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1er décembre 2009 : A l'heure du choix

Le 26 novembre 2009,

Mesdames et Messieurs les Conseillers Régionaux,

Au moment du choix, il est important de rappeler le poids d’une décision que certains
voudront juger d’historique. Depuis 2006, pour les habitants de la rue Gibert Desmolières et depuis
novembre 2007 pour la Grande-Chaloupe, des familles mènent un combat pour préserver leur
patrimoine familial. Dans le même temps, des militants se battent pour protéger un site historique,
socle commun de notre Réunion d’aujourd’hui. Le 25 mars 2008, le Préfet Maccioni déclare
d'utilité publique le projet tram-train. «Plus de temps à perdre...» déclare à la presse Pierre Vergès,
président de la SR21 qui se dit alors satisfait de la décision du Préfet. 19 mois après cette date, on
commence à se poser la question du financement du projet.

Il est important de rappeler quelques points, essentiels à une vision complète de ce dossier.
Nous prenons donc l'initiative de nous adresser par ce courrier à nos élus, dans ce contexte très
particulier qui doit vous amener à vous positionner sur la question du tram-train dans les jours qui
viennent. Ce document, nous l'espérons, vous apportera des éléments qu’il vous faut confronter aux
exposés des leaders politiques du projet ou des techniciens.

Tout d'abord, quelques éléments de contexte qu'il est important de rappeler :


- Un doute important reste sur le volet du montage financier du dossier. Il s’agit de cerner les
conséquences des orientations budgétaires liés au tram-train pour l’avenir des finances de la
collectivité et de La Réunion. Ce doute concerne également le rapport à la rentabilité du tram.
- Les habitants ont obtenu l'annulation partielle de la DUP sur la portion de la falaise Gasparin. Le
commissaire enquêteur ne rendra son rapport lié à la nouvelle enquête publique sur la falaise
Gasparin que le 9 décembre, sans que vous puissiez préjuger de l'engagement du préfet sur cette
nouvelle DUP.
- Les habitants de la rue Gibert Desmolières, de la Grande-Chaloupe, de la rue Maréchal Leclerc et
de la Possession ont fait appel à Bordeaux. La question sur le fond doit encore être jugée par la
cour d'appel.
- Le tram ne traverse pas des zones isolées en termes d’habitat : il détruit un quartier à Saint-
Denis (l'image du Pôle Océan parle d'elle-même) et un village à La Grande-Chaloupe.

Ces points cadrent votre décision du 1er décembre 2009. Les deux développements qui
suivent s'intéressent d'une part à La Grande-Chaloupe, et notamment à son village historique et
d’autre part à la justesse du choix du tracé sur la falaise Gasparin.

Pourquoi faut-il sauver la Grande-Chaloupe (et ses habitants) ?

Le site de la Grande-Chaloupe et de la Ravine à Jacques, sont des espaces historiques. Ils


datent de la fin du XVIIIème siècle et ont servi au débarquement puis au placement, dans un espace
de quarantaine sanitaire, des populations esclaves, des populations migrantes et des populations
engagées avant d’être dispersées dans les plantations.

Par ailleurs, ils rendent compte matériellement au moins, d’un héritage propre aux différentes
phases de l’histoire Réunionnaise :
- Un 1er Lazaret destiné aux esclaves est installé et existe encore à la Ravine à Jacques.
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- L’occupation anglaise du début XIXe donne son nom à un chemin du XVIIIe dit « Chemin
des Anglais »,
- L’Engagisme se matérialise dans les Lazarets I et II construits entre 1860 et 1865,
- Le Chemin de fer construit fin XIXe est présent à travers les bâtiments de la gare, les
locomotives, le pont et le tunnel,
- On y retrouve aussi des éléments du patrimoine religieux de l’espace réunionnais : « ti
bondié », temple, « rond de servis kabaré ».

La Ravine de la Grande-Chaloupe est occupée par l’homme avant 1848. On y retrouve alors
un espace de plantations entretenu par un camp dont les productions sont amenées à Saint-Denis par
chaloupes. De façon contemporaine, la Grande-Chaloupe abrite 3 groupes d’habitations
caractéristiques de l’habitat traditionnel réunionnais. L’installation des habitants dans le quartier
(1950-1960) s’insère dans le contexte de la départementalisation et du passage à la « Modernité »
(terme qui désigne à La Réunion la rupture progressive de l’île avec le mode de vie du XIXe siècle).
Le village, installé dans un éco-système riche, à proximité de l’océan permet de conserver un mode
de vie « traditionnel » où le quotidien est complété par une agriculture de subsistance, par la chasse
ou la pêche tout en permettant de bénéficier de la plus grande partie des avantages de La Réunion
du XXIe siècle. L’aménagement de la zone d’habitat est intimement lié à ce mode de vie, combinant
tradition et modernité. La Grande-Chaloupe est un villages des Hauts dans les Bas.

