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xr (Uw mvéorr oe Maurice Mertzau-Ponry‘] ‘Note introdutie de Marcial Gutroul, Roue de Méaphysique et de Morale, 4, octobre 1982, p. 4or-409. Note d'introduction Le texte publit ci-apres est celui d'un exposé que me remit son auteur au moment oi: jtrablisais, pour sa candidature au College de France, le rapport destiné a presenter ses titres devant TAssemblée des profeseurs. Merleau-Ponty joint la, d'un trait continu, son passé et son devenir de philosophe, esquiise les pers pectives de ses recherches futures depuis UOrigine de la Vérité jusqu’t UHomme transcendancal. ,, Fn lisans ces lignes inédives, d'un si haut intérte, le regret Savive d'une mort qui a brutalement interrompu U'élan d'une penste profonde, en pleine possession delle-méme, et sur le point de saccomplir dans une série d teuvres originales qui eustent fait date dans la philosophie francaise contemporaine. Martial Guéroule 8. [Texte inédic en 1962, que Maurice Merleau-Ponty remit alors 8 Martial Guéroule, chargé du rapport de présentation du candidat et publié pat ses soins dans la Revue de Métaphyrique et de Morale} Uw ore ne Mavic Manceas-Ponry 7 Nous ne cessons pas de vivre dans le monde de la percep- is nous le la pensée i ses titres de validicé, elle ne rend pas compre de notre contact, avec le monde pergu, qui est simplement devant nous, en deg du vrai vérifié et du faux; elle ne définit pas méme les démarches positives de la pensée, ni ses acquisitions les plus valables. Nos deux premiers travaux cherchaient & restituer le monde de la perception. Ceux que nous préparons voudraient montrer comment la communication avec autrui et la pensée reprennent et dépassent la perception qui nous a initiés & la vérité. Lesprit qui percoit est un esprit incarné, et est Penraci- nement de lesprit dans son corps et dans son monde que nous avons cherché d’abord a rétablir, aussi bien contre les doctrines qui traitent la perception comme le simple résultat, de l'action des choses extérieures sur notre corps, que contre celles qui insistent sur 'autonomie de la prise de conscience. Ces philosophies ont ceci de commun qu’elles oublient, au profit de la pure extériorité ou de la pure intériorité, l'inser- tion corporelle de lesprit, la relation ambigué que nous entretenons avec notte corps, et, corrélativement, avec les choses pergues. Quand on essaie, comme nous lavons fait dans La Structure du Comportement’, de dessiner les rapports de Vorganisme percevant et de son milieu en sinspirant de la psychologie et de la physiologie modernes, il est clair 4 la fois 9. [Maurice Merleau-Ponty, La Structure du Comportement, PUB, 1942; 2 éd, 1949 et suivantes, prévédé de « Une philosophic de l'ambi- aguité» par Alphonse de Waelhens; coll. « Quadrige », 123, 1990.) k { \ 38 PARCOURS DEUX quiils ne sone pas ceux d'un appareil aucomatique avec Pagent extérieur qui vient déclencher en lui des mécanismes prééta- blis, et qu’on ne rend pas micux compte des faits en super- posant au corps, congu comme une chose, une conscience ure et contemplative. Dans les conditions de vie, sinon au aboratoire, organisme est moins sensible a certains agents physiques et chimiques isolés qu’ la « constellati forment, a a situation d’ensemble quills défini portements révélent une sorte d’ ganisme, comme sil sorientait sur le sens de certaines situations élémentaires, comme s'il entretenait avec elles des relations de fa y avait un « 2 priori de Vorganisme », des conduites privilégiées, des lois d’équilibre interne qui le prédisposent 3 certaines relations avec le milieu. ‘Au niveau oit nous nous placons, il ne saurait pourtant tre question d'une véritable prise de conscience ni d'une activité intention leurs le pouvoir prospectif de Porga- nnisme ne s'exerce qu’entre des limites définies et dépend de conditions locales précises. Le fonctionnement du systéme nerveux central nous place devant des paradoxes du méme genre. La théorie des localisations cérébrales, sous ses formes modernes, a profondément modifié le rapport de la