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Un concept de différence implique une diffrence qui n'est pas sculement entre deux choses, et qui n'est pas non plas tune simple diffrence conceptuelle. Faut-il aller jusqu’a une difference infinie (théologie) ou se tourner vers une raison ‘du sensible (physique) ? A quelles conditions constituer un pur ‘concept de la différence ? Un concept de la répétition implique une répétition qui nest pas seulement celle d'une méme chose ou d'un méane Glément. Les choses ou les éléments supposent une répétition plus profonde, rythmique. Llart n'estil pas & la recherche de cette réptrtion paradoxale, mais aussi la pensée (Kierke- gaard, Nietzsche, Péguy) ? Quelle chance y rence pure et de tifent ? pour que les deux concep, de die ition profonde se rejpignent et den GD. Gilles Deeaze, né en 1928, profeseur de philosophie, 2 ensign Université de Paris VII- Vincennes jusyuen 1967, GILLES DELEUZE Différence et répétition ¥ fPIMETHEE pul} BPIMETHEE nee ae DIFFERENCE Collection fie par Jon Hyppoie. ET REPETITION ct dirigée par Jean-Luc Marion GILLES DELEUZE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE AVANT - PROPOS Les faiblesses d'un livre sont souvent la contrepartie d'inten- tions vides qu’on n'a pas su réalisor. Une déclaration d'intention, fen ce sens, Lémoigne d'une réelle modestie par rapport au livre idéal. On dit souvent que les préfaces ne doivent étre lues qu'a la fin, Inversement, les conclusions doivent étre lues d’abord ; crest vrai de notre livre, oft la conclusion pourrait rendre inutile In lecture du reste. Le sujet traité ici est manifestement dans lair du temps. On. peut en relever les signes : orientation de plus en plus accentuée de Heidegger vers une philosophie de la Différence ontologique ; Vexercice du structuralisme fondé sur une distribution de carac- téres différentiels dans un espace de coexistence ; l'art du roman ‘contemporain qui Lourne autour de la différence et de la répéti- tion, non seulement dans sa réflexion la plus abstraite, mais dans ses techniques effectives ; In découverte dans toutes sortes de domaines d'une puissance propre de répétition, qui serait aussi bien celle de linconseient, du langage, de l'art. ‘Tous ces signes peuvent étre mis au compte d’un anti-hégélianisme généralisé : la différence et la répétition ont pris la place de Videntique et négatif, de 'identité et de la contradiction. Car la différence implique le négatif, et ne se laisse porter jusqu’a la contradic tion, que dans la mesure oi I'on continue & la subordonner A Videntique. Le primat de I'identité, de quelque maniére que celle-ci soit concue, définit. le monde de la représentation. Mai Ia pensée moderne natt. de Ia fuillite de la représentation, comme de la perte des identités, et de la découverte de toutes les forces me 213095166 qui agissent sous Ia représentation de l'identique. Le monde ‘an rote moderne est celui des simulacres. L’homme n'y survil. pas a Dei egal — 1 on: 1968 Dieu, Pidentité du sujet ne survit pas a celle de la substance. (© Premes Universitaires de France, 1968 ts i [Bicycle effet » optique, par un jeu plus profond qui est celui de Ia dif {ah buted Sen emai Pn rence et de la repetition, Nous voulons penser Ia dilférence en 2 DIFFERENCE BT REPETITION elle-méme, et le rapport du différent avec le différent, indépen- damment ‘des formes de la représentation qui les raménent au Méme et les font passer par le négatif Notre vie moderne est telle que, nous trcuvant devant. les épétitions les plus mécaniques, les plus stéréolypées, hors de nous et en nous, nous ne eessons d'en extraire de petites differences, variantes et modifications. Inversement, des répétitions secrites, déguisées et cachées, animées par le’ déplacement. perpétuel d'une difference, restituent en nous et hors de nous des ions nues, mécaniques et stéréotypées. Dans le simulacre, la tion porte déja sur des répétitions, et la dilférence porte deja sur des dilfférences. Ce sont des répétitions qui se répétent, et le différenciant qui se différencie. La tache de ln vie est de faire coexister Loutes les répétitions dans un espace oii se distribue la différence. A Vorigine de ce livre, il y a deux directions de recherche : l'une, concernant un concept de la diflérence sans négation, précisément parce que la différence, n'étant. pas subor- donnée a l'identique, n’irait pas ou « n’aurait pas & aller » jusqu'a Vopposition et la contradiction — I’autre, concernant un concept de la répétition, tel que les répétitions’ physiques, mécaniques ou nues (répétition du Méme) trouveraient leur raison dans les structures plus profondes d'une répétition cachée ot se déguise et se déplace un ¢ diflérentiel ». Ces deux recherches se sont spontanément rejointes, parce que ces concepts d'une différence pure et d'une répétition compleze semblaient en Loutes occasions se réunir el se confondre. A la divergonce et: au décentrement perpétuels de la différence, correspondent étroilement un dépla- cement et un déguisement dans la répétition, Ilya bien des dangers A invoquer des cifférenees pures, libérées de V'identique, devenues indépendantes du négatif. Le plus grand danger est de tomber dans les reprisentations de la belle-dmo : rien que des différences, conciliables et {édérables, Join des lultes sanglantes. La belle-Gme dit : nous sommes diffe. rents, mais non pas opposés... Et la nolion de probléme, que nous verrons liée a celle de différence, semble elle aussi nourrir les états d'une belle~ime : seuls comptent les problémes et les ques- tions... Toutefois, nous croyons que, lorsque les problemes attei- gnent an degré de positieilé qui leur est propre, et loroque Ia différence devient l'objet d'une affirmation correspondante, ils libérent une puissance d’agression et de sélection qui détruit. la belle-me, en la destituant de son identité méme et en brisant sa AVANT-PROPOS % bonne volonté. Le problématique et le différentiel déterminent des luttes ou des destructions par rapport auxquelles celles du négatif ne sont plus que des apparences, et les veeux de la belle- me, autant de mystifications prises dans l'apparence. Il appar- tient au simulacre, non pas d’étro une copie, mais de renverser toutes les copies, en renversant aussi les modéles : Loute pensée devient une agression, Un livre de philosophie doit étre pour une part une espéce trés particuliére de roman policier, pour une autre part une sorte de science-fiction. Par roman policier, nous voulons dire que les concepts doivent intervenir, avec une zone de présence, pour résoudre une situation locale. Ils changent eux-mémes avec les problémes. Ils ont des sphéres d’influence, oit ils s’exercent, nous le verrons, en rapport avec des « drames » et par les voies d'une certaine ¢ eruauté », Is doivent avoir une cohérence entre eux, mais cette cohérence ne doit pas venir d’eux. Ils doivent recevoir leur cohérence d’ailleurs. Tel est le secret de l'empirisme. L'empirisme n'est nullement tune réaction contre les concepts, ni un simple appel & l'expérience vécue. Il entreprend au contraire Ia plus folle création de concepts qu’on ait jamais vue ou entendue. L’empirisme, c'est le mysti- cisme du concept, et son mathématisme. Mais précisément il le concept comme l'objet d’une rencontre, comme un ici- maintenant, ou plutot comme un Erewhon d’oit sortent, inépui- sables, les «ici » et les « maintenant » toujours nouveaux, autre- ment distribués. Il n’y a que I'empiriste qui puisse dire : les concepts sont les choses mémes, mais les choses a l'état libre et sauvage, au-deli des « prédicats anthropologiques », Je fais, refais et défais mes concepts & partir d'un horizon mouvant, d'un centre toujours décentré, d'une périphérie toujours déplacée qui les répéte et les différencie. Il appartient & Ia philosophic moderne de surmonter I'alternative temporel-intemporel, his torique-éternel, particulier-universel. A Ia suite de Nietzsche, nous découvrons I'intempestif comme plus profond que le temps et I'éternité : la philosophie n'est ni philosophie do 'histoire, ni philosophie de I'éternel, mais intempestive, toujours et. se Jement intempestive, c’est-i-dire « contre ee temps, en fa Vespére, d'un temps'& Yenir ». A la suite de Samuel Butte découvrons le Erewhon, comme signifiant & la fois le « nulle part » originaire, et le « ici-maintenant. » déplaeé, déguisé, modifié, toujours recréé. Ni particularités empiriques, ni universel abs. ms ‘ DIFFERENCE ET REP) TION trait : Cogito pour un moi dissous. Nous croyons & un monde oit les individuations sont impersonnelles, et les singularités, pré individuelles : Ia splendeur du « ow », D'ou l'aspect de seien fiction, qui dérive nécessairement de ce Erewhon. Ce que ce livre aurait di rendre présent, c'est done l'approche d'une cohérence qui n'est pas plus la ndtre, celle de homme, que celle de Diew ou du monde. En co sens, c'aurait da étre un livre apocalyptique (le troisieme temps dans Ia série du temps), Scienze-fiction, eneore en un autre sens, ot les faiblesses s'accusent. Comment. faire pour écrire autrement que sur ce qu’on ne sait pas, ou ce qu’on sait mal ? C'est K-dessus nécessai- rement qu'on imagine avoir quelque chose & dire. On n’écrit qu'a la pointe de son savoir, & cette pointe extréme qui sépare notre savoir et notre ignorance, ef qui fail passer l'un dans autre. C'est seulement de cette fagon qu’on est déterminé 4 écrire. Combler ignorance, c'est remeltre l'écriture demain, ou plutdt la rendre impossible.’ Peut-étre y a-t-il Ih un rapport de I'éeriture encore plus menacant. que celui qu'elle est dite entretenir avee la mort, avec le silence. Nous avons done parlé de science, d'une maniére dont nous sentons bien, malheurcusement, qu'elle n'était pas scientifique. Le temps approche oi il ne sera guére possible d’éerire un livre de philosophie comme on en fait depuis si longtemps « Ah! le vieux style... » La recherche de nouveaux moyens expression philosophiques fut inaugurée par Nietzsche, et doit Gtre aujourd'hui poursuivie en rapport avec le renouvellement de certains autres arts, par exemple le thédtre ou Ie cinéma. A cet gard, nous pouvons dés maintenant poser Ia question de ut sation de l'histoire de la philosophie. Il nous semble que l'histoire de la philosophie doit jouer un rdle assez analogue & celui d'un collage dans une peinture. L’histoire de la philosophie, c'est Ia reproduction de 1a philosophie méme. Il faudrait. que le compte rendu en histoire de la philosophie agisse comme un véritable double, et comporte Ia modification maxima propre au double. (On imagine un Hegel philosophiquenent barbu, un Marx philo- sophiquement glabre au méme titre qu'une Joconde moustachue), I faudrait arriver 4 raconter un livre réel de la philosophie passée comme si e’étail. un livre imaginaire et feint. On sait. que Borges excelle dans le compte rendu de livres imagi il va plus loin lorsqu’il considére un livre réel, par exemple le Don Quichotle, comme si c’était un livre imaginaire, lui-néme {VANT-PROPOS 5 reproduit par un auteur imaginaire, Pierre Ménard, qu'il consi- dire a son tour comme réel. Alors la répétition la plus exacte, la plus stricte a pour corrélat le maximum de différence (+ Le texte de Cervantes et celui de Ménard sont verbalement identiques, mais le second est. presque infiniment plus riche... »). Les comptes toire de la philosophie doivent représenter une sorte de ralenti, de figeage ou d'immobilisation du texte : non seulement du texte auquel ils se rapportent, mais aussi du texte dans lequel nt, Si bien quiils ont’ une existence double, et, pour , la pure répétition du texte ancien et du texte actuel double idé: Cun dane Uautre, C'est pourquoi nous avons dit parfois intégrer les notes historiques dans notre texte méme, pour approcher de cette double existence. Inrropucrion REPETITION ET DIFFERENCE La répétition n'est pas Ia généralité. La répétition doit atre distinguée de la généralité, de plusieurs facons. Toute formule impliquant leur confusion est facheuse : ainsi quand nous disons que deux choses se ressemblent comme deux gouttes d'eau ; ou lorsque nous identifions « il n'y a de science que du général » et «il n'y a de science que de ce qui se répéte ». La différence est de nature entre la répétition et la ressemblance, méme extréme. La généralité présento deux grands ordres, ordre qualitatif des resemblances ot V'ordre quantitatif des ‘équivalences. Les cycles et les égalités en sont les symboles. Mais, de toute maniére, Ja généralité exprime un point de vue d’aprés lequel un terme peut étre échangé contre un autre, un terme, substitué & un autre. L’échange ou la substitution des particuliers définit notre conduite correspondant 4 la généralité. C'est pourquoi les empi- ristes n'ont. pas tort. de présenter Vidée générale comme une \ée particuliére en elle-méme, 4 condition dy joindre un sen- timent de pouvoir la remplacer par toute autre idée particuliére qui lui resemble sous le rapport d’un mot. Au contraire, nous voyons bien que In répétition n'est une conduite nécessaire et fondée que par rapport A ce qui ne peut étre remplacé. La répé- tition comme conduite et comme point de vue concerne une singularité inéchangeable, insubstituable. Les reflets, les échos, les doubles, les émes ne sont pas du domaine de Ia resemblance ou de l'équivalence ; et pas plus qu'il n'y a de substitution possible entre les vrais jumeaux, il n'y a possibilité d’échanger son ame. Si I’échange est le critére de la généralité, le vol et le don sont ceux de la répétition. Il y a done une différence éco- namique entre les deux. ‘Répéter, c'est se comporter, mais par rapport & quelque chose d'unique ou de singulier, qui n'a pas de semblable ou équivalent. Et pout-étre cette répétition comme conduite fexterne fait-elle éeho pour son compte & une vibration plus 8 DIFFERENCE ET REPETITION seeréte, & une répétition intérieure et plus profonde dans le singulier qui anime. La féte n'a pas d’autre paradoxe apparent : répéter un « irrecommencable », Non pas ajouler une seconde cet-une troisiéme fois & la premiére, mais porter Ia premiére fois la e niéme » puissance. Sous ce rapport de la puissance, la répé- tition se renverse en s'intériorisant ; comme dit Péguy, ce n'est pas la féte de In Fédération qui commémore ou représente Ia prise de la Bastille, c'est Ia prise de la Bastille qui féte et qui répite A V'avance toutes les Fédérations ; ou c'est le premier nymphéa de Monet qui répéte tous les autres. On oppose done la généralité, comme généralité du particulier, et la répétition comme universalité du singulier. On répéte une couvre d'art comme singularité sans