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ZTERRES D'HISTOIRE LE MAGAZINE DE L'HISTOIRE ET DES REGIONS. & Janvier 2014 De UENL) a ea Pm SUC het ae Pree ira rie Alexandre MARAL CTT cree” poo aay es I ¥ POSE La O20 ee zs , LA MONARCHIE IMPERIALE Histoire-Entreprise.fr EDITION, PRESSE ET COMMUNICATION EN HISTOIRE D’ENTREPRISE ee eR RR Ce Un ecco Ue aa Mr Ren rte — Peery Histoire-Entreprise.fr @ 09 62 175598 contact@histoire-entreprise.fr Notre agence, spécialisée en histoire, rassemble aujourd'hui une douzaine de collaborateurs, histo de formation, recrutés pour leur expérience de la recherche et leurs qualités rédactionnelles, Histoire- Entreprise.fr congoit des projets suvre d'un dispositif éprouvé (delimitation, constitution, et analyse du corpus historique et patrimonial de Fentreprise) et en assure la mise en valeur (réalisation de supports de communication appropriés). iptés A vos besoins, les concrétise par la mise en s fee insole ise tes or. ‘ieutonce area Dict dea pation: Sibu Sat Sestanceremshsvete ‘Motetisnstance restate ‘Acatabor ca numero: eapnsabe de pale: Sine Dut Aso ae 0008) Soc tat raieraa Disttbaton Abnnement: fei ates stone osqus mamta rane ore ‘ior craton ‘itimantogoate sae mambo ovay ambi ener: ‘Srereenoh eases mapene roma ones pet ‘Sorongtanee restore ‘een ier Foxoacom bye Det Edito Christan Duror histrien,réeteur en chef our ce premier numéro de l'année 2014, nous avons mis les petits plats dans les grands pour vous proposer un numéro dense, riche et magnifi- quement illustré # Paris est 4 honneut. Danielle Chadych et Dominique Leborane nous content son histoire des origines 8 nos jours. A nouveau com- plices en 2013, elles ant publié l'Histoire de Paris pour les Nuls aux Editions First. Pour France Terres d'Histoire, nos deux historiennes ont accepté de retracer le long cheminement qui vit Lutace se muer en une capitale dont on peut étre certain qu’ l'aube de ce troisiéme millénaire elle continue dexercer un intérét, une influence et une fascination & I’échelle planétaire. D’autres aspects de Ihis- toire de Paris trouvent ici leur place : le siége de la cité par les Normands (888), la construction de Notre-Dame, exposition événement du Carnavalet consacré au chic parisien de la Belle Epoque aux années 30, sans oublier le Paris de Ihis- torien Jean-Paul Desprat qui retrace 'aventure des porcelaines de Sévres dans une passionnante trilogie romanesque ! Mais ce nest pas tout, loin s'en faut. Les empereurs Napoléon ler et Na~ poléon Ill occupent aussi une place de choix dans ce numéro, Juliette Glickman, au fil d'un entretien passionnant et approfondi, analyse pour nous l'maginaire politique sous Napoléon Il, tandis que Thierry Lentz évoque un congrés de Vienne qui, en 1814-1815, contribua largement & une refondation de l'Europe. Vraiment, on a voulu vous gater il! Alexandre Maral, conservateur en chef au chateau de Versailles, analyse finement et décortique la mécanique de cour sous Ancien Régime. Quand 2 Fabrice Renault, il revient longuement sur le banditisme en Normandie sous le Directoire. Avec lui, nous pénétrons univers des chauffeurs de pieds qui sévirent dans le sillage de Francois Robillard. Enfin, comme 8 l'accoutumée, nous nous sommes intéressés & une profession en rap- port avec l'histoire. Francois Girerd, illustratrice, a eu la gentillesse de nous faire Partager sa passion pour le patrimoine et son talent de dessinatrice... Mais assez parlé, je vous laisse maintenant découvrir dans les moindres détails ce numéro concocté pour satisfaire les plus exigeants ! Bonne lecture 3 tous | France Tees iste Disember 2014 N° 3 Sommaire #3 ADingpiiel Sorbonne en 1690, Peinture de Victor Dargaud. Musée Carnavalet. Pais France Toes distor Dicerbre Janice 2014 N° 3 Linterwiew de lhitorion livre kKittoire ENTRETIEN AVEC ENTRETIEN JULIETTE GLIKMAN ALEXANDR' y 7 4 reas 3 | Exposition Evinement «ROMAN D’UNE GARDE-ROBE» Le chic d’une parisienne __ de la Belle Epoque aux années 30 au musée Carnavalet. Avoir absolument ! Métien d'histoire Z tion a bistoi ENTRETIEN AVEG IANS (Oi oR Ad: FRANGOISE GIRERD OIRO AUD ES nop: Illistratrice du patrimoine DANS L'EURE SOU: 9 ‘AVEC 5 QUESTIONS A SPV PANSVAUH Ubslisi een anys ET AUSSI livres histoire le coin des enfants les B.D. d’histoire les expos ENTRETIEN AVEC NUNS JEAN-PAUL DESPRAT LE DIRECTOIRE iy 3 LMM a aan ENTRETIEN AVEC JULIETTE GLIKMAN Historienne, auteure de «LA MONARCHIE IMPERIALE» Limaginaire politique sous Napoléon III Nouveau monde éditions - Fondation Napoléon Propos recueillis par Christian Dutot Ukidtorii ME LINTERVIEW DE BIOGRAPHIE Docteur en histoire et chercheur associé 3 l'uni- versité Paris IY, Juliette Glikman enseigne 8 SciencesPo. Spécialiste de histoire politique du Second Empire, son pre- mier ouvrage Louis-Na- poléon prisonnier. Du fort de Ham aux ors des Tuile- ries a &t& couronné par VAcadémie des Sciences Morales et Politiques et par le prix Historia de la biographie historique ENTRETIEN AVEC JULIETTE GLIKMAN Propos recueillis par Christian Dutot Dans son demier ouvrage, Juliette Glikman siintéresse & Vimaginaire politique sous Napoléon Ill. Dépassant bien des idées recues, elle analyse finement les fondements de la mo- narchie impériale et revient sur les raisons d'une large adhésion des Francais au régime instauré par celui qui redonna vie & la patrie meurtrie par un demi-siécle de luttes civiles, Entretien. LA MONARCHIE IMPERIALE Limaginaire politique sous Napoléon Il! par Juliette GLIKMAN, Editions Nouveau Monde - Fondation Napoléon, Vous présentez « I'idée napo- léonienne », sous le Second Empire, comme une pensée théorique, originale, char- gée de justifier 'adhésion au régime. Quels sont les fon- dements de cette monarchie impériale 7 Juliette GLIKMAN: La monarchie évoque dans notre histoire politique soit la monarchie absolue renversée en. 1789, soit la monarchie constitution- nelle qui a prévalu de 1815 a 1848. Or, le régime de Napoléon Il sest pensé comme monatchie & part entiére ; le plébiscite a assuré le relévement de la dignité impériale en novembre 1852, mais aucun vote contraire ne peut dé- sormais renverser la dynastie. Tel est le souhait formulé par une commune 10 France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 du Gers, en 1852 : « Vous fates Iélu de la grande Nation, il vous appartient, Prince, de commencer une ére nouvelle (..) en perpétuant par votre race une autre monarchie. » Le régime r’a jamais cessé de penser son inscription dans le flux des ges monarchiques : Napoléon lll se prétend Ihéritier d’Henti IV autant que celui de Napoléon. Lassise héré: ditaire est pensée comme definitive le peuple sen remet a l'empereur dans lexercice de la souveraineté nationale. II s'agit bien d'un acte d’abdication de la puissance populaire : la restauration de Ihérédité au profit de la famille des Napoléon est un cheminement & sens unique, et ne peut s'accommoder d'un quelconque caractére suspensif. lempe- reur détient le sceptre impérial de plein droit, cumulant l'assentiment démocra- tique, sa propre origine populaire (mythe de la « dy- nastie plébéienne a), la préoccupation incessante du progrés social indissociable du nécessaire redresse- ment moral d'une population qui aurait 616 égarée par les « professeurs d'anarchie ». Ces éléments se retrouvent das le discours prononcé 4 Bordeaux, le 9 octobre 1852, qui fixe les axes d'un Empire encore a venir. Il siagit d'abord de « conquérir & laisance > les, populations qui peinent & jouir des produits du sol denvisager des travaux d'infrastructure susceptibles de remodeler le paysage national. Mais sil reste des, «routes 8 ouvrir, des ports 3 creuser, des riviéres & rendre navigables, des canaux a terminer », il ‘agit surtout d’abattre « les faux dieux ». Les conquétes, morales priment les quétes d'ordre matériel. UEm- pire interpréte le débat politique en terme éthique le systéme Impérial régénére le pays en restituant les consciences au bien. Le génie du Mal (anarchie, désordres civils...) est terrassé par le triomphe de Vempereur, qui convertit les coeurs impurs, En quoi « l'idée napoléonienne » s’op elle, différencie-t-elle, jimes antérieurs? JulietteGLIKMAN: Le récime de Juillet est détesté par les théoriciens de la pensée impériale : il s'agit, d’abord de discréditer le regne antérieur. Le régime. de Juillet est frappé d'opprobre pour avoir maintenu les lois de proscriptions lencontre des Napoléon France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 Ch donk ME LINTERVIEW DE 12 (dans ses écrits d'exil, redigés depuis Londres, Louis- Napoléon comparait le roi des Francais au tyran Né- ron). II slagit également d’occulter le culte officiel prodigué en faveur de Napoléon a partir de 1830, dont l'apogée est marqué le retour des Cendres, en 1840. Le second Empire sérige en légataire exclu- sif de la légende impériale, au point de ne pas se concevoir en tant que « second Empire » : le plé- biscite instaurant Empire héréditaire, en 1804 n'a jamais été renié par les électeurs, ce qui permet de ravaler les systémes politiques qui se sont succédé depuis 1815 au rang d'usurpation. Des voeux se féli- citent dela résurrection du méme Empire, qui surait inchangé aprés une éclipse d'un demi-siécle, sym- bole de la France qui, semblable a Lazare, voit sa gloire ranimée, Puisque le régime s‘avére soucieux de s'approprier la nation de légitimitg, il tend a en- tretenir une certaine fascination pour la Restaura- tion. D’ailleurs, les auteurs napoléoniens n’hésitent pas 8 mobiliser des citations extraites des écrits de Bonald et Maistre en faveur de leur favori. Ultime retournement, le principe de légitimité, aussi bien démocratique que dynastique, est capté en faveur du ragne impérial Comment la Ille République « ac- cueille-t-elle » la doctrine impériale ? JulietteGLIKMAN : Pour les républicains, le coup d'Etat est le crime inexpiable commis par un pré- sident parjure, puisque Louis-Napoléon avait solen- nellement prété serment & la Constitution de ls seconde République 2 la tribune de ‘Assemblée, le 20 décembre 1848. Les caricatures de Daumier, les écrits vengeurs de Victor Hugo contre le crime de décembre étaient des rappels lancinants de la transgression initiale. La pensée théorique du ré- gime Impérial était tout aussi inacceptable pour les opposants républicains des années 1860, qui vont devenir les péres fondateurs de la llle, Jules Ferry, France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 Cicontre et pages 8-9: Détail du portrait de Napoléon Ill en 1855 peint par Franz Xaver Winterhalter (1805-1873) Chateau de Fontainebleau. Jules Favre ou Léon Gambetta, Ce dernier, avocat engage, récuse tout biais plébiscitaire, attentatoire a la dignité des citoyens : ds ses premiéres inter- ventions au Corps Iégislatif, le grand tribun revét Vexpression démocratique d'une nature exclusive- ment parlementaire. Toute incarnation de la force populaire en un individu est une transgression, la représentation de la souveraineté emprunte une voie collective. Ainsi, Gambetta soppose-t-il au principe méme du plébiscite, en 1870, tout en assi- milant Napoléon Ill & Catilina : pour le leader répu- blicain, spel au peuple, sollicité par lexécutif, est incompatible avec le respect de la souveraineté nationale dont lexercice est réservé & une chambre librement élue. La caution plébiscitaire est r@duite a une « spoliation du droit national ». Tout doit céder devant la représentation nationale, autrement « le peuple est joué ». La Iile République hérite de cette conception absolue de lexercice parlementaire, tout en dressant la légende noite d'un Empire spo- liateur de la volonté nationale. Dans son discours, le pouvoir ne pré- fére-t-il pas les actes aux construc- tions théoriques savantes ? JulietteGLIKMAN : Napoléon il n’a que mépris pour les constructions philosophiques. Esprit cu- rieux, fascin€ par les sciences, empereur se méfie de ceux quil qualifie avec dédain d’« hommes a pensées abstraites », responsables du trouble des consciences, « Lesprit de systéme » mépriserait Vexpérience des temps et corromprait les popu- lations modestes par des utopies brumeuses, qui englobent les nostalgiques aristacratiques et 'hy- pothese républicaine. Les textes napoléoniens sont hantés parla crainte de « lesprit de parti », prompt 8 attiser les déchirements civils. Le gouvernement im- pétial est seul autorisé a se prétendre national par Vobservation stricte des besoins du moment. Tout pod 14 HE LINTERVIEW DE Ukidtorin Ci-dessus 4 gauche : Illustration extraite du «lll A droite : Une image de propagande datant de 1858 montage idéologique est considéré avec hauteur, au profit d'un discours obsédé par l'action pratique évaluée a l'une de résultats quantifiables : voies ferrées, production industrielle, extension du drai nage, défrichement... Les évidences économiques Vemportent sur les spéculations insoucieuses du lendemain. La figure de expert est valorisée au détriment de celle du philosophe. Le bon sens des masses est plus pertinent que le jugement biaisé de notables obsédes par la recherche de places. Crédits abondants, éloge du travall, bien-étre matériel sont, vantés dans les textes officiels, renouant avec la mo- rale bourgeoise qui valorise le labeur et !épargne. Certes, ces discours peuvent tie taxés de déma- gogiques. Mais la louange dénote la préoccupation d'une autorité soucieuse dexalter ses initiatives en faveur du grand nombre : le Napoléon du peuple, issu de l'acclamation universelle, met en ceuvre les France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 tung» représentant la campagne électorale de 1848, représentant les quatre Napoléon. progrés nécessaire attendus par la multitude déshé- ritée dont il sérige en protecteur naturel. La fidélité dynastique est inséparable de l'attente du progres social. Quels personnels politiques, quelles élites, adhérent a Empire ? Juliette GLIKMAN : Le second Empire a tenu un dis cours hostile aux notabilités, renvoyées & un passé obsoléte, La gageure revient 8 séduire des hommes nouveaux, Industriels ou négociants appréciés pour leur action philanthropique. Le recrutement d’ac- teurs économiques autorise la mise en scene de émulation des intelligences (en langage contem- porain, on vanterait le ralliement d’acteurs issus des forces vives de la nation). Nanmoins, étude dEric Anceau sur les députés du second Empire autorise 3 conclure sur lorigine trés hétérogéne du personnel politique, qui compte dans ses rangs nombre dior Iganistes et de légitimistes. La nécessité d’assurer les taches d'encadrement oblige 2 transiger. Aux yeux de ces ralliés, motivés par la peur sociale ou le souci de carriere, lindifférence & la doctrine est patente. Peu importe la réflexion conceptuelle, si ordre est sauf: le fantasme du « spectre rouge » entrevu pour Vannée 1852 conduit servir Empire, qui canalise les figvres populaires dont les élites ne cessent de redouter les éruptions. La peur sociale contribue 3 agglomérer les bonapartistes du lendemain autour de la figure du Sauveur. Cette diversité des élites pourrait @tre étendue au haut personnel ecclésias tique. Le clergé se rallie, dans l'ensemble, Louis: Napoléon Bonaparte aprés le coup d’Etat, comme en témoignent les travaux conduits par Jacques-Olivier Boudon. Les adhésions publiques envers la dynas- tie guident les nominations. Fraicheur et réserve ne sont pas de mise, alors que le goufire de la subver- sion menacerait dengloutir la civilisation. Ainsi, le personnel politique est dépourvu de solides convic~ tions napoléoniennes. Priment lefficacité adminis- trative, 'ordre public, la performance économique, Liimpératrice Eugénie peinte en 1853 par Franz Xaver Winterhalter. Chat -au de Fontainebleau. et non un quelconque idéal impérial. Vaptitude & rallier les serviteurs des régimes défunts, loin d’8tre gage de la versatilité des girouettes, est d’ailleurs mise en exergue, illustrant la capacité fédérer les, contraires (ou la satisfaction d’une ouverture avant la lettre 2). Les fidélités antérieures sont appelées a seffacer devant la volonté populaire. Le désinté: r&t professé envers les raisonnements doctrinaux 2 servi les débuts du régne. La stratégie permet de confondre Vexercice du pouvoir et lintérét natio- nal, en ignorant avec superbe « la marche des partis ». Tout lenjeu de la pensée napoléonienne est de dépasser ce moment, et denraciner durablement un régime qui se félicite d’avoir bridé les passions, domestiqué les factions et redressé les consciences. Voter, acclamer, louer sont au coeur du projet napoléonien. JulietteGLIKMAN = 2 pensée théorique qui sou- tient le r&gne de Napoléon Ill n'a nullement préten- du restreindre les marques d'adhésion aux résultats plébiscitaires. Diailleurs, ce régime n'a organisé que trois plébiscites en deux décennies : décembre 1851 (afin d'« absoudre » le prince-président de Initiative du coup d'Etat), en novembre 1852 (rétablissement de la dignité impériale) et mai 1870 (refonder le socle constitutionnel sur une base libérale). La geste plébiscitaire est rare, remade ultime des temps de crise, « le dernier moyen de salut », selon l'aveu de Napoléon il en 1870. Le lien de fidélité entretenu en faveur de fempereur était reconduit 3 occasion des élections Iégislatives : la pratique du candidat offi- ciel fut exercée avec constance jusqu’aux élections de 1863. Les préfets avaient pour tache d’éclairer les électeurs, afin de leur désigner le candidat du gou- vernement. Mais |'Empire ne pouvait se contenter d'un lien purement électoral, versatile et intermit tent. En outre, le suffrage universe, instauré en 1848 par la seconde République, est considéré avec mé- “© France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 15 t . . MB LINTERVIEW DE kistorion « Pour la masse des citoyens, 'empereur incarne la nation : il anime les volontés populaires, réconcilie le pays désuni, abaisse les partis minés par l'ambition.» fiance dans les campagnes, inquiétes d'une possible instrumentalisation de cette pratique qui exige la maitrise de écrit. Le recours a I'élection pour dési- gner la téte de la nation jette le trouble : ne serait- ce pas rabaisser la grandeur nationale que dinves- tirle dirigeant d'un pouvoir temporaire ? Les luttes, électorales sont également suspectes diinstiller des germes de discorde au coeur des communautés. Les thuriféralies du régime préiérent en appeler 8 Vacclamation populaire. Le terme, vague et infor mel, englobe les multiples temoignages d’adhésion, en faveur du régime adresses, possies d'loge, arcs, de triomphe jalonnant les parcours des voyages officials, le cri Vive l’Empereur lancé au passage du cortége impérial. Le vote, parfois qualifié d’ovation, est intégré a léventail des manifestations qui té- moignent de la vigueur de la valonté nationale. Le discours sur 'immaturité du peuple dont on doit « éclairer » le vote est lar- gement répandu... JulietteGLIKMAN : Le peuple serait encore dans Venfance : la vulgate est partagée des penseurs so- cialistes aux rangs orléanistes. Les consciences répu- blicaines ont été durablement traumatisées par les résultats de lélection présidentielle de décembre de 1848, qui aboutit 4 porter la téte du pays un prétendant dynastique. Or, les électeurs sont essen- tiellement composes de paysans. Diol la vision de campagnes composés détre bornés et tétus (qua lificatifs utilisés par George Sand), aveugles aux avancées démocratiques. Prévost-Paradol, tenant des «classes éclairées », n'a pas de mots assez durs contre « la profonde couche d'imbécillité rurale ». Louis-Napoléon aurait triomphé en abusant de I'ar- riration de ces paysans, imperméables aux avan- cées généreuses du siécle (Karl Marx impute 2 un monde rural abruti dignorance la facilité du rétablis- sement impérial). Au contraire, les écrits de louange 16 France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 valorisent des électeurs soucieux de leurs intéréts le ralliement 8 Vempereur est complexe, car il méle expression d'une foi dynastique et le souci d’obte- nir des contrepatties. Le vote siinscrit dans une lo- gique du don et du contre-don : Ia relation électo- rale entre les paysans et le souverain est fondé en partie sur léchange raisonné (promesse de création d'une maison commune, gage de rénovation d'une éolise, dotation autorisant le recrutement d'un Insti= tuteur...). Selon les libéraux, ces promesses seraient une corruption déguisée, rabaissant la dignité des citoyens. A inverse, les électeurs ruraux anticipent ces retours, et usent des moments électoraux pour présenter leurs doléances. Quelles relations fempereur entre- tient-il avec la nation ? Une opposi- tion est-elle admise ? Juliette GLIKMAN : Pour la masse des citoyens, Vempereur incarne la nation : il anime les volon- té5 populaires, réconcilie le pays désuni, abaisse les partis minés par 'ambition. Les poésies d'loge ne cessent dexalter le dirigeant extraordinaire qui est investi de la force du peuple. 1! est lempereur élu, unissant "héritage monarchique et les espoirs, émancipateuts de 1789. Le rapprochement entre le titre dynastique et le mode électoral r’est nul- lement percu comme contradictoire, mals parait en gage de rapprochement entre des temps enne- mis, l’Ancien Régime et la Révolution, Lempereur est « Thomme des masses », car il est « deux fois, leur élu », selon expression d'un pamphlet ano- nyme. Acclamer lempereur, c'est honorer le peuple «LEmpereur | était le peuple en sa personne; Et le peuple !l était le chef, par sa couronne ; Empereur!Maisson bras, maisson front, malssoncceur Etait le talisman de la France - Empereur !(...) LEmpereur était le peuple ; et le peuple était roi !> Atienter 8 la vie du prince revient 8 menacer les © C.dutot Ci-dessus Crimée. Maquette. Musée Carnavalet. Paris. La place Vendéme le 29 décembre 1855. Défilé des troupes de Armée d’Orient de retour de «La pensée impériale dessine une vie démocratique ou la notion de minorité nexiste pas : le vote est universel, Ia realité dynas- tique s‘inscrit dans la logique irréfutable de l'histoire nationale.» droits de la nation : le crime de lése-majesté est devenu anachronique a l'heure de « la démocratie impériale », Sen prendre au prince équivaut 4 un crime de « lése-nation ». 'attentat sabote les droits du peuple livré sans défense 4 la « fureur des anar- chistes », Dans ce contexte, lopposition est impen- sable : Vadversaire est un sauvage, un cosaque, voire un cannibale, au mieux un insensé frdlant la folie. La pensée impériale dessine une vie démocratique ot la notion de minorité n’existe pas : le vote est uni- versel, la réalité dynastique s‘inscrit dans la logique irréfutable de l'histoire nationale. Dans quelle mesure peut-on dire que les deux Bonaparte ont travaillé a 'émergence du droit du peuple dans le prolongement de la Révolution francaise? Juliette GLIKMAN : Comme son oncle, Napoléon Ill se prétend fils de la Révolution : I'héritage est Evidemment limité & 1789, dont les principes sont dailleurs disposés en téte de la Constitution du 14 janvier 1852, qui les reconnait en « base du droit pu- blic des Francais ». Le second Empire a ambition de clore le cycle révolutionnaire en mettant en concor- dance légalité civile et les avancées démocratiques, qui auraient été suspendues depuis 1815. Depuis France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 oe 7 t 4 . ME OLINTERVIEW DE histornien France Tees distr DécrbreJamiee 2014 N° 3 Ci-contre : Gravure représentant Napoléon Ill, 'impératrice et le prince impérial, entourés de gens du peuple. En arriére plan, la silhouette de Napoléon ter et I’Aigion. Collection parti- cullére. « Le prince a pour mission de remédier aux iniquités, d’améliorer le sort des classes laborieuses, de veiller d leur bien-étre. Cette vocation ressuscite la mission traditionnelle du roi dévoué a « nourrir les pauvres ».» cette date, le peuple aurait été exclu de la vie de la Cité au profit d’un nouveau groupe de privilégiés, les électeurs censitaires. La pensée napoléonienne assurerait la sauvegarde des vérités sociales et des exigences publiques qui ont émergé en 89. Sous son égide, les distinctions rivales sestompent. Ainsi,, en 1852, une commune du Puy-de-Dome se félicite de l'unanimité de ses électeurs : « Nous n’avons & Augnat ni blanc, ni rouge. Toutes les opinions y sont, tricolores et dévouées au neveu de empereur qui, 3 chaque élection, a réuni unanimité des suffrages.» Le vote, avant détre un outil technique de désigna- tion, est érigé en symbole du monde régénéré par Vimpulsion de 89, dont Louis-Napoléon sérige en continuateur. Lélection en faveur de Louis-Napoléon permet de sécréter un veritable corps de citoyens. Lidée napoléonienne sidentifie 8 Vexercice d'une démocratie disciplinge, respectueuse des droits du peuple tout en méprisant « la populace >. Le napo- Igonisme permettrait a la démocratie d’accoucher de la modemité, en portant d’emblée le peuple a la hauteur des conditions d’exigence de ses droits. Finalement, Napoléon Ill se pose en héritier d'un passé royal qu'il accli- mate aux réalités contemporaines... Juliette GLIKMAN : Napoléon Ill endosse la figure traditionnelle du roi de gloire qui est également dispensateur de justice. La protection des déshéri- tés, obligation primordial du bon gouvernement, est censée conduire l'action publique. Le prince a pour mission de remédier aux iniquités, d'amélio- rer le sort des classes laborieuses, de veiller 4 leur bien-étre. Cette vocation ressuscite la mission tra- ditionnelle du roi dévoué a « nourrir les pauvres». Liconographie officielle met en scéne le prince arborant lépée, qui symbolise son devoir de pro- tection. Présenté en homme vertueux et en sage administrateur, lempereur capte la mystique royale défenseur du « bonheur de la France », il sérige en garant du « repos et de la prospérité de la nation ». Le statut de sauveur ne signale plus létre charisma- tique confronté & une situation exceptionnelle, mais, le monarque de plein droit, doté des attributs de la souveraineté classique, Ressourcé par l'approbation générale, |'—Empire accomplit la vocation monar- chique de la France. A cet égard, le régne bénéficie d'une aura prédestinge. Les électeurs auraient pres- senti une légitimité providentielle qui préexistait & leurs votes, UEmpire ressuscité ne peut se contenter, d'une banale approbation humaine. Lascendance divine est seule en droit d'apporter la sanction dé- finitive, La dynastie, issue de l'urne électorale, se place sous la tutelle de la Providence. Les citoyens instaurent, par leur consentement, une légitimité démocratique fondée sur le souffle divin : «O mon pays !Tu le vois clairement, la dynastie napoléonienne, dont Napotéon ti est actuellement le chef, est non- seulement une dynastie nationale, mais elle est, avant tout, une dynastie providentielle, puisquélle @ pour elle a voir de Dieu, plus encore que Ja voix du Peuple », se félicite un éloge daté de 1869. Vox popull, vox Dei... La voix du peuple transmet les vazux de Dieu. Uad- hésion du grand nombre manifeste ouvertement du caractére sacré de l'autorité, La loi des hommes et la Grace divine sont les étais du tréne Impérial. Comment s‘exprime et se manifeste la croyance en la providence impériale ? Juliette GLIKMAN : L3 figure du souverain est do- tée d'une dimension miraculeuse, renouant avec les prodiges réservés a la monarchie de age clas- sique. Les vaincus apparaissent sous les traits d’un bestiaire fabuleux, chimére de l'anarchie, dragon France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 19 s.dutot 20 t . ME UVINTERVIEW DE kiatorion de l'incroyance, terrassés par le prince, qui foudroie « l'hydre de V’anarchie qui avait ouvert sa queule hideuse et étendu ses griffes sanglantes », selon la lecture quasi-apocalyptique d'une commune de Moselle, en 1852. Cette vision inspire le programme iconographique du Louvre : une premiere esquisse du fronton destinge 3 omer le pavillon Denon, inauguré en 1857, montrait Napoléon Ill en grand manteau, foulant aux pieds deux tritons mons- trueux, peut-étre allégories de la république et de la royauté. Le redressement du pays, aussi bien poli- tique quéconomique, est décrit sous les traits du miracle, le triomphe de la lumiére sur les ténébres, du soleil sur la nuit, de la modération sur le trouble des valeurs. Lexilé politique revét les traits du « damné > a quile souverain promet la redemption France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 