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Dans le méme collection anno oh, La Grende Toe [Bowot Mate, icone omg (Cava Soman, Qe ores nou? (Courcau Pe Grond Esa Des gan es galas De Brow Lov Le Pine nnn es gant Noelle perpectnes Dati Rind es Ori ae Este Aber Comment erie mode Eston Abe. Cncepin stein Ena aber font Lynd, oon der erm phe GeatMave Le Quo le Soar tac fans, Thre du Cha Seino A a pure de Big Bane Sino e Chard crane Phu gang al awnon Stephen Une rive ha top Bu Bango os ar Ravan Sepie, Conmenemen do Temp en dela Pie? Fame Weer, Le Pore el Tous Ye monde dee pyseeomiqe sw eae, So Mil (es Le Tempo flse earn, La Siren des olution cee (Uso Grp Lot de Boge oct Geng La Geameranon deo pose {oink Gerger Dr Son, Funct Dame Ob! gan Misc Sei hes f= Pier, sr oe Nore tauren, tant falar PrcnrnRrtw: Dest Pr comrene Veer Procene tee Scns fate, Ene fe temps oF Beri Rost ise invention de a me ‘Sh Fane, Le Grand ha el toe qoine Stara Reber {Oram dla ie Soi Reone Ue, 00D napis Bane ‘isvar legos La ranparent ‘Test Ia L Ded soe ‘Thon ere. Paraben ectatropes ten. ven pe eer = Autbopopie ini or elesin Davies Testes be MICHEL BITBOL MECANIQUE QUANTIQUE UNE INTRODUCTION PHILOSOPHIQUE Flammarion © Fanmaron, 1996. ISBN 2-08-081301-9 INTRODUCTION «Les gens sont incapables de sortir du filet des concepts admis, et ne savent qu’y frétiller de fagon bouf- fonne. Toi, par contre, tu contemples la chose de I'ex- térieur et de Vintérieur & volonté.» Ea adressant ce compliment a Schrédinger dans une lettre datée du 8 aoft 1935, Einstein (1989), p. 238] suggérait en méme temps une méthode de clarification applicable aux pro- blémes d’interprétation de la mécanique quantique. Pour cesser de frétiler de fagon bouffonne dans le filet des concepts admis, il faut commencer par en désiouer les entrelacements et en dissocier les fils. Il faut mettre & part lefficacité que Ia mécanique quantique permet de conférer a une action dans la nature et ce qu'on croit tre le tableau qu'elle offre de la nature. Il faut éviter @'associer & Ia théoris un vocabulaire Iaissant entendre gu’on sait d’avance sur quoi elle porte, car cela méme ne va pas de soi. Rien ne s'avére en effet plus difficile ue d’évaluer une conception de « ce sur quoi » porte Ia ‘mécanique quantique, si cette conception est déja inex- tricablement mélée au discours que le théoricien associe 2 son formalisme, ‘Selon C. Coben-Tannoudji, B. Diu et F. Laloé ((1977) 9], par exemple, les théories quantiques sont un pal- liatif aux déficiences de la mécanique classique lorsqu'll svagit de « comprendre » « lexistence et les proprictés des atomes » et des particules élémentaires, Les parti- cules se voient ainsi conférer sans discussion le statut 8 Mécanique quantique enttés porteuses de propriétés, quitte & admette qu'il ‘est Ia plupart du temps impossible d’attribuer les pro- priétés détectées a I'une ou a 'autre d'entre elles indi- iduellement ; quitte & conoéder que ces « propriétés » ne sont accessibles qu’au travers d'opérations de mesure qui au minimum les perturbent et au maximum les engendrent ; et quitte & trouver qu'il est parfois plus judicieux de réduire les particules & des tats d’excitation d'un oscillateur harmonique du « vide ». Toute investi gation critique sur l'objet de la physique quantique se trouve ainsi arrtée, édulcorée, diluée, en raison de la prégnance des présupposés que véhiculent la langue ‘employée et les circonstances familitres de son emploi. La devise semble Etre : plutot laser déborder la rivitre dds faits qu’accepter un glissement de son lit de pré- ‘compréhension (L. Wittgenstein (1969s), § 97, 99] ; plu- t6t voir surgir des paradoxes de la confrontation d'énoncés exprimés dans le langage ordinaire, que remettre en cause leur cadre de référence, modelé en sous-main par T'usage des substantifs et des prédicats. Seuls les physiciens les plus Tucides avouent leur per- plexité face au confit qui s'est fat jour entre les pro- positions couramment associées au formalisme de la théorie et les conséquences expérimentalement testables de ce méme formalisme. Parmi eux, Heisenberg, qui se trouve parfois contraint & affirmer que la tiche de la physique quantique consiste & découvrir les «(.. lois naturelles qui déterminent toutes les propriétés des par- ticules élémentaires », mais qui ajoute quelques lignes plus loin que les « particules ne peuvent plus étre consi- Gérées comme assures » dans leur existence, et que Iacte de leur atribuer des propriétés n'a rien d’évident IW. Heisenberg (1948), p. 104 ; (1932), p. 38} faut donc prendre ia pleine mesure de cette sorte de téte-a-queue épistémologique, de ce retoumement de la théorie contre un corps de présupposés qui, lui venant de Ia langue et des attitudes de la vie courante via la physique classique, a été et reste Ia matrice de son éla- oration. La méthode appropriée pour cela consiste & rechercher le dépouillement conceptuel le plus extréme Introduction 9 dans Iexposé des principes de la mécanique quantique. "Non pas parce que la table rase est I'aboutissementnatu- rel et unique de la physique quantique, mais parce qu'elle consttue le seul point de départ concevable @'une recherche sur la signification de cette théorie lorsque toutes les tentatives de Ia fare signifier d'avance ont lassé appraiteincohérence interes ou infidels & leur dessein initial. Pas d'opérationalisme et dinstru- mentalisme dogmatique, par conséquent, mais une iner- rogation prenant son essor & partir d'une pratique opé- ratoie et d'un usage de la théorie comme instrument. Plusieurs chercheurs se sont déja engagés sporadique- ment sur la Voie de cette forme dascése intellectuelle' sufi de syathétiser leurs résultats en les radicalisan, cest-idire en écartant, lA ob cela est possible, les der- riers fragments de mobilier ontologique en provenance des interprétations les plus répandues de 1a physique classique. L'euvre de concentration conceptvelle sccomplie (au chapite 2, aprés une préparation philo- sophigue au chapitte I) il deviendra bien pls facile de donner des éléments de réponse & la question de l'objet dd la mécanique quantque. Car cette question prendra alors une des formes simples suivantes: quelle(s) chairs) interprétative(s) s'accommode(at) du squelette théorique mis au jour? Ou, plus précisément, vers quel(s)systzmets) d'entitéss) esti raisonnable de dir- fet la visée exploatrice de la recherche en physique, compte tent des contains opératoiresformalisées par la théorie?? 1. [W. Heisenberg (1925): 11. Destouces (1941, 1981, 1984); P. Desiouches-Févier (1951) (1956 sous le nom de P.Féviet) RE. Feynman (1970, 1993); RIG. Hughes (1989); A. Pees (1991); M. Mogur-Schicher (1952, 1993); ec} 2, Ces inerogatons ne peuvent re formes, reconnassons- te, que eétrospectivement. Elles n'ont aucune prtetion 3 la pet tinencehistongue. Les fondsteurs e Ia mécanique quunique oat ‘commence par ascumer étage de « chairs interpétatives» 08 Se eysttmes d'enits en provenance de paadigmes antricut ils ‘ont pat accompli leur eeuve crétrice dant le vide conceptuel Cet hétage, gui eur a serv armature et de ede inital pour Ia 10 ‘Mécanique quantique LGtape préliminaire sur le chemin ainsi trace consis tera (aux paragraphes 1-2-11 a 1-2-13 et au chapitre 3) ase demander si on ne peut pas s'arrtter a ce stade ; s Te squelette théorique ne se suffit pas & lui-méme ; s'il n'est pas envisageable d'affirmer que la théorie ne ren oie & rien d’auire qu'a des manipulations expérimen- tales, Cette option apparemment trés sobre n'est cepen- dant pas dénuée de graves inconvénients. Méme les physiciens qui se sont montrés a priori les plus tentés par elle, & savoir Heisenberg, Pauli, Bom, Bohr, et d'autres membres du groupe de Gottingen-Copenhague, ‘sont loins d'étre allés jusqu’ au bout de ses conséquences. La motivation principale de leur prudence a été leur cer- titude qu'on ne peut pas renoncer complérement & conce- voir le champ que régit la mécanique quantique en conti- niuité avec Munivers familier de 1a communication humaine et de l'investigation instrumentale. Ou plus audacieusement, leur volonté, encore agissante malgré tun remarquable travail critique, d°établir une connexion descendante allant du monde macroscopique au monde ‘microscopique, et de projeter dans ce but quelque chose de la structure de la langue des expérimentateurs sur objet de lexpérimentation. Les traces de ce confit centre Jes tendances instrumentalistes et le projet de tisser des liens entre domaines d’échelle microscopique et macroscopique, sont pariculitrement manifestes. dans les débats qui ont entouré le concept bohrien de complé- ‘mentarité et ls relations d'« incertitude » de Heisenberg. Crest done autour d’eux que s‘organisera, au chapitre 3, Ja réflexion sur les limites de linstrumentalisme. La deuxitme étape dans Vanalyse interpréative sera franchie au chapitre 4. Puisque le vocabulaire et les représentations corpusculaires demeurent si répandus en. <épit des critiques qui leur ont été adressées, i est impor- tant de trer leurs ultimes conséquences et de voir ainsi formulation de Ia théori, 2 cependantengendeé tbs 10t des t= sons et des désilusion, S'la pu se mate tant bien ue mal ‘ans le discours des physicentjusgu'a nos jours, ce mest que ‘comme premier moment d'une dialeeuque wouse 8 aboutir& son ‘épassement. Introduction u quel prix ils peuvent étre maintenus. Le concept de propriété sera d’abord mis 8 ’épreuve, a travers les deux formes qu'il peut prendre : des propriétés immédiate- ‘ment accessibles parce que identifiées aux valeurs des observables : ou bien des proprisiés cachées, ne se mani festant qu’indirectement, & travers des résultats expéri- ‘mentaux impliquant de fagon indissociable Ia configu- ration d’un appareillage qui les modifie. Le maintien de la version observable des propriétés implique. entre autres, que T'on substitue une logique dite « quantique » 2 Ia logique classique du langage courant. Quant a la version cachée, elle aboutit & une vision doublement holistique du monde, associant le « contextualisme » & a «non-localité ». On examinera ensuite le concept encore plus central de support individualisé et réidenti- fiable des proprigés. La conséquence la plus extréme de la reconnaissance du caractére généralement non indi- vidualisable des « particules », 8 savoir le remplacement de Ia théorie des ensembles par une théorie quasi ensem- Dliste, devra ére envisagée. A issue de ce tour d'ho- rizon, on en arrivera a se demander si le jeu du conser- vatisme ontologique en vaut la chandelle ; et s'il n'est ppas en fin de compte préférable d’accepter une transla- tion du «lit de la rivitre » que de défigurer complete ‘ment ses rives en tentant de les stabiliser. La troisitme phase (au chapitre 5) concernera donc les ontologies de rechange ; celles qui se présentent comme le calque exact des symboles de la théorie plutot que ‘comme des survivances de phases antéricures de lentre- prise de connaitre. On esquissera le portrait d'un monde dont les constituants sont les référents supposés des vee~ teurs d'état (de lespace de Hilbert ou de T’espace de Fock), voire d'un unique « vecteur d'état universe». Et ‘on examinera Vargumentation du physicien qui s'est avancé le plus tt et le plus loin dans cette direction, & ‘savoir Schridinger. Mais ici encore on trouvera que des “obstacles majeurs ont empéché la démarche d’ tre menée son terme. La difficult principale est image en miroir de celle qu’ont rencontrée Heisenberg et Bohr, De méme que ces auteurs ont voulu établir des éléments de cont 2 ‘Mécanique quantique nuité descendante allant de Ia structure de notre envi- ronnement quotidien & l'objet de la mécanique quan- tigue, les partisans d'une refonte ontologique doivent ‘montier la possibilié d’une continuité ascendante allant de l'objet de la mécanique quantique tel qu’ils le congoi- ‘vent vers la structure de l'environnement quotidien. IL existe pourtant un élément d’asymétrie entre les deux attitudes. Le godt d'une certaine unité architectonique ‘que manifeste la premire prend T'allure