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La Jalousie du Barbouillé
ACTEURS1
lui de personne qui se ridiculise. Autre piste : « Il boit, mais sans jamais se barboüiller
l’armet,/ Et son ventre est petit pour tout ce qu’il y met » [1648], ce qui rappelle « Quand
l’humeur ou le vin luy barboüillent l’armet » (Mathurin Régnier, Satire XI, cf. Satire X
« Luy barboüilloit l’esprit d’un ergo sophistique ») ; barbouillé : qui a les idées confuses,
embrouillées (sous l’effet de l’ivresse ? « peut-être barbouillé de lie de vin », avance
Georges Couton).
* Julien Bedeau († 1660) surnommé Jodelet ou l’Enfariné ; Robert Guérin († 1634), dit
la Fleur, dit Gros-Guillaume « qui estoit le fariné » précise Tallemant [la Fleur parce
qu’il aurait été gindre (mitron) et que « fleur » désignait la fine farine de froment,
d’où l’anglais ‘flour’ — TLFi indique comme 1re attestation le Bestiaire (1121-1134) de
Philippe de Thaon, ce qui est faire peu de cas des occurrences dans la Chanson de Ro-
land : « Blanche ad la barbe e tut flurit le chef » strophe VIII, v. 117]
3 « il est vêtu comme un médecin » (scène II) ; il porte donc la robe, la perruque à mar-
teau et le bonnet pointu (les juges portaient le bonnet rond, les professeurs le bon-
net carré).
4 nom (ironique, ici : son mari la traite de « diablesse ») de personnage qui se re-
trouve dans George Dandin (dont la Jalousie n’est que l’esquisse) et le Malade imagi-
naire. La liste des personnages montre que tout tourne autour d’Angélique, qu’elle
est le pivot de la pièce.
5 nom de personnage qui se retrouve dans le Médecin volant, le Dépit amoureux,
l’École des maris, Tartuffe, le Médecin malgré lui et l’Avare. — Dire que Valère est
l’amant d’Angélique signifie qu’il la courtise, sans plus.
6 hypocoristique populaire de Catherine. On remarquera qu’elle est qualifiée de
« suivante » (La Suivante, de Corneille, date de 1634 : « Quelques [sic] puissants appas
que possede Amarante,/ Je treuve qu’apres tout ce n’est qu’une suivante/ Et je ne puis son-
ger à sa condition/ Que mon amour ne cede à mon ambition », dit Théante) : le Dict. de
l’Acad. qui, en 1694 (1re éd.), ne connaît que « gentilhomme suivant, demoiselle sui-
vante », précise en 1762 (4e éd.) : « On appelle Demoiselle suivante, Une Demoiselle at-
tachée au service d’une grande Dame ; & quelquefois on l’appelle absolument Suivante.
Alors Suivante est employé au substantif, & ce mot n’est plus en usage que dans les pièces
de théâtre. » [« Vous êtes, mamie, une fille suivante/ Un peu trop forte en gueule, et fort
impertinente » Madame Pernelle à Dorine]
7 nom de personnage qui se retrouve dans le Médecin volant, les Précieuses ridicules et
Sganarelle ; cf. le nom de scène du comédien François Bedeau (v. 1603-1663), dit Gor-
gibus, dit L’Espy [frère de Jodelet]. Aussi Bornibus, Cornibus, Doribus, Gédémus
(dans Regain), Gougibus… : à l’origine, plaisanteries de clercs ; il nous en est resté «
rasibus » (cf. « à ras, au ras de » ; ancien-français res, rez, et res a res chez Chrétien de
Troyes), d’abord attesté en latin macaronique chez Eustache Deschamps (ballade Re-
grets d’un vieillard, v. 23 « Veulent me faire rasibus » = veulent me châtrer), puis, en
prose de style soutenu, chez Commynes (I, IV) : « Comme il [le comte de Charolais, fu-
tur Charles le Téméraire] passoit rasibus du chastel [de Montlhéry], véismes les archiers
de la garde du roy [Louis XI], devant la porte, qui ne bougèrent. Il en fut fort ebahy,
car il ne cuidoit point qu’il y eust plus ame de défense. » Il y a même, à Montreuil-
Bellay (Maine-et-Loire), la rue Rasibus, et la petite rue Rasibus.
— Louis Viardot (Don Quichotte, 1836) rend cercén a cercén (= de raíz, sin dejar nada)
par « à rasibus des épaules », expression qu’il semble avoir inventée.
8 nom de personnage qui se retrouve dans Sganarelle. C’est une « utilité ». Rôle in-
terprété par De Brie, nom de scène d’Edme Villequin : Villebrequin est donc un rôle
sur mesure.
La scène doit représenter, d’une façon ou d’une autre (vis-à-vis, par exemple), la
façade de la maison du Barbouillé et d’Angélique, et celle de la maison du Docteur.
L’action doit se dérouler l’après-midi et en début de soirée.
SCÈNE PREMIÈRE
LE BARBOUILLÉ, seul.— Il faut avouer9 que je suis le plus malheureux10 de tous les
hommes. J’ai une femme qui me fait enrager : au lieu de me donner du soulage-
ment et de faire les choses à mon souhait11, elle me fait donner au diable12 vingt fois
le jour ; au lieu de se tenir13 à la maison, elle aime la promenade14, la bonne chère15,
et fréquente je ne sais quelle sorte de gens16. Ah! pauvre Barbouillé17, que tu es mi-
sérable !18 Il faut pourtant19 la punir. Si je la tuois… L’invention20 ne vaut rien, car
tu serois pendu. Si tu la faisois mettre en prison… La carogne21 en sortiroit avec
son passe-partout22. Que diable faire donc ? Mais voilà Monsieur le Docteur23 qui
passe par ici : il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire.
sort comique ; nous en avons conservé heureux au jeu, malheureux en amour), puis
son effet (l’accablement, le chagrin, la tristesse, le désespoir… : ressort tragique) —
Angélique en dira autant sc. X
11 à ma guise, selon ma volonté: elle est indocile, rebelle (indépendante ?)
12 vingt fois par jour, je me mets en colère à cause d’elle ; le jour, cf. une fois la se-
maine, le latin trifer signifie qui donne des fruits trois fois l’an, « Le coiffeur du quartier
venait couper deux fois l’an les cheveux de monsieur Grandet » ‖ c’est le diable qui a le
plus grand nombre de mentions dans la comédie.
13 rester: elle n’est pas casanière
14 ce qui l’expose à faire des rencontres
16 ère du soupçon
sont nommés. Personne n’appelle Angélique par son nom: elle est soit ma femme,
soit ma fille. Le Docteur est désigné par son rang social ; les autres personnages sont
des silhouettes.
18 que tu as de quoi inspirer pitié (par ta malchance)
19 « par conséquent, pour cette raison, donc »: « Mon amy, je n’entens poinct ce barra-
gouin, pourtant si vous voulez qu’on vous entende, parlez aultre langaige » (Pantagruel,
IX)
20 moyen ingénieux, idée brillante, stratagème, ruse (sens fréquent) ‖ le Barbouillé
de mauvaise vie » (Dict. de l’Acad., 1694 [1re éd.]). Nombreux exemples chez Molière.
22 il suffit de se demander quel passe-partout pourrait bien permettre à Angélique de
SCÈNE II
LE DOCTEUR, LE BARBOUILLÉ.
LE BARBOUILLÉ.— Je m’en allois vous chercher pour vous faire une prière24 sur une
chose qui m’est d’importance.
LE DOCTEUR.— Il faut que tu sois bien mal appris25, bien lourdaud26, et bien mal
morigéné27, mon ami28, puisque tu m’abordes sans ôter ton chapeau29, sans obser-
ver rationem loci, temporis et personæ30. Quoi? débuter d’abord31 par un discours mal
digéré32, au lieu de dire : Salve, vel salvus sis, Doctor, Doctorum eruditissime !33 Hé !
pour qui me prends-tu, mon ami ?
LE BARBOUILLÉ.— Ma foi, excusez-moi: c’est que j’avois l’esprit en écharpe34, et je ne
songeois pas à ce que je faisois ; mais je sais bien que vous êtes galant homme35.
LE DOCTEUR.— Sais-tu bien d’où vient le mot de galant homme ?
LE BARBOUILLÉ.— Qu’il vienne de Villejuif ou d’Aubervilliers36, je ne m’en soucie
guère.
LE DOCTEUR.— Sache que le mot de galant homme vient d’élégant ; prenant37 le g et
l’a de la dernière syllabe, cela fait ga, et puis prenant l, ajoutant un a et les deux der-
nières lettres, cela fait galant, et puis ajoutant homme, cela fait galant homme. Mais,
encore, pour qui me prends-tu ?
LE BARBOUILLÉ.— Je vous prends pour un docteur. Or çà38, parlons un peu de l’af-
faire que je vous39 veux proposer. Il faut que vous sachiez…
LE DOCTEUR.— Sache auparavant que je ne suis pas seulement un docteur, mais
que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur :
1o40 Parce que, comme l’unité est la base, le fondement, et le premier de tous les
nombres, aussi, moi, je suis le premier de tous les docteurs, le docte des doctes41. 2o
Parce qu’il y a deux facultés nécessaires pour la parfaite connoissance de toutes
choses: le sens et l’entendement ; et comme je suis tout sens et tout entendement, je
suis deux fois docteur.
LE BARBOUILLÉ.— D’accord. C’est que…
LE DOCTEUR.— 3o Parce que le nombre de trois est celui de la perfection, selon Aris-
tote42 ; et comme je suis parfait, et que toutes mes productions le sont aussi, je suis
trois fois docteur.
LE BARBOUILLÉ.— Hé bien! Monsieur le Docteur…
LE DOCTEUR.— 4o Parce que la philosophie a quatre parties: la logique, morale, physi-
que et métaphysique ; et comme je les possède toutes quatre, et que je suis parfaite-
ment versé en icelles43, je suis quatre fois docteur.
LE BARBOUILLÉ.— Que diable! je n’en doute pas. Écoutez-moi donc.
LE DOCTEUR.— 5o Parce qu’il y a cinq universelles44: le genre, l’espèce, la différence,
le propre et l’accident, sans la connoissance desquels il est impossible de faire au-
cun bon raisonnement ; et comme je m’en sers avec avantage45, et que j’en connois
l’utilité, je suis cinq fois docteur.