Berceau du prince impérial. Sa naissance fut suivie de fétes populaires et de réjouissances dans toute la France. Musée Carnavalet. Paris. Lempereur console les malheureuses victimes des désordres naturels, telle l'inondation qui ravage la vallée du RhOne en 1856. Les secours prodigués lui valent dendosser les traits d'ange gardien du pays. A occasion des voyages officiels, les chro- niqueurs sémerveillent de la coincidence entre V'arrivée du souverain et le suraissement du soleil De la méme facon, l'empereur est réputé apaiser les maux subis par la Nation : la main impériale expurge le poison qui gangrenait le corps social Telle est la suggestion d'une poésie datée de 1856 « Ce Prince, en qui le peuple a mis sa confiance, Lui que Napoléon berca sur ses genoux, Lui que le Ciel propice a ramené vers nous, Second libérateur et supréme resource, Pour guérir tous nos maux, pour en tarir la source, Irevient précédé de pardon et doubli Etcomme par enchantement, lordre s'est rétabli, » La sacralisation du corps du monarque n'a pas dispa- ru avec la Révolution, et Empire parvient 8 ressusci- ter des sentiments anciens, méme sil est difficile de faire la part entre la ferveur véritable et lincitation des autorités, sans oublier le mimétisme social De quelle maniére la mémoire napo- léonienne parvient-elle a_s‘inscrire dans le siécle ? Il y a bien Ia une ins- trumentalisation du passé. Juliette GLIKMAN : Le passé est sans cesse convo- qué au chevet de la légitimité impériale. Lenjeu est fondamental pour une dynastie qui ne peut se revendiquer de la profondeur des siécies. Pour- tant, cette quatriéme race, qui succéde aux Méro- vingiens, aux Carolingiens et aux Bourbons, se réve en couronnement de l'histoire nationale. Certes, les souvenirs du premier Empire sont fortement solli- cités : la vivacité des souvenirs entretenus sponta- nément par la mémoire collective valent une légiti- mité relevant de limplicite, La sélection mémorielle « Lempire n’a duré que quelques an nées ! II durera éternellement dans histoire ! » s‘exalte un magistrat siégeant a la chambre d‘appel de Bastia. fait sens, Vapprofondissement de la légende, sous la monarchie de Juillet, accentue la certitude d'assis- ter a l'mergence d'une dynastie préte a sidentifier au devenir national. Le culte des souvenirs répudie 'hypothése du régne providentiel mesuré a l'aune d'une génération : « Yempire nva duré que quelques années ! Il durera éterellement dans histoire ! » srexalte un magistrat siégeant 8 la chambre d'appel de Bastia. La briveté du régne de Napoléon ler est confrontée a 'immensité de ses bienfaits. Mais cette logique intégre également Ihéritage historique de la royaulé, largement reconstitué par une lecture sélective du passé. En guise de conclusion, cette gram- maire idéologique déployée par le Second empire ne fait-elle pas le lit du discours idéologique de la Ille Répu- blique ? Juliette GLIKMAN : La Ille République va répudier I'héritage imperial, pour des raisons tactiques (né- cessité d'enraciner le sentiment républicain dans les campagnes) et idéologiques (le régime parlemen- taire dénonce comme usurpation incarnation de la souveraineté en un homme). La hantise césarienne traverse la culture républicaine. Néanmoins, le ca- ractére radical de la rupture de 1870 pourrait étre nuancé. Le second Empire s'est révé en couronne- ment de histoire nationale, prétention que la Ile République va reprendre a son compte, captant & son avantage le passé royal, sans rééditer lopéra- tion de table-rase opérée par la pensée révolution- naire. La quéte d'une figure abstraite susceptible dincarner la perpétuité de I'Etat est flagrante au milieu du siécle : si le visage de lempereur béné- ficie d'une diffusion systématique, par le bials de la peinture et de la photographie, le régime invente des images de substitution, telle la silhouette de César, La grammaire des images impériales, dont la propagation est facilitée par la diffusion accrue des imprimés, n'a pu manquer d’impressionner les contemporains. La Ille République hérita d'un ter- reau favorable pour enraciner ses propres modeles idgologiques :le César impérial, identifié ala dignité de 'Etat qui ne peut subir d’éclipse, précéderait Ma- rianne, incarnation d'une République indissociable de la continuité de la Nation, >? LA MONARCHIE IMPERIALE Limaginaire politique sous N: par JULIETTE GLIKMAN Editions Nouveau Monde - Fondation Napoléon 540 pages 26€ lapoléon Ill France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 Mi ACTUALITE livres LIVRES HISTOIRE Le crépuscule des rois. Chronique 1757-1789 d'Evelyne Lever LE CREPUSCULE historienne, dont on ne compte plus les livres références sur le XVille DES ROIS scl, entraine son lecteur dan le tourbilon de la ve de cour, Ver d sailles, et dans celui de la ville, en loccurrence Paris. Tout au long d'un récit qui débute le 5 janvier 1757, et qui voit le roi échapper 3 un attentat, Evelyne Lever raconte un royaume de France, celui des derniéres décennies de lAncien-Régime, en proie au changement et qui voit progressivement Paris Vemporter sur Versailles. Les raisons d’aimer ce livre sont nombreuses un style vif et élégant, un propos dense et précis, une relation des faits sous forme de chronique -un choix qui diminue singuliérement le risque d'expli- quer le présent de la monarchie par la connaissance que l'on a de l'avenir ré- volutionnaire-, et la parfaite restitution d'une époque aux réalités contradic- toires ! Versailles, lieu du pouvoir monarchique et d'hostilité aux Lumiéres, foyer des arts et des intriques, ignore ou s'‘oppose longtemps a Paris dont la société, en fermentation per pétuelle, bascule finalement dans la violence révolutionnaire. La chronique d’Evelyne Lever s'achéve d'ail- leurs le 6 octobre 1789, lorsque le peuple de Paris marche sur Versailles et contraint la famille royale & sins- taller dans la capitale. Mais avant de voir ainsi Paris l'emporter sur Versailles, on découvre, Voltaire, Rousseau et Diderot en pleine réflexion, la politisation progressive des salons parisiens, Beaumarchais et Mirabeau critiquant la monarchie absolue tandis que Paris se modernise, et, parfois, ‘amuse... Paris, dont les artistes sont partout réclamés et d'ou les premiéres montgolfiéres senvolent, vit au début du regne de Louis XVI un temps d’espérance, hélas bien vite dégu... Tour a tour sont ainsi évoquées les querelles politiques, litté- raires et philosophiques des temps. Les scandales qui se multiplient et le ressentiment accumulé contre « VAutrichienne » achévent de discréditer un régime & I'agonie. Remarquablement racontés par la plume ex- périmentée d’Evelyne Lever, les événements rapportés, grands et petits, donnent limpression que, finale- ment, rien n’était écrit d’avance, et ce rvest pas Id I'un des moindres mérites de cet ouvrage foisonnant. C.D. Le erépuscule des rois.Chronique 1757-1789. D’Evelyne Lever, collection Histoire, Fayard, 440 p., 2013. 24€. LHistoire de France pour les Nuls La boite a questions ? fod petit coffret renferme un lot de 94 cartes-jeu. Les questions sont réparties en Aad cing thematiques : « De Neandertal a Charlemagne », « De Louis le Pieux 8 Louis Xil », « De Frangois ler & Louis XVI», « De la Révolution 8 la liléme République » BME || ct «De la Premitre Guerre mondiale & nos jours», La régle du jeu, facile 8 assimiler et sg intelligemment congue, promet 8 tous de belles joutes. On peut y jouer pour y briller EB) ou... se perfectionner! Un petit live, au méme format que les cartes & jouer, vient méme compléter lensemble pour aider 4 la mémorisation des grandes dates de l'histoire de France, De quoi passer un bon moment en famille ou entre amis | C.D, LHistoire de France pour les Nuls. La boite & questions ? Editions First. 2013. 10,50 €. 22 France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 Les Brigands. Criminalité et protestation politique (1750-1850) 3 Sous la direction de Valérie Sotrocasa Ree iyeea (3 (iano alll heute ol! nous publions un article sur le brigandage en Norman- a die, sous le Directoire puis le Consulat, il nous semblait intéressant de signaler lexistence de cet ouvrage, paru il y a quelques mois aux Presses Universitaires de Rennes. Les textes ici rassemblés rappellent les communications d'un colloque international « Brigands et brigandage. Cri- minalité, violence et protestation politique vers 1750-vers 1850 », organisé en mai 2007 au chateau de luniversité de Toulouse Il-Le Mirail. Structuré en trois parties, 'ouvrage traite successivement « de la légende 8 la réalité : une identité construite » puis « l’Etat et le brigandage », et, enfin, « les modéles régionauxs Les historiens sattachent 8 dépeindre ampleut, la complexité et la variété du phénoméne dans un contexte révolutionnaire souvent pro- pice a son extension. A cet égard, la Grande Peur de l'été 1789 engendre une premiére poussée fiévreuse nettement perceptible, A partir de 1793, le refus de la conscription militaire conduit 4 une nouvelle aug- mentation des formes de délinquance et de criminalité. Les tensions politiques, économiques et sociales agaravent la tendance. Sous le Directoire et le Consulat, rétablir !ordre devient alors une priorité, On s'at- taque aux voyageurs et aux propriétés, le plus souvent en usant de violences qui vont parfois jusqu’a la barbarie. Quelques figures emblématiques émergent, telle celle de Mandrin qui conduit Sylvie Mauysset interroger les sources narratives pour savoir sill fut un intrépide contrebandier ou un brigand scélérat ? Sont également sondés les maniéres dont I'Etat cherche a réprimer le brigandage et analysés les manifestations régionales de ces formes de criminalité tant en Bretagne, Auvergne, Corse que dans les Pyrénées. Un cahier iconographique de huit pages et une bibliographie complétent agréablement, et utilement, l'ensemble. C.D. Les Brigands. Criminalité et protestation politique (1750-1850). Sous la direction de Valérie Sottocasa. Collection « Histoire », Presses Universitaires de Rennes, 248 pages, 2013. 18 €. Les rois de France de Jean-Baptiste Santamaria € vous fiez pas aux apparences ! Ce nest pas parce que cet ouvrage, de format minuscule, pourrait &tve offert & un liliputien, que son contenu en a été néaligg pour autant, Jean-Baptiste Santamaria, normalien, agrége d’his- toire, enseigne histoire médiévale 8 luniversité de Lille Ill, Cest dire tout le crédit que l'on peut accorder aux propos de l'auteur. Les notices biographiques qui se suc- cédent vont 8 lessentiel et permettent au lecteur d’appracher les grands événements d'un régne. Utile, efficace, ce petit livre se glissera bien facilement dans votre poche, ou votre sac 8 main, et ne vous quittera plus jusqu’a ce que vos progrés en histoire vous dispensent de lemporter partout avec vous | C.D. Les Rois de France. La carte d’identité des 65 rois de France. De Jean-Baptiste Santamaria. Collection «Le Petit Livre d'Histoire », Editions First, 160 pages, de format 11,2 X 8,4 cm, rééd. 2013. 2,99 €. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 23 ‘Alexandre Maral Le et Editions PERRIN, Octobre 2013, 450 pages. 25 €. 24 wm actuauté Livnes LIVRES HISTOIRE ENTRETIEN AVEC ALEXANDRE MARAL Propos recueillis par Christian Dutot Le roi, la cour et Versailles. roi, la cour Versailles BIOGRAPHIE Alexandre Maral est conservateur en chef au chateau de Versailles, chargé des collections de sculpture. lI a été lun des commissaires des expositions «Louis xiv Parmi ses ouvrages Le coup détat permanent 1682-1789 homme et le roi » (2003-2010) et « Versailles et antique » (2012-2013) La Chapelle royale de Versailles sous Louis XIV (2002) et, aux ditions Perrin, Le Roi-Solei! et Dieu. Essai sur la religion de Louis XIV (2012) Dans I'esprit de beaucoup, les images de Versailles et de la cour d’Ancien Régime sont étroitement liées. Paradoxalement, autant le chateau posséde une image positive dans I'esprit de nos concitoyens, autant la cour d’Ancien Régime souffre d'une historiographie qui ne lui a guére été favorable... Alexandre Maral : Vous avez raison :e lieu n'est pas jugé a la méme enseigne que ceux qui ont occupé sous Ancien Régime. D'un c6té, on admire le palais, les jardins, la ville, 'étendue du domaine, tout un France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 ensemble créé par un génie politique et artistique, de l'autre, on considere avec beaucoup de distance les conditions de vie :non pas seulement la vie quo tidienne, sur laquelle circulent de nombreux cliches (dans le domaine de I'hygigne par exemple), mais aussi la civilisation de cour, que l'on voit comme un univers superficiel, cruel, dérisoire, voire décadent. Le fondement de mon approche est précisément de montrer l'adéquation entre le lieu et ses occu- pants d’Ancien Régime ; un lieu concu pour la cour et destin & en manifester léclat, le raffinement, & en faciliter le rayonnement idées continuent Beaucoup d'étre véhiculées. Dans votre livre, la mé- canique de la cour n‘apparait pas aussi immuable que cela ! Alexandre Maral : U recues principales ic illes un monde réglé es 1 rains nt pas privés quills étaient libres au regard des régles du cérémo nial, d lors de la cérémonie du lever du roi, le souverain Indiquait quelles seraient les acti et selon quels horaires. De mém: vités de sa journée nvhésitait pas a s'absenter de Versailles pour se rendre dans une autre résidence, dans le cadre de les usages de la cour s‘inscrivaient nique, la clef de voute di vétait nullement soumis a ses 1 Cette cour que l'on assimile trop facile- ment aux grands est en fait composite. Alexandre Maral : Votre remarque est parfait mmbreuses années, le Centre de ment r Dicer amier 2014 N° 3 26 m actuauté Livaes LIVRES HISTOIRE «dis-moi ou tu loges, a quel étage et de combien de piéces est composé ton appartement et je te dirai quel est ton degré de faveur aupreés du roi». tions a méme été entreprise pour rendre compte de la diversité de ces statuts. Dans mon livre, j‘ai voulu insister sur la cour comme creuset des elites sociales du royaume : les membres de la noblesse traditionnelle d'épée, au service du roi de guerre, mais aussi ceux de la noblesse de robe, lis aux mi- lieux parlementaires parisiens, et de la bourgeoisie se retrouvent a Versailles pour servir le rol, dans une sorte de préfiguration de notre culture du service de l'Etat De la conception des batiments et des jardins a la décoration, en passant par la dévolution des piéces a des fonctions précises, tout a Versailles tient lieu de discours politique. A partir de 1682, Ver- sailles est le théatre privilégié du regne de Louis XIV. Alexandre Maral : On peut le dire, sile lieu a mis du temps a étre élaboré, s'il a été continuellement mo- difig, il a été soigneusement pensé pour répondre aux besoins liés au logement du roi et de la cour, mais aussi pour traduire une certaine image de la monarchie et de la France. En 1682, le choix d'ins- taller & Versailles le sige ordinaire de la cour et du gouvernement représente une sorte de révolution au regard des usages en vigueur, Jusque-I8 en effet, le rolet son entourage avaient coutume de changer périodiquement de demeure. La décision de 1682 introduit une véritable rupture politique, institu- tionnelle et administrative : un nouveau systéme prend naissance, sur lequel nous vivons encore aujourd'hui, et qui consiste & associer Vexercice du pouvoir et image de son représentant supréme un lieu précis. Versailles devient en quelque sorte la capitale de la France. Qu’appelez-vous Ia «psychogéographie » palatiale ? Alexandre Maral : Uexpression vient de Bernard France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 Hours, grand historien de la cour de Louis XV. J’en ai étendu l'emploi au Versailles d’Ancien Régime. On pourrait la résumer ainsi : «dis-moi ol! tu loges, & quel étage et de combien de pigces est composé ton appartement et je te dirai quel est ton degré de faveur auprés du roi», Peu importe d'ailleurs que Cette faveur soit aussi importante quelle le pareit, ni quelle se maintienne dans le temps au méme degre : ce qui compte avant tout, est Impression quelle produit et, 8 cet égard, le discours des lieux est un outil au service de cette image. Lexemple le plus significatif est celui des filles de Louis XV, qui se sont lancées a la conquéte du corps central du chateau pour affirmer leur lien avec le roi et, par- tant, leur place & la cour, notamment face a Mme de Pompaddour, elle aussi implantée dans ce secteur du chateau Versailles c'est aussi le lieu d’accom- plissement des dévotions royales. Cette composante religieuse de la vie de la cour garde un caractére officiel jusqu’a la fin de Ancien Régime... Alexandre Maral : «Dieu 3 Versailles» » cest le titre que j'ai donné & l'un des chapitres du livre pour rendre compte d'une donnée essentielle de la vie de cour, généralement passée sous silence. Le rol de France est le Trés Chrétien, dans une position en quelque sorte intermédiaire entre Dieu et ses sujets. Il est tenu 8 une vie publique et officielle de dévotions et de prigres, d’actes de gouvernement de I'Eglise de France (c'est lui qui nomme aux évé- chés vacants). II est doté d’un pouvoir miraculeux de guérison : chaque année, jusqu’en 1739, des mil- liers de malades atteints de tuberculose affluent 3 Versailles pour renconirer le roi dans Vespoir d'etre guéris au cours de la cérémonie du toucher des écrouelles. Aprés 1739, méme si le roi ne touche plus les écrouelles, il continue 4 respecter le calen- Ci-dessus : bassin de Neptune. Chateau de Versailles. Page suivante : plafond de la chapelle royale. Chateau de Versailles. drier dévotionnel de l'année liturgique, il entend éguligrement des prédications, il assume son réle de chef de l'Eglise de France De Louis XIV a Louis XVI, Les courtisans pesérent-ils durablement sur le processus des décisions royales ? Alexandre Maral : Dans un systéme comme Ver- sailles et sur une aussi longue période, les proces- sus décisionnels sont difficiles 8 cerner, mais il est une constante : entrer dans la faveur du rol permet de faire avancer ses affaires. Un courtisan habile parvient donc & se faire bien voir et, surtout, 8 se maintenir dans la privance du souverain. I! doit par conséquent faire valoir ses qualités personnelles, son tact, éviter tout faux pas et se protéger de la jalousie et de la malveillance des autres courtisans, est tout un art, dont la carriere d'un Michel Cha millart sous le régne de Louis XIV, ou celle d'un duc de Croy a I'époque de Louis XV et de Louis XVI rendent parfaitement compte. De son cété, le roi est amené 4 favoriser tel ou tel courtisan, ou tel ou tel groupe de courtisans, en. fonction de ses nécessités politiques. C’est une des explications de la place occupée par Mme de Pom: padour, lige aux milieux financiers parisiens, France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 ood 7 m actuauré Livaes 30 LIVRES HISTOIRE ENTRETIEN AVEC ALEXANDRE MARAL (suite ) Propos recueillis par Christian Dutot Le roi, la cour et Versailles. Le coup détat permanent 1682-1789 En s‘installant a Versailles, le roi et la cour prennent leurs distances vis-a-vis de I'en- semble des sujets du roi. Mais le roi sait également mettre de la distance avec son propre entourage. Le systéme des rangs a la cour est de ce point de vue un formi- dable outil politique... Alexandre Maral : La prise de distance 4 légard des sujets du royaume, et plus précisément de Paris, ne date pas de Versailles. La coutume royale d’occuper des résidences situées pour lessentiel dans fouest parisien remonte & Louis Xill, qui met en place le dispositif, ainsi que 'a montré Jean-Claude Le Gull- lou, des résidences royales de Saint-Germain et de Versailles et de la résidence ministérielle de Rueil au cours des années 1630. Louis XIV jeune a peu résidé aux Tuileries : il occupe Saint-Germain et, épisodi- quement, Fontainebleau et Chambord, quand il nest pas en campagne militaire. Jinsiste beaucoup la-dessus, la nouveauté de 1682 nest pas dans la rupture avec Paris, mais dans lidée d'associer étroitement l'exercice du pouvoir 8 un lieu Dans l'univers de la cour, le systéme des rangs est effectivement un outil de distanciation. Cette der- niére est d'autant plus nécessaire que le roi, sa cour et les principaux organes de son gouvernement se trouvent rassemblés en un méme site, ce qui ne peut que favoriser les pressions, les intrigues, les cabales et rendre la vie du souverain insupportable Le systeme des rangs préexiste 4 Versailles, mais Ver- sailles Ia codifié de facon tres précise Versailles est également le lieu d’ou! 'on France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 bascule dans la disgrace... Alexandre Maral : La disgrace, & laquelle je consacre un long développement, est le point ex- tréme de cette logique de distanciation. Elle vaut pour le principal intéressé, qui disparait de la faveur royale, ce qui revient 8 une mort curiale, mais elle vaut aussi, et peut-étre surtout, pour les témoins de Ia disgrace, qui peuvent en tirer des avertisse- ments et des lecons. La disgrace a revétu de mul- tiples formes, mais il est possible de déceler une évolution, au cours de la période, vers des disgraces de plus en plus spectaculaires : le comble est sans doute la disgrace du cardinal de Rohan en 1785, a une époque ol le souverain veut rappeler qui est le vrai maitre de Versailles. Finalement, qu’est-ce qu’étre un « homme de cour » 7 Alexandre Maral : Le comportement de I'homme de cour a été théorisé 3 l'époque de la Renaissance, notamment par Baldassare Castiglione, dans le cadre de ces cours italiennes qui étaient autant de foyers de civilisation. La dimension humaniste est fondamentale : elle explique que Versailles ait été un lieu dépanouissement des arts, susceptibles d'étre godtés et compris par tout un chacun. Dés la Renaissance aussi, "homme de cour est appelé a briller par ses qualités : la «sprezzature» italienne, que l'on peut traduire par aisance, se re- trouve & Versailles, 3 travers cet art de la conversa tion qui constitue une donnée fondamentale de la vie de cour, en quelque sorte identité du courtisan. Par son comportement, par sa maniare de sthabil- ler, par les propos quill tient et la facon de les tenir, «Par son comportement, par sa manieére de s‘habiller, par les pro- pos quil tient et la facon de les tenir, le courtisan idéal prolonge Tceuvre d'art quest Versailles. Il est lui-méme une ceuvre dart.» le courtisan idéal prolonge lceuvre d'art quest Ver- sailles. Il est lui-méme une ceuvre dart. Versailles fut aussi, sous I'Ancien Régime, un incomparable foyer de Ia civilisation francaise, tour a tour lieu d'innovation, puis de consécration, d'un répertoire de spectacles aujourd'hui patrimoine natio- nal. Alexandre Maral : Vous évoquez le domaine de lephémere, de ces innombrables fetes qui ont marqué non seulement le premier Versailles, anté- rieur a linstallation de 1682, mais aussi, et cela est moins connu, le Versailles devenu résidence o’Etat Jusqu‘en 1789, le chateau, ses dépendances et ses jatdins ont servide cadre des représentations théa- trales et lyriques, a des bals, 8 des concerts, 4 des fétes nocturnes, 4 des feux diartifices, etc. Je dresse dans le livre la recension des plus importantes de ces fétes, notamment celles qui ont accompagné la célébration des mariages des quatre petits-enfants Alexandre Marat Le roi, la cour ct Versailles de Louis XV, entre 1770 et 1775, La Révolution francaise provoque Ia dis- persion des grands aux quatre coins de lEurope. Elle ne clét pas pour autant définitivement le chapitre du systeme de cour... Alexandre Maral : La cour se transporte aux Tul- leties avant de disparattre entidrement en 1792. Le systéme républicain qui se met en place abolit cer- taines des composantes du systéme de cour issu de 1682 : plus de monarque, plus de pensions, plus de faveurs, plus de Versailles. Mais le pouvoir reste attaché & un lieu, devenu Pa- ris, Les trois demiers Bourbons avaient fait ceuvre de concentration d'sutorité, les révolutionnaires la poursuivent jusqu’a Vexcés en mettant en place un systéme centralisé La cour se reconstitue avec I'Empire. Elle per- dure officiellement jusquien 1870. La suite reste 8 écrire.. LE ROI, LA COUR ET VERSAILLES. Le coup d'état permanent 1682-1789. par Alexandre MARAL Editions PERRIN, Octobre 2013, 450 pages 25 € France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 31 Mi ACTUALITE livres LIVRES HISTOIRE questions a Thierry Lentz Propos recueillis par Christian Dutot a BIOGRAPHIE Thierry Lentz, $4 ans, historien, est le directeur de la Fondation Napoléon et l'un des meilleurs spécialistes de Napoléon et de I'Empire, Parmi ses nombreux ouvrages, on lui doit notamment une Nouvelle Histoire du Premier Empire en 4 tomes (Fayard) et l’édition des Mémoires de Napoléon (Tallandier). Thierry Lentz vient de recevoir le 16 octobre dernier, le prix de la Fondation Pierte LAFUE pour son ouvrage « Le congrés de Vienne, Une refondation de l'Europe 1814-1815 » paru aux éditions PERRIN rieeny tere LE CONGRES DE VIENNE. Une refondation de Europe 1814-1815. Le congres par Thierry Lentz de Vienne Editions PERRIN, 2013, 400 pages 24€ 32 France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 Aprés que les armes eurent parlé, amené la défaite de Napoléon et la restauration des Bourbons, s‘ouvre le congrés de Vienne (novembre 1814-juin 1815) dont l’objectif est de réorganiser une Europe meurtrie par deux décennies de guerres. II existe une « lecture francaise » de I’événe- ment, plutét négative... Pourquoi ce congrés a-t-il si « mauvaise presse » dans I'historiographie francaise ? Thierry Lentz : Le congrés a mauvaise presse en France parce quill a consacré beaucoup de temps réduire la puissance de notre pays apres la défaite. On I’a effectivement laisse intact, par rapport & ses frontiéres d'avant la Revolution, mais on I’a aussi mis sous a surveillance des quatre grands vaingueurs (Pussie, Angleterre, Autriche, France) et de voisins renforcés (Pays-Bas, Etats allemands, Confédération helvétique neutre, royaume de Piémont-Sardaigne et Espagne). On peut dire qu’a partir de la signature de lacte final, aventure de super-puissance de la France était terminée. Ceci étant dit, sion se meta la place des vainqueurs, c’était la moindre des choses. Les historiens frangais n’ont pas immédiatement, jeté ranatheme sur ces décisions. Il a fallu attendre la défaite de 1870 pour attribuer tous les maux du pays aux décisions de 1815. C'est ts exagére. Ce congrés est vraiment le rendez- vous de l'Europe. Dés I’entame, Tal- leyrand en devient l'un des prin- cipaux acteurs et... trouble-féte ! Thierry Lentz : Une centaine de délégations éta- tigues, deux cents délégations extra-étatiques se sont données rendez-vous 8 Vienne. On estime 4 100 000 le nombre de visiteurs dans la capitale autrichienne entre novembre 1814 et juin 1815. I) était ts difficile diorganiser des séances pléniéres dans ces conditions. Et les grands vainqueurs ne voulaient pas « lacher la main a, IIs ont done décidé de régler les grandes affaires entre eux...sauf quills ‘ont été obligés d'admettre dans de nombreuses séances la présence de Talleyrand, représentant, du roi Louis XVIll, Imaginez : le grand vaincu siége, aide a la décision et perturbe aussi les réunions. Ceci tient au fait que la paix avait été signée & Pa- Tis, le 30 mai 1814, et que Talleyrand fit valoir quon avait désormais besoin de la France pour rétablir Féquilibre européen. Cétait un tour de force que ailleurs l'historiographie lui reconnait sans diff: culté. Une autre question est de savoir sil a réussi Et ici, on est forcé de dire que le retour de Napo- léon, le Ter mars 1815, lui a bien compliqué la tache. Paradoxalement, ce congrés est non seulementun solennel bal- let diplomatique, avecses crises, mais aus un lieu ou l'on danse et s‘amuse beaucoup ! Thierry Lentz : Comme je vous \'ai dit, les grands. vainqueurs, et méme la France, ne youlaient pas que le congrés resemble a celui de Wesiphalie (1648) qui avait duré plus de trois ans parce que tout le monde avait son mot a dire. On a donc tenté de dé- tourner les représentants des petites et moyennes puissances des négociations en les entrainant dans un spectaculaire programme de fetes. Celles-ci furent quotidiennes. Il faut dite que lon sortait de vingt-trois ans de querres et que l'on souhaitait le retour de la « douceur de vivre ». ceci étant, il ne faut pas considérer le congrés seulement comme une suite de tes. On y travailla aussi beaucoup. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 oe 33, 34 m actuauré Livres LIVRE HISTOIRE questions a Thierry Lentz (suite) Propos recueillis par Christian Dutot Les congressistes se muenten«ligue antinapoléonienne ». Ne s‘agit-il Pas avant de tout de mettre « l’usur- pateur » hors de la loi des nations ? Thierry Lentz : Cest seulement au moment du retour de Ile d'Elbe que la coalition se reforme contre la France napoléonienne. On notera ce- pendant que le congras a été officiellement clos le 9 juin 1815, soit neuf jours avant Waterloo. Les grandes décisions géopolitiques étaient donc déja artétées avant la chute définitive de I'Empe- reur. Ca nest que plus tard, avec le traité de paix du 20 novembre, que la France a été sanctionnée occupation du territoire pendant trois ans, indem- nité de guerre, retour dans les frontiéres d'avant 1792. Juridiquement, le congras n'y est pour rien Ce congrés de Vienne initie une diplomatie fondée sur le concept de concert européen. En quoi consiste ce « systéme de congrés » ? Thierry Lentz : Loeuvre du conarés est bien plus vaste qu'un redécoupage de Europe. Ila été la pre- migre réunion diplomatique au cours de laquelle ont été arrétées des décisions « supra-nationales » libre circulation sur les riviéres europgennes, aboli- tion de la traite des noirs, refonte du droit diploma- France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 tique et, surtout, création du « concert européen ». ce dernier donnait aux quatre « grands » auxquels se joignirent plus tard la France et I'italie, de régler par leur arbitrage et leurs décisions les grandes questions européennes, et méme mondiales, afin de maintenir la paix et l'équilibre des puissances Et, de fait, le concert a maintenu la paix géné- rale en Europe jusqu’au début du XXe siecle. Il ya certes eu encore des guerres, mais elles sont res- tes bilatérales, sans embrasement de ensemble du continent, comme cela avait été le cas pour les grandes confrontations du XVlle, XVille et début du Xixe siécle. C'est un bilan qui nest pas négli- geable. Il sest terminé par un échec et le suicide collectif de la Premiére Guerre mondiale. LE CONGRES DE VIENNE. Une refondation de l'Europe 1814-1815. par Thierry Lentz wore Te eons PERRIN, 2013, © _ | 400 pages 24 € Le congres de V Résolution #1 Combler ma tablette. A oe 15 inagazines Offrez la presse quotidienne et magazine Avos tablette, smartphone et ordinateur. Disponible sur ePresse.fr a Vos journaux sur Dappstore > Goosle play Eg Windows tous les @ "g Store ecrans LIVRE HISTOIRE De Gaulle La passion de la France. de Charle: DS Gaulle = if treure ou place rdsevee au général de Gaulle dans les pro- grammes _ scolaires suscite inquiétude et polémique, le monde de l'édition continue de réserver de belles pages 3 homme du 18 juin. Louvrage de Charles-Louis Foulon est 8 mettre entre toutes les mains. Tous les aspects de la vie du Général sont abordés en deux parties, La premiere est consacrée a « homme » et la seconde a « La passion de la France » qui anima le résistant et fondateur de la Veme République. Richement illustré, parfois de photos inédites ou rares, le livre fourmille de ces citations, témoignages et extraits d'archives qui rendent un récit vivant et savoureux. Et avec « le grand Charles » dont les écrits, les discours et les actes témoignent d'un destin exceptionnel, il y a de la matiéte 8 pulser... De lenfance, des combats menés et de la captivité subie pendant la Premidre guerre mondiale, en passant par la formation sui- vie 8 l'Ecole supérieure de guerre et 'époque ot Pétain en fit son officier de plume favori, rien ne manque dans lévocation des années de jeunesse de l'ambitieux de Gaulle. Vient ensuite le temps ot le militaire prend ses distances avec son protecteur pour affirmer des idées éloignées de celles du vieux -Louis Foulon Maréchal. Condamné 8 mort et déchu de la natio- nalité frangaise en 1940, le voila rebelle et apatride 3 Londres d’ou il cherche tant bien que mal 4 poser les bases d'une résistance 4 lennemi. Saffirmant progressivement, et non sans mal, chef des Francais Libres, celui qui incarne a jamais pour le peuple fran- ais la voie de 'honneur durant la Seconde Guerre mondiale prépare 3 la Libération les conditions dans lesquelles la parole serait rendue au peuple. Défen- dant sa vision des institutions et d'un exécutif fort, engagé dans la vie politique, il connait néanmoins apres 1953 une longue traversée du désert avant de revenir aux affaires en mai 1958, en pleine guerre dAlgérie. Elu premier président d'une Veme Répu- blique naissante, de Gaulle méne une politique de grandeur et d'indépendance de la France. Réélu au suffrage universel direct en 1965, il est cependant désavoue par les Frangais lors du référendum de 1969 et quitte définitivement le pouvoir avant de séteindre l'année suivante 3 Colombey-les-Deux- Eglises. Charles-Louis Foulon revient également sur la conception de l'armée que nourrit de Gaulle ainsi que sur sa vision d'un Etat fort et d’une France qui tient son rang de grande puissance. Lensemble donne un ouviage ties agréable a lite, accessible & tous, et qui rappelle & point nommé que, selon les propos de Frangois Mitterrand livrés en 1987 a Jean Lacouture, « la trace du général de Gaulle restera autant quil y aura une histoire de la France dans la mémoire des hommes » ! C.0. De Gaulle. La passion de la France. De Charles-Louis Foulon. Collection « Biographies », Editions Quest-France, 144 pages, 2013. 19,90 €. 36 France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 TERRES D’HISTOIRE LE MAGAZINE DE L'HISTOIRE ET DES REGIONS disponible en version numérique sur lekiosk.com _tERRES D’HISTO IRE Qo wneem ANDROID APP ON Ou u [reel olny @ App Store lekiosk.com Mi ACTUALITE livres ROMANS HISTORIQUES ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL DESPRAT Propos recueillis par Christian Dutot BIOGRAPHIE Jean-Paul Desprat est historien cet romancier, lest auteur douvrages sur Henri IV, Mme de Maintenon et Mirabeau, et de romans, dont Bleu de ‘Sevres (Seuil, 2006) et Jaune de Naples (Seuil, 2010), Rouge de Paris Auteur d’une formidable saga sur la porcelaine de Sevres, 'historien Jean-Paul Desprat évoque sa trilogie romanesque, ses personnages et... la grande histoire qui lui sert de toile de fond. Ce faisant, c‘est tout un pan de I'his- toire des manufactures d’Ancien Régime qui prend vie sous nos yeux ! Pourquoi ces titres ? Bleu de Sévres, Jaune de Naples et Rouge de Paris ? Jean-Paul Desprat : Pour les deux premiers, puisquill s‘agit d'une saga sur la porcelaine, ce sont les couleurs les plus répandues en céramique. Le bleu 3 S8vres - on parle le plus sou- vent de bleu profond, bleu de Sevres ~ Cest encore aujourd'hui la couleur la plus facile a fixer dans une cuis son. Quant au jaune, il convient de préciser que le deuxiéme roman se déroule en Italie et raconte la rivalité de Marie-Antoinette et de sa sceur Marie Caroline, reine de Naples, a pro: 38 France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 pos de la porcelaine. Les deux soeurs se jalousaient et révaient d'avoir les plus belles pieces. Or, le jaune est la couleur dominante de la porcelaine de Naples, pour une raison évidente. Le fond est un fond soufré. Crest le volcanisme qui a donné cette teire jaune qui rappelle a la fois le soleil de Naples et le soufre du Vésuve. Le rouge nest pas & proprement parlé une couleur de céramique, méme sil est énormément utilisé, mais cst le sang de la révolution dont il s'agit. Rouge de Paris raconte la traversée de la manufacture de Sevres pendant la révolution D’ou vous vient cet intérét pour la porcelaine et pour l'histoire de la manufacture de Sévres en particu- lier? La porcelaine et la manufacture de Sévres ne sont-ils pas finalement les véritables héros de vos romans ? Jean-Paul Desprat : Cest ma passion. Je suis & la fois « 17emiste » et « 1Bemiste », et a, /@tais dans ma période Xvilie ! Je venais de faire successivement les biographies du cardinal de Bernis et de Mirabeau. A avers le personnage de Bernis, J'avais appro- ché le personnage de Mme de Pompadour qui m’avait fascing Autant elle est une tes mau- vaise politique, autant elle est la femme quia fixé la beauté, l'art, Vélegance, qui a donné un style de vie, un style de vie qui va se répandre sur toute Europe dans tout le XVille sidcle, Tr8s ponc- tuellement, cst une visite & un de mes amis quitait le directeur du centre d’étude pédagogique a Sevres, qui m’a donné lidée de ce livre. Pourquoi ? Parce que la manufacture de Mme de Pompadour existe toujours. Elle se trouve 8 600 metres de l'ac- tuelle. manufacture nationale Simplement, les ateliers ont été transférés sous Napoléon ill, qui en avait décidé ainsi. Le batiment primitif est extré- mement intéressant. Il n'a pas bougé ! Il y a encore toutes les arilles pour préserver le secret. II existe toujours au bas de la colline de Bellevue. Mme de Pompadour avait fait construire au pied de son chateau. Elle mettait trois minutes pour descendre de son chateau de Bellevue & la manufacture. Cette batisse a été totalement préservée. Elle a été long temps l’école normale supérieure de jeunes filles et elle est actuellement le centre d’étude pédago- i. Paris ESN gique. C'est la visite de ce batiment qui m’a donnée Vidée du roman | Ce récit, ce travail, ces personages vous ont accaparé de nombreuses années.... Qui sont ces personnages de bleu de Sévres, ce premier roman qui nous plonge au coeur d’une véri. table histoire d'espionnage indus- triel? Jean-Paul Desprat : Un roman historique est fait de toutes vos connaissances, vos obsessions, vos passions. Mes héros viennent du Limousin, car c'est dans le Limou- sin que on va trouver le kaolin qui va permettre de faire de la porcelaine dure. Mes héros, je les ai fait tudier dans un endroit qui mrest cher : Mauriac dans le Can- tal. Je suis dorigine auveranate, et il y avait [8 un magnifique col- lage de Jésuites ot ont été éleves des personnages qui vont faire de trés belles carriéres au XVille siécle. Certains seront trés connus et feront des choses magnifiques, dont l'encyclopédiste Jean-Fran- gois Marmontel (1723-1799). J'ai done fait de ce Marmontel, au début du roman, le personnage qui va initier mes deux jeunes gens qui arrivent & Paris. Cest un théme, le jeune naif qui arrive & Paris, que Von retrouve souvent dans la literature avec Alexandre Dumas et dArtagnan, avec Frédérique Moreau chez Flaubert. Mes héros viennent de l'Auvergne et sont quidés a Paris par Marmontel, Lun de mes héros est un minéralogiste quia étudié dans ce coll@ge qui avait pour spécialité la minéralogie, et qui va donc étre employé pour travailler aux roches, aux couleurs et aussi bientét & trouver le kaolin. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 nod 39 40 m actuate Livaes ROMANS HISTORIQUES Louis XV: «la France est un pays tellement béni des dieux qu'il ne peut pas ne pas y avoir de kaolin en France » AYlorigine, la manufacture de Sévres produisait une porcelaine tendre... Jean-Paul Desprat : 2 manufacture de Sevres est fondée en 1756. Elle reprend toutes les fabrications de la manufacture de Vincennes, qui était dans le chateau de Vincennes, Le 10i, en deux opérations successives, 'une en 1745, autre en 1749, sien était rendu complétement le maitre. Sous limpulsion de Mme de Pompadour, qui arrive & la Cour en 1745, on va développer cette porcelaine qui, au départ, est une porcelaine tendre. On ne connait pas alors en France le secret de la porcelaine dure qui rest connu qu’en Saxe, a époque, et a Vienne ! La por- celaine dure a été découverte en Saxe (1709), par Johann Friedrich Béttger, un jeune chimiste 8 moi- tié fou, et par un extraordinaire coup de chance. Dans Bleu de Sevres, il y a deux intriques en realité.Ily a d'abord cet achamement de Mme de Pom- padour, qui meurt trés jeune et de ce fait ne verra pas Faboutissement de ses efforts, 8 trouver la formule qui nest maitvisée quen Saxe, et, par fultes, 8 Vienne, puis, « par dérivation », 8 Strasbourg. Trouver la formule, Fracheter, en usant de méthodes assez énergiques et policiéres, devient une obsession ! Le deuxiéme point sera de dire que lon ne peut pas étre tributaire dun France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 minéral qui niexiste quen Saxe avec le risque den &tre privé en cas de guerre avec Allemagne. Louis XV a cette réflexion extraordinaire digne, d’un géographe grec antique, « la France est un pays tellement béni des dieux quill ne peut pas ne pas y avoir de kaolin en France ». Débute une entyeprise « pelleteuse » ! On va faire prés_de 400 recherches a travers toute la France el on va trouver les plus beaux gisements de kaolin d'Europe a Saint-Yrieix (Haute-Vienne), au sud de Li- moges Dans Jaune de Naples, qui débute en 1770, vos deux personnages, Anselme Masson et Eustache, se re- trouvent mélés a des péripéties na- politaines et romaines... Jean-Paul Desprat : histoire porte sur la rivalité de Marie Antoinette (1755-1793), la petite soeur, avec Ma- tie Caroline (1752-1814), son ainée ! Elles se sont tras bien entendues dans leur jeunesse, mais d'un coup, la jalousie sen méle, Marie-Antoinette, cest celle qui fait un beau mariage ! Elle a épous€ le roi de France, le roi le plus puissant d'Europe a ’6poque, tandis que l'autre a €pousé le roi de Naples, qui est un. Leur rivalité va les pousser & avoir... la plus belle por- « petit roi» | Les piéces trés rares de ce service orné de perles et barbeaux, proviennent d'un service dit “Service de la reine», commande spé- ciale de Marie-Antoinette en juillet 1781, vraisembla- blement destiné a Trianon. celaine possible, Evidemment, Marie Antoinette part avec un atout considérable, Cest 8 Sevres que on pro- duit les plus belles pidces & lépoque. Marie Caroline, mariée en 1768 & Ferdinand IV, roi de Naples et des Deux-Siciles, a beaucoup plus de difficultés. Son beau- pére, quelle n’a jamais connu, était devenu roi d's- pagne sous le nom de Charles il. Il avait quitté Naples, 85 1759, Il laissa tout sur place 8 son jeune fils, 4g de cing ans. Tout... sauf ses porcelaines ! Aussi avait-il préféré faire sauter sa manufacture de Capodimonte et, mettre tous ses chimistes, ses ouvriers, ses machines sur trois bateaux & destination de Barcelone ! II voulut, fonder une manufacture prés de Madrid, Buen-Retiro, mais elle ne marcha pas trés bien. II fit interdire 3 son, fils Ferdinand, quil laissait sur place avec des cardinaux, et des généraux, de faire de la porcelaine ! Mais rien, ny fit | Marie Caroline voulait tellement entrer en riva- lité avec sa sceur Marie-Antoinette que, contre lavis de son beau-pére, elle décida de fonder une nouvelle manufacture 3 Portici, prés de Naples. Jean-Paul Desprat : || est évident que cest une in- dustrie de luxe, puisque la porcelaine coutait extré- mement chet. La collection de Mme de Pompadour, 3 5a mort, en 1764, permettait par exemple diacheter deux navires de guerre de 110 canons ! Cest quelque chose dextrémement couteux. Les princes, toute la haute noblesse, voulaient faire de la porcelaine et en acheter. Détenir les secrets de fabrication, cétait, comme détenir la bombe atomique ! Philosophique- ment, cétait avoir dompté la nature puisquion arivait, en sortant d'une caillasse -parce que le kaolin ce nest, France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 4 @ ACTUALITE Livres ROMANS HISTORIQUES 42 Ci-dessus 4 gauche :jatte A punch du grand service a fond bleu céleste et a décor de fleurs et de fruits, livré & Louis XV entre 1753 et 1755. L’ensemble de ce service fut livré en trois fois jusqu’en 1755 et comportait au total 1749 pieces. Cette piéce est marquée d'un A sous le fond pour 1753, année méme ou 'on prit initiative de dater les piéces a la manufacture de Vincennes. A droite: terrine du méme service bleu céleste. Chateau de Versailles. pas ragoutant avant quion le raffine, c'est une espece de calcaire broyé un peu noir- a en tirer une poudre blanche. C’tait tout d'un coup passer d'une porce- laine dite artificielle 4 une porcelaine naturelle, selon les préceptes de I'Encyclopédie ! Or, cette porcelaine extrémement codteuse, en 1789, plus personne ne lachete. Tout le monde est patti, Cest la crise, Ce matériau couteux n’est plus a fordre du jour. On rest plus dans lesprit de frivo- lité de Matie-Antoinette. Il nly a plus de clients et la fee révolutionnaire va semparer des ateliers, Ce sera comme « Vaffaire Lipp » od l'industrie de luxe tout d'un coup va étre en prise directe avec les 6va- ements révolutionnaires, d’autant plus quill s‘agit d'une manufacture qui fabrique quelque chose pour les riches, pour les privilégiés. Cette manufacture va tout de méme continuer & travailler, avec un person- rel réduit et avec des productions quon va essayer diadapter avec des processus démocratiques et des gotts nouveaux. Les décors notamment évoquent la Révolution. On réalise des bustes de La Fayette, France Tees distire Décenbre Janie 2014 N° 3 de Mirabeau, etc... On slactive méme dans les pires moments de la Révolution puisquon suit la manu- facture jusqu’a la chute de Robespierre. Cest parfois la disette absolue, la misére, des ouvriers qui ne sont méme plus nourris et pourtant, in fine, la manufac- ture va étre sauvée, Limpératrice de Russie, Catherine ll, qui meurt en 1796, avait commandé le plus beau de tous les services que lon peut encore voir a Saint Pétersbourg, avec le E de Ekatharina. Cest_un service de 800 pices qui avait demandé 5 ans de travail 8 une soixantaine de personnes! Limpératrice n’avait pourtant pas payé intégralement son service, Elle rven avait payé que 15 ou 20% ! Quelques mois avant sa mort, on lui apprend que la manufacture est en peril Alors apres sétre assuré que cela rallait pas soutenir la cause révolutionnaire, elle va payer sa dette aprés la chute de Robespierte. C'est cela qui va sauver la ma- nufacture et lui permettre de trés vite repartir. Par la suite, Lucien Bonaparte, ministre de l'intérieur sous le Directoire, réorganise la manufacture, de maniére 3 lui permettre de repartir sur tout I'acquis du XVille siécle, «..Mirabeau cest un personnage de choix pour Rouge de Paris... Mon héroine Adéle, qui porte le prénom de ma fille, tombe amoureuse de lui.» Dans vos romans, vos personnages croisent les grandes figures de Ihis- toire, sont ballottés par les événe- ments de la tourmente révolution- naire. Ils vivent la fin de I’'Ancien Régime. C'est évidemment un grand bonheur pour un historien de faire vivre a ses personnages la grande histoire, d’autant que le roman au- torise une grande liberté de ton a auteur. Jean-Paul Desprat : Bien stir... J'aicette particularité dentreméler les biographies, ce que jal écrit sur Mme de Maintenon, le Cardinal de Bernis, Mirabeau, Mme de Pompadour... Actuellement, je retravaille sur Henri IV. Javais déja écrit sur Henri IV un petit livre « Décou- verte Gallimard ». Ma méthode, je vous la donne, parce que Jaime faire la cuisine aussi ! On ne fait jamais daussi bonne cuisine quiavec les restes! Le maté- riau de mes biographies sert & faire des romans. C'est tras patent dans la trilogie dont on parle aujourd'hui. Diabord avec le Cardinal de Bernis qui est un person- nage romanesque de Jaune de Naples et qui fut 3 lépoque ambassadeur de France a Rome, Bernis était le plus somptueux des ambassadeurs que l'on puisse imaginer. Il donnait chaque semaine des fétes qui ras- semblaient 2000 personnes ! Quant Mirabeau c’est un personnage de choix pour Rouge de Paris... Mon héroine Adéle, qui porte le prénom de ma fille, tombe amoureuse de lu Quand on écrit les derniers feuillets d'une saga aussi imposante, et aussi attachante, on éprouve forcément des regrets ! Eprouve-t-on l’envie de continuer avec ses personnages ? Jean-Paul Desprat : Je pense quil faut savoir finir, comme dans les séries télévisées actuelles ! On a le cas de beaucoup de gens, je pense 3 Sherlock Holmes que l'on a ressuscité parce quill avait du succés, moi, je nfen suis pas encore la et javais envie actuellement de faire une série de romans qui soient plus courts et qui soient unitaires, sur des histolres qui me pas- sionnent... Actuellement, je suis passionné par deux “© Quelques piéces d'un service produit par la Manufacture de Sévres en 1787. Ces piéces sont présentées a Trianon. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 43 Cicontre a gauche La galerie des assiettes au Chateau de Fontainebleau. Cette galerie a été aménagée par Louis-Philippe vers 1840. Au plafond, des peintures datant du XVile siécle d’Ambroise Du bois, provenant de la galerie de Diane. Louis-Philippe fit encastrer dans des boiseries de style Renais. sance cent vingt-huit assiettes de porcelaine de Sevres. Elles re présentent divers évenements qui eurent lieu a Fontainebleau. «... la couleur la plus difficile a obtenir était le bleu céleste, qui doublait ou triplait le prix des piéces...» artiéres petite filles d'Henri WV qui ont toutes les deux assassiné leur mari ! J'ai trouvé que cétait la des per- sonnages de roman. Par ailleurs, la manufacture re- montée par Napoléon, celle d’aprés 1797, qui tout de suite a tres ties bien marché, rvintéressait moins que la manufacture « des vicissitudes » D'un point de vue strictement his- torique, dans les décennies qui suivent, cette porcelaine dure de Sevres connait un grand succés au XIXe siécle, elle a une renommée in- ternationale ! Jean-Paul Desprat : Bien sir, |a manufacture marche sur tous les grands acquis de XVille siécle. Le grand travail a été fait & l'initiative de Mme de Pompadour, méme si elle ne connait pas alors la porcelaine dure. Elle en fixe deja tous les canons, toutes les couleurs. Par exemple, le travail que Mme de Pompadour fait sur les couleurs est tout 3 fait exceptionnel. Nous avons plusieurs teintes de bleu, le bleu étant la cou- leur la plus facile a fixer en céramique, mais la cou- leur la plus difficile & obtenir était le bleu céleste, qui doublait ou triplait le prix des piéces, cest un bleu de la couleur du ciel. Elle va également travailler sur le rose Pompadour, qui est complatement lié 8 son nom et 2 son godt , quaprés on va beaucoup utiliser au Xixe sidcle, surtout en 1900 ol on fera beaucoup de soupiéres roses que lon trouve maintenant un peu Musée Carnavalet 23 rue de Sévigné 75003 Paris Standard : 01 44 59 58 Renseignem nts pratiques Exposition du 17 octobre 2013 au 16 mars 2014. Roman d'une garde-obe, le chic d’une pari sienne de la Belle Epoque aux années 30. Musée Carnavalet 23 rue de Sévigné 75003 Paris Standard :01 44.5958 58 Ouvert du mardi au dimanche de 10h 8 18h Ferme le lundi et les jours fériés. Tarifs : Gratuit pour les jeunes de moins de 14 ans, demi-tarif pour les jeunes de plus de 14 ans jusqu’8 26 ans inclus, RMI, Allocation parents iso- Iés, allocation personnalisée d'autonomieaide sociale de I’Etat pour les réfugiés, Tarifs réduits partir de 60 ans, enseignants en activité, chd- meur, famille nombreuse, Tarif plein : 8 euros, tarif réduit : 6 euros. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 59 wm tes métiers de L’ Histoire ENTRETIEN AVEC FRANCOISE GIRERD ILLUSTRATRICE DU PATRIMOINE. Propos recueillis par Christian Dutot Ilustrations de Francoise Girerd Ahn 60 France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 Ci-dessus : vue a vol d'oiseau de Chenonceau, Votre passion pour les jardins, jimagine qu'elle vous vient de loin. Quand avez-vous décidé d’en faire votre métier ? Aviez-vous d'autres centres d'intérét ? Frangoise Girerd : Ma passion premiere était ar chitecture. Toute petite, je voulais étre architecte. Cétait vraiment mon projet de vie ! J/aimais dessi- ner étant enfant, et mamusais, pour apprendre, & reproduire des personnages de bandes dessinées. J'ai également eu la chance de grandir dans un lieu particulier puisque mes parents ont un mas plurisé- culaire en Languedoc, attenant 8 un jardin de buis datant de la fin du XVille siécle, ombré d'arbres rma- gnifiques. J'ai donc évolué dans ce cadre, ce qui m’a donne une vision particuliére des jardins et du bati,, et a développé ce gout pour cet esthétisme que je Naurais sans doute pas eu en grandissant dans un, autre environnement. Al’époque, quand on regardait la télévision, ily avait beaucoup de films de cape et dépée. Le di- manche aprés-midi, une fois la télé éteinte, fenfour- chais mon vélo et prolongeais les aventures cheva- leresques. J'ai grandi dans ce cadre et cet imaginaire. Apres avoir passé mon baccalauréat scientifique, jal entamé des études d'architecture a Montpellier et Jai ainsi acquis les bases du dessin 4 défaut d’autre chose, cat je me suis vite rendue compte que je Nétals pas faite pour la géométrie descriptive! Et puis j'ai repris mes études apres la nais- sance de ma fille, Alors 8gée de 30 ans, je me suis Git quill ne fallait pas que je passe 3 cété de ce pour quoi j'tais faite. Je voulais faire quelque chose lié 8 Varchitecture, mais je ne savais pas vraiment quoi. J'ai finalement pensé au paysage car il prend en. compte le patrimoine biti et son environnement. J'ai donc suivi un cursus dans le cadre de la forma- tion pour adultes et obtenu un BTA en jardins-es- paces verts, donc un bac professionnel, suivi d'une ence en gestion et marketing spécialisés dans ce domaine. Crest au cours de ma formation que j'ai développé une passion pour les jardins, et surtout pour I'his- “> France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 61 NOUVEAU JARDIN A LA MODE toire des jardins quil faut absolument connaitre si Von veut pouvoir comprendre et apprécier les amé- nagements, leur logique économique, sociale et po- litique. Ce n’est qu’avec cette connaissance que lon peut par exemple apprécier intérét et la beauté des jardins a la frangaise dont les codes de lecture sont aujourd'hui impénétrables sans support explicatif. Une rencontre sestavérée déterminante dans mon parcours professionnel : celle avec mon maitre de stage, monsieur Bernard Pical, qui présidait a Ispoque association nationale des jardineries. Jarrivais dans ce métier de paysagiste en néophyte, mais avec toute ma passion ! Ce quill a détecté trés Cicontre 4 gauche Jardin anglais, Contre 4 droite table de travail de locomotion dans la mesure ot je comptais repré- senter son entreprise sur place. J'y suis allée telle- ment au culot, et avec un tel enthousiasme, quil ma dit: «cst d'accord!» et mia laissée me lancer dans Vaventure. 1'y suis allée pour finalement... rempor- ter le premier prix d'aménagement paysager !Je me suis alors rendue compte que la passion permettait de franchir tous les obstacles, Quand on y croit, on y arrive | si ensuite exercé mon métier de paysa~ giste pendant quelques années avant d’étre recru- te comme responsable du service du patrimoine b3ti et paysager dela cité lacustre de Port-Grimaud dans le Var. rapidement . . Jtai et ma permis Je me suis alors rendue compte que la passion travaiilé non seule- permettait de franchir tous les obstacles. ainsi pen- ment de rene Quand ony croit, on y arrive! tant onze trer au coeur de ans dans la gestion de son entreprise dans le cadre de ma formation - chance qui nest pas donnée & tous les stagiaires~ mais il a, en plus, eu une réaction fan- tastique lorsque je lui ai annoncé 4 brile-pourpoint que je voulais concourir & des Floralies organisées dans une ville située hors de sa zone de chalandise Ce projet était important pour moi, évident meme Je ne savais pas pourquoi, mais il fallait absolument que j'y participe... Je suis donc allée le trouver et lui ai exposé mes ides tout en lui demandant de me fournir végétaux, matériaux, moyens humains et lune des associations de propriétaires qui gérent la cité. Assez rapidement, apres mon arrivée, Jai eu la chance d’avoir pour mission d'archiver tous les documents fondateurs de Port-Grimaud, et me suis retrouvée dans une piéce dans laquelle étaient entassés péle-méle tous les plans de larchitecte Frangois Spoerty (1912-1999), les études dingénie~ rie, les marchés d'appel doffres ainsi que tous les documents juridiques. Quitte a les classer, je les ai lus pour pouvoir donner une logique au range- ment! Ce qui ma permis de rentrer au coeur de lao. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 63 muss méniers de C’ Histoire genése d'un projet fantastique. A lSpoque, Francois Spoerry était parti de rien pour construire une ville bordée par des canaux. Sa force a été dallier son talent et sa passion 8 un choix pertinent de colla- borateurs, tant sur le plan architectural que juri- dique. Cet art de savoir bien sentourer lui a permis de mener & bien son projet, d’autant plus quill était a contre-courant de ce qui se faisait a 'époque ! On préférait alors de grands ensembles du style de Le Corbusier, tandis que Francois Spoerry voulait créer, lui, une cité 4 échelle humaine. La encore, je me suis dit qu’avec de Ia volonté... A Port-Grimaud, en tant que paysagiste, j'ai aussi été chargée de suivie les travaux de réfec- tion des voiries et des espaces verts de la cité, de réceptionner les travaux des nouvelles tranches de France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 # POPP Perrrrrererrer tt mae construction, tout en réalisant des plans de réfec~ tion des abords paysagers d'une de voies d’accés de la cité, Au cours de ces onze années, j'ai néan- moins éprouvé le besoin de retourner a mes réves denfant qui donnaient une large part dans ma fu- ture vie d'adulte, 8 "histoire, 8 la création, a Varchi- tecture et au dessin. A tout cela est venue sajouter ma passion plus tardive pour les jardins. J'ai de plus toujours eu une soif de connaissance inextinguible ' J'ai alors réalisé, a titre personnel, le portrait du mas de mes parents et du jardin attenant. Sans men rendre compte, j'ai diinstinct mis en place toute la démarche que /'allais suivre par la suite dans mon métier dillustratrice du patrimoine : recherches his- toriques, étude approfondie de l'art des jardins et de architecture & teprésenter, études de teprésen- Cicontre gauche : travail en cours sur les broderies de buies au jardin des Tuileries. Cicontre a droite : Cidessous : un pavillon de jardin. tations dites « l'ancienne »en accord avec ’poque évoquée, traduction de Vesprit d'un lieu, mise sur papier de ma sensibilité et de mon ressenti ! En me rendant aux archives pour faire des recherches sur le mas que je dessinais, j'ai découvert qu’un plan de cadastre d’époque napoléonienne pouvait don- ner des renseignements trés précis sur létat d’une propriété, et que la consultation de documents notariaux permettait de comprendre les intentions des propriétaires successifs. J{étudiais également Vrarchitecture, l'art et histoire des jardins propres au Languedoc pour arriver & comprendre et faire le lien entre la configuration du bati et son environ- nement Le travail de recherche et la docu- mentation amassée ont finalement débouché sur des dessins ! Francoise Girerd : Tout 3 fait, et je me suis rendue compte aprés avoir finalisé tous ces dessins, que jfavais fait non seulement le portrait d'une architec- ture et d'un jardin, mais aussi celui d'une activité économique et méme d'une personnalité, celle du propriétaire des lieux au XiXéme siécle, riche ban- quier local En dessinant les plantations mentionnées sur les plans anciens, j'ai ainsi pu faire Ia liaison entre cultures et bati, les vergers de mariers correspon- dant aux vestiges d'une magnanerie oii étaient éle- vés les vers sole. Le banquier propriétaire des lieux avait fait de ce mas sa résidence secondaire, tel quill Btait d’usage 8 I’époque. C’était 8 la fois une pro- priété de rapport et un lieu de plaisance au travers duquel il lui fallait montrer ’étendue de sa réussite et de sa richesse. Par le jeu de la perspective accelé- rée, ila allongé une grande allée de pins pour don- ner Hillusion d'un domaine plus grand quill nétait roderies de buies au jardin des Tuileries. en réalité, De grands portalls ont été disséminés dans la propriété afin de théatraliser les lieux, un Jardin de buis a été aménagé de _maniére a com- poser I'initiale de son nom de famille. Je cétoyais cela depuis mon enfance sans vraiment en mesurer toute la profondeur. C'est le dessin qui m’a ouvert les yeux sur la diversité des éléments que peut abriter un simple domaine viticole, et permis de découvrir le talent des artisans qui ont fagonné lépoque avec beaucoup d'or piliers, grilles, bassins et statues. inalité AVILLON DE JARDIN [leer France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 neva | 65 mi ues meriers de L’ Histoire 66 Ci-contre a droite : Pavillon de la cascade Luneville. « Cest aussi une profession qui se nourrit du talent et de 'excellence de celles et ceux qui ont faconné notre patrimoine et permet, en facilitant sa compréhension, de transmettre cet héritage. » De ces expériences personnelles, vous décidez de vous lancer a votre compte dans cette activité. C'est un pari audacieux, comment y étes- vous parvenu ? Frangoise Girerd : Ji eu Ia « chance > d'etre licen- ciée, et je lai vécu comme une liberté retrouvée! J’ai méme organisé une féte pour célébrer cette ‘opportunité car j'allais enfin pouvoir me consacter ames passions | C’est une reconversion heureuse ? Francoise Girerd : Ah oui, viaiment ! Sans savoir exactement quoi, je sentais que jiallais faire quelque chose qui me correspondrait vraiment. J'ai d’abord beaucoup tatonné car je ne savais pas dans quelle direction me tourner ni 8 qui madresser. J'ai un jour, montré la vue 8 vol d'oiseau du mas que j'avais des- sine 4 un entrepreneur du paysage, qui m'a orien- tée vers la responsable d'un jardin remarquable Menton. Crest elle qui m’a donné lidée de céder mes droits d'auteur pour la reproduction de mes dessins sur des supports qui seraient commercia- lisés en tant que « souvenirs » dans les boutiques des jardins ouverts @ la visite. Je ne savais pas en revanche sous quelle forme organiser mon activité, et, habitant dans le Var, je ne parvenais pas 8 obtenir, de renseignements concrets, ni par des démarches sur le terrain, ni par internet, J'ai perdu beaucoup de temps... Cest seulement en me rendant a Paris, que jai pu obtenir les renseignements qui m’étaient nécessaires, tant auprés de la maison des artistes France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 que du président de l'union nationale des peintres illustrateurs qui m’a d'ailleurs appris que ma future activité était de Villustration. Je me suis aussi rap- prochée d'une société de défense des droits d’au- teur. Et ce nest qu’s lssue de toutes ces démarches, que j'ai enfin pu obtenir des informations concrétes et fiables sur la maniére de déclarer mon activité... Concrétement, comment définiriez- vous cette profession dillustratrice du patrimoine ? Frangoise Girerd : Cest une fagon de mettre en valeur l'histoire d'un liew autrement qu’ travers un livre. Le but est le méme, mais le dessin doit expri- mer et satisfaire & lui seul toutes les valeurs atta- chées a un site, sans autre artifice que le graphisme. Crest un art difficile mais tellement passionnant | Le fait de donner lopportunité de reproduire des dessins propres 8 un lieu sur des supports mis en vente en boutique permet par ailleurs d’insuffler une image dynamique aux sites patrimoniaux. C'est aussi une profession qui se nourrit du talent et de excellence de celles et ceux qui ont faconné notre patrimoine et permet, en facilitant sa compréhen- sion, de transmettre cet héritage. Par exemple, mon premier client a été le jar- din remarquable du Rayol-Canadel dans le Var, pro- prigté du Conservatoire du Littoral. Créé dans la pre- miere moitié du XXeme siecle, il véhicule tous les codes de l'art déco et de la « folie » créatrice propre a la Cote d'Azur, En tant que « passeur d’histoire(s) », Jel’ai dessiné dans cet esprit-, par respect pour son identité et en témoignage de l'art de vivre propre & LE PAVILLON DE LA CASCADE cette Epoque. Comment procédez-vous ? Vous vous rendez sur place pour vous imprégner de I'esprit des lieux ? Faites-vous les recherches biblio- graphiques ? Francoise Girerd : Oui, Je demande d'abord au commanditaire ce quil attend de mei. Ensuite, je cherche 8 comprendre ce que je vais dessiner et recueille pour cela le plus dinformations possibles sur histoire des lieux, liconographie existante, histoire de économie locale, le contexte histo- rique, l'art des jardins, etc, Cest généralement le commanditaire qui me fournit toute la documen- tation, la plus exhaustive possible surtout lorsquill s‘agit d'un lieu connu, Comment procédez-vous a la mise en ceuvre des dessins ? Francoise Girerd : Une fois le relevé de l'stat des France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 67 MM LES METIERS de l'Hirteire ENTRETIEN AVEC FRANCOISE GIRERD (suite) lieux et l'analyse des documents réalisés, je me mets a ma table a dessin et commence a travailler comme on le faisait autiefois en architecture, Cest- a-dire que je dessine entigrement a la main, d'abord sur calque, puis sur papier par lintermédiaire d'une table lumineuse. Cest ce qui fait ma spécificité et donne 8 mon travail ce rendu si particulier que l'on na plus lhabitude de voir aujourd'hui, 8 I'heure des travaux standardisés par ordinateur. Le papier doit étre suffisamment épais pour pouvoir recevoir par la suite les différentes applications de lavis d’encres de couleurs nécessaires a lobtention d'un effet de transparence lors du rendu final. Par ailleurs, je tra- vaille sans aucune perspective et me suis spécialisée dans la réalisation de planches d'architecture dans esprit de Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Tout comme eux, ce qui mimporte le plus est de donner & comprendre ce que l'on a sous les yeux, ce qui mfautorise & ticher dans ls mise en scene ou le traitement des ombres. Ma spécificité réside encore dans la réalisation des vues & vol doiseau qui ont l'avantage de donner une connotation his- torique immédiate et facilitent la compréhension de lespace Je pratique ce que Von appelle le « slow made », mot emprunté & mes confréres artisans d'art, Cest-&-dire que je prends le temps nécessaire pour faire un dessin bien fait. La résultante de ce choix de travail doit se mesurer en termes de qua- lité et de raffinement. Cest ce vers quoi je tends et 68 France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 ILLUSTRATRICE DU PATRIMOINE Propos recueillis par Christian Dutot ui me fait oublier les longues heures penchée sur la table a dessin, Une création peut parfois néces- siter plusieurs mois de travail, mais cest un voyage extraordinaire au coeur de l'histoire du lieu, au sein des bosquets que je dessine, au creux des chemins ui serpentent dans un jardin anglais ou a Yombre des arbres que je projette sur le papier. Le command ‘e en général suit-il l'avancée de votre travail ? Francoise Girerd : En général il me donne carte blanche, ce qui est trés agréable, Pour autant je lui soumets au fur et & mesure l'avancée de mes planches et il m’arrive de corriger quelques menus détails Comment est utilisé votre dessin Par la suite ? Quel support utilisez- vous? Frangoise Girerd : Tous mes originaux sont dessi- nés sur support papier. Puis ils sont numérisés et peuvent alors tre reproduits sur tous types de supports, papier, tissu, bois, matiéres synthétiques, selon l'exploitation souhaitée par le commanditaire carte postale, marque-page, poster, produits de pa- péterie, tissu mural, ombrelle, crayons de couleur, etc. A quel type de clientéle vous adres- sez-vous ? Frangoise Girerd : Je madresse 8 trois types de clientéle : les particuliers qui possédent une belle maison, un hotel particulier, un domaine, une chasse, et qui souhaitent avoir un plan de salon de leur propriété, un inventaire illustré de leur patri- moine, un carnet d’architecture, un portrait d'arbre, etc... lls conservent ces dessins en l'état, ou bien les utilisent pour personnaliser leur décoration inté- rieure, ou bien encore les transforment en petites attentions témoignant d'un certain art de vivre. Cela peut se traduire parla mise en ceuvre d’un tissu mu ral, d’un abat-jour, d'un paravent, par la personna- lisation d’un papier a lettres et de cartons diinvita- tion, ou par Iélaboration de produits originaux quils pourront offrir 8 leurs invités en guise de souvenirs de passage Il peut s‘agir aussi de professionnels, pu- blics ou privés, qui souhaitent mettre en avant les caractéristiques architecturales, historiques ou pay- sagéres des lieux quills gérent et qui sont ouverts au public. Jinterviens alors pour alder la compré- hension spatiale et historique, ou pour contribuer & la mise en valeur du lieu par le dessin. Mes dessins participent aussi & la rentabilité de louverture du lieu a la visite lorsquils sont exploités sous la forme de produits dérivés qui sont mis 3 la vente dans les boutiaues. Je madresse aussi 8 des maitres d'ceuvre, des architectes, des ingénieurs ou paysagistes qui souhaitent donner une dimension artistique aux plans de masse quils ont élaborés. La présentation d'un projet en vue 8 vol doiseau facilite en effet sa compréhension par le public et les commanditaires, et permet a ces entreprises de se démarquer de la concurrence lorsquielles souhaitent travailler pour des lieux qui ont une identité historique forte Avez-vous eu des projets particuliers dans le cadre de l'année Le Notre ? Francoise Girerd : Oui. J'ai réalisé une vue a vol doiseau du jardin des Tuileries évoquant son amé- nagement ’époque d’André Le Notre, J'ai pris pour base le plan de masse d'israél Silvestre de 1671 et Vai transformé en vue a vol doiseau en me basant sur les écrits existant sur le jardin des Tuileries et Le Notte, et en étudiant les perspectives cavaligres de Pérelle, Silvestre et Aveline, ainsi que les traités sur l'art des jardins de l’époque. II m’a paru impor- France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 > 69 70 muss méniers de Histoire Les Canatides et le Labyrinthe CHATEAU DE CHENONCEAU Cicontre 4 gauche: Portique de treillage Labyrinthe du chateau de Chenonceau. Page de droite Voligre Baumaniére Etude sur la tour Eiffel tant, en cette année commémorative, de mettre en valeur ce jardin car il s'agit du premier champ d'expérience d’André Le Notre qui y est né et en a eu la charge a la suite de son grand-pere et de son pére, et parce quil est a lorigine du tracé des futurs Champs Elysées en prolongement de son allée cen- trale, Il s'agit également du premier jardin parisien ouvert au public. Ce travail m’a permis de remonter 3 la genése du réaménagement de lespace par Le Notre, tout en montrant ce lieu sous un jour nou- veau. Contrairement a une perspective qui va for- cément occulter des éléments de par la déforma- tion des lignes, une vue a vol doiseau permet de conserver lintégrité du plan général de masse tout en donnant une troisiéme dimension 3 la représen- tation. On pénétre ainsi au cceur des bosquets tout en ayant un regard intelligent (au sens de compré- hension) sur leur topographie. Le fait pour une institution de faire appel a une illustratrice pour réali- ser un plan dessiné, permet de don- ner un supplément d’ame au plan qui est ensuite distribué aux tou- ristes qui visitent les lieux... France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 Frangoise Girerd : Oui, tout a fait, D’une part, il permet de mieux se repérer, et c'est également une facon de sublimer un lieu. On a tous en téte le plan de Paris de Turgot, qui présentait la ville en cité idéale. Véritable opération marketing avant 'heure, cette vue a vol diviseau a permis de communiquer en utilisant une image qui faisait ressortir tout ce qui mettait Paris en valeur. Vous travaillez sur commande et produisez aussi des créations origi. nales de votre seule initiative ? Frangoise Girerd : Oui, cest notamment le cas pour le Jardin des Tuileries. J’31 réalisé ce plan de ma propre initiative, puis j'ai trouvé un débouché grace 4 une commande de Mme Francoise Simon, créatrice et responsable de la librairie du jardin des Tuileries : 7 extraits de la vue & vol doiseau sous la forme de cartes de correspondance sont donc & présent disponibles @ la vente dans cet écrin idéal, Cest une magnifique librairie hyperspécialisée dans les jardins, et située au sein méme du lieu que j'ai dessing | En tant quillustratrice, je travaille prior tairement sur commande, aussi est-il plaisant de temps autre de réaliser des créations sur sa seule inspiration, Comme la tour Eiffel que j'ai représentée Partie selon son aspect actuel et partie en fonction des plans dorigine de la structure. De méme, ’aime- rais beaucoup dessiner un paysage & la maniére des peintres de la Renaissance primitive. Vous étes amenée a vous déplacer ? Frangoise Girerd : Oui, je me déplace sans aucun probleme, y compris a 'étranget, quand c'est néces- saire. Comment vous faites-vous connaitre? Comment étes-vous organisée ? Frangoise Girerd : Comme dans tout métier lie 8 image, il était nécessaire que j'aie une vitrine pour montrer ce que je éalise. J'ai donc créé un site in- teret, en y intégrant une boutique en ligne pour vendre différents produits imprimés & partir de mes dessins : des cartes postales, marque-pages, posters, cartes de correspondance, reproductions a encadrer et Digigraphies*. La vente de reproductions étant un acte commercial, 'ai donc créé en paralléle de mon activité d’artiste une maison d’édition en auto-en- treprenariat. J'ai également maintenant une page Facebook. Pour la partie commande de dessins, je démarche soit par mail, soit en me rendant sur dif- ‘férents salons professionnels, soit en me présentant directement sur les lieux, soit en faisant connaitre mon travail par le biais d’expositions. Quels sont vos projets actuels ? Francoise Girerd : J’2i en projet la réalisation d'une vue 8 vol doiseau d’un centre historique d'une ville classée « Art et histoire » ainsi que d'une ville et de son chateau du Xvileéme siécle. Peut-étre aussi un Jardin parisien et ses sertes. Idéalement, j'aimerais contribuer & la mise en valeur des jardins et de leur histoire en participant a la réalisation d’une exposi- tion telle celle oiganisée 3 Ia cité de l'architecture et du patrimoine sur le theme des hotels particuliers parisiens. Tres riche et particuliérement didactique, cette présentation permet d/appréhender cet uni- vers avec une grande intelligence (toujours au sens de compréhension). <>? Site Internet : wwwrancoise-girerd.com Page Facebook : www facebook .com/illustration.du- patrimoine Mail - francoise.girerd@tree fr Tel: +33 (06 14 21.3107 France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 n 74 m Récions ef Histoire Robillard : le banditisme dans I’ Eure sous le Directoire par Fabrice RENAULT Professeur d’histoire-géographie aux Andelys (Eure). Vice-président de Passociation normande Les Routes du Philanthrope consacrée a histoire de la traite négriére, de Pesclavage et de leurs abolitions en Normandie. A partir de 1789, la France révolutionnaire est confrontée a une extension considérable, sous différentes formes, d‘un phénomeéne séculaire le banditisme. V'ampleur et la vigueur de ce phénoméne seront telles que ce brigan- dage constituera un véritable fléau sous le Directoire (1795-1799) et participera au discrédit, aux yeux de nombre d'historiens, de cette période marquée aussi par des coups d’Etat politiques et une faillite financiére. Le département de I’Eure n’a pas été épargné par cette flambée criminelle. Le bandit Francois Robillard jeta l'effroi dans les campagnes de ce département pendant prés de quatre ans. Histoire dune bande de chauffeurs de pieds rancois Robillard se lance dans le brigandage bien avant 'époque directoriale. Il est en effet condamné le 30 floréal an i (19 mai 1794) 8 Alencon par le tribunal criminel del’Orne3 24 ans de fer pour un vol commis en décembre 1792 pres de Falaise. Robillard répondit & cette condamnation par une spectaculaire évasion quelques semaines plus tard, I constitua alors une bande criminelle compo- sée d'individus recrutés principalement dans Eure. Le premier vol imputable & cette bande se déroula France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 le Ter vendémiaire an Il (22 septembre 1793), le der- nier le 8 floréal an V (27 avril 1797) soit un brigan- dage sétalant sur 3 ans et demi. A l'exception des deux premiers vols (Robillard était encore empri- sonné a Alengon), cette horde criminelle se trouva sous la direction énergique de ce chef jusqu’au vol du 19 ventdse an IV (9 mars 1796). Robillard et 5 autres complices, arrétés & la suite de ce vol, furent jugés par un conseil militaire siggeant & Lisieux et fusillés le 21 germinal an IV (10 avril 1796). La bande se donna aussitét un nouveau chef en la personne de Pierre Duval, fidéle lieutenant de Ro- billard, qui restera a la téte de cette troupe assas- sine jusqu’au dernier vol perpétré le 8 floréal an V. En termes deffectifs, la bande de Robillard était assez importante. Aux 61 prévenus jugés 4 Rouen en I'an Vil il faut ajouter les brigands arrétés, em- prisonnés ou exécutés avant ce proces comme Frangois Robillard, quelques brigands tués lors diexpéditions ou par leurs propres complices, les individus & la réputation douteuse qui ne furent pas appréhendés par les gendarmes ou qui bé- néficigrent d'une ordonnance de non-lieu de la part de la justice faute de preuves formelles. Limportance numérique de la bande peut aussi varier selon la définition que l'on attribue au mot complicité. Les nombreux petits receleurs écou- lant la marchandise volée, les aubergistes complai- sants, ceux qui savent et qui se taisent, ne sont-ils pas aussi des complices ? Pour toutes ces raisons, il est impossible d’évaluer importance de la bande. de Robillard. Deux brigands, lors de leur interroga- tolre, avanceérent un chiffre, respectivement 300 et 1 000 affidés. Le chiffre de 300 brigands est tout 8 fait plausible, le second semblant peu crédible. La consultation des archives a permis d'identifier au final 75 brigands pour lesquels les renseignements, se sont avérés sis et nombreux. La troupe de Robil- lard était donc importante. Mais rien de comparable avec la célabre bande d'Orgares qui regroupait prés de 400 bandits ! Dans les mois qui suivirent le dernier vol en floréal an ¥, la gendarmerie nationale arréta progressive- ment, un 8 un, la plupart des membres de cette bande. Le tribunal criminel de la Seine-Inférieure (actuelle Seine-Maritime), chargé de l'instruction du procés, rendit son verdict le 25 ventése an Vil (15 mars 1799). Sur les 61 brigands inculpés, 34 furent condamnés 8 mort et guillotinés 8 Rouen deux, mois plus tard. Neuf condamnations a des peines variables d’emprisonnement furent prononcées. Sept bandits en fuite furent déclarés contumaces. Les autres béneficiérent d’un acquittement. Si le recrutement géographique de ces bandits seffectue sur plusieurs départements voisins, cest "Eure qui fournit les % des effectifs (57 brigands), les autres brigands étant originaires de Orne, de la Seine-Inférieure et la Seine-et-Oise. Trois zones France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 75 76 France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 i Le pays d’Ouche. A cheval sur la Basse-Normandie et la Haute-Normandie, aux confins du Liewvin, du pays d’Auge et du Perche, il se caractérise par la présence de nombreux cours d'eau et de boisements. Englobant les foréts de Breteull, de Conches et de Beaumont, cest un pays de boisements, de clairiéres et dessarts Breteuil, Rugles et Conches-en-Ouche en sont les villes principales. de recrutement principales se dégagent : le pays d'Ouche (le canton de Rugles fournissant le quart de la bande de Robillard), le Vexin normand, Rouen et ses environs. Le pays d’Ouche est une région plutot boisée englobant le sud-ouest de I'Eure, le nord-est de Orne et le nord-ouest de |'Eure-et-Loir, située 8 Fouest des plaines céréaliéres du Bassin parisien. Lacte d'accusation recense 36 vols. Mais ce chiffre devait étre plus important car d'autres délits ont été commis par la bande de Robillard, délits pour les- quels de fortes présomptions a défaut de preuves Episodes de brigandage a réussite d'un vol dépendait d’abord des ren- L_seerersieete sir Robillard et ses comparses se lancérent dans le banditisme, certaines de leurs victimes étaient toutes dési- gnées. Diverses relations basées sur le voisinage, la connaissance ou le travail permettaient ou avaient permis aux brigands de cétoyer assez réguliérement des cultivateurs propriétaires. Ces bandits, par des visites domiciliaires, s‘étaient familiarisés avec les lieux, les occupants de la maison, leurs habitudes; ils connaissaient, en outre, leur niveau de fortune. D'autres victimes avaient été choisies grace & divers renseignements que certains voleurs, aux hasards des discussions, avaient pu recueillir dans les au- berges, les estaminets ou autres lieux. Quand ces malandrins avaient la certitude que tel cultivateur était « bon a faire », il restail a reperer et a visiter les lieux du futur délit sous divers prétextes. La perfection dans la préparation du vol était de indiscutables existent. Ce chiffre de 36 vols souligne, néanmoins, 'ampleur de ce brigandage, moins im- portant certes que le banditisme des chauffeurs dOrgéres, inculpés de 95 délits dont 25 assassinats. Le champ d'action de ces criminels recouvre 5 départements. Comme pour lorigine géogra- phique des brigands, c'est le département de I'Eure qui concentre les % des délits (24 vols). Mais une étude plus globale montre que lpicentre crimino- gene se localise dans le pays d'Ouche. mise. Les brigands voulaient ne pas étre dérangés et limiter les risques de résistance de la part des vic~ times. Ces bandits attaquaient donc des fermes ol résidaient des personnes agées, des veuves ou des femmes laissées seules, par leur mari, avec enfants et servantes. En général, une dizaine d’hommes ou de ferimes suffisait méme si certaines expéditions regroupérent jusqu’a 25 bandits La bande arrivait & proximité du domicile de la vic- time, a la tombée de la nuit ou a une heute avancée (entre 11 h et minuit), par petits groupes séparés, venant de directions opposes. Certains gredins arrivaient 8 cheval, d'autres & pied; il s‘agissait de ne pas attirer lattention par un attroupement trop important. Les brigands formaient alors deux groupes. Le premier groupe restait dehors. Sa mis- sion consistait & surveiller les alentours de la ferme pour préveni toute approche humaine susceptible dinterrompre le vol, 8 garder les chevaux et a ré- France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 pod 7 78 ceptionner les sacs contenant le butin Le deuxiéme groupe pénétrait dans la maison. Les bandits se feisaient ouvir la porte par les proprié- tales euxmémes sous divers prétextes. lls se fai- saient passer pour des marchands ou des personnes, éoarées, surpris par la nuit, cherchant lindication d'un chemin pour rejoindre telle commune. Pour tromper la vigilance des propriétaires, quelques bandits revétaient parfois I'uniforme de la Garde nationale et annongaient quills cherchaient des suspects cachés et venaient réquisitionner du big. Sile proprigtaire ne se laissait pas abuser par de France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 tels prétextes, deux ou trois brigands forcaient alors la porte. Une fois dans la maison, les bandits, armés de flamberges (sabres) et de digoires (fusils a baton- nette), le visage masque par un foulard, recouvert de farine ou encore noirci, maitrisaient rapidement les occupants en les ligotant et en les menacant de mort en cas de résistance. Cest 8 ce moment quintervenaient les violences : il s'agissait d’arra- cher tres rapidement & ces propriétaires des aveux sur les endroits ol! se trouvait dissimulé leur argent. Les bandits 8 l'intérieur se scindaient en deux groupes. Lun torturait et questionnait leurs pauvres Ci-contre : Les chauffeurs de pieds au travail . gravure du XIXe siécle extraite de 'ou- vrage d’Armand Fouquier, Causes cl de tous les peuples, vol. 5, Paris, Lebrun, 1862 « Une préparation minutieuse, une exécution ordonnée et rapide, des violences humaines : telles étaient les caractéristiques de ce banditisme qui nétaient pas propres a la bande de Robillard.» victimes ; l'autre dévastait, pillait la maison de fond en comble au fur et 4 mesure des renseignements fournis par les propriétaires mis au supplice. Ces bri- gands martelaient de coups de pieds ou de poings le corps ligoté de leurs victimes, les trainaienta terre ou les suspendaient en air, quelques secondes, comme pour une pendaison. Si cette violence s'avé- rait insuffisante 3 délier les langues, ces assassins passaient au chauffage des pieds. Quelques-uns allaient chercher du bois sec pour alimenter le foyer de la cheminée et approchaient ensuite la plante des pieds de l'atre rougeoyant. Lors d'un vol, les bandits entourérent les jambes d'un cultivateur de paille a laquelle ils mirent le feu ! Ces cruautés atteignirent leur paroxysme lors de deux vols. Ce fut d’abord l'assassinat d'un couple, égorgé, la femme ayant été violée auparavant. Leurs cadavres, dépouillés de leurs vétements, restérent exposés sur une table oti lon retrouva aussi des verres et des assiettes. Ces assassins se seraient-ils restaurés pour féter leur crime sauvage ? Cest un véritable calvaire qu’endura un autre couple, Le mari attaché 2 une chaise fut trainé dans les diverses pieces de sa maison par une corde qu’on lui avait passée autour du cou. Jugeant ces brutalités insuffi- santes, ces brigands le rougrent de coups de poings avant de marquer sa jambe avec une barre de fer rougle. Le sort réservé 4 sa ferme se révéla encore plus atroce. Terrassée et piétinée, ces bandits ap- prochérent ses pieds des braises et les arrosérent ensuite d'eau de vie pour aggraver les douleurs. La peau des jambes tomba en lambeaux. Ce déferle- ment de violences de tout genre ne provoqua pas autant de morts quion pourrait le croire (4 décas) Une femme enceinte sérieusement brutalisée perdit son enfant. Lexpédition achevée, ces chauffeurs quittaient la maison, non sans avoir resserré les liens de leurs vic- times, les laissant dans les ténébres, la détresse et la douleur, Ces bandits se rendaient alors chez l'un entre eux pour le partage du butin chargé sur des, chevaux, Le butin se composait de divers éléments. Naturel- lement, les assignats et surtout le numéraire trou- vaient grace aux yeux de ces bandits. La somme dérobée pouvait atteindre 12 000 francs, celle des assignats plus de 200 000 francs. Mais le numéraite et le papier-monnaie ne constituaient pas tou- jours la part la plus importante de la rapine. Par- fois, le linge (draps, serviettes, piéces de soie ou de dentelle, nappes) et les habits (bonnets, jupes, redingotes, chemises) en composaient lessentiel. Largenterie (lampes, gobelets, tabatiéres, couverts, assiettes, ciseaux, bougeoirs), des armes (fusils, pis- tolets, poudre), des bijoux (montres, croix en or, bagues) et méme du petit mobilier complétaient le butin. Lors de certains vols, quelques produits, pour le moins inattendus, mais révélateurs du fond de misére qui régnait sous le Directoire, se alissaient dans ce butin: beurre, savon, sucre, tabac ou chan- delle. Une préparation minutieuse, une exécution or- donnée et rapide, des violences humaines : telles étaient les caractéristiques de ce banditisme qui nétaient pas propres 8 la bande de Robillard. Les chauffeurs de pieds, qui sévissaient en diverses ré- gions de France, employaient 8 peu prés les mémes techniques. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 79 80 m récions ef Histoire Ci-contre : couverture du supplément illustré du Putit Journal du 15 novembre 1908. Coll.part. La bande de Robillard : une société marginale ? ‘unité d'une bande criminelle et la pérennité L de son action dépendaient de la solidarité qui pouvait exister entre ses différents membres. La cohésion au sein de la cabale de Robillard s'ex- plique d'abord par un recrutement social homo- gene. Tous ces brigands exercaient une profession: pas de gens « sans état », de mendiants ou de vaga- bonds. La présence de journaliers, de boulangers, de charpentiers, de _macons, de colporteurs, de marchands de bié, de chevaux, de tisserands, d’un huissier souligne une assez grande diversité profes- sionnelle. Le regroupement des métiers par catégories révéle que Ia quasi-totalité des effectifs de la bande de Robillard exercaient des métiers urbains ou semi urbains (63 brigands). Seuls 10 voleurs étaient des paysans, Le pays d’Ouche, épicentre du brigandage, était un territoire constitué de bourgs ruraux et de petites communes. Le travailleur urbain restait néaninoins lié aux campagnes voisines par des liens de famille ou par la propriété d'une terre. Des ban- dits, exercant parallélement 3 leur profession princi- pale d'autres activités, se rattachaient a la catégorie de Vartisan paysan. Le pays d’Ouche sétait spécia- lisé dans la petite métallurgie rurale, plus particulié- rement la fabrication d’épingles en laiton. Celle-ci se trouvait disséminge dans de petits ateliers ruraux Quatorze brigands, par leur métier, se rattachent directement (fabrication) ou de loin (vente) cette petite métallurgie de campagne. France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 II semble que ces individus appartiennent aux couches moyennes des catégories populaires rurales et urbaines, Pourquoi moyennes ?IIne s‘agit, en aucune facon, de pauvres démunis vivant de Vauméne publique ou de vagabonds errant de com- mune en commune. ils ne relevent pas non plus des couches supérieures de la paysannerie, ces gros exploitants que sont les laboureurs et les fermiers, détenteurs des moyens de production et notables ruraux. Ces bandits sont de petits artisans paysans, de petits proprigtaires parcellaires, des salariés ru- raux, de petits marchands, des individus exercant plus de petits travaux que de véritables métiers. Lanalyse professionnelle a révélé une certaine ins- tabilité des professions. Nest-elle pas 'apanage des gens modestes ? De par leur profession, de par leur condition sociale, ces brigands se noient dans la masse anonyme des classes populaires des cam- pagnes ol dominent la manufacture et léchange. Le profil socio-économique des familles dont sont issus ces bandits révele que la majorité de ces crimi- nels sont nés dans des milieux sociaux au niveau de vie confortable. Ces familles constituent les couches intermédiaires du peuple des campagnes. Pas de milieux tres pauvres ni de milieux trés aisés issus des couches supérieures du Tiers Etat comme celles dont sont originaires les victimes. Le déterminisme un peu trop simpliste milieu social pauvre-compor- tement criminel ne semble pas tenir ici. Malgré la rareté des renseignements, certains as- Le Petit Journal Le Petit Jeurnal 5 cexmis SUPPLEMENT 1 TLLUSTRE 5 cosiues Le Petit Journal agricole, 5 wal ~~ ta Mede du Petit Jourmal, 2000. suserom ei Aart ra cats ‘ue Petit Journal in dam, 16 +. suman RE Renamer mt at reheat eae dns us es bret pose i LES « CHAUFFEURS » D'AUJOURDHUL Comment procédaient les bandits de la Drome France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 82 m récions ef Histoire pects de la vie pré-criminelle de quelques brigands ‘ont pu étre découverts: aventure militaire pour les ns, montée sur Paris pour les autres, dissociation de la famille au cours de Venfance pour certains, diffi cultés économiques pour d'autres, exercice de petits Si la part des femmes se révélait faible (15 pour 60 hommes, soit un cinquiéme des effectifs), leur role était loin d’8tre négligeable, Parallélement au re- cel et 4 la dénaturation des effets volés, quelques femmes, a l'esprit intrépide, y joignaient une partici- métiers pour pation active Reg Ce bandit sanguinaire, a la forte personnalité, # ee’ fede. ee. S0Uda autour de lui un noyau de fidéles com- (3° {or "0" ments sur Parses qui vouaient a leur chef, omnipotent et condamnées le chemine- Indiscuté, une profonde admiration mélée de 3 mort sur 5 ment vers respect et de crainte. femmesincu- l'état de bri- pées). Létat- gand? Aventuriers dévoyés ? Echec social parisien 2 Enfance perturbée ? Problémes économiques ? Ins- tabilité du travail ? Ce ne sont la que de simples hy- pothases, difficilement vérifiables certes, mais quill faut nécessairement envisager pour comprendre les destins individuels qui poussent & la marginalité et au brigandage France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 civil de cette bande, dont !'age moyen séléve 8 35 ans, révéle une structure sociale normalisée. Un réseau de liens familiaux structurait la troupe et transformait ce brigandage en banditisme familial La moitié de cette bande se tiouvait lide par diffé- rents degrés de parenté, absence de prostituées, compagnes ordinaires des brigands, et la présence Pays d’Ouche : des paysages d'eau trés pittoresques dans la val- Iée amont de I'lton. Atlas des Paysages de la Haute-Normandie de 37 brigands mariés dont 10 couples placent les individus de cette bande dans les normes calquées sur ceux de la société civile La répartition des taches au sein de la troupe est un autre élément de cohésion. Cette dermiere était faite autour de son « chef historique », Francois Robillard, dont la personnalité demeure mystérieuse en raison, de Vindigence des renseignements le concernant. Ce bandit sanguinaire, 3 la forte personnalité, souda autour de lui un noyau de fidéles comparses qui vouaient a leur chef, omnipotent et indiscuté, une profonde admiration mélée de respect et de crainte. repartait chez lui. Les artisans, en loccurrence les charpentiers et les masons, se chargeaient des ef- fractions par les croisés et du percement des murs. Les colporteurs et les petits marchands dobjet divers transmettaient les ordres, repéraient les lieux du fu- tur délit par des visites domiciliaires en rapport avec, leur profession, écoulaient les objets volés dans le cadre de leur commerce. Les marchands de chevaux, fourissaient 3 leurs complices les bétes nécessaires, pour le trajet et le transport, parfois imposant, des différents effets volés. Les orfevres soccupaient de la fonte de l'argenterie dérobée oude la vente des Chaque bri bijoux a des gand avait. Chaque brigand avait une place déterminée_ brocanteurs une place q |‘intérieur de la bande. Son intégration et, ‘ile. Le feawmnes a par dela, son réle en son sein, s‘effectuait eee la bande. son SUivant ses capacités et sa profession. ae thas intégration étaient, avant et, par dela, son ile en son sein, seffectuait sui- vant ses capacités et sa profession. Ainsi, Jacques Lemarchand, huissier & Rugles, assumait plusieurs fonctions d’ordte juridique comme l'assignation des fauxtémoins pour les procés ou la délivrance de faux passeports et de faux visas. La participation de chaque brigand dans la préparation et la réalisation du vol se différenciait selon le métier de chacun. La maison des aubergistes (6 dans la bande sans compter d'autres cabaretiers qui, bien qu’étrangers a la bande, avaient une mauvaise réputation) était, Vendroit idéal pour les rassemblements avant et aprés le crime. La taverne a toujours été considérée comme un des refuges de la marginalité. Les ban- dits s'y rassemblaient la veille ou le jour meme du vol ; ils y établissaient un plan. Une fois Vexpedition terminée, ils venaient se réfugier dans 'auberge ot le butin était parfois partagé. Le lendemain, chacun tout, une activité feminine. Ces femmes sétaient spécialisées surtout dans le maquillage du linge et des habits volés. Ce travail était d’autant plus facile que la plupart dentre elles exercaient chez elles, or- dinairement, des activités liées au textile : on trouve dans la bande 3 couturiéres-lingéres et 5 fileuses de lin. La dénaturation consistait 8 changer pour cer- tains vétements les initiales des victimes par celles des brigands qui en étaient entrés en possession Ces femmes pouvaient également retailler dans cer- taines piéces de tissu de nouveaux vétements. Les capacités de chacun et chacune étaient donc utili- sées au mieux pour rendre plus efficace l'action cri- minelle de la troupe. Cette répartition des roles nest en rien originale. D’autres bandes lont appliquée. Profitant du désordre quasi général du Directoire, quelques brigands, par leur comportement verbal France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 83 récions ef Histoire 84 Pays d'Ouche. Le Val Gallerand : petit hameau restauré en 1930, niché au creux de lahaute-vallée de la Risle. (déclarations publiques sur leur état de brigand) et leur audace ostentatoire (revatir en plein jour les habits de ses victimes ou payer en argent quand on est pauvre) étaient conscients de ne pas appartenir 8 la société établie. De méme, adoption d'un nom déemprunt constituait une sorte de baptéme sanc- tionnant l'intégration d’un brigand dans la bande, au-dela de la volonté de rester anonyme aux yeux des autorités judiciaires. Le surnom « lEnfer » attri- bué & Robillard faisait référence & sa cruauté. Un bandit était sunommeé « Trois pouces » en raison d'une infirmité, un autre « Paris » 8 cause de son origine géographique. Ces pratiques traduisent une contradiction. D’un été, les brigands ont congu une organisation cri- minelle parfaite, visant a rendte le vol anonyme, sor et rapide. De l'autre cote, quelques bandits ont oublié cette régle élémentaire qui est la prudence pour tomber dans une espéce de fanfaronnade, Cest un trait de mentalité caractéristique de la cri- France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 minalité d’Ancien Régime. Pourtant, la coupure nétait pas totale avec la société dorninante. Des liens persistaient encore. Le respect par quelques brigands de certains usages comme continuer de faire enregistrer sur les registres d'état civil de leur commune, mariage et baptémes, lexer- cice d’un métier ou bien la possession d'une maison sont autant de preuves d'une relative intégration a la vie sociale de la commune. La célébre bande d'Orgeres présentait une toute autre physionomie, La plupart de ces bandits de 'Eure-et-Loir étaient des mendiants professionnels ou occasionnels sil- lonnant les plaines de la Beauce. Cette horde vivait cachée a labri des forets et des grottes. Ces chauf- feurs, par tous ces aspects que lon ne retrouve pas pour la bande de Robillard, constituaient un groupe nettement plus marginal. La troupe de Robillard constituait une association criminelle avec son organisation et ses rites insérés dans la société dominante. Robillard : le banditisme dans l’Eure sous le Directoire (suite) par Fabrice RENAULT, historien Brigandage ou banditisme politique ? es victimes ont rapporté dans leurs dépo- sitions de nombreux propos tenus par leurs bourreaux tendant a faire d'eux des «chouans » Ces déclarations font référence la Vendée et 8 l'armée de Charrette, au contenu idéo- logique de Is chouannerie, 3 l'ancienne noblesse et 2 ses coutumes ou encore aux profiteurs des biens nationaux. A Voccasion de quelques vols, ces brigands chouans accomplirent des actes typi- quement contre-révolutionnaires comme la des- truction de symboles patriotiques et républicains brdlement d'une écharpe tricolore, lacération d'un gilet de volontaire, destruction d'arbres de la Li- berté. Une double expédition dans la nuit du 15 au 16 pluvidse an IV (4-5 février 1796) dans de petites communes de I'Eure-et-Loir a les apparences d'un acte de chouannerie. Des percepteurs de Yemprunt forcé sont contraints de remettre les valeurs en numéraire et en assignats, dont ils étaient porteurs, Une quittance au vocabulaire royaliste rejetant la Convention en place leur est déliviée. Parmi les membres de lexpédition se trouvait un contre-ré- volutionnaire étranger a la bande de Robillard, fusil- lé plus tard comme chouan en vertu du jugement d'un conseil militaire. Le choix des victimes est aussi révélateur d'une expédition chouanne. A travers ces deux percepteurs, ces bandits s/attaqualent a la fal- blesse du régime directorial : son manque d'argent. Se proclamer « Chouan » et agir comme des Chouans ne constituent pas pour autant une preuve formelle d'appartenance a la guérilla contre-révo- lutionnaire. La bande de Robillard endossa liden- tité chouanne pour mieux Iégitimer, aux yeux des autorités républicaines et de lopinion publique, violences et crimes. Un phénomane de contigtité peut expliquer une telle usurpation. Le premier Di- rectoire voit une résurgence de agitation royaliste et, aprés un arrét momentané consécutif aux paci- fications de I'an Ill, Ia reprise de la lutte vendéenne et chouanne Ouest, lutte qui se transporte a de nouveaux départements. Depuis 1796, Louis de Frotté est a la téte d'une insurrection chouanne en Basse-Normandie, Des bandes chouannes ont pu sinfiltter jusqu’sux confins de l'Eure, Par ailleurs, France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 85 86 m récions ef Histoire existence d'une chouannerie dans ce département est attestée, dans les environs de Verneuil-sur-Avie en I'an IV avec Orosmane, ce bandit qui signa les deux quittances lors du double vol des 15-16 plu- vidse, puis autour d’Evreux, a partir de 'an V, avec la bande des fréres Lepelletier. Au vrai, la bande de Robillard mvétait pas chouanne, Des confidences maladroites de certains bandits ont trahi les vrais mobiles de leurs crimes. Lattitude de Robillard est par ailleurs ambigle. Il se présente lors de son premier vol en décembre 1792 dégui- sé en représentant de la Garde nationale traquant les ennemis de la République, 3 savoir des prétres réfractaires. Trois ans plus tard, il dirige un mouve- ment luttant contre cette méme République ! La nature du vol est également significative. La bande chouanne des fréres Lepelletier, responsable entre van V et l'an X de 26 délits et crimes, s'attaquait en priorité aux personnes investies de fonctions poli- tiques et administratives diverses (percepteurs des contributions, receveurs de lenregistrement) et aux France Tees distor DécrbreJamiee 2014 N° 3 convois sur les routes, Rien de tel avec la troupe de Robillard qui pillait, quant & elle, les fermes cossues de riches fermiess. action purement criminelle de ces chauffeurs de pieds s'est donc donnée la couverture d'un souleve- ment royaliste pour accroitre 'effroi quils causaient et se blanchir aux yeux des opposants de la Répu- blique. D’ailleurs la confusion entre brigandage politique et banditisme de droit commun, que fon retrouve pour d'autres bandes en France, était habi- Iement entretenue par les autorités républicaines, Si les brigands cherchaient a légitimer leurs crimes sous le couvert d’actes de chouannerie, les Répu- blicains sefforgaient, quant a eux, de discréditer les Vendéens et les Chouans en les assimilant a de vils brigands. Une circulaire de Merlin de Douai, ministre de la Police générale, adressée a l'administration de Rugles en ventOse an IV assimile Is Contre-Révolu- tion a un immense complot fondé sur le crime. Lorigine de ce banditisme doit plutét étre recher- chée dans le contexte socio-économique du Direc- Cicontre a gauche : Détail - mbuscades de Chouans a Ia bataille de la Gravelle (1793) par le peintre Evariste Carpentier (1845-1922) en 1883. Musée dart et d'histoire de Cholet Ci-dessous : Pays d’Quche. Saint-Christophe-sur-Avre tole, La réaction thermidorienne, consécutive 3 la chute de Robespierre en thermidor an Il (juillet 1794), permet un rétablissement de la liberté éco- nomique, favorable 8 une haute bourgeoisie mal- menée sous le gouvernement révolutionnaire. La conséquence immédiate de ce retour au commerce libre fut leffondrement accéléré de lassignat et une inflation galopante, aggravée par une crise des sub- sistances, Autant de motifs de recrutement comme le souligne la déclaration d'un brigand : « Ton com- merce ne peut te nourtir, puisque tu ne recois que du papier » Certains profiterent de cette dépréciation du pa- pier-monnaie, qui sera finalement supprimé en plu- vidse an IV (février 1796), et de la crise inflationniste pour senrichir, alors que les catégories populaires senfongaient dans la misére. Les membres de la bande de Robillard étaient conscients d'etre les vic~ times de cette situation spéculative. « Les fermiers et les meuniers sont tous des coquins, parce quils vendent la farine et le bled par un prix exhorbitant » rapporta un brigand. Un autre déclara dans une au- berge au cours d'une conversion : « Tous les meu- riers sont des gueux : quand on leur fera regorger ce quils ont vole, il n'y a pas de mal & cela » ll est vrai que la hausse du prix des denrées incitait les pro- ducteurs a ralentir leurs ventes de blé, notamment dans l'espoir de profits croissants. lls désertaient volontairement les marchés et vendaient clandes- tinement leurs récoltes au prix fort. Deux brigands se sont rendus chez deux cultivateurs qui allaient étre attaqués plus tard pour acheter du blé. Ces deux paysans ont-ils vendu leur blé au prix fort ? La permanence du theme du pacte de famine apparait France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 co 87 88 m récions et Histoire « On assiste a une explosion criminelle en I'an IV (26 vols). La France aborda I'hiver 1795-1796, qui fut aussi froid que I’hiver précédent, dans une pénurie céréaliere. » derriére cette évocation du voleur-volé, du profiteur spéculateur, Si rien ne permet diaffirmer que ces riches exploitants étaient des « spéculateurs » ou des « profiteurs », une chose est certaine : la bande de Robillard ne s'est pas trompée de victimes en al- lant chercher l'argent [a ou il était caché ! La majo- rité des victimes (les %) était des exploitants ruraux vivant dans l’aisance, la moyenne de leur contri- bution directe en 1790 sélevant 3 224 livres. Mais pour certaines victimes, limposition atteignait 482 livres et la somme dérobée, 7 000 8 10 000 francs en numeéraire | Sur cette situation spéculative et inflationniste vient se greffer une crise des subsistances lige a des condi- tions climatiques désastreuses, Le département de l'eure est touché par une premiere disette consé- cutive la mauvaise récolte de I'an Il, 8 une spécu- lation active sur les grains et 8 un hiver 1794-1795 particuligrement rigoureux. Verneuil-sur-Avre, ville du pays d'Ouche, est le théatre de deux émeutes lies a la cherté du pain dont le prix a augmenté de 33 % dans les premiers mois de 1795. On ne constate pas pour autant en 'an Il une pous- sée criminelle & la mesure de ce contexte écono- mique désastreux (3 vols seulement), Les bandits de la cabale de Robillard n’en furent pas moins obligés, comme des milliers d'autres, de sillonner le dépar- tement 3 la recherche de blé, Lattitude de deux brigands qui, au printemps 1795, se présentent, France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 habillés en gardes nationaux chez les fermiers, et les contraignent 8 leur donner du bié quils rglent selon un prix fixé dioffice, est, 8 ce sujet, significa- tive, Sans doute cette période de disette et d'infla- tion a-t-elle certainement agi comme un ferment en dégradant la situation socio-économique de ces gens modestes et fragiles jusqu’a un seuil de rup- ture criminelle que les conditions spécifiques de Van lV permettent de franchir aisément ‘On assiste & une explosion criminelle en l'an IV (26 vols). La France aborda lhiver 1795-1796, qui fut aussi froid que 'hiver précédent, dans une pénurie céréaliére (récolte de été 1795 8 nouveau défici- taire), Cette nouvelle crise des subsistances acheva de paupériser les masses populaires deja fortement touches auparavant. La courbe des vols est en cor- rélation positive avec la crise hivernale: la bande de Robillard commet 16 vols entre brumaire et ventse an IV (octobre 1795 a février 1796). La seconde moitié de l'an IV se révéle moins criminogéne (10 vols) : le phénoméne du brigandage perd alors de son intensité, Il est vrai que la crise socio-écono- mique de I'an Ill et de 'an IV s'atténue a partir de Vété 1796. Lamorce d'une amélioration de la situa- tion économique se ressent dans le rythme du bri- gandage puisqu’apreés fructidor an IV (aout 1796), le nombre des vols s'effondre. Uaction criminelle de la bande de Robillard sinscrit bien dans un bandi- tisme de le misere. Le Directoire face au banditisme dans l’Eure : une lutte longue et difficile e développement spectaculaire et sans pré- cédent du brigandage sous le Directoire, nourri par une conjoncture économique dé- sastreuse, sest appuyé sur la faiblesse organique du premier Directoire. La volonté des autorités d'éradiquer le ban- ditisme sest heurtée a une insuffisance des moyens de répression a la fois humains, matériels et finan- iets, La gendarmerie, créée en 1791 pour rempla- cer rancienne maréchaussée, était numériquement faible avec un effectif d’environ 5 000 gendarmes pour tout le territoire (prés de 100 gendarmes pour Eure) et manquait déquipements (armes, mon- ures, vivres), Les fonctionnaires étaient impayés ou mal payés avec des assignats fortement dépréciés. Le gouvernement directorial fut obligé de payer d’aoit 8 décembre 1796 la moitié de leurs salaires en blé ! Les prisons se trouvaient dans un état de grand délabrement, faute d'argent pour y effectuer les réparations nécessaires. Les gardiens étaient peu nombreux pour exercer une surveillance active et certains geéliers se laissaient corrompre par les bri- gands emprisonnés. II était donc facile de s'échap- per. Neuf bandits de la cabale de Robillard siéva- rent ainsi a peine arrétés. Le relachement moral des gedliers avait facilité l’stablissement d'une cor- respondance entre les détenus et des personnes extérieures : lettres de menaces 3 certaines victimes pour quelles se taisent, lettres de corruption 3 des gendarmes, lettres 8 des complices (pseudo-té- moins 8 décharge) pour établir une version des faits identiques lors d'un proces. Toutes ces insuffisances criantes peuvent expliquer le manque de zéle de certains fonctionnaires dans la répression du bri- gandage. La lutte contre les bandits reposait alors sur énergie de quelques officiers: Payen, officier “> France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 89 m récions et Histoire LES «CHAUFFEURS « DAUTREFOIS Comment proctdaient lev bandits @Orpéres France Tres distr DécrbreJamiee 2014 N° 3 Cécontre : extrait du supplément illustré du Petit Journal du 15 novembre 1908. Coll.part. de gendarmerie a Verneuil-sur-Avre, sillustra dans la traque et arrestation de la bande de Robillard La troupe de Robillard profita aussi d'une certaine impunité, Les tribunaux, autres organes de répression, se sont révélés d'une indulgence pour le moins surprenante. Parmi les 61 brigands jugés a Rouen, prés d'une dizaine avait été arrétée, jugée et acquittée pour des vols 4 nouveau signalés dans lacte d’accusation du procés de Rouen! Les acquittements furent — essentielle- ment oeuvre du tribunal criminel de Eure ; cest peut-étre 3 cause de cette impunité que ce tribunal. s'est trouvé dessaist du proces de la bande de Robillard au profit du tibunal crimi- nel de la Seine-Inférieure. La clémence des juges slavérait telle que certaines victimes r’osaient plus dénoncer leurs bourreaux. II est vrai que les bri- gands noubliaient pas, avant de quitter la ferme quils venaient de dévaster, de menacer de repré- sailles leurs victimes si ces derniéres parlaient. Ce manque de confiance des citoyens dans leurs insti- tutions judiciaires souligne état de décomposition morale dans lequel le Directoire se trouvait plongé. Le brigandage bénéficia aussi de linadaptation de Pour approfondiv... La clémence des juges s‘avérait telle que certaines victimes n‘osaient plus dénoncer leurs bourreaux. V'arsenal pénal. Le Code Pénal de 1791 présentait bien des avantages pour ces brigands puisque les souffrances, résultant du chauffage, étaient igno- rées. Il faudra attendre la loi du 26 germinal an V (15 avril 1797) pour que la peine de mort soit décrétée contre les bandits qui infligeaient aux personnes de mauvais traitements laissant des traces, tel le chauf- fage. activité criminelle de la bande de Robil- lard, reposant sur des vols avec effraction & Vintérieur de fermes cossues et violences corporelles dont le chauffage de pieds, est commun au brigandage des grandes plaines céréalidres, no- tamment celles du Bassin parisien. Loriginalité de la troupe de Robillard tient a plusieurs éléments un recrutement trés régional et familial, une inté- aration partielle dans la société civile et un ban tisme de la misére né des désordres socio-écono- miques et Iégitimé par une action politique lige 3 la chouannerie, Le brigandage, veritable fléau sous un Directoire en pleine déliquescence, créa une insé- Curité qui facilita lexigence d'un régime diordre : ce sera le Consulat de Bonaparte au lendemain de son coup d’Etat du 18 brumaire an Vill. >? Fabrice Renault, Robillard le banditisme dans I'Eure sous le Directoire, Mémoire de mattrise préparé sous la direction de Claude Mazauric, Faculté de lettres de Rouen, 1987 Georges Lefebvre, 10 France sous le Directoite 1795-1798, Editions Sociales, Paris, 1984 André Goudeau, Le département de Eure sous Je Directoire, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2012 Richard Cobb, La protestation populaire en France 1789-1820, Calmann-Lévy, Paris, 1975 Denis Woronoff, La République bourgeoise de Thermidor a Brumaire 1794-1799, Le Seuil, Paris, 2004 Ilustrations : Atlas des Paysages de la Haute-Normandie - décembre 2010 - Région de Haute-Normandie, DREAL Haute-Normandie, Département de Eure et de Seine-Maritime, Union européenne Agence Folléa-Gautier ; Atelier de I'lsthme. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 91 Fe BIMANDS AS NT PARIS~ DANIELLE CHADYCH ET DOMI- NIQUE LEBORGNE VIENNENT DE PUBLIER AUX EDITIONS FIRST «L’HISTOIRE DE PA- RIS POUR LES NULS». ELLES REVIENNENT. DANS UN ENTRETIEN ACCORDE A FRANCE TERRES D'HISTOIRE SUR L'EVOLUTION DE LA CITE DEPUIS SA FONDATION JUSQU'A NOS JOURS. HISTOIRE DE PARIS DivembeeJaie 2014 N' 3 [ELLE CHADYCH ET E NIQUE LEBORGNE racontent ISTOIRE DE NOMBREUSES MANIFESTATIONS ONT ETE ORGANISEES POUR FETER LES | 850 ANS DE LA CATHEDRALE GOTHIQUE. UNE OCCASION D'EVOQUER L'EDIFICE QUI, D'EMBLEE, SUSCITA L'ADMIRATION DES FIDELES PAR SA MONUMENTALITE ET SON HOMOGENEITE. France Tees dHisoreDécembre nvr 2014 N° 3 93 *LES GAR ASSIEGENT PARIS écrit par Christian DUTOT, historien MM DOSSIER HISTOIRE DE Paria 888 Les Normands assiegent Paris Gravure extraite de fouvrage «Les cironiqueurs de Phistoire de France des origines {nos jours.» British Library par Christian Dutot, historien Quand le péril normand et la confusion politique profitent aux Robertiens... es décennies passaient et les Normands nen finissaient pas de multiplier les pil- lages... Remontant les fleuves, ils en devas taient réguligrement les rives. Aprés une accalmie dans les années 870, les expéditions avaient repris de plus belle | Dans |s défense des populations, Robert le Fort avait montré dindéniables qualités de stratage et de courage. Ce fut au cours d’une confrontation & Brissarthe, contre une coalition de Normands et de Bretons venus piller Le Mans, quil 96 France Tees distor DécerbreJamiee 2014 N° 3 trouva la mort (866). Trop jeune encore pour assurer la défense de la marche de Neustrie qui incombait 2 son pére, Eudes est finalement nommé comte de Paris en 884. Comme son pére, est dans la lutte contre les Normands quil construit sa réputation, En 888, le tine royal étant vacant, une assemblée de grands du royaume choisit de le faire roi plutot que de laisser la couronne revenir au carolingien Charles le Simple. ABBONIS, LUTECIA PARISIORUM A NORMANMIS OBSESSA, LIBRI DUO. SCIDULA' SINGULARIS* Concarun Dei ples ets et contra? indignes bho, scree omnemaue tcrigenam se sided in Chit wring van mane jan Toe sti elo syne bit qeteope oe (OT Se ret pe Teenie taine Narco Serer err ny PO eeu atc plusieurs reprises déja, Paris fut menacée et prise, les Normands n/acceptant de partir quiaprés le versement d'une rangon desti- née 3 obtenir leur départ, En 885-886, la ville edt 8 soutenir un long siége qu’bbon entreprit de racon- ter dans Les querres de Paris, un poeme rédigé en vers latins. On y découvie une ville limitée alile de la Cité, au peuplement quatre & cing fois plus dense qu'aujourd’hui. Parmi les monuments remarquables de 'époque se trouvait le palais royal béti jadis par Vempereur Julien 'Apostat, occupé ensuite par Clo- vis et ses descendants avant de devenir le lieu de résidence des comtes, Deux cathédrales, une placée sous le vocable de Safht-Etienne, lautre sous celui de Sainte-Marie, auxquelles'Venaient s‘ajouter de nom- breuses églises, servaient la célébration du culte chrétien. Le long des rives de la Seine, enfin, plusieurs monastéres accueillaient une population de moines ou de monialessiévéque de Paris, Goalin, avait fait construire des tours aux extrémités des ponts qui re- ligient ITle aux deux rives. Une muraille et un profond fossé constituaient les principales défenses d'une cité qui, par ailleurs, bénéficialt déja de la protection na~ turelle qu'apportaient les bras du fleuve. @ 25 novembre 885, les Parisiens virent arriver une flotte quibbo & 700 navir qui aurait tran hommes ! faisait déja plusieurs mois et du Eudes, 5 NouvE +t pourparlers d't jllant fit pleu Le siége de Paris Gravure d'Emile Bayard journée favorable aux Parisiens, on voulut amélio- rer de nuit les de d'un étage la te nord tant et si bien qu'au point du la surprise de age renforcé | Inc set éle\ défenseurs de la tour, les joquer son effondre- nuillante, cire et isoire i chaudés par ces échecs répétés, les Normands s‘établirent prés de Saint- Germain-des-Prés dou ils pillerent les campagnes environnantes le temps de construire de nouvelles machines de guerre. De nombreux villages étaient pillés avant d'etre brilés. Les récoltes furent perdues et les captifs réduits en esclavage. De leur coté, en vue de soutenir de nouveaux assauts, les Parisiens installérent une catapulte sur la tour nord. Deux mois s'écoulérent ainsi avant que les combats ne reprennent en janvier. Lenne- mi fit cette fois porter ses efforts en plusieurs points & la fois. Au soir de ce nouvel assaut, il éprouva de lourdes pertes. La Seine charriait les cadavres dans ses eaux. Le lendemain, les Normands voulurent combler les fossés en “7 4 y jetant tout ce dont ils disposaient & proxi- mité, Ne reculant devant aucune cruauté, on | sacrifia dans Vopération des troupeaux en- i tiers qu'on égorgeait préalablement et dont les carcasses vinrent se méler aux matériaux de toutes sortes : troncs d’arbres, pierres, branches, végétaux... Rien n'y fit ! Cela ne suf- fisait toujours pas... La fureur des assailants leur fit alors commettre une nouvelle atroci- 16, On ramena des campagnes les prisonniers qu'on destinait & 'esclavage. Les malheureux furent sacrifiés et leurs corps projetés a leur tour sous les yeux effarés des Parisiens. Le soir venu, il fallut se rendre a ’évidence, les dé- fensestenaient bon... et un nouveau repli sim- posait ! On renouvela encore les assauts avec des tours mobiles perfectionnées sans plus de succés, Des embarcations enflammées vinrent s‘écraser contre les murailles. Peine perdue ! Une ctue de la Seine fit plus de dégats en em- portant l'un des ponts et isolant la tour sud ! Contraints d’évacuer Vouvrage, ses infortu- nés défenseurs résistarent plusieurs heures avant de devoir se rendre, en échange de la promesse arrachée & l'ennemie de respecter leur vie. A peine leurs armes déposées, on leur trancha la téte ! La détermination des défenseurs ne devait pourtant pas faiblir. Au cours de la nuit suivante, on reconstruisit le pont qu’avaient emporté les eaux. Devant tant d'obstination et voyant fondre leurs réserves, les Normands décidérent de reprendre le pil- lage des campagnes. Derriére les murs de la cité, la situation n’était guére meilleure. Aussi voyant l'ennemi se préparer a lever le camp, on tenta bien une sortie, mais, en état d'infé- riorité numérique, la tentative tourna court. Par ailleurs, les renforts attendus ne venaient pas, hormis une bande de Saxons commandée par leur duc, Henri, et qui ne resta pas... Bref, on était aux abois de part et d’autre ! I! fal- lut négocier. Eudes se chargea de pourparlers qui amenerent la division chez lennemi. Cer- tains se laissérent acheter et s'embarquérent vers de nouveaux horizons. D’autres restérent espérant encore s‘emparer de la cité, DOSSIER HISTOIRE DE France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 100 Le comte Eudes combatant les vikings. Gravure de 1883 d'Alphonse-Marie Adolphe de Neu- ville extraite de rouvrage de Francois Guizot (1787-1874), The History of France from the Far liest Times to the Year 1789, London : S. Low, Marston, Searle & Rivington, 1883, p. 257 Comment le comte de Paris devint roi ! vec le déces de Gozlin, qui fit de lui le pre- mier défenseur de Paris, et celui d’Hugues L’Abbé, dont il hérita, le camte Eudes prit une toute autre dimension. Pour heure, la peste fit son apparition et acheva de compromettre encore davantage la fragile situation dans laquelle se trou- vaient les Parisiens. Trop de cadavres n’avaient pas regu de sépultures ! Déterminé a agir, Eudes, trom- pant la vigilance des Normands, quitta Paris et se rendit aupres de lempereur Charles le Gros pour implorer son aide, Le retour ne se fit pas sans dif- ficullé, Conscient de Varrivée prochaine de puis- sants renforts, 'ennemi joua son va-tout et tenta & nouveau, sans plus de réussite, de prendre la ville, En septembre 886, Charles le Gros vint finalement sétablir 8 Montmartre. Il avait pour lui la supério- rité numérique. Il préféra pourtant acheter le départ des Normands qui, délaissant Paris, sen allérent piller Meaux. Lempereur présida I’élection du suc- cesseur de Gozlin afin de donner § Paris son nouvel évéque. Eudes, quant 8 lui, se vit confirmer comte de Paris et héritier des domaines d'Hugues |'Abbé. Outrés par la lacheté dont Charles le Gros venait de faire preuve, les vassaux obtinrent bient6t l'abdi- cation de lempereur. En février 888, les grands du royaume se réunirent & Compiegne d’ot ils accla- merent le comte de Paris, Eudes, pour roi ! La méme logique qui, en 751, avait conduit 4 'éviction des Mérovingiens au profit des Carolingiens, conduisit a .ce nouveau changement dynastique. On privilé- Pour approfondir... gia la compétence au détriment de la fidélité & une famille. Uarchevéque Gautier de Sens procéda au sacte de lélu. Pour Voccasion, le nouveau roi pro- mit de chasser l'envahisseur. On mesure par Ia ce qu'était la principale préoccupation du moment ! La chose n’allait cependant pas de soi. En effet, aprés avoir dévasté Meaux, les Normands mena- Gaient & nouveau Paris, Eudes réclama l'aide de tous, Quelques seigneurs vinrent alors combattre les Nor- mands séparément. lls entamérent ainsi les forces et Je moral de lennemi. Anschéric, le nouvel évéque de Paris, porta le coup de grace ! Ses hommes d'armes firent une courageuse sortie qui amena de lourdes pertes dans les rangs adverses, Vennemi abandon- ra Paris, et, se regroupa prés de Montfaucon en Ar- gonne. Le 24 juin 888, Eudes obligea les Normands a livrer bataille. Bien quien infériorité numérique, les cavaliers francs parvinrent 8 mettre 'adversaire en déroute. Devant une telle victoire, les derniers récalcitrants vinrent rendre hommage a Eudes et acceptérent de le reconnaitre comme seul roi légi- time. Une victoire toute provisoire néanmoins pour Vélu qui... dut lul aussi verser tribut aux Normands qui menagaient 4 nouveau Paris, dés 889, et ne put empécher par la suite les grands de transformer en seigneuries héréditaires les comtés et duchés quills étaient censés adminisirer en son nom... Mais ceci est une autre histoire... <>? Abbon de Saint-Germain-des-Prés, Le Siege de Paris par les Normands, éd. et trad. Henri Waquet, ditions Les Belles Lettres, 1942. GOBRY (Ivan), Les Capétiens (888-1328), collection « Documents d'histoire », Tallandier, 2001 MENANT (Francois), MARTIN (Hervé), MERDRIGNAC (Bernard) et CHAUVIN (Monique), Les Capeétiens. Histoire et dictionnaire (987-1328), collection « Bouquins », Editions Robert Laffont, 1999. France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 101 Ee BA 92g? *-.4 DOSSIER HISTOIRE DE tas i ah 1b ° art tin Gi Ai sprig: Gaiew Bi iets pe 1 na S, s Pn aa Fe! coy ABUL Nes oat , ake 2 a Bape tee ¢ «Plan dela ville de Paris depuis Jules César jusqu’a Clovis» i : Poa Ass Paris d traversles sideles British Library So eka, 229 ee Bao “ENTI TIEN AVEC DANIELLE CHADYCH ET DOMINIQUE LEBORGNE Historiennes, auteures de «L HISTOIRE DE PARIS POUR LES NULS» aye aa ' TM) oe rel Propos recueillis par Christian Dutot ii LHistoire de Paris pour les Nuls. par Danielle Chadych de Paris et Dominique Leborgne Editions pour les Nuls FIRST, 2013, 384 pages 22,95 € Pie et ME DOSSIER HISTOIRE DE Paria L HISTOIRE DE PARIS 104 ENTRETIEN AVEC DANIELLE CHADYCH ET DOMINIQUE LEBORGNE Propos recueillis par Christian Dutot BIOGRAPHIE Danielle Chadych, historienne de Paris et bibliothécaire du musée Carnavalet, est Vauteur de nom= breux livres sur la capitale, dont WAtlas de Paris, évolution d'un pay- sage urbain (Parigramme, 1999 rééd. 2007) et Le Marais (Pari- gramme, 2005) Dominique Leborgne, _histo- rienne, a notamment publié WAtlas de Paris, €volution d'un pay- sage urbain (Patigramme, 1999 ; 88d, 2007) et Saint-Germain des Prés et son faubourg (Parigramme, 2005). Danielle Chadych et Dominique Leborgne ont également co-si- ‘gné Paris pour les Nuls, Paris rive droite pour les Nuls et Paris rive gauche pour les Nuls aux éditions First Danielle Chadych et Dominique Le- borgne viennent de publier aux éditions First «histoire de Paris pour les Nuls». Elles re- viennent, dans un entretien accordé a France Terres d'Histoire, sur évolution de la cité depuis sa fondation jusqu’a nos jours. LHistoire de Paris pour les Nuls. par Danielle Chadych et Dominique Leborgne Mele PPro Editions pour les Nuls FIRST, 2013, 384 pages 22,95 € France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 Vers le milieu du Ille siécle av. J.-C., les Parisii occupent le site et fondent Lutéce. Les origines de la Lutéce gauloise sus- citent encore aujourd'hui beaucoup de questions. Danielle Chadych : En effet, il existe une grande différence entre la Lutéce gauloise et Ia Lutéce gal- lo-romaine, que Yon connait avec certitude, La Lu- téce gallo-romaine occupée par les Romains couvre un territoire bien défini comprenant Iile de la Cité, la montagne Sainte-Genevidve sur la rive gauche, et un faubourg sur la rive droite. Elle a laissé de nombreux vestiges tels les arénes, les thermes de Cluny. Par contre, Vemplacement de la Lutéce gauloise qui ’'a précédée reste énig- matique dans la me- sure ow il ne subsiste aucune preuve déoccu- pation permanente. Les traces gauloises sont lacunaires : des mon- naies trouvées dans le fleuve et deux fonds de cabane découvertes rue de Lutéce. Lunique témoignage dont on dispose pour locali- ser Lutéce est écrit : il s'agit de celui de Jules César qui raconte dans La Guerre des Gaules la bataille de Lutéce en 52 avant J.C. César évoque ainsi Lutéce :« cet oppidum des Parisii est situé dans une ile du fleuve Seine... Il est entouré d'un marais continu qui déverse ses eaux dans la Seine, et rend ues difficile raccés 4 toute la région. » Ainsi, en toute logique, on a situé Lutéce dans I'le de la Cité avec diautant plus d’assurance que la ville gallo-romaine coccupait cette tle, Seulement César qui r’était pas présent sur les lieux et siest base sur le rapport de son lieutenant Labiénus ne dane pas les précisions qui nous seraient utiles pour identifier femplace- ment exact de Lutéce. D’autre part, on se heurte au fait que Ile de la Cité était d'une superficie tres petite par rapport a celle des autres oppidum ou places fortes gauloises. Formée alors de plusieurs iles, elle nvavait qu'une surface de 9 hectares, contre 17 actuellement. Elle était 4 une altitude plus basse que de nos jours, a 6 m au-dessous du niveau du sol, actuel, donc fréquemment inondable, ce qui la ten- dait difficilement habitable. Toutes ces constatations, ‘ont mis en doute la loca- lisation de la Lutéce gau- loise dans tile de la Cité Les archéologues ont alors imaging d'autres emplacements pour Lu- téce, a savoir une autre ile de Ia Seine qui aurait disparu sous les eaux. Ils ‘ont également pensé & Saint-Maur qui a possé- dé un oppidum, mais ce est pas une Tle et la cité sest développée sur un méandre de la Marne. Il semble improbable que César ait pu confondre la Seine et la Marne, En 2003, les _archéologues ont découvert 3 Nan- terre des vestiges d'un oppidum gaulois d'une superficie de 20 a 25 hectares et qui compor- tait un port sur la Seine. Ils ont été tentés d'assimiler Nanterre & Lutéce, Mais Nanterre nest toujours pas Une fle et s'appelait Nemetodurum et non Lutéce. Certains historiens en ont déduit qu‘ll y avait com- plémentarité entre les deux oppidums : Nanterre étant affecté 3 un réle économique et politique et Vile de Ia Cité aun rle militaire, Mals cette hypo- thése demande confirmation et l'emplacement de la Lutéce gauloise demeure empreint de mystére. = France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 105 Cicontre a gauche : Les Francs Saliens élevant Clovis sur le pavois et le proclamant roi. Cicontre a droite: Statues de Clovis et de Clotilde trouvées dans la basilique des Saints- Apétres- Sainte-Genevieve. Mlustrations extraites de Paris & travers les siécles. British Library Le Bas-Empire (IVe-Ve siécle) voit la ville se métamorphoser... Danielle Chadych : Apras a conquéte romaine, Lutéce connait pendant le Haut-Empire gallo- ro- main (ler-liléme siécle) une période de prospérité au cours de laquelle sont réalisés un réseau de voies orthogonales nord-sud et ouest et de grands mo- uments, comme le forum, les arenes, les thermes. Mais, das la fin du Haut-Empire, la cité subit les in- cutsions des Barbares en 257 et en 276 qui ravagent la ville. Au Bas-Empire (IVeme-Veme siécles), elle doit faire face a cette menace permanente. Ce dan- ger incite une partie de la population a séloigner de Ia ville alors que les autres habitants vont se replier dans ITle de la Cité, Afin d'assurer la défense contre les envahisseurs, il est décidé dy construire une enceinte a partir de 307-308 en utilisant les matériaux des monuments de la rive gauche laissés alabandon. Le choix de Ile de la Cité pour implan- ter l'enceinte est dicté par des raisons stratégiques entourée pat |a Seine, elle est plus facile & défendre que la montagne Sainte-Geneviave, trop étendue et en hauteur, On peut facilement détruire les deux ponts qui la relient aux tives et ainsi en empécher races. La trace de lenceinte est visible de nos jours 106 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 dans la crypte archéologique Notre-Dame (7 parvis, Notre-Dame place Jean-Paul I) Mais paradoxalement, pendant cette époque trou- blée, alors que fempire gallo-romain décline, la petite cité provinciale de Lutéce prend une impor- tance stratégique qui des siécles plus tard la haus- sera en capitale. Grace a sa situation privilégiée au carrefour de routes et de voies fluviales, elle est, intégrée dans le circuit défensif contre les Barbares. Les empereurs Valentinien, Gratien y séjournent Julien qui s'y fait couronner empereur en 360 aime particuliérement « sa chére Lutéce » et apprécie son eau limpide au gost trés agréable, comme il le relate dans sou ouviage Misopogon. Il fait station- ner des troupes pendant I’hiver ot les combats sont. interrompus, transformant Lutéce en une ville de garnison. I vit dans le palais (a emplacement de Vactuel Palais de Justice) qui abrite sans doute aussi un arsenal. En effet, les organes du pouvoir aupa- ravant implantés sur la montagne Sainte-Geneviéve ont été transférés dans Ile de la Cité. Cest au cours, du IVéme siécle que Lutéce va peu 3 peu s'appeler Paris, aprés avoir d'abord pris le nom de cité des Parisii, immortalisant cette tribu gauloise. Sainte-Genevieve Genevieve est remarquée trésjeune par léveque saint Germain d’Auxerre qui la consacre 8 Dieu. Genevieve fait rapidement montre de courage et de force d'éme. Elle initie la construction’ d'une basilique sur le tombeau de saint Denys, premier évéque de Paris, soutient les Parisiens face a la menace diattila (451), et les sauve de la famine en organisant des convois de vivres de- puis la Champagne (470). Devenue amie du roi Clovis et de la reine Clotilde, elle devient «Mere de la Patrie menacées. Reliques et chasse de sainte Genevieve, patronne de Paris. Oeuvre de Placide Poussielgue-Rusand, orfévre. Bronze doré, émaux, vers 1850, provenant du Panthéon, ancienneéglise Sainte-Geneviéve 4 Paris, actuellement exposée dans la cathédrale Notre-Dame Clovis choisit de résider 4 Paris en 508. Il amorce ainsi le destin politique de la ville. De ce Premier Moyen Age parisien émergent aussi quelques figures emblé- matiques qui attestent des progrés de la christianisation .. Dominique Leborgne: Quelques figures embléma- tiques - saint Denis, saint Marcel, sainte Genevieve ~ font progresser lentement la christianisation. Sainte Genevigve joue également un séle politique impor- tant, notamment auprés de Clovis, roi des Francs Lévéque missionnaire saint Denis évangélise la Gaule, notamment Paris en 250. Son tombeau est a Forigine de la construction de Ia basilique Saint- Denis, nécropole royale. En 360-361, l'évéque saint Marcel préside le concile durant lequel les évéques des Gaules prociament leur foi en la divinité du Christ. Vers 435, sa tombe fait Fobjet d’une grande dévotion et détermine la fondation de léglise Saint- Marcel (82 boulevard de I'Hépital,13e arrondisse- ment). ‘Alors que Fempire romain se désagrége au Ve siecle sous le choc des invasions barbares, sainte Gene- vidve (¢ 415- ¢ $02) acquiert un prestige extraor- de Paris dinaire auprés des Parisiens : en 451, elle prophé- tise que les Huns se détourneraient de Paris et, en 465, elle réussit & ravitailler la ville assiégée. Sous son influence, Clovis (vers 466- 511), appartenant la tribu des Francs Saliens, renonce au paganisme et se fait baptiser a Reims en 497, 498 ou 499, Ce bap: téme associe au pouvoir civil lautorité religieuse et favorise la fusion des Francs et des Gallo-romains. A partir de 486, Clovis combat Ia milice romaine et conquiert les tertitoites compris entre la Somme et Ia Loire, Excellent général, négociateur rusé, il agrandit son territoire évalué aux deux tiers de la France actuelle, Clovis déplace le siege de la Gaule - de Soissons & Paris - qui devient ainsi capitale en 508. Cette préférence sexplique par la position stra- tégique de la ville qui lui permet de mieux surveiller les régions du sud. Toutefois, admiration quil porte a sainte Genevieve a probablement guidé son choix. Sur le tombeau méme de la sainte décédée en 502, Clovis et Clotilde entreprennent la construction de la basilique des Saints-Apotres et de leur mauso- Iée, associant ainsi leur propre sépulture a celle de Genevieve. Autour de cette basilique dénommée France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 107 ME DOSSIER HISTOIRE DE Paris Sainte-Geneviéve, située § a lisiére de l'actuelle place du Panthéon (Se arrondissement), se consti- tue une vaste nécropole. Geneviave devient Ia patronne de Paris : la chasse contenant ses reliques, vénérée dans l'abbaye Saint- Genevieve, est portée en procession dans la ville en, cas dévénements graves. La basilique Sainte-Gene- vidve, reconstruite en 1776, est convertie en Pan- théon en 1791, tandis que les batiments abbatiaux, sont affectés au lycée Henri IV en 1802 Au Xile siécle, la ville est déja une cité prospére... Dominique Leborgne : Aprés des années de dévas- tations dues aux invasions normandes, Paris se 1e- lave tres lentement et renait vraiment au Xile siacle en raison du gouvernement habile de Louis VI, Louis Vil et Philippe Auguste, Ces souverains favorisent le développement économique dans lile de la Cité et autour du port de Gréve (place de I'Hotel de Ville). Vers 1112, Louis Vi s‘installe dans le palais de la Cité oW il implante administration royale. Ses décrets foyaux encouragent l'activité économique appa- rue sur la rive droite. Le roi accorde aux bateliers 108 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 parisiens qui forment la « hanse des marchands de eau » un emplacement pour créer le port de Greve, favorable au transport fluvial. Philippe Auguste at- tribue de nombreux privileges a cette corporation qui prospére tant quelle joue un role prépondérant dans la direction des affaires municipales. Louis VI crée en 1137 un marché réservé aux mar- chands de blé, de legumes et de fruits, puis aux mer- Ciers au lieu-dit Les Champeaux. Cet emplacement agricole de 5 hectares se trouve admirablement bien située aux alentours de la rue Saint-Honoré (ler arrondissement), a labri des crues et 8 proxi- mité du port de Greve. Les voitures chargées de drap de Rouen ou de Senlis, de blé de Nantes ou de poisons des ports du nord parviennent aisément 2 ce carrefour trés actif. Deux halles baties en 1181, dotées de portes fermées la nuit, garantissent les drapiers et les tisserands des voleurs et des intem- péries. Prenant de plus en plus le caractére d’une foire permanente ot se vendent péle-méle four fures, bonnets, miroirs, pots en étain, chaudrons et deniées alimentaires, les Halles donnent leur nom a tout un quattier de Paris. Vue de la Bastille a vol d’oiseau en 1553. Illustrations extraites de Paris a travers les siteles . British Library Depuis des lustres, les bouchers exercent leur pro- fession dans Hile de la Cité et dans une boucherie Jouxtant le Grand Pont en raison de la commodité des lieux: la Seine leur fournit eau indispensable au décrassage des écorcheries, au nettoyage des car- casses et & lévacuation des déchets, Bénéficiant de priviléges royaux au milieu du Xile siécle, la Grande Boucherie déploie une activité considérable qui ‘s@tend entre la rue Saint-Denis et l'avenue Victoria. Le commerce florissant a entrainé un agrandisse- ment de Ia ville que Philippe Auguste décide de protéger par une solide enceinte édifiée entre 1190 et 1209, La circulation s'améliore grace au pave- ment des chaussées principales et 3 la création du pont au Change en pierre sur lequel le rai installe les changeurs, Joailliers, orfévres, émailleurs séta- blissent sur le pont, suivis par les maroquiniers, les vendeurs de draps, de tissus, de denrées codteuses dont les transactions nécessitent le voisinage des boutiques de change, Le pont au Change, reliant le Palais de la Cité au Grand Chatelet et aux Halles, est une artéte majeure sur laquelle circulent clients, ca~ valiers, colporteurs de toutes sortes et bergers avec leurs troupeaux. Durant la guerre de Cent Ans, les difficul- tés et les souffrances s‘accumulent pour les Parisiens... Danielle Chadych : Les Parisiens subissent les sé- quelles de cette guerre de succession entre la France et Angleterre pour le trone de France qui a duré de 1337 4 1453. Ils connatssent les difficultés d'appro- visionnement, la violence consécutive aux luttes entre factions rivales, ce qui va inciter une partie de la population a fuirla ville, En ces temps troubles, la sécurité de la capitale constitue un objectif priori- taire. Charles V ordonne en 1365 la téalisation d'une nouvelle enceinte, lenceinte dite de Charles V, des- tinge & remplacer lenceinte de Philippe Auguste, tras dégradée et dépassée par l'apparition de lartil- lerie. Lenceinte de Charles V est termine en 1420 sous le régne de son fils Charles VI. Sur la rive droite, elle correspond & lemplacement des Grands Bou- levards. Sur la rive gauche, lenceinte de Philippe Auguste est renforcée par des fossés et ses portes consolidées, Uenceinte de Charles V comporte une porte orientale fortifiée, la Bastille qui abritera une prison et qui jouera un réle considérable dans Ihis- toire. France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 109 ME DOSSIER HISTOIRE DE Paria Les Parisiens sont contraints de subventionner [a guerre par des impéts de plus en plus lourds levés par les rois. Le 22 février 1358, le prévat Etienne Mar- cel et ses partisans, sopposant a la gestion du dau- phin Charles, futur Charles V, pendant lincarcération de son pére Jean II le Bon tentent de lui imposer leur controle financier et envahissent le Palais de Ile de la Cité od il réside. Marqué par cette émeute ou il a frdlé la mort, Charles V délaisse le palais et crée en 1361 sur la rive droite une nouvelle résidence royale Ihétel Saint-Pol (autour de la rue Saint-Paul, 4éme arrondissement. Alors que Charles Vi vient juste d’étre couronné toi, Vobligation faite & la population de payer des im- pots indirects entraine en 1381 la révolte dite des 110 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 Cicontre a gauche Charles V. Cicontre a droite Jeanne d’Arc ala porte Saint Honoré lors du siége de Paris en 1429, miniar ture extraite des Vigiles du roi Charles Vil, Paris, Illustrations reproduites dans Vouvrage «Les chroni: queurs de histoire de France depuis rorigine jusqu'au XVle siécle. British Library. Maillotins. Matée par Charles V, la révolte entraine en 1383 la sup- pression de l'indépendance de la municipalité jusquen 1412. Apres la défaite de la France 4 Azincourt en 1415, les Parisiens savent que larmée royale frangaise n’est plus en mesure d'assurer leur protec- tion. Charles Vi, en proie a des ac- ces de folie depuis 1392, accepte en 1420 le traité de Troyes qui élimine totalement son propre