d’un impératif pour la seconde. Car notre environnement de comps maté- fiels dotés de proprigtés est 12, notre parole et notre ‘action présupposent sa présence (ou sa disponibilité), la mise & I'épreuve expérimentale des théories repose sur ui, Une interprétation de la physique quantique qui ne parviendrait pas & s'accommoder de cet environnement serait clairement inacceptable, alors qu'une interpretation ‘qui pronerait le confinement & une traduction abstraite ‘des opérations expérimentales serait simplement frus- twante, Le probléme de la continuité ascendante, dont expression la plus courante porte le nom de « probleme de Ia mesure », est de ce fait plus radicalement inévitable {ue celui de la continuité descendante. Ses solutions les plus satisfaisantes & ce jour sont les théories de la déco- hérence, een particulier les théories des histoires déco- heérenves, Elles ne réglent pas tout, cependant, et il faudra tirer les conséquences de leurs limites. ‘Ayant écarté successivement le provincialisme instru- mentalist et le conservatisme ontologique, puis ayant pris la mesure des résistances qui s'opposent & 1’établi sement d'une parfaite continuité (descendante ou ascen- dante) entre l'objet supposé de la mécanique quantique et Ia forme de notre environnement familier, ’énigme gue constitue cette théorie semble inentamée. Mais ces. dlifficulés n’ont-lles pas au fond une origine com- une ? Ne viennent-elles pas de ce que dans tous les cas ‘on enferme Ia mécanique quantique dans une alternative dont aucun des deux termes n’offre d’issue ? D'un c6té ‘on voudrait que la théorie dise quelque chose du monde, e fagon représentative ou symbolique, tandis que dun autre c6té on exige l'indifférence complete & son égard Introduction B Gt Ia concentration sur des régles opéaoires, La rf fence au monde ou le sllence sur le monde 1 & pour tant une eure option disponible, Eviter le slenee sans pour auantconsidérer le monde comme objet du dis tours. Ne pas dre ce ier le monde mais exposer ce aires d'éredans le monde, ele que sot positon qu'on peut y cccuper. Se_garder de. projter les Contritesexerefe sur la communication e sur action tn representation indfferente dun monde posédevant, tas Gooner toutes les possibilités de communiqur e GF ogi a sen du monde: Chercher I unté des mltpes fspectso versions de monde dans le syste réple de leurs elation pte que dans « quelque chose ambi valent et de--neute soussendant les. versions = IN, Goodman (1978), p. 5. Telex le conten que nous sibuerons enfin Ge" parcours la mécanique quan: tie |. Voir M. Bitbol (19966) pour un exposé beaucoup pus sy matique de ce point de vue, déjd suggeré par Bohr (1929), 1} et par Hesenberg. 1-LE POSSIBLE, LE PROBABLE, ET LES CONTEXTES 141 Exruiques, péceime, paéoine En dépit des nuances et précautions d'usage, les sciences de la nature se voient encore fréquemment asi- agner a tiche d'expiquer les phénoménes. La mécanique ‘quantique apparait dans cette perspective comme une théorie démissionnaire, ayant renoncé 3 ambition de fournir des explications pour s'en tenir Ta seule fone tion prédictve (R. Thom (1993) p. 129]. Mais avant <émetre des jugements de valeur sur une théorie scien- ‘iique au nom d'un idéal 6pistémologique, il faut passer au erible Te contenu de cet idéal. Qu'entend-on par «explication » ? Ques rappors le concept explication eatreten-il avec coux de description et de prédiction ? Et dans quels cas la capacité predictive aequiervelle une Priortélogique su la visée expicaive ? 1-1-1 L’explication, Ia prédiction, et le sens du temps Une explication scientifique est traditionnellement , est inialement celle outils prédic= tis. Lelévation apparene du strut des vecteurs at au rang d’entités eachees& fonction descriptive ou expli= cative reléve seulement d'un changement d'atinade & Jeur égard' de attitude de Texperimentateut, qui les lise pou prédire, on est passé attitude du thoricien {i concente son attention sur leurs caracteristiquesfor- theles. Sil y a «explication » d'un résuhat ou d'une ‘corrélation expérimentale par un certain vecteur d’état, ce mest au fond rien de plus que Vexpication d'une Drédiction particuliére de la théorie parla structure et T’adéquation globale de ses mathématiques prédictives. Cette fagon de voir semble insatsaisant, pour ne pas dice civclsre, mais ne fot pas la reer trp vt fu moins traduitelle notre situation en suspens ay sein de la nature. Sion sat la lire, la mécanique quantique Teprésente une occasion historique inespérée d'aperce- ‘oir que dans les sciences, comme dans la vie en genéral, fu dans In situation éthigue qui prévaut a la suite du désenchaniement di monde, «on pout presque dre de ce mur de fondation qu'il ext support parla maison tout entire» [L- Witigenstein, (1963), § 248) 1-2 Le DOMAINE DES PossIBLES La théorie classique des probabiliés, dont l'axioma- tique la plus générale fut formulée par A. Kolmogorov [(1933)] (voir section 1-3), n'est pas applicable telle quelle & la situation qu’affronte Ia mécanique quantique. La théorie de Kolmogorov repose en effet sur le postulat restrictf selon lequel la gamme des possbilités dont cha- cn des termes doit éte affecté d'une pondération pro- babiliste est unique et déja donnée : cette gamme est cen- sée consister en un ensemble de sous-ensembles 4 ‘Mécanique quantique @'événements élémentaires, structuré par les opérations intersection, de réunion, et de complémentation, Der- ribre ce postulat apparemment innocent se tiennent plu- sieurs présupposés & connotations ontologiques, comme par exemple celui que les événements arrivent dans absolu, ou qu'ils sont constitués par le tage d’objets (des boules colorées dans une ume, des dés a jover, des pices de monnaie, et:.) possédant des propriétés pré- ‘éterminées, Dans le sillage de tels présupposés, les ‘questions traditionnelles concernant Iasymétrie entre 1a fréquence et la probabilité, entre le dénombrement passé ct la projection dans le futur, sont ressenties comme peu turgentes, puisqu’elles semblent relever d'une distinction purement épistémologique entre le constat expérimental, et anticipation théorique d’événements qui surviennent de toute maniére, « La théorie kolmogorovienne des pro- babilités présuppose des phénoménes aléatoires impli- ‘quant exclusivement des objets actualisés, caractérisés (.) par des propriiés actualisées dont seul le passage & la’ connaissance est potentiel » (M. Mugur-Schichter, (1993)} Mais la mécanique quantique, nous I'avons vu, est bien plus générale. L’ensemble des occurrences sur les- quelle portent ses évaluations probabilistes reste indé- fini tant qu'une observable n'est pas fixée; elle offre des. prédictions pour un nombre indéfiniment grand de ‘gammes de résultats expérimentaux ; elle ne privilégie pas telle gamme par rapport aux auires ; elle ne s'appuie pas sur I'hypothése que I'un des événements d'une cer- laine gamme survient de lui-méme et que l'expérience a seulement pour but de révéler lequel; elle s‘abstient de faire reposer le concept d’événement sur celui de « qua- Tités premigres » ou de propriétés absolues des objets. Elle donne de ce fait une importance tenouvelée a la ‘question de lasymétrie entre fréquence constatée (au passé) et anticipation probabiliste (au futur), puisqu’au ‘moment oi I'on anticipe, non seulement I'événement & prédire n'est pas encore survenu, mais les conditions ins= trumentales de sa survenue ne sont pas nécessairement ‘en place, Cela ne veut pas dire, répétons-le, que la méca- Lz Possible, le Probable, et les contextes 35 nique quantique conteste par elle-méme la validité de calégories de la vie courante comme I'événement ou les propriétés, mais seulement que sa capacité prédictive est conditionnée par un champ d'opérations formelles trés vaste, dans lequel ces catégories ne trouvent place que ‘comme éléments de raccord indispensables avec I'univers empirique (Voir prochains paragraphes) ou comme cas limites soumis & des contrainte inédites (voir § 4-5-6) Pour waiter du formalisme prédictif de Ia mécanique uantique, nous allons done devoir remonter wes en decd de T'enclos des évidences familigres sur lequel s'est édi- fige la théorie classique des probabilités. Tout, ou presque tout, ce qui paraissait aller sans dire, va étre mis sur la sellette, 2 commencer par Tunité structurale du langage expérimental dans lequel s'expriment les pos bits. 1-2-1 Sur quoi portent les prédictions quantiques ? «La logique tite de toutes les possibilités, et toutes les possbilités sont ses fats » [L. Wittgenstein (1922), 20121). «La logique de la certitude nous fournit le ‘domaine du possible » (B. De Finett, (1977), p. 27]. Les deux phrases citées supposent a demi-mot I'unité du champ de la logique, c'est-i-dire I'unicité de la gamme des possibles. Si Yon admet cela, énoncer une proposi tion entrant dans Te cadre de la logique revient & singu- lariser une sous-gamme de la gamme des possibles, en excluant tout ce quin'y appartient pas. Cependant, lorsque, comme en mécanique quantique, le formalisme prédictif porte sur une multiplicité indéfinie de gammes de possibles, la logique elle-méme doit, en premitre analyse, étre désarticulée (voir § 1-2-9). On parle dans cee cas de logiques au pluriel, sous-tendant une multi- plicite de langages expérimentaux. La portée d'une proposition se voit corrélativement restreinte 2 la logique dont elle fait partie: énoncer Is proposition p entrant dans le cadre d'une logique L revient & si gulariser une sous-gamme Sp. de la gamme de pos- 36 ‘Mécanique quantique sibles Dy, en excluant tout ce qui, au sein de D,, nTappartient pas & So. ‘Mais pour ne pas s'en tenir& des considérations super- ficielles sur la multiplication des logiques, pour élucider Ja raison de cet éclatement, il faut remonter en amont des regles connectives de la logique propositionnelle, s'intéresser aux noms et aux prédicats (au sens large) qui constituent les propositions, et aboutir par ce biais 8 une interrogation sur les concepts formels d’objets, de pro- priétés et de relations. Répondre de fagon satisfaisante & Ja question «sur quoi portent les prédictions quan- tiques ?» suppose que I’on ne se contente pas d°affir- ‘mer: «elles portent sur des faits exprimés par des pro- positions ». Les faits doivent étre décomposés, et les ‘objets quils articulent doivent étre interrogés. ‘Cela sera fait systématiquement aux paragraphes 1-2- 11.4 1-2-13, Voulant pour l'instant éviter d’atteindre un degré trop grand dabstraction, nous allons pair de une des situations typiques dans lesquelles optre la théorie classique des probabilités. Les événements et les ‘objets qui y interviennent seront d’abord présentés non problématiquement, pus, par critiques et généralisations successives, nous parviendrons au champ élargi et plu- fivoque de possibilités sur lequel porte la théorie pro- babiliste quantique. 