LE BARBOUILLÉ.— Il faut que j’aie bonne patience.
LE DOCTEUR.— 6o Parce que le nombre de six est le nombre du travail ; et comme je
travaille incessamment46 pour ma gloire47, je suis six fois docteur.
LE BARBOUILLÉ.— Ho! parle tant que tu voudras48.
LE DOCTEUR.— 7o Parce que le nombre de sept est le nombre de la félicité ; et
comme je possède une parfaite connoissance de tout ce qui peut rendre heureux, et
que je le suis en effet par mes talents, je me sens obligé de dire de moi-même : O ter
quatuorque beatum !49 8o Parce que le nombre de huit est le nombre de la justice, à
cause de l’égalité qui se rencontre en lui, et que la justice et la prudence avec la-
quelle je mesure et pèse toutes mes actions me rendent huit fois docteur. 9o Parce
qu’il y a neuf Muses, et que je suis également chéri d’elles50. 10o Parce que, comme
on ne peut passer51 le nombre de dix sans faire une répétition des autres nombres,
et qu’il est le nombre universel, aussi, aussi, quand on m’a trouvé, on a trouvé le
docteur universel52: je contiens en moi tous les autres docteurs. Ainsi tu vois par
des raisons plausibles, vraies, démonstratives et convaincantes, que je suis une,
deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur.
LE BARBOUILLÉ.— Que diable est ceci ? je croyois trouver un homme bien savant, qui me
donneroit un bon conseil, et je trouve un ramoneur de cheminée qui, au lieu de me parler,
s’amuse à jouer à la mourre. Un, deux, trois, quatre, ha, ha, ha ! 53 — Oh bien ! ce n’est
pas cela : c’est que je vous prie de m’écouter, et croyez que je ne suis pas un
homme à vous faire perdre vos peines, et que si vous me satisfaisiez sur ce que je
veux de vous, je vous donnerai ce que vous voudrez ; de l’argent, si vous en voulez.
LE DOCTEUR.— Hé ! de l’argent.
LE BARBOUILLÉ.— Oui, de l’argent, et toute autre chose que vous pourriez deman-
der.
LE DOCTEUR, troussant sa robe derrière son cul.— Tu me prends donc pour un homme
à qui l’argent fait tout faire, pour un homme attaché à l’intérêt, pour une âme mer-
cenaire ? Sache, mon ami, que quand tu me donnerois une bourse pleine de pisto-
les, et que cette bourse seroit dans une riche boîte, cette boîte dans un étui pré-
cieux, cet étui dans un coffret admirable, ce coffret dans un cabinet curieux54, ce ca-
binet dans une chambre magnifique, cette chambre dans un appartement agréable,
cet appartement dans un château pompeux, ce château dans une citadelle incom-
parable, cette citadelle dans une ville célèbre, cette ville dans une île fertile, cette île
dans une province opulente, cette province dans une monarchie florissante, cette
monarchie dans tout le monde ; et que tu me donnerois le monde où seroit cette
monarchie florissante, où seroit cette province opulente, où seroit cette île fertile,
où seroit cette ville célèbre, où seroit cette citadelle incomparable, où seroit ce châ-
teau pompeux, où seroit cet appartement agréable, où seroit cette chambre magni-
fique, où seroit ce cabinet curieux, où seroit ce coffret admirable, où seroit cet étui
précieux, où seroit cette riche boîte dans laquelle seroit enfermée la bourse pleine
de pistoles, que je me soucierois aussi peu de ton argent et de toi que de cela55. (Il
s’en va.)
LE BARBOUILLÉ.— Ma foi, je m’y suis mépris : à cause qu’il56 est vêtu comme un
médecin57, j’ai cru qu’il lui falloit58 parler d’argent ; mais puisqu’il n’en veut point,
il n’y a rien de plus aisé que de le contenter. Je m’en vais courir après lui. (Il sort.)
ou mal appris : « Les filles feurent bien aprises », elles étaient bien élevées, dit Rabe-
lais (Quart livre, LIV) ‖ bien mal est un oxymore lexicalisé, dont le Docteur se sert
deux fois : il a la manie des redites et des synonymes.
26 grossier et maladroit
27 morigéner, c’était instruire, élever, éduquer ; le sens de « réprimander, sermon-
ner » n’est pas attesté avant 1718 ; morigéné se retrouve dans les Fourberies de Scapin
(II, I) et dans les Amants magnifiques (V, I).
28 usuel et condescendant « Ami, Est un terme dont on se sert souvent en parlant à
des personnes beaucoup inferieures » (Dict. de l’Acad., 1694 [1re éd.]). Cela va de
pair avec le tutoiement (à sens unique).
29 les hommes n’allaient pas nu-tête
ridique : il s’agit des compétences d’une juridiction — Le latin ratio est bien l’étymon
de « raison », mais ce n’est qu’un sens dérivé ; cf. rĕor, rătus « compter, calculer »,
d’où le sens de « rapport, proportion ».
31 d’emblée, de but en blanc, sans préambule ni entrée en matière ; cf. Dom Juan, IV,
VII : Un laquais ôte les assiettes de Sganarelle d'abord qu'il y a dessus à manger (aussitôt
que, dès que).
32 qui n’est pas agencé, ordonné, disposé selon les règles ; le Docteur analyse ce
sait de latin comme élément valorisant et pour montrer d’entrée de jeu, par le biais
du compliment qu’il s’adresse à lui-même, combien il est satisfait de sa personne.
— Salvus sis fait partie des rudiments enseignés dans les manuels de langue latine,
dont les Colloquiorum scholasticorum libri quatuor ad pueros in sermone latine paulatim
exercendos (1564), de Mathurin Cordier, traduits par Gabriel Chappuys : Colloques
divisez en quatre livres, Traduitz de Latin en François, l’un respondant à l’autre, pour l’exer-
cice des deux langues (1576).
34 « On dit proverbialement & figurément, Avoir l’esprit en écharpe, pour dire, Avoir
l’esprit embroüillé, de travers, gauche, mal fait, troublé, altéré. » Dict. de l’Acad.,
1762 [4e éd.] cf. en bandoulière
35 Dict. de l’Acad., 1694 [1re éd.] : « Honneste, civil, sociable, de bonne compagnie,
38 Or çà : Eh bien (on prononçait O ça, cf. Dom Juan II, I, l’Avare IV, III, le Malade ima-
ginaire I, V, les Amants magnifiques II, III, le Médecin malgré lui I, II, le Misanthrope III, I)
— Autre occurrence : « Or çà, je vais vous dire/ La fin de cette intrigue », l’École des ma-
ris II, VII, Sganarelle. (C’est le tic de langage de Grippe-minaud, dans le Cinquième
Livre.)
39 le pronom complément (ou régime) précède l’ensemble verbe à un mode per-
octavo, nono, decimo. ‖ Molière raille à la fois un type éternel et universel, et une sco-
lastique du temps des hauts bonnets dont on se demande si elle a encore la moindre
réalité à son époque.
41 cf. le saint des saints, le Cantique des cantiques, serviteur des serviteurs, le roi des
rois, les siècles des siècles, Vanité des vanités ! — le passetemps des passetemps (Hepta-
méron) ; chez Molière : le philosophe des philosophes (dans le Mariage forcé). ‖ Anselme
de Laon, docteur de l’Église, avait été surnommé Doctor doctorum.
42 mentionné 20 fois dans l’ensemble du théâtre de Molière, c’est une cible de choix ;
mais, ne nous y trompons pas, c’est le personnage du Docteur qui affirme sans rire
« je suis parfait, et … toutes mes productions le sont aussi ». « Je ne sçay quoy premier en
luy je doibve admirer, ou son oultrecuidance, ou sa besterie (Gargantua, IX).
43 archaïsme, parmi les mots « les plus barbares (au dire de Vaugelas) … qui sont
néanmoins les plus usités de ceux qui n’ont point soin de la pureté de la langue »
44 les (natures) universelles = les universaux
46 sans cesse, sans discontinuer, sans arrêt (n’a pas encore l’acception « très prochai-
49 Ô trois et quatre fois heureux ! L’adverbe multiplicatif correct étant quater, il faut
maintenir dans le texte le solécisme quatuor, ce qui souligne l’écart entre la préten-
tion du personnage et la réalité de ses connaissances. Ter quaterque relève du cliché :
Properce, Virgile, Ovide, Sénèque, Ausone, y ont tous eu recours.
50 même le Docteur rêve d’être le chéri des Muses ‖ Pour mémoire : le TLFi donne
comme 1re attestation de nourrisson des Muses, Ronsard, Monologue ou Chant pastoral
à tres-illustre et vertueuse princesse, Madame Marguerite de France (1559) ; mais Du
Bellay écrit, dès 1558 « Quand je vouldray sonner de mon grand Avanson/ Les moins
grandes vertus, sur ma chorde plus basse/ Je diray sa faconde et l’honneur de sa face,/ Et
qu’il est des neuf Sœurs le plus cher nourrisson. » L’expression est une adaptation
d’Aristophane, qui parle d’« abeille de la Muse, nourrisson des Grâces (Χαρίτων θρέµ-
μα) ».
51 dépasser : « L’avantage des grands sur les autres hommes est immense par un endroit:
je leur cède leur bonne chère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurs chevaux, leurs
singes, leurs nains, leurs fous et leurs flatteurs ; mais je leur envie le bonheur d’avoir à leur
service des gens qui les égalent par le cœur et par l’esprit, et qui les passent quelquefois. »
La Bruyère ; « Et les fruits passeront la promesse des fleurs » Malherbe.
52 Alain de Lille, docteur de l’Église, avait été surnommé Doctor universalis.
vêtu de noir. La mourre : le jeu remonte à l’antiquité [on disait en latin mĭcāre (digi-
tis) et Cicéron cite l’expression dignus est, quicum in tenebris mices « c'est un homme
avec qui vous pourriez jouer à la micatio dans l'obscurité ! » servant à désigner
quelqu’un digne de toute confiance] et son nom, d’origine italienne, est attesté en
français depuis Marot et Rabelais. C’est l’énumération complaisante et fastidieuse
du Docteur qui a fait penser à ce jeu.
54 meuble à tiroirs ou vitrine renfermant des objets précieux, de collection ; cabinet
attaquée par des grammairiens et défendue par Littré, est sortie de l’usage.
