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sues Bcorchepille we aes De Lulli a Rameau 1690-1730 L Esthétique Musicale Reproduction interdite pour tous pays, y compris fa Sudde, fa Dormdge ct fe Donemark. i5 gore 3908 Published #fipetbeio@6. privilege of Copyright in the United States reserved under the ast approved March 34 1905 "py b.-Marcel Fortin at C. AVART-PROPOS tendant de Ia musique de [a cham- Boe bredu Roy”. be 1* Octobre 1732, 4 Jean Rameau foisait représenter @ Ia salle du Palais-Royal son premier opéra : “ Bippolyte et Aricie ”. Ce sont la dans I’his- : =} toire de Part frangais deux dates importantes puisqu’elles correspondent & deux, mo- ments critiques de notre évolution musicale. ha gloire: de bulli est infimement lige & celle du: grand siecle. Dés 1650, nous troupons le “Florentin” chez le-roi, et depuis 1660. il préside olliciellement aux destinées de notre musique, Sa tragédie lyrique complete l’ceu- pre artistique durégne. Elle correspond au thééfre de Moliére et de-Racine, aussi bien -qu’é l’esthétique de he; Brun ef de. Minsard. Grice a. Pauteur de “quilté'le théatre‘depuis dix ans; Boileau a donné sa De bulli @ Rameau. Aant-Propes. mesure, [a cour a changé, le prince vieilli porte ses regards vers Ia dévotion, et Mme de Maintenon entre dans son regne. h’école de 1660, jadis bril- fante et encouragée par Iq faveur du “plus grand roi du monde ’’, appartient désormais au passé. Tout au contraire, Rameau et ses premiers opéras époquent fe souvenir d’un siécle qui débute. En 1730, houis XV a vingi ans, Voltaire est encore le jeune auteur de Ia “ Benriade ”, Diderot et d’fllembert sortent du collége, Rameau, il est vrai, éiait qu monde dés 1683, mais pendant plus de frente ans il avait erré, menant une vie Iaborieuse, dont l’obscurité n’est pas encore dissipée aujour- @hui, et répant aux. mysiéres de. I’acoustique. . Rameau est inconnu & Paris jusqu’au moment ott son “ Traité d’harmonie ” souléve les polémiques _ des Gazettes, c’est-d-dire jusqu’en 1725 environ. Encore cette renommée ne dépasseru-t-elle point celle que-devait attendre un théoricien de [art sonore. b’opéra pounait seul consacrer le génie et lui donner Ia notoriété. “ Bippolyte et fAlricie ” marquent donc I’apénement de Rameau dans I’his- toire de {a musique. C’est de ce moment que date Viniluence de ce grand homme, et cette glorieuse activité qu’il prolongera jusqu’en 1764. : he demi-siécle qui sépare bulli de Rameau fait ordinairement paupre figure entre Ia splendeur du Roi-Soleil et Ia gloire des philosophes, entre les deux grands épénements de notre histoire modeme : l’apogée de Ia monarchie, et [a Révo- {ution Francaise. ha tristesse de Ic tin du régne de Aaat-Propos. houis XIV, linconséquence et I’ajiolement de Ia Régence, I’attente rapidement décue et l’absence dorientation qui se remarquent G@ Ia majorité du jeune roi, tout cela ne retient guére ’attention de Phistorien. @’est & peine si Montesquieu, dans ses débuts, Fontenelle et Marivaux ont échap- pe @ Poubli of dorment ba Motte - Boudard, 5.-B. Rousseau, Dancourt et tant d’cutres écrivains de ce temps. Il semble cependant que I’on songe a revenir sur cette prévention. Aussi bien |’érudition et la critique se voient-elles forcées de diriger leurs efforts pers [es siécles of quelques découvertes restemt encore 4 {aire. Dans le domaine de Ia musique, un nom de cette période a retroupé son éclat: celui de Francois Couperin. On lui ajoutera sans doute ceux de Dunal, de Rebel et d’Anet, jondateurs de notre école de niolon, et celui de halande, successeur de bulli @ Ia cour, motettiste imposant. Et pourquoi ne rendraif-on pas Ia vie a des compositeurs dramatiques tels Campra, Desmarets ou Destouches, @ des organistes comme Dandricu et Clérambault, @ des chan- sonniers comme Dubousset, a des. symphonistes de salon comme Boismortier ou Corrette ? Mais quoiqu’on fasse, ceite période n’en Testera pas moins une période de transition. C’est la son-caractére essentiel. ha régence de Philippe d'Orléans forme véritablement un interrégne, qui subit Pimpuision du siécle précédent iout en MW Avant-Propos, réagissant contre fui, ei qui annonce trés hardi- ment déj@ fe sigele suivant. Mille tendances contradictoires s’agitent en ce moment dans I’ame francaise et Ia partagent. En politique, c’est le systé¢me des conseils et Ic division des pouvoirs appliqués dans un esprit de complet absolutisme. @’est Ia fortune exiravaganie du Mississipi coin- cidant avec Ie détresse financiére de Ia France. En philosophic c’est Ia vicioire des dépots, Venvahissement des abbés de toute robe, et absence @ peu prés totale du sentiment religieux. En littérature, c’est fe Iyrisme dont on croit avoir retroupé Pipresse qu moment oi: friomphe I’esprii scientilique; c’est l’idée de progrés ef Ia tradition se heurtant en des polémiques conluses et sans résultats. Partout des fois qu’on ne peut appliquer: et une pratique qui désarme Ie iégislateur; partout des systémes qui ne fiennest pas compie des Iaits et des réalités que ia raison est en peine de légitimer. Partout le compromis, {a demi-mesure, Péquivoque. Ei ne sont-ce point Ia les fraifs distinctifs de [art contemporain @ {a fois précis et Daporeux? Mascarades de Watteau, mythologies de _ Couypel, pigces de Couperin ef concerfs d’Alnet, ' émotions fugitives transposées dans. le. domaine + du réve, et cependant si prés de ‘fa ‘bie, si- terre’ a ‘esihetiquetrangaise de1715s’ins- b'Esihelique ~ pire des mémes tendances que oo toute notre esthétique classique dont elle continue esprit. Nous Boudard, chez Pluche, chez Pabbé Dubos comme chez Boi- Iequ etchez ba Barpe une concep- = tion de [abeauté quineiorme pas @ proprement parler un systéme. philosophique mais plutét un état d’esprit général auquel chacun’ se soumet involontairement, et dans lequel on distin- guerait aisément Viniluence de Platon et celle. d’flristote. be point de départ commun @ toutes ces doctrines, le postulat fondamental qui les soutient et auquel il faut toujours Jes ramener, est une sorte de foi anengle en Ia toute puissance de nos jacultés rationnelles. Nous ne saurions discu- \ fer apec un contemporain du. Régent si nous n’adoptions ‘cette attitude rationaliste, si nous ne nous soumetiions par avance au dogme de Piniaillibilitg de Ventendement. fl iaut donc nous attendre & rencontrer dons [’examen de ces théories, et dés nos premiers pas, une particlite naive en iapeur de tous les états de. l’ame auxquels notre raison participe, ainsi qu’une pré- vention ahsolue contre tous ceux qui lui échappent. Nous nommerons ceite conception de Tart, “ Pesthétique objective ”. Objective en effet, et au sens philosophique du mot, est une doctrine comme celle-ci qui repousse “ a priori ” tout arbitraire, tout ce que I’ame n’est pas capable de démontrer par {a logique de esprit ou par la force des déductions. Objective encore est cette préférence marquée pour le monde des objets et des représeniations sensibles, dont Ia critique de cette époque ne se départ jamais. Nous le verrons bientét, le public francais de 1700 perd aisément contenance forsqu’il ne se troupe plus en face de «= données formelles et que son imagination cesse Were guidée par fe secours du iangage verbal. Son jugement hésite alors et devient hostile. Tout i qui ne peint pas un objet aux yeux et @ l’esprit,- jfout ce qui ne sauraif se traduire par une image | plastique, demeure en quelque sorte étranger &@ - cette mentelité. fAppliqués par les doctrinaires du beau, ces préoccupations objectives ont inspiré une doctrine qu'il est facile de résumer brigpement et d’aprés: laquelle l’art serait avant tout une simple “ fiction”. Il est evident en effet que {a valeur objective d’une ceupre d’art est minime ef secondaire, surtout lors- quil s’agit de musique. be principe subjectif et arbifraire de [art apparait toujours en quelque facon; ef, supprimer le gout particulier, I’inspiration sentimentale, c’est faire disparaitre le phénoméne artistique Iui-méme. En soi, l'art n’est donc autre chose qu’une feinte aux yeux des objectivistes. Mais cette fiction depra se soumettre aux exigences du systéme ; c’est-d-dire qu’elle s’approchera de Ia “Tiature ” autant que possible, elle en sera si l’on veut {a transposition cimable ef utile, “ limitation”. Remarquons aussif6t qu’il faut entendre par ce mot de nature, non pas tout (’ensemble des phénoménes passagers qui nous enpironnent, meis une nature choisie, immuable et typique, dent Ia raison se plait a depiner existence derriére Ia multiplicité des contingences. Cet accord nécessaire entre Ia fiction et Ic nature s’effectuera par le moyen d’un intermé- dicire ingénieusement concu qui sera Ia “ vraisem- blence *. Comme son nom I’indique, [a praisem- blance. particine & fa fois de ta vériié objective ei du sentiment personnel; elle identilie dans un méme concept le réel et Ie feint. Elle saupe l’esthétique @une dualité menagante. en réconciliant, ou plutét en juxtaposant deux coniraires : le moi et fe non- moi, ce qui dépend.de nous ef ce qui n’en dépend pas, Fiction, imitation, vraisemblance ce sont les trois racines de Ia conception francaise du beau bers 1700. Elles supportent tout le poids du syst¢me ef suffisent @ le mainienir dans un équilibre tout au moins apparent. : Inutile d’exposer avec plus de détails ces données essentielles d’une doctrine parfaitement connue. he lecteur francais est élepé dans Ia fami- licrité de imitation naturelle. On fui en inculque les principes & I’école et il en retrouve ’idéal