fonction au substrat. Elle n’assigne plus, par exemple, & chaque con- duice perceptive, un mécanisme prétabli. Les « centres coor dinateurs » dont elle parle ne sont plus des magasins de « traces cérébrales » et leur fonctionnement est qualitative- ment différent d'un cas l'autre, selon la nuance chroma- tique & évoquer, la structure perceptive 2 réaliser, si bien 4qu‘enfin il refete toute la subtilité et toute la variéré des rap- ports percus. Tout se passe donc, dans l'organisme percevant, ‘comme si nous avions a faire, selon le mot de Descartes, 3 un mélange de Pame avec le corps. Les conduites supérieures donnent un sens nouveau & la vie de l'organisme, mais les- rit, cependant, ne dispose ici que d'une libereé surveillée; davantage : il a besoin des activités plus simples pout sy sta- biliser en insticutions durables et s'y réaliser vraiment. La (Uv meorr oe Maurice MesteAu-PONTy ” conduite perceptive émerge de ces relations & une situation et un milieu qui ne sont pas le ait d'un pur sujet connaissant. nous nous installons en elles pour y poursuivre Panalyse de cette singuliére relati notre point de vue sur le monde, le lieu os Pesprit investit dans une certaine situation physique et historique. Comme Des- cartes encore l'avait profondément dit, Fame n’est pas seule- ment en son corps comme le pilote en son navire, elle ext jointe au corps tout enter, ~il est tout entier animé, et les fonctions corporelles contribuent toutes pour leur part & la perception des, objets dont la philosophie pendant longtemps a fait un pur savoir. Crest & travers la situation de notre corps que nous sai- space extérieur. Un « schéma corporel » ou « postu ral» nous donne & chaque instant une notion globale pratique ec implicite des rapports de notre corps et des choses, et comme son relévement sur elles. Un faisceau de mouverents possibles ou de « projets moteurs » rayonne de nous sur Pentourage. Notre corps n'est pas dans 'espace comme les choses bite ou le hante, il 'y applique comme la main 3 Vinstrument, et Cest pourquoi, quand nous voulons nous déplacer, nous avons pas 4 le mouvoir comme on meut un objet. Nous le ‘ransportons sans instruments, comme par une sorte de magie, parce quil est ndtre et que, par lui, nous avons directement accts & Pespace. II est pour nous beaucoup plus quiun instru- est notre expression dans le monde, la plus profondément lids & Vinfrastructure umorale, contribuent & fagonner notre perception des choses, 10. [Maurice Metleau-Ponty, Phénoménologie dela Perception, Galli mard, 19455 coll. « Te », 4, 1976) Y Pascouns peux fa perception est ainsi 'acte commun de routes nos fonctions motrices et affectives, non moins que des senso- rielles, il nous faut redécouvrir la figure du monde perc, par comparable & celui de l'archéologue, cat elle est ensevelie sous les sédiments des connaissances ultérieures. On alors que la qualité sensible n'est pas ce donné opaque \le, offere en spectacle 4 une conscience distante dont parlaient les conceptions classiques, et que les couleurs, par exemple, dont chacune s‘entoure d'une atmosphere affec. tive que les psychologues ont pu étudier et définir, sont en vérité diverses modalités de notre coexistence avec le monde, ‘On verrait que les figures spatiales ow les distances ne sone pas tant des relations entre divers points de l'espace objectif que des relations entre cux et un centre de perspective comps, — bref, quielles sont diverses mat extérieurs, de mettre a lépreuve, de notre prise sur le monde, notre ancrage dans ’horizontale et la verticale du lieu, dans un ici et un maintenant. On verrait encore que les choses percues ne sont pas, comme les objets gtomérriques, des étres accomplis dont notte intelligence pos- séde a priori construction, mais des ensembles ouverts et inépuisables que nous reconnaissons & un certain style de développement, quoique nous ne puissions par principe les explorer encitrement et quills ne nous donnent jamais d’eux- mémes que des profils ou des vues perspectives. On verrait enfin que le monde percu 3 son tour n'est