57 = en tenue de médecin (voir note 3) ‖ comme « en qualité de, en tant que »
58 cf. note 39
SCÈNE III
ANGÉLIQUE, VALÈRE, CATHAU.
n’est pas titrée, mais à toute femme mariée qui n’est pas noble. La Fontaine s’en sert en écri-
vant à sa femme ; Racine, après avoir appelé sa sœur Madame tant qu’elle était jeune fille,
l’appelle Mademoiselle après son mariage avec Antoine Rivière. » Gaston Cayrou, Dict. du
français classique — De même, le 10 septembre 1570, Montaigne écrit de Paris une
lettre ayant pour en-tête : A Madamoiselle de Montaigne, ma femme. ‖
Note d’Adolphe Régnier, 1873 :
« Ah ! qu’une femme demoiselle est une étrange affaire ! s’écrie George Dandin. La femme d’un bourgeois
s’appelait Dame telle. « Mais, ajoute [Charles] Loyseau, pour être distinguée de l’artisane, qui est pareille-
ment appelée Dame telle, la bourgeoise a voulu être appelée Madame. » Ce nom de Madame, usurpé par la
bourgeoisie, empiéta peu à peu sur l’autre et finit par supplanter le nom de Mademoiselle qui, vers la
fin du XVIIIe siècle, ne s’appliquait plus qu’aux femmes mariées des petites gens dans leurs rap-
ports avec les supériorités sociales. Du temps de Molière, le titre de Mademoiselle restait propre aux
femmes mariées qui étaient filles de parents nobles. C’était celui que prenaient les actrices, à tort
ou à droit. »
62 accepter ma présence ; me vouloir, cf. note 39
63 autant que je le peux à votre distraction
64 manifestez, exprimez
65 je vous montrerai
66 le rejet en fin d’énoncé du complément d’objet direct est une mise en valeur du
terme qui désigne les élans de la passion : « Je puis vous expliquer de mon âme ravie/
Les amoureux empressements », dit Amour à Psyché (IV, III, vv. 1437-8)
67 le guignon, c’est la malchance persistante : « Mais certes jamais un guignon/ N’arrive
sans son compagnon » (Scarron, Virgile travesti), « un malheur ne vient jamais sans l'au-
tre » (l’Amour médecin, I, I). ‖ Rupture de ton, changement de niveau de langue par
rapport au style un peu précieux des répliques qui précèdent. Cathau dans la tradi-
tion de la soubrette / confidente / dariolette [« Elisena … descubrió su secreto a una
doncella suya, de quien mucho fiaba, que Darioleta había nombre » Amadís de Gaula]
SCÈNE IV
LE BARBOUILLÉ, VALÈRE, ANGÉLIQUE, CATHAU.
LE BARBOUILLÉ.— Ma foi, sans aller chez le notaire, voilà le certificat de mon cocuage75.
Ha ! ha ! Madame la carogne76, je vous trouve avec un homme, après toutes les dé-
fenses que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de Gemini en Capricorne77 !
LE BARBOUILLÉ.— Vous vous gâteriez81, par ma foi, toutes deux, Mesdames les caro-
gnes ; et toi, Cathau, tu corromps ma femme: depuis que tu la sers82, elle ne vaut pas
la moitié de ce qu’elle valoit83.
ANGÉLIQUE.— Laisse-là cet ivrogne ; ne vois-tu pas qu’il est si soûl qu’il ne sait ce
qu’il dit ?
68 emphase habituelle : « désolé, navré »
69 mauvaises
70 de toute façon
71 par quelqu’un d’autre : Molière n’emploie que quelque autre ‖ « D’une manière
générale, de était autrefois plus fréquent que par devant le complément d’agent du
verbe passif » (Maurice Grevisse) cf. Molière : Afin que d'Isabelle il soit lu hautement ;
je suis enthousiasmée de l’air et des paroles ; Racine : Brûlé de plus de feux que je n’en
allumai ; Malherbe : Je suis vaincu du temps, je cède à ses outrages ; Froissart : grande-
ment fu recheus, honnourés et festiiés dou roy, de madame la royne se mère, des aultres
dames, des barons et des chevaliers d’Engleterre. Voir Littré, s.u. DE, 9o.
72 adverbe intensif depuis le XVe siècle
73 formule de politesse, employée ici pour prendre congé (ce qui permet à Valère de
s’éclipser).
74 vous remercie ; cf. it. grazie, esp. gracias.
75 (dit en aparté) au lieu de certificat de mariage, délivré par le notaire en cas de con-
trat de mariage
76 Madame la carogne [et ci-dessous au pluriel] (repris sc. XI, avec en écho Monsieur
introduire une allusion aux cornes, symbole traditionnel du cocuage, cf. « tous signes
portans cornes, comme Aries, Taurus, Capricorne » (Her Trippa, dans le Tiers Livre,
XXV), précédée d’une plaisanterie obscène. En effet, Gemini [« jumeaux », en latin]
désigne la constellation des Gémeaux, mais aussi — comme δίδυμοι — les testicules.
Cf. chez Tallemant des Réaux (Antoine Adam (1961), II, 26) :
[François le Métel, 1592-1662, abbé de] Bois-Robert y estant, il [le président Michel Particelli, sieur d’Esmery
et de T(h)oré, 1596-1650, surintendant des Finances] eut un accez de folie ; il dit qu’il estoit Bertaut* :
l’abbé le prit par un de ses gemini, et le fit bien crier : « Pardieu, dit le fou, vous pouviez bien me faire
sentir un peu plus doucement que je n’estois point Bertaut. »
*il se prenait pour le castrat (surnommé par euphémisme « l’incommodé ») Blaise Berthod [v. 1610-
1677], Lyonnais, Ordinaire de la Musique du roi ; Louis XIII l’envoya en 1639 à Turin auprès de la
duchesse de Savoie, sa sœur, et à cette occasion Tristan l’Hermite lui dédia les stances publiées en
1641 à la suite de l’Orphée (« Berthod perſonne illuſtre en cét âge barbare… »).
78 intransitif « exprimer son mécontentement », cf. « de ces maris fâcheux,/ Qui jamais
sans gronder ne reviennent chez eux » (l’École des maris, I, IV)
79 nous y voilà
80 j’aurais été stupéfaite que nous ayons longtemps la paix — S’étonner si est une
SCÈNE V
GORGIBUS, VILLEBREQUIN, ANGÉLIQUE, CATHAU, LE BARBOUILLÉ.
GORGIBUS.— Ne voilà pas85 encore mon maudit gendre qui querelle86 ma fille ?
GORGIBUS.— Hé quoi ? toujours se quereller! vous n’aurez point la paix dans votre
ménage ?
CATHAU.— Que maudite soit l’heure que vous avez choisi ce grigou91 !…
85 en français moderne s’est imposé (ne) voilà-t-il pas, construction condamnée dès 1668
par le R. P. Laurent Chiflet (Essay d’une parfaite grammaire) et que Molière met dans la
bouche de Mme Pernelle « Voilà-t-il pas Monsieur qui ricane déjà ! », de Frosine « ne
voilà-t-il pas par année vos douze mille francs bien comptés ? » et de Galopin « N’en voilà-t-
il pas un ? ». Cf. en outre Boileau, Les Héros de roman, Dialogue à la manière de Lucien, où
Diogène demande : « Ne voilà-t-il pas une passion bien exprimée ? » La tournure mani-
feste une surprise par rapport à Voilà encore…
86 accuse ma fille, lui adresse des reproches, lui fait une scène de ménage
87 de quoi il s’agit, de quoi il retourne, quel est le sujet de la querelle
88 « On appelle, Une femme qui s’abandonne avec infamie, Coquine » (Dict. de l’Acad.,
quinte « au jeu de Piquet une suite non interrompue de cinq cartes de la mesme couleur »,
dite major en atout ; mentionnée dans les Fâcheux (II, II, où Alcippe parle lui aussi
de quinte major, au sens propre) et dans l’Etourdi. Expression imagée pour dire une
claque, une gifle. Parents : gens de ta famille (dont, par conséquent, Villebrequin).
90 Note d’Adolphe Régnier (1804-1884) :
Nous reproduisons la leçon du manuscrit, en avouant que la locution est neuve pour nous, que
nous n’osons la garantir et ne sommes pas du tout sûrs de la bien comprendre. Nous hasarderons
cependant une conjecture. Ce dé ajouté au verbe et qui en détruit le sens, ne serait-il pas une de ces
précautions populaires prises contre le mal qu’on appelle sur sa tête, contre le blasphème et la
malédiction au moment même où on les prononce, une finesse superstitieuse crue propre à empê-
cher le diable de vous prendre au mot ? […] Nous ne pouvons guère supposer une erreur de copiste,
le manuscrit nous donnant également dans la scène XI du Médecin volant : « Je dédonne au diable si je
n’y ai été trompé. » Ce qui, en tout cas, qu’on attribue la formule préservative à l’auteur ou au
copiste, embarrasse et laisse du doute, c’est que plus bas, scène XII, nous trouvons « Je me donne au
diable, » très-hardi, sans nulle précaution d’exorcisme. — Gorgibus doit vouloir dire à sa fille : « Je
rends la bourse et l’envoie au diable, c’est-à-dire, maudit soit ce riche mariage, si vous avez fait ce
qu’il vous reproche, si vous avez manqué à votre devoir ! »
SCÈNE VI
LE DOCTEUR, VILLEBREQUIN, GORGIBUS, CATHAU, ANGÉLIQUE,
LE BARBOUILLÉ.
LE DOCTEUR.— Qu’est ceci ? quel désordre ! quelle querelle ! quel grabuge ! quel
vacarme ! quel bruit ! quel différend ! quelle combustion92! Qu’y a-t-il, Messieurs93?
Qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il ? Çà, çà94, voyons un peu s’il n’y a pas moyen de vous mettre
d’accord, que je sois votre pacificateur, que j’apporte l’union chez vous.
GORGIBUS.— Monsieur…
GORGIBUS.— Nenni98.
LE DOCTEUR.— Cela vient de bonum est, « bon est, voilà qui est bon », parce qu’il
garantit des catarrhes et fluxions99.
LE DOCTEUR.— Je ne crois pas que vous soyez homme à me tenir100 long-temps, puis-
que je vous en prie. J’ai quelques affaires pressantes qui m’appellent à la ville101 ; mais
pour remettre la paix dans votre famille, je veux bien m’arrêter un moment.