jusque. dans son art officiel. Par contre, il convient de pré- ciser dans quelles limites s’est maintenue cette esthétique @ P’époque oi nous I’éiudions et 4 quelles conséquences il fui a plu de s’arréter. Prenons comme guide et comme exemple ha Motte, Pacadémicien libreitiste, oracle du bon goit,. et sans doute avec Fontenelle i’esprit le plus pénétrant de ce sigcle intellectuel. ba Motte s’est non seule- ment exercé avec succés dans tous [es genres littéraires, depuis Ie livret d’opéra jusqu’a Ia traduc- tion, mais ila aussi cherché les lois de ces genres et de l’art lui-méme, avec une persépérance et une __-Sincérité admirables. “ On dit, écrit-if quelque part, que Ia poésie n’est qu’une imitation de Ia nature, mais cette definition pague n’éclaircit rien et if faut savoir quel sens on attache au mot nafure et au mot imitation. Eniend-on par nature tout ce qui existe, fous les objets, tous les curactéres particuliers des hommes? Si on l’entendait ainsi et que toute poésie jut bonne dés qu’elle imite un objet réel, on serait autorisé @ peindre {es objets les plus rebutanis, les , plus froids et les plus bizarres. Qui dira que ce ' serait fa de fa bonne poésie? It faut donc entendre par ce mot de nature une nature choisie, c’est-d-dire des caraciéres dignes d’attention, et @ des objets qui peuvent faire des impressions agréables. Je demande encore ce qu’on entend par ce mot d’imi- tation. Est-ce une ressemblance entigre et scru- puleuse de [objet qu’on peint? Si on [’entendait ainsi, on retomberait dans les inconvénients que j’ai déja marqués. II faut donc entendre par imitation, une imitation adroite, c’esi-G-dire l’art de ne prendre des choses que ce qui est propre 4 produire {’effet qu’on se propose. Car, poursuif ba Moite, “ I’auteur ne saurait réussir qu’autant-qu’il parait porter les mémes jugemenis que les autres hommes en portent, ef nous ne goiiterions pas un ouprage s’il wétait conforme a ce jugement du naturel du cceur humain’’. “hes lecieurs ont leur orgueil aussi bien que les auteurs; ils leur pardonnent tant qu’ils font @ peu prés aussi bien qu’ils pourraient faire eux- mémes. Je peux bien admirer un auteur pourvu qu’il reste souvent dans ma sphére, mais s’il me réduit a l’admirer toujours je secouerai Ie joug, et pour me mettre @ mon aise, j’irai jusqu’d penser qu’il paut encore moins que moi, puisqu’il ne sait point éfre naturel” Et ba Motte conclut : “* ma mesure est ce qu’il me plait d’appeler naturel ”. be caractére fictif de tout art et sa praisemblance obligée apparait ici trés nettement; et ha Motte n’a pas craint d’insister sur ce point. b’art n’est &@ ses yeux qu’un voile léger qui dérobe un instant !’éclat de Ia vérité ; et dont fe role ou pluist ’excuse serait Réfiextons sur la Crit. p. 189 Disc. sur Bom. p.90 Disc. s, t’é- glogue p. 309 Dise. | s. fa Trag. Terrasson. Dis- sert. p. 156 ba Motte. Disc. 4 surlaTrag.p.384 « « de ne Icisser apercepoir les objets que par réflexion, de feindre qu profit du vrai et de son aveu méme. ” Seule Ia forme relépe de beauté et lui appartient en propre d’aprés cette doctrine. “ 5’en- tends par poésie, dit notre auteur, les expressions audacieuses, les figures hyperboliques, et tout le Iangage reculé de Pusage ordinaire et particulier aux écripains qui font profession d’idées rares ” flussi Ia mise en ceupre artistique est- elle @cutant moins indispensable que Ia matiére est plus importante ou autrement dit “ Ia forme est dautant moins insignificnte que le fond I’est dapaniage. ” Par exemple “ Racine a mis moins du sien dans flthalie que dans d’autres ouvrages out [a matigre I’c moins soutenu..... ” Tandis que “ Pindare a fait [es derniers efforts pour donner @ son sujet un relief emprmié. @’est ce qi a produit ces idées, ces fours, ces expressions extraordinaires qui curaient éfouffé pour ainsi dire des objets véritablement grands..... ” Un des meilleurs secrets de Vart c’est “ de se défier assez de son esprit pour ne pas s’embarquer légérement, ou compier paincre le vice. du fond par I’cbondance des omements, et de se croire toujours assez faible pour avoir besoin d’une -maligre heureuse et bien disposée, capable de plaire encore par elle-méme quand on ne Ia rem- plirait que médiocrement ”. De quoi peut donc bien s’enorgueillir le poéte, “ d’un art-plus pénible qu’important, d’exprimer. quelquefois apec grace et avec force des choses communes que d’autres pensent et sentent sans en étre pains! De. quelque facilité @ peindre des images, a rendre des senti- ments! Tout cela bien apprécié n’est qu’une imagination heureuse, mais qui pour l’ordinaire nuit qu jugement @ mesure qu’elle est forte et dominante”’, “ Si j’ai moi-méme suipi les exemples Réi. s. tc ont. des poétes lyriques, nous avoue be Motte, c’est »" par pure déférence au goiit établi gui fait regarder ces saillies puériles comme un enthousiasme sublime. Madame Dacier peut-étre ne me croira pas, mais j’ai souvent ri tout seul de cet orgueil lyrique dans le temps méme que je m’y prétais, et j’en demande pardon aux gens raisonnables. ” id. Ne croyons pas que ces conclusions soient personnelles & ha Motte. b’auteur des “ Réflexions sur [a critique ” est d’accord apec. tout son siécle, Ici c’est par exemple Frain du Tremblay écripant : “Un bel esprit de ces demiers temps disait que les prais honnétes gens ne font guére de difference entre le meéfier de. poéte et celui de brodeur; en effet, si on peut bien se passer de brodeurs sans que le public soit moins @ son aise ef moins. heureux on pourrait fout aussi aisément se passer de poties. ” ba, c’est le “ Mercure ”, ordi- p. 302 Dairement si peu audacieux, qui apoue que “ Ia gloire du philosophe parait ’'emporier en un sens sur celle du poéte; car celui-ci'a beau dire les plus profondes périiés, il n’est jamais censé parpenir jusqu’a Ia. découverte qui est presque [’unique Art. poet. p. 82 Massieu. Dif. de fa poésie. gloire de l’esprit humain. II n’y parpient pas non plus; ii ne voit Ia périté que comme il Ia présente, sous le voile, dens le nuage. @’est par une espéce | @ instinct et d’enthousicsme qu’il la saisit comme en passant.” En.un mot, un sentiment superiiciel fait les poétes, un sentiment profond ies détruit. Et cha- cun s’efforce de trouver une explication a ce goat singulier de fiction qui porte les hommes vers [’erreur et pers l’obscurité. “ ertes, c’est un sujet d’éton- nement assez grand, s’écrie le pere hamy, que les hommes prennent moins plaisir é considérer les cho- ses que les images et que le praisemblable leur plaise plus que la périté... Personne cependant ne veut étre fromné, et si l’on prend plaisir & voir les enchante~ ments ce n’est pas l’erreur qui plait mais [’adresse avec laquelle [’enchantement nous a trompé. ” b’art ne seraif-il point un reste de barbarie? “Ne cherchons dans les ichles que I’histoire des erreurs de [esprit humain, dit Fontenelle.” bes premiers poétes virent le godt du mensonge. Comme ils étaient ies premiers philosophes, ils comprirent qu’ils tente- raient inutilement de changer les hommes et crurent que le seul parti @ prendre c’était de tirer parti d’un mal nécessaire. ”’ Ou bien encore : “ ha trop grande facilité que Von troupe @ découvrir [es choses affaiblit ordinairement les désirs. hes premiers phi- losophes ont cru qu’ils depaient envelopper Ia nérité sous des fables et des allégories ingénieuses, afin que [a science fut recherchée apec plus de curiosité ou qu’en tenant les esprits appliqués elle y jetat des racines plus profondes ’’. “ Depuis le péché originel, Phomme est tout enfoncé dans les choses sensibles; . Vest 1@ son grand mal; il ne peut étre longtemps attentif @ ce qui est abstrait. Il iaut donner un corps @ foutes ces instructions qu’on veut insinuer dans son esprit. De I@ vient que sif6t aprés Ia chute du genre humain, Ia poésie et l’idolatrie, toujours jointes ensemble, firent toute Ia. religion des anciens ”’. Il faut donc se résigner; tant que le prai aura besoin d’emprunter [a figure du faux pour étre agréablement recu dans [’esprit, “ on depra donner des lecons de raison et de sagesse sous le voile de Ia olupté. et de Ia folie... Sans doute viendra-t-il un temps ou [on ne parlera que le Iangage exact et sépére de Ia raison. Mais _e temps est bien éloigné de nous car il icudrait que fous les hommes puissent entendre ce langage. Pourquoi ne seraif-il pas permis d’en emprunter un quire pour parler @ ceux qui n’entendent pas celui-ig?”” ba liste de ces témoignages. pourrait indéfiniment s’étendre, tandis qu’il serait inutile de chercher'@ ce moment une défense véritable- ment efficace du poéte et de son art. Tous ceux qui plaident en iapeur de [a beauté parmi les comtemporains de ba Motte, la considérent comme un mal nécessaire; ifs lui cherchent une excuse dans Ia tradition, ils poudraient Ia justifier par quel- qu’utilité tout au moins accessoire; mais ils ne s’avisent pas.un seul instant qu’elle ait un rdle & jouer par elle-méme et par sa propre veriu. Ils sont Bonnet. Bist. de Is danse, p. 260 Fontenelle. Disc. de Eloquence II Voltaire. Pucelle Ed. de 1730, Préf. G la fois trop pénétrés de l’esprit d’objectivisme pour mettre en doute [a doctrine de I’imitation naturelle ef trop perspicaces pour ne pas en décou- prir les conséquences extrémes. Avec des raison- nements comme ceux de Terrasson et de l’abbé Pluche, nous fouchons qu dernier terme de I’épo- lution de ce qu’on pourrait appeler “Tl’esthétique de Pentendement”’. On n’ira pas plus loin, et Page suivant, celui de Volfcire et de Rousseau, depra