concept, el ce n’est pas par hasard qu'un poéme doit étre appris par ccour. La téte est l'organe des échanges, mais le cwur, Vorgane amoureux de la répétition. ( que la répétition concerne aussi Ia téte, mais préci qu’elle en est la terreur ou le paradoxe.) Pius Servien distinguait A juste titre doux langages : le langage des sciences, dominé par Ie symbole d’égalité, et ot chaque terme peul étre remplacé par d'autres ; le langage lyrique, dont chaque terme, irrempla- gable, ne peut étre que répétct, On peut toujours « représenter » In répétition comme une resemblance extréme ou une équi- valence parfaite, Mais, qu’on passe par degrés d'une chose & uune autre n'empéche pas une différence de nature entre les deux choses. D’aultre part, la généralité est de ordre des lois. Mais Ia loi détermine seulement la resemblance des sujets qui y sont soumis, et leur équivalence & des termes qu’elle désigne. Loin de fonder la répétition, la loi montre platot comment la répé- tition resterait impossible pour de purs sujets de la loi — les pparticuliers. Elle les condamne A changer. Forme vide de la dierence, forme invariable de ta variation, a fo stent ave sujels a ne llustrer qu’au prix de leurs proprss changements. Sone doute y aril dos constantes autant. que. der variables dans les termes désignés par la loi ;et dans la nature, des perma- nenees, des persévérations, autant que des flux et des variations. Mais une persévération ne fait pas davantage une répétition. Les constantes d’une loi sont & leur tour les variables d'une lot plus générale, un peu comme les plus durs rochers deviennent 1, Gt. Chatles Peau, clio, 1917 (N. 396 6), pe dS, pM db, Bi BO Selene et 2 Plas Sunvten, Principe @estatiqae Botwin, potas (Hlammnarion, 1847) pp. 4047. INTRODUCTION ° des matitres molles et fluides & W’échelle géologique d’un mil- lion d’années. Et, & chaque niveau, c'est par rapport & de grands objets permanenis dans la nature qu'un sujet de la loi éprouve fa propre impuissance & répéter, et découvre que cette impuis- sance est déja. comprise dans l'objet, réfléchie dans l'objet per- manent ou il it sa condamnation. La Joi réunit le changement des eaux A la permanence du fleuve, De Watteau, Blie Faure dit : el avait placé ce qu’il y a de plus passager dans ce que notre regard rencontre de plus durable, Vespace et les grands v Crest la méthode xvint sitele. Wolmar, dans La Nouvelle Heloise, en avait fait un systéme : Vimpossibilité de la répétition, le changement comme condition générale 8 laquelle Ta loi de la Nature semble condamner toutes les eréatures particuliéres, “ait saisi par rapport & des termes fixes (sans doute eux-mémes variables par rapport 4 dautres permanences, en fonction autres lois plus générales). Tel est le sens du bosquet, de la grotte, de l'objet « sacré ». Saint-Preux apprend qu'il ne peut pas répéter, non seulement en raison de ses changements et de feux de Julie, mais en raison des grandes permanences de la helure, qui prennent une valeur symbolique, et ne T'excluent pas moins d'une vraie répétition. Si la répétition est, possible, elle est du miracle plutdt que de la loi. Elle est contre la loi = contre Ia forme semblable et le contenu équivalent de la loi Si la répétition peut. étre trouvée, méme dans la nature, c'est ‘au nom d'une puissance qui s'affirme contre la loi, qui travaille fous les lois, peut-8tre supérieure aux lois. Si la répétition existe, tlle exprime 4 la fois une singularité contre Ie général, une uni- ‘Versalité contre le particulier, un remarquable contre l'ordinaire, tune instantanéité contre Ia’ variation, une éternité contre la permanence. A tous égards, la répétition, c'est la transgression Elle met en question la loi, elle en dénonce le caractére nominal fou général, au profit d'une réalité plus profonde et plus artiste. Il semble difficile pourtant de nier tout rapport de la répéti- tion avec la loi, du point de vue de Pexpérimentation scientifique clle-méme. Mais nous devons demander dans quelles conditions Texpérimentation assure une répétition. Les phénoménes de le nature se produisent a lair libre, toute inférence étant. possible dons de vastes cycles de resemblance : c'est en ce sens que tout Pagit sur tout, ef. que tout resemble & tout. (ressemblance du ‘divers avec soi). Mais l'expérimentation constitue des milieux elativement clos, dans lesquels nous définissons un phénoméne tn fonction d'un petit nombre de facteurs sélectionnés (deux au ninimum, par exemple lespace et le temps pour le mouvernent 10 DIFFERENCE ET REPETITION d'un corps en général dans le vide). Il n'y a pas lieu, dés lors, de s'interroger sur I'application des mathématiques 4 la physique : la physique est immédiatement mathématique, les facteurs rete- nus ou les milieux clos constituant aussi bien des systémes de coordonnées géométriques. Dans ees conditions, le phénoméne apparait nécessairement. comme égal & une certaine relation quan- titative entre facteurs sélectionnés. II s'agit donc, dans lexpéri- mentation, de substituer un ordre de généralité & un autre : un ordre d’égalité & un ordre de resemblance. On défait les ressem- blances, pour découvrir une égalité qui permet d'identifler un phénomeéne dans les conditions particuliéres de l'expérimentation. La répétition n’apperait, ici que dans le passage d’un ordre de généralité & Vautre, aMeurent & la faveur, & Voccasion de ce passage. Tout se passe comme si la répétition pointait dans un instant, entre les deux généralités, sous deux généralités. Mais Ia encore, on risque de prendre pour une différence de degré ce qui différe en nature. Car Ia généralité ne représente et ne suppose ‘qu'une répétition hypothétique : si les mémes circonstances sont données, alors... Cette formule signifie : dans des totalités sem- blables, on pourra toujours retenir et sélectionner des facteurs identiques qui représentent I'stre-égal du phénoméne. Mais on ne rend compte ainsi ni de ee qui pose la répétition, ni de ce qu'lly a de catégorique ou de ce qui vaut en droit. dans le répétition (ce qui vaut en droit, lest « n » fois comme puissance dune seule fois, sans qu'il y ait besoin de passer par une seconde, une troi- ‘ime fois). Dans son essence, la répétition renvoie & une puissance singuliére qui différe en nature de la généralité, méme quand elle profite, pour apparaitre, du passage artificiel d'un ordre général a autre. Lerreur « stotcienne », c'est d’attendre la répétition de la loi de nature. Le sage doit se convertir en vertueux ; Ie réve de trouver une loi qui rendrait la répétition possible passe du cbté de Ia loi morale. Toujours une tache & recommencer, une fidélité & reprendre dans une vie quotidienne qui se conford avec la réaf- firmation du Devoir. Buchner fait dire & Danton : « C'est bien fastidieux d’entiler d’abord sa chemise, puis sa culotte, et le soir de ge trainer au lit et le matin de se trainer hors du lt, et de mettre toujours un pied devant V'autre. Il n'y a guére d’sspoir que cela change jamais. Il est fort triste que des millions de gens aient fait ainsi et que d'autres millions le fessent encore aprés nous, et que par-dessus le marché nous soyons constitués de deux moitiés qui font toutes deux Ia méme chose, de sorte que tout se produit deux fois. » Mais & quoi servirait la loi morale, si elle ne sanctifiait. INTRODUCTION “ a nitration et surtout a elle ne a rendait posible, ous don- Je tration erat on ous exeut afi denature aan es urlgte présente estore du Bin oda Nal sous et onsite tome srs de la aatre(rpaiton d'un ae ee fave pasion), novs nous Tongons dans une Pa a ae que deja mauuite, qu n'a pas autre iasue ea eng Le Bien, au contri, nous donnerat Toe espe oe pation, edu sucets de lepton ede one eens parce quit dpendrat une Ll ta spiritual deen nator: mats celled devi, et dont gun Sra a ela cana tre aul ligilatours, comme aus ne salon Pe “gue: Kantappele la plus hau épreuve, Airs moran, ce Foreuve do" pense, ut doit determiner Teste rpredit on tty eesti ce qu pest Beet se anteatcion sous I forme de Ta. ni morale Be an ear ene un x epreuve + do In ropeiin, homme du deer pouvait seyret du pint de vue du droit ia détermint co au Penimeu AT foe demoniaque ct le fstic 1 esti done ei des sous de: Danton, tll ane réponse 8 dicux, TE tel on? ada moraliome jusque dane Télonnant eteCausltio que. oats 8ait cnfetonné dans. ck aie css biographies aeervent avec tant de aaa sree dant Ia ste de os promenades guotidienes précon, com oie dela tailed ete manque Wexercice (oe ee dont la maxim ne peu pa ans contra font partie de conden lol univerele ni done fire objet rene ropeiien de rit)? Fea Mot morale extercue, supérieure, indi ae eer fare mats elle ne peut penser Pappication férente Ala fol de nature rant en liebe image et Te oe aa ar len quel lo morale, loin de nous trode de emt ios hous lose encore dans Ta gendeali omnes ete ai rea pus cele dem mare, mals ello 1a nda cote oe em natures Il eat vain divoguer ge Tatas or, immoralen, do mauvateeshabitudes co aera oresatilement, ce qua la forme 00 bien, et la gol eat moral esentiellerent ai Derg, Vhabitade de ore ede tout de Fobliation, Or, da ce tout seen een de uabtude, now etrouvos les dex rads ou cetegintr de aces, dans In canformité variable des ores cl de reemenpon Aun moddle suppos, tnt quo 2 DIFFERENCE ET REPETITION Vhabitude n'est pas prise ; celui des équivalences, avec l'égalité des éléments d'action dans des situations diverses, dis que Vhabitude est prise. Si bien que jamais 'habitude ne forme une véritable répétition : tantot c'est action qui change, et se per- fectionne, une intention restant constante ; tantat l'action reste égale, dans des intentions et des contextes differents, L& encore, la répétition est. possible, elle n'apparait qu'entre ces deux généralités, de perfectionnement et d'intégration, sous ces deux généralités, quitte & les renverser, témoignant d'une tout autre que contre la loi de nature, On connatt deux maniéres de renverser {a loi morale. Tantot par une remontée dans les principes : on conteste l'ordre de la loi comme secondaire, dérivé, emprunté, «général »; on dénonce dans la loi un principe de seconde main, qui détourne une force ou usurpe une puissance originelles. Tantdt, au contraire, la loi est dautant mieux renversée qu’on descend vers les consé quences, qu’on s"y soumet avec une minutie trop parfaite ; c'est & force d’épouser la loi qu'une ame fausse- ment soumise arrive a la tourner, et & godter aux plaisirs qu’elle était censée défendre. On le voit bien dans toutes les démons- trations par l'absurde, dans les gréves du zéle, mais aussi dans certains comportements masochistes de dérision par soumission. La premiére maniére de renverser la loi est ironique, et l'ironie Y¥ apparatt comme un art des prineipes, de la remontée vers les prineipes, et du renversement des principes. La seconde est Phumour, qui est un art. des eonséquences et des descentes, des suspens et des chutes. Faut-il comprendre que la répétition surgit dans ce suspens comme dans cette remontée, comme si existence se reprenait et se « réitérait »en elle-méme, des qu'elle n'est plus contrainte par les lois? La répétition appartient & Vhumour et & Vironie ; elle est par nature transgression, excep tion, manifestant toujours une singularité contre les parliculiers soumis & la loi, un universel contre les généralités qui font. | IL y a une force commune A Kierkegaard et & Nielzsche. (Il faudrait y joindre Péguy pour former le triptyque du pasteur, de l'antechnist et du eatholique. Chacun des trois, & sa manicre, fit de la répétition non seulement une puissance propre du lan gage et de la pensée, un pathos et une pathologie supérieure, mais la catégorie fondamentale de la philosophie de l'avenir. A INTRODUCTION 8 chacun correspond un Testament, et aussi un Théatre, une conception du thédtre, et. un personnage éminent dans ee thédtre ‘comme héros de la répétition : Job-Abrabam, Dionysos-Zara- thoustra, Jeanne d’Are-Clio). Ce qui les sépare est considérable, manifeste, bien connu, Mais rien n'effacera celte prodigieuse rencontre autour d'une ponsée de la répétition : ils opposent la répililion d toutes les jormes de la généralité. Et le mol « répéti- tion », ils ne le prennent pas de maniére métaphorique, ils ont ‘au contraire une certaine maniére de le prendre a la lettre, et de le faire passer dans le style. On peut, on doit d'abord numé. roter les principales propositions qui marquent entre eux la jcidence = Ie Faire de la répétition méme quelque chose de nouveau ; Ja lier & une épreuve, A une sélection, & une épreuve sélective ; la poser comme objet supréme de le volonté et de la liberté. ‘kegaard précise : non pas tirer de la répétilion quelque chose de nouveau, non pas lui soutirer quelque chose de nou- veau. Car seule Ia contemplation, lesprit qui contemple du dehors, « soutire a, Il s'agit au contraire d'agir, de faire de la ripstition comme Lelle une nouveauté, c'est-a-dire une liberté et tune Uche de la liberlé. Et Nietzsche libérer la volonté de tout ‘ce qui l'enchatne en faisant de la répétition l'objet méme du vou- loir, Sans doute la répétition est-elle déja ce qui enchatne ; mai sion meurt de la répétition, c'est elle aussi qui sauve et qui gucrit, et qui guérit d’abord de l'autre répetition. Dans la répé tition, il y a done & la fois tout Ie jeu mystique de la perte et du salut,'tout le jeu théatral de la mort et de la vie, tout le jeu positit de la maladie et de la santé (cf. Zarathoustra malade et Zarathoustra convalescent, par une seule et méme puissance qui t celle de la répétition dans I’éternel retour). 