LE DOCTEUR.— En peu de mots, sans façon, sans vous amuser107 à beaucoup de dis-
cours, tranchez-moi108 d’un apophthegme, vite, vite, Monsieur Gorgibus, dépêchons,
évitez la prolixité.
LE DOCTEUR.— Monsieur Gorgibus, touchez là109: vous parlez trop ; il faut que
quelque autre110 me dise la cause de leur querelle.
ANGÉLIQUE.— Voyez-vous bien là mon gros coquin113, mon sac à vin de mari114?
LE DOCTEUR.— Doucement, s’il vous plaît: parlez avec respect de votre époux,
quand vous êtes devant la moustache115 d’un docteur comme moi.
ANGÉLIQUE.— Ah! vraiment oui, docteur ! Je me moque bien de vous et de votre doc-
trine116, et je suis docteur quand je veux.
LE DOCTEUR.— Tu es docteur quand tu veux ? Ouais117 ! je pense que tu es un plai-
sant118 docteur. Tu as la mine de suivre fort119 ton caprice: des parties d’oraison, tu
n’aimes que la conjonction ; des genres, le masculin ; des déclinaisons, le génitif ; de
la syntaxe, mobile cum fixo ! et enfin de la quantité, tu n’aimes que le dactyle, quia
constat ex una longa et duabus brevibus. Venez çà, vous, dites-moi un peu quelle est la
cause, le sujet de votre combustion.
LE BARBOUILLÉ.— J’enrage.
lan : los padres « père et mère », los hermanos « frère et sœur », los hijos « fils et fille »,
los reyes « le roi et la reine, les souverains », ¡ Atención, señores, que comienzo ! « Mes-
dames et Messieurs »
94 allons, eh bien ; cf. note 38
96 (10 occurrences chez Molière) 2 impératifs à la suite : di va, puis soudés et évo-
luant du XIIe au XVIe s. : diva, dia, dea, da, employés seuls avant de servir de renfor-
cement à l’affirmation et à la négation (enda chez Marot, non dea chez Montaigne,
nenni-da dans l’Étourdi, III, VIII). Littré :
« La forme ancienne est dea, monosyllabe, une autre encore plus ancienne est diva. D’après Diez
[Friedrich Christian Diez, 1794-1876, fondateur de la linguistique romane], diva est composé des deux im-
pératifs, di (dis) et va. Il montre qu’on s’est servi du simple va de la même façon : Va, car me di, Chev.
au lion, éd. Guest, p. 138 ; Lesse, va, tost les chiens aler, Ren. I, 47 ; Qui es-tu, va ?, Ruteb., II, 101 ; Or va,
de par Dieu va, Cheval. au cygne, v. 6242 ; et qu’on renforça ce petit mot en y ajoutant l’impératif di
(de dire) qui a également un sens d’excitation, et qui même se trouve répété : Et tu, diva di, faz
noienz. Ruteb. I, 335. Cette explication est satisfaisante. Diva fut contracté en dea, puis en da. »
97 le Docteur s’est découvert en présence de Gorgibus, qu’il connaît (il l’appelle par
son nom) et attend d’être invité à remettre son bonnet ; cf. Dorante disant à M. Jour-
dain « Allons, mettez », là où Lucas (le Médecin malgré lui, I, V) dit « Monsieur, boutez des-
sus ».
98 se prononçait nani, selon Richelet, 1680. Oui vient de oïl (démonstratif o + il),
année, ma chère fille, et dans ce souhait je comprends tant de choses, que je n’aurois jamais
fait, si je voulois vous en faire le détail ». L’anglais connaît aussi cet emploi et Shake-
speare joue en virtuose sur les deux valeurs (Macbeth, I, VII) : ‘If it were done when ’tis
done, then ’twere well / It were done quickly’ (si c’en était fini une fois le geste accom-
pli, alors il serait bon d’agir [ou d’en finir] au plus tôt).
103 « Aussi-tost, au mesme instant [= à l’instant même], tout à l’heure. Dez qu’il eut
appris cela, il partit incontinent, tout incontinent. je m’en vais incontinent parler à vous.
trois heures sonneront incontinent. je vous parleray incontinent après » Dict. de l’Acad.,
1694 [1re éd.]. Empr. à la loc. adv. lat. in continenti (tempore) « tout de suite, sans délai »
(signifiant littéralement « qui se tient, d’un seul tenant, ininterrompu »), d’abord ex-
pression propre au jargon juridique du droit des contrats, où l’on distinguait — dans
les pactes adjoints aux contrats de bonne foi — ceux qui étaient in continenti « sur-le-
champ » de ceux qui étaient ex intervallo « après un certain intervalle » ; cela explique
que l’adv. (maintenant désuet) se retrouve en italien (incontanente chez Dante et Boc-
cace), en castillan (encontinente chez Cervantès) et en portugais (incontinênti).
104 1er vers d’un distique tiré d’une compilation attribuée à Denys Caton et que le
Roman de la rose rend par « Que la premeraine vertu/ C’est de metre en sa langue frain. »
Le Docteur modifie le texte pour l’adapter à son propos : l’original porte puto « j’es-
time, je considère », qu’il transforme en impératif puta « considère ». Dans La farce
du quinzième siècle (1992, p. 99), Konrad Schoell remarque : « On apprenait la rhéto-
rique dans les Disticha Catonis qui étaient alors largement répandus et qui sont sou-
vent mentionnés dans les farces. »
105 cf. la maxime de La Rochefoucauld : « Le vrai honnête homme est celui qui ne se
pique de rien » et la pensée de Pascal : « Il faut qu’on n’en puisse dire ni: il est mathéma-
ticien, ni prédicateur, ni éloquent, mais il est honnête homme. Cette qualité universelle me
plaît seule. Quand en voyant un homme on se souvient de son livre, c’est mauvais signe. Je
voudrais qu’on ne s’aperçût d’aucune qualité que par la rencontre et l’occasion d’en user,
ne quid nimis [rien de trop, μηδὲν ἄγαν], de peur qu’une qualité ne l’emporte, et ne
fasse baptiser. Qu’on ne songe point qu’il parle bien, sinon quand il s’agit de bien parler.
Mais qu’on y songe alors. »
Extrait (complété) de l’art. HONNÊTE du TLFi :
1. Mil. XIe s. « honorable, juste » (S. Alexis, éd. Chr[istopher] Storey, Prol. : la sue juvente fut honeste
e spiritel) ; 1174-76 « noble, honoré, digne d’estime » d’une pers. (G[uernes] DE PONT-STE-
MAXENCE, S. Thomas, 3419 ds T.-L. [Tobler-Lommatzsch]) ; mil. XVe s. honnestes femmes (E[nguer-
rand] DE MONSTRELET, Chron., éd. Douët d’Arcq, t. 2, p. 381 : pour l’amour du sexe féminin et aussi
pour l’onneur de chasteté... Commande... que honnestes femmes ne soient point traictes en publi-
que) ; spéc. 1669 « qui respecte le bien d’autrui » (MOLIÈRE, Avare, V, 2) ; 2. ca 1160 « convenable,
considérable » (Moniage Guillaume, éd. W[ilhelm] Cloetta, I, 2083) ; 3. ca 1280 « courtois, civil » d’une
pers. (G[irard] D’AMIENS, Escanor, 22654 ds T.-L.) ; 1538 honnete homme (EST[IENNE] ds FEW [Franzö-
sisches Etymologisches Wörterbuch] t. 4, p. 462b) ; 1580 id. « homme affable, de conversation agréable »
(MONTAIGNE, Essais, éd. A[lbert] Thibaudet, II, 12, p. 551) ; 1606 ([Jean] NICOT : honneste homme et
courtois : Bellus homo, urbanus, civilis), pour la conception de l’honnête homme au XVIIe s., v. ds
[Charles-Louis] LIVET Molière, s.v. honnête, l’analyse de N[icolas] FARET, L’Honnête homme ou l’Art de
plaire à la Cour, 1630. Empr. au lat. honestus « honorable, digne de considération, d’estime ; honora-
ble, juste, conforme à la morale ; beau, noble ».
106 le Docteur doit prononcer Socratès — la sobriété dans le manger annonce la cita-
tion de Valère (l’Avare, III, I) « il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger »,
tirée de la Rhétorique à Herennius (dont l’auteur N’EST PAS Cicéron).
L’adage est une adaptation de la formule rapportée par Plutarque (Πῶς δεῖ τὸν νέον ποιημάτων
ἀκούειν, Comment le jeune homme doit lire [littéralement : écouter ; on lisait les textes à haute voix ou
bien on se les faisait lire par un ἀναγνώστης] les poètes) « ὑπομνηστέον ὅτι Σωκράτης τοὐναντίον
ἔλεγε τοὺς μὲν φαύλους ζῆν τοῦ ἐσθίειν καὶ πίνειν ἕνεκα, τοὺς δ’ ἀγαθοῦς ἐσθίειν καὶ πίνειν ἕνεκα
τοῦ ζῆν », il faut à l’opposite ramener en memoire ce que le sage Socrates souloit dire, « Que les hommes
vicieux vivent pour manger et pour boire, mais que les gents de bien boivent et mangent pour vivre »
(Amyot), ce qui a éclipsé une formulation plus intéressante du philosophe (chez Diogène Laërce),
« ἔλεγέ τε τοὺς µὲν ἄλλους ἀνθρώπους ζῆν ἵν’ ἐσθίοιεν· αὐτὸν δὲ ἐσθίειν ἵνα ζῴη » : il disait que les
autres hommes vivaient pour manger, mais que lui mangeait pour subsister.
113 gueux, mendiant, fainéant ; le Dict. de l’Acad., 1694 [1re éd.] donne un exemple
qui s’applique peut-être ici : « il en est jaloux comme un coquin de sa besace. » — Peut-
être le rôle a-t-il été écrit pour René Berthelot, dit Du Parc, dit encore Gros-René
(† 1664) ; cf. La Jalousie du Gros-René (1663), farce dont le texte est perdu.
114 structure du type Dét N1 de N2 ; nombreux ex. chez Molière : notre grand flandrin
de vicomte, un grand benêt de fils, des avortons de médecins, ce grand escogriffe de maître
d’armes, etc. ‖ Hatzfeld et Darmesteter :
« Trivial. Il fait un froid de loup ; un temps de chien. Il s’est donné un mal du diable ; et,
inversement, le premier terme devenant une sorte de qualificatif qui détermine l’espèce du second,
Il fait un chien de temps. Quelle diable de cérémonie, HAMILT. Gram.* 2. Il a une chienne de mine. Un
fripon d’enfant, LA F. Fab. IX, 2. Coquin de sort. Drôle de corps. Ah ! bourreau de destin, MOL. Éc. des f.