1-2-2 Une expérience de pensée, version classique Considérons 'expérience bien connue du tirage de boules dans une ume «avec remise ». La remise des bboules dans I'ume permet que cette demiére contienne tune proportion constante de boules de couleur rouge ct de boules de couleur blanche avant chaque tirage ‘Afin de rapprocher autant que possible cette expé- rience de celles dont trate la mécanique quantique, on admet que le tirage ne s'effectue pas a la main, mais que Jes boules sont projetées une par une, & travers un orifice percé dans l'une, par un dispositif automatique de sélec- tion ef de lancer aléatoire. De mEme, au liew que V’exa- Le Possible, le Probable, et es contextes 37 ‘men de la couleur de la boule s‘ffectue directement & Feil nu, on suppose qu'il s'effectue par une caméra vidéo elle-méme reliée un ordinateur. L'ordinateur alffche la chaine de caractée « .o.u.g.. » sur son écran si la eaméra Tui a envoyé le signal comespondant & 1a couleur rouge, et i afiche « blanc.» si la caméra hi a envoyé le signal correspondant & la couleur blanche. Une précaution supplémentaire consiste & relier direote- ment le dsposiif de lancer & ordinateur et de li faire afficher «Le. Lirage. a. eu. Liew. », afin d'écarer les cas od la caméra envoie un signal-couleur parasite sans gu'aucune boule ne soit entrée dans son champ et afin de repérer ceux od, inversement, ele ne donne aucun signal en dépit de 'arrvée d'une boule dans son champ. La fiabilté du dispositif peut bien entenduéte vifibe 2 tout instant en confrontant la chaine de caractéresafi- chée sur ordinateur au témoignage dun expérimenta- {eur qui pergoit la couleur de la boule a I'l nu. Mais inversement, la fdéité d'un témoignage peut éue mise 4 Pépreuve par comparason avec ce qu’affche Tordi- nateut. Et la erédibilité de ce que l'on a pergu soi-méme peut se prévaloir son tour d'un accord ene collegues ainsi que du résutat insert par 'ordnateur. Cette men- tion d'un cele des atestations vise seulement rappeler , et elle permet en outre d’établir des conjonc- Le Possible, le Probable, et les contextes 39 tions, des disjonctions, et des négations, de propositions renvoyant & des trages distincts 1-23 Premitres restrictions sur cette expérience de pensée ‘Admettons & présent que, soit en raison de Ia présence un voile qui cache I'espace situé entre ume et la caméra, soit parce que les boules sont si petites qu'elles sont invisibles & I'l nu, l'expérimentateur n’a plus accés qu’a I'urne (dont le dispositif de lancer aléatoire et de remise est tenu prét 2 fonctionner), & la caméra vidéo, et & T'écran de T'ordinateur. Et intéressons-nous d’abord aux deux expériences suivants : celle qui utilise la caméra-radar détectrice de position et celle qui utilise Ia caméra sensible aux seules couleurs. Dans la premizre expérience, le chercheur ne pergoit sur l’écran que deux sortes d’indications : celle d'un tirage effectué, et celle de la position détectée. Dans la seconde expérience, il pergoit sur I'éeran Mindication d'un tirage effectué et celle de la couleur détectée. Si plusieurs tages ont lieu, ’écran affichera une liste alternée, avec numéro d’ordre, de confirmations de tirage et de valeurs de la gamme de possibles déterminge par Je choix d'une caméra. Par exemple, pour ia camera sensible aux sues couleurs, ale. tirage. 9 1.a eu, Liew.» «rouge. «le. tinage m2.a eu. Liew.» «blanc.» «le. tirage. 3. a.eu. Liew.» «blanc.» tc. Si par la suite, disons au millitme tirage, lexpéri- mentateur décide de changer de caméra il obtient sur son éeran quelque chose comme 0 ‘Mécanique quantique «le. tirage. n° 1001. a eu. Liew.» «droite.» ale. tirage. n° 1002. ae. Liew.» «dr ale. Lirage, n° 1003, a eu. Liew.» gauche.» et Une fagon d'exprimer cette famille d'indicaions de ranitre prudent, en évitant de nommer des ents invi- bibles (les boule lanotes,cachées par le voile ou par Jeur petit till), consiste 8 formler des propositions dont (a le sujet est une expérence numrotée, défi par la toulté du contexte expérimenta,c'est-A-ir & la fos parla préparation de Pure, pa le tirage effect, et par la caméra chosi, bye prédicat est occurrence de I'un des résultats rendus possible par le choix d'une caméra soit Ioe- caence de rune des deux couleurs pour ls experiences numérotées de 14 1000, soit occurence de Pune des deux positions pour les experiences suivanes. Par exemple « 'expércnce n° 354 (définie par une chaine opéraoireallant de Ia préparation au fonction- nement de la caméra détecrice de couleur) est caracté tisée par Poccurrence dela couleur rouge»; « expe rience n° 1667 (defnie par une chaine opératoire allant dela préparation au fonctionnement de I caméra détec- tice de position) est caractrsée par occurence de la valeur“ gauche du champ " de Ia variable position » En ven tenant [a cependant, on se comporte comme s'ily avait deux gammes de possbles igoureusement disjointes et par conséquent deux langoges expérimen- taux et deux logiques dstnctes. Car on a écané por constrcton les conjonetions et dsjontions de propo- sitions dont le sujet (une expérience deerminée) serait Je méme, mais dont les prédicats apparindraient res- pectvement 8 la gamme «couleur» et a la. gamme “postion ». La conjonction«I'expérience n° donné Souge” ef Vexpérience na dooné " gauche» est Le Possil , le Probable, et les contextes a par exemple exclue, Car, tout en faisant deux fois réfé- rence & la méme expérience n° i, sa premitre partie ne vvaut que par référence A une expérience incluant dans sa <éfiniton le contexte expérimental de V'installaion d’ une ccaméra sensible aux couleurs, alors que sa seconde partie ne vaut que par référence & une expérience incluant dans sa définition le contexte expérimental de T'installation d'une caméra sensible aux positions. La disjonction de propositions du type «l'expérience n°i a donné rouge” ou lexpérience n°i a donné “ gauche "> est cexclue pour la méme raison. Sont aussi exclues les conjonctions et disjonctions de ccertaines propositions contrafactuelles dont le sujet (une expérience déterminée) serait le méme, mais dont les prédicats appartiendraient respectivement 2 deux gammes distinctes de résultats possibles. Essayons de comprendre pourquoi. Les propositions contrafactuelles sont. des propositions au mode conditionnel dont les conditions sont contraires aux faits. L’exemple pertinent dans la situation qui nous retient est: «Si l'expérience ni avait été fait, elle aurait donné * rouge ”» (mais en vérité, et c'est ce qui rend la condition « contraire aux faits », Vexpérience n° in’a pas 66 faite, car on est passé directement du tirage n° i=1 au tirage n°i+ 1 sans. ‘mettre en place aucune caméra au tage n°i). Une telle proposition contrafactuelle n'a rien d'incorrect lors- ‘qu'elle reste isolée. Mais une conjonction ou une dis- Jjonction de deux propositions contrafactuelles du type : «si Vexpétience n°i avait été faite, elle aurait donné rouge” evou si Vexpérience n°i avait && faite, elle aurait donné “ gauche" » est exclue, En effet, sa pre- mitre partie se réfere a1 une expérience n° i dont la défi nition aurait enveloppé installation dune caméra sen- sible aux couleurs alors que sa seconde partie se réfere rnominalement & la méme expétience ni tout en impli- quant dans sa définition, incompatible avec la premiere, installation d'une caméra sensible aux positions. Le concept d'« expérience n”i » est en vérité trop glo- bal, sa définition enveloppe de fagon trop étrote des élé- ‘ments de contexte expérimental allant de la préparation 2 ‘Mécanique quantique au choix d'une caméra, pour qu'il sit envisageable d’en Aissocier implicitement une partie de ce contexte. Lai adjoindre (factuellement ou contrafactuellement) un pré= dicat relevant de quelque auze contexte expérimental est tune manitre de contrevenir asa definition. Test vrai qu'on a envie de maitriser cette globalté en . Nrestil pas tentant de profiter de toute Ia liberté offerte par utilisation du mode conditionnel pour admetre des onjonctions ou des disjonctions qu'exclueat le mode indicaif ou un usage top resirictif du mode condition- tel? En faisant cela, cependant, on s'écarte subreptice- ment de Ia siatégie consistant prédiquer chaque résul- tat d'une expérience définie indissociablement par la préparation, le tage, et le type de caméra choisi. Si Trexpérience ni avait &é faite avec une camera sensible aux postions, elle auraitcertes concern le méme tirage tais,globalement, elle a'aurait pas &té la méme expé- Fience que celle quia donné le résuat “rouge”. Contrirement aux apparences, il n'y a done pas ici une expérience porteuse de deur prédicats: Tun, qui lui serait factuellement attibué dans le premier contexte, et TTautse, qui li serait contrafacuellement atrbué dans le second contexte. II y a deux expériences par definition distinctes, et qui ne peuvent donc pas passer pour le sujet tunigue des deux prédicats. L’essai de conjoindre (fc- tuellement ou contrafactueliement) les deux prédicats en 1, Nous verons au chapite 3 importance que Bohra accordée ce genre de conception hoistique dans son interréation de Ia mécanique quanoque Le Possible, le Probable, et les contextes a ‘conditionnalisant une fraction de ce qui définit chaque expérience, revient donc implicitement a pointer vers un sujet logique qui ne s'identifie plus & l'expérience elle- méme dans sa globalité. Le sujet logique qui semble s‘imposer 3 nouveau 3 T'issue de cette tentative n'est ‘autre que T'objet supposé unique des diverses procédures de détection pouvant tre mis en ceuvre 2 la suite d'un certain tirage: une boule colorée. Mais avant den (e)venir 14, un certain chemin reste & parcourir. 1-2-4 Multiplicit des contextes, unité de la logique La question de savoir dans quelles circonstances on peut aller au-dela de la formulation consistant a fai «une expérience globalement définie le sujet logique des prédicats de la gamme qui lui est associée, et par consé- ‘quent dans quelles circonstances on est autorisé choisir tun porteur unique de prédicats pour toutes les gammes, vva ére posée de la fagon suivante, intentionnellement plus limitée : comment rétablir N'unité des gammes de possibles ? A quelles conditions peut-on les ramener 2 tune seule gamme de possibles, un seul langage expéri- ‘mental, et une seule logique ? Le premier type de circonstances qui. permettrait de retrouver une gamme de possibles et done une logique unique, c'est unification du contexte expérimental, ‘Supposons qu’a part les deux types de caméras spécia- lisées, nous disposions aussi d'une caméra vidéo ordi- naire apte & recueilir puis & transmettre simultanément les informations sur la couleur et sur la position. Cette ‘caméra combinge ayant ét& choisie, il n'y a plus qu’un seul contexte experimental commun & l'obtention d'une indication relevant de la gamme « couleur » et &I'ebten- tion d'une indication relevant de la gamme « position » Le concept d'expérience n°i reste indissociable du contexte définissant une gamme de possibles, mais cette fois la gamme de possibles a été élargie et unifige & la suite de T'unification du contexte. De ce fait, les propo- sitions du type « Vexpérience n*i est caractérisée par “4 ‘Mécanique quantique occurrence de la couleur rouge et (ou) par occurrence 4e la valeur “d gauche du champ” de la variable posi- tion » ne sont plus intedives, puisq’elles s'inscrivent dans la logique élargie correspondant au. nouveau ‘contexte expérimental unique. ‘Un second type, pls faible, de circonstances permet- tant unification du langage expérimental ainsi que de Ja logique associée, consiste en la possibilié ¢'tablir une conjonction des contextes expérimentaux. Admet- tons que, ne disposant que des deux caméras spécia sées, nous puissions tout de méme les placer de telle sone qu'elles couvrent le méme champ et que par ail- leurs: (2) chaque tirage, la premiére caméra fourit une indication de position, la seconde foumit une indication de couleur, et les deux indications s'affchent sur Mécran de Yordinater ; (bla reproductibilté du couple de résultats est par- faite: aucune dispersion statistique incompressible dans Ja reproduction d'un résultat relevant d'une caméra n'est imposée par I'utlisation simultane de I'auye caméra Lrexpérience "i, qui inclut ici dans sa definition une conjonction de contextes expérimentaux, peut alors par~ faitement éte caractérsée par une conjonction de pré- dicats relevant de 'un et de autre de ces contextes. Le woisitme type, encore plus faible, de circonstance 0 [unification des games de possbies reste envisa- cable, st clle d'une indifference des résultats & ordre séquentiel de la mise en opération des contextes expé- Fimentaux. Admettons que les deux caméras spécialisses puissent ce échangées tres rapidement pendant la durée un trage, et que par ailleurs, en allant de la condition Ja plus faible & la condition Ia plus forte (@’)la fréquence d'obtention d'un résltat relevant de ane des deux gammes ne dépend pas des numéros ordre intervention de la eaméra correspondante, ())si Yon parvient & substiuer plasieus fois les caméras lune autre pendant ta durée d'un trage, chaque résultat est strictement reproducible une mise en opération & autre de la méme caméra Le Possible, le Probable, et es contextes 43 Lorsque