pas un pur objet de pensée sans fissure et sans lacune, mais comme le style uni- versel auquel participent tous les étres perceptfs, et qu’ coordonne sans doute, mais sans que nous puissions le présu- ‘mer achevé. Notre monde, disaic profondément Malebranche, est « un ouvrage inachevé ». Si maintenant nous voulons défi capable de cette expérience perce pas une pensée transparente pour sente & elle-méme, sans corps et sans hist sujet de la perception n’est pas ce penseut absol un sujet qui soit cst clair quill ne sera fonctionne fOrT DE MAURICE MERLEAU-PONTY a en application d'un pacte passé & notre naissance entre notre corps et le monde, entre nous-méme et notre corps, il est ‘comme une naissance continuée, celui & qui une situation 1e a été donnée A gérer, et l’est & chaque Chaque sujet incarné est comme un registre ouvert dont on ne sait ce qui s'y inscrira — ou comme tun nouveau langage dont on ne sait quelles ceuvtes il pro- duira, mais qui, une fois apparu, ne saurait manquer de dire peu ou beaucoup, d’avoir une histoire ou un sens. La produc- ié méme ou la liberté de la vie humaine, loin de is 1945, qui viendront fixer définitivement ue des premitres, lesquelles en retour leur prescrivent un itinéraire et une méthode. Nous avons cru trouver dans l'expérience du monde pergu un rapport d'un type nouveau entre 'esprit et la vérité. Lévidence de la chose pergue tient & son aspect concret, a la texture méme de ses qualités, & cette équivalence entre toutes ses propriétés sen- sibles qui faisait dire Cézanne qu'on doit pouvoir peindre jusqu’aux odeurs, C'est devant notre existence indivise que le monde est vrai ou existe; leur unité, leurs articulations se confondent et c'est dire que nous avons du monde une notion Wentaire n’est jamais achevé, et que nous fai- ‘expérience d'une vérité qui transparait ou nous jue notre esprit ne la détient et ne la circons- tit. Or, si maintenant nous considérons, au-dessus du percu, le champ de la connaissance proprement dite, oit esprit veut posséder le vrai, définir lui-méme des objets et accéder larités de notre situa- ‘ordre du percu ne fait-il pas figure de simple apparence, et Fentendement pur n’est-il pas une nouvelle source de connaissance en regard de laquelle notre familiarité perceptive avec le monde n’est qu'une ébauche informe? — Nous sommes de répondre & ces questions par une théorie de la vérivé a Pancours DEUX bord, puis par une théorie de Vintersubjectivité, auxquelles nous avons touché dans différents essaistels que Le Dowte de Cézanne", Le Roman et la Mésaphysique' cerne la philosophie de I’ ’ I nous semble que la connaissance, et la communication avec autrui quelle présuppose, sont, en re ceptive, des formations originales, mai et la conservent en la transformant, qu’elles subliment notre incarnation plutdt qu'elles ne la suppriment et que l'opéra- tion caractéristique de l'esprit est dans le mouvement par Jequel nous reprenons notre existence corporelle et 'em- ployons & symboliser au lieu de coexister seulement. Cette metamorphose tient 3 la double fonction de notre corps. Par ses « champs sensoriels », par toute son organisation, il est comme prédesting & se modeler sur les aspects naturels du monde. Mais comme corps actif, en tant qu'il est capable de gestes, d’expression et enfin de langage, il se retourne sur le monde pour le signifier. Comme le mont apraxiques, & espace actuel, oit chaque point est ce q se superpose chez l'homme un « espace virtuel » oit sont ins- cites aussi les valeurs spatiales que ce point recevrait pour telle autre position de nos coordonnées corporelles. Un systtme de correspondance s'établit entre notre situation spatiale et celle des autres, et chacune en vient & symboliser toutes les autres. Cette reprise, qui insére notre situation de fait comme un cas particulier dans le systéme des autres situations possibles, ‘commence dés que nous monivons du doigt un point de V'es- pace, car le geste de désignation, que justement les animaux in Sens et Non-Sens, Nagel, 1948, p. 15-445 Gallimard, 1995, ] in Sens et