Vous êtes sur la page 1sur 1

Il y a des livres que l’on vous donne avec cette recommandation qu’il est là

pour vous. Alors vous regardez cet étranger sous sa couverture plastique, privé
d’air, serré dans ses pages, la couverture blanche et vous vous dites, alors donc,
il y a déjà une part de vous. Là, dans ce petit tas qui se refuse. Parce que vous
n’avez pas le temps. Parce que vous repoussez cette rencontre. En même
temps vous avez cette hâte fébrile de découvrir l’autre, ses mots, ce qu’il a à
nous dire et qui devrait donc, marquer à jamais. Alors ainsi, commence une
étrange errance entre l’attente et le plus tard, le livre posé sur le coffre, puis
sur la table changeant de pièces et de lumières, sur la table de chevet, sur le
rayonnage du haut, puis celui du bas, debout et puis couché, arrogant et puis
écrasé sous d’autres livres à lire ou déjà parcourus, abandonnés…Tellement
coincé, qu’un jour enfin, on le délivre. De très nombreux mois plus tard, à
savoir même, une année ou plus…Le jour où peut être, il devait être lu, parce
que c’était son heure. Et sans que l’on sache, et alors que l’on était prévenu
d’une certaine façon, on trouve ce passage qui justement arrive comme il fallait
pour bordencre :

« J’ai vécu parmi des populations dites « primitives » parce qu’elles sont un
peu plus subtiles que nous. Dans leur langue, contrairement à nous, elles
appellent le passé ce qui est devant soi. Parce que le passé est connu, on peut
le voir. Il n’inquiète pas. Et elles appellent l’avenir, contrairement à nous, ce qui
est derrière soi. Parce que l’avenir est ce qu’on ne voit pas, ce qu’on ne connait
pas et donc qu’on redoute autant que l’on espère. »

Jean-François Deniau, Ce que je crois, Grasset, page 19.

J’avais bien envie de commencer cette catégorie errance de bords d’encre par
ces mots empruntés à celui qui par ailleurs aimait naviguer. Pour cette errance
que l’on n’attend pas forcément avec ces visions inversées et cette volonté de
partir avec le passé devant, dans un nomadisme où l’on ira, vous et moi, d’un
pas à un autre, d’une dimension à une autre, d’un mot à un autre, butinant les
idées, les images, sans savoir que ce qui va s’écrire jour après jour, est déjà
derrière nous. Et pourtant on aura été prévenu.

Bastia 11 juin 2009, bordencre.com

Vous aimerez peut-être aussi