ces conditions indépendance des résultats & 1Yégard de Vordre et de la substitution des contextes sont respectées, l'intervention séquentielle des contextes est en droit €quivalente & leur conjonction ; la caractérisa- tion (au moins contrafactuele) d'une seule expérience par deux prédicats, l'un de couleur l'autre de position, est & nouveau permise, et par conséquent la logique asso- cige au langage expérimental se trouve une fois de plus unifie. Imaginons & présent qu’a la suite d'un échange rapide es caméras spécialisées durant chaque tirage, les cond tions (a’) et (b') n'aient pas été remplies. Cela interdit- il de conjoindre ou de disjoindre les propositions expé- rimentales, et de considérerchacune entre elles comme singularisant une occurrence partculitre T'itérieur d'une seule gamme de possibles ? Pas nécesssirement. Si les indications fournies par les caméras spécialisées ‘dépendent de lordre de leur mise en place mais que cette dépendance séquentielle est prévisible, par exemple parce qurelle est lige de facon univogue & la vitesse et & angle de substitution d'une caméra & T'autre, ou sim- plement a la durée qui sépareI'intervention de l'une des caméras de I'intervention de l'autre, ren n'empéche de soustraire systématiquement ces modalités annexes de la Aéfinition d'une expérience, et de se ramener ainsi une fois de plus a une configuration équivalente celle ob il ¥ a conjonction des contexts, Contexte expérimental_ unique, conjonction de_con- textes sans dispersion statistique associ, insensibilité & ordre chronologique d'intervention des contextes, sen- sibilté prévisible & Vordre chronologique d’intervention des contextes. La satisfaction de Tune de ces quatre clauses autorise 4 unifier le langage expérimental ainsi ue la Togique qui le sous-tend, Mais en vérié, ce n'est pas comme cela que Ies choses se passent, La provédure consistant a s'assurer de I'uni- cité du contexte expérimental ou d'un équivalent accep- table de cette unicité avant de se servir d'un langage doté une logique unifige, n'est rien d'autre qu'une fiction méthodologique. 46 ‘Mécanique quantique 1-2-5 Un langage décontextualisé Un langage fait de propositions dont les prédicats sont explicitement congus comme relatifs & un certain contexte et dont les sujets sont indissociables de la don- née de ce contexte, s'avere si rigide, si partiel, si mani- festement menacé de fragmentation, qu'il est naturel de prendre le contre-pied de la démarche adoptée pour cette “fiction méthodologique ». Une procédure inversée qui consiste non pas & commencer par tester la validité de Vopération de conjonction des contextes pour unifier ensuite de proche en proche les langages expérimentaux particls, mais & faire Ie pari de Tunité en adoptant emblée un langage décontextualisé, quitte & recon- naftre qu'il est vulnérable & une réfutation ultérieure. A. Vimérieur d'un tel langage les sujets des propositions nincluent pas de contexte expérimental dans leur défi- nition, et les prédicats opérent comme autant de déter- ‘minations absolues des sujets. Ce langage, c'est tout sim= plement notre langage de tous les jours, dont tous les discours partiels, méme Jorsqu’ils waitent de dépendance contextuelle, opérent dans la perspective régulatrice d'une unification possible des contextes. Dans l'expérience de pensée de I'ume et des caméras, option d'un langage décontextualisé implique qu'on attibue les caractéristiques de 1a gamme position et celles de la gamme couleur & un seul objet dont idemtité dépend exclusivement de la procédure de tirage, et non ‘pas A une « experience » dont la défnition globale enve- Toppe également le contexte vidéo. Le porteur des pré- dicats de couleur et de position lors du tirage 0”, ce n'est plus V'expérience n° i, mais un certain objet, disons lune « boule », qui est quelque part en migme temps qu'il posséde une couleur. Le bien-fondé d'une conjonction (ou d'une disjonction) de caractérisations provenant des ‘deux gammes de possibles, et leur fusion en une seule gamme, sont ainsi pré-supposés par la forme méme du Tangage employé. Dire que c'est une boule dont une Le Possible, le Probable, et les contextes a ccaméra spécialisée vient de détecter 1a position, et que cette boule passide en méme temps une couleur, cela revient & présupposer que rien n'empéche en principe de conjoindre ou dunifier les contextes, méme si les condi- tions d'une telle conjonction ne sont pas remplies & Vheure actuelle et que rien n'indique comment elles ppourraient 1'tre. Prédiquer des propriis d'un objet, "est au minimum considérer la possibilité de conjoindre Jes contextes de prédication comme un horizon du dis- cours. La dimension de pari que comporte utilisation de ce type de langage & propos de l'expérience des boules et des caméras vidéo $'tend en fait bien au-dela des deux ccaractristiques détectées par les caméras disponibles. Un discours portant sur des objets dotés de propriétés, anticipe aussi quantité d’autres déterminations qui pour- raient leur éte attribuées par quantité d'autres moyens et contextes expérimentaux & venir. I anticipe également la possibilité de trouver un niveau d’analyse expérimen- tale raffiné od ous les contextes seraient conjoints, rméme si Ia conjonetion reste principiellement exclue 3 tun niveau plus grossier. Un exemple, moins artificiel que celui que nous avons considéré jusque-Ia, suffira pour s‘en rendre compte. Le premier contexte expérimental & cconsidérer est un dispositif de mesure de I'élasticité des solides dans une enceinte maintenue & une température de 20°C ; le second consiste en un dispositif de mesure de la viscosité des fluides dans un récipient thermostaté une température de 2000°C. La conjonction des deux contextes est 6videmment impossible, du fait de leur dif- férence de température. Mais aucun physicien ne refu- sera d'attibuer conjointement & un certain échantillon ‘métallique deux valeurs relevant des deux gammes de possibles définies par ces deux contextes incompatibles.. Aucun physicien ne montrera de réticence & la sugges- tion d'appeler ces deux valeurs des propriéiés de Péchantillon métallique. Il ne fait ainsi qu’anticiper soit Vindifférence des résultats & ordre d'utilisation des contextes, soit, si cet ordre n'est pas indifférent en raison de phénoménes d'hystérésis, Ia détermination de pro- 48 ‘Mécanique quantique priétés « fondamentales » sous-jacentes (la structure Giectronique des atomes du métal) qui releveraient d'un ‘seul contexte expérimental, et d'od dériveraient les pro- prigtés « superfiielles» ou « grossires » ateintes sépa- rément par I'éastimaize et le viscosimétre. La situation {anticipation est ici vécue comme provisoire, et comme devant se résoudre par un progres (peut-te ultime) de 1a physique, Dans F'llustration que nous avons choisi de dévetop- per (ume, les caméras et I'éeran de ordinateur), la situation d"anticipation, ou de pari, semble encore plus manifestement provisoire. N'estelie pas due & la cir- constance anecdotique que 'expérimentateur n'a accts qu’ une fraction de son dispositif ? Ne connaitrait-lle as une issue rapide si I'on enlevait le voile qui empéche de percevoir ce qui se déplace entre I'ume et le champ de la caméra, ou si on s'emparait d'un microscope pour rendre visible ce qui est trop petit pour éue vu a I'l nu? Le pari selon lequel les résultats inscrits sur 'écran de Vordinateur ne font que refléter des caracéristiques possédées par un objet entrant dans le champ de la caméra ne serait pas considéré comme gagné des instant ob Ion verrait (ou d2s Tinstant ob I'on touche rait) des petites boules localsées et colorées Ta oi leur présence était anticipée ? Ce serait perdre de vue que le discours sur des objets « directement pergus» et sur leurs proprités repose sur le méme genre de pari que le discours sur les objets d'une investigation expérimentale, simplement reconduit une étape en depa. Ce pari préi- minaire (premier, faudraitil dire), c'est que rien ne soppose en principe & ce que certaines classes aspects, successifs présentés & une seule modalit sensorille, ou bien les caractérisations relevant de plusieurs modaltés, sensorielles et de plusieurs individus, puissent étre conjoiates. La connotation ludique du mot « pari » doit 2s lors étre compensée en signalant que ce pari-la a pour fonction essentielle d'incarmer I'impécatif moral et social 'affranchir le discours de tout partcularisme, et de Vorienter ainsi vers la communication, Il traduit en Le Possible, le Probable, et les contextes 49 autres termes, de la fagon la plus immédiate, 'impé- ratf d’objectivation. En dépit de cela, en dépit de ce point d'appui d'allure transcendantale offert en fin de parcours au concept de propriété, ensemble des analyses qui précédent conduit a formuler une réserve de principe. Le langage non contextuel d’objets et de propriétés qui nous est familier repose sur_une hiérarchie d'anticipations concemant unité de la gamme de possibles qui définit une logique ; iil demeure donc suspendu & un échec toujours envisa- geable des conduites anticipatrces,fdt-ce dans une frac tion limitée de son champ d'exercice. 1-2-6 Faut-il garder le silence ? Mais Je langage courant ne laisse pas transparaitre la nature de la menace de réfutation qui plane au-dessus de Ij. Car en lui, Te présupposé de a conjonction des contextes sensoriels et expérimentaux prend aspect d'une décontextualisation de ses termes. La perspective et les modalités d'un échec du langage d’objets et de propriétés ont &t& éliminges de la forme méme de ce langage. Le succés constant et universel du pari quril sous-entend, d’abord dans la vie quotidienne puis en physique jusqu’au début du vingtitme sigcle, @ eu pour contrepariie I'oubli complet des conditions sur lesquelles il repose. De 1a I'extraordinaire difficulté prévisible de sa mise en cause. Si T'anticipation d'une unicité de la gamme de possibles devait s‘avérer vaine, une tension pparaitrait bien dans le discours de ceux qui se trouvent professionnellement au plus prés de la fracture ; mais cette tension resterait longtemps diffuse parce qu’un lan- sage pré-formé par une logique unifige est incapable de servir & la formuler, et plus forte raison incapable de servir 3 exprimer le procédé de sa résolution ‘A vrai dire, la difficulté est encore plus grande que ne le laissent croire les phrases précédentes. Parler d'oubli 8 propos de ce que présuppose un langage d’objets et de propriétés est un euphémisme. Il n'y a aucune trace his- 50 ‘Mécanique quantique torique, ou ethno-linguistique, d’un état de la langue od cet «oubli» n'aurait pas déja été commis (c'est le céldbre toujours-déja de Hussert). Et un oubli qui n'a pas été commis doit plut6t étre qualifé d'absence consti- tutive, d'absence premiére ne pouvant étre pergue comme telle que sur fond d'analyse réfiexive seconde. Le langage méme dont nous nous sommes servis pour parler de la multiplicité des contextes et de la fragmen- {ation éventuele de la logique congue comme gamme de possibles, n’échappe pas a cette absence constitutive. Expliciter un contexte, disons une caméra vidéo apte & détecter Ia composition spectrale du rayonnement inci- dent, cela ne revient-il pas 2 utiliser un sujet (Ia caméra) et un prédicat (aptitude a la détection) qui sont tous deux non contextuels ? Et pour représenter la situation dun expérimentateur affrontant le constat d'une disjonc- tion des gammes de possibles, n’avons-nous pas di ccommencer par recourir & l'image d'un voile ou d'une dimension microscopique cachant des objets qui eux, cela va de soi, possédent des proprigés ; des pro- priétés auxquelles les caméras donnent acces médiate- ‘ment et qui n’attendent qu'un geste de dévoilement pour le manifester ? En d'autres termes, I'entreprise de re- contextualisation se heurte de toutes parts & la noo- ‘contextualité du langage qu'elle emploi. Elle s'y heurte dans la description du contexte et elle s"y heurte aussi de fagon plus subtle a travers un programme de recherche pré-conditionné par l'usage de substantifs et de prédicats : le programme qui s‘assigne pour but identifier les propriétés absolues dont les détermina- tions relatives (contextualisées) ne seraient qu'une tra- duction indirecte «Le langage ordinaire n'est pas le demier mot, (mais) faut nous souvenir que c'est le premier mot » ULL. Austin (1961)]. Comme on vient de Te voir, ce pre- ‘ier mot appose sa marque sur chaque tentative de dire les formes dexpression qui pourraient lui suceéder ou le agénéraliser. Mais s'en tenir I, s'en tenir a image de la marque, c'est encore essayer d’atténuer le choc dont nous commengons & réaliser les conséquences, N'y atil pas Le Possible, le Probable, et les contextes st ‘une contradiction dans les termes 2 vouloir & tout prix traduire la fragmentation logique et son corrélat contex- tel au moyen de la logique unifiée d'un langage ordi- naire non contextuel ? N’est-ce pas aussi vain, une fois, de plus, que d'essayer de traduire dans les termes dun langage ce qui se tient au-deld les limites de ce langage ? Et les demiers aphorismes du Tractarus de Wittgenstein ne suffisent-ils pas & nous mettre en garde contre la fail- lite programmée des entreprises de cet ordre? Cela est certain, mais nous n'avons guére le choix. Si nous dési- rons au moins indiquer les directions d’un dépassement approprié du langage ordinaire, sans en rester & une cri- tique interme qui ne ferait qu'en manifester les insuffi- sances ; si nous ne nous contentons pas d’exhiber un systeme d'opérations algébriques qui calquerat le sys- ‘me des opérations instrumentales, en restant sans voix a son propos, il faut accepter ce genre d’impropriét. Liinconsistance d'une démarche n'est dangereuse que lorsqu’elle est ignorée. Essayer d’« expliquer > la relativité des détermina- tions en faisant appel & la « perturbation incontrdlable » ‘occasionnée par l'appareil de mesure sur les propriéiés intrinseques de objet microscopique mesuré, cela rele- verait clairement d'une telle ignorance. Au contraire, invoquer la re-contextualisation particlle du langage et la fragmentation de la logique, en restreignant I'appli- cation des catégories du langage ordinaire & Ia descrip- tion des contextes expérimentaux et d'un projet de recherche, c'est utiliser avec subtlité les ressources de ce langage, non pour en nier la pertinence dans I'univers familier 0d il a fait ses preuves, mais pour en desserrer ’étau, pour circonserite une région od son emprise reste indgfiniment programmatique 1-2-7 La mécanique quantique et la pluralité des contextes, La naissance de Ia mécanique quantique marque-tlle échec historique des langages non contextuels ? La 2 Mécanique quantique possibilté d’éviter cette conclusion, et de proroger en Physique contemporaine la validité de V'ontologie « natu- relle » d'objets et de propriété dont la forme est déposée dans le langage ordinaire, ne sera discutée qu’au cha- pitre 4, Mais les réflexions du paragraphe précédent Conduisent & remarquer dés A présent que, méme si Téchec ait d'ores et déja consommé, cela n'apparatrat ‘pas clairement dans le discours interprétatif formulé & Taide du langage ordinaire. Celui-ci manque en effet, nous I'avons souligné, des catégories nécessaires & la traduction de sa propre insuffisance. Méme si I'échee tat deja consommé, on aurait toujours besoin utiliser Je langage courant ‘pour parler des choses qui nous ‘entourent et des appareils de mesure, ne serai-ce que parce que « ma vie montre que je sais ou que je suis sir ‘quil y ala une chaise, une porte ete.» IL. Wittgenstein (1969a) § 7]; ou pluto, parce que de telles certtudes conditionnent notre vie et action expérimentale qui la prolonge. Par ailleurs, méme siI'échec des langages non contextuels éait déja consommé, leur persistance pour parler familigrement, entre physiciens, de l'objet de investigation expérimentale maintiendrait en état de survie atificielle le projet de dévoiler une strate de pro- prigis absolues sous la surface des apparences relatives, utilisation de divers contextes expérimentaux. L'échec des langages non contextuels ne pourrait en somme avoir que des conséquences ambigués : un dis- cours écartelé entre la structure du langage employe et Jes signes manifestes de son inadéquation; d'inlassables tentatives de surmonter cette tension, mais un désaccord tolal sur les moyens dy parvenir : une controverse per- sistante, confuse, et indénouable, en dépit de I aptitude prédictive jusqu'a présent iréprochable dune théorie incorporani dans son formalise la contextualité des determinations qu'elle régit. On reconnait dans cette breve énumération Ia situation quia prévaly durant prés de soixante-dix ans de débat sur l'interprétation de la mécanique quantique. Non pas que ce débat ait toumé en rond : grice lui les échappatoires ne sont désormais plus de saison, Ia palette des options interprétatives Le Possible, le Probable, et les contextes 3 viables s'est restreinte, et le prix & payer pour chacune entre elles a &€ scrupuleusement évalué. Mais V'ar- sgument décsif de la décision, ou au moins du consensus, ‘manque. I serait tentant de sauter du parallée identification. Puisque la situation que nous vivons dans les discussions sur I'interprétation de la mécanique quantique est exac- tement analogue a celle qui prévaudrait dans une communauté faisant face a I'échee de son mode d'e pression premier et non contextuel, cet échec n’es-il pas Aémontré par la mécanique quantique ? L'analogie, ‘méme frappante, n'est pas une preuve. Limpresi qu'elle donne de contourner l'impropriété consistant & exprimer dans un langage Ia limitation de son propre champ d'exercice, n'est due qu’a un tour de passe-passe @ironiste. ‘«Si les conditions A prévalaient, il se passerait que B ». Or, B est arivé ; cela implique-til que les condi- tions A prévalent ? Bien évidemment non, car il faudrait encore s'assurer que seules les conditions A peuvent enirainer B. Mais dans le eas qui nous retent, cette pré= caution élémentaire de la raison est occulée par la nature particuligre de B. En effet, B n'est pas n’importe quelle conclusion : c'est la conclusion selon laquelle on ne peut pas exprimer A ; c'est, plus expicitement, la conclusion selon laquelle on ne peut exprimer toutes les consé- quences de I’échec d'un langage non contextuel dans les termes de ce langage. Autrement dit, « Si les conditions A. prévalaient, il se passerait qu’on ne pourrait pas exprimer ‘A>. L'antécédent étant contenu dans la formulation du conséquent, il est difficile d'échapper 2 la fascination «qu'il exerce Et encore plus dificile dene pas penser que, pparmi tous les antéeédents ayant pu entrainer B, A estjus- tement celui qui risque le plus tre ignoré en raison de son inexprimabilité, et que, rien que pour cela, il mérite la compensation dun traitement de faveur. Ainsi I'iro- niste parvient-il&attirer sur cet argument une sympathie ‘que ne lui aurait pas valu sa seule valeur déductive I faut done se garder de prendre les considérations précédentes pour prewve que le type de langage qui co ‘Mécanique quantique ous est familier a &¢ invalidé par la mécanique quantique, fat-ce dans «Iunivers. microscopique ». Mais ces’ mémes considérations nous incitent forte- ment 2 essayer de suivre jusqu'au bout les consé- quences du remplacement d'un langage unique et non ccontextuel par une pluralité de langages partellement ‘contextualisés, 1-2-8 Questions et observables Quels sont les consituants de oes langages ? Avant tout, des. propositions, Chacune de ces propositions affirm un fai c'est ire la rélisation un certain état de choses parmi tous ceux qui sont posibles dans un conteste donné. Le rattachement d'une proposition 8 tel langage particulier, soustendu par une logique, s'an- nonce par Tappartenance du fait quelle afrme & fa famme d'éats de choses rendus possbles par le choix {un certain contexte expérimental. Cette appartenance tne prjuge en rien du caractere provisire ou défntif de ta distinction des langages et des logiques, qui reste sus- pendu au suceés ou a Péchec dela tentative de défnit {es contextes conjoins. Le mttachement d'une proposition a une logique res- treinee peut dire rendu manifese dans le discours en la faisamt prééder d'une question, eten montrant qu'elle ext une des réponses dea liste pré-definie par la qus- tion, « L'ouvertureimpliquée par essence de V'expé- Fience est précisément, d0 point de vue logique cete ouverture de I" ainsi ow autrement "Elle a la structure dein question» (H-G. Gadamer (1960), p. 208]. La auestion ouvre sur une grille de éponses mutucllement exclusives ("inst ouautrement"), qu se rapporte ele ef ne saurait génralementconvenit& aucune autre diree- tion de I interogation. ‘On doit cependant prendre garde & ne pas confondre Je contexte expérimental (qui détermine une gamme ats de choses possible) et une question (qui ouvre Sur une gile de réponses acceplables relevant une ou Le Possible, le Probable, et les contextes 35 4e plusieurs gammes). La question n'est pas indépen- ante du ou des contexte(s), mais elle n’en est pas la traduction univogue : (@) Une question particulire peut imposer un décou- page diversement modulé, et plus ou moins fn, de Trensemble des informations rendues disponibles par Ia mise en quvre d'un contexte expérimental; (©) Elle peut éte libeliée de manigre suffisamment large pour Valor dans plusieurs contexts gui, bien que stints, aboutissent& des résultats redondants (6) Blie peut enfin ouvrir d'emblée sur des réponses complexes, impliquant une conjonction «informations oblenues dans plusieurs contextes expérimentaux aux résultats mutuellement indépendanis. Donnons d'abord une illustrtion de découpage rmodulé des résultats obtenus dans un seul contexte expé- ‘imental (cas (a). Supposons que ce contexte s'idenfie {11a mise en place d'un appareil servant & mesurer Pune es ois coordonnées de l'espace ordinaire (disons Tabscisse x, mesurée & pani d'une origine O a la pré- cision Ax prés). Le type de questions que Ion peut poser 4 parir des informations fournies par cet appareil est alors orienté d'avance par sa constitution, elle-méme détcrminée par sa fonction métrque ; 'apparil fixe, si Tron veut, le cadre général des « ouvertues » ménagées pat les questions. Mais rien n'empache de faire varer & partir de la amplitude et la forme de ces « ouver- tures » de privilépir les questions a deux réponses comme par exemple « la valeur dex estelle supérieure ou inférieure & deux centimetres?» ; ou bien de s'iné- resser des fonctions de x plutOtqu’a x elle-méme : «la valeur du caré de x estlle comprise entre 0 et 1 em’, estelle comprise entre I et 25 cm, ou estelle supérieure 225 cm ?». A chacune de ces questions correspond un ensemble de_propositionsrtponses possibles, mais ces ensembles stints sont supportés par une logique commune. Il suffit pour Je monirer de désigner ‘un ensemble de propositions élémentares dont les propo- Siions-réponses (ow plutot des propositions véricondi- tioanellement équivalentes aux propostions-réponses) 56 ‘Mécanique quantique sésultent par disjonction, conjonction, ou négation. Dans illustration choisie, une liste appropriée de propositions Alémentaires serait ‘, signale quant 2elle une distance prise 4 'égard des connotations onto- Togiques du concept d'« événement ». Tandis que les cexpérances, si je suit aster heureux pour touver seulement une ‘hose qu sit certain et indubitable» n ‘Mécanique quantique Evénements sont, comme les corps matériels, « quelque chose dans le monde >, les « fits» se limitent 8 ue ce que les propositions tenues pour vraies énoncent U. Habermas, (1973), p. 346), et les « états de choses » correspondent & ce que les propositions d'un langage donné peuvent énoncer. Contrairement & un événement, qui est censé étre poséli-devant, la proposition énongant accomplissement d'un fait ou la description ’un état de choses réalisé ne représente jamais, comme I'indique Popper [(1959) p. 94], qu'une « hypothése ». Ainsi que son étymologie le sugge, a proposition pro-pose ; elle [pose en avance, hypothétiquement, que tous les tests ct contre-tests qui