revenir en arriére ou s’orienter vers un idéal nou- peau. Geite attitude intransigeante dont rien n’arréie la logique, cette volonté de parvenir @ une solution délinitive, caractérise les doctrinaires de 1715. Elie fait ¢ nos yeux leur mérite parce qu’elle nous permet de constater d’aprés eux, et pour ainsi dire expé- rimentalement, & quelies conclusions nous entraine Jatalement ’acceptation de ces principes objectifs. Elle donne aussi 4 toute leur école une place a part dans histoire de notre esthétique, en Ia distin- guant de I’école précédente. ba querelle fameuse des “flnciens” et des “Modemes”, premier aete d’hostilité entre fe siécle de bouis fe Grand et celui de I’Encyclopédie, n’est-elle pas née a@ ce moment méme et de cette émancipation de l’esprit géométrique 2 Remarquons-le bien, entre Boileau ou Madame Dacier, et ba Motte ou Perrault, les divergences ne propiennent aucunement des principes, mais des conclusions seules. Tous ces critiques partent exaciement des mémes postu- fats et cheminent dans Ia méme poie. Mais les. finciens s’arrétent cu moment oii ils apercoipent les dangers de ieur entreprise, c’est-d-dire Ia con- damnation de l’art lui méme. bes moderes au con- fraire passent ouire; ils prennent plaisir & pousser jusqu’au bout leurs idées. Et Ia lutte n’est précis¢- ment aussi Gpre que parcequ’elle se livre entre gens de méme.parti ef de menialiié tres poisine. En réalité, fa théorie des flnciens est uniquement jondée sur Ia tolérance; elle n’a d’autres arguments a opposer que ’habitude d’un ceriain godt et cette bienpeillante prépention autorisée par i’usage. Ii fui - plait d’admetire les ‘“ ornements égayés”’, les procédés de fiction; tel est son bon plaisir; Ia tradition l’encourage ef fe public aussi. Mais pour prouper ce qu’elle apance il faudrait démontrer que fe point de nue qu’elle a choisi vaut mieux que celui de ses adversaires. Or ces deux points de vue étant précisément les mémes, le probleme, mal posé, demeure insoluble, ef se perd dans des argumentations confuses. hes Modernes ignorent ces réficences ef ces embarras; ils suipent la raison sans enfraper la marche. de ses déductions. horsqu’entre Ia nature ef Ia fiction ils remarquent Vessentielle contradiction que les anciens dissi- Mulent derrigre les préjugés traditionnels, ils whesitent pas @ se prononcer, ils se déclarent en fapeur de Ia science et de Ia vérité, contre liné- pitable mensonge de {’art. En un mot l’esthetique frangaise s’apercoit, pers 1700, qu’elle tourne fe dos @ Patt-lui-méme; elle en fait Papeu et se félicite de cette découverte. C’est [4 son originalité. Mais pourquoi vouloir appliquer a I’étude du beau une conception et une méthode aussi embar- rassantes ? Pourquoi persister ainsi dans un objectivisme of [art n’arrive pas @ trouver sa place ? b’imitation de Ia nature, avec sa fiction et sa praisemblance complémentaire, offrait-elle donc Pintérét d’une spéculation philosophique indiscu- table, apait-elle de quoi séduire des esprits clairvoyants ef logiques? MNullement et bien au contraire. b’imitation teile que ia délinit ba Motte, la nature comme il "imagine, n’ont de réalité que dans l’esprit qui ies congoit. Ce n’est pas de “Ia” nature qu’il s’agit en ce moment, mais de “notre” nature. “(a mesure est ce qu’il me plait d’appeler naiurel”’ nous dif [’auteur d’Inés. Fort bien! mais alors ce mot de nature n’a plus d’autorité. Tout Ie sustéme si bien ordonné repose sur l’arbifraire du got personnel. Car Iq réalité des données objecti- pes, cette conjormité entre un monde soj-disant extérieur et nos propres réactions psychologiques, n’est concevable et défendable que dans Ia mesure oli nous croyons étre sirictement éfrangers @ Ia production de ces données elles-mémes. Dés que nous interpenons pour en modifier Ia valeur, Ia combinaison ou Ia genése, leur prétendue objectivité s’épanouit. II ne reste plus que nous en face de nous-méme. Imiter Ia nature de cette fagon c’est suipre notre propre sentiment, c’est nous laisser guider par une volonté dont nous sommes les arbitres, et chercher hors de nous ce dont nous portons déja !’image dans notre ame. Une telle doctrine n’est qu’un trompe-I’ceil, et ne se soutient que par Ie jeu des mots, Quelques termes différents, habilement choisis if est vrai, cachent ici une simple tautologie. be succes de cette esthétique a donc une toute autre cause que sa valeur philoso- phique. C’est par son ufilité toute pratique qu’elle exerga et exerce encore aujourd’hui un veritable aitraif sur Ia critique d’art. Que désire en effet le doctrinaire de 1700, ou de 1660, et de fous les femps? Donner & son jugement une objectivité indiscutable, @ laquelle chacun scit oblige de se soumettre. Voila pourquoi il invoque Ia nature et prescrit J’imitation. Mais ne croyons pas qu'il entende s’abandonner cpeuglément @ cette nature qu’il prend pour modéle. be poudrait-il méme qu'il ne le pourrait pas. Fut-il résigné au nafurisme le plus exact, son attitude n’aura jamais. le désinté- ressement de celle du savant, placé en face d’un phénoméne scientiliquement constaté. h’esthéticien ne se soucie pas et ne doit pas se soucier de tout ce quiést, mais seulement de “ce qui est-beau”. Or le beau sera toujours pour lui, dans une ceriaine mesure, ce qui lui semble beau. b’objectivisme sincére se trouperait donc sur le terrain esthétique en facheuse posture, si Ia praisemblance ne venait @ son aide. Grace 4 elie le critique redevient maitre de son jugement et - ceci seul est [important - sans que ce jugement semble perdre de son objectivité. C@’est alors qu’apparait l’utilité de ce systeme a double entente. Ge qu’on nous donnait d’une main on nous le reprend d’une ‘autre sans que nous y prenions garde. Nature et fiction, raison et sentiment, Ia réciité et Part, ces termes qu'il s’agissait Widentifier, se trouvent tout @ coup réunis dans une équation séduisanie. Notre bonne foi est sur- prise. Dans ce concept de nature, paré de tous ceractéres de l’objectivité, fe critique a fait entrer au préalable, et peut-étre Gson insu, ses préférences . et ses gouts, ce qui lui permet d’étre juge et partie sans en avoir [air et de condamner & coup sér. b’objectivité n’existe plus, mais c’est encore et toujours un prétexte qui nous en impose, une formule qui nous gblouit. he but est donc atteint puisque le jugement demeure tout @ Ia fois im- pressionniste et dogmatique. bes apvantages d’une pareille méthode sont évidents. On ne saurait ima- giner un moyen plus aisé de trancher toutes les discussions. S’agif-il par exemple {et cet exemple est choisi entre cent mille) de condamner les innopations d’“ Bippolyte et Aricie’’, le journaliste de 1732 s’écriera aussit6t : “Si le difficile est le beau @’est un grand homme que Rameau ; Mais si le beau par apenture Wétait que {a simple. nature : Quel petit homme. que Remeau.” Et voila Rameau hors de limitation, donc hors: Ia loi esthetique. Cette épigramme de quelques vers nous fait saisir le procédé, que nous reirouperons partout, dans Ia critique objective et nous explique le succés de_ Vimitation naturelle. Tous les polémistes du siécle, — depuis ies défenseurs de bulli jusqu’é ceux de Gluck, useront de cette arme commode, de cette doctrine complaisante. Tous se réclameront d’une entité & laquelle chacun, bien entendu, donnera un sens different. De 1@ cetle confusion, cet enchevé- trement, de la ces querelles. esthétiques intermina- bles et oiseuses, dont personne ne sort painqueur, parceque les adpersaires argumenient dans le vide, et se gardent toujours de définir les termes qu’ils_ emploient. Jamais il n’a été plus question de nature | ef de naturel qu’a celtic époque ol fe factice ei Vartificiel triomphent. b’école des Modernes, celle — qui a produit le “ Séthos ” de Terrasson, lzs “Egloques” de Fontenelle, “l'Europe galante” de Campra, et toutes les bergeries mythologiques des cantatistes; marque un retour pers.Ia préciosité, bien _ plutét qu’un progrés vers Ia respectueuse imitation des réalités extéricures. Nous apons pu ba Motte protester avec énergie contre ie vérisme auquel fe . conduisait si naturellement.ses propres doctrines. bui aussi, comme jadis Boileau ef Ronsard, enterd “faire un arf @ sa mode”, c’est-d-dire tirer parti de la nafure sans se soumettre & elle, imposer son goat en l’extériorisant. : En. se formulant comme nous penons de Ie - voir, [’esthétique francaise. cherchait avant tout terrain de résistance, un instrument de combat. Anciens et Modernes, tous s’efforcent de limiter étroiiement l’idéal artistique afin d’étre maitres souperains dans ce domaine choisi par eux. Chacun cherche @ rétrécir le champ oi! s’exercera Ia liberté du poéte ou du musicien, porcequ’il espére échapper ainsi Iui-méme & Iq iyrannie d’un gout qui n’est pas le sien. Cette lutte est de fous les temps. b’art n’est si souvent pris @ partie que parcequ’il se dérobe aux efforts de I’entendement. En musique surtout, le phénoméne esthétique reléve d’une force instinctive qui se manijeste aveuglément et qui n’appartient pas aux catégories de l’esprit proprement dit. C’est précisément cette spontandité, ceite inconscience que Ia pensée intellectuelle considére comme un danger, et cela au nom de Iq liberté méme de la raison qui se sent menacée par une puissance occulie. Entre Ia pensée scientifique et le goat du mysiére, entre le raisonnement clairvoyant et l’in- {uition obscure il y aura toujours un antagonisme irréductible. Fontenelle est peut-étre Ie seul a cette : époque qui ait entrepu [a raison de cette humeur antiartistique de l’esprit géométrique. b’inspiration, dit-il quelque part “est comme indépendante de nous, ef ses opérations semblent avoir été produites en nous, par quelque étre supérieur qui nous a fait Phonneur de nous choisir pour ses instruments.” Et il ajoute avec amertume “I’esprit ce n’est que nous; nous senions trop que c’est nous qui agis- sons.... Doila Ia cause de Ia préiérence que I’on — donne vofontiers au talent sur l’esprit.”” “Eh quoi, s’écrie-t-il encore, ce qu’il y aura de plus estimabie _ en nous ne sera~ce donc que ce qui dépendra le moins de nous, ce qui agira Ie plus sans nous- mémes, ce qui aura le plus de conformité avec : Vinstinct des animaux?” Et il conclut: “les pearineasiaae hommes augmentent leur malbeur per leur impétuo- gucon. 