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terrain revue Fenotogte el erape Terrain © (1986) Les hommes et le miliew naturel Christian Bromberger Les savoirs des autres ‘Avertissement Le contenu de ce ste reléve de a lgisation ranclee sla proprté intelectule etext la propre exclusive de edteur Les eeuves fgurant su ce ste peuvent are consuées et repodultes sur un support paper ou numérique sous reserve ules sient stictementréservées& un usage sot personnel, sot scintfque ou pédagogique excluat toute exlotation commerciale. La reproduction dewa obigatorement mentionner éaiteur le nom de la rewe, auteur et a rférence du document. 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Propriété intlectuele Les savois des utes Christian Bromberger Les savoirs des autres Pagination originale: p. 3-5 iL BROMBERGER 3 ‘SAVOIRS Les savoirs des autres: En ethnologie, comme dans bien d'autres domaines scientifiques, le seaouvellement des problématiques est souvent venu des confins tesitoriaux, de points masginaux de rencontre cate disciplines voisines. Chacua de ces sendez-vous marque use étape importante dans Thistoire de 1a démarche ethnologique ; le dialogue qui séest noué avec la technologie, Ia linguistique et la sémiologi, les sciences naturelles, a médecine... permis non seulement use extension du champ et un affinement des méthodes ethnologiques mais aussi un nouvel éclaimge de vieilles questions, ebattues mais centrales (les relations homme-miliew, langue culture par exemple), ‘Aus limites des tessitoixes de Yethaologie, des sciences naturelles et de Ja linguistique sest ainsi constitué, il ya une tentaine d'année, un domaine spécifique d investigation, celui des ctlnosciences, cest-adive des procédures indigenes de connaissance et de classification du monde matériel et social. Lintérét, dans les années 1950, pourles savoirs et les classifications populaires, procéda dabord d'une séévaluation des méthodes et des théories ethnologiques. A une analyse extériewe du fonctionnement des sociétés et des cultues se substitue progressivement une ethnologie du dedans,tentant d'ucider comment les hommes classent, ondonnent, pergoiventet,& travers ces grilles d'nalyse,utliseat le monde qui les entoure' Ce reaversement de perspectives intésessa, pour des raisons diverses, les natulistes, les linguistes et les anthropologues : les uns pour appsécier les écasts entre classifications populaires et savantes, les seconds pour tester la pertinence de théovies sémantiques, les twoisiémes pour cemer les modalités générales de la connaissance dans les sociétés primitives Plusicurs études — je pense, en particulier, aux monographies de H-C. Conklin et de C.- ©. Finke’, la synthése proposée dés 1962 par C. Levi-Strauss dans La Pensée saumage et aux essais de P, Guiraud? — constituérent, dans ces domaines, des avancées emanuables. Certaines de ces analyses pionniéres butévent cependant sur des écueils ; dune part, elle se fondaient, pour faire apparcite Jes phénoménes classificatoires, sur le seul examen des catégories nonumées (genreset variétés de plontes désignées par des unitéslexicales distinct, par exemple) ; or le secours & diverses techniques (tel le test des trindes) monte que les individus regroupent subconsciemment, par sousensembles qui ne sont pas nommés les Tewain. 