PAUVRE FRANCE |!
On a enterré, cette semaine, presque clandes-
finement, a Montmartre, ‘Georges Galapiat.
Georges \Galapiat | '
Les chroniqueurs — les vrais, ah ! oui, les
vrais |! — les chroniqueurs — i] en reste encore
quelques-uns — vous diront que c’est toute une
époque qui disparait avec Georges Galapiat :
Georges Galapiat n’avait pas été aussi célébre,
au café Riche, que Gustave Claudin. Pourtant,
il avait conservé les traditions qui, désormais,
sur te boulevard — sur le boulevard {| — n’au-
ront plus d’autre représentant !...
Pauvre France ‘[ d :
Georges Galapiat | c’était, au fond, un trés
" pauvre/ diable qui avait essayé un peu de tout, »
de Ja peinture, de la littérature, de }’annonce
et de la commission, et qui, tour & tour camelot,
photographe, chanteur de café-concert et, peut-
atre, policier, avait, un beau jour, décidé, las162 LES ECRIVAINS
de ses malchances, qu’il ne ferait plus rien |
Il était ainsi tombé, de la plus’ équivoque
bohéme. dans la plus profonde misére. Vivant
on ne gait de quoi, couchant on ne sait ou, il
sestait invisible durant des mois, reparaissait
soudain, avec des vestes trop courtes, des pan-
talons trop longs et de flamboyantes cravales,
puis i! disparaissait pour des années. Toujours
gai, d’ailleurs, et patriote comme pas un, et,
maigré Vhétéroclitisme de ses costumes, fidéle
aux longues chevelures crasseuses et aux larges —
chapraux de feutre. Par exemple, il ne fallait
pas plaisanter avec lui sur les grands ' prin-
cipes de la morale. Ah ! non J... Débraillé,
pitre, roulant d’ordure en ordure, souteneur,
sans doute, pochard certainement, et voleur au
besoin, i] appartenait Ace grand parti que
Louis Veuillot, dang son’ ironie vengeresse,
appelait : les Respectueux.... C’était, aussi, un
de ces personnages préhistoriques, une de ces
formes zoologiques disparues qui vous pariait
encore — avec quel verbeux enthousiasme | —
de Roqueplan, de Villemot, d’Albert Wolff et
de Villemessant |... II ne tarissait pas non plus
sur Adéle Courtois et sur M. Lockroy.,. Quand,
aprés des années d’absence, il nous rencontrait,
l’anecdotique et abondant Galapiat, i] vous di-
gait. toujours, en sirotant son absinthe :
— Ah ! quelle chic époque ! On savait causer
en ce temps-4a et faire des folies généreuses. |...
Rochefort, Alphonse Duchesne, Carjat, et notre‘
PAUVRE FRANCE | 163
yieux ‘Pathey |... C’étaient de chics types, et
comme i] n’y en a plus aujourd’hui |... Moi
qui te parle, mon vieux, j’ai connu la Barucci |...
Ma parole |... Une femme, celle-la, tu sais |...
De Ia fantaisie, du lynisme et de }’amour, comme
dans Banville {... Et les chambrées orgiaques
et borgiaques du Grand-Seize |... Et Lockroy 1...
Tu n’as pas idée de ce qu’était Lockroy et de
V’influence intelfectuelle qu'il exergait sur la
jeunesse d’alors |... Et son esprit |... Ah | son
esprit |... Un feu d’artifices roulant et pétara-
dant... et dont la moindre étincelle suffisait &
embraser les fus¢es, les soleils et les bombes |...
Ses articles ?... Ah ! mon viewx, c’était A se
tordre dq rire... Et sous ce rire débridé, éclatant,
mais bo enfant, il y avait une rude philosophie, :
va |... Je me souviens d’un de ses articles, dans
fle Figaro — va-t-en voir si l’on en écrit de
pareiJs aujourd’hui — ot, pour stigmatiser
VEmpire, iJ disait : « Etant donné un pain de
quatre livres, trouvez la grosseur des doigts de
pied de la boulangére... » Hein | cette verve,
ca te la coupe ? Mais il faut avoir vécu ces an-
nées-la pour'én comprendre toute la beauté
amére et symbolique... Et comme la marine le
préoccupait déja, & cette joyeuse et forte Epoque,
i] terminait son article par cette charge & fond
de train contre l’omnipotence: des grands com-
mandements : « Etant donnés la hauteur des
mats d’un navire et le nombre de ses canons,
trouvez la longueur des favoris de ]’amiral ! » ...
Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle