Commentaire d’arrêt
Cass., 1 Civ., 15 mai 2002
Alors qu’en matière du droit de la preuve le principe majeur a toujours été «actori
incombit probatio», ou en d’autres termes, « la charge de la preuve incombe au demandeur », la
Cour de Cassation dans son arrêt du 15 mai 2002 rendu par la 1 ère Chambre Civile consacre une
exception très importante de cette règle afin d’obliger le vendeur professionnel à justifier de son
exécution de l’obligation de renseignement à l’égard de son client.
En l’espèce, Mme X... a acquis auprès de M. Y... une automobile qui s’est révélée
accidentée selon une expertise ordonnée en référé. L’acquereur engage alors une action en nullité
de la vente pour réticence dolosive, en soutenant que le vendeur lui avait dissimulé cet accident.
La Cour d’appel par l’arrêt du 24 septembre 1998 a rejeté la demande de l’acheteur au motif que
ce dernier ne rapportait pas la preuve de cette dissimulation. Le pourvoi en cassation étant formé
par l’acheteur, la Haute Cour devait répondre à la question de savoir si la charge de la preuve en
action en nullité pour la réticence dolosive incombait au demandeur, alors même que ce dernier
contractait avec un vendeur professionnel.
La Cour de Cassation par sa décision casse l’arrêt de la cour d’appel au motif que « le
vendeur professionnel est tenu d’une obligation de renseignement à l’égard de son client et qu’il
lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation ».
Alors, dans le cadre d’un contrat dont l’une des parties est un professionnel, peut-il s’agir
du renversement de la charge de la preuve au nom de l’obligation d’information qui incombe au
professionnel ?
Le présent arrêt nous montre que même si le principe général laisse la charge de la
preuve, y compris en matière de nullité du contrat, au demandeur (I), le renversement de cette
charge est désormais admis par la jurisprudence, en présence d’une partie professionnelle (II).
I. Le principe général de la charge de la preuve applicable en droit des contrats
Afin de mieux comprendre cet arrêt de la Cour de Cassation, il sera opportun de partir de la règle
fondamentale en la matière, selon laquelle le demandeur est obligé de prouver la raison de la
nullité du contrat (A) pour passer ensuite aux difficultés d’obtention de la preuve s’il s’agit de la
réticence dolosive, comme en l’espèce (B).
En toute conformité avec la règle du droit romain énoncée au début de ce travail (actori
incombit probatio), le Code Civil français dans son article 1315 dispose que « celui qui
réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». C’est un principe fondamental en
matière du droit de la preuve, selon lequel le demandeur doit prouver les faits dont il se
prévaut. En d’autres termes, la charge de la preuve incombe au demandeur. C’est la raison
pour laquelle la cour d’appel a indiqué en l’espèce que la demanderesse « ne rapportait pas
la preuve », car, en règle générale, c’est elle, Mme X..., qui devait prouver la dissimulation
de l’accident qu’elle invoquait.
Dans cette affaire est soulevée la question de la nullité du contrat de vente passé entre
l’acheteur Mme X... et le vendeur M Y... garagiste. La demanderesse fait valoir que, compte
tenu de son ignorance de l’accident survenu avec la voiture, il existait un vice de
consentement. Si le vendeur n’avait pas dissimulé cet accident, Mme X... n’aurait jamais
acheté cette voiture. Mais quel type du vice de consentement pourrait-on évoquer ? Selon la
loi, il y en a trois : l’erreur, le dol et la violence. Parmi ces trois types, c’est le dol qui semble
être plus proche de la situation de l’arrêt. Cependant, le vendeur n’a pas menti, il n’a fait que
passer sous silence ce que, selon lui, l’acheteur ne devait pas savoir. Comment qualifiera-t-
on une telle conduite ?
Le terme « réticence dolosive » n’apparaît pas dans le Code civil. C’est grâce à la
jurisprudence que cette notion a été dégagée depuis la décision rendue par la Cour de
Cassation en 1958. Dans cet arrêt pour la première fois les juges parlaient du « silence
coupable », en qualifiant du dol le fait de taire volontairement les informations essentielles
pour le consentement de l’autre partie. L’arrêt du 13 février 1967 a apporté une précision
importante selon laquelle la réticence dolosive constituait un vice de consentement même si
l’erreur dans laquelle l’autre partie a été induite ne concernait pas la substance du contrat.
