SUR LES RAPPORTS
DE LA CONSCIENCE INTELLECTUELLE
ET DE LA CON
CIENCE MORALE
Bn février 1885, Edmond Scherer, 'un des témoins les plus algus
du mouvement des idées au cours du xix* sitele éerivait : «La
onselence, souveraine dans le domaine subjectif de la morale, ne
Peut entrer.comme élément objectif dans le systime des choses
+humaines qu’en se soumettant a eecontrdle et & cette discussion qui
résultent du rapprochement méme de tous les éléments de la réa-
Mté!, » Les valeurs de la conselence morale qui se révélent al'bomrne
intérieur, ne suffisent done pas a fonder « un systéme des choses »,
Si elles prétondent & Yobjectivité, elles troavent en face delles
autres valeurs qui elles se présentent naturellement comme objec-
Lives, los valeurs de la science, Or les valeurs de la science, faisant
abstraction de. toute qualité, de toute liberté, paraissent incompatt-
bles avec ce que la moralité réclame spontanément comme un
absolu. Crest en ces termes que l'aliernative s'est impose, semble-
til, aux penseurs de la dernitre moitié du sibele dernier. Is se clas:
salent, ils s'opposaient, suivant leur préoccupation principale qui
tall, pour Jes uns, de conquérir le domaine moral afin de l'annexer
‘au déterminisme scientifique, au mécanisme, pour les autres, at eon-
traire, de limiter Ia compétence de la science par l'exigence de la
conscience morale.
‘Nous voudrions nous demander si, dans l'état actuel de nos con-
naissances scientifiques et surtout de notre rédexion sur les sciences ,
le probleme se pose encore au philosophe sous le méme aspect;
ous essaierons de montrer comment le progrés de la eritique des
sciences, qui s'est si visibloment scoéléré au cours des vingt-cing
derniéres années, a insonstblement ritabli une sorte d'égalité de
niveau entre notre conscience morale et ce qu'on pourrait appeler
1. Teate intl lt par Gréard, Bémond Scherer 1890, p. 132, 0 frs [EVOE, DE METAPHYSIQOE EP DE AORALE.
notre conscience intellectuolle, de telle maniére que V'sntinomie de
sa selence et de la morale & laquelle les générations préeddontes se
sont hourtées @ dispara presque delle-méme par le seul fait d'une
réflexion approfondie sur le savoir scientifique.
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Reportons-nous quelque cent ansen arriére, et proposons-nous de
définis la conception de Tunivers olors mise en faveur par V'antorité
de savantsillustres qui furent ex méme temps de grands écrivains,
jaloux, comme V'avaient été leurs prédécesseurs du xvmt" siécle, de
tourner au profit de esprit public les résultats généraux de leurs
travaux porement techniques.
‘La Mécanique céleste de Laplace résout dune acon positive, et qui
passe pour définitive, le probleme poss parla découverte newtonienne
& Llempirisine a été banni entidrement de T'Astronomie, qul, main
tenant, est un grand probléme de mécanique, dont les éléments du
mouvement des astres, leurs figures et leurs masses sont les arbi
traires, seules données indispensables que cottescience doive tirer des
observations. » C'est ainsi da moins que s‘exprime Laplace dans les
premitres pages de la quatrieme partie de I'xporition du systeme de
monde. Mois dans Yavant-dernier ebapitre de Youvrage il va plus
loin; il semble faire abstraction de ces données, qui demourent
génantes pour le mathématicien, qui risquent d'altérer ce que Kant
appelait Ia pureté de Ia science rationnelle. Il finit par s'exprimer
comme si le fait était absorbé dans Ia lot: « La lot de Pattraction
réciproque au carré dela distance est colle des émanations qui pertent
Gun centre. Bs paratt étre la lof de toutes les forces, dont I'sction
fe fait epercevoir a des distances sensibles, comme on Y'a reconnu
‘dans les forces leotriques et magnétiques. Ainsi cette loi répondant
exactement & tous les phénomnes, doit étre regardée par sa simpll-
citéet par sa généralité, comme rigoureuse. Une de ses propriétés
remarquables, est que si les dimensions dé tous les oorps de
Tunivers, leurs distances mutuelles et leurs vitesses venaient
‘a erolire ou & diminuer proportionnellement, ils décriraient
des courbes entidtement, semblables a celles quiils décrivent; en
torte que univers réduit ainsl suocessivement jusqu‘au plus petit
‘espace imaginable, oflrirait toujours les mémes apperences & ses
observateurs. Ces apparences sont par conséquent indépendantesLE, BRUNSCHVICG. — CONSCISNCES INTELLECTUSLLE ET ORMLE. 478
des dimensions de univers; comme en vertu de la proportionna-
lité de la force & la vitesse, elles sont indépendantes du mouve-
‘ment absolu qu'il peut avoir dans Mespace. La simplicité des lois de
Ja nature, ne nous permet done d'observer et de connaitre que des
rapports. »
Assurément il est impossible de lire ces lignes sans se poser la
question suivante: quels peuvent are ees observateurs devant qui
univers tout entier sorait susceptible de se majorer ou de se mino-
rer sans quills fussent en état de s'en apercevoir? oft seraientils
situés, et quelle relation leur propre vie pourreit-elle soutenir, avec
la vie de_l'univers? sont-ce encore des hommes? On bien Laplace,
qui s'était donng pour tache de purger la cosmologie newtonienne
de toute survivance théologique, n'a-t-il pas inconselemment réin-
troduit dans son interprétation de la science un étre analogue
‘au Dieu des Principes, capable de sentir la totalité des espaces et des
temps? Le plus curieux peut-étre est que Laplace lui-méme ne s'est
pas posé la question qui uf aurait paru sans doute un pidge métaphy-
sique. Il se contente d’affirmer, comme s'il sagissalt d'un théorbme
exactement démontré, que les apparcnces des phénoménes dépen-
dent uniquement des relations exprimées par les équations de In
science, nullement par conséquent des coefficients, alors queces coet-
ficients sont, en toute évidence, nécessaires pour appliquer les for-
mules A un calcul déterminé, que seule ils permettent d’on gerantic,
la vérité puisque seuls ils 6tablissent une coincidence entre les résul-
lats du calcul d'une part et d'autro part ia réalité accessible & obser
vation,
En tout cas, de cette vue quo le erédit de Laplace impose a Ia con-
science intellectuelle do ses contemparains, il résulte, comme I's for-
tement montré M. Bergson. que dans Fastronomie du xix sitele, le
lemps semble éliming & titre de grandeur coneréle. Non pas
quill convienne, & notreavis du moins, de rendre responsable de cette
limination la nature propre de l'espace. La mécanique rationnelle
ne réduit pas le temps a espace; au contraire, si elle traite le temps
comme une quatriéme dimension de Vespace, il est bien elair que
est parce qu'elle distingue la simultanéité et la succession : &
cette condition seulement elle est capable d'ajouter, par suite et en
tun sens d'opposer, celle ci 8 celle-la. Si done on est amené & recon-
nalize que assimilation du temps & une dimerision a été l'occasion
@'une confusion philosophique, nous ne dirons pas que c'est faute