7 sité aveugle, qui les met absolument @ {a merci du hasard. Nous pouvons quelque chose pour notre bonheur, mais ce n’est que par nos facons de penser... Réduire l’ame @ Ia connaissance voila le but du bonheur.” Et c’est aussi le but de toute du Bonbesr. cette école critique, qui va se montrer plus absolue, plus exclusive que |’école précédente. Nous avons peine aujourd’hui & comprendre cette loi de confinuité dans la négation de l'art qui unit Pesthétique de 1715 @ celle de 1660, tout en les animant [’une contre I’autre. Il faut se persuader cependant qu'il était impossible aux modemes d’atiaquer.de front les anciens, et d’aller “au fond: des choses”; ils ne poupaient songer @ opposer un goat répolutionnaire a une tradition glorieuse, et se répolier @ ia maniére des romantiques du © XIX¢ siécle. Bien plus habile ef plus naturelle était Ia tactique qui accepiait Ia conception’ du régne précédent pour en déduire logiquement toutes les conséquences possibles, et surfout ‘les. plus absurdes. Aussi ba Motte ef ses partisans s¢ gardent-ils bien de reprocher @ Boileau d’apoir pu Pantiquité “@- travers son temps. Is prepnent au contraire et pour leur compte cette attitude un peu ‘ heutaine, ce désir de tout codifier d’aprés {eur propre gout, cette méfiance du sentiment qui “phantastique’”’, ef cette assurance enlin qui se croit en possession de Ia nérité et de Ia periection en toutes choses. flinsi se lorme, sans qu’il y ait réaction, et par Ia seule evolution des idées, un esprit nouveau qui va bientét éliminer, condamner, ce qui faisait encore l’objet de I’admiration ins- finctive et Ia respectueuse tolérance des artistes du grand roi. be critérium de 1660 apparait timide, fait @ Ia mesure de ceux qui [’apaient tormulé, et sans objectivité. il ne reste qu’d démontrer cette périté pour échapper a fa tutelle des Anciens et pour en arriper @ lesthetique eliminatoire des Modemes. hes fnciens se méficient du sentiment artis- fique, fes Modermes pont le mépriser ouvertement.- Bossuef poyait “un grand creux dans les fictions de esprit humain”, Terrasson définit le poéte “up menieur de profession qui.ne mérite pas d’étre cru; méme dans ce qu’il dit de vrai.” Un choix éclairé dans J’imitation ne suilit plus, on exige une sélection absolument rigoureuse, une pariaite analogie avec les phénoménes de Ia nature. On se réclame de Ia Raison et de la Geométrie. Dans cette rivalité oi chacun enchérit c’est fe principe méme de l'art qui est. menacé. Mais personne ne semble s’en douter. II s’agit d’opposer @ Pintolérance de [’usage,. une intolérance plus - absolue ef mieux justifiée. “Yous n’avez point le sens du beau”, écrira bien en vain Ia coura- geuse Madame Dacier. hes modemes répondraient volontiers qu’il leur importe peu, et ils suppri- ment d’un coup tous !es conflits en supprimant leur objet méme. Gar & cette “ beauté’” toujours variable et toujours contestée, ils substituent fa “ périté”’, qui seule se proupe et s’impose. ba conception objective de Part animera donc également toutes ces polémiques, elle convient aux différents partis; et nous n’en rencontrerons . point d’autre au cours de cette étude. Sa conti- nuelle présence soutiendra les argumeniations les plus hostiles, et bien souvent compliquera les discussions en les rendant par avance inutiles. Elie nous guidera cependant, en nous rappelant toujours qu’a cette époque, nature signifie raison, c’est-d- dire : “état particulier & I’entendement qui juge.” b’ESTBETIQUE et bA CRITIQUE MUSICALES J proprement dite. hes lives les siecle a se faire l’écho des con- versations doctes ou enjouées que les concerts, Vopéra, les académies font naitre @ tout moment parmi les honnétes gens. Ei bient6t les enquétes. et les polé- miques: propoquées par le plaisir @ Ia mode force- ° ront I’intérét des littérateurs. “ Qu’est-ce, en un mot, que Ia musique? se demande le “Mercure”. Simple effet d’un heureux hasard ? Présent de la-nature ou triomphe de I’art? Est-elle libre ou dépendante ? Comment avec tant de douceur, Foujours vive, foujours charmante, fa Sot brochures, les périodiques com- . mencent vers Ia fin du XUIl< - ‘a Mercure, pop. 1728, p. 2504. Saii-elle triompher des cceurs? Quel est cet atireit sympathique Ge son aitendrissant, ce murmure fictteur ? Ge doux je ne sais quci qui réveille et qui pique, Qui suit le trouble et Ia Iangueur, ‘Et qu’on sent mieux qu’on ne |’explique ? Comment ia musique prend-elie place parmi les autres arts; comment s’accorde-t-elle avec la poétique recue. Est-elle une illusion, un danger, un bieniait, un progrés? Jusqu’é quel point depons- nous nous liprer @ ses charmes? Ces questions et mille autres semblables se pressent devant un pu- blic de plus en plus avide des joies musicales. A Peffort de bulli, al’intrusion de Ia nouvelle musique italienne, succéde une littérature dogmatique et critique dont nous ne connaissons plus guere aujourd’hui que les démélés de heceri contre Raguenet, et qui se trouve disséminée dans une infinité d’ ouprages pariaitement oubliés. ha musique | quitte les traités polumineux oi elle avait pour ainsi : dire rassemblé ses forces théoriques aux siécles précédents, par les soins des Cerone, des Salinas, i des Kircher. Que pounait-elle encore produire en ce genre aprés Ia gigantesque ‘‘ Barmonie universelle”’ du Pgre Mersenne, cette “ Somme ” de !’art mu- sical? De méme qu ’elle. cbandonne |’ampleur des eathédrales. pour. émigrer pers; Vopéra, pers le concert spirituel, de méme elle déserie les in-folios, et enpahit les gazettes. Du haut ea:bas du Parnasse a elle fait sentir so présence. ff p’est peut-étre pas un de ces petits ouprages de circonstance ef d’actualité, recueils, amusemenis, biblicthtques, almanachs, qui ne contienne une pensée, une anecdote, une dissertation, une poésie sur l’art dont chacun est épris. hes ebbés et les péres, arbitres de Ia rbéto- rique, Paccueillent dans leurs traités; les beaux- esprits fui réservent une place dans leurs ceupres complétes; fes “ Anciens ” et les “ Modemes ” -cherchent & ’entrainer dens leurs luites, et I’épisode final de cette guerre fameuse se livre autour de Popéra. Qui s’attendrait @ voir paraitre Ia musique dans [a traduction de Vitrupe de Perrault, dans Ia “ Dissertation sur Bomére ” de Teirasson, dans le “Manuel d’Epictéte”” de Dacier? Partout oii il s’agit de littérature et d'art, partout cit esprit curieux s’agite et s’inquiéte, apparcit le phénoméne musical, tel un fait noupeau qu’on ne peut plus ignorer, et dont Ie lecteur entend qu’on I’eniretienne. Toute cette éclosion est sans doute un peu hétive, et plus capable de nous renseigner sur !’état des esprits, que vraiment susceptible d’éclairer Pobscurité des problemes esihétiques. ba faute v’en est-elle pas imputable au public pour qui ces ouprages ont éfé concus, et peut-étre aussi a Ia nouveauté méme des expériences musicales qu’on S’efforcait de commenter et de formuler. be lec- teur francais de 1700 anpréhende tout ce qui ne lui est pas iamilier; pour entrainer sa pensée loin _ des chemins qui lui sont habituels, if faut mille précautions, mille ‘mesures. ha nouveauté le pique mais [inquiéte, Ia profondeur {’éloigne ; il ne redoule rien fant que l’effort, et il songe avant tout & se jouer & Ia surface de ce qu’on Jui présente. Meigré ses allures dogmatiques if ne tient pas a poursuivre bien loin des recherches délicates entre toutes; ef sa curiosifé, assez rapidement épuisée, se coniente cisément d’idées générales. D’ailleurs ic somme des connaissances musicales qui alimen- fent cette curiosité n’est pas encore trés considé- rable. Houblions pas que, pour Ie gros des - honnétes gens, le musique sous Ia Régence se réduit en quelque sorte & Popéra ef & ses déripés. ba Musique instrumentale, malgré son rapide —essor, malgré Vintérét historique que nous Iui porions actuellement, est encore au temps de Couperin uae nouveauté qui n’a pas eu Ie foisir de s’imposer délinitivement @- I’attention. publique. Nous alions voir bient6t combien ses droits a existence furent discutés, mis en question et par des doctrines éminemment francaises. b’insufii- sance des arlistes, et surtout des amateurs, les imperfections de {’exécution, empéchérent assez fongtemps Ia grande masse des quditeurs de se familicriser avec Ic musique pure. b’impatiente apostrophe de Fontenelle: “Sonate que me peux~- fu? ”, caractérise on ne peut mieux cette indifférence des contemporains & l’égard des réalités auditipes, lorsqu’elles se présentaient depant eux seules. et sans Ie secours d’associations - perbales ou. pisuelles. ba musique dramatique est au contraire dés 1715 une source de jouissances connue de tous les gens éclairés. borsqu’il est question de l’opéra chacun peut se reporter &@ ses souvenirs