La Grande-Chaloupe et la Ravine à Jacques : Deux ravines où se succèdent Esclavage et


Engagisme, des Hommes, un milieu naturel. Aujourd’hui, une ravine traversée par le tram-train, un
village menacé de destruction et des habitants voués à l’expropriation. Faut-il répéter les mêmes
mécanismes de destruction et de déracinement qu'a produits notre société avec le passage à la
modernité ? Ce lieu de mémoire est entretenu coûte que coûte, vaille que vaille, par... les habitants
de la Grande-Chaloupe. Habitants dont les cases ont eu droit à un vernis coloré dans le cadre de
l'opération «Coup de pinceau» en 1998, diligentée tambour battant par la Région et visant à
revaloriser l’habitat créole, soulignant par là-même leur valeur patrimoniale pour mieux les détruire
aujourd'hui. La Grande Chaloupe nous offre un territoire de lecture et de compréhension de la
société réunionnaise et de son évolution jusqu’à aujourd’hui. Elle consacre un mode de vie
particulier pour les habitants installés dans cet espace.

A une autre époque, dans d'autres combats, dans une autre Réunion, le Maloya était lui aussi
interdit par l'Etat et son représentant local. Des voix et des Hommes se sont levés contre la perte de
cette parcelle de notre identité collective. Il devrait en être de même pour nos lieux de mémoire.
Notre histoire ne vaut-elle dès lors, qu'une inscription typographique dans des ouvrages rangés, sur
les lourdes tablettes bien fournies de graves et sérieuses bibliothèques ? Les lieux de notre histoire
voués encore et toujours à disparaître dans le mépris et sous la coupe de quelle logique ?
Transformera-t-on ces lieux de mémoire, en dépôts de tétrapodes ou lieux de stockage des gravats
qui serviront au comblement de la future route du Littoral ?

La Région ne nous fera pas croire qu’un camion de 26 tonnes (1 par minute en période
d’évacuation des déblais) circulant à moins de 200 mètres du Lazaret 2 n’aura aucune conséquence
sur les bâtiments. Nul besoin d’experts ou d’études pour comprendre ce simple fait. La Région ne
peut pas justifier l’absence de mesures d’archéologie préventive sur un site d’une telle importance
pour La Réunion. Françoise Vergès et la directrice de l’INRAP (Institut Régional d’Archéologie
Préventive) déclarent dans le monde du 20/07/2009 : « Il importe donc que l'archéologie se
développe en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, où elle est encore embryonnaire, et à La
Réunion, où la loi sur l'archéologie préventive de 2001 n'est pas appliquée ». Pourquoi cette
démarche, si évidente pour ces deux spécialistes, ne transparaît pas dans les chantiers de La
Région ? Pourquoi n’y-a-t-il rien en termes d’archéologie préventive sur la Grande-Chaloupe ?

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Pourtant aujourd’hui on sait que ce lieu porte encore une quantité importante d’informations enfouis
dans son sol.

La Région a subventionné un voyage dans l'Aveyron. D'heureux élus parmi les habitants de
la Grande-Chaloupe, ont ainsi pris l'avion pour la France. Objectif : découvrir le joyau de Millau,
son viaduc. Et désormais ses 150 000 touristes par an. Un voyage sur les côtes africaines, au
Mozambique, à Zanzibar aurait sans doute permis de voir comment nos voisins conservent et
entretiennent ces lieux de mémoire, première étape de leur périple vers La Réunion.

Le tram-train à la Grande-Chaloupe, veut dire la disparition d'une large partie des habitants
de ce lieu... Les habitants font partie de l’histoire du site. Nous voulons garder en l'état ces lieux, les
protéger pour transmettre de manière intacte ces parties de l'histoire de notre pays aux générations
futures. En cela, la Grande-Chaloupe porte les valeurs du développement humain nécessaire aux
Réunionnais. Il est nécessaire de résister à la stratégie du chabouc, aux voix voulant encore et
encore décider et s'emparer de notre intégration au monde, et ce sans la moindre consultation des
héritiers de l'histoire de La Réunion. Il est une autre saison, où dans la mémoire du lieu, le rond des
descendants d'esclaves se forme. La lumière des descendants d'engagés s'allume. Non ce n'est pas
un hasard... ces vestiges, ces hommes... des témoins pour notre Histoire.

Falaise =malaise, drame train, utilité publique ?

Il convient de rappeler qu’une nouvelle enquête publique s’est déroulée sur le mois de
novembre 2009. Elle concerne la falaise Gasparin et résulte des insuffisances de la première DUP.
Cela signifie en filigrane que le préfet avait validé un projet insuffisant en terme de sécurité,
insuffisances résultants du manque de sérieux des études de la Région quant au traitement d'une
falaise où le risque d'éboulis est de notoriété publique. La commission d’enquête devrait donner son
avis au Préfet le 09 décembre 2009.