2 Dis lors, opposer la répétition aux lois de la Nature Kierkegaard déclare qu'il ne parle méme pas du tout de la lition dans la nature, des cycles ou des saisons, des échanges et des égalités. Bien plus: si la répétition concerne le plus intérieur de la volonté, c'est pares que tout change autour de la volonté, conformément a la loi de nature. D’aprés Ia loi de nature, 1a répélition est impossible. C'est pourquoi Kierkegaard condamne, sous le nom de répélition esthetique, tout olfort pour obtenir la répétition des lois de la nature, non seulement. comme 1'é curien, mais fit-ce comme le stoicien, en s'identiflant au principe qui légifére, On dira que, chez Nietzsche, Ia situation n'est pas % DIFFERENCE BT REPETITION si claire. Pourtant les déclarations de Nietzsche sont formeles, Sil découvre la répétition dans la Physis elle-méme, c'est parce quil découvre dans I Physis quelque chose de supérieur au Tegne des lois: une volonté se voulant elle-méme a travers tous Tes changements, tne puissance contre Ia loi, un intérieur de la terre qui s'oppose aux lois de la surface. Nietzsche oppose « son + hypothise & Phypothése eyelique. Il congoit Ia répetition dans Vaternel retour comme Eire, mais il oppose eet élre a toute forme légale, a Vétre-semblabie autant qu’d I'étre-Egal. EL com- rent Ie penseur qui poussa le plus loin la eritique de la notion dle loi pourrait rintroduire léternel retour comme loi de la nature ? Comment lui, connaisseur des Grecs, serail fondé & tstimer sa propre pensée prodigieuse el nouvelle, sil e contentait de formuler cette platitude naturelle, cette généraité de la nature bien connue des Anciens ? A deux reprises, Zarathoustra Corrige les mauvaises interprétations de I'étemel retour : avec colére, contre son démon (« Exprit. de lourdeur.. ne simplifie pas trop de choses! »); avec douceur, contre ses animaux TO espitules, 6 ressasseurs... vous en avez déji fait une ren- gaine |»). La rengaine, cest U'cternel retour commo cycle on Circulation, comme étre-semblable et comme ére-, voila tune phrase de metteur en scene, qui pose le plus haut probléme thédtral, le probléme ’un mouvement qui atteindrait, direc- tement I'dme, et qui serait celui de I'ame’ AA plus forte raison pour Nietzsche. La Naissance de la Tra- gidie n'est. pas une réflexion sur Je thédtre antique, mais la Tondation pratique d'un thédtre de lavenir, ouverture d'une ‘voie dans laquelle Nietzsche croit encore possible de pousser Wagner. Et la rupture avec Wagner n'est pas affaire de théori elle n'est pas non plus affaire de musique ; elle concerne le role CL, Keimmanonano, Crainie at trembloment (trad. Tisexau, Aubler, abi aur In nature du mouvement ret, ul et « repetition » et Aon pas ‘Msation, e€ gut eoppose au fae mouvement fogigue abstralt de Hefel, {les remarues dt Jounal, en appendice ala Répsilion, traded. Tieseau. On trouve numa cher Beov unecritique profonde ds mouvement logiqu guy dénones ele comme um preudo mouvement, conervater, em Inteut etcapitatiateur£ ef Cito, NLT pp. 48 aq, Cet proche de la critique lerkegesrdionne. 18 DIFFERENCE ET REPETITION respectit du texte, de V’histoire, du bruit, de la musique, de la lumiére, de la chanson, de In danse et du’ décor dans ce thédtre dont Nietzsche réve. Zarathousira reprend ies deux tentatives dramatiques sur Empédocle. Et si Bizet est meilleur que Wagner, crest du point de vue du thédtre et pour les dances de Zara: thoustra. Ce que Nictasche reproche & Wegner, c'est d'avoir renversé et dénaturé le « mouvement » : nous avoir fait patauger et nager, un théatre nautique, au lieu de marcher et danser. Zarathousira est. concu tout entier dans la philosophic, mais aussi tout entier pour la scéne. Tout y est sonorisé, visualisé, mis en mouvement, en marche et en danse. Et comment le lire sans chercher Ie son exact du eri de homme supérieur, comment lire le prologue sans mettre en seéne le funambule qui ouvre toute Vhistoire ? A certains moments, c'est un opéra boule sur ddes choses terribles ; et ce n’est pas ‘par hasard que Nictzsche parle du comique du surhumain. Qu’on se rappelle Ia chanson rane, mise dans la bouche du vieil Enchanteur: deux masques, sont superposés — celui dune jeune femme, presque d'une Koré, qui vient s'appliquer sur un masque de vieillard repugnant. L'acteur doit jouer le réle dun vieillard en train de jouer lo role de la Koré, Et 18 aussi pour Nietzsche, il s'agit de combler le vide intérieur du masque dans un espace scénique : en mul. tipliant les masques superposés, en inscrivant dans cette super position 'omniprésence de Dionysos, en y mettant Tinfini du mouvement. réel comme la différence absolue dans Ia répétition de I'éternel retour. Lorsque Nietzsche dit que le surhomme resemble & Borgia plutat qu’'a Parsifal, lorsqu'il suggére que le surhomme participe a la fois de Pordre des Jésuites et du corps des officiers prussiens, 14 encore, on ne peut comprendre ces textes qu’en les prenant pour ce quills sont, des remarques de metteur en scéne indiquant comment, le surhomme doit étre jous>. Le thédtre, c'est le mouvement, réel ; et de tous les arts qu'il utilise, il extrait le mouvement réel. Voila qu'on nous dit ' ce mouvement, essence et I'intériorité du mouvement, vest la répétition, non pas Uopposition, non pas la médialion. Hegel est dénoneé comme celui qui propose un mouvement du concept abstrait, au lieu du mouvement de Ia Physis et de In Peyehi Hegel substitue le rapport abstrait du particulier avec le concept en général, au vrai rapport du singulier et de Vuniversel dan Mdée. Ilen reste done &'élément réfléchi de la «représentation » la simple généralité. TI représente des concepts, au lieu de dramatiser les Idées : il fait un foux théatre, un faux drame, un INTRODUCTION 49 faux mouvement. II faut voir comme Hegel trahit et dénature Vimmédiat pour fonder sa dialectique sur cette incompréhension, ct introduire la médiation dans un mouvement qui n’est plus que celui de sa propre pensée, et des généralités de cette pensée, Les suceessions spéculatives remplacent les coexistences, les oppo- sitions viennent recouvrir et cacher les répétitions. Quand on dit que le mouvement, au contraire, c'est la répétition, et que c'est la notre vrai thédtre, on ne parle pas de leffort de acteur qui « répéte » dans 1a mesure ott Ia piéce n'est pas encore sue. On ense & Pespace seénique, au vide de cet espace, dla maniére dont il est rempli, déterminé, par des signes et des masques, & travers lesquels I'acteur joue un rale qui joue d’autres rales, et comment la répétition se’tisse d'un point remarquable & un autre en comprenant en soi les différences. (Quand Marx critique aussi le faux mouvement abstrait ou la médiation des hé trouve lui-méme porté a une idée, qu'll indique plutot qu'il ne la développe, idée essentiellement « théatrale » : pour autant que Vhistoire est un théatre, la répétition, le tragique et le comique dans la répétition, forment une condition du mouvement, sous loguelle les « acteurs » ou les « héros » produisent dans histoire quelque chose d'effectivement nouveau.) Le thédtre de Ia répé- tition s’oppose an thédtre de la représentation, comme le mouve- ment s'oppose au concept et a Ia représentation qui le rapporte au concept. Dans le théatre de la répétition, on éprouve des forces pures, des tracés dynamiques dans l'espace qui agissent sur Vesprit sans intermédiaire, et qui unissent directement a Ia nature et a histoire, un langage qui parle avant les mots, des gestes quis'élaborent avant les corps organisés, des masques avant les visages, des spectres et des fantOmes avant les personages — tout 'appareil de la répétition comme « puissance terrible ». II devient aisé, alors, de parler des différences entre Kier- kegaard et Nietzsche. Mais méme cette question ne doit, plus étre posée au niveau spéculatif d'une nature ultime du Dieu d’Abraham ou du Dionysos de Zarathousira. Il s'agit. plutot de savoir ce que veut dire « faire le mouvement », ou répéter, obtenir la répétition, SYagit-il de sauter, comme le eroit Kierkegaard ? Ou bien s'agit-il de danser, comme pense Nietzsche, qui n'aime pas que l'on confonde danser avec sauter (seul le singe de Zara thoustra, son démon, son nain, son bouffon, saute). Kierke- 1. Ct. Nisrsscus, Zorathousia, liv. IIL, « Des viellos ot des nouvelles tadies als fe bouffon sul pense : On peut aussi sauter par homme, 0 DIFFERENCE BY REPETITION gaard nous propose un thédtre de la foi; et ce qu'il oppose au mouvement logique, c'est lo mouvement spirituel, le mouvement de Ia foi. Aussi peut-il nous convier & dépasser toute répetition eathétique, & dépasser Vironie ef méme Vhuumour, tout en sachant, avec soufirance, qu'il nous propose seulement image esthttique, fronique et humoristique d'un tel dépassement. Chez NicLzsche, c'est un théatre de V'ineroyance, du mouvement comme Physis, dja un thédtre de la eruaulé, Ltbumour et Vironic y sont indé- passables, opérant au fond de la nature. Et que serait P’éternel Fetour, sion oubliait qu'il est un mouvement vertigineux, qu'il est doué d'une force de sélectionner, d'expulser comme de créer, ‘de détruire comme de produire, non pas de faire revenir le Meme général ? La grande idée de Nietzsche, c'est de fonder la répé- tition dans P'éternel retour a la fois sur la mort de Diew et sur la dissolution du Moi. Mais dans le thédtre de lo foi, alliance est. tout autre ; Kierkegaard la réve entre un Dieu et un moi retrouvés. Toutes sortes de dil vement est-il dans la sphere de Pesprit, ow bien dans les entrailles de la terre, qui ne connait ni Diew ni moi? Oi se trouver mieux protégé contre les généralités, contre les médiations ? La répétition est-elle surnaturelle, dans Ia mesure oi elle est, au-dessus des lois de la nature ? Ou bien est-elle le plus naturel, Volonté de la Nature en elle-méme el se voulant ellesrnéme comme Physis, parce que la nature est por elle-méme supérieure 3 ses propres reznes el ses propres lois? Kieekegaard, dans sa conda nation de la répélition « esthétiqui pas mélangé Loutes sortes de choses : une pseudo-répétition qu'on allribuerail aux lois générales de la nature, une vraie répétition dans Ja nature elle-méme ; une répétition des passions sur un mode patholo. gique, une répétition dans Vart et Peeuvre d'art ? Nous ne pou- ons maintenant résoudre aucun de ces problémes; il nous a suffi de trouver la confirmation thédtrale dune’ différence inéductible entre la généralité et la répétition, Répétition et généralilé s'opposaient du point de vue de la conduite et du point de vue de la Ini, 11 faut encore priciver la troisiéme opposition, du point de vue du concept ou de Ia repré- sentation. Posons une question guid juris : le concept peut etre en droit celui d'une chose particulitre existante, ayant. alors une compréhension infinie. La compréhension infinie est le corrélat d'une extension = 1. Il importe forl que cet infini de la INTRODUCTION a ‘compréhension soit pos! comme actuel, non pas comme virluel ‘ou simplement indéfini. Crest & cette condition que les prédicats comme moments du cncept se conservent, et ont un effet dans ujet auquel ils s'attribuent. La compréhension infinie rend ainsi possible Ia remémoration et la recosnition, la mémoire et la conscience de soi (méme quand ces deux facultés ne sont pas infinies pour leur compte). On appelle représental ion le rapport du concept et de son objet, sous ee double aspect, tel qu'il se trouve effectué dans cette mémoire et celte conscience de soi On peut en tirer les principes d'un leibnizianisme vulgarisé, D'aprés un prineipe de différence, toute détermination est concep- tuelle en derniére instanee, ou fait actuellement partie de Ia compréhension d'un concept. D'aprés un principe de raison suflisante, il y a toujours un concept par chose particuliére, D'aprés la réciproque, principe des indiscernables, ily une chose et une seule par concept. L’ensemble de ces principes forme exposition de Ia différence comme différence conceptuelle, ou le développement de la représentation comme médiation. Mais un concept peut toujours atre bloqué, au niveau de chacune de ses determinations, de chacun des. prédicats qu'il comprend. Le propre du prédicat comme détermination, c'est de rester fixe dans le concept, tout en devenant autre dans la chose (animal devient autre en homme et en cheval, humanité, autre en Pierre et Paul). Crest méme pourquoi la compréhension du concept est infinie : devenu autre dans Ia chose, le prédicat est comme Vobjet d'un autre prédicat dans le concept. Mais c'est pourquoi aussi chaque détermination reste générale ou définit lune ressemblanee, en tant que fixée dans le concept et convenant en droit & une infinité de choses. Le concept, ici, est donc constitué de telle fagon que sa compréhension va Tinfini dans son usage réel, mais est Loujours passible d’un blocage artificiel dans son usage logique. Toute limitation logique de la compréhension du concept le dote d'une extension supéricure & 1, infinie en droit, done d'une généralité tolle qu’aucun individu existant ne peul ui correspondre hic ef nunc (régle du rapport inverse de la compré- hension et de l'extension). Ainsi le principe de différenee, comme différenee dans le concept, ne s’oppose pas, mais au contraire laisse le plus grand jew postihle A lappréhension des. ressem- lances, Déja, du point de vue des devinettes, Ia question ecquelle différence y ail? » peut toujours se transformer en : quelle resemblance y a-t-il? Mais surtout, dans les classifi tions, la détermination des espices implique et suppose une ue des ressemblances. Sans doute la ressem- 2 DIFFERENCE ET REPETITION lance n'est pas une identité particlle ; mais c'est seulement aree que le prédicat dans le concept, en vertu de son devenir- autre dans Ia chose, n'est pas une partie de cette chose. Nous voudrions marquer la différence entre se type de blocage artificiel et un tout autre type, qu'on doit appeler blocage naturel du concept. L’un renvoie a la simple logique, mais autre, & une logique transcendantale ou a une dialectique de l'existence. Supposons en effet qu'un concept, pris & un moment. déterminé 0i1 sa compréhension est finie, se voit assigner de force une place dans I'espace et, dans le temps, c’est-tdire une existence corres- pondant normalement & V'extension = 1. On dirait alors qu'un gonre, une espéce, passe a T'existence hic el nunc sans augmenta- tion de compréhension, Il y a déchirement entre ectte exten. sion = 1 imposée au concept et extension = ao qu’exige en Principe sa compréhension faible. Le résultat va étre une « exten- ion diseréte », cest-a-dire un pullulement d’'individus absolument identiques quant au concept, et participant de la méme singula- rité dans I'existence (paradoxe des doubles ou des jumeaux)!, Co phénoméne d'extension discréte implique un blocage naturel du concept, qui différe en nature du blocage logique : il forme une vraie répétition dans lexistence, au lieu de constituer un ordre de resemblance dans la pensée. Il y a une grande différence entre la généralité, qui désigne toujours une puissance logique di concept, et Ia répétition, qui témoigne de son impuissance ou de sa limite réelle. La répétition, c'est le fait pur d'un concept & compréhension finie, foreé de passer comme tel & existence : connaissons-nous des exemples d’un tel passag> ? L’atome épi- curien serait un de ces exemples ; individu loealsé dans l'espace, il'n'en a pas moins une comprehension pauvre, qui se rattrape en extension discréte, au point qu'il existe une infinité d’atomes de méme forme et de méme taille. Mais on peut douter de existence de Vatome épicurien. En revanche, on ne peut douter de Vexis- tenco des mots, qui sont d'une certaime