personnels. Al Paris comme en province, l'art de bulli a déci- dément pris place dans Ia culture générale; il jouit d’un prestige .incontesté, et d’une faveur que tout le monde n’approuve pas, mais dont personne n’ignore ia nature. Par sa gloire, par le spectacle de ses machines et [’influence presque journaliére de ses représeniations au Palais-Royal, Ia tragédie lyrique penaif de répéler une puissance qu’on ne connaissait plus depuis longtemps & Ia musique profane; elle apait transformé un état d’ame Ie plus souvent fugitif et insignifiant en un sentiment vivace gui cherchait a prendre conscience de {ui-méme. Comment donc s’étonner de voir les doctrinaires de Ia musique appuyer sur elle et presque sur elle seule l’effort de,leur argumentation? “Thésée”’, “Qsis” ou les, “Fétes Vénitiennes” ne soni-elles point des données expérimentales capables de rem- placer ici ’autorité de Guy, d’Isidore ou de Ia Bible? Un air de Cadmus renversera nécesscirement le crédit des anciennes délinitions, si longtemps répé- rées “ftestante Boetio”. be dogme de I’école s’épanouit aux feux de Ia rampe et V’esthetique ‘fondée sur {’émotion personnelle s’appréte & régner. Sans doute ce “beau feu” n’est pas sans danger. En donnant @ un certain mode d’expression musicale ung importance extréme et soudaine, l’opéra de 25 buili a confisqué @ son proiii attention et défourné esprit de ces pues d’ensemble que ia sagesse antique apait embrassées, et que Ia renaissance avait respectées. Qu’est donc depenue chez les critiques de 1730 ceite beile ordonnance des disci- - plines humaines, oit {a musique faisait figure a cété des arts et des sciences, “de quatuor mathemathicis una’? Ou s’en est allée Ia musique des spheres, Ic “musica mundana”, souvenir de Pythagore, et {a ihéorie du réle moral, des sons, “I’éthos” de Platon et d’Aristote? b’esthétique de [a Régence, si. elle p’ignore pas ces lointaines préocupations, leur préjére cependant Ia réalité de Ia pratique journa- figre. Pouvait-il en étre autrement? ba théorie du beau musical avait besoin d’étre renoupelée. I faliait une science jeune, indépendante des subtilités Grithmétiques, metiant de cété ce bagage de doc- trines que deux mille ans de fransiations apaient rendu méconnaissables et qui chargeaient si lour- dement Ia pensée apide de vérité. Il importait surtout de localiser les. recherches, de rassembler les documents, et selon une formule chére aux modemes, de “s’en tenir @ ce qu’on sent”, au risque méme de ne sentir qu’assez conju- sément, Telle qu’elle se présente & nous, apec ses préjérences exclusives, ses tendances jupéniles, et Pimprécision de sa noupeauté, Ja doctrine générale du’ Beau musical, en ce début du AVI siecle, semble échapper. aux limlies d'une définition précise. Toutefois une idée tres nette domine ces opinions encore flottantes, et un principe fout au moins s’en dégage : Ia musique gst une “imitation de {¢ nature”. “Et Ia musique doit, ainsi que Ia peinture, ~ Retracer @ nos sens [e prai de Ic nature.” De ba Groix @ Pluche, a travers Dubos et fe pere findré, nous ne cessons d’apercepoir ce dogme essentiel, Ieit-motiv obligé de toutes les réflexions, de toutes [es polémiques. ba “ mu- sique qui ne peint rien, est semblable a ces discours - enflés, of sans traiter aucun sujet Porateur étale de grands mois.” C’est [@ une opinion unanime, et dont nous pourrions multiplier Ies exemples @ Vinfini. L’imitation sera donc tout d’abord na- furelle ef raisonnable. borsque fe pere André analyse ses ‘impressions musicales il découvre en lui “un maitre de musique intérieur qui bat.[¢ me- sure pour ul en marquer {a justesse, qui lui en découpre fe principe dans une lumiére supérieure aux sens, ef dans [idee de lordre, Ia beauté de Pordonnance, du dessein de Ia pigce; dans l’idée des nombres sonores, Ia régle des proportions harmoniques dent ils sont les images essentielles. Hi lit sa tablature écrite en notes. étemelles et inej- - fagables: dans le-grand fipre de Ia raison.” En outre, cette imitation musicale se justifie par Pexistence un peu mystéricuse.de certcins rapports Dacharger, p. 31. Essat, p. 246-250. 2 * Dupal. beitrescuricuses, Hi, p. 271. 2 sympathiques qui unissent l’éme humaine, Ia sen- sibilité de Poreille, les passicns et les corps. “Chaque mouvement du cceur a un fon pour s’ex- primer ”’, dit Cartaud. @’est ce ton qu’il s’agit de saisir “si l’on veut réveiller dans fe cerveau l’image qui [ui correspond. “ he musicien n’ayant recu que par l’oreilfe les impressions d’oll dépend son art, fait des images @ sa maniére. hes cris de joie, d’admi- tation, de crainte, de douleur, d’accablement ont frappé son cervequ. he langage de l’innocence, de fc haine, de l’indifférence, de {a fureur, de Ia tris- tesse, de Iq langueur ont fléchi ses fibres; son éme, émue selon les lois de union qu’elle a avec le corps, fait prendre aux esprifs, en conséquence de ses émotions, de noupeaux mouvements, et par le trémoussement qu’ils recoipent dans les organes de Ja poix, ils y forment les différents tons de {a musique. be musicien n’a qu’é metire dans ces tons les rapports que l’expérience [ui a appris s’accorder avec V’oreille; aprés cela il ne manque jamais d’exciter dans les autres les émotions qu’il éproupe lui-méme; if peint pour ainsi dire les passions et . les {cit naitre des tons qu’il ¢ mesures. Voila d’ot dépend fe charme de ces aris”. En un mot, Partiste reproduit, en musique, des données. em- pruntées @ Iq réalité, ef, aprés les avoir éproupées lui-méme, les communique @ I’auditeur. ha musique , serait donc &@ Ia fois wn art. d’imitation et d’ex- | pression. Reconnaissons dans cette doctrine’ les traits essentiels de Pobjectipisme. Comment. Ia musique qurait-elle échappé & influence d’une conception qui s’imposait G tous les arts, @ ia philosophie, a Ia politique, et dont fe regne dépassere - fe RUN sigcle? ba plus jeune permi ies sciences du Beau, l’esthétique musicale hériiait de doctrines qu’elle n’avait pas contribué @ former et se confor- mait aux idées recues. Il est donc naturel qu’elle dirige son attention d’abord et.apant tout sur l’acte de reproduction par leque! l’éme humeine réfléchit ‘pour ainsi dire comme un miroir fidéle les réalités objectives. A ses yeux le phénomene réflexe, (limitation) est essentiel, primordial, et fe plus . important de tous, en-foit et en droit; if forme Ia raison d’étre de l’activité psychologique. Ce que nous considérons aujourd’hui comme i’effori créa- teur (I’expression) ne vient, dans Ia@ doctrine de 1715, qu’en second fieu, ef constitue moins une création proprement dite qu’une réapparition. Dis- finguer nettement.ces deux tats, fes opposer {’un @ fautre, ef mainienir entre eux V’équilibre, telle , icit Ia téche que depait s’imposer l’esthétique objectiviste. Programme particuligrement délicat @ réaliser forsqu’il. s’agit de Ia musique. Cer ici l’imitation de {a nature est infiniment moins flagrante que pariout ailleurs, &@ cause de Ie nature méme de cette. imitation. Directe et matérielle [a reproduction des sons et des bruits exiérieurs ne saurait expli- quer qu’une partie, et une partie assez peu consi- dérable: de-le -musique... Malgré ..ses . sympathies kettres'sur les arts, p. 59. x pour l’art descriptif, I’école de la Régence fut forcée d’admettre limitation indirecte et morale, celle des sentiments et des passions, (fais cette concession compliquait éirangement Je probleme. Comment, en effet, distinguer le sentiment imité d’un sentiment qui nait spontanément, Peut-ére, dira-t-on, l’imita- fion se bome-i-elle aux formes extéricures du sentiment, au seul langage des passions. Ce serait quitter une difficulté pour une autre, ef substituer au probléme de l’imifation en général fe probléme. particulier de [a conciliction du fonds et de Ia forme. hes contemporains de Lalende ont cherché Je moyen de couper court @ tous ces embarras ef dépiter ces subtilités, en identiliant les deux termes dont I’accord est précisément en question. Pour eux, “imiter” et “exprimer” sont @ peu pres synonymes. he musicien imite et reproduit inconsciemment [es senfiments d’autrui lorsqu’il manifeste les siens; en se Icissant aller @ ses propres impulsions if reproduit Ic nature dont il posséde en [ui-méme le medéle. If n’y qurait en réalité ni copie ni modéle, mais une nature qui, agissant d’aprés une donnée toujours Ia méme, doit produire des résuliats toujours identiques. “bes expressions extérieures, écrira-f-on, supposent d’une part des images archétypes recues par l’im- pression de tout ce qui frappe les organes des ‘sens, et de [autre une infinité. de perceptions relatives a ces mémes images”. Par conséquent plus n’est besoin de V’artifice de Io oraisemblonce, imaginé pour unir {a nature et fa fiction. Ici, grace a [a musique, fe probléme de. lesthétique repét une forme particuliére, que n’aurait pu [ui donner ni Pesthétique littéraire, ni celle des aris plastiques. hes beaux arts, en effet, se trouvent placés en face d’un monde visible dont ils n’ont qu’é suipre les données; Pimiiation n’offre pas pour eux de diffi- cultés théoriques. be poésie ef fes lettres, d’autre part, posent fe probléme au dedans de nous-méme; elles cherchent ¢ concilier Ia raison et l’imagination, c’est-G-dire ce qui nous “semble” vrai avec ce qui nous “semble” icint. Aussi se contente-t-elle de ce concept composite de la praisemblance. Mais if en va tout cutrement en musique. Une sonate, une symphonic, nous cairainent aussi foin que possible des données objectives. Par conséqueni, s’il a jamais existé un conflit entre ame subjective et le monde exiérieur, entre Peffort d’extériorisation et fe désir d’acquisition, entre [’expression et limitation, c’est ici que ce conflit doit apparaitre dens toute son acuité. Plus n’est possible de s’arréter & des artifices de mois ou de pensée; if faut une solution radicale. Or, le monisme nous offre cette solu- tion, et fui seul peut-éire est capeble de faire cesser cette antinomie. Vieux répe de harmonic uniperselle, if époque ef suppose une communauté de fous les étres, une sorte d’accord préalable et d’étermelle identité entre [e micro- ef le mocrocosme. C’est ful dont le musicien Collesse cherchait @ ce moment {a réalisetion pratique dans Ja transmutation des méfeux. Et c’est [ui que Vesthétique musicale de 1715 invcquait sans le . comprendre, forsqu’elie poulait se soustraire aux difficultés d’un dualisme irritant. Ne croyons pas cependant que I’abbé Dubos et ses confréres se soient avancés bien loin dans cette poic. Rien n’était plus antipathique & toutes leurs aspirations, plus opposé & leurs préférences et & leurs habitudes intellectuelles. 11 faut que le phénoméne musical ait eu impérieusement besoin de cette conception pour avoir contraint les francais & en faire usage malgré eux. Encore n’ont-ils point pris entigre responsabilité de pareilles spécula- tions. Saint flugustin, Pythagore, Cicéron, la science antique, |’érudition de Ia Renaissance leur paraissent & peine des garanis assez sirs de - ces raisonaements transcendants, et, il fut bien fe croire, Vautorité de Ia tradition a plus que fout autre chose protégé ces réperies contre l’oubli et ’incompréhension d’une menialité hostile. Ecou- fons par exemple Ie langage résigné de Bonnet: “hes péres‘de ’Eglise et les profonds philosophes de l’antiquité prétendent que c’est sur les principes de cette musique naturelle que Dieu a créé l’unipers et qu’il ena formé l’arrangement avec [a premiére matizre. @’est sur ce fondement qu’ils fe qualifient quelquefois de“ grand musicien et d’architecte du monde... Ge sont a Ia périté des faits miraculeux, auxquels négnmoins nous depons.soumettre nofre jugement, par rapport aux effets de fa voix et de Ia musique céleste, qui passe pour étre émanée de Vidée de Dieu... Se n’enireprendrai pes d’en dire rien de définitif, cette matigre sublime esi au-dessus de ma connaissance; il faut s’en rapporter aux physiciens et aux sentiments de ceux qui culfivent ces hautes sciences, pour savoir ce gu’on doit en croire.”” Ou encore: “ malgré toutes ces preupes, je n’ai traité de ces matiéres que par rapport & I’histoire générale de [a musique, sachant bien que ces opinions... ne sont plus du goit du siécle qui est enfigrement désabusé de toutes ces erreurs: mais il est Eon de tout savoir.” Cent fois et partout ce méme theme d’une musique sumaturelle, se traine [ementable, incompris, tra- pesti qu hasard d’une théologie bornée ou d’une téléologie enjantine. De Ia un arriére-plan philoso- phique nuageux et flou, décepant et insaisissable, commun aux ceupres dont nous parlons et qui leur donne ie ne sais quel aspect de spéculations super- flues, comme un parfum d’insincérité qui les a condamnées @ I’oubli. Spectacle naprent si !’on songe aux forces fécondes, aux energies elficaces que de telles idées poupaient communiquer & Ia science musicale, si elles avaient été accueillies avec un enthousiasme compétent. Spectacle plai- sant d’autre. part lorsqu’on se représente [’objecti- pisme obligé, quoiqu’if en ait, de recourir & I’aide d’une conception qui lui est hostile. Partant avec - assurance d’un principe esseniiellement objectif, Je Bist. de Ia dense, p. 193 p. 2it 3 Tationalisme aboutit insenstblement & “de vaques métaphysiques.” N’est-ce point une fronie? Remar- quons que le dogme de l’imilatien de Ie nature eut pu suffire @ fonder fui seul une doctrine du beau sonore; mais @ cette condition cependant, de s’en tenir strictement a Ia musique “imitative”. Pourquoi [es contemporains de Boismortier ne f’ont-ils pas poulu ainsi? Pourquoi ont-ils épifé cette solution frés logique? Parceque leur imitation n’était pas sincére. Parcequ’ils ne souhaitcient rien moins que de se soumetirz @ Iq fatale impersonnalité du monde extérieur, parceque leurs intentions étaient doubles. D’un c6té Ia réalité des données naturelles leur parcissait indispensable; mais, d’autre part, ils entendaient conserver [’entiére fiberté de leur moi. ba musique purement imitative [es eit condamnés @ copier mécaniquement ce qui leur venait du dehors; elle se fut opposée & [a manifestation des sentiments individuels, elle s’éloignait des arts expressifs. b’esthétique {a repousse donc et ful préfére:le systéme de l’imitation sentimentale, qui saupait les apparences objectives tout en facilitant .. Ia fiberié des gofits. Est-il besoin d’insister pour montrer combien Pesthétique musicale proprement dife, celle qui proiesse des.doctrines philosophiques et générales, qui dogmatise ‘ex cathedra”, est encore faible- ment constituée apant 1730, Ces premiers essais, maalgré leur nombre, échappent @ Ia discussion por l'ivertic méme de leurs procédés. Quitions donc ces hautes régions de I’absofu et descendons vers {a critique, qui juge les choses de [’art en fonction de espace et du temps. Nous froupons ici ung littérature moins guindée, et plus a la mesure d’un siécle qui fut surtout utilitaire. ba critique musicale;~ au début de Ia Régence, n’est pas localisée comme de nos jours, ef [es journaux de musique n’appa- . raitront qu’aprés 1759. Elle se troupe éparse dans les nombreux ouprages d’actualité qui circulent, imprimés ou manuscrifs, officiellement ou sous fe manieau, ef parmi lesquels il est souvent difficile de [aller découvrir. bes cing cents volumes du “Mercure” (Galant et de Frence) parus au cours de ces années, constituent la source Ia plus acces- sible ef Ie document critique fe plus important dans I’éiat actuel de nos connaissances bibliogra- phiques. be “Mercure” est l’organe officiel des honnétes gens; ii résume assez fidelement J’opi- ion de Ia cour et de Ic ville; if tient le milieu entre le “Journal des Sapans” et les couplets des pamphléiaires; if se moatre plus accueillant, plus impartial, plus cnonyme pour ainsi dire que telle feuille dont [a rédaction est unique, comme le “ Speciateur francais” ou le “ Tounelliste du Par- nasse ’’. Sa curiosité s’étend a plus d’objets parce que ses collaborateurs sont plus nombreux. If est enfin plus mondain que les ‘Gazettes de Bollande” ou les “Mémoires des Trévoux”, qui préferent | 4 Ia critique dart, {’érudifion littéraire. Son titre ' méme le désigne aux amoteurs.ef aux artistes; Fulllet 1706, P. 263, Moat 1726, ia musique étant un plaisir galant par excellence. N’a-t-elle point en effet sa place parmi ces nou- peautés de [a mode et du bel air, que certains affec- tent de traiter avec rigueur, mais que tous sont avides de connaitre et dont le ‘Messager des dieux” col- porte les nouvelles @ travers Ia France. Bien avant Ia mort de bulli, {¢. musique a sa place dans Ie “Mercure”. Tartét suppléments notés, petits airs “a chanier et & boire”, répertoires obligés. de toutes les compagnies; fantét avertissements qui annoncent [es ceupres récentes, les décés des musiciens; ca et I@ enlin quelques anecdotes, quelques récifs de province, que !’on sent écrits par V’intéressé ou ses amis. Toutes ces nouvelles sont honnétes, bien tournées et exemptes de ma- lice. Gar Mercure est plutét bénévole que méchant. Peut-étre aussi n’est-if pas toujours frés sir de Paccueil réservé & ses efforts artistiques; et il s’applique ingénicusement @ les rendre aimables. “ En pous parlant de poésie dramatique, qui fien- nent le premier rang parmi les plus grands ou- prages de Ia poésie, dit-if un jour, je vous en envoie un [yrique, ¢’est-é-dire un des plus petits’. Ou bien : “ Ne pous attendez pas, Madame, que j’aille faire ici une application G des matiéres bien rele- vées; il ne s’agit que de musique”. Ou encore : “ Quoique Ia musique. ne soif pas si nécessaire que toutes les choses dont je viens de pous par- fer, elle ne laisse pas d’étre utile, puisqu’elle peut sermir @ délasser les hommes fatigués d’un trop fong travail et qu’elfe n’est pas infructueuse G ceux qui réussissent dans cet art”. Mercure sait éviter Pinsistance facheuse. “hhaissons ces demi-criti- ques qui ennuient quelquefois ceux qui les lisent, qui déplaisent @ ceux sur qui elles sont faites, et qui embarrassent souvent ceux qui les font; et ostotre ia, saupons-nous @ Ia iapeur d’un mariage”. On ne p. 257. saurait étre plus gafant. Mais cette modestic. n’est pas seulement oratoire, elle a ses motifs. ha cri- fique musicale ne connait pas encore bien ses droits @ cette époque. Par contre, elle n’ignore pas com- bien Ie public est peu disposé a@ subir ses arréisl; elle prévient {e lecteur par sa courtoisie et pa méme jusqu’a s’humilier devant lui. “Se ne parlerai pas de Ia musique, écrit encore fe “Mercure”, parce qu’elle n’a pas un point de beauié comme beau- coup d’autres choses... Chacun juge de Ia beaviz d’un ouprege de musique selon que cet ouprage est conforme & son goat. Alinsi quoi que je puisse dire de [a musique de Mr. Collasse, ce que j’en dirais ne serait pas généralement recu, et un particulier ne doit jamais donner son sentiment pour régle posembre 1687, Sur une chose dont on peut juger si différemment”. p. 268. Ges scrupules de Ia critique sont-ils tout @ fait justifiables ? Pourquoi Ia musique auraif-elle fe malheureux privilége d’étre privée