6 [1986 Les savois des utes objets du monde naturel on social. D’autre part, ces premiéres études isolaient des systémes de classification de plantes, d’animaux... dont la configuration en arbre ordonné, pouvait engendrer Tillusion d'une classification parfaitement structurée du monde, des catégories les plus générales (@te, chose...) aux entités terminales les plus pasticulires (tell vaviété objet, de plante, etc.). Les études les plus attentives des classifications indigenes font, au contraire, apparaitre quil sagit la d'univers touffus oit se disputent plusieurs logiques ; celle de Videntification — qui classe un objet en fonction de critéres morphologiques, par exemple — 5 celle de usage culturellement défini — qui Tagiége A d'autres objets en raison de ses propriétés fonctionnelles — ; celle de Vordse symibolique — qui le segroupe & d'autres objets encore par une série associations métaphoriques'. Aussi bien In notion méme de « savoirs naturalistes » paraitrait sujette & caution si ‘on postuait, a travers elle, quil existe un champ porfaitement autonome de Ia connaissance du monde naturel, équivalent indigéne de ta classification linnéenne. Cest au demeurant dans ce travers que sont tombées plusieurs analyses prenant pour objets les classifications animales, végétales, comme sil sagissait Ia de catégoriescloses et discrétes limage de ce qu‘elles sont devenues dansles sciences naturelles occidentales’ Létude des systémes cognitifs ne sépuise pas — fautil le souligner — dans les repérmges des principes et des critéres qui gouvement les classifications ; une analyse plus générale du discours que tiennent les usagers sur les objets qui les environnent simpose pour prendre Jn pleine mesure de leurs connaissances. Létude des différents registwes sensoriels doit étre aussi mise & contribution pour cemer les modes d'appréhension du monde ; si les travaux sur les procédures cognitives, a travers Ia langue, se sont mmultipliés, ceux qui visent & mettre en Evidence les systémes de repémage, cultureliement codés, des bruits, des odeurs, des goats, des impressions visuelles et tnctiles demeurent plus mares. On sait pourtant que la mise en ordre logique de ces qualités sensibles forme Yarmatuse de beaucoup de savoirs naturalistes et de savoir-foire techniques : plusieurs études menées dans le cadre du programme « savoirs naturalistes populaires » ont fait ressortir 1a complexité de ces procédés de connaissance et dévaluation de 1a maitre : repérage de la qualité d'une pierre ou d'une tuile au son quelles rendent quand on les frappe ; évaluation, par les paludiers, du degré de salinité de Yeau & Ia vue, au goit et au toucher (couleur, aspect de In faune, viscosité.. du marais sallant)' etc. Ici apparaissent clairement deux caractéses « imemplagables » de la « démarche cethnographique » — pour reprendse les mots 4’A. Leroi-Gourhan’ : sa méthode, fondée sur une observation minutieuse et prolongée des comportements, seule forme possible d’approche pourappréhender ces savoirs qui sont rarement verbalisés parles usagers (« ga se voit :». «ga sentend !» , se bome-t-on & dire) ; sa « fonction d'enregistrement » de faits qui, en raison de eur nature etde leur statut dansie champ de connaissance, ont échappé & toute recension écrit. ‘Méme élargie & ces dimensions, lanalyse des ethnosciences surat pu s'arréter& un inventaire détaillé des procédures de connaissance indigéne du monde environnant. Sur ce « noyau dur », constitutif de In démarche, sont venues se greffer d'autres interrogations que faisait progressivement surgir Yexamen méme des processus cognitifs, Diabord une réflexion surla diversité des crttres quiutilisent les sociétés pour définir, classer ctoronner les éues et es choses. Litude desethnosciences est une clef pour appréhender les orientations dominantes d'une culture, les valeurs et les schémes fondamentaux que retiennent Jes groupes humains pour analyser le 1éel Envisagée dans cette optique, et donc débarassée de la tradition philologique dont elle fut longtemps prisonniére, 'étude des noms de lieux apparaft ainsi particuliérement révélatrice elle permet non seulement de cemer comment les individus découpent et balisent lespace qui Jes environne mais aussi la hiérarchic des critéres (topogrphiques, fonctionnels, religieux, etc.) que sélectionnent inégalement les sociétés, dans In longue durée, pour analyser et sSappropricr symiboliquement leur tesitoire. En second lieu, des questions sur Vorigine et les modes de diffusion de ces savoirs : les termes qu’on setient pour les qualifier: indigenes, locaux, populaires... ne manquent pasd'étre ambigus, afortiori dans des sociétés comme les nétres oi existe un courant ééchange continu entre les différentes « niches » de Ia connaissance (paysanne, scolaise, etc.). I convient donc Tewain. 