maniére des atomes line guistiques. Le mot posstde une compréhension nécessairement finie, puisqu'il est par nature objet d'une définition seule- ment nominale. Nous disposons l4 d’une raison pour laquelle 1a comprehension du concept ne peut pas aller &'infii : on ne définit lun mot que par un nombre fini de mots. Pourtant Ia parole et Técriture, dont il est imséparable, donnent. au mot une existence ‘ic ef nune ; le genre passe done & Y'existence en tant que tel ; et 1. La formule ete phénoméne de extension diserite sont bien dégagéa por Michel Tourner dans tn texte’ paraite: mente LNTRODUCTION 23 14 encore I'extension se rattrape en dispersion, en diserétion, sous le signe d'une répétition qui forme la puissance réclle du langage Gans la parole el dans lécriture. La question est : y a-til d'autres blocages naturels que celui e Vextension discréte ou de la compréhension finie ? Supposons tun concept compréhension indéfinie (virluellement infinie). Si Toin qu'on aille dans eette compréhension, on pourra toujours penser qu'il subsume des objets parfaitement identiques. Contrai- rement & ce qui se passe dans l'infini actuel, of le concept suillt en droit & distinguer son objet de foul autre objet, nous nous trouvons maintenant devant un cas oit Ie concept’ peut pour- suivre indéfiniment sa compréhension, tout en subsumant tou- jours une pluralité dobjet elle-méme indéfinie. La encore le Concept est le M&me — indéfiniment le méme — pour des objets distinets. Nous devons alors reconnaitre Vexistence de différences non conceptuelles entre ces objets. C'est Kant qui marqua le mieux la eorrélation entre des concepts doués d'une spécification seulement indéfinie et des déterminations non conceptuelles, purement, spatio-temporelles ou oppositionnelles (paradoxe des Objels symélriques)’. Mais précisément ces déterminations sont seulement les figures de la répétition : Yespace et le temps sont euxmémes des milieux répétilifs; el Vopposition réelle n'est pas un maximum de diférence, mais un minimum de répétition, une répélition réduite & deux, faisant retour et écho sur soi, une répétition quia trouvé Ie moyen de se définir. La répétition apparait, donc comme la dilférence sans concept, qui se dérobe ‘la différence conceptuelle indéfiniment continuée, Elle exprime tune puissance propre de l'existant, un entatement de lexistant Gans intuition, qui résiste & Loute spécification par le concept, siloin qu'on pousse celle-i, Si loin que vous lliez dans le concep, it Kant, vous pourrez toujours répéter, e'est-i-dire lui faire correspondre plusieurs objets, au moins deux, un pour la gauche . her Kant, iy ben une speiteation in ak dy goncept; mais parce ue et ffi ed uve dann ne peuen tat arg ioeble a pouida d'un principe dev indacerbaben Au onal rit norte aco ue in prehension aint un cistant is ou sah tl acacorent int hain Faroe larement Sane ib fice tan a Ase vero gee ‘nin eatons Empl ot evireement spo eartenset ‘au pila danse eae de vert de fal (par extaple, scare de intapigas © 3) til dt sv tv entondy nt poe cote conse sect Ee crue iioh tray can crapene rg Tevet mallenent Pactoaite, Au sone eect a olin wt Tvoqute par Lebiis mai arrest & propos une expec de vets nec. Selves (proposiions non reelproques) : ef De fa liber % DIFFERENCE ET REPETITION Positif un pour Io négatt ” pour eunipone le pee li es ere am No: Veaulé alors passe du cété de I'esprit qui se reprée nt x chose de nouveau, de soutirer quelque chose de nouveau & la répétition qu'il contemple. sont les concepts de la Nature. Or ces deux cas n'épuisent pas outs de mémoie, mais sans conslence de al La repeater, toute la parler dun aco, ne sles de Sea conscience du savoir ou Vélaboration du souvenir, le savoir tel INTRODUCTION 25 jéme cas de blocage, qui concerne cette fois les concepts de la iberté, ELIA aussi, du point de vue d’un certain freudisme, on peut dégager le principe du rapport inverse entre répétition et Conscience, répétition et remémoration, répétition et recognition (paradoxe des « sépullures » ou des objets enfouis) : on répéte Aautant plus son passé qu’on s'en ressouvient moins, qu'on a ‘moins conscience de s'en souvenir — souvenez-vous, élaborez le souvenir, pour ne pas répéter', La conscience de soi dans la recognition apparatl comme la faculté de 'avenir ou la fonction du fatur, Ia fonction du nouveau. N’est-il pas vrai que les seuls morts qui reviennent sont ceux qu’on a trop vite et trop profon- dément enfouis, sans leur rendre les devoirs nécessaires, et que le remords témoigne moins d’un excés de mémoire que d'une impuis- sance ou d'un raté dans l'élaboration d'un souvenir ? Tl y a un tragique et un comique de répétition. La répé- tition ‘apparatt_méme toujours deux fois, une fois dans le destin tragique, Pautre dans le caractére comique. Au Uhéatre, le héros répéte, précisément, parce qu'il est séparé d'un savoir essentiel infini.’ Ce savoir est en lui, plonge en lui, agit en lui, mais agit comme une chose cachée, comme une représentation bloquée. La différenee entre le comique et Ie tragique tient & deux éléments : Ia nature du savoir refoulé, tantet savoir naturel immédiat, simple donnée du sens commun, tantot terrible savoir ésotérique ; dés lors aussi la maniére dont le personnage en est exclu, la manitre dont e il ne sait pas qu'll sait ». Le probleme pratique en général consiste en ceci : ce savoir non su doit étre eprésenté, comme baignant toute la scine, imprégnant Lous les, ements de la piéce, comprenant en soi toutes les puissances de la nature et. de esprit; mais en méme temps le héros ne peut pas se le représenter, il doit au contraire le mettre en acte, le jouer, le répéter. Jusqu'au moment aigu qu’Aristote appelait ‘reconnaissance », ol Ia répétition et la représentation se mélent, Saffrontent, sans confondre pourtant leurs deux niveaux, un se réfléchissant dans l'autre, se nourrissant de l'autre, le savoir Gant alors reconnu le méme en tant qu'il est reprisenté sur seine et répété par Pacteur. 1 Em, emia oan, 4 (end Dam af Hale emigrant, dete, Ng es, Desay a ec gare rons Ure Sete sere fet eer eae ee tae pf seni Fee iar yd ae Eeemcan ead Aa 2 DIFFERENCE EY REPETITION Le discret, 'aliéné, le refoulé sont. les trois d locé naturel, corespondant aux concepts nominass ase concent gaisweque fore de Teague dan le seaport {érence absolument sans concept, en ce sens dilférence indiflé- le premier cas, il y a répétition parce que le concept nominal a y a répitition parce que le concept de la nature est naturellement. Ie concept dela liberi reste nconsient, le souvenir et leat, du rmbme coup Ie Tépstition. le de Rexliqner, ot expliquer ,Revenons exemple de la chanalyse : on yarce: auven efi $ Sram a ven 9 pe pace INTRODUCTION ” cette positivite, il 'emprunte au principe de plaisir ou au prin- tipe de réalilé : posilivité seulement dérivée, ct d’'opposition. Le grand tournant du freudisme apparait dans Au-deld du prin- tipe de plaisir + V'nstinet de mort est découvert, non pas en rapport avee les tendances destructives, non pas en rapport avec Pagressivité, mais en fonction d'une considération directe des phénoménes de répétition, Bizarrement, I'instinct de mort vaut, Comme principe positif originaire pour la répétition, c'est 18 son domaine et son sens. II joue le role d'un principe transcen- dantal, tandis que le principe de plaisir est seulement psycholo- gique. Gest pourquoi il est avant tout silencieux (non donné dans expérience), tandis que le principe de plaisir est bruyant. La premiere question serait done : comment le théme de la mort, qui semble recucillir le plus négatif dans la vie psychologique, peut-il étre en soi le plus positif, transcendantalement, positif, au point d’ailirmer la répétition ? Comment peut-il étre rapporié a lin inslinc! primordial ? Mais une seconde question recoupe immédiatement celle-I8. Sous quelle forme la répétition est-elle affirmée et prescrite par Vinstinct de mort? Au plus profond, il s'agit du rapport entre Ia répétition et les déguisements. Les déguisements dans le travail du réve ou du symptéme — la condensation, Ie déplacement, a dramatisation — viennent-ils recouvrir en Tatténuant une répétition brute et nue (comme répétition da Méme) ? Das la premiére théorie du refoulement, Freud indiquait une autre voie : Dora n’élabore son propre réle, et ne réptte son amour pour le pére, qu’a travers d'autres roles tenus par autres, et qu'elle tient elle-méme par rapport & ces autres (K, Mme K, In gouvernante...). Les déguisements et les Variantes, les masques ou les travestis, ne viennent pas « par- dessus », mais sont au contraire les éléments génétiques internes de Ia répétition méme, ses parties intégrantes et constituantes. Cette voie aurait pu diriger l'analyse de Vinconscient. vers un veritable théatre. Toutefois, si elle n'aboutit pas, c'est dans la mesure oi Freud ne peut s'empécher de maintenir le modéle ion brute, au moins comme tendance, On le voit bien quand il attribue la fixation au Ga ; le déguisement est alors compris dans la perspective d’une simple opposition de forces, la répétition déguisée n'est plus que le fruit, d'un compromis secondaire entre les forces opposées du Moi et du Ca. Méme dans Vau-dela du principe de plaisir, la forme d'une répétition nue subsiste, puisque Freud interpréte l'instinet de mort comme une tendanee a revenir & l'état d’une matiére inanimée, qui maintient Je modile d'une répétition toute physique ou matérielle. 2s DIFFERENCE ET REPETITION La mort n’a rien & voir avec un modéle matériel. J suff de comprendre au contraire Vinstinct de mort dans son rapport spirituel avec les masques et les travestis. La. répétition est vraiment ce qui se déguise en se constituant, ce qui ne se constitue qu'en se déguisant. Elle n'est pas sous les masques, mais se forme un masque a autre, comme d'un point remarquable & un autre, d'un instant, privilégié & un autre, avee et dans les variantes. Les, masques ne recouvrent rien, sauf dautres masques. Il n'y a pas de premier terme qui soit répété ; et méme notre amour d'enfant pour la mire répate d'autres amours d’adultes & l'égard d'autres, femmes, un peu comme le héros de la Recherche rejoue avec sa mire ta passion de Swann pour Odette. II n'y a done rien de répété qui puisse étre isolé ou abstrait. de In répétition dans laquelle il se forme, mais aussi dans laquelle il se cache. Tn'y a pas de répétition nue qui puisse étre abstraite ou inférée du déguisement Iui-méme. La méme chose est déguisante et déguisée. Un moment, décisif de la psychanalyse fut. celui oi Freud renonca sur certains points & Phypothése d’événements, réels de lenfance, qui seraient. comme des termes ultimes déguisés, pour y substituer la puissance du fantasme qui plonge dans V'instinet’ de mort, o& tout est déja masque et encore déguisement, Bref, la répétition est symbolique dans son essence, le symbole, Ie simulacre, est la letire de Ia répétition méme. Par le déguisement et ordre du symbole, la différence est comprise dans la répétition. C'est pourquoi les variantes ne viennent pas du dehors, n’expriment pas un compromis secondaire entre une instance refoulante et. une instance refoulée, et ne doivent pas se comprendre & partir des formes encore négatives de l'opposition, du retourmement ow du renversement. Les variantes expriment plutat des mécanismes dilférentiels qui sont de I'essence et de Ia gentse de ce qui se répéte. Il faudrait méme renverser les rap- ports du «nu » et du « vétu » dans Ia répétition. Soit, une répé- tition nue (comme répétition du Méme), par exemple un céré- monial obsessionnel, ou une stéréotypie schizophrénique : ce quill y a de mécanique dans In répétition, 1'élément, d'action apparemment. répété, sert.de couverture pour une répétition plus profonde, qui se joue dans une autre dimension, verticalité secréte oii les riled et lex masques s’alimentent & Hinstinet de mort. Théatre de la terreur, disait Binswanger & propos de la sehizophrénie. Et le « jamais vu » n'y est pas le contraire du « déja vu », tous deux signifient la méme chose et sont vécus Pun dans autre. La Syloie de Nerval nous introduisait. déja dans ce theatre, et la Gradioa, si proche d'une inspiration nervalienne, INTRODUCTION 29 nous montre Ie héros qui vit & la fois Ia répétition comme telle, et ce qui se répéte comme toujours déguisé dans la répétition. Dans l'analyse de Vobsession, Vapparition du theme de la mort coineide avec le moment ot Tobsédé dispose de tous les per- sonnages de son drame, et les réunit dans une répétition dont qe « cérémonial » est seulement. envelope extérieure. Parlout Crest le matque, c'est le travesti, c'est le vétu, In vérité du nu. Cest le masque, le véritable’ sujet de la répétition. Crest parce que la répétition différe en nature de la représentation, que le répété ne peut élre représenté, mais doit toujours étre signifi, masqué par ce qui le signifie, masquant lui-méme ce quiil signifi. Jo ne répite pas parce que je refoule. Je refoule parce que je répite, jfoublie parce que je répote. Je refoule parce que, d’ebord, je ne peux vivre certaines choses ou certaines experiences que Sur le mode de la répétition. Je suis déterminé & refouler ce qui m’empécherait de les vivre ainsi : cest-A-dire la représentation, qui médiatise le vécu en le rapportant & la forme d'un objet identique ou semblable. Eds et Thanatos se distinguent qu'Erds doit étre répété, ne peut étre vécu que dans la ré ais que Thanatos (comme principe transcendantal) est. ce qui donne la répétition & Bros, ce qui soumet Eros & la répétition, Seul un tel point de vue est capable de nous faire avancer dans les problémes obscurs de lorigine du refoulement, de sa nature, de ses causes et des termes exacts sur lesquels il porte. Car lorsque Freud, au-dela du refoulement « proprement dit » qui porte sur des ‘représenlalions, montre la nécessité de poser un refoulement originaire, concernant d'abord des présentalions pures, ou Ia maniére dont les pulsions sont nécessairement ‘vécues, nous eroyons qu'il s'approche au maximum d'une raison positive interme de la répétition, qui lui paraitra plus tard ‘éterminable dans Vinstinet. de mort, et qui doit expliquer le blocage de In représentation dans le refoulement proprement dit, loin. d'8tre expliqué par Ini, Crest pourquoi la foi d'un rapport inverse répélition-remémoration est peu satisfaisante 4 tous égards, en tant qu'elle fait dépendre la répétition du refoulement, Freud marquait déa le début que, pour cesser do répéter, il ne suffsait pas de se souvenir abstraitement (sans affect), ni de former un concept en général, ni méme de se représenter dans toute sa particularité evénement