Non-Sens, p. 45-71; Gallimard 1995, p. 34-52.] (Maurice Merleau-Ponty, Hinaniome et Tew, Gallimard, 1947; [dees », 432, 1980.] Uw néoir bg Maurice Menszau-Ponry “6 ‘ne comprennent pas, nous suppose déja installés dans le vireuel, au bout de la ligne qui prolonge notre doigt, dans un espace centrifuge ou de culture. Cet usage mimique de notre corps ‘encore une conception, puisqu’il ne nous détache pas i dont au contraire il assume tout le nous introduit & une théorie concrete de l’esprit qui nous le montrera dans un rapport d’échange avec les instru- donne, mais qui lui rendent, et au-deld, ce quills ont regu de lui. D'une facon générale, les gestes expressifs, out la physio- gnomonie cherchait vainement les signes suffisants d’un état Gmotionnel, n’ont un sens univoque que placés en regard de la situation quils soulignent ou quills ponctuent. Mais, comme les phonémes, sans avoir encore de sens par cux- mémes, ils ont déja valeur diacritique, ils annoncent la consti- tution d'un systéme symbolique capable de redessiner un nombre infini de situations. Ils sont un premier langage. Et réciproquement le langage peut étre traité comme une gesti- culation tellement vatiée, précise, systématique, et capable de recoupements si nombreux, que la structure interne de Pénoncé ne peut finalement convenir qu’ Ia situation men- tale laquelle il répond et en devient le signe sans équivoque. Lesens du langage, comme celui des gestes, ne réside donc pas mune, et la phrase dite n'est comprise que si vant la « chaine verbale », dépasse chacun des m: direction qu’ils dessinent ensemble. De la vient & la fois que notre pensée, méme solitaire, ne cesse d’user du langage, qui Ja soutient, arrache au transitoire, la relance — qui en est, disait Cassirer, le « volant » ~, et que pourtant le langage, cons partie par partie, ne contienne pas son sens, que toute com- munication suppose, chez celui qui écoute, une reprise créa- trice de ce qui est entendu, De Ia vient aussi que le langage nous entraine vers une pensée qui n'est plus simplement nétre, qui est présomptivement unive 8 que cette uni- versalité soit jamais celle d'un concept pur, identique en tous “ ‘Parcouns peux les esprits : est plutdt Pappel qu'une pensée située adresse & autres pensées également situées, et auquel chacune répond avec ses ressources propres. Lexamen des ressorts de Palgo- tithme montrerait en lui, croyons-nous, la méme étrange fonction qui est & T'ceuvre dans les formes dites inexactes du Jangage : surtout lorsqu'il s agit de conquérir a la pensée exacte un nouveau domaine, la pensée la plus formelle se réfere jours & quelque situation mentale, qualitativement défi dont elle s'extrait le sens qu’en s'appuyant sur a configuration du probléme. La transformation n’est jamais simple analyse et la pensée n’est jamais formelle que relativement. En attendant de traiter complétement ce probleme dans Pouvrage que nous préparons sur L’Origine de la Vérité, nous avons abordé par son cété le moins abrupt dans un livre dont la moitié est écrite, et qui traite du langage liteéraire. Dans ce domaine, il est plus aisé de montrer que le langage n'est jamais le simple vétement d’une pensée qui se posséderait elle-méme en toute clarté. Le sens dun livre est premitrement donné, non tant par les idées, que par une variation systématique et insolite des modes du langage et du récit, ou des formes lité- ‘aires existantes. Cet accent, cette modulation particuligre de la parole, si Fexpression est séusse, est assimilée peu 3 peu par le lecteur-et lui rend accessible une pensée & laquelle il était ifférent ou méme rebelle d’abord. La commu- rature n'est pas simple appel de l'éctivain & des significations qui feraient partie d'un a priori de l'esprit bumain lutot elle les y suscite par entrainement ou par une sorte d'action oblique. Chez Pécrivain la pensée ne dirige 14.