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ACEZAT Bruno M.

Christian BOULANGER
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Fiche de lecture sur le thème : Egoïsme et solidarité dans la société contemporaine : quel doit
être le rôle de l’Etat ?

Ouvrage :

« L’Etat - providence » de François-Xavier MERRIEN, éditions PUF 2007

L’auteur : François-Xavier MERRIEN est professeur à la Faculté des Sciences sociales et


politiques de l’Université de Lausanne. Auteur de nombreuses publications portant sur l’Etat
-Providence et les politiques sociales, il a également traduit en français l’ouvrage de Gösta
Esping-Andersen, « les trois mondes de l’Etat-providence ».

Mots-clés : Etat-Providence / Solidarité(s) / Association(s) / Mondialisation / Compétitivité

Thèse de l’ouvrage : La naissance de l’Etat-providence à la fin du XIXème siècle, en réaction


aux mutations sociales liées à la révolution industrielle, a constitué une rupture fondamentale
dans la conception de l’Etat.
L’Etat moderne, en prenant la relève des modèles antérieurs d’entraide, a acquis une nouvelle
fonction : celle d’assurer un bien-être social aux citoyens par le biais des systèmes d’aides et
de droits.
Un siècle plus tard, la mondialisation oblige les puissances publiques à repenser les modalités
de prise en charge des risques sociaux (vieillesse, invalidité, chômage).

Introduction

L’auteur opte pour la définition suivante de l’Etat-providence : « Etat qui intervient pour
assurer la prise en charge collective des fonctions de solidarité ».

I – Présentation du concept d’Etat-providence

La notion d’Etat-providence est à l’origine en France assortie d’une connotation péjorative.


En effet, pour ses inventeurs, réformateurs sociaux ou opposants français au Second Empire,
dont Emile Ollivier est la figure emblématique, l’Etat-providence est « l’enfant monstrueux de
la Révolution française ». Cette dernière et les régimes qui lui ont succédé ayant supprimé
tous les corps intermédiaires entre l’individu et l’Etat, supprimé les corporations, interdit les
syndicats, contrôlé les organisations de secours mutuels, l’Etat a été obligé de devenir la
providence des malheureux.
A la capacité anglaise de susciter des solidarités primaires, de créer des associations de
secours mutuels – esprit de prévoyance typique de la société britannique – s’oppose
l’individualisme et le nécessaire étatisme français.
La notion française d’Etat-providence exprime l’idée que, dans une société atomisée où les
corps intermédiaires tels la famille ou les corps professionnels ne sont pas à même de remplir
un rôle de solidarité, l’Etat est nécessairement appelé à intervenir mais que, ce faisant, il
risque d’amoindrir les solidarités naturelles.

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II – Edification progressive de l’Etat-providence en France

A la veille de la première guerre mondiale, la France ne bénéficie que d’une loi sur les
accidents du travail. La loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes sera la première
tentative d’aller vers les assurances sociales. Mais, critiquée par les syndicats, votée très
difficilement, elle se verra vidée de sa portée par une décision de la Cour de cassation qui
invalidera le principe de l’obligation de cotisation.

Après la guerre de 1914-1918, le Gouvernement français élaborera un projet beaucoup plus


audacieux d’assurances sociales (projet GRINDA de 1921) qui sera difficilement adopté en
1928 et modifié en 1930.
La loi votée en 1930 concède un régime spécial aux agriculteurs. Celui-ci respecte
l’autonomie des caisses mutuelles, en leur laissant leurs avantages antérieurs (contrôle des
deux tiers des assurances maladie et vieillesse).
De plus, le patronat crée ses propres caisses. Les médecins obtiennent le paiement direct à
l’acte.
En 1939 sont adoptées les allocations familiales. Néanmoins, à la veille de la seconde guerre
mondiale, le nombre de Français couverts par la protection sociale est très restreint.

Le plan de sécurité sociale de 1945 a pour ambition d’étendre la sécurité sociale à


l’ensemble de la population mais aussi de rationaliser la protection sociale par l’institution
d’une caisse unique dans le cadre d’une nouvelle organisation économique assurant le plein
emploi et d’en faire assurer la gestion par des organisations syndicales associées au patronat.
Avec les ordonnances de 1945, dans un contexte politique et social caractérisé par la volonté
d’établir les bases d’une société plus juste et l’affaiblissement de l’influence politique du
patronat, c’est une véritable gestion syndicale qui est instituée.
Le principe de l’élection par les assurés des administrateurs des caisses est posé par la loi du
30 août 1945. Cette loi défend des principes tels l’universalité, l’unité et la généralisation (les
ambitions du législateur étant à la fois d’étendre la sécurité sociale à l’ensemble de la
population et de faire relever toutes les professions d’un régime général gérant l’ensemble des
risques).