refoulé =i fallait aller chercher le souvenir ld of il était, sinstaller d'emblée dans le passé pour opérer Ia jonclion vivante entre le savoir et la résistance, la 0. peur 2 30 DIFFERENCE ET REPETITION représentation et le blocage. On ne guérit donc pas par simple manisie, pas plus qu’on n'est, malade par amnésie, LA comme ailleurs, la prise de conscience est peu de chose. L'opération aulrement théatrale et dramatique par laquelle on guérit, et aussi par Inquelle on ne guérit pas, a un nom, Ie transfert. Or le transfert est encore de la répétition, avant tout de la répétition Ia répétition nous rend malades, e'sst clle aussi qui nous guérit ; si elle nous enchaine et nous détruit, c'est elle encore qui nous libére, témoignant dans les deux eas de'sa puissance « démo- niaque ». Toute la cure est: un voyage au fond de la répstition. ILy a bien dans le transfert quelque chose d’analogue & Vexpéri- mentation scientifique, puisque le malade est supposé répéter ensemble de son trouble dans des conditions artificielles privi- Ligides, en prenant pour « objet » la personne de l'analyste. Mais la répétition dans le transfert. a moins pour fonction d'identifier dos événements, des personnes et des passions que d'authentifier des réles, sélectionner des masques. Le transfert n'est pas une experience, mais un principe qui fonde l'expérience analytique tout entiére, Les réles eux-mémes sont par nature érotiques, mais lépreuve des rdles fait appel & ce plus haut principe, & co juge plus profond qui est Vinstinet de mort. En effet, la réflexion sur le transfert fut un motif déterminant de Ia découverte d'un « au-dela », Crest en ce sens que la répétition constitue par elle- méme le jou sélectif de notre maladie ef de notre santé, de notre perte ef de notze salut. Comment peut-on rapporter'ce jeu & instinct de mort ? Sans doute en un sens voisin de celui of Miller dit, dans son livre admirable sur Rimbaud : « Je compris que j'étais libre, que la mort, dont jfavais fait Yexpérience, avait libéré, » Il apparatt que Vidée d’un instinct de mort doit étre comprise en fonction de trois exigences paradoxales complé- mentaires : donner & la répétition un principe originel positif, mais ‘aussi une puissance autonome de déguisement, enfin un sens immanent on la terrour se méle étroitement au mouvement de la sélection et de la liberté. 1, Fes neu cnt rents pon stir on qvtion oa see Sheet rate ets eg san deri hee de age de oa Soe ilies tala seperated AoC Pateonaremmeaet RE tert te pire, ane itl ene err crt cae aes nen he oh a a, ipa aan le ntetaat oe heaps Pace au ta autor pe ae ran, at Taine tee ei INTRODUCTION au Notre probléme concerne essence de la répétition, I s'agit de savoir pourquoi la répstition ne se laisse pas expliquer par Ia forme d'identité dans le concept ou dans la représentation — en quel sens elle réclame un principe « positif » supérieur. Gette recherche doit porter sur ensemble des concepts de la nature et de la libert. Considérons, la frontiére des deux eas, la répétition 4'un motif de décoration : une figure se trouve reproduite sous un concept absolument identique... Mais, en réalité, Vartiste ne procide pas ainsi. Il ne juxtapose pas des exemplaires de la figure, il combine chaque fois un élément d'un exemplaire avee tun auire élément d'un exemplaire suivant. Il introduit dans le processus dynamique de la construction un déséquilibre, une instabilité, une dissymétrie, une sorte de béanee qui ne seront conjurés que dans T'effet total. Commentant. un tel eas, Lévi- Strauss écrit: « Ges éléments s'imbriquent par décrochement les uns sur les autres, et est seulement a la fin que la figure trouve une stabilité qui eonfirme et dément tout ensemble le procédé dynamique selon Iequel elle a été exéoutée »', Ces remarques valent pour la notion de causalité en général. Gar ce qui compte, dans la causalité artistique ou naturelle, ce ne sont pas les élé- ments de symétrie présents, mais ceux qui manquent et ne sont ppas dans la cause — c'est'la possibilité pour la eauso d'avoir moins de symétrie que Veffet. Bien plus, Ia causalité resterait ternellement.hypothétique, simple eatégorie logique, si cette possbilitén’était& un moment quelconque effectivement remplie Crest pourquoi le rapport logique de causalité n'est pas séparable d'un processus physique de signalisalion, sans lequel il ne passe- rait pas a Pacte. Nous appelons « siznal » un systme doué dl ments de dissymétrie, pourvu d’ordres de grandeur disparate: nous appelons « signe » ce qui se passe dans un Lel systime, ce qui fulgure dans Vintervalle, telle une communication qui stablit entre les disparates. Le signe est bien un effet, mais leflet a deux aspects, l'un par Iequel, en tant que signe, il exprime la dissy- métrie produetrice, Pautre par lequel il tend a Vonnuler. Le signe n'est pas tout & fait Vordre du symbole ; pourtant, il le prépare en impliquant une différence interne (mais en laissant encore & Vextérieur les conditions de sa reproduction) expression négative «manque de symétrie » ne doit pas nous 1, Claude Levi-Sonavss, Triste tropigues(Plon, 1985), pp. 107-109, 32 DIFFERENCE ET REPETITION abuser : elle désigne lorigine et la positivité du processus causal Elle est la positivité méme. L'essentiel pour nous, comme nous y invite l'exemple du motif de décoration, est alors de démembrer ia causalité pour y distinguer deux types de répétition, Pun concernant sculement effet total abstrait, autre, la cause agis- sante. L'une est. une répétition statique, Vautre, dynsmique L'une résulte de leuvre, mais Pautre est comme « I'évolution > du geste. L'une renvoie un méme concepi, qui ne laisse subsister qu’une différence extérieure entre les exempl figure; Vautre est répétilion dune difference interne qu'elle comprend dans chacun de ses moments, et qu'elle transporte d'un point remarquable & un autre, On peut tenter dassimiler ces répétitions en disant que, du premier type au second, e’est seule ment le contenu du concept quia change ou la figure qui s'arlicule autroment, Mais ce serait méconnaltre l'ondre respectif de chaque répétition, Car dans Vordre dynamique, i n'y a plus ni concept représentatif, ni figure représentée dans un espace préexistant, Hy aun et un pur dynaniisme créateur d'espace cor- respondat Les études sur Ie rythme ou sur la symétrie confirment cette dualité. On distingue une symétrie arithmétique, ren- voyant 4 une échelle de coellicients entiers ou fractionnaires, et une symétrie géométrique, fondée sur des proportions ou des rapports irrationnels ; une symétrie statique, de type cubique ou hexagonal, et une symétrie dynamique, du type pentagonal, qui se manifeste dans un tracé spiralique ou dans une pulsation en progression géométrique, bref dans un: « évolution » vivante et mortelle. Or, ee second type est au c@ur du premier, il en est Ie coour, et lo procédé actif, positif. Dans un réseau de doubles arrés, on découvre des tracés rayonnants qui ont pour péle asymétrique le centre d'un pentagone ou d'un pentagramme, Le réseau est comme une étoffe sur une armature, « mais 1a coupe, le rythme principal de cette armature, est presque tou- jours un thme indépendant de ce réseau » : tel I'élément de Gissymétrie qui sert a la fois de principe de genése et de réflexion pour un ensemble symétrique, La répétition statique dans le réseau des doubles carrés renvoie done & une répétition dyna- mique, formée par un pentogone ct « la séric décroissante des pentagrammes qui s'y inscrivent naturcllement », De méme la Fythmologie nous invite & distinguer immédiatement deux types de répétition, La répétition-mesure est une division régulidre du 1, Matila Guia, Le nombre dor (N.RLP., 1991), tT, pe 5. INTRODUCTION 33 temps, un relour isochrone d’éléments identiques. Mais une durée wexiste que déterminée par un accent tonique, commandée par dies intensilés. On se tromperait sur la fonetion des accents si Ton disait qu’ils se reproduisent & intervalles égaux, Les valeurs toniques et intensives agissent au contraire en eréant des inégalités, des incommensurabilités, dans des durées ou des espaces métriquement égaux. Elles eréent des points remar- quables, des instants priviléyiés qui marquent, toujours une polyrythmie. La encore, Vinégal est lo plus postif. La mesure n'est que enveloppe dum rythme, et d'un rapport de ryth La reprise de points d'inégalité, de points de flexio ments rythmiques, est plus profonde que la reprodu ments ordinaires omogénes : si bien que, partout, nous devons guer Ia répétition-mesure et Ia répétition-rvthime, a ire étant seulement l'apparence ou leflet abstrait. de la seconde. Une répétition matériclle et nue (comme répétition du Méme) n'apparait qu’au sens oi une autre répétition se ‘léguise en elle, le constituant ct se constituant elle-méme en se déguisant. Méme dans la nature, les rotations isochrones ne mnt-que Vapparence d'un mouvement. plus profond, les eyeles -volulifs ne sont que des abstraits ; mis en rapport, ils révélent des eyeles d'évolution, spirales de dont la trajectoire a’ deux aspects droite et Ia gauche. C'est toujours dons ertte béance, qui ne se mnfond pas avec le négalif, que lcs exéatures tissent leur répét- tion, en-méme temps quills recaivent le don de vivre et de Revenons enfin aux concepts nominaux. Este I'identité du concept nominal qui explique la répétition du mot ? Soit exemple de la rime : elle est bien répétition verbale, mais ré Lition qui comprend Ia différence entre deux mots, et au sein d'une Idée poétique, dans un espace qu'elle détermine. Aussi n'a-t-elle pas pour sens de marquer des intervalles égaux, ‘mais plutdt, comme on Ie voit dans une conception de la rime forte, de mettre les valeurs de timbre au service du rythme tonique, de contribuer a V'indépendance des rythmes toniques par rapport aux rythmes arthmétiques, Quant & In réétition mime mot, nous devons Ie conceveir comme une » rime fniralsce» non pas line, comme une répeition rédlte, Hy a deux procédes de cette généralisation : ou bien un mot, pris en deux sens, assure une ressemblance ou une identité para- dloxales entre ces deux sens. Ou bien, pris en un seul sens, il exerce sur ses voisins une force attractive, leur communique % DIFFERENCE ET REPETITION une prodigieuse gravitation, jusqu’a ce qu'un des mots contigus prenne le relais et devienne 2 son tour centre de répétition. Raymond Roussel et Charles Péguy furent les grands répétiteurs de la littérature ; ils surent porter Ie puissance pathologique du langage & un niveau artistique supérieur, Roussel part de mots double sens ou d’homonymes, et comble toute la distance entre ces sens par une histoire et des objets eux-mémes dédoublés, présentés deux fois; il triomphe ainsi de l'homonymie sur son propre terrain, et inscrit le maximum de différence dans la répétition comme dans l'espace ouvert au sein du mot. Get espace est encore présenté par Roussel corume celui des masques et de la mort, od s'élaborent & la fois une répétition qui enchaine et une répétition qui sauve — qui sauve dabord de celle qui enchaine. Roussel crée un aprés-langage ot) tout se répéte et recommence, une fois que tout a été dit!. Tris différente est la technique de Péguy : elle substitue la répétition non plus & Thomonymie, mais & la synonymie ; elle concerne ce que les linguistes appellent la fonction de contiguité, non plus celle de similarité ; elle forme un avant-langage, un langage auroral oi Yon procéde par toutes petites différences pour engendrer de proche en proche espace intérieur des mots. Gette fois, tout débouche sur le probléme des morts prématurés et du vieillis- ment, mais 14 aussi, dans ce probléme, sur la chance inoufe ‘afrmer une répétition qui sauve contre celle qui enchaine. Péguy et Roussel, chacun conduit le langage & une de ses limites (la similarité ou la sélection chez Roussel, le « trait distinctit » entre billard et pillard ; In contiguité ou la combinaison chez Péguy, les fameux poinis de tapisserie). Tous deux substituent {la répétition horizontale, celle des mots ordinaires qu’on redit, une répétition de points remarquables, une répétition verticale ot on remonte & I'intérieur des mots. A la répetition par défaut, par insulfisance du concept nominal ou de la représentation Yerbale, une répétition positive, par exc’s d'une Idée linguis- 1. Sure rapport deta réptiton avec lo langage, mais aussi avec lesmasques et mort data Louvre de Raymond Route, of iebeaw inte de Michel Poe fuer (NFU, 1963) + La repetition et a dilléreace ront st bi inriqutes Taulre ot sajusent de quit west pas pose rece que promie. ul iagage qui cherete ‘commence, ies a gu “jh parts. Cen le langage d toujours ravailé para “Dermat ites epett pis wepdiin| isiale en cones qo ty mais ele rane tenon langage ot ut doits ce ite french tre poet» es 2 fealement article de Miehel Buvon sur Rouse ant Le double aspect dela repetition (Repertoire, nations de Mint ‘qui enchaine et qui sauve, INTRODUCTION € tique et stylistique. Comment ta mort inspire-Lelle le langage, éant toujours présente quand Ia répétition s'affirme ? La reproduction du Méme n'est pas un moteur des gestes. On sait. que méme limitation la plus simple comprend Ia diffé- rence entre Vextéricur et Vintérieur. Bien plus, imitation n'a qu'un role régulateur secondaire dans le montage d’un compor- tement, elle permet de corriger des mouvements en train de se faire, non pas d’en instaurer. L'apprentissage ne se fait pas dans le rapport de Ia représentation & action (comme reproduction du Méme), mais dans le rapport. du sizne a la réponse (comme rencontre ‘avec Autre). De trois maniéres au moins, le signe comprend 'hetérogéneité : d'abord dans Vobjet qui le porte ou qui Pémet, et qui présente nécessairement. une différence de niveau, comme deux ordres de grandeur ou de réalité disparates entre lesquels le signe fulgure ; d’autre part en lui-méme, parce que le signe enveloppe un autre « objet » dans les limites de Yobjet porteur, et incarne une puissance de In nature ou de esprit (Idée) ; enfin dans la réponse qu'il solliite, le mouvement de la réponse ne « ressemblant » pas & celui du signe, Le mouve- ment du nageur ne ressemble pas au mouvement de la vague ; et précisément, les mouvements du mattre-nageur que nous reproduisons sur Ie sable ne sont rien par rapport. aux mouve~ ments de la vague que nous n'apprenons & parer qu’en les sai sissant pratiquement. comme des signes. Cest. pourquoi il est si difficile de dire comment. quelqu'un apprend : ily a une famili rité pratique, innée ou aequise, avec les signes, qui fait de toute éducation quelque chose d’amoureux, mais aussi de mortel. Nous n'apprenons rien avec