[ Et qui deviendra Le Visible et UTnvnible. Nous renvoyons & Pei tion de cet ouvrage procurée par Claude Lefort: Mautice Merleau-Ponty, Le Visible ot nvsile svi de notes de aval par Maurice Merleau Ponty, texte éabli par Claude Lefore, accompagné d'un avertssement et d'une postface, Gallimard, 1964; coll. « Tel », 36, 1979. Textes complémen- ‘iees : Mautice Merleau-Ponty, Signes, 0, notamment la + Decface » (fevtier et septembre 1960) et LCE et !iprit, Gallimard, is avec une préface de Claude Lefor, coll. « Folio essais», 13, 1985] ‘Uw mtorr De Maunice Mesieav-Powry 6 pas le langage du dehors : 'écrivain est lui-méme comme un fiome qui se construit, s'invente des moyens d’ex- diversifie selon son propre sens. Ce quion appelle podsie n’est peut-étre que la partie de la littérature oft cette autonomic saffirme avec ostentation. Toute grande prose st aussi une recréation de Pinstrument signifiant, désormais manié selon une syntaxe neue. Le prosaique se borne 2 tou- cher par des signes convenus des significations dja installées dans la culture. La grande prose est l'art de capter un sens qui mais éxé objectivé jusque-Ia et de le rendre accessible 4 tous ceux qui parlent la méme langue. Un écrivain se survit quand il n'ese plus capable de fonder ainsi une universalicé nouvelle, ex de communiquer dans le risque. II nous semble qu'on pourrait dire aussi des autres ccessé de vivre quand elles se montrent incapables de porter des rapports humains, Cest-a chaque liberté & toutes les autres, Hegel romain Cest la prose du monde. Ne tion a la prose dw monde * ce travail qui devrait, en éaborant la catégorie de prose, lui donner, au-dela de la littérature, une signification sociologique. Car ces recherches sur expression et la vérité approchent par son versant épistémologique le probléme général des rap- ports de homme avec l'homme qui fera Pobjet de nos recherches ultérieures. La relation linguistique des hommes doit nous aider a comprendre un ordre plus général de rela- tions symboliques et d'institutions, qui assurent, non plus scu- lement P’échange des pensées, mais celui des valeurs de toute esptce, la coexistence des hommes dans une culture et, au-dela i 218, 1995. Texte complémentaire : « Le langage indirect et les voix du silence >, Les Temps Moderne, 80, juin 1952, p. 2113-2144; 81, juillet 1952, p. 70- 94, Repris dans Signes, p. 49-104,] Pancouns D&vx coire nous semble au-dessus des contestations dont il ¢s naire sous ce mot, que ce soit pour la reconnaitre ou la niet, une Puissance extérieure au nom de laquell seraient dessaisies. Pas plus que le langage, est extérieure. Il y a une histoire de la pensée, cest. succession des ouvrages de l'esprit, avec tous les détours que on voudra, est comme une seule expérience qui se poursuit et au cours de laquelle la vérité pour ainsi dite se capitalise. Cest dans un sens analogue qu’on pourrait dire qu'il y a une histoire de ’humanié, ou plus simplement une humanité, en autres termes que, routes réserves faites sur les stagnations ou les reculs, les relations humaines sont capables de marin, de tourner leurs avatars en enseignements, de recucillir dans leur présent la vérité de leur passé, d’éliminer certains des secrets gui les rendent opaques et de se faire plus transparentes, Lidée d'une histoire unique ou d'une logique de Phistoire est, en un sens, impliquée dans le moindre échange humain, dans la moindre perception sociale: 'anthropologie suppose toujours qu'une civilisation, méme trés différente de la nétre, est a la limite comprehensible pour nous, quelle peut étre située pas rapport la nétre et a nétre par rappore a elle, qu‘lles appar- ticnnent au méme univers de pensée — comme le moindre usage du langage implique une idée de vérité. Dans Paction aussi, nous ne pouvons feindre de rejeter comme étrangres les aventures de histoire, puisque méme la recherche la plus indépendante de la vérité la plus abstraire a été et est un fac teur de histoire (le seul peut-étre dont on soit sir quill n'est en aucun cas décevant), que toutes les actions et les produc- tions des hommes se composent donc dans un seul drame, et qu’en ce sens nous nous sauvons ou nous perdons ensemble, notre vie est de soi universelle. Mais ce rationalisme métho- dique ne se confond