6 [1986 10 Les savois des utes de sintesroger surla stratification — aux sens. la fois archéologique et sociologique du terme —de ces savoirs, sures modes de leur transmission. Cest la Fobjet de plusieurs études", qui font apparaitre 1a maitrise différenciée de ces connaissances selon les groupes sociaux, les relations complexes qui se nouent, & Yamiéve-plon du savoir tel quil saffiche, entre cultures savante et populair, traditions écrite, orale, expérimentale... Glissont vers une sociologie de Ja connaissance, Vethnologie risquerat ici cependant de pendre sa spécificité : tel semit le cas siles savoirs, la fagon dont ils sorganisent et organisentle monde, étaient elégués au rang de simples enjeux dans les processus d'imposition et de légitimation du pouvoir En toisiéme lieu, des questions sur les rapports entre modes de connaissance du monde et manives d'agir sur le monde. L'analyse des relations entre savoirs et pratiques est sans doute une des woies les plus fécondes qui dérivent des travaux sur les ethnosciences. Elle tente de dégager comment les catégorisations, implicites et explictes, quopéreat les individus dans leur découpage de Ia séalité, engendrent des ségles de comportement, des processus codifiés de décision ; cette perspective est proche de celle tracée par P. Bourdieu quand il introduit la notion dthabitus, « systéme de dispositions durables et transposables, ensemble de principes _génémateurs et organisateurs de pratiques et de seprésentations »”. Dans notre domaine, divers ‘wavans, consacrés notamment levage,au maraichage, la viticulture", ont misen évidence ces relations structurelles entre certains savoirs et comportement et souligné Tinadéquation des modéles des sciences agronomiques et économiques pour appréhender Ie systéme des connaissances et des attitudes des acteurs sociaux, Une quatriéme voie s‘ffre pour dépasser le constat ethnoscientifique ; elle se situe la croisée des chemins, comme ces objets naturels on techniques qui pasticipent de plusieurs univers classificatoires (morphologiques, fonctionnels, symboliques..). Prenant précisément acte de cesenchevétrements, cette démarche tente de restituer ensemble des savoirs, des usages, des significations qui sattachent une plante, un animal, un objet...arun examen fouillé de toutes les « occurrences » de cet élément naturel ou technique dans le champ social et culture! La plante, Yanimal, Yobjet... essortent de cette investigation totale chargés d'une épaisseur sémantique contrastant avec la ténuité que leur reconnaitraient des analyses unilatérales. TL resterait & sintesmoger, au terme de ce rapide survol, sur Tintérét de note société pour les « savoirs naturlistes populaires » (qui, au fond, nous Vavons dit, ne sont ni totalement naturalistes ni strctement populaires).L inflation d'intérét pour cette frange de Ia connaissance procéde sans doute des difficultés qu'éprouvent aujourd hui nos sociétés.4 géver leurs relations avec Ia nature et Ia culture: crise dans le rapport A Yenvironnement, crise de la connaissance positiviste, crise dans la transmission unilatérale des savoirs et reconnaissance de Ia pluralité des procédures — sinon des mécanismes — cognitifs, crise des identités qui se décomposent et se recomposeat (or, Ia maitrise de savoirs spécifiques est un embléme, pamni d'autres, de Yappartenance collective...). Lintését pour le theme est sans doute & la mesure de la diversité de ces questions Notes IK-L. Pike oppose ces deux démarches, quand il distingue le point de vue « étique » — celui de Yobservateur qui plague une grille analyse préconstituée sur la séalité — et le point de vue « émique » — qui setient uniquement les traits pertinents pour lusager (opposition «étique »/ » émique » renvoie aux différences fondamentales de méthodes entre la phonétique tla phonologie, phonemics. Voir KL. Pike Language in Relation to a Unified Theory ofthe Structure of Human Behavior, Glendale, Summer Institute of Linguistics, 1954-1960. 