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Serge Rivron, journal indit, aot 1988

Baptme
On ne devrait pas dire "j'lve un enfant".
Un enfant s'lve seul.
Chaque couleur, chaque son, chaque parfum, toutes les saveurs, un enfant les a pris
au monde en secret ; et c'est en secret que chaque couleur, chaque parfum, chaque son
alimente ses tristesses et ses rires.
lui, nous ne pouvons que donner, rien d'autre. Souffrance ou bonheur, calme ou
intemprance, c'est selon, et le plus souvent tout ensemble. En vrac il se nourrit par mille
bouches, deux mille oreilles et cent mille yeux, et quand sa joie clate, ou sa colre ou ses
sanglots, il nous le rend.
Parce qu'il a, c'est sa seule innocence, un cur qui bondit chaque incertitude,
chaque crochet de la route que nous ne voyons plus. Un cur tout aimer.
Aimer, voil le mot : c'est un tre d'amour quels que soient les mandres de sa
conception, la stabilit ou les tourments de sa premire terre, les secrets de ses propres
frasques : il aime, et si nous avons quelque chose lui apprendre, si nous avons pu
l'apprendre o que ce soit, c'est couter en lui cette motion bizarre, ce moteur infatigable
qui pousse connatre les choses, de l'couter encore et de n'avoir pas peur de l'offrir en
partage l'adulte qu'il devient lentement sous nos yeux pas toujours attentifs.
Nous avons des enfants, ma femme, et les voyons grandir sans tre vraiment srs
d'avoir t bien plus que l'atelier qui les a fabriqus. C'est un aveu, une certitude et un espoir.
Et s'ils sont notre chair, leur esprit n'appartient qu' eux seuls. Leur esprit vagabonde au
souffle de la vie. Patience. On ne devrait pas dire "j'lve un enfant", on devrait dire :
j'ai donn un enfant, et je vais essayer de lui montrer son Dieu.

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