IV, 7. » *Anthony Hamilton, Mémoires du chevalier de Gramont
115 cf. le vers fameux d’Arnolphe (l’École des femmes, II, II, v. 700) : « Du côté de la
barbe est la toute-puissance. » — comme moi : tel que moi, cf. note 56.
116 votre science
117 interj. familière qui exprime la surprise, le doute, la perplexité, l’ironie (« Ouais ! je
ne croyais pas que ma fille fût si habile que de chanter ainsi à livre ouvert, sans hésiter » Ar-
gan, le Malade imaginaire ; « Ouay ! n’est il pas venu querre/ six aulnes de drap mainte-
nant ? » le drapier, dans Maistre Pierre Pathelin) ‖ TLFi se fait l’écho d’une hypothèse
de Dan Bugeanu, qui considère que ouais pourrait venir de l’impér. plur. oyez ! (de
ouïr) sous la forme ancienne oez (Roland, v. 15 « Oez, seignurs, quel pecchiet nus encum-
bret », écoutez, seigneurs, quel mal nous accable).
118 ridicule (« Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles » : la Critique de l’École des femmes,
sc. VI). La tirade repose sur des équivoques obscènes [dont on trouve des équivalents
dans le Pédant joué, de Cyrano de Bergerac], le Docteur insinuant qu’Angélique —
qu’il tutoie — est gouvernée par son caprice, c’est-à-dire son désir :
des parties du discours, sa préférée est la conjonction, le coït ;
des cas de la flexion nominale, celui qui rappelle « génital » ; dans le Pédant joué,
Granger, s’adressant à Chasteaufort, emploie le même euphémisme de façon plus
transparente :
I’entends que le diminutif
Qu’on fit de vray trop exceßif
Sur votre flaſque genitif
Vous prohibe le conionctif.
Dieu que… » cf. latin utinam, italien magari, esp. ¡ ojalá ! « Et à la mienne volunté que
un chacun laissast sa propre besogne », Prologue de Pantagruel ; « à la mienne volonté
qu’aucuns du surnom de Chrestiens ne le façent pas encore », Montaigne, II, XII ; « à la
mienne volonté, qu’il y en eust plusieurs en France, qui fissent le semblable » Barnard
Palissy ; « car nous voions que ceulx qui prient disent ordinairement, O si à la miene
volonté ! et Archilocus qui dit, O si toucher je te pouvois la main, Néobulé ! [Εἰ γὰρ ὣς
ἐμοὶ γένοιτο χεῖρα Νεοϐούλης θιγεῖν ;] Et dit que la seconde syllabe de ce mot Eithé
[εἴθε], qui signifie, à la mienne volonté, est une adjonction superflue » Amyot, Que signi-
fioit ce mot Εἰ, Qui estoit engravé sur les portes du temple d’Apollo, en la ville de Delphes
[Plutarque, Περὶ τοῦ Εἰ τοῦ ἐν Δελφοῖς]. La Bible de Genève (1669) rend Galates 5:12
Ὄφελον καὶ ἀποκόψονται οἱ ἀναστατοῦντες ὑµᾶς par « À la mienne volonté que ceux qui
vous mettent en trouble fussent retranchez » (allusion probable au rite d’autocastration
des prêtres de Cybèle).
121 écoute-moi, je te prie ; fait partie des rudiments enseignés dans les manuels de
langue latine, dont les Colloques… de Mathurin Cordier, cf. note 33. Le Docteur
traduit en latin « écoutez-moi, de grâce ».
122 le Docteur prononce Ciceron /sisərõ/ puisque le Barbouillé reprend en écho si se
attachée à la patte : « Oh ! la belle rue ! et si vivante, les jours de foire ! Les chevaux qui
hennissent ; les cochons qui se traînent en grognant, une corde à la patte… » Jules Vallès,
L’Enfant.
125 cf. note 39
126 pendant que le Barbouillé l’entraîne : anacoluthe (« et, pleurés du vieillard, il grava
ses doigts (latinisme : dextera digitis rationem computat, Plaute), plus ancien, se trouve
déjà chez Joinville « Et il [le roi] conta par ses doiz » ; Mme de Sévigné (29 octobre
1692) : « J’avois compté par mes doigts et il me sembloit… que vous deviez être arrivée » ;
La Fontaine (I, VI, v. 7) : « Eux venus, le Lion par ses ongles compta » ; le Dict. de
l’Acad., 1835 [6e éd.] enregistre, dans l’ordre « Compter par ses doigts, sur ses doigts. »
128 rentrez chez vous et vivez en bonne intelligence, en paix avec votre mari — le
SCÈNE VII
VALÈRE, LA VALLÉE. Angélique s’en va.
VALÈRE.— Monsieur, je vous suis obligé du soin130 que vous avez pris, et je vous
promets de me rendre à l’assignation131 que vous me donnez, dans une heure.
130 je vous sais gré du mal que vous vous êtes donné
131 assignation = rendez-vous [mot plus récent ; d’un emploi plus fréquent chez
SCÈNE VIII
ANGÉLIQUE.— Cependant que134 mon mari n’y est pas, je vais faire un tour à un bal
que donne une de mes voisines. Je serai revenue auparavant lui135, car il est quel-
que part au cabaret : il ne s’apercevra pas que je suis sortie. Ce maroufle-là136 me
laisse toute seule à la maison, comme si j’étois son chien.
SCÈNE IX
SCÈNE X
ANGÉLIQUE.— Que je suis malheureuse !140 j’ai été trop tard, l’assemblée141 est finie: je
suis arrivée justement comme tout le monde sortoit ; mais il n’importe, ce sera pour
une autre fois. Je m’en vais cependant au logis comme si de rien n’étoit. Ouais ! la
porte est fermée. Cathau, Cathau !
140 (monologue) comme je joue de malchance ! — Angélique n’est pas écrasée par le
« malheur » : elle ajoute « il n’importe, ce sera pour une autre fois » ; écho au « je suis le
plus malheureux de tous les hommes » du Barbouillé ‖ j’ai été = j’y suis allée, je suis partie
141 réunion mondaine, mais aussi réunion dansante, bal : « Assemblée, signifie quel-
quefois, Le bal. Il y a eu beaucoup d’assemblées cet hyver. » Dict. de l’Acad., 1694 [1re
éd.] On sait l’importance des assemblées dans la Princesse de Clèves.
SCÈNE XI
LE BARBOUILLÉ, à la fenêtre, ANGÉLIQUE.
LE BARBOUILLÉ.— Oui ? Ah ! ma foi, tu peux aller coucher d’où tu viens, ou, si tu
l’aimes mieux, dans la rue : je n’ouvre point à une coureuse143 comme toi. Comment,
diable ! être toute seule à l’heure qu’il est ! Je ne sais si c’est imagination, mais mon
front m’en paroît plus rude de moitié144.
ANGÉLIQUE.— Hé bien ! pour être145 toute seule, qu’en veux-tu dire ? Tu me querelles
quand je suis en compagnie : comment faut-il donc faire ?
ANGÉLIQUE.— Hé ! mon pauvre petit mari150, je t’en prie, ouvre-moi, mon cher petit
cœur.
LE BARBOUILLÉ.— Ah, crocodile151 ! ah, serpent dangereux ! tu me caresses152 pour
me trahir153.
LE BARBOUILLÉ.— Non.
LE BARBOUILLÉ.— Ah, ah, ah, ah, la bonne bête ! et qui y perdra le plus de nous
deux ? Va, va, tu n’es pas si sotte que de157 faire ce coup-là.
ANGÉLIQUE.— Tu ne le crois donc pas ? Tiens, tiens, voilà mon couteau tout prêt : si
tu ne m’ouvres, je m’en vais tout à cette heure158 m’en donner159 dans le cœur.
LE BARBOUILLÉ.— Je t’ai déjà dit vingt fois que je n’ouvrirai point ; tue-toi, crève,
va-t’en au diable, je ne m’en soucie pas.
LE BARBOUILLÉ.— Hé bien ! ne savois-je pas bien qu’elle n’étoit pas si sotte ? Elle est
morte, et si163 elle court comme le cheval de Pacolet164. Ma foi, elle m’avoit fait peur
tout de bon165. Elle a bien fait de gagner au pied166 ; car si je l’eusse trouvée en vie,
après m’avoir fait cette frayeur-là, je lui aurois apostrophé167 cinq ou six clystères de
coups de pied dans le cul168, pour lui apprendre à faire la bête. Je m’en vais me
coucher cependant169. Oh ! oh ! Je pense que le vent a fermé la porte. Hé ! Cathau,
Cathau, ouvre-moi.
146 rentrée
147 pourvoir
148 Exclam. fam., iron. [Pour signifier qu’on se désintéresse de la question, qu’une
150 « mon gros coquin » de la sc. VI est devenu petit, qui va être répété
151 de même, dans le Dépit amoureux (I, V), Gros-René traite Marinette de « crocodile
trompeur » et George Dandin, dans la pièce qui porte son nom (II, VI), dit à sa
femme, autre Angélique : « Ah! crocodile, qui flatte les gens pour les étrangler » : le
point de départ, ce sont les larmes de crocodile (dont la source est le Livre des mer-
veilles du monde, de Jehan de Mandeville † 1372).
152 les caresses sont des amabilités, des marques extérieures d’affection, des soins, des
égards ; caresser signifie souvent, comme ici, « flatter » : Montaigne (II, XII) parle de
l’Antiquité pensant « faire quelque chose pour la grandeur divine » en « la caressant par
l’odeur des encens et sons de la musique, festons et bouquets ».
153 m’être infidèle, me tromper
154 formule latine médiévale d’exorcisme (« Arrière, Satan ! »), créée à partir de
Marc 8:33 « Vade retro me, Satana / Ὕπαγε ὀπίσω μου, Σατανᾶ », va derrière moi,
Satan ; annonce « diablesse que tu es » (dernière réplique de la scène).
155 par antiphrase : « maudite » (de même, ci-dessous la bonne bête)
156 sans aucun doute, à coup sûr ; auparavant de, cf. note 135.