fils, le dauphin Charles, futur Charles Vi du tréne au profit du roi d’Angleterre. Une assem- biée de bourgeois et de membres de l'université jurent de respecter ce traité. Le ler décembre 1420, le roi d’Angleterre Henri VI et Charles VI font leur en- trée dans la ville par la porte Saint-Denis. Dirigée par le régent, le duc Jean de Bedford, la capitale vit sous la domination anglaise. En 1429, Jeanne dArc incite Charles Vil & délivrer Paris. Le 8 septembre 1429, Jeanne dArc et les troupes royales mettent le siége devant la porte Saint-Honoré (161-167 rue Saint-Ho- noré, ler arrondissement). La capitale est défendue par une faible garnison de soldats anglais, mais ils regoivent l'aide de la milice bourgeoise parisienne pour repousser l'assaut. Jeanne d’Arc est blessée par la fleche d'une arbalete lancée par un Parisien. Le lendemain, contre l'avis de Jeanne d’Arc, Charles Vil ordonne aux troupes de se retirer, Paris est libéré de Voccupation anglaise seulement en 1436. Les régnes de Francois ler et Henri II marquent un nouveau tournant dans Vhistoire de Paris. Quelles furent les trans- formations et embellissements menés a l'époque ? Danielle Chadych : Francois ler prend la décision d’habiter Paris, contrairement a ses prédécesseurs Charles Vill et Louis XIl qui avaient préféré sinstaller sur les bords de Loire. Influencé par la beauté de architecture italienne quil a découverte lors des guerres, le roi veut faire de Paris une ville éclatante, illustration de l'art de la Renaissance. Il souhaite que la capitale dispose d'un hétel de ville prestigieux remplacant la maison aux Piliers médiévale de la place de Grave, acquise par le prévot des marchands Etienne Marcel en 1357 et dans laquelle siégeait la municipalité. Il choisit comme architecte Italien Dominique de Cortone, dit le Boccador, qui a tra- vaillé au chateau de Chambord. La construction de Védifice dont les frais sont supportés par la munici palité commence en 1533. Interrompue a plusieurs reprises par les guerres de religion, elle se finit en 1628. Le souverain siinstalle au Louvre ot il effectue des travaux de rénovation. Il en fait raser le donjon et combler les fossés. ll charge en 1546 Piewte Lescot de batir une nouvelle aile dans le Louvre, terminée en 1555 sous le régne de son fils Henti Il. Vaile Les- cot dont les sculptures sont signées de Jean Gou- jon constitue une des ceuvres les plus remarquables de l'architecture de la Renaissance. Francois ler fait construire & partir de 1527 le chateau de Ma- drid dans le bois de Boulogne. Ce chateau achevé par Henri Il en 1552 est surnommé le chateau de Faience en raison de son décor de briques émaillées de couleurs vives et de panneaux de faiences, ima- ginés par le sculpteur et émailleur Girolamo della Robbia (1488-1566). Ila été détruit en 1792. Frangois ler 3 besoin de financement pour payer les dépenses engagées pendant les guerres, la Construction des chateaux, les fetes de la cour, 'ac- quisition d'ceuvres d'art. Dans ce but, il vend une partie des hétels royaux, dont les différents logis de France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 m HM DOSSIER HISTOIRE DE Paris 'HOtel Saint-Pol. Ces terrains cédent la place & des lotissements, permettant d’absorber la croissance de la population parisienne. A lexemple du roi, des particuliers effectuent également des lotissements privés Subissant des difficultés financiéres, les religieux du prieuré de Sainte-Catherine du Val des Ecoliers (place Saint- Catherine, 4éme arrondissement) mettent en vente en 1545 leurs terrains cultivés qui sont divisés en 12 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 Clot parcelles constructibles. De ce lotissement entouré par les rues des Francs-Bourgeois, de Sévigné, Payenne, Elzévir, du Parc-Royal et Pavée subsistent encore sept hotels par- ticuliers remarquables : ’hétel Carnavalet (actuel musée Carnavalet), hotel de La- moignon (actuelle Bibliotheque historique de la Ville de Paris) 'nétel de Donon (actuel musée Cognacq-Jay), hétel de Marle (ac- tuel Centre culturel suédois), ainsi que les hotels de Savourny, de Chatillon et d’ Albret Henri il choisit lui aussi de rester dans la capitale et termine les projets entrepris par son pére Fran- ois ler. Il renforce a partir de 1536 enceinte de Charles V devenue son tour obsolete, a laquelle sont ajoutés des bastions afin de parer aux pragrés de l'artilerie, En 1550, le souverain entreprend de moderniser le marché des Halles dont les travaux continuent jusquen 1560. naan mem i Ci-dessus 4 gauche : Le Louvre sous Francois ler. A droite: ancien chateau de Madrid, au Bois de Boulogne sous Louls XV, Paris a travers les sicles. British Library Les premiers Bourbons, a leur tour, furent de grands batisseurs. Dominique Leborgne : Henti |V, fondateur de le dynastie des Bourbons, entre en vainqueur dans la capitale en 1594, Il déclare vouloir effacer les destructions causées par le siége de Paris et faire oeuvre d'urbaniste. || ordonne I'achévement du Pont-Neuf et la création de la place Dauphine - ensemble remarquable qu'il peut admirer depuis la Galerie du Bord de l'eau quill fait édifier en 1595 entre les palais du Louvre et des Tuileries Contrairement & la tradition, le Pont-Neuf, amor- cé en 1578, dépourvu de maisons est exclusive- ment livié & la circulation en 1606. I! dessert la rive gauche par la rue Dauphine - une vole exception- nelle en raison de ses 10 m de largeur. La statue équestre d'Henri WV, exécutée par les éléves de Jean de Bologne, est inaugurée en 1614 au centre du pont. C'est la premiére statue royale érigée dans un espace public. Les trottoirs constituent un promenoir spacieux ou sinstallent décrotteurs de chaussures, tondeurs de chiens, bouguinistes et marchands d' oranges. Ba- teleurs et comédiens apostrophent les badauds et participent de cette animation extraordinaire qui concourt & la renommée du Pont-Neuf. La place Dauphine, batie entre 1608 et 1616, offre 'avantage de communiquer avec ce pont, tout en se situant en retrait du trafic pour faciliter les opérations de change. Ambitionnant de produire en France des produits manufacturés, Henri IV fonde en 1601 la manu- facture des Gobelins. La production de tapisseries connait son age dior sous la direction de Charles Le Brun, premier peintre de Louis XIV. Henri IV or- donne en 1604 la construction d'une manufacture de tissus de soie, dor et d'argent a la lisire de la place Royale (place des Vosges). Ce centre artisanal est abandonné au profit d’un magnifique ensemble d’hétels particuliers aristocratiques. En 1607, le roi congoit hopital Saint-Louis comme un établissement vivant en autharcie. Par dit de 1607, Il fixe un véritable code de la volrie, prescrit la réparation des fontaines et des conduites d'eau France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 113, endommagées durant le siége. Le roi inaugure en. 1608 la pompe de la Samaritaine qui alimente les palais du Louvre et des Tuileries Apres l'assassinat d’Henri lV en 1610, sa veuve Marie de Médicis assure la régence pendant la minorité de son fils Louis XIll. En 1615, elle commande a Salo- mon de Brosse un édifice inspiré du palais Pitti de Florence - le palais du Luxembourg - devenu le Sé- nat. Vaqueduc de Rungis, amorcé en 1609, pourvoit en eau les jardins de ce palais ainsi que les fontaines publiques de la rive gauche. En 1615, Louis Xill recoit en héritage le palais de la reine Marguerite de Valois, surnommée la reine Margot, premiere épouse d’Henri IV. II charge cing, financiers de lotir le palais et son parc situé sur le Pré-aux-Clercs (68, 7e arrondissements), Le long des rues de Lille, de Verneuil, nouvellement tracées par 114 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 Ci-contre a gauche : Marguerite de Navarre, premiere épouse d'Henri IV, gravure d’aprés un tableau de Vépoque. Cidessus :'hétel Lambert, intérieur de la cour en 1640 Page de droite : vue générale de Paris au XVe et XVIe siécle, extrait de Paris 4 travers les siécles, XIXe si@cle British Library. Louis le Barbier et sur les quais Malaquais et Voltaire sélavent, a partir de 1625, d’opulents hétels parti- liers En 1616, Louis Xill approuve le projet de son médecit Guy de La Brosse qui propose de cultiver les plantes médicinales du Midi et d’importer des espéces du Nord, d'Orient et d’Amérique. Grace 8 la protection de Richelieu, le Jardin du Roi, ensemencé de plus de 2 300 échanttllons, est inauguré en 1640, Guy de la Brosse y organise des cours de botanique, de chimie et d'astronomie, créant ainsi 'embryon d'un établis- sement scientifique - le Muséum national d'histoire naturelle (36 rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 5e arrondis- sement). Avec laccord royal, le spéculateur Christophe Ma~ rie réunit deux ilots pour créer I'le Saint-Louis quill relie aux rives par les ponts Marie et de la Tournelle. Ce nouveau quartier prend tournure entre 1614 et 1660: des artisans vivent dans les rues intérieures, tandis que les magistrats et les financiers résident sur les quais dans de splendides hétels particuliers. Durant le régne de Louis XIV, Gabriel Nico- las de La Reynie recoit pour mission d’éra- fiquer l'insécurité et la saleté de Paris. Dominique Leborgne : Le lieutenant de police La Reynie, nommé en 1667, administre la force pu- blique durant trente ans. il structure la police muni: cipale pour améliorer la sécurité, de jour comme de nuit dans une ville surpeuplée, comptant environ 500 000 habitants dont 40 000 mendiants et voleurs. Organisés en bande, ils dérobent aux habitants bourses, montres, épées, chapeaux et perruques, dévalisent les magasins et les maisons, Des militaires, commettent de nombreux délits dans les auberges, les marchés et les églises. « Jour et nuit, on vole et on tue ici, entour de Paris, Nous sommes arrives, a la lie des siécles » écrit Guy Patin, professeur de médecine au Collage de France Les archers des pauvres, les « chasse-coquins », sil- lonnent les rues en vue d'arréter les errants néces- siteux et de les interner. Certains de ces derniers exercent a occasion les petits métiers de la rue ~ porteurs de plis ou de paquets, portefaix, porte- flambeaux, cireurs, colporteurs - et s'entassent dans les « cours des miracles ». La plus connue est située prés de Ia porte Saint-Denis oli des centaines de fa- milles survivent en marge de la socigté, Les femmes se prostituent, les enfants mendient, les hommes confectionnent des emplitres a base de sang, de lait et de farine pour imiter les ulcéres et savent simuler les morsures de chien ou les plaies afin d’émouye les gens et obtenir une auméne. La Reynie investit les cours des miracles et dirige ces miséreux vers 'Hépital Général institué en 1656. Des vieillards, des infirmes, des orphelins, des pros- tituées, des filles célibataires, des mendiants sont enfermés dans cing établissements différents ot ils sont contraints de travailler dans des ateliers et vivie chrétiennement, La mendicité est sévérement sanc- tionnée par la peine du fouet, du bannissement et méme de lenvoi aux galeres. La Reynie réussit a imposer un code de propreté dans France res dist Dcombre Janvier 2014. NP 3 5 HE DOSSIER HISTOIRE DE Paria A gauche : le jardin des plantes créé par Richelieu en 1626 Adroite Vue de la Salpétriére sous Louis XIV Cicontre: "hétel-dieu créé au Ville siécle et démoli en 1877. 116 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 les rues réputées boueuses en hiver, poussiéreuses en été. Désormais, chaque propriétaire doit reve- tir la chaussée de pavés de grés de Fontainebleau devant sa maison et payer « la taxe sur les boues > pour leur entretien, Cette taxe, proportionnelle a la longueur de la facade, est levée par les directeurs de quartier sur les immeubles, les églises, les mai- sons royales et princiéres, excepté sur I'HOtel-Diew et les couvents des ordres mendiants. Les recettes recueillies servent 3 rémunérer un entrepreneur gui dispose de chevaux et de tombereaux fermés pour ramasser les déchets. Les habitants sont soumis a des régles strictes : a7 h en été, 8h en hiver, ils balaient devant leur maison, placent les boues en tas le long des murs, lavent le sol & grande eau et sortent les ordures mé- nagares au son d’une cloche. Interdiction formelle, sous peine d’amende, de jeter quoi que ce soit par les fenétres, de briler de la paille dans les rues, de tolérer les tas de fumier dans les cours. En outre, chaque propriétaire doit aménager des latrines. La « taxe des lanternes » permet diorganiser éclai- rage et contribue 4 améliorer la sécurité dans la capitale. Un millier de lanternes métalliques gar- nies de chandelles de suif, pouvant brdler durant 8 heures sont installées en 1666. On en dénombre plus de 5 000 en 1714 suspendues au milieu des rues, Au début du XVIlle siécle, le Palais-Royal devient siege du pouvoir politique... Danielle Chadych : A la mort de Louis XIV en 1715, I'héritier du tréne, son arriére petit-fils Louis XV, est agé de 5 ans. Louis XIV a souhaité dans son testa- ment que la tégence soit exercée par le duc du Maine, son fils Iégitimé né de sa liaison avec ma- dame de Montespan. Mais le duc Philippe d’Or- léans, neveu de Louis XIV et grand-oncle de Louis XY, casse le testament et s'attribue la régence. Alors que Louis XIV sétait installé au chateau de Ver- sailles, le duc d'Orléans préfére vivre a Patis dans sa demeure du Palais-Royal. Le Palais-Royal est l'ancien Palais Cardinal légué en 1636 par le cardinal de Richelieu 3 Louis XIll. Le “© France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 7 HE DOSSIER HISTOIRE DE Paris cardinal de Richelieu a précisé dans son testament que le palais doit rester dans le domaine de la cou- ronne et quil ne doit étre cédé a aucun prince et autre seigneur. Louis XIV ne tient pas compte de cette clause et donne ce palais en 1692 en apanage 2 son frére le duc d'Orléans, Le roi lui accorde cette compensation pour avoir accepté cette année-Ia le mariage - considéré comme une mésalliance - de son fils, Philippe d'Orléans avec mademoiselle de Blois, la fille légitimée de Louis XIV et de madame de Montespan. Philippe d'Orléans, futur régent, hérite a la mort de son pére en 1701 du Palais-Royal. Il y entreprend de somptueux aménagements sous la direction de Varchitecte Gilles-Marie Oppenord qui marquent le triomphe de Fart rocaille. Philippe d'Orléans est un homme cultivé qui apprécie les arts. Musicien, il a composé un opéra, Peintre, il a été éleve d’Antoine Coypel. il commande en 1702 8 cet artiste le décor de la grande galerie du Palais-Royal sur le theme de la légende d'Enée, considérée comme une des cu- 118 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 A gauche : Le palais des Tuileries. Mlustra- tion du Xixe siécle extraite de Paris a travers les siécles. British Library A droite Prise du palais des Tuileries le 10 aoat 1792, durant la Revolution francaise | peinture de 1793 de Jean Duples- sis-Bertaux. riosités majeures de la capitale. Philippe d'Orléans y rassemble une collection de cing cents ceuvres dart, la plus importante apres celle du roi, Le jeune Louis XV revient lui aussi & Paris et habite partir du 9 septembre 1715 pendant six mois au chateau de Vincennes, puis au palais des Tuileries jusquen 1722. Les nobles s’établissent & nouveau dans la capitale et font construire de fastueux hotels dans les faubourgs SaintHonoré et Saint-Germain qui deviennent les quartiers 4 la mode et détrénent le Marais. Crest depuis le Palais Royal que le régent gouverne la France, le Conseil de Regence siégeant dans le sa- lon enlanterne. Pour résorber les dettes de Vétat lais- sées par Louis XIV, il encourage les projets de John Law qui crée une banque, devenue banque royale en 1718 et le nomme contrdleur des finances. Aprés la faillite de la banque, le Régent, critiqué pour sa gestion hasardeuse, regagne en juin 1722 le chd- teau de Versailles, Il y assure la régence jusqu’au 15 janvier 1723, date de la majorité de Louis XV qui atteint alors lage de 13 ans Paris, ctobre 1789, res occasions, naire du gouvernement Danielle Chadych : Le 5 octobre 1789, quelques milliers de femmes réclament du pain a lHétel de Ville sans obtenir de réponse. Elles marchent alors vers le chateau de Versailles, accompagnées par la ? garde nationale sous la direction de La Fayette. Le lendemain 6 octobre 1789, Louis XVI est contraint de regagner la capitale et s‘installe avec sa famille au palais des Tuileries. Peu aprés, 'assemblée, puis le gouvernement quittent eux aussi Versailles pour sinstaller dans la capitale. Désormais, le gouve ement sera pour toujours fixé 4 Paris, excepté en 1871, en 1914 et pendant occupation allemande de 1940-1944. A compter d’ devient Le palais des Tuileries étant resté a 'abandon depuis plus de soixante ans, des travaux sont alors enga- és pour remettre en état les appartements, Des meubles et objets, dont des lustres, des livres de la biblioth&que de la Reine sont rapportés des cha- teaux de Versailles et de Choisy. La garde nationale sous l'autorité de La Fayette assure la surveillance du palais. Le roi est suivi dans tous ses déplace- ments d'un chef de division, la reine et le dauphin par des commandants de bataillon. La famille royale vit replige sur elle-méme, a Vexception du jeudi et du dimanche matin oU elle méne encore une vie de cour. Dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, Louis XVI et sa famille senfuient de Paris dans le but de rejoindre Monmédy oti se trouve la troupe royaliste du général Bouillé. IIs sont arrétés 8 Varennes le 21 juin et sont ramenés dans Ia capitale le 25 juin 1791, escortés par la garde nationale. Aprés 'échec de sa te, la famille royale est de fait prisonniére aux Tui- leties. Crest la qu'une année plus tard se déroule la chute de la monarchie Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre a ’AU- triche. Convaincus d'une alliance du roi avec les armées autrichiennes et prussiennes, les gardes ‘> France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 19 ME DOSSIER HISTOIRE DE Paria nationaux marseillais et brestois, ainsi que les ou vriers du Faubourg Saint-Antoine semparent le 10 aoiit 1792 du palais des Tuileries. Le roi et sa famille se réfugient 4 |Assemblée, installée dans a salle du Manege des Tuileries (le long de la terrasse des Feuillants, devant le 230 rue de Rivoli, Ter arrondis sement), oU ils restent quatre jours. Le soir du 13 aout 1792, Louis XVI, Marie-Antoinette, leurs deux enfants, madame Royale et le Dauphin, ainsi que ma- dame Elisabeth, la sceur du 10i, sont incarcérés dans le donjon du Temple (2 rue Eugéne-Spuller, 3me arrondissement). Au lendemain de la victoire de Valmy sur 'armée austro- prussienne, le gouverne- ment proclame le 21 septembre 1792 la déchéance de Louis XVI et le jour suivant le 22 septembre 1792 la république. Condamné & mort, Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793 place de la Concorde Marie-Antoinette est décapitée le 16 octobre 1793 place de la Concorde. Le dauphin Louis XVll décéde dans le donjon du Temple a lage de 10 ans le 8 juin 1795. Madame Elisabeth meurt sur échafaud le 9 mai 1794. Seule madame Royale est épargnée 120 France Tees dHatcre Décambre lave 2014 N° 3 A gauche au baron Haussmann les plans d’annexion des communes limi Napoleon Ill remettant trophes , permettant de donner a Paris ses dimensions actuelles.16 fevrier 1859, Peinture de Frédéric Adolphe Yvon. Musée Carnavalet. A droite :la Sorbonne en 1890.L'édi fice est en cours de transformation. ‘Au premier plan, la chapelle est, encore prolongée par Vaile ouest de Lemercier, restée intacte jusqu’e 1893. A V'arriére plan, vers la rue des Ecoles, les batiments n pondent a la premiére tranche, achevée jeufs corres: en 1889, des travaux de Paul Nénot. Peinture de Victor Dargaud, Musée Carnavalet. Paris car elle est échangée en 1795 contre les commis saires de la Convention. Pour éviter les pélerinages royalistes, le donjan du Temple est abattu en 1811 Le XiXe siécle est celui des grands travaux durbanisme. Dominique Leborgne : Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet les préfets de la Seine Gilbert- Joseph-Gaspard Chabrol de Volvic (1773-1843) et Claude-Philibert Barthelot de Rambuteau (1781- 1869) ont contribué tour tour a transformer la ville. Sous le Second Empire, Georges-Eugéne Hauss- mann (1809-1891) a tebati un sixiéme de la ville Le préfet Chabrol, préfet de 1812 8 1830, méne & bien les travaux utilitaires relatifs aux marchés, abattoirs et cimetiéres entrepris sous I'Empire. Mal- até les réticences des propriétaires, il multiplie les trottoirs qui passent de 267 m a 20 km en 1829 et se préoccupe de faire paver les rues. II poursuit la construction de Arc de Triomphe de I'Etoile, de Féglise de la Madeleine et du palais de la Bourse ini- tiés par Napoléon er, Le catholicisme étant redeve- nu religion détat, certaines églises sont rendues au culte, en particulier ’église du Val-de-Grace, d’autre restaurées, comme Notre-Dame de Bonne-Nouvelle et de nouvelles édifiées, comme Saint-Pierre du Gros-Caillou par Hyppolite Godde. Les canaux de lOurcq, Saint-Denis et Saint-Martin, congus par Pierre-Simon Girard, améliorent la distri- bution de l'eau potable. Contournant partiellement la capitale en reliant la Seine d’amont et la Seine diaval, ils raccourcissent considérablement le trajet des bateaux transportant des matériaux pondéreux. es marchandises, provenant du nord, de la Norman- die et du centre de la France, sont débarquées sur les quais du canal Saint-Martin. Entrepots, chantiers de charbon, dépots de bois, de ciment, de platre, sable, fonderies et usines simplantent dans les 10éme, 11me, 128me et 19€me arrondissements, Le comte Claude Philibert de Rambuteau, préfet de la Seine de 1833 8 1848, déploie une activité const dérable. Cent douze rues sont ouvertes, dant une partie de la rue Rambuteau, d'autres voies sont élar gies et on compte 195 km de trottoirs en 1848. Le préfet crée treize fontaines, comme celle de la place Saint-Sulpice érigée par Louis Visconti en 1843. Le nombre de bornes-fontaines passe de 146 3 1836 en espace de dix-huit ans. Rambuteau agrémente la ville de plantations diarbres et fait restaurer les jardins des Champs-Ely- sées. Il ouvre le premier jardin public de quartier, le square de l’Archevéché - actuel square Jean XXII. i achéve I’Arc de Triomphe en 1836, la colonne de Juil let en 1840, léglise de la Madeleine en 1842, léglise Saint-Vincent de Paul en 1844. LHOtel de Ville est agrandi en 1846 par Hippolyte Godde et Jean-Bap- tiste Ciceron Lesueur. Limplantation des lignes de chemin de fer & partir de 1830 et létablissement de six gares entre 1841 et 1847, ainsi que l'édification “© France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 11 ME DOSSIER HISTOIRE DE Paria L HISTOIRE DE PARIS (suite) ENTRETIEN AVEC DANIELLE CHADYCH ET DOMINIQUE LEBORGNE Propos recueillis par Christian Dutot de lenceinte de Thiers en 1846 bouleversent la phy- sionomie de la capitale. Napoléon ill décréte incorporation des villages su- burbains & Paris, le ler janvier 1860, reportant ainsi Ia frontiére urbaine 3 lenceinte de Thiers, Le baron Haussmann, préfet de 1853 @ 1870, entreprend la modernisation d'une ville qui sétend désormais sur 7 802 hectates et compte 1 600 000 habitants. Avec le concours de collaborateurs excellents, il opére une métamorphose extraordinaire par son enver- gure et sa rapidité d’exécution - 17 ans seulement. Quelles transformations marquent le Pa- ris de la Illéme république ? Danielle Chadych : La Ville de Paris veut affir- mer avec force les ides républicaines et dans ce but élave un nouvel Hétel de Ville, des statues a la gloire de la république et des hommes d'exception LHOtel de Ville ayant totalement bralé pendant la Commune en 1871, 1 municipalité organise en 1872. un concours pour la reconstruction du mo- nument dont les lauréats sont Théodore Ballu et Edouard Deperthes. Pour la décoration intérieure, Ballu s‘adjoint comme collaborateur Jean-Camille Formigé qui a la mort de Ballu en 1885 poursuit les travaux avec Deperthes. Lédifice, glorifiant la Répu- blique, ne comporte plus aucune sculpture royale. 122 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 Aussi le haut relief représentant Henri IV signé par Philippe Joseph Henri Lemaire et la statue de Louis XIV, ceuvre de Coyzevox, qui ornaient l'ancien Hétel de Ville, ont été déposés au musée Camavalet. A partir des années 1880, la municipalité multiplie les monuments honorant les hommes illustres. Elle rend hommage aux personnalités qui ont contribué 2 fonder la république et ont illustré un mouve- ment d'idées : Ledru-Rollin le suffrage universel, Jean-Jacques Rousseau la démocratie, Danton la défense nationale. Le sculpteur Léopold Steiner recoit la commande de Ia statue de Ledru-Rollin @rigée en 1885 sur l'actuelle place Léon-Blum, Paul Berthet celle de Jean-Jacques Rousseau en 1889 place du Panthéon, Le 14 juillet 1891, le monument 3 Danton, exécuté par Auguste Paris, est inauguré au carrefour de 'Odéon. En 1879, le préfet Herold célebre I’élection de Jules Grévy & la présidence de la République qui marque la conqueéte du pouvoir par les républicains en déci- dant érection d'une statue allégorique de la répu- blique. Les lauréats du concours sont le sculpteur Léopold Morice et son fiére, l'architecte Charles Morice. Le monument r’étant pas terminé pour la premigre fie nationale du 14 juillet en 1880, c'est une maquette en platre de la statue de la Répu- blique qui est inaugurée sous les acclamations de la foule place de la République. Le monument définitif sera terminé le 14 juillet 1883. Le sculpteur Jules Da- lou avait participé au concours de 1879 et présenté Le Triomphe de la République. Bien que ce projet ait beaucoup plu, il n/avait pas été retenu. En 1880, le Conseil municipal commande 4 Dalou pour ormer la nouvelle place de Ia Nation cette ceuvre en bronze achevée en 1899. Le jour du décés de Vietor Hugo le 22 mai 1885, le Conseil municipal demande que le Panthéon, affec- 16 a léglise catholique sous le Second Empire, soit rendu au culte des grands hommes et que le corps de lécrivain y soit inhumé. Le 27 mai 1885, le gouvernement décréte que le Panthéon est rendu a sa destination primitive et |é- gale et que les restes des grands hommes ayant mé- rité la reconnaissance nationale y seront déposés. Le er juin 1885 se déroulent les obséques nationales de Victor Hugo qui se veulent un hommage laic de la république et sont suivies par plus d’un million de petsonnes depuis la place de Etoile jusqu’au Pan- théon. Au cours du XXe siécle, Paris edit 4 souffrir par deux fois de la guerre... Dominique Leborgne : Aprés l'assassinat de I'héri- tier de 'Empereur d’Autriche le 28 juin 1914 a Sara- jevo, le systéme des alliances entre les pays euro- péens déclenche Ia Premiére guerre mondiale. Le 3 «En 1917, les difficultés quotidiennes s‘ac- es centuent . En janvier, la vague de froid qui paralyse les transports fluviaux entraine une telle pénurie de charbon qu'une carte de rationnement est mise en place. » aout, lAllemagne déclare la guerre & la France et, le 2 septembre, ses troupes parviennent a 45 km de Paris. Ou 6 au 14 septembre a lieu la premiére ba- taille de la Marne. Tandis que le général Joffre lance une contre-offensive pour repousser les Allemands vers les Ardennes, le général Gallieni, gouverneur de Paris, réquisitionne 630 taxis afin d’acheminer, & une vitesse de 25 km/h, plus de 3 000 soldats a 100 km de Paris, Cet épisode, qui associe étroitement les soldats du front et les civils cantonnés a l'arriére, reste légendaire. Durant le conflit, les femmes occupent les posies des hommes mobilisés, que ce soit dans les commerces, les transports, usines ou les écoles. Elles deviennent conductrices de tramway, sa- luges comme « mécanotte », ou factrices, vétues d'une blouse de travail et d’un chapeau noir. Le 26 janvier 1916, les Parisiens subissent le premier bom- bardement meurtrier d'un zeppelin qui fait 26 morts et 32 blessés a Belleville. En 1917, les difficultés quotidiennes s'accentuent En janvier, la vague de froid qui paralyse les trans- ports fluviaux entraine une telle pénurie de charbon qu'une carte de rationnement est mise en place. Puls, une carte de lait attribue 1 litre par jour aux enfants de moins de 3 ans et un demi litre aux vieil- lards, Pour juguler la hausse du cout de la vie - 35% en 1916, 120 % en 1918 - Georges Clemenceau