celui qui nous dit : fais comme moi Nos seuls mattres sont ceux qui nous disent « fais avec moi », ct qui, au liew de nous proposer des gestes & reproduire, surent émettre des signes & développer dans Vhétérogéne, En d’autres termes, iln’y a pas d’idéo-motricité, mais seulement de la sensori- motrieité. Quand le corps eonjugue de ses points remarquables avec ceux de la vague, il noue le principe d'une répétition qui n'est plus celle du Méme, mais qui comprend Autre, qui comprend la différence, dune’ vague et d'un geste & T'autre, et qui transporte cette différence dans espace répétiti constitué. Apprendre, c'est bien constiluer cel espace de la reu- contre avee des signes, ot les points remarquables se reprennent Jes uns dans les autres, et oit la répétition se forme en méme temps quielle se déguise. Et il y a toujours des images de mort dans Vapprentissage, a la faveur de I’hétérogénéité qu'il développe, ‘ux limites de espace qu'il erée. Perdu dans le lointain, le signe 36 DIFFERENCE ET REPETITION est mortel ; et aussi quand il nous froppe de plein fouet. OBdipe regoit Ie signe une fois de trop loin, une fois de trop pris ; et entre les deux, se tisse une terrible ‘répétition du crime, Zara- thoustra recoil son « signe » Lantot de trop pris, tantot de trop loin, et ne pressent qu’a la fin la bonne distance, qui va changer ce qui le rend malade dans V’éternel retour en une répétition libératoire, salvatrice. Les signes sont les véritables (iments du thédtre, M15 Lémoignent des puissances de Ia nature et de esprit qui agissent sous les mots, les gestes, les personnages ct les objets reprisentés, Is signifient la répétition comme mouvement réel, par opposition 4 la représentation comme faux mouvement de Pabsteait, Nous sommes en droit de parler de répétition, quand nous nous trouvons devant d: ents identiques ayant absolument, Mats de ccs dliments dares, de om objets ppétés, nous devons distinguer un sujet sceret. qui se nipéle & travers eux, véritable sujet de la répétition, TI faut. penser la répstilion au pronominal, trouver le Soi de In népétition, In sin- gularité dans ce qui se répéte. Car il n’y a pas de répétition sans un répétiteur, rien de répété sans ame répstitrice, Aussi bien, plutot que le répété et le répétiteur, objet et le sujet, nous devons distinguer deux formes de répétition. De toute maniére, In répétition est Ia différence sans concept. Mais dans un cas, In diftirence cst seulement poste comme exléicure au concept, diflérence entre objels représentés sous le méme concept, tom: ant dans l'indifférence de Vespace et du temps. Dans Vautre cas, la différence est intérieure & I'Idée ; elle se déploie comme pur mouvement eréatour d'un espace et d’un temps dynamiques qui correspondent. 4 I'luée, La prem ition est répéti- tion du Meme, qui s'explique par lu concept ou de la représentation ; Ia seconde est celle qui comprend la difference, ‘et se comprend elle-méme dans 'altérité de I'ldée, dans 'hétéro- généité d'une « apprésentation », L’une est négative, par défaut du concept, l'autre, allirmative, par l'excés de I'ldée. L'une est hypothétique, Vautre catégorique. L’une est statique, autre dynamique. L'une est répétition dans Velfet, autre dans la , en extension, 'autre intensive. L'une ordinaire, Poutre, remerquable et singuliére. L'une est horizontale, Paulre verlicale, L’une est développée, expliquée ; autre est enveloppée, et doit dre interprétée. L’une est revolute, Vautre, d’évolution, L'une est d'égalité, de commensurabilité, de symétrie ; autre, fondée sur 'inégal, incommensurable ou ie dissymstrique. L'ume est matérielle, l'autre spirituelle, méme dans la nature et dans la INTRODUCTION 37 terre, L'une est inanimée, l'autre a le secret de nos morts et de nos vies, de nos enchanements et de nos libérations, du démo- niaque ot du divin, Lune est une répétition « nue », autre une répitition vélue, qui se forme elle-méme en se vélant, en se masquant, en se déguisant. L’une est d'exactitude, autre a pour critére Mauthenticité, Les deux répélitions ne sont pas indépendantes. L’une est wgulier, le eaur el I'intériorilé de Vautre, la profondeur de Mautre. L'auire est seulement Venveloppe extérieure, Pellet abstrait, La répétilion de dissymétrie se cache dans les ensembles tu les eflets symétriques ; une répétition de points remarquables sous celle des points ordinaires ; et partout Autre dans la rép tition du Meme, C'est la répstition secréte, la plus profonde : elle seule donne la raison de l'autre, la raison du blocaze des concepts. Et dans ec domaine, e ‘dans le Sarlor Resartus, ¢’ masque, le déguiss, le Lravesti r Nécessairement, puisque la répétilion n'est pas cachée par autre chose, mais se forme en se déguisant, ne préexiste pas & ses propres déguisements, et, en se formant, constilue In répétition nue dans laquelle elle s'enveloppe. Les conséquenees en sont importantes. Lorsque nous nous trouvons en présence d'une répétition q s'avance masquée, ou bien qui comporte des déplacements, des précipitations, des ralentissoments, des variantes, des diflérences capables 4 la limite de nous entrainer fort loin du point de départ, nous avons lendance a y voir un Glat mixte oi la répétition n'est pas pure, mais seulement approximative : le mot méme de ition nous semble alors employé symboliquement, par métaphore ou par analogie. Il est vrai que nous avons défini strictement la répétition comme différence sans concept. Mais hous aurions tort de la réduire 8 une diférence qui retombe dans Vextériorité, sous la forme du Méme dans le concept, sans voir qu'elle peut étre intéricure a I'ldée, et posséder en’ elle-méme toutes les ressources du signe, du symbole et de l'altérité qui dépassent le concept en tant que tel. Les exemples précédemment invoqués concernaient les cas les plus divers, concepts nominaux, de la nature ou de la liberté ; et Yon pourrait nous reprocher avoir mélangé toutes sortes de répétitions, physiques et psy- chiques ; et meme dans le domaine psychique, des répétitions nues du Lype stéréotypie et des répétitions latentes et sym- Doliques. Crest que nous voulions montrer dans toute structure répétitive la coexistence de ces instances, et comment la répéti- tion manifeste d’éléments identiques renvoyait nécessairement, un sujet latent qui se répétait Iui-méme & travers ces éléments, 38 DINFERENCE ET REPETITION formant une « autre » répétition au ecour dela premitre. De cette autre répétition, nous dirons done qu'elle n'est nullement approxi- mative ou métaphorique. Elle est au contraire V'esprit de ute répétition. bile est méme la lettre de toute répétition, & tat de filigrane ou de chiffre constituant, C'est elle qui constitue Vessence de la différence sans concept, de la différence non médiatisée, en quoi consiste toute répetition, Gest elle, le sens premier, littéral et spirituel, de la répétition. C'est le sens maté Tiel qui résulte de l'autre, sécrété comme une coquille. Nous avions commencé par distinguer la généralité et Ia répétition, Puis nous avons distingué deux formes de répétition. Ges deux distinctions s'enchainent ; la premiére ne développe ses conséquences que dans la seconde. Car si nous nous contentons de poser la répétition de maniére abstraite, en la vidant de son intériorité, nous restons incapables de comprendre pourquoi et comment un concept peut étre naturellement bloqué, et laisser apparaitre une répétition qui ne se confond pas avec la généralité, Inversement, quand nous découvrons Vintérieur littéral de la répétition, nous avons le moyen non seulement, de comprendre a répétition dextériorité comme couverture, mais aussi de récupérer ordre de la généralité (et d'opérer, suivant le vou de Kierkegaard, la réconciliation du singulier avec le général). Car, dans la mesure oi la répétition intérieure se projette & travers une répétition nue qui la recouvre, les différences qu'elle comprend apparaissent comme autant de facteurs qui s'opposent 4 la répétition, qui l'atténuent et la font varier suivant des lois «générales », Mais sous le travail général des lois subsiste tou- jours le jeu des singularités. Les généralités de cycles dans la nature sont le masque d'une singularité qui pointe & travers leurs interférences ; et sous les genéralités d’liabitude dans la vie morale, nous retrouvons de singuliers apprentissages, Le domaine des lois doit étre compris, mais toujours & partir d'une Nature et d'un Esprit supérieurs & leurs propres lois, et qui tissent d'abord leurs répétitions dans les profondeurs de la terre et du coeur, li oft les lois n’existent pas encore. Lintérieur de la répétition est toujours affecté d'un ordre de difference ; c'est. dans Jn mesure oi: quelque chose est rapporté & une répétition d'un autre ordre que Ie sien, que Ia répétition pour = © appa- rait extérieure et nue, et la chose elle-méme, soumise aux catégo- ries de la généralité. C'est l'inadéquation de la différence et de la répétition qui instaure l'ordre du général. Gabriel Tarde suggérait. en ce sens que la resemblance elle-méme n’était qu'une répétition décalée : la vraie répétition, c'est celle qui correspond directement INTRODUCTION 39 une différence de méme degré qu'elle. Kt personne, mieux que Tarde, ne sut élaborer une nouvelle dialectique en découvrant dans la nature et dans l'esprit l'effort secret pour instaurer une adéquation de plus en plus parfaite entre la différence et la ripétition’. Tant que nous posons la différence comme une différence coneeptuelle, intrinstquement conceptuelle, et la_répétition comme une différence extrinséque, entre objets représentés sous un méme coneept, il semble que ie probléme de leurs rapports puisse étre résolu par les faits, Oui ou non, y a-tuil des répéti- tions ? ou bien toute différence est-elle en derniére instance intrinséque et conceptuelle ? Hegel raillait Leibniz d'avoir invité les dames de Ia cour & faire de la métaphysique expérimentale en se promenant. dans les jardins, pour vérifier que deux feuilles arbre n'avaient pas le méme’ concept. Remplagons les dames de la cour par des policiers scientifiques : il n'y a pas deux grains de poussiére absolument identiques, pas deux mains qui aient les mémes points remarquables, pas deux machines qui aient la méme frappe, pas deux revolvers qui strient leurs balles de Ia méme fagon... Mais pourquoi pressentons-nous que le probléme n'est pas bien posé, tant que nous cherchons dans les faits le critére d'un principium individualionis ? Crest qu'une difference peut étre interne et cependant non conceptuelle (tel est deja le sens du paradoxe des objets symétriques). Un espace dynamique doit étre défini du point de vue d'un observateur lié & cet espace, et non d'une position extérieure. Il_y a des diflérences internes qui dramatisent une Idée, avant de représenter un objet. La différence, ici, est intérieure & une Idée, bien qu'elle soit extérieure ‘exemple entre esptees de type diferent, renvote & que, eest-Acdre’ aun processus répetitit-aflectant des ‘us formes considérées. "Toute la philosophie de Tarde, riclatment, et fondee sur “catagories de diteren iferenee est Ia fois i destination de wereent de pl amie fltmente intern nousle verona stab repetition Se pluven plus compte des dearés ‘iteencionte, Tarde prétend es sition: Rousse! ou Péyuy pourraiont revendiquer aa formule + La repel ced “energnque et mote fatigant que nt Tin sujet» (opposition uniersl fp 119), Dane a repetition, Tarde voyait une te bien franca ies va ub Kieran y wapalt ua consent ‘ais fonda tune tout sure daistique que cle de gel. Tepe "sCingénteie spt amt tion divert ot titer, dane tut fee dominos & Voppo~ 40 DIFFERENCE ET REPETITION ‘au concept, comme représentation debjet. C'est pourquoi loppo- sition de Kant et de Leibniz parait bien s'attenuer & mesure que Y'on tient compte des factours dynamiques présents dans les deux doctrines. Si Kant reconnait dans les formes de l'intuition des différences extrinséques irréductibles & Vordre des concepts, ces différences n'en sont. pas moins « internes », bien qu’elles ne puissent étre assignées par un entendement comme « intrinséques » et ne soient représentables que dans leur rapport extéricur & espace entier'. C’est dire, conformément a certaines interpréta- tions néo-kantiennes, qu'il y a de proche en proche une construc tion dynamique interne de espace qui doit précéder la « représen- tation » du tout comme forme d'extériorité. L’éléement de cette genése interne nous semble consister dans la quantité intensive pluiat que dans le schéme, et se rapporter aux Ides plutat qu’aux. concepts de lentendement. Si ordre spatial des différences extrinséques et ordre conceptuel des différences intrinséques ont finalement une harmonie, comme le schéme en témoigne, cest plus profondément grace A ect élément. dilférentiel intensif, synthése du continu dans I'instant, qui, sous Ia forme d'une continua repelitio, engendre d'abord intérieurement 'espace conformément aux Idées. Or chez Leibniz, Vaifinité des diffé- Fences extrinséques avec les differences conceptuelles intrinséques faisait déja appel au processus interne d'une continua repelitio, fondé sur un élément différentiel intensif opérant la synthése du continu dans le point pour engendrer lespace du dedans. ILy a dos répétitions qui ne sont pas seulement: des différences extrinséques ; ily a des diflérences internes, qui ne sont. pas intrinséques ou conceptuelles. Nous sommes alors en mesure de mieux situer la source des ambiguilis précédentes. Quand nous déterminons la répétition comme différenee sens concept, nous ceroyons pouvoir conclure au earactére seulement extrinséque de la différence dans la répétition ; nous estimons alors que toute « nouveauté » interne suflit & nous éloigner de la lettre, et n'est conciliable qu’avec une répétition approximative, dite par analogic. I nen est pas ainsi. Car nous ne savons pas encore quelle est I'essence de la répétition, ce que désigne positivement expression « différenee sans concept », la nature de V'intériorité quielle est capable dimpliquer. Inversement, quand nous deter- minons la différence comme différenee conceptuelle, nous eroyons 1. Sur diforenceinteee, qui n'est pourtant pas intrinsique ou eaneep- uel et Kur, Profagimenes, £19 (t-Voppositic entre iaere Vershieden. ett el inert’) INTRODUCTION a avoir essex fait pour la détermination du concept de différence "tant que telle. Pourtant, i encore, nous n'avons aucune idée ‘de dfférence, aucun concept de la différence propre. Ge fut peut- Sie le tort de la philosophie de la dillérence, d°Aristote & Hegel ‘in passant par Leibniz, d'avoir confondu le concept de la diffé- once avec une