pourront étre effectués par un expéri- ‘mentateur et parses collegues resteront compatibles avec le fait qu'elle exprime. Dans ses Remarques Philoso- hiques, Wittgenstein établit bien une certaine distine- tion entre hypothése et proposition, mais il fait de la seconde, comme de Ia premiére, un mode d'anticipation. La proposition est simplement traitée par Iui comme un type dattente d'un degré higrarchiguement inférieur & Thypothése : «Une hypothése est une loi pour la construction de propositions. On pourait dire égale- ment: une hypothése est une Toi pour la construction ¢'attentes » [L. Wittgenstein (1930), XXII § 228). Selon la conception de la proposition que Wittgenstein soutient vers 1930, i faut se rendre compte que puisque « I'ex- perience immédiate doit seulement vérifier quelque chose en elle, une facette» [ibid., XXIE § 225), lattes- tation du fait qu'elle exprime reste toujours a accomplir, dans la perspective indefiniment éloignée d'un épuise- ment de ses « facettes» ‘A Vopposé de l'événement, le fait ne prétend done pas constituer une donnée immuable. Ce qui conduit & énoncer sa survenue au moyen d'une proposition, ce sont deux éléments dont il ne faut pas sous-estimer la fragi- Iité. Un élément paradigmatique révisable par partes, tun élément circonstanciel éminemment_fragmentare. L’étément paradigmatique consist (a) en l'ensemble des présupposés qui régit A une époque donnée le compor tement et les aptitudes au consensus d'une communauté Lz Possible, le Probable, et les contextes B ‘humaine, (b) en un corps de théories scientifiques deli ‘mitant plus strictement que les langues naturelles ce 2 ‘quoi il possible de s’attendre & la suite d'une préparation donnée, L’éiément circonstanciels'identifie pour sa part 2.ce qui apparait d'un objet ou d'un appareillage expé- imental a tel moment et sous un certain angle : une ou plusieurs facets. Le consistance du fait repose en fin de compte sur la bonne intégration du (ou des) élément(s) circonstan- ciel(s) dans le cadre totalisant du paradigme en vigueur. Que quelques nouveaux éléments circonstan- ciels ne confirment pas les premiers, et Phypothese ppaticulitre que constitue I"énoncé du fait se trouve ‘mise en danger. Qu’une partie du cadre paradigmatique présente des fissures parce que trop de fits ne par- Viennent pas a y prendre place sans inconsistances, et certaines des anticipations qui étaient présentées aupa- avant comme «faits> sont affaiblies par contre- ‘coup. Un fait ou plusieurs faits qui ne s'inscrivent pas ‘dans un paradigme peuvent inciter a le metwe en ‘eause, mais si c'est le cas ils contribuent réciproque- ment 2 dissoudre appui qu’ils y trouvaient et & rendre problématique une bonne partie de ce que l'on prenait pour leur contenu factuel. A partir de la, I'énoncé du fait se replie sur Ia part encore intouchée d’un systeme de présupposés dont les normes de Iaction et de la ‘communication humaines constituent le noyau et dont les théories scientifiques forment la frange exposée. Voici un exemple de repli du fait: 18 od les physiciens du tournant du siécle affirmaient la mise en évidence de trajectoires corpusculaires dans les chambres & brouillard de Wilson, Heisenberg [(1969), p. 113} n'y apercevait plus & la fin de 1926 qu'un pointillé assez irégulier de goutteletes d'eau. L'identification du fait A une trajectoire le ratachait en filigrane aux représen- tations de la mécanique classique, alors que sa modeste assimilation 2 une grappe de goutteletes de vapeur condensée ne le faisait plus dépendre que des pré- conditions de base de la perception et du travail expé- imental. Le fait modelé par ancien paradigme se ™ ‘Mécanique quantique éfsisait ainsi en question ouverte, en simple invitation 4 lever les récentes avancées théoriques au rang de ‘nouveau paradigme et & assigner un statut dapproxi- tation a'ce qui était auparavant tenu pour détemni- nation exact. ‘Cette positon précaire du fit est bien admise en 6pis- ‘émologie contemporaine. Les « pures » observations sont entachées de théorie, les « données » d'experience sont modelées par le réseau de possbilités que trace Ia théorie en vigueur {L. Laudan (1977) (1990). Mais tant qu'on s'en tient & un discours méta-cientifique général, Te conditionnement du fait par le paradigme n'apparat <éerminant qu'en période dTinstabilité,c'est-i-dire au cceur du processus des « révolutions scientifiques ». Ce rest, semble-til, qu’a ces moments délicats qu'il faut se préoccuper de séparer dans chaque « fait> ce qui, revenant la théorie mise en échec, doit die écaré, et c= qui relevant d'un fonds de presuppositions anérieur 2 cette théorie ou la démarche méme des sciences, peut subsister. La charge théorique du fait n'a dans ce cas Gimporance que tansitore. Elle devient au contraire une préoccupation coastante quand on s'assgne pour objec spéciigue de formuler Lune interprétation opératoire satisfaisante de la méca- nique quantique. Car on est plaé ici face 8 une sone de tension constitutive qui ressurgit réguligrement, y compris en période de « science normale ». La survenue inconditionnée des fails doit ue affirmée ne serait que pour fournir Vargument du schéma prédictf de la mécanique quantique: une prédiction concer ce qui va aver, et elle est attestée pat ce qui est arrivé, Mais en rméme temps il est iei indispensable de thématiser en permanence la dépendance des faitsvs-ivis de théories aniérieures, voire leur conditionnement par les pratiques hhumaines les plus élémentaires, car la mécanique quan tique ne dispose pas en général de 'équvalent formel de I'hypothise qu'un fait est survenu a T'exclusion de tout autre (§ 1-3-8). N'étant pas pris en charge par la tgorie physique qui joue a Pheure actuelle le role d'un Paradigme, restant trbutaire d’'tals antéieuss de la Le Possible, le Probable, et les contextes 15 connaissance humaine rétrospectivement tenus pour approximatif, le fait se trouve fragilisé. A moins d'ac- cepter sans esprit critique la ligne de clivage entre un «domaine macroscopique » assuré et un « domaine rmicroscopique » problémarique, on est conduit soit 2 englober le fait dans une suspension générale du juge- ‘ment (8 valeur au moins hypothétique) soit le epousser A nouveau a I'aridre-plan tacite des jugements, au risque de Ten voir ressurgit & tout instant". La mécanique quantique, Tue de cette manitre, acquiert une sorte de valeur thérapeutique : elle empéche d'oublier périodi- quement le caractere hypothétique du fait; elle rappelle sans cesse que chaque fait doit sa fermeté au succes glo- bal de l'euvre épistémique qui le prend présomptive- ‘ment pour point d’appui 1-2-13 L’ombre portée du concept de corpuscule ‘matériel dans le langage expérimental Le second écueil qui menace la tentative de limiter les langages expérimentaux une terminologie urement instrumentale est le suivant. L’énoncé de I'expérience ov de ses résultats semble presque toujours requéri la men- tion de son objet, et non pas seulement celle de ses ins truments. Une expérience de physique microscopique s‘effectue sur un systtme constitué d'une ou de plusieurs particules (ou au moins d'un ou de plusieurs « quan- tons» [JM. Lévy-Leblond & F. Balibar (1984))); son résultat est en principe reproductible individuellement si elle s'exerce & nouveau sur le méme systtme ; elle ccontribue & caractériser un systéme déja doté de certaines 1. La suspension du jagement sr les fails et sur les «choses» 4e Fenvironnement immédiat de Vexpérimentteur a aussi Pavan tage de dégazer le train pour un futur compte-endu en retour de Papparaite macroscopique par les méthodes de la théorie quan- tigue (assciges A des procédé approximation). Cesta ce que nous avons appelé dans introduction: essai d'éablr une con rue ancendante entre I objet de la physique ef ses mens insta mentaux (voi aus capt 8), 6 Mécanique quantique déterminations que rien n'empéche (dans le cas non rela- tiviste) de qualifier de propriéiésintrinsoques : la masse, Ja charge, le module du spin, ete. Cet envahissement persistant des énoncés expérimen- taux par trois éléments d’ontologie microscopique ne fait ccependant que refléter une confusion historique. Il est exact que le concept classique de systtme de corpuscules. avait la capacité de synthétiser ces trois éléments en lui; qu'il était détenteur d'une multiplicité numérique, d'une ‘dentité servant de crttre & la reproductibilité du résultat dde chaque expérience, et d'une capacité a servir de sup- port & plusieurs déterminations. Mais rien n’indique que ces éléments doivent rester assemblés, partout et tou- Jours. Rien ne l'indique en dehors d'une certaine tradi- tion de la science mathématique de la nature, maintenue ‘pour I'essentiel entre le dix-septitme et le dix-neuvieme sitele, et enracinée dans la réussite conjointe des actes de dénombrement, de dénomination, et de prédication, au cours de la vie quotidienne. La prudence incite dans ees conditions & effectuer un inventaire séparé de ces ‘uois corrélats du concept de « chose ». Chacun d’entre ceux se verra proposer un substitut opératoire. Puis on montrera que, dans le domaine expérimental régi par la mécanique quantique, ces substituts opératoires ne a ‘pas assez complets pour qu'on puisse reconsttue tr deux seus, sans leur adjlnre des Eiments hypo ‘thétiques suppiémentaires, un concept de « systéme » isomorphe celui de la physique classique. ‘Commengons par le nombre. Les expériences et mesures de physique « microscopique » aboutissent, de fagon typique, a des séries de faits discontinus. Impacts sur un eran absorbant, décharges électrostatiques dans un compteur Geiger, diminutions discrétes de la charge électrique en cas de faible éclairement d'une cathode (effet photoflectrique), srappes de goutteletes eau dans la chambre & brouillard de Wilson, etc. Parmi ces faits discontinus, il faut distinguer ceux qui s'accompa- gent d chaque fois d'un transfert iréversible de la tota- lité de 1'énergie rendue disponible parla préparation vers le dispositif de mesure, et ceux pour lesquels il n'en va Le Possible, le Probable, et es contextes 1 pas ainsi. Les premiers relevent de ce quril est convenu d'appeler des « mesures destructives », et les seconds de . Mais les auteurs ‘qui s'affirment partisans des versions objectivstes du concept de probabilité ne sont bien évidemment pas tous préts & assumer les comélats métaphysiques de cette ‘option. En son absence, le maintien du qualifcaif « subjec- tiviste » apposé & 1a conception (2) des. probabilités <épend vraisemblablement dune autre hypothesetacite : hypothese d'incomplétude du corpus des connaissances de depart. Supposons en effet a contrario qu'on étende {déalement les connaissances sur lesquelles repose I'éva- Juation rtionnelle des probabiltés toutes celles qui sont en principe accessibles aux communautés de sujets connassants; supposons en somme que ces connais- ances soient completes. Dans ce cas, il a'y a. plus aucune possibilité de distinguer par ses conséquences un tel concept « subjectiviste » des probabilités de sa contreparic « objectiviste »: le concept popperien de propension. Seul le préjugé déterministe, selon lequel tne connaissance exhaustive doit converger vers des cer- titudes plat que sur des évaluations optimales de pro- 2 ‘Mécanique quantique babilités, conduirait & admettre qu'un discours probabi- liste refiéte forcément un corpus de connaissances incomplet. Seul le préjugé déterministe obligerait & cconsidérer que I’6valuation rationnelle des probabilités nest requise qu'afin de compenser de fagon optimale Ia part d'ignorance d'un homme ou d'une communauté humaine, et qu’elle ne saurait par conséquent refléter ‘qu'une situation « subjective ». Le modle d'une telle fagon de voir se trouve chez Laplace [(1812)], dans Vauvre duquel une conception subjectiviste des proba- bilité, rapportées & I'« ignorance >, sassocie tout natu- rellement & la défense d'un déterminisme univers Réciproquement, laffirmation d'objectivité des trois demitres conceptions des probabiltés ne saurait aller sans nuances, et surtout sans