ré- glemente la consommation des denrées, comme par exemple le pain rationné & 300 grammes par “© France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 123 ME DOSSIER HISTOIRE DE Paria jour et par personne. Plusieurs attaques aériennes se succédent provo- quant la mort de 65 personnes en janvier 1918, 174 morts en mars et des centaines de blessés. Lépidé- mie de grippe espagnole qui a sévi durant I’hiver connait une recrudescence en juillet. Entre le 13 et le 20 octobre, plus de 2 000 décés sont enregistrés La multiplication des bombardements aériens ainsi que la propagation de la grippe angoissent les Pari- siens. Le 28 juin 1919, aprés la signature du traité de Ver sailles par lequel la France recouvre Alsace et la Lorraine, de grandioses défilés de la Victoire sont organisés le 14 juillet par les maréchaux Joffre et Foch, de la porte Maillot & [Arc de Triomphe, puis sur les Champs-Elysées Danielle Chadych : Si la capitale a échappé pen- dant la Premigre guerre mondiale 8 'occupation par les Allemands, il n’en est pas de méme pendant la deuxiéme seconde guerre mondiale ott Paris subit une longue occupation de 4 ans. Le 3 septembre 124 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 1939, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre a I’llemagne, qui a envahi la Pologne, alliée des deux pays. Le 14 juin 1940, les troupes alle mandes pénetrent dans Paris, déclarée par le gou- vernement frangais ville ouverte, cest-a-dire non défendue militairement afin de lui éviter la des- truction, Le gouvernement frangais souhaite évi- ter 8 la ville de subir le sort de Varsovie totalement bombardée par l'aviation allemande et incendiée ou de Rotterdam bombardée, méme apres que la ville se fut rendue. Paris est la capitale allemande de la France occupée. Les batiments officiels et les grands hétels sont affectés aux responsables allemands. Le haut commandement militaire alle- mand se fixe 4 I'htel Majestic au 19 avenue Kleber (16eme arrondissement). I controle ladministra- tion et l'économie, employant 3 cet effet 1100 per sonnes. Le commandant du Grand Paris s’tablit @ "hotel Meurice au 228 rue de Rivoli (1er arrondisse- ment). Le service de renseignements et de contre- espionnage est basé 4 hotel Lutétia, au 45 bou- levard Raspail (6éme arrondissement). Les Parisiens connaissent les restrictions alimentaires & cause des ENTRETIEN AVEC DANIELLE CHADYCH ET DOMINIQUE LEBORGNE Propos recueillis par Christian Dutot (suite) prélévements allemands, de la désorganisation de la production et des blocus, Les Juifs sont soumis aux persécutions de l'état francais et allemand, afin de les exclure totalement du reste de la nation. Ils sont dépossédés de tout droit et déportés dans les camps dextermination. En dépit de la propagande des Allemands, de la collaboration de certains avec occupant, des arrestations et des exécutions, les réseaux de résistance se structurent peu 3 peu Aprés une douloureuse occupation, la ville est libé- rée seulement le 25 aoat 1944. Quels sont les traits marquants de 'urba- me parisien ces derniéres décennies ? Dominique Leborgne : Paris étant capitale et siége dugouvernement,laville est régieparunstatutspéci- fique quia évolué vers 'autonomie en 1975. En 1977, Les constructions industrielles situées en bord de Seine disparaissent en 1990 au profit de lieux de dé- tente - les parcs André-Citrden (15 e) et Bercy (12 e) - qui contribuent 8 revaloriser ces quartiers. A la place des entrepdts vinicoles de Bercy (12e) ont pris place des logements, des bureaux, le Palais Omnis- ports de Paris-Bercy, les musées du cinéma, des Arts forains et le parc ombragé par des tilleuls séculaires. La passerelle Simone de Beauvoir, créée en 2006 pat Dietmar Feichtinger, relie le parc de Bercy et la Bi- bliothéque Nationale de France Les terrains libres se raréfiant de plus en plus, les architectes inventent des promenades sur des sup- ports inattendus. La Coulée verte suit 'ancienne voie ferrée perchée sur le viaduc reliant la place de la Bastille au bois de Vincennes (12e). En 1994, Fran- pour la ois Brun et pemies « Paris étant capitale et siege du gouverne- Michel Péna fois le fi ;, ; imaginent maire ment, la ville est régie par un statut spéci- eit goat est elu: fique qui a évolué vers I‘autonomie en 1975.» Jardin At Jacques lantique. Ils Chirac devient maire de Paris, II_prend le contrdle sur les opérations d'urbanisme, en particulier il met un terme 3 la polémique née aprés le départ des Halles du centre de Paris et crée le Forum des Halles, Parallélement, les présidents de la République ont réalisé les projets qui leur tenaient 4 coeur. Priorité est donnée aux espaces verts. Le parc Georges-Brassens sest substitué a 'abattoir de Gre- nelle en 1977. La restructuration des terrains indus~ triels aboutit au développement de I'Est parisien das 1980, autour de la Cité des Sciences et du Palais Omnisports de Bercy (1984). Francois Debulois et Paul Brichet dessinent en 1988 le parc de Belleville (20e), caractérisé par une terrasse qui, & prés de 30 metres de hauteur, offre une magnifique vue pano- ramique sur Paris. plantent des pins, des pelouses et des fleurs sur une dalle en béton, ménagée au-dessus des voies de la gare Montparnasse (14e), La municipalité facilite rexploitation des proprié- tés industrielles et ferroviaires afin de constituer les quartiers de Reuilly, Bercy, Seine Rive gauche (130 hectares) et d'améliorer Ia lisiére nord de Paris. Les terrains en jachére, enclavés derriére les voies fer- rées aux frontiéres nord de Paris, font Yobjet d’un complet bouleversement depuis 2006. Francois Grether pilote le secteur ferroviaire des Batignolles dans le 17 @ arrondissement, vaste de 54 hectares. Logements, bureaux, commerces, le parc Martin- Luther-king cétoieront le Palais de Justice ultramo- derne projeté par Renzo Piano pour 2017. Entre la pod France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 125 126 HE DOSSIER HISTOIRE DE Paria 8 a Wt porte de la Chapelle (78e) et Ia porte de la Villette (19e), un tertitoire de 200 hectares sera remodelé diici 2015. Le maire de Paris, Bertrand Delanog, a pris des mesures pour diminuer lespace accordé aux auto- mobiles, promouvoir les transports en commun (le tramway), les déplacements des cyclistes (20 000 vélos en libre-service) et des piétons. La couverture du boulevard périphérique, long de 35 km, enta- mée en 2 000 remédie aux nuisances sonores tout en fournissant des terrains constructibles sur dalle. La municipalité a décidé en 2010 de démanteler le Forum des Halles inauguré en 1979, en raison de son inadaptation a augmentation du trafic du RER. Les travaux menés jusqu’en 2016 par David Mangin, Flo- rence Bougnoux, Jean-Marc Fritz et Philippe Raguin France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 ENTRETIEN AVEC DANIELLE CHADYCH ET DOMINIQUE LEBORGNE Propos recueillis par Christian Dutot (suite et fin) Cicontre a gauche : vue a vol doiseau de Paris. (On apersoit le musée du quai Branly de couleur ocre. A droite : la cour du musée du Louvre. visent 8 restructurer les voies souterraines, recréer un Jardin. et les relier par une canopée imaginée par Patrick Berger et Jacques Anziutti. Em 2012, 10% du territoire parisien sont en chantier pour conqué- rirdes logements, des bureaux, des espaces verts Les présidents de la République ont souhaité lais~ ser 3 Paris un témoignage de leur passage au pou- voir. Georges Pompidou (1969-1974) commande a Renzo Piano et Richard Rogers un centre culture! pluridisciplinaire aux formes audacieuses, inauguré en 1979 et appelé Centre Pompidou (19 tue Beau- bourg, 4e). 16 000 personnes en moyenne par jour le visitent. Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981) reconvertit la gare d'Orsay quasi abandonnée et les abattoirs de la Villette, objet d'un scandale financier, Le musée d'Orsay, consacré & la peinture, la sculpture occi- dentale, la photographie et aux arts décoratifs de 1848 4 1914, ouvre ses portes en 1986 dans la gare érigée par Victor Laloux, désaffectée et transformée, En 1976, Berard Tschumi aménage I'Etablisse- ment public du parc de la Villette (avenue Corentin Cariou, 19e) voué aux sciences et a la musique. Ce dernier comprend le Zénith, la Grande Halle, ainsi que la Géode et la Cité des Sciences construites par Adrien Fainsilber en 1986. La Cité de la musique, édifige en 1995 par Christian de Portzamparc, ac- cueille le musée de la Musique en 1997. En 1980, Giscard d'Estaing esquisse le projet de l'institut du Monde Arabe, mais le batiment de verre et d'acier élaboré par Jean Nouvel (1 rue des Fossés Saint-Ber- ard, Se) est inauguré en 1987. Francois Mitterrand (1981-1995) met sur pied le projet « Grand Louvre > entrainant un remodel complet du musée, 8 commencer par lexécution d'une entrée principale - la Pyramide de verre ima ginée par leoh Ming Pei, La décision de consacrer entiérement le Palais du Louvre au musée déter mine le déménagement du Ministére des Finances dans l'écifice bati 139 rue de Bercy (12e) par Paul Chemetov et Borja Huidobro en 1988. ge na de Paris A Foccasion du deux centiéme anniversaire de la prise de 1a bastille, Opéra Bastille construit par Carlos Ott présente le 13 juillet 1989 La Nuit avant le jour, mis en scéne per Bob Wilson, Au n°11 Quai Francois Mauriac (13e), la Bibliotheque nationale de France- site Francois Mitterrand ouvre officielle- ment le 30 mars 1994 Jacques Chirac (1995-2007), passionné par les arts dits « premiers » fonde le Musée du quai Branly (37 quai Branly, 7e) dont les 300 000 ceuvres pro- viennent du musée de I'Homme (1937) et de celui des Arts d'Afrique et d'Océanie (1931). Inauguré en 2006, ce musée construit par Jean Nouvel expose environ 3 600 objets représentatifs des cultures afri caines, océaniennes et américaines. > L’Histoire de Paris pour les Nuls. par Danielle Chadych et Dominique Leborgne Editions pour les Nuls FIRST, 2013, 384 pages 22,95 € France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 17 HE DOSSIER HISTOIRE DE Paria «PARIS par Christian Dutot, historien Page précédente : facade de Notre-Dame de Paris. Ci-dessus : détails de la facade. Galerie des rois. Page suivante : devant la grande rose, se détachent les silhouettes de la Vierge entourée de deux anges. La facade présente ses trois parties séparées par des contreforts. En cette année 2013 qui vient de s’achever, de nombreuses manifestations auront été organisées pour féter les 850 ans de la cathédrale gothique. Congrés scientifique, conférences, expositions, publications, concerts, installation de nou- velles cloches, rénovation de l’éclairage intérieur et restauration des grandes or- gues, rien n'aura manqué dans ces fastueuses célébrations ! Une occasion d'évo- quer l’édifice qui, d’emblée, suscita I'admiration des fidéles par sa monumentalité et son homogénéité. 130 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 XIle siécle. Des conditions favorables ! ‘était il y 2 850 ans ! La paix qui avait ac- compagné les progrés du pouvoir royal en Ile-de-France et dans les provinces dépen- dant de la couronne créait de facto les conditions d'un renouveau économique et artistique. Progres- sivement, tout au long de ce « beau Xile sigcle », dimmenses cathédrales vinrent remplacer_les anciens sanctuaires, tmoignant au passage d'une spiritualité chrétienne renouvelée. 4 Paris, en 1163, le pape Alexandre lil vint poser officiellement la pre- miare pierre d'une nouvelle église. Lile de la Cité comptait alors bien d'autres édifices religieux. Deux subsistérent méme dans la proximité immédiate de la nouvelle cathédrale gothique jusqu'au XVille siécle (Saint-Jean-le-Rond et Saint-Denis du Pas) Malgré tout, le clergé parisien voulut donner a la cité un nouveau monument qui dépasserait ceux que on avait construit jusque-ta par son ampleur et sa beauté ! Les motivations des commanditaires se laissent facilement deviner. II fallait faire face & la vétusté des batiments du haut Moyen Age ainsi qu’a la nécessité d’accueillr, et d’ébiouir, une population sans cesse plus nombreuse dans des conditions sa- tisfaisantes. On attendait aussi d'une nouvelle église quelle surclasse en tous domaines celles du dio- cése, maniére d’affirmer sa prééminence,.. D’autres facteurs jouérent. Paris était également devenue la capitale des Capétiens dont la puissance ne cessait, de croitre. Avec le clergé, ils entretenaient des liens toujours plus étroits, puisant dans ses rangs nombre de conseillers. De son palais, également situé sur Vile de la Cité, le roi pouvait se rendre facilement dans la nouvelle église cathédrale. Au fil du temps et des régnes qui se succédérent, les Capétiens ne cessérent jamais de fréquenter lédifice avec constance et favorisérent son clergé. Ainsi, avec Reims et Saint-Denis, Notre-Dame de Paris devint vite lun des sanctuaires emblématiques de la mo- narchie capétienne 2 France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 131 Cicontre et page suivante : élévation actuelle intérieure de Notre-Dame (grandes arcades, tribunes, fenétres hautes). Voittes sexpartites. Dés le Xllle siécle, les fenétres hautes furent agrandies pour recueillir davantage de lumiére. 1163-1363. Deux siécles d'un chantier ininterrompu ! ‘évéque Maurice de Sully (1160-1196) prit | initiative, au tournant des années 1160, de lancer un chantier qui transforma profondé- ment le coeur de la cité, Assisté par les chanoines du chapitre de la cathédrale et par la fabrique, institu- tion chargée de la gestion comptable du projet, le prélat mit tout son zéle accroitre les revenus de son église pour favoriser 'avancement des travaux. Pré- chant sans relache afin de susciter la générosité des fidéles et des grands, administrant habilement un diocése et une cité trés peuplée, il r’hésita pas & financer la construction sur fonds propres. Les choses allarent donc bon train. D&s 1182, on put consacrer le chaeur. Sous épiscopat de son successeur, Eudes de Sully (1197 1208), on fit vooter le transept (1198) avant den ter- miner avec la nef (vers 1200). Commencée en 1218, |e facade est achevée en 1245, Avec ses 130 metres de longueur, ses 48 matres de large au transept et ses 35 métres de hauteur sous voate, la cathédiale impressionne et dépasse tout ce qui a pu atve fait Jusqu’alors. On fit venir les pierres des nombreuses et proches caniéres, Le bois fut prélevé dans les grandes foréts qui appartenaient au diocése. Quant aux matériaux, on les acheminait jusqu’a un port provisoire aménagé pour les besoins du chantier « Un maitre d‘ceuvre fut chargé de traduire dans la pierre les ambitieux projets de Maurice de Sully et de son chapitre.» ayant de les faire transiter par une voie aménagée dans le tissu urbain parisien. Et pour loccasion, ces transports de marchandises furent exemptés des taxes habituelles. Un maftre d’ceuvre fut chargé de traduire dans la pierre les ambitieux projets de Maurice de Sully et de son chapitre. Lampleur et limportance de ses missions défient imagination. A lui de veiller 8 ce quaucune rupture dans lapprovisionnement en matériaux ne vienne interrompre le chantier. A lui encore de coordonner Vavancement des tra- vaux, de surveiller la taille des pierres et leur assem- blage, de faire monter la charpente, etc... A lui, enfin, diimaginer les échafaudages nécessaires et de concevoir les cintres des vodtes. Aucune tache n’échappait a sa compé- tence ce qui faisait de lui bien plus qu'un simple atchitecte, Pour autant, ce maitre d’ceuvre demeure pour nous un parfait inconnu car nul ne nous a transmis... son nom | La tache nétait pas mince. Le sanctuaite, fonctionnel, devait soutenir la comparai- son avec les plus grands édifices de la chrétienté Gaint-Pierre de Rome, 'abbatiale de Saint-Denis et Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Cluny). Le pari fut tenu. Notre-Dame comprend une vaste nef bordée de doubles collatéraux, soit cing vaisseaux, au final, “& France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 133 iy; Ci TE j ome - Ree | Cicontre: choeur de Notre-Dame. Dés 1182, on put consacrer cette partie de Iédifice. qui ne sont pas sans rappeler les partis pris romain et clunisien. Les doubles collatéraux se prolongent et souvrent sur un double déambulatotre, sans étre intertompus par un transept non saillant. Dans la nef, on opta pour de puissantes colonnes monocy- lindriques et des murs lisses. Au-dessus des chapi- teaux corinthiens, trois minces colennettes sélevent jusqu’aux votites sexpartites. Elles recoivent la re- tombée des différents arcs en alternance. Certaines soutiennent l'arc formeret et la nervure transversale tandis que les suivantes supportent l'arc-doubleau et, cette fois, la nervure diagonale (Vogive). Ce systéme permit de conce- voir des tribunes et des fenétres hautes d’une grande régularité. Lalternance des piles revint néan- moins dans les collatéraux. Par ailleurs, on jugea bien vite léclairage insu‘fisant et, des le Xillle siécle, les fenétres furent agrandies. Extérieurement, la sil- houette de la nef est métamorphosée par l'adjonc- tion d’arcs-boutants qui retombent sur des culées massives. Le dispositif, déja €prouvé précocement ailleurs, visait & contrebuter les fortes poussées quiengendraient les votes sur les murs de l'édifice. On utilisa encore, ici ou la, des chainages d'agrafes et des tirants de fer pour maintenir a fragile magon- nerie gothique en place. Lélévation primitive, avant agrandissement des ouvertures, comprenait quatre grandes arcades, tribunes, oculi ornés de grandes croix rappelant la présence dune relique niveaux Le chantier était demeuré presque ininterrompu de 1163 dis que, sur le tympan, il au milieu du XIVe siécle ! de la Croix dans la cathédrale et fenétres hautes, Avec ses 40 métres de large et ses tours hautes de 69 metres, la facade impressionne par sa monumen- talité ! Structurée en trois parties, tant horizontale- ment que verticalement, elle présente aux fidéles ses trois portails, peints a lorigine, que séparent des contreforts & peine saillants. Véritable bible de pierte, les compositions sculptées développent les grandes lecons du dogme chrétien. Le portail cen- Ural reprend ainsi le théme du Jugement dernier. Sur le thumeau, le Christ bénit et accueille tan- juge a la fin des temps. Les portails latéraux sont consacrés l'un au Couronnement de la Viewe et autre 3 sainte Anne, Dés 1220, une galerie des rois se déploie a l’étage supérieur. La présence de ces 28 statues illustre, en ce début du Xille siécle, la volonté deexalter le pouvoir des Capétiens. Devant la grande rose, qui occupe le centre de la facade, se détache une statue de la Vierge encadrée par deux anges. Les tours, elles, abritent les cloches dont les sonneries rythmaient au Moyen Age la vie des fidéles. Avec leur construction, s'achave le gros ceuvre de I’église. Le chantier était demeuré presque ininterrompu de 1163 au milieu du Xive siécle ! Raymond du Temple fut le demier maitre d'ceuvre d'une cathédrale que Von peut estimer achevée vers 1363 France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 137 ME DOSSIER HISTOIRE DE Paria XVIle siécle. Valliance du tréne et de l’autel renforcée ! ans doute par fidélité & la tradition, le clergé parisien chercha avant tout 3 préserver le bati en état. Notre-Dame traversa donc les siécles sans subir de nouvelles transformations. Au XVlle siécle, les rois voulurent néanmoins montrer leur attachement & Notre-Dame de Paris. Il en ré- sulta de nouveaux travaux (iéfection de l'autel de la Vierge confige & Francois Mansart en 1628...) et des gestes hautement symboliques. Ainsi, en 1638, Louis XIll, dans lespoir d'avoir un héritier et de voir ses armées vaincre Espagnol, décida-t-il de placer son royaume sous la sainte protection de la Vierge. Des 1650, Louis XIV renouvela les voeux de son pare. Tout au long du régne, la cathédrale fut le théatre 138 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 de somplueuses cérémonies destinges & célébrer les victoires du roi ou dire un dernier adieu aux grands du royaume, Entameée a la fin du XVlle siécle, la restauration du choeur prit fin en 1723, Guillaume Coustou et Antoine Coysevox réalisérent respec- tivement les statues de Louis XIll offrant sceptre et couronne et celle de Louis XIV en priére tandis que Nicolas Coustou termina sa Pieta en marbre en 1725. On installa de nouvelles stalles en chéne dans le choeur liturgique. Des médaillons, finement sculptés sur panneaux de bois, vinrent illustrer la vie de la Vierge. Ainsi métamorphosé, le choeur rappe- lait aux fidéles lalliance du tréne et de l'autel ! Cicontre : la cathe drale vue du sud. On distingue bien la fleéche quis‘ du transept. Ladjonc- tion des arcs-boutants, qu’on distingue ici parfaitement au niveau du chevet, métamor: phosa la silhouette extérieure de 'édifice. Cicontre ; détails des arcs-boutants qui ceinturent le chevet de la cathédrale. Ces derniers retombent sur des culées massives. XVIlle siécle. Les affres d’une fin de siécle incertaine ! eu avant la Révolution, on décida de nou. velles modifications qui vinrent parfois mutiler le vénérable édifice médiéval. Afin de récolter davantage de lumiére, du verre blanc fut substitué aux anciennes verriéres. Il fallut aussi adapter le portail central de léglise aux nouveaux usages liturgiques. En vue de faciliter le passage du dais lors des processions du Saint-Sacrement, déci- sion fut prise denlever le trumeau et la partie cen- tale des deux linteaux superposés (1771). En 1780, deux peintes italiens se chargérent de badigeonner en blanc les murs de Notre-Dame. Sept ans plus tard, la crainte de voir tomber des pierres sur les passants amena le chapitre @ décider de supprimer tous les éléments extérieurs, tels que gargouilles et cro- chets, qui faisaient saillie ! Aux abords de la cath: drale, lglise Saint-Jean-le-Rond disparut en 1748 et les travaux visérent avant tout 4 dégager le parvis. Durant la Révolution, Notre-Dame eut plusieurs reprises loccasion de souffrir d'actes de vandalisme et le fait d’étre rebaptisée temple de la Raison (10 novembre 1793) ne lempécha pas de connaitre les pires heures de son histoire. Les membres du Co- mité de salut public décidarent quil fallat faire dis- paraitre tous les symboles qui rappelleraient lEglise et la monarchie. Les 28 statues de rois qui ornaient la galerie de la facade furent done précipitées au sol ol elles se brisérent. Les débris encombrérent les lieux trois années durant ! Des fouilles menées rue de la Chaussée dntin, dans les années 1970, permettront den retrouver des fragments | Lentre- preneur Varin, chargé de la sinistre besogne, montra autant de zéle a lintérieur de la cathédrale : mobi- lier déplacé ou vendu, fenétres, autels et tombeaux brisés, cloches et reliquaires en métaux précieux envoyés ala fonte... Début 1794, les murs de Notre- Dame abritent un entrepat de vin. France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 139 a ae PET or Notre- Dame «PARIS (suite et fin) par Christian Dutot, historien 1860. Notre-Dame de Paris retrouve son lustre d’antan ! orsque, peu aprés la signature du Concordat, Védifice fut rendu au culte (avril 1802), il se trouvait dans un état pitoyable. Das 1810, on mena une premiere campagne de restauration. Dans les années qui suivirent, les techniques mises en ceuvre ne donnérent pas les résultats escomptés. Passé 1830, les premiers balbutiements de la photo- graphie (daguerréotypes, négatifs sur verre, etc...) attestent des ambitions des restaurateurs et parfois Ci-contre: grande rose, bras du transept. de leurs difficultés & les concrétiser. Sous Louis-Phi- lippe, lidée que le patrimoine participait 8 lidentité nationale pénétra les consciences. Francois Guizot, historien et ministre, contribua beaucoup a cette évolution. De beaux esprits, comme ceux de Fran- ‘0is-René de Chateaubriand ou de Victor Hugo, ren- forcérent également l'intérét des populations pour les édifices menacés et pour Notre-Dame de Paris en particulier. Finalement, en avril 1844, le Conseil des Ci-dessus: la sculpture des tympans développe les grandes lecons du christianisme, France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 141 Ml DOSSIER HISTOIRE DE Ci-dessus : élévation intérieure dans la nef. La nef est bordée de doubles collatéraux comme a Cluny Ill ou a Saint-Pierre de Rome. batiments civils confia aux architectes Jean-Baptiste Lassus et Eugéne-Emmanuel Viollet-le-Duc le soin de restaurer la cathédrale. Il était temps de rempla- cer les piertes malades et deffacer les mutilations héritées d'un passé révolutionnaire ou de restau- rations improbables. Le budget initialement prévu tripla ! Cest dire 'ampleur des interventions. Lassus et Viollet-le-Duc sauvérent littéralement lédifice au point que Notre-Dame de Paris est, pour une bonne att, une cathédrale... du Xixe siécle ! Sur la facade et le pourtour extérieur, les architectes 142 France Terres dHatore Décambre Javier 2014 N° 3 reconstituérent les sculptures endommagées du portail central, a galerie des rois, les crochets et les gargoulles. On érigea bientot une fl&che d’aprés les dessins que donna Viollet-le-Duc seul, aprés la mort de Lassus. Dans les années 1850, on restaura les fenétres hautes d/aprés leur état supposé au Xlle siécle. Lélévation retenue ne fit pas toujours I'una- nimité. On reprit encore la grande rose du transept sud pour la consolider et remplacer certains maté- riaux de médiocre qualité. Enfin, les arcs-boutants du cheeur furent entigrement remaniés. Persuadés icontre : le choeur de Notre Dame de Paris conserve partie son ancienne cléture de bois adossée aux stalles des chanoines. La polychromie de ces scénes qui racontent la vie de Jésus a été restaurée au XiXe siecle par Viollet-le-Duc d’avoir compris les desseins des commanditaires et des maitres d’ceuvres du Moyen Age, et sars de leur savoir-faire, Lassus et Viollet-le-Duc conférerent sans nul doute a lédifice une unité que la cath drale r’avait jamais eu par le passé. Reste quau- dela des critiques qui ne manquarent pas de leur étre adressés jusqu’a nos jours, les deux architectes ont écrit une page d'histoire de la cathédrale. IIs ont donné a Notre-Dame des traits particuliers qui en font sa spécificité et son charme. Mais rien nest figé. Lédifice continue de vivre et... de vieilir. Lére industrielle 4 ce titre accélére les dégradations et Pour approfondir... rend plus que jamais nécessaires les opérations de nettoyage. Par ailleurs, !'évolution de la liturgie conduit elle aussi 8 des adaptations autel & la croisée du transept (1989), bientét ins- tallé sur un nouveau podium (2004), de nouveaux vitraux, au style parfois abstrait, viennent compléter Vancienne vitrerie. Pour autant, il semble bien que le temps des grands remaniements soit bel et bien terminé. Au final, on ne sien plaindra certes pas tant les transformations peuvent parfois constituer un réel traumatisme pour les fidales et... édifice lui- meme! <>? un nouvel Callectif, Merveilleuses cathédrales de France, Editions Princesse, 1987. COLOMBIER (P. du), Notre-Dame de Paris : mémorial de la France, Editions Plon, 1966. COLOMBIER (P. du), Les chantiers des cathédrales : ouvriers, architectes, sculpteurs, Editions Picard, 1973, ERLANDE-8RANDENBURG (A), Notre-Dame de Paris, Editions de La Martinigre, 1997, GAUVARD (C) et SANDRON (D,) et TALLON (A.), Notre-Dame de Pa AITER (J,), Notre-Dame de Paris : cathédrale médiévale, Editions du Chéne, 2006. is, Neuf siécles d'histoire, Editions Parigramme, 2013 TOMAN (R), sous la dit, Lart gothique. Architecture, Sculpture, Peinture, Editions Knemann, 1999, VINGT-TROIS (cardinal A), JACQUIN (mar P), SANDRON (D), CARTIER U.-P) et PELLETIER (G), sous la dir, Notre-Dame de Paris, collection « La grace d’une cathédrale », Editions La Nuée Bleue, 2012. France Tees distor Décembrelnver 2014 N° 3 143 ABONNEZ-VOUS TOUS LES DEUX MOIS 6NUMEROS + ZTERRES D’HISTOIRE 2 HORS-SERIES PAR AN* Magazine d’histoire et des régions en format exclusivement numérique Pee cy { T A http://www.france-terresdhistoire.fr DANS LA BOUTIQUE DU MAGAZINE AYA Gl oa ot 05d Se OM SO] http://france-terresdhistoire.izibookstore.com/store ET EN KIOSQUES NUMERIQUES : www.ePresse.fr ee. www.Relay.com LA Rees aS www.lekiosk.com LE NUMERO 3 www.madeinpresse.fr Ea a ede www.viapresse.fr LA MONARCHIE IMPERIALE www.monkiosque.fr SS www.monkiosque.net Wr a Se SS eee eo ea eC oe ee Re

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