de critique dogmatique ? Mercure ne nous I’apprend pas, mais ilest aisé de voir d’oit viennent ses appréhensions, Pour Ie lecteur de 1690 un dogme musical r’existe . pas. Des formules pagues, des déciamations sans 1204, p. 657. consistence, des posiulats capables d’inspirer la méfiance, poild tout ce que les doctrinaires de ia musique pounaient offrir aux esnrits apides de connaitre et aux critiques en quéte de principes. “hes effets de Ia musique sont agréables, dit Ie Journal des Savans, mais il est assez difficile de parler agréablement de {a musique méme. ha théorie de. eet art n’étant qu’un assemblage peu dipertissant de remarques sur Ia nature du son ef des tons et sur [es rapports qu’ils peuvent avoir les uns avec les quires.” be phénoméne musical a en effet pénétré tres tard dans ces régions fumineuses ot V’intelligence analyse Ia force élémentaire de notre moi. flussi Ia’ musique est-elle “dans ‘notre civilisation occidentale fe plus jeune de tous les arts constitués. Toutefois il faut reconnaitre que les contemporains de Campra n’ont pas fait tout ce qui était en [eur pouvoir pour coniribuer & cette épolu- tion du plaisir auditif pers fe jugement motipé. Gonsidérer “a priori” {a musique comme un art soumis enti¢rement @ [’arbiiraire du goiit, n’esf-ce pas se priver du droit de fe raisonner? N’est-ce pas dresser un obstacle sur {a voie qui méne @ [a critique? Eveilfer Ia méfiance du sentiment @ l’égard de esprit est un maupais moyen’ de provoquer Ventente de ces facultés. C’est rendre le jugement impéssible.’’“ ‘Tout'cé qu’on découpre dans ‘Ia critique, dira us contemporain, c’est que certaines gens n’aiment pas certaines gens. Dont... si fout homme a le droit de dire son sentiment sur uD co ouprage que l’impression rend public, nul homme ne se croira avoir droit d’imprimer ses sentiments sur certains lipres, & moins que ennui ou fa panité ne le fui persuade...” Une doctrine de ce genre ong conduit a l’impressionnisme et au journalisme des sexicussuriesaé- pampblétaires. “fl présent, gémit le “Mercure”, iauts d’autrui, 11. fes spectacles sont infestés de critiques profés qui voudraient que le parterre n’osdt plus. se réjouir sans leur permission, esprits qui ne respectent que leurs sentiments tenaces et tellement dévoués aux préjugés que si I’un n’entend pas chanter sa chére actrice, que [’on sait étre pour [ui d’un prix exorbitant, et si [autre ne voit pas danser son entrée favorite, aussitét ces petits inconstants tour- nent casaque @ l’opéra. Que Momus leur fasse octotre i718, miséricorde!” “‘On peut comparer cetie maudite p. 102. engeance au médecin de Pourceaugnac @ qui il icut un malade. ba plupart de ces messieurs montrent G@ chanter. En jaut-il dapantage pour donner Ie ton la critique. bes écoliers et les écoligres décident sur foi de leur maitre, et toutes ces: décisions réunies discréditent pour quelque temps les meil- leurs ouprages. Mais, me dira-t-on, est-ce assez de dire du mal d’un opéra pour éfre cru? n’en faut-il pas défailler les déiauts et les prouper ? Je réponds cela qu'il n’en est pas tout 4 fait de Ia musique comme de Ia poésie, [es musiciens n’ont d’ordi- naire que [a musique en pariage, ils ne se piquent guére d’un raisonnement exact.et suivi; ci, comme il est établi qu’ils n’ont pas ce don d’éloquence 39 Décembre 1714, p. 230. persuasive dont les poétes sont plus a porfée d’étre partagés, on n’exige pas d’eux qu’ils appuient cz qu’iis avancent, et on aime mieux les en croire sur feur parcle que d’essuyer de leur part des preuves mal arrangées et peu concluantes. De sorte qu’il suffit @ un musicien de dire qu’un opéra ne lui plait pas, pour empécher trente personnes, @ qui il a icit plaisir, de faire un aveu. Cependant, comme il faut du moins quelques raisons paques pour appuyer Iq médisance, on saisit un faux air de ressemblance pour répandre dans Ie monde que tout est pillé... Si Pacteur ou [’actrice sont enrhu- més, on dif que fe récit est froid, et quoique le bon Pemporte sur le meunais, on s’attache @ ce der- nier sans tenir compte du premier. ’”’ Mercure n’est pas le seul & se lamenter ainsi. ‘he public, dit ba Porte, arrive dans nos salles de spectacle daiment prépenu pour ou contre Ia pigce; avant le fever de Ia toile, les émissaires Iouent ou déchi- rent. Vous poyez des gens qui se cantonnent, qui se parlent assez bas pour piquer Ia curiosité de ceux qui les environnent, et assez haut pour qu’on ne perde pas un mot de ce qu’ils ont & dire; Ia piece commence, le public écoute, a du plaisir ou de Vennui, applaudit ou biéme, revient les jours sui- pants ou reste paisiblemen! chez lui. Il se fait cependant une espece de fermentation dans le monde. bes soupers de Paris sont un tribunal res- peciable ot V’affaire est portée et discutée. hes femmes aimables qui protegent l’auteur, qui ont baillé involontairement dans feurs loges pendani que leurs valets de chembre applaudissaient dans ie parierre, prononcent tout haut que l’ouprage est “admirable ”. bes petits-maitres, les beaux esprits d’un parti coniraire, qui sont arrivés trop tard pour entendre Ia pigce et qui ne Ic connaitront pas mieux quand ils Paurent écoutée, prennent ia contre-partie et maintiennent [a piéce, les ozteurs et l’auteur, du dernier détestable... Il y a d’ailleurs dans fous tes thédtres des gens adroits qui savent se retourner; ils ressemblent a@ ces praticiens habiles qui arrétent les juges par un tour de chicane imprépue, au moment méme qu’ils sont préts a se déclarer”’. Ne nous étonnons donc pas d’entendre le Mercure déclarer un jour : “Se m’étendrais dapantage sur les pigces nouvelles si je ne craignais de soulever contre moi Ie public et les quteurs... Ii faut pourtant que j’en parle, puisque c’est un des articles qui font fe plus de bruit dans fe monde. Mais si les auteurs peulent m’en croire, qu’ils me donnent par écrit ce qu’il leur plaira que je dise de [eurs ouprages. S’ils sont équitables ils consulte- ront les suffrages du public pour se rendre justice; s’ils ne Je sont pas, je ne ferai pas un ridicule usage des mémoires qu’ils m’enverront.” S’en zapporter @ l’opinion générale, ce sera donc {a conclusion du critique auquel répugne les polémiques de parti pris. “Comme on ne doit pas juger ordinairement du bon ou du maupais succés d’un opérd sur une -premiére représentation, il faut Obsernations 4, p. 133. Ostobre 1714, p. 257. at Buln 1718. Buln 1721. hecerf, Il, 3, p. 290, attendre que fe public en décide. Son jugement réuni est toujours plus certain que celui d’un auteur périodique, qui ne doit jamais basarder fe sien qu’apec beaucoup de moderation ef apres un examen frés difficile.” Tel est I’esprit qui rédigera sous [a direction de !’abbé Buchet les comptes- rendus de [a pie musicale, qui aimera les excel- lentes intentions d’Antoine de Ia Roque, et, peu a peu, fera soubaiter “ qu’il parut souvent des dissertations exactes qui dépelopasseni !’ari, les beautés et les défauts d’une piece, qu’un spectateur ne peut pas toujours saisir dans Ia représentation.” Esprit a@ Ia fois conciliant, prudent, politique et pratique, aimable et disert, dont les tendances se troupent en parfait accord avec les goiits du lecteur de 1720. Mercure ne iait que suipre ef reproduire Ia mentalité de ces “bonnétes gens, conduits par la nature a laquelle ifs s’abandonneut, s’entrepré- tant chacun ses lumiéres, se redressant I’un contre autre, et prononcant selon un sentiment commun et fibre.” If aq compris qu’en musique, comme en toutes choses, le jugement qui troupe crédit et attention dans un siécle, est ce “jugement de comparaison” dont ha Bruyére avait déja reconnu omnipotence. Sorte de moyen-terme entre Ie goat indipiduel et Ie raisonnement dogmatique, fondé sur T'usage établi, propagé par !’habifude et les conpenances, le goat de comparaison appartient a fous sans que personne I’ait en propre. I résulte de Passentiment général, qui lui préte la force d’une loi; mais il a son origine dans le sentiment indi- piduel. Il dépend de ceux qui ont contribué @ fe former, et il s’impose @ fous [es autres. Que pourrait-on souhaiter de plus parfait? be gout de comparaison rapide, instinctif, sans appel permet de tout rapporter & lui facilement, d’approuper ou de blamer @ coup siir, lorsqu’il nous est depenu fomilier. “Madame, s’écrie plaisamment heceri, je pous frouverai un moyen de juger en abrégé; cela ne sera pas si sir, cependant cela sera d’ordinaire juste ef plus commode. Vous ne voulez pas vous donner Ia peine de jaire un jugement de raisonne- ment, faites un jugement de comparaison a Ia maniére des courtisans. II faut avoir bien dans la téte quelques morceaux de musique de chaque caractére, bons et maupais, mais bons ef maupais d’un consentement unanime; en connaifre toutes les beautés et tous les déiquts, et comparer a ces modéles ce que vous entendrez... C’est une facilité flatteuse pour Ia paresse et une honnéie ressource pour l’ignorance.” Ne l’oublions pas, c’est d’aprés cette recetfe que furent jugés Couperin et heroux, Campra, halande et Boismortizr; c’est d’aprés ce principe que “tout ce qui s’écartait de bulli fut condamné.” be jugement de comparaison a pesé - plus lourdement qu’on ne pourrait le croire sur le destin de Ia musique francaise. Hl a fait friompher {a théorie d’aprés laquelle la musique “n’a @’autre obligation ni d’autres droits que d’entrer dans le goat du public,” Il a remis l’artisie sans défense Comparaison Il, p- Sit. ba Bruyere. Pluche, p. 140. a3 Pluche, p. 141. entre les mains du spectateur, lipré l’art @ fa discré- tion et @ Ia merci du public. If a proclamé que “fa grande industrie des artistes est d’embellir ce que le public chérit, et non de contraindre le public @ cdmirer ce qu’il ne sent pas.” Il a posé ce principe, que, dans Ia musique, “le consommateur” depait faire Iq loi au producteur. : Sur cette doctrine de comparaison et d’assen- timent général, étaif-il possible d’édilier un dogme musical puissant et fort? Ceriains [’ont pensé. “Test-il pas sensible, lisons-nous dans le ““Spec- tacle de Ia Deture”’, que ce qui emporte Ia géne- ralité des suffrages est une beauté plus franche que ce quia’est senti que de Platon ou de quelques quires accrédités. Ce qui ne plait qu’a un certain nombre de particuliers peut devoir son attrait a des prépentions passagéres, @ un gout de cabale et dhabitude. Rien au contraire n’est si peu suspect que ce qui contente Ia multitude des esprits... Quand une chose plait @ quelques savants, peut-éire n’est-ce pas sans un juste fondement d’estime. (Mais ce n’est point 14, @ beaucoup prés, Ia sire marque du bon et du beau. hes sapants, par un effet des bores de l’esprit humain ou faute d’un avis éclairé, sont sujets @ se frapper de certaines idées, a y Tepenir avec complaisance, a tourner toute leur capacité de ce céié-la, et @ épouser avec jeu un systeme, un gout de musique, un genre de décla- mation. Alors le mal augmente @ proportion de leur crédit, du nombre de leurs pertisants. hes idées dont ils s’échauffent étent devenues Ia régle de feurs jugements, ils fouent ou ils blameni, seion qu’on se rapproche de ce qui leur est propre : d’ou il est souvent arripé que leurs iowanges ou leurs blames se sont également troupées sans conséquence. II n’en est pas de méme de ce qui, en enchantant les connaisseurs, se fait seniir tout ensemble a [a multitude. Voila fe beau, le vrai, le durable... Ye voudrais savoir pourquoi, de toutes les paroles que nos musiciens modernes habillent en falbalas, ou qu’ils découpent en zicza- gues ef en prétentailles if n’y ena aucunes qui des- cendent jusqu’d nous, et qui fassen! fortune dans {a bourgeoisie. Il n’y ¢ pas encore longtemps que ies airs qui apaient plu a@ Ia cour prenaient faveur parmi le peuple méme. Chacun chantait parcequ’il était permis, pour chante, d’employer Ia voix humaine. Alujourd’hui nous nous taisons parcequ’on ne veut plus entendre que les roulades du serin et les soupirs du rossignol... Nous autres qui fesons Ia multitude, nous sommes peu touchés de ces agréments si apprétés.” (Moins brutal et plus complexe se monire heceri de Ia Vieuville; l’opinion publique, d’aprés lui, se divise en trois classes : celle du peuple, celle des connaisseurs et celle des sapants. Par peuple, il faut entendre “ notre peuple d’honnétes gens”, et non pas Ia populace. “En matiére de musique nous depons établir deux genres de peuple en France: 1° be dernier peuple, garcons de boutique, porteurs de chaises, serpantes Pluche, p. 123-127. Ml, 3, p. 295. id, p. 293. de cabaret et cuisinigres, qui écoutent ies chansons du Pont-Neujf et ne vont point a@ l’opéra. 2° Un peuple de qualité qui fréquente les speciacies, mais qui, n’y portant point de connaissance des régles, et n’ayant rien des pues du savant, est peuple certainement @ cet égard. Nous pouvons nommer le premier genre de peuple, Ia populace, le second, le peuple simplement, et ¢’a été celui-ci que j’ai Wordinaire entendu en parlant du peuple, de la multitude de Ia France.” Quent aux sapants, ce sont “les maitres de musique, des musiciens par état; entétés des régles.” Enlin, les connaisseurs “sont ceux qui ne sont ni tout a fait peuple, ni tout @ Icit sapanis, moifié ’'un, moifié autre, tant soit peu moins sapanfs que peuple, c’est-d-dire donnant tent soit peu moins aux régles qu’au sen- fiment naturel.” ba hiérarchie qui doit régner entre ces différents suffrages sera Ia suivante: “ba périté sortira du parterre, comme elle est sortie autrefois du milieu de Ia multitude athénienne... fiprés je prends les connaisseurs et je les mets sur la téte des sapanis, parceque ie compose un connaisseur de I’assemblage raffiné de ce qu’ont de bon les sapants et Je peuple. Alinsi, sur ce qui tegarde les piéces de concert, dans les pieces particuligres, et qui n’ont pas été exposées au public, sur un détail de jugement et de comparai- sons, dans fequel le peuple n’est point entré, nous lerons décider les connaisseurs et non les sapants. Enfin, je place les sapants les derniers, parceque leur entétement de science, les petitesses de leur aftachement aux régles, les rendent sujets a des idées et des prépeniions jausses. Quant aux demi- sapants, ils sont en musique ce qu’ils sont en quelque art, en quelque chose que ce soit, les plus méprisables, les plus insupportables de tous les hommes. Faisons plus de cas d’un bon bour- geois de la rue Saint-Denis que de ces appreniijs compositeurs, de ces chepaliers de l’accompagne- ment, a qui leurs peines et leur vanité ont renpersé le peu de goat qu’ils ont eu, De ces gens qui, suipis d’un thuorbe gqaleux, Disent ma basse, et font les docteurs merveilleux.” Por conséquent, c’est “au peuple a juger des ouprages de musique. Cette opinion, contraire @ Penpie qu’oni tous les auteurs de se tirer de Ia dépendance, serait contredite qu’elle ne Iaisserait pas d’éire vraie. Puisque tous les arts ne s’adres- sent encore qaujourd’hui qu’aux sens ef au coeur, ne fravaillent que pour eux, différenis en cela des sciences qui trapailient pour I’esprit, il s’en suit qu'il appartient au peuple, qui a plus de sentiment que [es sapants, par es sens et par le coeur, d’étre juge des Beaux-flris.” Placer fe sentiment na- turel d’un public naif au-dessus de Ia science des esprits prépenus, telle semble donc étre !’inten- fion de ces deux champions. de l’esthétique musi- cale francaise. Doctrine féconde en un certain id., p. 298. UL, p. 195. av Kunstwerk der Zubunft, ch. 4. sens, ef que Wagner revendiquera plus tard pour son diame tyrique, forsqu’il deriza : “bes éduca- feurs du peuple se trompent fort, en s’imagi- nant que fe peuple doit d’abord savoir ce qu’il veut, avant de vouloir quelque chose... be prai savoir n’est autre chose que Ia prise de possession par [a pensée, de tout ce que nous offrent les données sensibles: Tant que Ia pensée n’a pas conscience de ce sentiment de dépendance @ Pégard des réalités fournies par les sens, elle demeure arbitraire... Dés qu’elle perd ce contact, qu’elle veut s’abstraire, et chercher @ construire Vavenir, ce n’est plus ie savoir veritable qu’elle atteint et produit, mais le pressentiment vague, incertain (Wahnen), bien différent de l’ignorance naturelle... Donec, vous, les intellectueis, vous n’étes pas créateurs, c’est le peuple qui crée, poussé par Ia détresse et Ia nécessité; toutes les grandes découveries soni des actes popu- laires; I’intelect n’a jamais fait que piller, exploiter et mutiler ce que fe peuple apait inventé. ” becerf et Pluche ont pressenti les énergies produc- trices qui se cachent dans Ie sentiment “naturel”. beur peuple de ‘‘ bourgeois’’ ef “ d’honnétes gens” qui demeure également éfranger aux pré- ventions de Ia science ef aux préjugés de l’igno- rance, n’est-il pas sorti du mémez réve qui faisait souhaiter aux romantiques Ia venue d’un public idéai dans une civilisation transformée par l'art? becerf se rapproche tout a fait du XIX* siécle, lorsqu’il distingue netfement entre Ia multitude de la Gréce ef celie de ia France, “fe peuple étant toujours moins peuple dans les Républiques que dans {es monarchies”, c’est-d-dire moins éloigné de ce public impulsif, qui juge d’instinct. Encore un pas et Ia critique musicale eit apercu Ia diffé- rence qui sépare [’art d’agrément de I’art sincére, et remarqué combien {a détresse d’éme, qui pousse Vhumaniié vers l’expression sonore, différe de Ia simple intention de se divertir; elle eut découvert opposition qui existera toujours entre le iabeur du sentiment populaire qui eniante, ei Ie loisir de Pesprit qui se joue. Peut-éire alors eit-elle opté en foveur de cette attitude esthétique dans laqueile Yauditeur s’abandonne, obéissant a d’involontaires moupements de son coeur ef participe ingénument a Poeupre d’art qui se réalise devant lui. Qui donc empéche des tendances aussi hardies de se trans- former en doctrines solides et les maintint dans Ia sphere d’un idéal “bourgeois”, dépourpu de gran- deur ef de véritcble élévation? Qui donc établit une distance si considérable entre fa “Comparai- son” et fe “ Kunstmerk der Zukunft?” Nous Ie devinons : c’est Ia conception objective, hostile a toufe expansion de nos faculiés intuitives. Si le “coeur” de hecerf ou du “ Mercure” est favorable au peuple qui apprécie spontanément, et se commu- nique avec enthousiasme, leur intellect, leur faculté Wacquisivité et d’autorité donne Ia préférence 4 Ia loi et aux savants qui {’appliquent. b’objectivisme id., p. 289. 49 consent bien @ accorder un réle @ [’oreille et au coeur, mais il ne peut comprendre commeni le seniiment profond et aveugle peut légitimer “ {ui seul” le phénoméne esthétique, précisément et uniquement “ parcequ’il” est aveugle et spontané. Hi faut que Ia conscience éclairée intervienne ici en quelque maniére, qu’elle atténuc cette spontangité par fa réflexion, et qu’elle fasse disparaitre cette obscurité subjective en y portant une lumiegre qui ~ . J0,détruit, hecerf nous montre plus d’une fois le Id., p. 289. id., p. 297. spectacle de i lutte mcetmie catrowes

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