D’après les juges de cassation, ce qui compte c’est le rôle déterminant de cette erreur dans la
formation du consentement de la partie de bonne foi. Ainsi, au fur et à mesure, les
juridictions françaises ont forgé ce concept de la réticence dolosive qui consiste à dissimuler
la verité pour induire en erreur le futur cocontractant. C’est donc une « erreur provoquée ».
L’apparition de cette nouvelle notion dans la jurisprudence pourrait être regardée comme
une évolution positive nuançant la notion du dol et protectrice pour la partie de bonne foi
contre le comportement coupable de l’autre partie, alors qu’avant ce dernier pouvait
échapper à la sanction, faute du mensonge proprement dit.
Cependant, la réticence dolosive représente un vice de consentement qui est très difficile à
prouver, car la conception de la réticence dolosive repose sur l’intention volontaire de taire
tel ou tel fait. Comment justifier de l’intention du cocontractant de ne pas dire ? Comment
prouver que des informations essentielles ont été dissimulées volontairement ? On se
retrouve ainsi devant une preuve diabolique qui échappe à celui qui veut s’en prévaloir.
II. La consécration jurispredentielle du renversement de la charge de la preuve au nom
de l’obligation d’information incombant au vendeur professionnel
C’est en se rendant compte des difficultés d’apporter la preuve de la réticence dolosive que la
jurisprudence a commencé à souligner et à faire apparaître de plus en plus souvent l’obligation
d’information dont est tenu le professionnel envers la partie « profane ». La consécration de cette
obligation a non seulement renversé la charge de la preuve (A), mais aussi a permis de renforcer
la protection de la partie faible, en libérant celle-ci de la charge de la preuve (B).
L’obligation d’information de ses clients sur toutes les conditions essentielles du contrat est
imposée au professionnel comme à une personne compétente en la matière (1) et représente une
exception du principe majeur du droit de la preuve dégagée par la jurisprudence (2).
S’agissant de l’obligation d’information, c’est le professionnel qui en est tenu, car celui-ci
exerce une activité professionnelle et est présumé d’y être compétent. En rendant compte de
toutes les spécificités et de tous les risques éventuels, le professionnel doit en prévenir l’autre
partie qui n’en est pas au courant dans la plupart des cas. C’est dans cette logique que la Cour
de Cassation a statué en l’espèce : « le vendeur professionnel est tenu d’une obligation de
renseignement à l’égard de son client et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette
obligation ».
Comme on a déjà pu voir, le principe général dans le droit de la preuve, selon l’article 1315
du Code civil, consiste en ce que la charge de la preuve incombe au demandeur. Or, en
l’espèce, c’est le défendeur qui est déclaré par la Haute Cour tenu de l’obligation de prouver.
Il s’agit donc d’une exception du principe dégagée par la jurisprudence pour les cas
spécifiques des contrats où l’une des parties est un professionnel. Ainsi, les juges ont admis
cette exception s’agissant de l’avocat (Cass., Civ. 1ère, 29 avril 1997), de l’assureur (Cass.,
Civ. 1ère, 9 décembre 1997), du notaire (Cass., Civ. 1ère, 3 février 1998). L’arrêt à analyser –
celui du 15 mai 2002 – établit la même exception pour le vendeur professionnel. Ces
décisions, venues l’une après l’autre, montrent l’intention forte des juges de protéger la partie
non-professionnelle au contrat, en attribuant la charge de la preuve au professionnel.
Cette spécificité consiste en un déséquilibre considérable entre les positions des deux parties
au contrat, l’une étant un professionnel et l’autre se trouvant plus faible par rapport à la
première. Le renversement de la charge de la preuve a contribué au renforcement de la
position de la partie faible, en remédiant à cette faiblesse par l’absence de nécessité de
prouver la réticence dolosive. L’arrêt du 15 mai 2002 en est très bon exemple.
Cette évolution jurisprudentielle tout récente n’a pas pu échappé à l’attention du législateur.
Résultat : avec la loi n°2009-526 du 12 mai 2009, l’article 111-1 est entré dans le Code de la
consommation, aux termes duquel « tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de
services doit, avant la conclution du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître
les caractéristiques essentielles du bien ou du service ». Cette disposition législative est due
sans aucun doute à l’apport de l’arrêt de la Cour de Cassation du 15 mai 2002, ce qui justifie
du rôle que a joué et, d’ailleurs, continue à jouer la jurisprudence en matière du droit de la
preuve.