158 tout à cette heure, attesté depuis 1549, est le renforcement (cf. plus haut tout pré-
sentement) d’à cette heure, déjà chez Chrétien de Troyes (a ceste ore, par opposition à
a cele ore) ; très fréquent chez Montaigne, qui l’écrit aussi asteure, asture. Cf. l’italien
a quest’ ora, le roumain aceste ore.
159 (ellipse de « coup ») frapper : « Donner d’estoc & de taille, C’est frapper d’estoc &
163 (locution archaïque) « pourtant », cf. Mme Jourdain (III, V) « J’ai la tête plus grosse
que le poing, et si elle n’est pas enflée » ; Pierrot (Dom Juan, II, I) « Non, tu ne m'aimes
pas ; et si, je fais tout ce que je pis pour ça » ; la Suivante (Sganarelle, sc. XXII) « Ma foi,
je ne sais pas Quand on verra finir ce galimatias ; Depuis assez longtemps je tâche à le
comprendre, Et si plus je l'écoute, et moins je puis l'entendre ».
164 personnage d’une chanson de geste du XIVe s. disparue — Valentin et Orson (dont
Rabelais fait des racle-tourets aux étuves d’enfer) —, l’enchanteur Pacolet, un nain, qui
a créé par magie un petit cheval de bois,
« et en la tête d’icelui avoit fait artificiellement une cheville qui étoit tellement assise que toutes les fois qu’il
montoit sur le cheval pour aller quelque part, il tournoit la cheville devers le lieu où il vouloit aller, et tantôt se
trouvoit en la place sans mal ; car le cheval étoit de telle façon, qu’il alloit par l’air plus soudainement que nul
oiseau ne savoit voler. » D’où « Clavileño el Alígero » (Don Quijote, II, XL).
(d’après une note d’Adolphe Régnier, 1873)
165 vraiment (on rencontre aussi de bon, tout à bon) ‖ Littré y voit l’origine du popu-
laire « pour de bon ».
166 « On dit prov. Gagner au pied. gagner la guerite, la colline, le haut, les champs, pour dire,
S’enfuir » (Dict. de l’Acad., 1694 [1re éd.]) ; Mascarille emploie l’expression dans les
Précieuses ridicules, sc. IX et son homonyme du Dépit amoureux parle, lui, de gagner le
taillis (V, I, v. 1492).
167 « administré, appliqué » — les clystères, au lieu d’être composés avec catholicon
double, rhubarbe, miel rosat, et autres, le sont de coups de pied au cul. (Littré : Apo-
stropher quelqu'un d’un soufflet, lui appliquer un soufflet. Un magister s’empressant
d’étouffer Quelque rumeur parmi la populace, D’un coup dans l’œil se fit apostropher. [J.-
B. Rousseau Odes et poésies diverses]) ‖ autre emploi dans les Femmes savantes, II, IX,
v. 691 « Un pédant qu’à tous coups votre femme apostrophe Du nom de bel esprit, et de
grand philosophe ».
168 traitement farcesque d’un sujet odieux : le tyran domestique ne bat pas sa femme, il
lui botte les fesses ‖ Dans le Dict. de l’Acad. de 1694, « CUL » n’est pas précédé d’une
mise en garde « Dans un certain nombre d’expressions très familières qui ne doivent être
employées que dans une intention de vulgarité appuyée » qu’on trouve dans la 9e éd. : il
n’en était nul besoin et — paradoxe — c’est Voltaire qui s’est déchaîné contre le mot et
ses composés, en particulier « cul-de-sac » qu’il veut voir remplacé par « impasse »,
lequel est une invention de sa part (d’où la remarque acidulée de Diderot, dans Jacques
le Fataliste : « Lecteur, si je faisois ici une pause […] je voudrois bien savoir ce que vous en
penseriez. Que je me suis fourré dans un* impasse à la Voltaire, ou vulgairement dans un cul-
de-sac… » * le genre y est masculin ; les éditeurs du texte “corrigent ”).
169 en attendant, d’ici là
SCÈNE XII
GORGIBUS, VILLEBREQUIN, ANGÉLIQUE, LE BARBOUILLÉ.
ANGÉLIQUE.— Mais voyez un peu, le voilà qui est soûl, et revient, à l’heure qu’il
est, faire un vacarme horrible ; il me menace.
GORGIBUS.— Mais aussi ce n’est pas là l’heure de revenir. Ne devriez-vous pas,
comme un bon père de famille173, vous retirer174 de bonne heure, et bien vivre avec
votre femme ?
172 l’extraction est du même ordre que dans « Y a d’la rumba dans l’air » ; on peut lire
dans le Livre des choses memorables de l’abbaye de saint-Denys en France pour l’année 1652 :
« il commanda que l’on ne tirât pas… jusques à ce qu’il eût envoié querir de la chandelle,
parce qu’il faisoit extrêmement obscur. Un soldat aiant apporté de la chandelle… »
173 en bon père de famille ; cf. note 57
174 comme le montre la question de Valère à Sganarelle (l’École des maris, I, III) :
« Que faites-vous les soirs avant qu'on se retire ? », il s’agit d’aller se coucher.
175 je veux bien être pendu si je suis sorti — Je me donne au diable, écrit sans modifi-
scénique de celui occupé par les spectateurs ; cf. l’Avare, Iv, VII, où Harpagon
venant de constater la disparition de sa chère cassette s’adresse de même à la salle :
« De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m'en dise. N’est-il
point caché là parmi vous? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils
ont part sans doute au vol que l’on m'a fait. » Encore à notre époque, Guignol et les
clowns prennent parfois leur public à témoin.
177 cf. note 94
mais le doute est permis : dans les Femmes savantes, III, III, l’annonce de Philaminte
à Vadius « Ah ! permettez, de grâce, Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous em-
brasse » est suivie de l’indication scénique : Il les baise toutes, jusques à Henriette, qui
le refuse. Mais des époux ne s’embrassaient pas en public.
LE DOCTEUR.— Non, cela n’est pas long : cela contient environ soixante ou quatre-
vingts pages.
GORGIBUS.— Non.
LE DOCTEUR.— Adieu donc ! puisqu’ainsi est188 ; bonsoir ! Latine, bona nox189.
183 vêtement court ou long et à manches, qui se portait sur la chemise : « Incontinent
que l’aube aux doigts de roses Eut du grand ciel les barrières décloses, Prompt, hors du lit
ce bon prince [le vieil Hélénin] sortit, Sa camisole et son pourpoint vestit » Ronsard,
Franciade, I.
184 encore une offre de service, et encore Aristote ; il pourrait s’agir du chapitre V
demandée en mariage, mais on l’a remercié. » (Dict. de l’Acad., 1694 [1re éd.]).
187 Martine dit de même (les Femmes savantes, V, II) : « Laissez-moi, j’aurai soin De vous
ballade de Charles d’Orléans a pour refrain Puis qu’ainsi est que de vous suy loing-
tains.
189 le Docteur reste fidèle à lui-même et latinise à outrance : il calque le mot à mot
d’une expression ritualisée, présente dans des langues vivantes ; le comique résulte
aussi de l’anachronisme.
190 cf. note 139.
191 la 1re attestation remonte à Joinville (XII, 57) : « Li roys… avoit sa besoigne atiriée en
tel manière que mes sires de Neelle et li bons cuens de Soissons, et nous autre qui estiens
entour li, qui aviens oïes nos messes, aliens oïr les plaiz de la porte, que on appelle main-
tenant les requestes. » (Le roi avait sa besogne réglée en telle manière que monsei-
gneur de Nesle et le bon comte de Soissons, et nous autres qui étions autour de lui,
qui avions ouï nos messes, allions ouïr les plaids de la porte, qu’on appelle main-
tenant les requêtes. Trad. Natalis de Wailly, 1874) — On comparera la forme agglu-
tinée castillane nosotros, qui date de 1330-1340, l’italien noialtri attesté depuis 1316
« Noi altri tutti, togliendo l’arme [prendendo le armi], il seguímo [lo seguimmo] »
(Lancia, Eneide volg., libro 2, p. 181, r. 22) + une occurrence de voialtri chez Dante :
« Voialtri pochi che drizzaste il collo [vi dirigeste] / per tempo al pan de li angeli, del
quale / vivesi qui ma non sen vien satollo [non ci si sazia], / metter potete ben per
l’alto sale [mare aperto] / vostro navigio [vascello]... (Paradiso, vv. 10-14 [1321]).
Source du canevas utilisé pour l’argument de la pièce :
Decameron, 7e journée, 4e nouvelle (narratrice : Lauretta)
Tofano chiude una notte fuor di casa la moglie, la quale, non potendo per prieghi rientrare, fa vista di gittarsi in un
pozzo e gittavi una gran pietra. Tofano esce di casa e corre là, ed ella in casa le n’entra e serra lui di fuori, e sgri-
dandolo il vitupera.
Il re, come la novella d’Elissa sentì aver fine, così senza indugio verso la Lauretta rivolto le dimos-
trò che gli piacea che ella dicesse ; per che essa, senza stare, così cominciò.
O Amore, chenti e quali sono le tue forze ! Chenti i consigli e chenti gli avvedimenti ! Qual filosofo,
quale artista mai avrebbe potuto o potrebbe mostrare quegli argomenti, quegli avvedimenti, quegli
dimostramenti che fai tu subitamente a chi seguita le tue orme ? Certo la dottrina di qualunque
altro è tarda a rispetto della tua, sì come assai bene com prender si può nelle cose davanti mostra-
te. Alle quali, amorose donne, io una n’aggiugnerò da una semplicetta donna adoperata, tale che io
non so chi altri se l’avesse potuta mostrare che Amore.
Fu adunque già in Arezzo un ricco uomo, il quale fu Tofano nominato. A costui fu data per moglie
una bellissima donna, il cui nome fu monna Ghita, della quale egli, senza saper perché, presta-
mente divenne geloso. Di che la donna avvedendosi prese sdegno, e più volte avendolo della
cagione della sua gelosia addomandato, né egli alcuna avendone saputa assegnare, se non cotali
generali e cattive, cadde nell’animo alla donna di farlo morire del male del quale senza cagione
aveva paura.