différence simplement conceptuelle, en se eonten- tant d'inserite la difference dans le concept en général. En réalité, tant qu’on inscrit Ia différence dans le concept en général, on na aucune dee singuliére de Ia différence, on reste seulement dans élément. d’une diflérence de jatisée par la repré- sentation, ‘Nous nous trouvons done devant deux questions : Gul est Te concept de Ia différence — qui ne se réduit pas & la Simple difference conceptuelle, mais qui réclaime une Idée propre, forme une singularité dans I'ldée'? D'autre part, quelle est essence de la répétition — qui ne se réduit pas & une difference ‘sans concept, qui ne se confond pas avec le caractire apparent dies objels Fepresentés sous un méme concept, mais qui témoigne X'son tour de la singularité comme puissance de V'Idée ? La rencontre des deux notions, différence et répétition, ne peut plus $lne posée dés le depart, mais doit apparaltre a la faveur d'inter- ferences el de eroisements entre ces deux lignes, l'une concernant essence de la répétition, Mautre, Widée de la’différence. Cuarrrme Premisn LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME Liindifférence a deux aspects : l'abime indifférencié, le néant noir, animal indéterminé dans lequel tout est dissout — mais auset le néant blanc, la surface redevenue calme oi flottent, des déterminations non liées, comme des membres épars, téte sans cou, bras sans épaule, yeux sans front. L’indétermin€ est tout & fait indifférent, mais des déterminations flottantes ne le sont pas moins les une’ par rapport aux autres. La différence est-elle intermédiaire entre ces deux extrémes ? Ou bien n’est-elle pas le seul extréme, le seul moment de la présence et de la précision ? La différence est cet état. dans lequel on peut parler de ta déter- mination. La différence ¢ entre » deux choses est seulement empirique, et les déterminations correspondantes, extrinséques. Mais au lieu d’une chose qui se distingue d’autre chose, imaginons quelque chose qui se distingue — ct, pourtant ce dont il se dis- gue ne se distingue pas de lui. L’éclair par exemple se dis- tingue du ciel noir, mais doit le tratner avec lui, comme s'il se distinguait de ce qui ne se distingue pas. On dirait que le fond monte a In surface, sans cesser d'étre fond. I y a du cruel, ot mime du monstrueux, de part et d’autre, dans cette lutte contre un adversaire insaisissable, of le distingué s'oppose & quelque chose qui ne peut pas s’en distinguer, et qui continue d’épouser ce qui divorce avec lui. La différence est cet état de la détermi- nation comme distinction unilatérale. De la différence, il faut done dire qu'on la fait, ou qu'elle se fait, comme dans l'expression «faire la différence », Cette différence, ou La détermination, est bien la cruauté. Les platoniciens disaient que le non-Un se Uistingue de I'Un, mais non pas V'inverce, puieque 'Un ne so érobe pas a ce qui sen dérobe : et & l'autre péle, la forme se distingue de Ia matiére ou du fond, mais non pas l'inverse, puisque la distinction méme est une forme, A vrai dire, ee sont toutes les formes qui se dissipent, quand elles se réfléchissent dans ce fond qui remonte. Ila cessé lui-méme d’étre le pur oy DIFFERENCE BY REPETITION indéterminé qui reste au fond, mais les formes aussi cessent d’tre des diterminations coexistantes ou complimentaires. Le fond qui remonte n'est plus au fond, mais aequiert une existence autonome ; la forme qui se réfléchit dans ce fond n’est plus une forme, mais une ligne abstraite agissant directement sur I'dme, Quand le fond monte A la surface, le visage humain se décompose dans ce miroir oi Vindéterminé comme les déterminations viennent se confondre dans une seule détermination qui fait » la difference. Pour produire un monstre, c'est une pauvre recelte dentasser des déterminations hétéroclites ou de surdélerminer Vanimal. Hl vaut mieux faire monter le ford, et dissoudre la forme. Goya procédait par Paquatinte et Veau-forte, la grisaille de Tune et la rigueur de l'autre. Odilon Redon, par le clair obscur ct la ligne abstraite. En renongant au model, c'est-Acdire au symbole plastique de la forme, la ligne abstraite acquiert toute sa force, et participe au fond d'autant plus violemment qu'elle s'en distingue sans qu'il se distingue d'elle:. A quel point les visages se déforment dans un tel miroir, Et il n'est pas str que ce soit seulement le sommeil de la Raison qui engendre les monstres, Crest aussi la veille, Vinsomnie de la pensée, car la pensée est ec moment ou la détermination se fait une," force de soutenir un rapport unilateral et précis avec l'indsterminé, La pensée « fait » la différence, mais la différence, c'est le monstre. On ne doit pas s'étonner que la différence paraisse maudite, qu'elle soit Ia faute ou le péché, la figure du Mal promise Vexpiation. Ul n'y a pas d’autre péché que celui de faire monter le fond ct de dissoudre la forme. Qu’on se rappelle 'idée d’Artaud : la cruauté, c'est seulement a détermination, ce point précis ot le déterminé entretient son rapport essentiel «vec V'ndéterminé, cette ligne rigoureuse abstraite qui s'alimente au clair-obscur, Arracher la différence & son état de malédiction semble alors le projet de la philosophie de la différence. La différence ne peut-clle devenir un organisme harmonicux, et rapporter la détermination a d'autres déterminations dans une forme, c'est-i- dire dans Vélément cohérent d'une représentation organique ? L'dlément de la représentation comme e raison » a quatre aspects principaux : l'identité dans la forme du concept indélermind, torsla SQailon Raper, A so-méne (Journ forme plastique, jentends peryue objectives di Tortbre ot ds ka lular? pot ese ea alt tre (rouvée en mes ouveages,. Tout mon arte limite aux seulesteasourees du clairobscur, ot il doit aussi heaucoup aux effets dela ligne abstrait, cet ‘gent de soureé profonde, ayissant directement sur Veepit, Tamir par es myeneconvelonnds dames jemime, sous es los LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME ra Vanalogie dans le rapport entre concepts délerminables ultimes, Veppesiton dans Ie tapport des dlerminations 8 Tinttreur di concept, la ressemblance dans l'objet délerminé du concept iméme, Ces formes sont comme les quatre tétes, ou les quatre lions de la médiation. On dira que la différence est « médiatisée», pour autant qu’on arrive a la soumettre & la quadruple racine de Videntité et de opposition, de Vanalogie ct de la ressemblance. A partir d'une premiére impression (la différence, c'est le mal), on se propose de « sauver » la différence en la représentant, et de Ja représenter en la rapportant aux exigences du concept en ‘général. Ils'agit alors de determiner un heureux moment —V'heu- eux moment grec — oit la différence est comme réconeilige avec Te concept. La différence doit sort de sa caverne, et cesser d'etre ‘un monstre ; ow du moins ne doit subsister comme monstre que ce qui se dérobe a Vheureux moment, ce qui constitue seulement ‘une mauvaise rencontre, une mauvaive occasion. Ici 'expression « faire la dilférence » change donc de sens. Elle désigne mainte- nant une épreuve sélective qui doit déterminer quelle diflérences peuvent étre inserites dans le concept en général, et eomn Une telle épreuve, une tele sélection semble efectivement réalisé par le Grand ete Petit. Car le Grand et le Petit ne se disent pas naturellement de 'Un, mais d’abord de la différence. On demande done jusqu’ois la différence peut et doit aller — quelle grandeur ? quelle petitesse ? — pour entrer dans les limites du concept sans se perdre en decd ni s'échapper au-dela. II est. évidemment ile de savoir si le probleme est ainsi bien posé : Ia difference Gtait-elle vraiment un mal en soi? fallat-l poser Ia question dans ces termes moraux ? fallait-il « médiatiser » la difference pour la rendre a la fois vivable et pensable ? la sélection devait- elle consister dans cetle épreuve la? L'épreuve devait-elle étre congue de cette maniére et dans ce but ? Mais nous ne pourrons répondre & ces questions que si nous déterminons plus prévisé- ment la nature supposée de I'heureux moment, Aristote dil :il_y a une différence qui est & la fois la plus nde et la plus parfait, rylovy ot sPieinc La diltérence en tinéral se datingde doa Uiveraté ou de Taltérté; car deux termes different quand ils sont autres, non pas par euxmémnes, mais par quelque chose, done quand ils convitnnent aussi en autre ‘chose, en genre pour de diférences d'espece, ou méme en esyéce pour les diférences de nombre, ou encore « en tre a DIFFERENCE ET REPETITION selon l'analogie » pour des différences de genre. — Quelle est dans ces conditions la plus grande différence ? La plus grande différence, c'est toujours l'opposition. Mais de toutes les formes dopposition, quelle est la plus parfaite, la plus complete, celle qui « convient » le mieux ? Les relatifs se disent I'un de l'autre ; la contradiction se dit déja d'un sujet, mais pour en rendre Ia subsistance impossible, et qualifie seulement le changement. par lequel il commence ou cesse d’étre ; la privation exprime encore ‘une impuissance déterminée du sujet existant, Seule Ia contra- risté représente Ia puissance d’un sujet de recevoir des opposés tout en restant substantiellement le méme (par la matiére ou par le genre). Dons quelles conditions, toutefois, Ia contrariété communique-t-elle sa perfection a la différence ? Tant que nous considérons I'étre coneret. pris dans sa matiére, les contrariétés qui Vaffectent sont des modifications corporelles, qui nous donnent sculement le concept empirique accidentel d'une dif- férence encore extrinstque (extra quiddilatem). L'accident peut tre séparable du sujet comme « blane » et « noir » de « homme », ou inséparable, comme « méle » et « femelle » de « animal suivant le cas la diflérence sera dite communis ou propria, mai elle sera toujours accidentelle, en tant qu'elle vient de Ia matiére. Seule, done, une contrariété dans l'essence ou dans la forme nous donne le concept d'une différence elle-méme essentielle (diffe- rentia essentialis aut propriissima). Les contraires sont alors des modifications qui affectent un sujet considéré dans son genre. Dans T'essence en effet, c'est le propre du genre d’étre divisé par des différences, telles « pédestre » et « ailé », qui se coordon- nent comme des contraires. Bref, la différence parfaite et maxima, cest la contrariété dans Ie genre, et la contrariété dans le genre, crest Ia diflérence spécifique. Au-deld et en decd, la différence tend & rejoindre la simple altérité, et se dérobe presque & lid tite du concept : la dilférence générique est trop grande, s'ins- talle entre des incombinables qui n’entrent pas dans des rapports de contrariété ; la différence individuelle est. trop petite, entre des indivisibles qui n'ont pas de contrariété non plust. II semble bien, en revanche, que le différence spécifique réponde & toutes les exigences d'un concept harmonieux ou @’une représentation organique, Elle est pure parce que formelle ; intrinséque, puisqu’elle opére dans essence. Elle est. qualita 1. Anisrore, Muaphygtique, X, 4, 8 ot 9. Sur les trois gortes de diférence, commune, propre ot exentisle, Pontayme, Zeagogs, ©. Clauss les manuels thomistes'spar exemple, le chapitre «de diferentin dans les Blementa phil Dhiae-oPisistlicoremisiicae de Joseph GneDy (Hbourg) ts ly phe 122-125, LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME a tive ; et dans la mesure oi le genre désigne lessence, la diffé- ence est méme une qualité trés spéciale, « selon I'essence », ‘qualité de essence elle-méme. Elle est synthétique, car la spé- cification est. une composition, et la différence s'ajoute actuel- Tement, au genre qui ne la contient qu’en puissance. Elle est mi e, elle est, elle-méme médiation, moyen terme en personne. Elle est productrice, car le genre ne se divise pas en différences, mais est divisé par des différences qui produisent, ‘en lui les espéces correspondantes. C'est pourquoi elle est tou- jours cause, cause formelle : le plus court est la différence spé- tifique de la ligne droite, le comprimant, la diflérence spécifique de la couleur noire, Ie dissociant, celle’ de la couleur blanche. C'est pourquoi aussi elle est un prédicat d'un type si particulier, puisqu’elle s'attribue & l’espéce, mais en méme temps lui attribue Je genre, et constitue 'espéce '& laquelle elle s'attribue. Un tel prédicat, synthétique et eonstituant, attributeur plus qu’attribué, véritable régle de production, a enfin une demniére propriété celle d'emporter avec soi ce qu'il attribue. En effet, la qualité de lessence est assez spéciale pour faire du genre quelque chose d'autre, et non pas simplement d'une autre qualité’. Il appar- tient done au genre de rester le méme pour soi tout en devenant autre dans les différences qui le divisent. La différence transporte aver soi le genre et toutes les différences intermédiaires. Trans- port de la différence, diaphora de la diaphora, la spécification enchaine la différence avec la différence aux niveaux successifs de la division, jusqu’a ce qu'une derniére différence, celle de Ja species infima, condense dans la direction choisie l'ensemble de essence et de sa qualité continuée, réunisse cet, ensemble dans un concept intuitif et le fonde avec le terme & définir, indivisible (Zzouov, &Budgopov clBce). La spécification garantit ainsi Ia cohérence et la conti- rnuité dans la compréhension du concept. Revenons a expression « la plus grande différence ». Il est devenu évident que la différence spécifique n’est la plus grande que tout relativement. Absolument. parlant, la contradiction est plus grande que la contrariété— et surtout la difference générique est plus grande que la spécifique. Déja la maniére dont Aristote dlistingue la difference de la diversité ou de V'allérilé nous met sur Ja voie : c'est seulement par rapport & Tidentité supposée d'un 1, Pom ‘animal le fait aut ‘ualté autre que Tatre ., Faagoge, 8,20: « La diférevce de raisonnable venant s'ajou- tndis que celle de se mouvulr le rend seulement de repos. 