préciser une fois de plus ce qu'on entend par « objectvité ». La théorie fréquentiste est souvent tenue pour celle des conceptions des probabilités qui est la plus exempte de contaminations « subjectives ». Pourtant, il ne faut peas le perdre de vue, les procédés de dénombrement 4u'elle implique reposent sur la délimitation d' unités, les Evénements individuels, et sur la singularisation de cer- tains sous-ensembles d'événements appelés « classes de référence », La question clé pour décider de Vobjectivité de la conception fréquentiste est dés lors la suivante : ‘comment se justifient ces opérations de fractionnement ? Ne traduisentelles pas des exigences de l'eeuvte épis- ‘témique, et n'introduisent-elles pas ainsi, selon une pers- pective pré-critique, un élément de « subjectivité » dans Ia conception fréquentiste ? Ou peut-on penser au contraire qu'elles reproduisent des traits de la « nature telle qu'elle est », c@ qui seul, toujours en un sens pré- critique, permettrait daffirmer I'« objectivité» de la théorie fréquentiste ? Dans la ligne de la premitre option, une these parti- culigrement plausible consisteait & admetire que les opé- rations de fractionnement refletent imposition d'une contrainte sémantique au continuum de ce qui arrive. Cette contrainte (J. Lyons (1977)], c'est le « caractere discret » du signifiant au moyen duquel sont formulés Le Possible, le Probable, et les contextes 983 les noms qui font référence & des choses, ainsi que les propositions qui expriment des fits et envoient & des Evénements. Un signifiant ou un groupe de signifiants doivent en effet se distinguer suffisamment d'autres signifints, afin d'€viter les recouvrements et I'ambiguité sysiématiques; la continuité phonétique ou graphique entre signifiants n'est pas permise dans un systtme de communication non ambigu, et cela suffit & expliquer {que Ton ait 6 'emblée conduit (avant toute démarche secondaire de construction mathématique du contin), & projeter une structure discrete sur le domaine signifi La seconde option, quant & elle, a éi€ rendve part: culirement tentante par la naissance de la. physique ‘quantique. Car, dans ce contexte théorique, le fraction- rement de ce qui arrive semble pouvoir ée fondé sur Tratomicié « invinséque » et les eritzres de distinction «cnaturels » de certains événements émentaires. Mais, utr la cireonstance reconnue que Minvocation de 1a ‘< quantification » des événements élémentaires ne peut préiendre résoudre la question de Vorigine du fracion- hement que dans un domaine limité de Texpérience (Gisons le domaine microscopique, il faut souligner que affirmation de discontinuité ou d'atomicitéininseque des événements. microscopiques eus-mémes n'a. ren Gévident; qu'elle ne découle pas directement de la mécanique quantique mais d'une lecture interprétat ppaniculiére de son formalisme; que le passage du Schéma aux valeurs propres, ou scheme de quantfca- fiom, qui caractrise le formalisme quantique, a Vidée ‘que des événements discrets de transition entre niveau {du scheme surviennent spontanément, reléve une nov- velle fois de Minterpréttion. Le point crucial est de Savoir si ce gente d'interprtation est impéraif, s'il nous ext quasiment imposé parle ects prédictf de la méca- rigue quantique, ou au moins si, eu égard A ce succes, on peut le tenir pour le plus vraisemblable ete plus apte 2 favoriser I'unfication de nos conceptions. Or. ainsi que ‘ous le montrerons & partir de la fin de ce chapitre et du chapitre 2 (§ 2-4-2, 2) il nen est ren. La conception selon laquelle les phénoménes du domaine. microsco- 94 Mécanique quantique pique manifestent des événements « intrinséquement » discontinus n'est pas obligatoire, elle engendre parfois. des difficultés, et elle est en tout cas trés loin d’engendrer tune harmonie conceptuelle maximale. Le scheme de la {quantification lui-méme, nous le verrons, peut éure déri 2 partir d’une conception plus générale et plus unifica- tice dans laguelle la part de discontinuité attachée & la notion d'événement n’intervient au départ que comme simple coreélat du caractére discret du signifiant Une fois écarte la croyance en un fractionnement «intrinseque » du devenir de la nature en événements Alémentaires, il reste & tier les conséquences principales de I'autre branche plausible de laltemative : & savoir Vidée que le découpage de ce qui arrive en unités évé- nementielles traduit une contrainte d'ordre sémantique. Cotte idée implique-t-lle que la conception fréquentiste des probabilités, appuyée sur un dénombrement des évé= ‘ements, est somme toute aussi « subjectiviste » que la ‘conception qui fait appel aux croyances des personnes ? En aucun cas, car Ia contrainte sémantique dont nous avons parlé ne traduit aucune caractéristique des sujets partculiers mais constitue une clause générale de pos- sibilité de la communication ; elle est ordre transcen- au qualificaif « subject»: les probabiltés ne sont plus « subjctives» par opposition d« objectives elles sont « épistémologiques » par opposition a « onto- Togiques » elles expriment nos capacités bornées. de connate, et non pas seulement ce qu es. Mais au fond, 4qu'a-ton fait ainst sinon projete le mode dela relation sujetobjet, qui vau 'imtérieur du champ de la connais- sance empirique, sur la relation entre Ia connaissance empirique dans son ensemble et ce qu'elle tient pour ses propres bores 7 Et n'y ail pas quelque imprudence (bien connue depuis les débats post-kantiens sur les aspects les plus discutables du concept de « chose en sol») 8 passer ainsi ces bomes par la pensée, cest- dire 2 placer face a la connaissance un «ce qui est» dont tout, par défiition, lui échappe ? Selon ‘Austin [(1961), p58], on se heure 1a @ une sone d'impropriété grammaticale. Des adjectfs comme «apparent », Voie « iéel», ne s'emploient dans le lan- gage courant que par contraste manifeste ou tacitevis- ‘vis d'une certaine acception de leur contraire « rel », par conséuent par coatraste a l'égard d'un certain procédé de manifestation de Ia rélité. « Le doute ou la {question “ mais esti réel ?” a toujours (doit avoir) un fondement pariculier ; il doit y avoir quelque * raison de suggérer” que ce n'est pas rée, au sens od ily a une fagon spécifique ou un nombre de fagons spécifiques de suggérer que telle expérience ou tel objet est peut-re truqué.». Un. oiseau n'est iréel que parce qu'il est ‘empaillé; un lac n'est irréel que parce qu'il sagit dun mirage une rencontre n'est iréelle que parce qurelle a G6 revée, Sans tien qui puisse s'y opposer, la réalité des choses va sans dire, et le scepticisme a son égard sonne ereux. Dans le méme esprit, un énoneé probabiliste ne traduit tune connaissance imparfite, ne limite épistémologique, 100 Mécanique quantique que sur fond d'une possibilité de perfectionner cette connaissance. Mais qu’en estil si Yon admet que cette possiilité fit défaut ? Qu’en esl si I'on considere que Te caractére probabiliste d'une théorie s'impose en raison d'une limitation de principe de la connaissance ? Dans ‘ce cas, comme nous I'avons déja suggéré au paragraphe précédent, il n'y a plus aucune raison de qualifier les probabilités de seulement épistémologiques. I n'y a plus de raison de le faire, parce qu'il n'y a plus de terme de Comparaison qui viendraitjustifer cette restriction. Faut- il pour autant élever les probabilits & la dignité de ccomposantes ontologiques, comme le fait Popper avec son concept de propensions ? Non, si « ontologique » s‘oppose & «seulement épistémologique », et suggere alors une fois de plus, 8 sa fagon, une utopique sortie hors des bores de Ia connaissance. Oui, si Vadjectif « ontologique » ne vise qu’a établir un contraste entre horizon de réalisation d'une connaissance parvenue & ses propres bores et toute connaissance partielle, en retrait par rapport a ce projet d’accomplissement ultime. Qualifier le concept de probabilité dont fait usage La mécanique quantique d’épistémologique ou dontolo- sgique, c'est en fin de compte exprimer une méme situa- tion de deux points de vue distincts. Mais chacune de ces manitres de dire impose a ce qu'elle dit un genre de distorsion qui n'appartient qua elle. D'un c6té, affirmer que les probabilités quantiques ne sont qu’épistémologiques, méme en ajoutant que cette ‘marque leur est imprimée par les limitations insurpas- sables de la connaissance humaine, méme en qualfiant de non-sens tout discours qui prendrait pour objet I’ connaissable, c'est susciter la représentation imaginaire un au-deld des limites et atiser & travers elle le désir de Ia transgression. L'interprétation épistémique de la ‘mécanique quantique, favorisée par I'« esprit de Copen- hhague », a eu pour conséquence involontaire mais iné- vitable le programme de recherche qui vise & I'abolir celui sur les « variables cachées ». De autre o6té, affrmer sans correct que les proba- Dilités quantiques’sont ontologiques, c'est laisser croire Le Possible, le Probable, et les coniextes 101 ‘qu'on a réussi a établir le caractéve indéterministe des véritables lois de la nature « telle qu'elle est». Or, on sait parfaitement de nos jours que la question de savoir si les « véritables » lois de la nature sont déterministes fou indéterministes, est indécidable. Des phénoménes strictement prédictibles, apparemment déterminés, peuvent dire sous-iendus aussi bien par des régularités Statistiques émergeant d'un fond d’événements aléa- toires que par des lois «vraiment » déterministes IE, Schebdinger (1922) ; A. Kojéve (1932)]. Et inverse- ment, des phénoménes imprédictibles, apparemment indéterminés, peuvent étre sous-tendus aussi bien par des processus de chaos déterministe que par des lois « vrai- ‘ment » stochastiques (G. Nicolis & I. Prigogine (1992) ; J. Bouveresse (1993)] Les deux perspectives, l'orientation épistémologique et Forientation ontologique, ont pour trait commun de décrire lopération d'estimation probabiliste d'un point de vue extérieur Ia situation de celui qui 'effectue. La premitre conduit & sortir de cette situation afin d’en tra- cer les limites, afin de circonscrire le domaine des connaissances en principe aceessibles qui servent de pré- misses 2 'évaluation des probabilités. La seconde conduit également & sortir de cette situation, mais cette fois pour proclamer Ia correspondance asymptotique centre T'estimation probabiliste el sa norme propension- niste, transcendante, « Ontologique » au sens fort. Les deux, nous venons de Ie voir, se beurtent 3 leur version propre de T'aporie de Vextériorité. Poser une limite s, dit Goodman) des connaissances, Ie consat d'une fréquence qui s'écarte de la valeur projetée ne suffira pas &réfuter cette demiére. Beaucoup d'autres expériences devront éte faites, beaucoup d'autres diver- ences devront surgir, avant que la possbilité de rem- placer le systtme de projections d'ot dérivent les pro- Dabiltés soit simplement envisagée. Et cette substitution ne sera pas effectuée tant qu'elle ne parviendra pas & remplir une condition erucale:seffetuer au profit d'un nouveau systtme de projections qui, sans cesser deze aventureux >, rende compte i la fois des anomalies constatées et de ce dont rendait compte I'ancien systme 4e projections, sans metre en cause des connaissances suffisamment vaidées par ailleurs. Dans la terminologie de Goodman [(1984), p. 104-110] une nouvelle hypo- tise est « projectible » si, étant en confit avec une plus ancienne elle est mieux implantée que cette denigre et ne s'oppose 2 aucune autre hypothise encore micux Le Possible, le Probable, et les contextes 3 implantée qu'elle-méme. « On n’abandonne une hypo- thése que si l'on y gagne [L. Wittgenstein (196%), p. 29), Ces caractéristiques des évaluations probabilistes, voire des anticipations cognitives en général, ont été retrouvées par I’épistémologie contemporaine des sciences physiques. (@) Le passage de I'enracinement dans le constat & TTanalyse de la projection prend ici la forme d'un passage de la thése de la « d&couverte inductive » des lois & celle de la formulation hypothético-déductive d'une théorie