A l’origine du projet, la Région devait choisir 3 projets de tracé :


- Le tracé par le Boulevard Sud
- Le tracé par le Barachois
- Le tracé par le centre ville de Saint-Denis

La Région avait prévu au départ le tracé du Boulevard Sud. Cette voie est vraiment la
colonne vertébrale de Saint-Denis. L’avantage de ce tracé était d’être une liaison rapide, de pouvoir
transporter des personnes bien sûr mais aussi certains types de marchandises (Charbon, sucre…) et
enfin peu d’expropriations à prévoir. Ce tracé tenait compte de l’évolution de la population et des
pôles d’emploi dans les années à venir. Mais la Région sous influence de quelques commerçants et
de l’ancien Maire a choisi le tracé sur Saint-Denis. Aucune étude concrète auprès de la population
n’a été faite. La conséquence de ce choix a été que ce tracé passe sur une zone classée en zone
rouge par un PPR dans le PLU de 2006 (la rue Lucien Gasparin). En dessous de cette falaise sujette
à des glissements de terrain, un collège a été construit et des habitations également. Collège
reconstruit quelques centaines de mètres plus loin en raison des éboulis réguliers.

Nous avons fait recours devant le tribunal administratif et ce dernier a annulé partiellement
la DUP sur la portion Gasparin pour insuffisances d’études au niveau de la sécurité de la falaise.
Comme il y a eu un changement de tracé, les études n’ont pu être faites avant. Cette décision
marque un gaspillage important de temps et d'argent public impliquant l'inutilité de toutes les études
faites pour le Boulevard Sud. Pour nous, le risque zéro n’existe pas et le droit constitutionnel de
précaution devrait être appliqué. Il n’y a aucune utilité publique à passer sur une zone dangereuse.
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Le passage par cette rue Gasparin aurait nécessité en plus de sa sécurisation la construction de deux
ouvrages d’art pour le passage du Tram train.

Enfin les deux autres conséquences de ce choix étaient qu’une quinzaine de familles habitant
dans le prolongement de cette rue Gasparin (rue Gibert des Molières) allaient être expropriés d’un
quartier encore authentique de Saint-Denis, bordé par les rampes Ozoux et l’ancien hôpital colonial
où elles ont leurs racines, leur histoire. Comme à la Grande-Chaloupe, le chantier impacte
également la faune installée sur la falaise.

La Mairie de Saint-Denis après avoir fait la seule véritable étude d’impact en matière de
circulation a émis des réserves sur ce tracé centre ville sans pour autant le contester fermement. La
multiplicité des études dont certaines n’ont servi à rien, d’autres encore à venir et un budget de
communication qui a explosé (marathon, affiches, financements de groupe de chant, encarts médias,
exposition, concours…) ont mis à mal la crédibilité de ce projet. Crédibilité fragilisée par une
annulation partielle de la DUP ainsi que l’annulation de l’arrêté du premier arrêté de cessibilité
rendu par l’Etat sur lequel s’appuie les procédures d’expropriations à venir.

Selon nous, la Région doit revoir impérativement ce tracé si elle veut rester dans le budget
prévu au départ. Elle peut revenir sur le tracé Boulevard Sud comme elle l’avait prévu initialement.
D’ailleurs la Région prévoyait à terme de réaliser une extension par ce Boulevard Sud pour
transporter du fret qui n’était pas possible par le tracé du centre ville. Elle peut également coupler la
route du littoral et le tram train et également faire le Boulevard Nord à la sortie de Saint Denis pour
régler le problème de circulation. L’avantage est de réaliser une économie d’échelle sur les deux
projets d’une part et d’autre part cela permettrait de mettre en valeur le front de mer de Saint-Denis.
D’ailleurs, en optant pour ce tracé en littoral, on garderait ainsi le TCSP bus en centre ville donc
davantage d’emplois en perspective. Nous ne comprenons pas d’ailleurs pourquoi en début 2002, au
moment où commence la phase de concertation et de débat public sur le projet, le Région n’a pas
tenu compte du rapport sur « les projets de développement du système de transports terrestres de
l’île de la Réunion (28 février 2002)) », rendu par le Conseil Général des Ponts et Chaussées. Pour
réaliser des économies d’échelles, le projet TCSP (voie ferrée ou tram train) doit être couplé avec la
route du littoral et qu’à la sortie de Saint Denis, le tram train doit passer par le Barachois. Aussi il
est à rappeler que la commission d’enquête sur le passage par la montagne en viaduc avait émis un
avis défavorable et avait préconisé le passage par le littoral. Ce tracé permettrait de résoudre le
problème de la route du littoral et de l’entrée de Saint-Denis (avec éventuellement un boulevard
Nord). Pour les commerçants, avec un arrêt au pôle Océan, il permettrait d’apporter un flux de
clients.

En conclusion

Nous développons ici des arguments qui ne sont pas d'ordre juridique. Il s'agit de compléter
votre information en insistant sur le contexte historique pour la Grande-Chaloupe et une évolution
du projet que l'on a du mal à cerner en termes de justesse de choix. La conséquence est
qu'aujourd'hui le débat de fond se déroule enfin et se cristallise sur le financement. Il paraît
important pour finir de rappeler le volet humain de ce projet : le tram ne traverse pas des zones
isolées, il détruit un quartier à Saint-Denis (l'image du Pôle Océan parle d'elle-même) et un village à
La Grande-Chaloupe. Le tram déracine des familles de leurs attaches et de leur milieu.

Le Kolektif Domoun et l'association Tracé Tram.

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