Cependant, dès le départ, il est dérogé au principe d’unité : les allocations familiales étant par
exemple constituées en branche séparée.
Les contributions sont multiples : contribution des salariés et des employeurs pour les
principaux risques, cotisations des employeurs pour les allocations familiales.
En outre, le risque chômeur n’est pas couvert.
Les fonctionnaires et les agents des services publics (chemin de fer, électricité…) cherchent à
conserver leurs « régimes spéciaux » du fait de leurs avantages en matière de retraites.
Les artisans, les commerçants, les professions libérales et les agriculteurs, refusant de cotiser
avec les salariés, constituent des régimes autonomes. Ainsi, bien que le système français de
sécurité sociale se généralise rapidement, le caractère d’universalité ne tarde pas à disparaître.
A côté du régime général persiste une multiplicité de régimes autonomes et de régimes
spéciaux, chacun établissant des conditions d’éligibilité et des droits différents.

La réforme de 1967 réintroduit une certaine cohérence, mais sur la base de la diversité
reconnue et organisée. Par ailleurs, alors que durant les deux premières décennies la sécurité
sociale offre surtout une sécurité minimale, à la fin des année 1960 est mise en place une

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réforme qui apporte une amélioration substantielle dans le niveau de remplacement du revenu
opéré par la sécurité sociale.
Dès lors, pour reprendre l’expression de Henri Hatzfeld (1971), le passage à la sécurité
sociale signifie la transformation progressive du statut salarial. Certes, le monde ouvrier
n’échappe pas à ce qu’on pourrait appeler la pauvreté relative, mais cette situation est
compensée par une série de droits protecteurs : assurance contre les accidents du travail,
assurance maladie (remboursement à 75-100% de tous les soins médicaux et des produits
pharmaceutiques), quasi-gratuité des soins hospitaliers, retraite à 65 ans (60 ans depuis 1983)
ouvrant droit à une pension à un pourcentage équivalent à 50 à 80% du salaire des dix
meilleures années d’activité), contrat de travail à durée illimitée, salaire minimum légal
(SMIC). Dans tous les domaines (santé, retraite, invalidité, chômage), les Français bénéficient
d’une protection sociale publique obligatoire généreuse, très favorable aux ménages.

En outre, l’Etat-providence français intègre de nombreuses allocations (familiale, logement)


et des services sociaux en faveur de l’enfance et de la famille.

On peut également citer une action sociale globale à visée scientifique et rationalisatrice et un
ensemble de grandes lois sociales : loi hospitalière (1970), loi en faveur des personnes
handicapées (1975), loi sur les institutions sanitaires et sociales (1975) qui complètent
l’édifice.

On peut y ajouter enfin une politique salariale qui, avec la mise en place du SMIC, intègre
explicitement, jusqu’aux années 1980, une dimension redistributrice.

III – L’Etat-providence face aux défis de la mondialisation

1) Le constat de l’inadaptation de l’Etat-providence classique aux enjeux de compétitivité


qu’impose la globalisation de l’économie :

Pendant trente ans, la plupart des pays industrialisés ont connu la modernisation économique,
la croissance du pouvoir d’achat, la réduction relative des inégalités sociales, ainsi que la
réduction relative des inégalités sociales, ainsi que celle lente et progressive de la pauvreté.
Les vingt-cinq années qui suivent la Seconde Guerre mondiale constituent l’âge d’or des
Etats-providence. En revanche, les années 1980 et 1990 constituent dans l’histoire les
décennies d’une rupture avec cette évolution.
D’une part, les Etats-providence connaissent une crise de financement plus ou moins aiguë
alors même que les problèmes sociaux (pauvreté, chômage) sont accentués.
D’autre part, les fondements philosophiques de l’Etat-providence sont remis en cause par les
néolibéraux. En effet, pour la grande majorité des économistes, la globalisation économique
impose la condamnation de l’Etat-providence. L’accélération de la globalisation de
l’économie rend caduc le rêve d’un Etat social. Les experts dessinent un portrait négatif des
Etats-providence. Le social est devenu une charge pour l’économie et pour la société tout
entière. Il mine la compétitivité internationale des nations avancées et constitue un
prélèvement inacceptable de richesse. La protection sociale n’est plus la réponse appropriée
aux problèmes du monde contemporain, elle est devenue le problème lui-même. En d’autres
termes, les Etats doivent choisir entre le marché libre, créateur d’insécurité mais aussi
d’emplois, ou le maintien de la protection sociale au détriment de l’emploi.
Economiquement, la seule option possible est donc l’adoption d’un modèle résiduel et libéral
d’Etat social. Sous quelle forme pourrait s’articuler cette nouvelle forme d’Etat-providence ?