globale. (b) La nécessité de mettre en jeu un mode de connexion de Ia théorie avec T'expérience qui ne béné- ficie ni de garantie ni méme de contrepartie a lintérieur de cette théorie, est désormais admise sans aritre-pensée dans une épistémologie de la physique marquée par la réflexion sur la mécanique quantique. Elle se raduit par Ta juxtaposition & la théorie d’un schéme interprétatif cexirinsdque (ou r2gles de correspondance empirique). () Enfin, de nombreux épistémologues reconnaissent a présent, contre Ia version la plus caricaturale de la thése de Popper, que l'impossiblité principielle de véri- {fier expérimentalement une loi physique induite a son ‘pendant en termes dimpossiblité principielle de réfuter expérimentalement une théorie physique d’od les lois sont déduites. Seul son remplacement par une nouvelle théorie qui la corrige, Ienglobe, et permet des prédic~ tions nouvelles, conduit la communauté scientifique & se ‘comporter comme si elle avait &€ réfuige. Crest le E). Or, quelle que soit la proposition r, rat = r. Par cconséquent : Plraisy-s)) = Pee) Selon Ia loi de distrbutivité de Ia conjonction par rapport ta disjonction, on a ex(sv—8) = (tas)vl0-8), et par conséquent PreAisvs)) = PUeas)v(eA-). Les propositions (ras) et (CAs) étant mutvellement exclusives, application du second axiome de la théorie de Kolmogorov donne Pe(ens)v(en—s)) = PEeas) + POEs) En comparant les deux résultats, on oblient en fin de compte P(r) = Pleas) + Pleas) Définissons & présent la quantté P(t): Pin = Le Possible, le Probable, et les coniexies 121 I est facile de montrer [Kolmogorov (1939) § 4) que si P définit un champ de probabiliés, P, a également les propriétés qui définissent un champ de’probabilités. On appelle la probabilité conditionnelle que r se réalise sous la condition s. Liegalité: P(e) = Pleas) + Pleas) se réécrit alors PQ) = POIP(S) + POPS) Cette demitre égalité 2 valeur de témoin. On dira qu'elle releve dune structure probabiliste disjonctive ‘Sa dérivation s’appuyant (entre autres) sur le principe de bivalence, sa violation pourrait par contraste éue inter- prétée comme I'indice d'une possible mise & I'écart du principe de bivalence. 13-7 Que serait un monde sans le principe de bivalence ? Un calcul des probabilitfs qui ne supposerait pas la validité du principe de bivalence pour les propositions ceatégoriques portant sur le futur aurait au moins l'avan- tage de rétablir une certaine homogénéité entre la pra- tique et les principes. La tension entre le caractére prag- ‘matiquement inopérant du principe de bivalence dans un usage de la langue comportant des énoncés modaux ou probabilistes, et le calcul des probabilités de Kolmogo- ov qui repose sur sa validité universelle dans la logique des propositions catégoriques, trouversit ainsi une maniére de résolution. A quelles conditions ce résultat peutil étr atteint ? La discussion sur la valiité du principe de bivalence pour les propositions portant sur le futur est antérieure & Aristote et elle a connu une grande fortune au moyen- Age sous le nom de « querelle des futurs contingents » 12 ‘Mécanique quantique (J. Vuillemin (1984)]. Son noyau tient entitrement dans deux questions voisines mais qui ne doivent en aucun eas tre confondues ;I'une est ordre éthique et autre ordre épistémotogique. ‘Question éthique : V application du principe de biva- lence pour les propositions portant sur le futur entraine- tele forcément le fatalisme, ou peut-lle s'accorder avec 1k libre arbitre ? Question épistémologique : V'application du principe de bivalence pour les propositions portant sur le futur centraine-t-elle forcément I'adoption dune théorie phy- sique déterministe, ou peut-lles’accorder avec les théo- ries physiques indéterministes ? La réponse qui sera apportée a cette demiére question ‘dans la suite du paragraphe est Ia suivante : application ddu principe de bivalence pour les propositions portant sur le futur est compatible non seulement avec les théo- ries déterministes, mais aussi avec une ceriaine classe restrictive de théories indéterministes. Le crtére de défi- nition de cette classe de théories indéterministes s'ac- ccordant avec le principe de bivalence appliqué au furur pourrait bien cependant exclure la mécanique quantique standard. ‘Analysons done de plus prés les conditions d’appl cation du principe de bivalence aux propositions portant sur le futur. Selon J.R. Lucas {(1989)], une proposition comme «il est vrai que 1a bataille navale aura liew demain ou il est vrai qu'elle n’aura pas liew demain » peut étre Iégitimement assertée dans deur cas. Le pre- imier cas est celui od Ton est sir que dés & présent ‘existent les causes qui déterminent I'événement 2 se pro- dduire ou & ne pas se produire, méme si on les ignore. Le principe de bivalence vaut alors au présent pour des pro- positions portant sur ces causes, et il est étendu au futur A travers un raisonnement (implicitement ou explicite- ment) déterministe. Le second cas est celui od T’on peut se prévaloir d’un argument ex post facto, Au moment (isons demain) ot on aura pu constater la survenue ou la non-survenue de la bataille navale, le principe de biva- lence sera devenu rétrospectivement valide. On dira, au Le Possible, le Probable, et les contextes 123 furur du passé : « hier, déja, il Gait vrai que la bataille naval surviendrait Ie lendemain », ou bien « hier, déja, il Guat vrai que la batalle navale ne surviendrait pas le Tendemain >. Bien que nous ne sachions pas encore aujourd'hui ce qui va arriver et bien qu'il n'y ait peut- tre méme pas de cause fixant de fagon univoque ce qui arrivera demain (indéterminisme), il est dés lors légtime de s‘appuyer sur la perspective d'un constat furur et de som extension vers le passé pour affirmer ds aujourd’hui ‘non pas bien sir directement une proposition, mais le fait que l'une ou autre des deux propositions portant sur Je futur est vraie '. L'affirmation de la validité uni- verselle du principe de bivalence, y compris pour les propositions portant sur le futur, n*implique ici en rien lune option déterminist ; elle ne fait que traduire la cer- titude qu’ un moment ou & un autre, le cours des évé- nnements fait I'objet d'un constat, et que ce constat atteste fou réfute rétroactivement toute’ proposition ayant anti- cipé sur lui. ‘Qu'arrive-til maintenant si on ne peut ni assumer tun postulat déterministe ni s'appuyer sur un constat rétrospectif ? Doit-on écarter le principe de bivalence pour les propositions portant sur Te futur ? Pas nécessai- rement, car méme si on manque d’un const rétrospec- tif, méme s'il n'existe aucun moyen percept ou ex; imental de leffectuer, il reste la possibilité de soutenir dans I'abstrat la validité du principe de bivalence pour Tes propositions portant sur I'accompli : «il est vrai que Vévénement e est survenu ou il est vrai que l'événe- ment e n'est pas survenu (bien qu'il ne soit pas possible 1. P. Yourgrau[(1991), p. 94] fait tat de quelques bonnes rai- sons de nier Ia legtimité du risonnement ex post facto. Mais Suivee Yourgrau sur ce point cela reviendrit aussi & admetre implement que la question dela valiié du principe de i lence pour les propositions portant sur le futur est dja tranchée (en négati parle seul rejet du prjugé déterminise. Dans ce pre raphe, nous ne nous acorderons pas cette facili et esssyerons lt, en suivant jcqu'au out les consequences de argument et ‘ost facto, de monte par quel genre de ebadtion il aut completer Findéterminisme pour rendre radcalement intenable le princpe de bivaleace, quelle que soit orcalaton Iemporelle choise 128 Mécanique quantique de savoir quelle branche de I'aterative a éé réalisé) » Si on admet ceci, si on considére que l'une ou Mautre des deux propositions contradictores portant sur la sur- venue d'un événement est vraie aujourd'hui indépen- ddamment des moyens que I'on a de s'en assures, sien nnterdt d'élaborer un nouveau raisonnement ex post {acto aboutissant& Enoncer que l'une ou l'autre des deux ‘propositions contadictoires portant sur la survenue alors future du méme événement était déja vraie hier, et de se prévaloir par avance d'un tel raisonnement pour soutenir Ja vaidté du principe de bivalence pour les propositions portant aujourd’hul sur le futut. L'idée que les propo- sitions portant sur Ie futur sont régies par le principe de bivalence ne perdrait tout point d'appui que si Vinvali- Aié du principe de bivalence s'étendat aux propositions comrespondantes qui portent sur le présent ou sur I'sc- compl Que pourrait alors impliquer Iinvaidté du principe 4e bivalence pour des propositions portant sur fe présent ‘ou sur l'accompli ? Supposons par exemple que lon refuse d'afimer la validité du principe de bivalence ‘Pour toutes les propositions, y compris celles portant sur Ie présent ou 'accompli lorsque n'a été mise en place aucune procédure pouvant permetire d'effectuer le constat de l'état de choses auguel elles renvoient, Fare cela c'est adopter une version forte de option appelée «ant-ralisme » par M, Dummett [(1982)}. L'ant-réa- lisme est en effet defini par Dummett comme la position (ou Fensemble de positions) consistant ne reconnaitre 4qu'un énoncé a une valeur de vérté déterminée que s ya un moyen percepif, expérimentl, ov plus générar lement procédural, par référence auguel on peut envis ser de la ui atribver. « Vrai », pour un anti-réaliste, veut dire « vrai de manitre opératoirement attestble >, de méme que « faux» veut dire « faux de manitre opéra- toirement atestble ». Mais cette maniare essentiellement épistémologique de présenter les choses a un gros inconvénient. Elle admet qu'on puisse susciter, par des propositions, la représentation d'événements ou d’états de choses hypo- Le Possible, le Probable, et les contextes 125 thétiques, et elle interdt par ailleurs d'assigner 4 ces pro- positions une valeur de vérté en raison de 'incapacité circonstancielle ou principielle dans laquelle on se trouve de mettre en @uvre les moyens de leur éventuelle cor- roboration. A T'imterdit pres, attitude précédente est ‘dentique, par les représentations qu'elle suscite, a celle du réalisme le plus naif, qualifié d'«exierne » par H. Putnam, Si l'on veut attend une position cohérente de bout en bout, sion ne veut pas invite tactement d'un ‘COlé a une recherche qu'on déclare proscrire de l'autre, i ne faut pas se contenter de dire que la valeur de vérité dune proposition factuelle est suspendue a Texistence de son moyen d’attestation ; il faut aller jusqu’a affirmer qu’en dehors de toute référence & un moyen d'attestation possible il n'est méme pas envisageable d'assigner un sens 2 Ia proposition factuelle. Sans un moyen d’attes- tation disponible ou concevable, explicitement décrit ou simplement présupposé, non seulement 1a proposition factuelle ne peut pas ére dite vraie ou fausse, mais elle n'a pas de sens déterminé, et ds lors il n'y a pas liew de soulever la question de son éventuelle « vérité cachée ». L’analogie avec T'analyse wittgensteinienne ddes propositions mathématiques [J. Bouveresse (1988)] est évidente, De méme que d'une méthode d'attestation expérimentale dépend le sens (et pas seulement la valeur de vérté) de la proposition factuelle, selon Wittgenstein, dune méthode de démonstration dépend le sens (et pas seulement Ia valeur de vérité) de la proposition mathé- ‘miatique, L’analogie avec les conceptions des positivistes logiques, en revanche, n'est qu’apparente. Une diffé- fence importante entre la conception précdente et celle du positivisme logique est que la seconde s’associe & une thdse vérificationniste et inductiviste dont la premitre fait "économie. Cela ne revient pas au méme de dire 4qu’une proposition factuelle est dépourvue de sens hors de toute possiilité de se rapporter & un moyen d’attes- tation, et de dire qu'une proposition a pour sens son moyen de vérifcation. Une autre différence porte sur attitude que favorisent les deux conceptions 8 T'égard de la variété des actes de parole. La ot le positivisme

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