Ed essendosi avveduta che un giovane, secondo il suo giudicio molto da bene, la vagheggiava,
discretamente con lui s’incominciò ad intendere. Ed essendo già tra lui e lei tanto le cose innanzi,
che altro che dare effetto con opera alle parole non vi mancava, pensò la donna di trovare simil-
mente modo a questo. E avendo già tra’ costumi cattivi del suo marito conosciuto lui dilettarsi di
bere, non solamente gliele cominciò a commendare, ma artatamente a sollicitarlo a ciò molto spesso.
E tanto ciò prese per uso, che, quasi ogni volta che a grado l’era, infino allo inebriarsi bevendo il
conducea ; e quando bene ebbro il vedea, messolo a dormire, primieramente col suo amante si
ritrovò, e poi sicuramente più volte di ritrovarsi con lui continuò. E tanto di fidanza nella costui
ebbrezza prese, che non solamente avea preso ardire di menarsi il suo amante in casa, ma ella
talvolta gran parte della notte s’andava con lui a dimorare alla sua, la qual di quivi non era guari
lontana.
E in questa maniera la innamorata donna continuando, avvenne che il doloroso marito si venne
accorgendo che ella, nel confortare lui a bere, non beveva però essa mai ; di che egli prese sospetto
non così fosse come era, cioè che la donna lui inebriasse per poter poi fare il piacer suo mentre egli
addormentato fosse. E volendo di questo, se così fosse, far pruova, senza avere il dì bevuto, una
sera tornò a casa mostrandosi il più ebbro uomo, e nel parlare e ne’ modi, che fosse mai ; il che la
donna credendo né estimando che più bere gli bisognasse a ben dormire, il mise prestamente a
letto. E fatto ciò, secondo che alcuna volta era usata di fare, uscita di casa, alla casa del suo amante
se n’andò, e quivi infino alla mezza notte dimorò.
Tofano, come la donna non vi sentì, così si levò, e andatosene alla sua porta, quella serrò dentro e
posesi alle finestre, acciò che tornare vedesse la donna e le facesse manifesto che egli si fosse
accorto delle maniere sue ; e tanto stette che la donna tornò. La quale, tornando a casa e trovan-
dosi serrata di fuori, fu oltre modo dolente, e cominciò a tentare se per forza potesse l’uscio aprire.
La donna lo ’ncominciò a pregar per l’amor di Dio che piacer gli dovesse d’aprirle, per ciò che ella
non veniva donde s’avvisava, ma da vegghiare con una sua vicina, per ciò che le notti eran grandi
ed ella non le poteva dormir tutte, né sola in casa vegghiare.
Li prieghi non giovavano nulla, per ciò che quella bestia era pur disposto a volere che tutti gli
aretin sapessero la loro vergogna, laddove niun la sapeva. La donna, veggendo che il pregar non le
valeva, ricorse al minacciare e disse :
La donna, alla quale Amore aveva già aguzzato co’ suoi consigli lo ’ngegno, rispose :
— Innanzi che io voglia sofferire la vergogna che tu mi vuoi fare ricevere a torto, io mi gitterò in
questo pozzo che qui è vicino, nel quale poi essendo trovata morta, niuna persona sarà che creda
che altri che tu, per ebbrezza, mi v’abbia gittata ; e così o ti converrà fuggire e perdere ciò che tu
hai ed essere in bando, o converrà che ti sia tagliata la testa, sì come a micidial di me che tu
veramente sarai stato.
Per queste parole niente si mosse Tofano dalla sua sciocca oppinione. Per la qual cosa la donna disse :
— Or ecco, io non posso più sofferire questo tuo fastidio ; Dio il ti perdoni ; farai riporre questa mia
rocca che io lascio qui.
E questo detto, essendo la notte tanto oscura che appena si sarebbe potuto veder l’un l’altro per la
via, se n’andò la donna verso il pozzo, e presa una grandissima pietra che a piè del pozzo era,
gridando : — Iddio, perdonami, — la lasciò cadere entro nel pozzo. La pietra giugnendo nell’acqua
fece un grandissimo romore ; il quale come Tofano udì, credette fermamente che essa gittata vi si
fosse ; per che, presa la secchia con la fune, subitamente si gittò di casa per aiutarla, e corse al
pozzo. La donna, che presso all’uscio della sua casa nascosa s’era, come il vide correre al pozzo, così
ricoverò in casa e serrossi dentro e andossene alle finestre e cominciò a dire : — Egli si vuole inac-
quare quando altri il bee, non poscia la notte. —
Tofano, udendo costei, si tenne scornato e tornossi all’uscio ; e non potendovi entrare, le cominciò
a dire che gli aprisse.
Ella, lasciato stare il parlar piano come infino allora aveva fatto, quasi gridando cominciò a dire :
— Alla croce di Dio, ubriaco fastidioso, tu non c’enterrai stanotte ; io non posso più sofferire questi
tuoi modi ; egli convien che io faccia vedere ad ogn’uomo chi tu se’ e a che ora tu torni la notte a
casa.
Tofano d’altra parte crucciato le ’ncominciò a dir villania e a gridare ; di che i vicini, sentendo il
romore, si levarono, e uomini e donne, e fecersi alle finestre e domandarono che ciò fosse.
La donna cominciò piagnendo a dire : — Egli è questo reo uomo, il quale mi torna ebbro la sera a
casa, o s’addormenta per le taverne e poscia torna a questa otta ; di che io avendo lungamente
sofferto e dettogli molto male e non giovandomi, non potendo più sofferire, ne gli ho voluta fare
questa vergogna di serrarlo fuor di casa, per vedere se egli se ne ammenderà.
Tofano bestia, d’altra parte, diceva come il fatto era stato, e minacciava forte.
La donna co’ suoi vicini diceva : — Or vedete che uomo egli è ! Che direste voi se io fossi nella via
come è egli, ed egli fosse in casa come sono io ? In fè di Dio che io dubito che voi non credeste che
egli dicesse il vero. Ben potete a questo conoscere il senno suo. Egli dice appunto che io ho fatto ciò
che io credo che egli abbia fatto egli. Egli mi credette spaventare col gittare non so che nel pozzo ;
ma or volesse Iddio che egli vi si fosse gittato da dovero e affogato, sì che il vino, il quale egli di
soperchio ha bevuto, si fosse molto bene inacquato.
I vicini, e gli uomini e le donne, cominciaro a riprender tutti Tofano, e a dar la colpa a lui e a dirgli
villania di ciò che contro alla donna diceva ; e in brieve tanto andò il romore di vicino in vicino,
che egli pervenne infino a’ parenti della donna.
Li quali venuti là, e udendo la cosa e da un vicino e da altro, presero Tofano e diedergli tante busse
che tutto il ruppono. Poi, andati in casa, presero le cose della donna e con lei si ritornarono a casa
loro, minacciando Tofano di peggio.
Tofano, veggendosi mal parato, e che la sua gelosia l’aveva mal condotto, sì come quegli che tutto ’l
suo ben voleva alla donna, ebbe alcuni amici mezzani, e tanto procacciò che egli con buona pace
riebbe la donna a casa sua alla quale promise di mai più non esser geloso ; e oltre a ciò le diè
licenza che ogni suo piacer facesse, ma sì saviamente, che egli non se ne avvedesse. E così, a modo
del villan matto, dopo danno fe’ patto. E viva amore, e muoia soldo, e tutta la brigata.
Au final, Tofano se retrouve bel et bien cocu, battu (par les hommes de sa belle-
famille) et content (« il lui permit en outre de faire tout ce que bon lui plairait, pourvu
que ce fût avec tant de discrétion que lui ne s’en aperçoive pas. Et ainsi, à l’instar du fou de
paysan, [fin comme Gribouille] il se jeta dans l’eau par crainte de la pluie. »)
À Arezzo, la maison dite de Pétrarque (construite au XVIe s.) est située Via dell’Orto et,
face à elle, se trouve le puits de Tofano (il pozzo di Tofano).
Tofano résulte de la troncation de Cristofano et Ghita de Margherita.
Molière élague, efface, simplifie par rapport à son modèle. Peut-être l’aspect le plus
frappant est-il la façon dont la liberté sexuelle de la femme est estompée dans la
Jalousie alors qu’elle ne va pas de soi mais est revendiquée chez Boccace : « l’épouse
gagne la maîtrise de sa propre porte d’entrée », écrit en conclusion David Wallace (“The
wife wins control of her own front door ” Giovanni Boccaccio : Decameron, Landmarks of
World Lit. Series. Cambridge, England : CUP, 1991, page 79) ; on ne saurait mieux
dire.
Le récit repose sur un motif folklorique (AaTh 1377 : Puteus ; K 1511 : The husband
locked out = Marido expulsado) qui se retrouve, entre autres, dans les Sept sages de
Rome (Historia septem sapientum).
Mais le point de départ — en Europe occidentale — est un ouvrage intitulé Disci-
plina clericalis (« La discipline de clergie » ou encore « Chastoiement d’un père à son
fils ») de Pedro Alfonso/Petrus Alfonsi (Huesca, v.1062-v.1140), recueil d’exempla,
parmi lesquels celui dont on trouvera ci-après texte latin et traduction française.
Quidam iuuenis fuit, qui totam intentionem suam et totum sensum suum et adhuc totum tempus
suum ad hoc misit ut sciret omnimodam artem mulieris, et hoc facto uoluit ducere uxorem. Sed
primitus perrexit quærere consilium et sapientiorem illius regionis adiit hominem et qualiter
custodire posset quam ducere uolebat quæsiuit uxorem. Sapiens uero hoc audiens dedit sibi
consilium quod construeret domum altis parietibus lapideis poneretque intus mulierem daretque
sibi satis ad comedendum et non superflua indumenta faceretque ita domum quod non esset in ea
nisi solum hostium solaque fenestra per quam uideret, et tali altitudine et tali compositione per
quam nemo posset intrare uel exire. Iuuenis uero audito consilio sapientis, sicuti ei iusserat egit.
Mane uero quando iuuenis de domo exibat, hostium domus firmabat, et similiter quando intrabat ;
quando autem dormiebat, sub capite suo claues domus abscondebat. Hoc autem longo tempore
egit. Quadam uero die dum iuuenis ad forum iret, mulier sua, ut erat solita facere, ascendit
fenestram et euntes et regredientes intente aspexit. Hæc una die cum ad fenestram staret, uidit
quendam iuuenem formosum corpore atque facie. Quo uiso statim illius amore succensa fuit.