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2) La nouvelle conception possible de l’Etat-providence :

Au cours de l’âge d’or de la sécurité sociale, les responsabilités principales ont été assumées
par l’Etat qui souvent partage une partie de ses prérogatives avec les partenaires sociaux.
S’agissant de l’intérêt général, l’Etat est l’organisateur légitime naturel. Cette tendance se
retrouve même aux Etats-Unis qui mettent en place une législation fédérale d’assistance santé
en 1965 (Medicaid et Medicare). Ce consensus est aujourd’hui remis en cause. Les modes
traditionnels de gestion des services publics sont jugés inefficaces et dispendieux. La
décentralisation et les accords avec les partenaires privés sont indispensables. La nouvelle
conception de l’Etat-providence affirme que la bonne gouvernance est celle où l’Etat se met
en retrait, perd de sa force, devient modeste et travaille en réseau avec des intérêts et des
groupes privés, en qualité de partenaire à peine supérieur aux autres. Ces experts préconisent
finalement des solutions à la crise : décentralisation, privatisation des secteurs sociaux,
ciblage des prestations sociales, associations des acteurs publics et privés, amaigrissement de
l’Etat-providence, libération des énergies individuelles.
A ce titre, l’une des évolutions les plus sensibles est la montée du niveau local. Dans presque
tous les Etats, même ceux qui sont traditionnellement les plus attachés à la centralisation
comme la Suède, les collectivités locales jouent désormais un rôle majeur dans la mise en
œuvre des politiques de solidarité.

Conclusion :

L’Etat-providence a été une des réalisations les plus significatives du XXème siècle. Il a
profondément transformé le destin des citoyens en leur procurant une sécurité inconnue des
siècles précédents face aux risques de l’existence. Depuis deux décennies cependant, l’Etat-
providence a dû s’adapter à de nouveaux défis économiques et sociaux qu’a imposé la
mondialisation. Par conséquent, alors que les décennies suivant la deuxième guerre mondiale
ont vu croître les droits sociaux et subjectifs en tous genres, les vingt dernières années se
placent plutôt sous le signe de la réduction des dépenses et des droits (fin du remboursement
de certains médicaments, mise en place de la franchise médicale sur les boîtes de
médicaments, les actes paramédicaux et les transports sanitaires depuis le 1er janvier 2008), et
par des réformes qui traduisent un retour vers la philosophie libérale du XIXème siècle.
Une interprétation globale de ce processus peut être pertinente. Ainsi, se fondant sur une
analyse internationale des tendances de la protection sociale dans les pays occidentaux, Neil
Gilbert, dans « Transformation of the Welfare State, the silent surrender of public
responsibility » (Oxford University Press, 2002) défend la thèse de changements essentiels de
politiques, mais masqués par les gouvernements. Il met en évidence des convergences entre
ces pays : limitation progressive des droits automatiques dérivés des cotisations ou des
impôts, hausse des contreparties (devoirs), privatisation totale (Chili depuis 1981, sous
Pinochet, sur les conseils de Milton Friedman) ou partielle des systèmes de protection sociale,
passage de l’Etat social passif à actif, diminution du rôle de l’Etat au profit du secteur privé,
des associations et de la société civile. Neil Gilbert constate que ces réformes sont aujourd’hui
soutenues par une majorité de citoyen, même finalement aujourd’hui en France, ce qui
pendant longtemps n’a pas été le cas (large consensus sur la réforme des régimes spéciaux,
promesse de campagne du candidat Sarkozy, et absence de soutien populaire aux grèves de
l’automne 2007, contrairement à celles de décembre 1995).
La tendance à la démarchandisation, caractéristique de la naissance des Etats-providence, est
aujourd’hui indéniablement remise en cause.

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