert et aperçu Camilla, l’air de s’être habillée à la va-vite. Elle est
entrée et a refermé à clef pendant que je clignais des yeux […].»22 «Elle me donnait la
main. Je l’ai serré très fort. […] « Viens » Elle s’est mise sur la pointe des pieds et m’a
donné un baiser doux et frais qui avait goût de sucette. Oh toi. Mon cœur battait à petits
coups rapides. […] Elle m’a donné un baiser rapide, m’a tourné le dos et s’est
éloignée.»23 Elle est cette être fait de dualité, dont les facettes s’interchangent: «[…] Elle
n’était plus son personnage habituel, inaccessible et lumineux, mais plutôt une apparition
un peu brumeuse et d’une tendresse ineffable, toute en poignets fragiles, en creux ombrés
et en cheveux ébouriffés, l’adorable et pâle Camilla qui se cachait dans le boudoir de mes
qu’on s’attend à voir à clef avec quelqu’un dans une salle de bains» 25, elle n’en reste pas
moins lourdement sexuelle, si ce n’est que dissimulée. «Le problème, c’est qu’elle est si
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bonne actrice qu’on ne pouvait pas voir si c’était vrai. […] Elle a secoué la tête et s’est
remise à rire. […] J’ai ri, moi aussi. À ce petit jeu, elle était imbattable.» 26 En fait, un
personnage la cerne assez bien, elle et son frère: «En tout cas ils prennent un plaisir
pervers à faire marcher les autres — oui, elle te fait vraiment marcher.»27 Elle est la reine
forme et de l’autre. Elle est Autre, oui, Nature et Société, et pourtant, elle s’échappe vers
un être actant, un Même. Camilla est un Autre, mais elle est un Même en ce qu’elle
s’échappe de son sexe dans son statut de jumelle, et se masculinise. «Ils se ressemblaient
beaucoup, avec une épaisse chevelure châtain, et des visages d’androgynes aussi clairs,
joyeux et graves que des anges flamands.» 28 «Elle avait les cheveux en désordre, le teint
pâle, le regard attentif; on aurait dit un petit garçon.» 29 Elle imite son frère, le copie:
«Elles s’est passée la main dans les cheveux d’un air exaspéré qui m’a rappelé son
frère.»30 Elle va jusqu’à emprunter le style vestimentaire de son frère: «Elle se balade la
moitié du temps dans les vieilles fringues de son frère, et peut-être qu’il y a des filles à
qui ça irait — en fait, franchement, je ne crois pas qu’il y en ait une seule à qui ça irait
vraiment, mais pas elle, en tout cas. Ressemble trop à son frère.»31 «Camilla, avec sa
coupe à la garçonne,»32 se place au-delà d’elle-même, dans une mascarade de Même. Son
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ramène au statut d’un objet, certes beau, mais sans portée: «La robe soulignait sa
j’adorais la façon délicieuse et insouciante dont elle clignait des yeux en racontant une
histoire, la façon dont elle tenait sa cigarette (écho lointain de Charles), au milieu de ses
doigts aux ongles rongés.»33 «Elle portait une chemise de nuit d’homme, beaucoup trop
grande, et je ne quittais pas des yeux ses jambes nues — ses mollets bronzés, ses
chevilles minces, ses adorables pieds de jeune garçon aux plantes poussiéreuses.» 34 Elle
est condamnée à l’altérité, parce que même ses efforts pour y échapper ne font que l’y
Finalement, le personnage de Camilla, dans toute son atrocité, inspire la pitié. Seule
femme d’un groupe masculin, jumelle, elle a toujours dû justifier son existence en tentant
de dépasser son statut d’Autre, ce qu’elle ne pouvait par nature faire. Elle avait le
parvenir, en tentant de la masquer par son attitude ou la travestie, qu’à l’exacerber. Elle
est condamnée à l’altérité, sans échappatoire possible. Camilla est Autre, et l’est
strictement.
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Bibliographie
Donna Tartt, Pierre Alien (Traduction). Le Maître des illusions (The Secret History,
1992). Plon «Feux Croisés», 706 p. 1993