Mulier hæc amore iuuenis succensa et ut supradictum est custodita cœpit cogitare quo modo et
qua arte posset loqui cum adamato iuuene. At ipsa plena ingenio ac dolositatis arte cogitauit quod
claues domini sui furaretur dum dormiret. Et ita egit. Hæc uero assueta erat dominum suum
unaquaque nocte uino inebriare, ut securius ad amicum suum posset exire et suam uoluntatem
explere. Dominus uero illius philosophicis iam edoctus monitis sine dolo nullos esse muliebres
actus cœpit excogitare quid sua coniunx strueret frequenti et cotidiana potatione. Quod ut sub
oculo poneret, se finxit ebrium esse. Cuius rei mulier inscia de lecto nocte consurgens perrexit ad
hostium domus et aperto hostio exiuit ad amicum. Vir autem suus in silentio noctis suauiter
consurgens uenit ad hostium et apertum clausit et firmauit et fenestram ascendit stetitque ibi
donec in camisia sua mulierem suam nudam reuertentem uidit. Quæ domum rediens hostium
clausum inuenit ; unde animo multum condeluit et tandem hostium pulsauit. Vir mulierem suam
audiens et uidens ac si nesciret interrogauit quis esset. At ipsa culpæ ueniam petens et nunquam
amplius se hoc facturam promittens nihil profecit. Sed uir iratus ait quod eam intrare non permit-
teret, sed esse suum suis parentibus ostenderet. At ipsa magis ac magis clamans dixit quod nisi
hostium domus recluderet, in puteum qui iuxta domum erat saliret et ita uitam finiret, sicque de
morte sua amicis et propinquis rationem reddere deberet. Spretis minis dominus suæ mulieris
intrare non permisit. Mulier uero plena arte et calliditate sumpsit lapidem, quem proiecit in
puteum hac intentione ut uir suus audito sonitu lapidis in puteum ruentis putaret sese in puteum
cecidisse. Et hoc peracto mulier post puteum se abscondit. Vir simplex atque insipiens audito
sonitu lapidis in puteum ruentis mox et absque mora de domo egrediens celeri cursu ad puteum
uenit, putans uerum esse quod mulierem audisset cecidisse. Mulier uero uidens hostium domus
apertum et non oblita suæ artis domum intrauit firmatoque hostio ascendit fenestram. Ille autem
uidens se esse deceptum inquit : O mulier fallax et plena arte diaboli, permitte me intrare et quicquid mihi
foris fecisti me condonaturum tibi crede ! At illa eum increpans introitumque domus omnimodo facto
atque sacramento denegans ait : O seductor, tuum esse atque tuum facinus parentibus tuis ostendam, quia
unaquaque nocte es solitus ita furtim a me exire et meretrices adire. Et ita egit. Parentes uero hæc
audientes atque uerum esse existimantes increpauerunt eum. Et ita mulier illa liberata arte sua
flagitium quod meruerat in uirum retrusit. Cui nihil profuit, immo obfuit mulierem custodisse :
nam iste etiam accidit cumulus miseriæ quod existimatione plurimorum quod patiebatur meruisse
crederetur. Unde quidem bonis compluribus pulsus, dignitatibus exutus, existimatione fœdatus ob
uxoris maliloquium incestitatis tulit supplicium.
Discipulus : Nemo est qui se a mulieris ingenio custodire possit, nisi quem Deus custodierit, et hæc
talis narratio, ne ducam uxorem, est magna dehortatio. Magister : Non debes credere omnes mulie-
res esse tales, quoniam magna castitas atque magna bonitas in multis reperitur mulieribus, et scias
in bona muliere bonam societatem reperiri posse, bonaque mulier fidelis custos est et bona domus.
Salomon in fine libri Prouerbiorum suorum composuit uiginti duos uersus de laude atque bonitate
mulieris bonæ. Discipulus ad hæc : Bene me confortasti ! Sed audisti tamen aliquam mulierem quæ
sui sensus ingenium niteretur mittere in bonum ? Magister ait : Audiui. Discipulus : Refer mihi de illa,
quia uidetur mihi res noua ! Magister : […]
Le maître : « Il était un jeune homme qui avait consacré toute son activité, toute son intelligence et
tout son temps à étudier les ruses de la femme et qui, cela fait, voulut prendre femme. Mais il
décida de prendre d’abord conseil et alla trouver l’homme le plus sage de la région ; il lui demanda
comment il pourrait garder la femme qu’il épouserait. Le sage, en entendant cela, lui conseilla de
construire une maison de pierre aux murs élevés, d’y installer sa femme, de lui donner à manger à
sa suffisance, mais pas de vêtements inutiles ; de faire en sorte que la maison n’ait qu’une seule
porte et une seule fenêtre (afin que la femme ait un peu de vue) mais élevée et disposée de telle
manière que personne ne puisse sortir ou entrer par là. Le jeune homme, après avoir écouté l’avis
du sage, fit comme celui-ci le lui avait conseillé. Le matin, quand il sortait de la maison, le jeune
mari fermait solidement la porte, et il faisait de même quand il rentrait ; quand il dormait, il
cachait sous son oreiller les clés de la maison. Et cela dura assez longtemps. Mais un jour, pendant
que le mari allait à ses affaires, la femme, comme à l’habitude, monta à sa fenêtre et regarda ceux
qui allaient et venaient. Ce jour-là, depuis sa fenêtre, elle vit un jeune homme fort agréable d’allure
et de visage. L’ayant vu, elle brûla aussitôt d’amour pour lui. Brûlée par cet amour, mais surveillée
comme elle l’était, elle commença à se demander comment et par quel stratagème elle pourrait
parler à celui qu’elle aimait. Pleine de bon sens et fort rusée, elle se dit qu’elle volerait les clés de
son mari pendant son sommeil. Et c’est ce qu’elle fit. Elle prit donc l’habitude d’enivrer chaque soir
son mari avec du vin, afin de pouvoir sortir plus librement auprès de son ami et de satisfaire son
désir. Mais son mari, ayant appris par l’enseignement des philosophes qu’il n’y avait aucun acte
des femmes qui fût exempt de tromperie, commença à se demander ce que manigançait sa femme
avec ces libations quotidiennes. Afin de s’en rendre compte, il feignit d’être ivre. La femme ne s’en
rendit pas compte, et, la nuit, sortit de son lit, vint à la porte de la maison, qu’elle ouvrit, et elle
sortit auprès de son amant. Alors le mari se leva doucement dans le silence de la nuit, vint à la
porte qu’il ferma et verrouilla, puis il monta à la fenêtre et attendit là jusqu’au moment où il vit sa
femme revenir, vêtue seulement d’une chemise. (H21) Celle-ci, en voulant rentrer, trouva la porte
fermée ; elle en fut fort marrie, mais elle frappa pourtant à la porte. Le mari, quand il la vit et l’en-
tendit, fit comme s’il ne la reconnaissait pas et demanda qui elle était. Alors celle-ci demanda par-
don pour sa faute et promit qu’elle ne recommencerait plus ; mais ce fut peine perdue et son mari
furieux dit qu’il ne la laisserait pas entrer mais la dénoncerait à ses parents. Celle-ci se mit à crier
de plus en plus fort et à dire que s’il ne lui ouvrait pas la porte de la maison, elle se jetterait dans le
puits qui était à la porte de la maison et y finirait sa vie : ainsi, il serait contraint de rendre compte
de sa mort à ses amis et à ses proches. Le mari méprisa ces menaces et ne lui permit pas d’entrer
dans la maison. Mais la femme, pleine de ruse et de rouerie, prit une pierre qu’elle jeta dans le
puits : elle pensait ainsi que son mari, en entendant le bruit de la chute de la pierre dans le puits,
croirait qu’elle s’était jetée dans le puits. Après cela, elle se cacha derrière le puits. Le mari, naïf et
imprudent, ayant entendu le bruit de la pierre qui tombait dans le puits, sortit aussitôt de la
maison et courut rapidement au puits, pensant que le bruit qu’il avait entendu était bien celui de la
chute de sa femme. Mais la femme, voyant la porte ouverte, et toujours pleine de rouerie, entra
dans la maison, ferma la porte et monta à la fenêtre. Le mari, voyant qu’il avait été joué, dit : Oh !
femme trompeuse et remplie de la ruse du diable, laisse-moi rentrer, et je te ferai grâce de tout ce que tu m’as
fait dehors ! Mais celle-ci l’insulta et se mit à jurer que, quoi qu’il fasse et qu’il promette, il n’entre-
rait pas dans la maison : Je montrerai à mes parents ce que tu es et ce qu’est ton crime, car tu as l’habitude,
chaque nuit, de me quitter ainsi furtivement et d’aller auprès des prostituées. Et c’est ce qu’elle fit. Alors
les parents, entendant cela et croyant que c’était vrai, s’en prirent au mari. Voilà comment cette
femme ayant évité par sa ruse le châtiment qu’elle avait mérité, le rejeta sur son mari. Pour celui-
ci, le fait d’avoir gardé sa femme ne servit à rien et lui causa même du tort : en effet, pour comble
de malheur, beaucoup de gens croyaient qu’il avait bien mérité ce qui lui était arrivé. C’est pour-
quoi il se trouva spolié de ses biens, dépouillé de ses titres d’honneur, couvert de déshonneur et, à
cause de la calomnie de sa femme, il endura le châtiment des adultères.
Le disciple : Il n’est personne qui puisse se garder de l’habileté des femmes, sauf celui que Dieu
garde, et cette histoire est pour moi un encouragement à ne pas prendre femme.
La femme de valeur
(H22) Le maître : Ne va pas croire que toutes les femmes soient semblables à celle-ci, car on trouve
chez de nombreuses femmes une grande chasteté et une grande bonté : sache qu’on peut trouver,
en une femme de qualité, une excellente compagnie, et qu’une bonne épouse est une gardienne
fidèle de la maison. Salomon, à la fin de son Livre des Proverbes a composé vingt-deux versets sur le
mérite et la bonté d’une bonne épouse. Le disciple dit alors : Tu m’as bien réconforté. Mais as-tu toi-
même entendu parler d’une femme qui se soit efforcé d’appliquer son habileté à faire le bien ?
— Certes. — Alors, parle-moi d’elle, parce qu’il me semble que c’est quelque chose d’extraordinaire.
Alors le maître : […]
N B — J’emprunte cette traduction au site Tradere, mis en place par les Dominicains de la province de
Toulouse. Le titre y est rendu par La formation des clercs ou « Manuel de conduite à l’usage des clercs ».