pas avec un rationalisme dogmatique qui dlimine par avance la contingence historique en supposant comme un « Esprit du monde » (Hegel) derrigre le cours des Un mieore 0: Maumice Mesiens-Powry v ire totale ~ un seul tissu tions simultanées et successives, tous les faits de pensée et tous les faits écono- miques -, ce n'est pas au nom d'un idéalisme historique ou d'un matérialisme historique qui remettent, Pun 3 la pensée, autre 4 la matitte, le gouvernement de histoire, cest parce uc les cultures sont autant de syst8mes cohérents de sym- boles, qui peuvent étre comparés et placés sur un dénomina- feur commun, et qu’en chacun les modes de travail, ceux des relations humaines, ceux du langage et ceux de la pensée, méme sils ne sont pas & chaque moment parallées, ne restent jamais séparés & la longue. Et ce qui fait ce rapport de sens entre chaque aspect d'une culture et tous les autres, comme entre tous les épisodes de Ihistoite, c'est la pensée permanente et concordante de cette pluralité d’étres qui se reconnaissent comme des « semblables », alors méme que les uns cherchent A asservir les autres, et qui sont & tel point pris dans des situa- tions communes que souvent les adversaires sont dans une sorte de complicité, Nos recherches doivent donc nous conduire finalement & réfléchir sur cet homme manscendantal, ou cette « lumitre naturelle » commune & tous, qui transparatt & travers le mou- vement de Phistoire — sur ce Logos qui nous assigne pour téche d’amener a la parole un monde muet jusque-fa — ‘comme enfin sur ce Logos du monde pergu que nos premitres recherches rencontraient dans I’évidence de la chose. Nous rejoignons ici les questions classiques de la métaphysique, mais par un chemin qui leur éte le caractére de problomes, dite de difficultés qui pourraient étre résolues & peu de » Moyennant quelques entités métaphysiques construites effet. Les notions de Nature et de Raison, par exemple, in de les expliquer, rendraient incompréhensibles les méta- morphoses ausquelles nous avons assisté depuis la perception jusqu’aux modes complexes de 'échange humain, car, en les Tapportant & des principes séparés, elles nous masquent le moment, dont nous avons la constante expérience, ot une “6 Parcours DEUX existence se retourne sur elle-méme, se ressaisit et exprime son propre sens. Lidnude de la perception ne pouvait nous enseigner qu'une « mauvaise ambiguité », le mélange de la initude et de Vuniversalité, de Pintériorieé et de Pextétiorité, Mais iy dans Ie phénoméne de expression, une « bonne une spontanéité qui accomplit ce a considérer les éléments séparés, qui réunit en un seul Luralité des monades, le passé et le présent, la nature et la culture. La constatation de cette merveille serait la méta- physique méme, et donnerait en méme temps le principe d'une morale. 4952 20a Ls SCIENCES DE L'HOMME ET LA PHENOMENOLOGIE! Contre de Documentation Universitaire, 193-1963 Introduction _En traitant des rapports de la phénoménologie et des .ces de I'homme, je ne pense pas aborder un probléme ns d'une certaine tendance philosophique. La phéno- ménologie s'est présentée dés son début comme une tentative pour résoudre un probléme qui n’est pas celui d’une secte, mais peut-éere le probleme du sidcl tout le monde, il se pose encore aujourd’ hui. Leffort philo- sophique de Husserl est en effet destiné dans son esprit & résoudre simultanément une crise de la philosophie, une crise des sciences de homme, et une crise des sciences tout court, dont nous ne sommes pas encore sorts. 1. [Annoneé dans notre édition des cours des années 1949-1952, Merlea-Ponty ix la Sorbonne, éditions CynaraNexdier, 1988 ; nous publions la premitre partie du cours de 1951-1952 sus Les Sciences de Thomme et la phénaménologie, cule imprimée par le Centre de Documen- tation Universitaire (1953-1963), pour les mémes raisons et dans des formes identiques que le cours de année précédente. Gf « Les relations avec autrui chez Fenfant , in Parcours (1935-1951), Verdes, 1997, p. 147, note.)

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