2Voir, parexemple, de Harold C. Conlin, « Lexicographical Treatment of Folk Taxinomies », in Readings in the Sociology of Language (J.-A. Fishman, €4.), La Haye, Mouton, 1968 (pp. 414-433) et de Chasles-O. Fake, « The Dingnosis of Disease Among the subanum of Mindanao », American Anthropologist, 09, 1961, (pp. 113-1 2. 3P. Guiraud, Structures étymologiques dit lexigue frangais contemporain, Pacis, Larousse, 1966. Dons différents travaux, Claudine Friedberg montre partird’exemplesempruntésa plusieurs sociétés, In complexité de ces processus d'assignation taxinomique. Voir par exemple, C. Tewain. 6 [1986 Les savois des utes Friedberg, « Les méthodes dienguéte en ethaobotanique. Comment mette en évideace les taxinomies indigenes ? » in Journal dagricubure tropicale et de botanique appliquée, vol. XV, n° 7-8, 968, (pp. 297-334) ; «Les processus classificatoires appliques aux objets naturels ct leur mise en Evidence. Quelques principes méthodologiques », in JA.B.A., T. XXI, 10-11-12, 1974 (pp. 313.334). SVoit, ce sujet, les semanques de Jacques Basrau,dans «Lethnobiologie » in Outilsd’enguéte @ dianaiyse anthropologiques (R. Cresswell et M. Godelier, €4.), Paris, Maspero, 1976, (p. 74) : «Trop de cas montreat que, par exemple, on veut fausser un systéme classificatoire populaise en le forgant plus ou moins consciemment & entier dans le cadre de Ja taxinomie scientifique quand celle-ci est conaue de Lenquéteus » OVoir G. Delbos, « Savoirs du sel, sel du savoir », Terrain, 2° 1, oct. 1983 (pp. 11-22), 7A. Leroi.Goushan, « Liexpézience ethaologique » in Ethnologie générale (J. Poitier, €4.), Paris, Gallimard (Encyclopeiie de la Piciade), Pais, 1968, (p. 1819). SParexemple dans fouvmage de Genevieve Delbos et Paul Jorion, La transmission des savoirs, Paris, Editions de la Maison des Sciences de !Homme, 1984, et dans diverses contributions sunies dans le volume Les savoirs naturalistes populaires, Pasi, Editions de la Maison des Sciences de IHomme, 1985, ou encore dans le present auméro de TERRAIN. 9P. Bourdieu Le sens pratique, Pais, es Editions de Minuit (p. 88) 10Vois Tasticle de J. Bonniel, dans ce numéro de Terrain et les travaux suggestifs de M. Satmona, par exemple, « La cultwe économique et techaigue face au développement », Options méeiterranéennes, 21, 1974 (pp. 47-57) et (en collab. avec H. de Vaits). « Résultats d'une étude psychologique de Ileveus ovin », Economie rurale, Cl, 3 (pp. 43-50). LiPlusicurs travaux ilustrent la fécondité de cette approche : voir, par exemple, C. Fabre ‘Vassas, «Le soleil des Limagons », Etudes Rurales,n° 87-88, 1982 (pp. 63-83) etles articles de D. Fabre et de T. Jolas qui resttueat aux oiseaux toute la plénitude symibolique que leur confésent nos société. Pour citer cet article Référence électronique (Christin Bromberger, «Les savoirs des autres », Terrain [Ba ligne], 6 | 1986, mis en tigne fe 19 jullet 2007, 12 mai 2013. URL: hitp/tessain sevues.crg/2890 ; DOI : 10.4000tesain. 2890 Chsistian Bromberges, « Les savoirs des autres », Terrain, 6| 1986, 3-5, Apropos de Vauteur Christian Bromberger ‘Univesute de Provence Droits d'auteur Propriété intellectuelle Entrées d'index Index thématique : savoirs naturalistes Tewain. 6 [1986

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