48 DIFFERENCE ET REPETITION concept que la différence spéeifique est dite Ia plus grande. Bien plus, c'est par rapport a la forme d'identité dans le concept générique que la diflérence va jusqu’ opposition, est poussée jusqu’a le contrariété. La différence spécifique ne représente done nullement un concept universe! pour toutes les singularitcs et les tournants de la différence (c'est-A-dire une Idée), mais désigne un moment particulier oi le différence se coneilie seulement avec le coneept en général. Aussi la diaphora de la diaphora n’est-clle chez Aristote qu'un faux transport : jamais on n'y voit Ia diffé- rence changer de nature, jamais on n'y découvre un différenciant de ta différence qui metirait en rapport, dans leur immédiateté respective, le plus universel ot le plus singulier. La différence spécifique ne désigne qu'un maximum tout relatif, un. point A'accommodation pour Marl grec, et encore pour l'eil gree du juste milieu qui a perdu le sens des transports dionysiaques et des ‘métamorphoses. Tel est le principe d’une confusion ruineuse pour toute la philosophic de la différence : on confond assignation dun concept propre de la diflérence avee Pirscription de la diffé- ence dans le concept en général — on confond la determination du concept de difference avec I'inseription de Ia différence dans Videntité d’un concept indéterminé. Crest le tour de passe-passe impliqué dans Pheureux moment. (et peut-étre tout le reste en découle : la subordination de la différence & opposition, & V'ana- Jogi, la ressemblance, tous les aspects de la médiation). Alors la différence ne peut plus étre qu'un prédicat dans la compréhen- sion du concept. Cette nature prédicative de la diflérence spéci- fique, Aristote la rappelle constamment.; mais il est foreé de lui préter des pouvoirs étranges, comme d’attribuer autant que d'etre altribué, ou dialtérer le genre aulant que d'en modifier la qualité, Toutes les maniéres dont la différence spécifique semble salisfaire aux exigences d'un concept propre (pureté, intériorité, producti- vilé, transport.) se révélent ainsi illusoires, et méme contradic- toires, partir de la confusion fondamentale. La différence spécifique est done petite par rapport & une plus grande différence qui concerne les genres eux-mémes. Méme dans la classification biologique, elle devient toute petite par rapport faux grands genres : non pas sans doute différence matérielle, mais pourtant simple différence « dans » la mialiére, operant. par Ie plus et le moins, Crest que la différence spécifique est le maxi mum et la perfection, mais seulement. sous la condition de Fiden- tite d'un concept indéterminé (genre). Elle est peu de chose au contraire, sion la compare & la différence entze les genres comme Uultimes concepts déterminables (catégories). Gar ceux-ci ne sont LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME 49 plus soumis & la condition d’avoir a leur tour un concept identique ou genre commun. Retenons la raison pour laquelle I'Btre Iu méme n’est pas un genre : c'est, dit Aristote, parce que les dilfé= renees sont (il foudrait done que le genre puisse s'attribuer & ses dilférences en soi : comme si Vanimal se disait une fois de Pespéce humaine, mais une autre fois de la différence raisonnable en constituant une autre esptce...). Crest done un argument emprunté 4 la nature de la diflérence spécifique qui permet. de conclure & une aulre nature des différences génériques. Tout se passe comme s'il y avait deux « Logos », différant en nature, mais entremélés Yun a Vautre : il y a le logos des Espéces, le logos de ce qu'on pense et de ce qu’on dit, qui repose sur la condition Widentité ou d’univocité d'un concept en général pris comme genre ; et lo logos des Genres, Ie logos de ce qui se pense et de ce qui se dit & travers nous, qui, libre de la condition, se meut dans Véquivocité de I'Btre comme dans la diversité des concepts les plus généraux. Quand nous disons univoque, n'est-ce pas encore de Péquivoque qui se dit en nous ? Et ne faut-il pas reconnattre ici une sorte de félure introduite dans la pensée, qui ne eessera pas de se crouser dans une autre atmosphére (non aristotélicienne) ? Mais surtout, n’est-ce pas déja une nouvelle chance pour la philo- sophie de la différence ? ne va-t-elle pas approcher d’un concept absolu, une fois libérée de la condition qui la maintenait dans un maximum tout relatif ? Pourtant, il n’en est rien chez. Aristote. Le fait est que la différence générique ou eatégoriale reste une différence, au sens aristotélicien, et ne tombe pas dans la simple diversité ou altérité, Crest done qu'un concept identique ou commun subsiste encore, bien que d'une facon trés spéciale. Ce concept d’Etre n'est. pas collectif, comme un genre par rapport a ses espéces, mais seule~ ment distributif et hiérarchique : il n’a pas de contenu en soi, mais seulement un contenu proportionné aux termes formelle- ment différents dont on le prédique. Ces termes (catégories) n'ont pas besoin d’avoir un rapport égal avec Pétre ; il suflit que le rapport de chacun avec I'étre soit intérieur & chacun. Les deux caractéres du concept. d’étre — n'avoir un sens commun que distributivement, avoir un sens premier hiérarchiquement montrent bien qu’il n'a pas, par rapport aux catégories, le role d'un genre par rapport a des espéces univoques. Mais ils montrent. aussi que 'équivocité de V'étre est tout a fait particuliére : il 1, Anistors, Mélophgsiqu, 11, 3, 998 b, 20-27 ; et Topiques, VI, 6, 144 a, a6, 50 DIPPERENCE ET REPETITION s'agit d'une analogie. Or si Von demande quelle est V'instance capable de proportionner le concept aux termes ou aux sujets dont on l'affirme, il est évident que c'est le jugement. Car le jugement a précisément deux fonctions essentielles, et seulement ‘deux : In distribution, qu'il assure avec le parlage du concept, et la hiérarchisation, qu'il assure par Ia mesure des sujets. A l'une correspond la faculté dans le jugement qu'on appelle sens commun ; 4 ’autre, celle qu'on appelle bon sens (ou sens premier) Toutes deux constituent la juste mesure, Ia « justice » comme valeur du jugement. En ce sens toute philosophie des catégories prend pour modéle le jugement — comme on le voit chez Kant, et méme encore chez Hegel. Mais, avec son sens commun et son sens premier, Vanalogie du jugement, laisse subsister V'identité aun concept, soit sous une forme implicite et confuse, soit sous uune forme virluelle. L’analogie est elle-méme Vanslogue de Videntité dans le jugement. L’analogie est 'essence du jugement, mais V'analogie du jugement est l'analogue de Videntitée du concept. Crest pourquoi nous ne pouvons attendre de la diflérence sénérique ou catégoriale, pas plus que de la différence spécifique, qu'elle nous livre un concept propre de la différence. Alors que la différence spécifique se contento d'inserire In différence dans Videntité du concept indéterminé en général, la différence géné- tique (distributive et hiérarchique) se contente & son tour d’'ins- crire ladifférence dansla quasi-identité des concepts déterminables les plus généraux, c'est-A-dire dans l'analogie du jugement lui- : Sauter catoe et Soe tame daeaa ogee a feo cenenrey caer oes, ‘eolastique traduit. ‘fy en « analogie de proportionnalilé » SiR RCE eae ts ie cir coueee een uae ah aa area a en avec late eat Intereur d ehaque catego, c'est pour ton comple que chacune ee kutea rans cient kee tet Ae ayia gl sects bcan maaan ss PUG aT der gratia amar Berm onique eo substance comme sens premier. bo te glssement vers impliqusncane nrarete: Ca solastique pairs il sana Se popes ton lsu eacep tb due rpportefarmelomet ids tens die tal nee eri ul we rprteformelemansem Ferment tn terme principal of & un molndre dunt aux autren, [Ble ea ‘abord on act, ansiogie de proporlonnalit6; mas ne presente‘ pas aus SUirtbelements, ne snaogie epropordon # LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME a inéme. Toute Ia philosophie aristotélicienne de la différence tient dans cette double inscription complémentaire, fondée sur un inéme postulat, tracant. les limites arbitraires de l'heureux moment. Entre les différences génériques et spécifiques se noue le lien 4une complicité dans la représentation. Non pas du tout qu'elles tient méme nature : le genre n'est déterminable que du debors par la difference spécifique, et V'identité du genre par rapport faux espéces contraste avec Hmpossibilité pour I'Btre de former tune pareille identité par rapport aux genres eux-mémes. Mais précisément, c'est Ia nature des différences spécifiques (le fait Guelles soient) qui fonde cette impossibilité, empéchant les differences génériques de se rapporter & I’étre comme & un genre commun (si I'étre était un genre, ses différences seraient assimi lables & des différences spéeifiques, mais on ne pourrait plus die aqu’elles «sont», puisque le genre ne s'attribue pas & ses différences fen soi). En ce sens, I'univocité des espéces dans un genre commun renvoie a Téquivocité de etre dans les genres divers : Tune reflete autre, On le verra bien dans les exigences de Vidéal de Ta classification : 4 la fois les grandes unités — yey éyio7%, qu'on, appellera finalement embranchements — se déterminent selon des rapports d'analogie qui supposent un choix de caractéres opéré par le jugement dans la représentation abstraite, et les petiles unités, les petits genres ou les espéces, se déterminent Gans une perception directe des ressemblances qui suppose une continuité de l'intuition sensible dans la représentation concréte. Méme le néo-ivolutionnisme retrouvera ces deux aspects liés aux catégories du Grand et du Petit, lorsqu'll distinguera de frandes différenciations embryologiques précoces, et de petites différenciations tardives, adultes, intra-spécifiques ou spécifiques. Or bien que les deux aspects puissent entrer en confit, suivant que les grands genres ou les espéces sont pris comme concepts de la Nature, tous deux constituent les limites de la représenta- tion organique, et des requisits également nécessaires pour la classification : la continuité méthodique dans la perception des essemblances n'est pas moins indispensable que la distribution systématique dans le jugement d’analogie, Mais d'un point de Yue comme do l'autre, In. Différence apparatt.senlement. comme lin concept réflexf. En effet, la diflérence permet de passer des spices semblables voisines & V'dentité d'un genre qui les sub- Sume, done de prélever ou découper des identités. génériques dans le flux dune série continue sensible. A autre péle, elle permet de passer des genres respectivement identiques aux 52 DIFFERENCE ET REPETITION rapports danalogie qu'ils entretiennent entre cux dans V'inteli- gible. Comme concept de réflexion, In différence témoigne de sa pleine soumission & toutes les exigences de la représentation, qui devient précisément par elle « représentation organique » Dans le concept de réflexion, en elf, la différence médiatrice et médiatisée se soumet de plein droit & [idenlité du concept, 4 opposition des prédicats, & fanalogie du jugement, & la res- semblance de la perception. On retrouve ici le caractére nécessai- rement quadripartite de la représentation, La question est de savoir si, sous tous ces aspects réflexifs, la difference ne perd pas a la Tois son concept et sa réalité propres. La différence ne cesse en effet d’étre un concept réflexif, et ne retrouve un concept elfectivement réel, que dans la mesure oi elle désigne des calas- trophes : soit des ruptures de continuité dans la série des ressem- Dlances, soit des failles infranchissables entre les. structures analogues. Elle ne cesse d’étre réflexive que pour devenir catas- trophique. Et sans doute ne peut-elle étre l'un sans l'autre. Mais justement, la différence comme catastrophe ne témoigne-t-elle pas d'un fond rebelle irréductible qui continue & agir sous I'équi- libre apparent de Ia représentation organique ? I n'y a jamais eu qu'une proposition ontologique : I'Btre est univogue. il n'y a jamais eu qu'une seule ontologie, eclle de Duns Scot, qui donne a I’étre une seule voix. Nous disons Duns Scot, parce qu'il sut porter l'étre univoque au plus haut ps de subtitité, quitte a le payer d'abstraction. Mais de Parménide & Heidegger, c'est In méme voix qui est reprise, dans un écho qui forme & lui seul tout le déploiement de lunivoque. Une seule voix fait la clameur de I'étre. Nous n’avons pas de peine & comprendre que I'Btre, s'il est absolument commun, n'est pas pour cela un genre ; il sullit de remplacer le modile du jugement. Par celui de la proposition. Dans la proposition prise comme entité complexe, on distingue : le sens, ou Fexprimé de la propo- sition ; le désigné (ce qui s’exprime dans la proposition) ; les exprimants ou désignants, qui sont des modes numériques, c'est ls pourvus de sens et do désignation. On eongoit que des noms ou des propo: sitions n’aient, pas Je méme sens tout en désignant strictement la mime chose (suivant des exemples célébres, étoile du soir-étoile du matin, Israél-Jacob, plan-blanc). La distinction entre ces sens est bien une distinction réelle (dislinctio realis elle MEME 5a LA DIFFERENCE EN BL) n'a rien de numérique, encore moins d'ontologique : c'est une distinction formelle, qualitative ou séméiologique. La question de savoir si les calégories sont directement assimilables & de tels sens, ou plus vraisemblablement en dérivent, doit él .ée de c6té pour le moment, L'important, e’est qiv’on puisse coneevoir plusieurs sens formellement distincts, mais qui se rapportent T'étre comme a un seul désigné, ontologiquement in. ILest vrai qu'un tel point de vue ne sulfit pas encore & nous interdire de considérer ces sens comme des analogues, et cette unité de I'etre comme une analogie. Il faut ajouter que l'étre, ce désigné commun, en tant qu'il s'exprime, se dit & son tour en un seul el méme sens de tous les designants ou exprimants numériquement distincts. Dans la proposition ontologique, ce nest donc pas seulement le désigné qui est ontologiquement Te méme pour des sens qualitativement distincts, c'est. aus sens qui est ontologiquement le méme pour des modes indi diuants, pour des désignants ow exprimants numériquement Uistincls ; telle est la cirealation dans la proposition ontologique (expression dans son ensemble). {En effet, Pessentiel de 'univocité n'est pas que I'Btre se dise en un seul et méme sens, C'est quill se dise, en un seul et méme sens, de toutes ses dillérences individuantes ou modalités intrin- séques, L'Btre est le méme pour loutes ces modalités, mais ces modalités ne sont pas les mémes. Il est « égal » pour toutes, mais elles-mémes ne sont pas égales. Ilse di en un soul sens de toutes, mais elles-mémes tvont pas le méme sens. IL est de l'es- sence de I’étre univoque de se rapporter & des différences indivi- uantes, mais ces différences n’ont pas In méme essence, et ne varient pas I'essence de I'étre — comme le blanc se rapporte & des intensités diverses, mais reste essentillement le méme blanc, n'y a pas deux « voies », comme on avait cru dans le poéme de Parménide, mais une seule « voix » de PBtre qui se rapporte 4 tous ses modes, les plus divers, les plus variés, les plus diffé- renciés. L'Rtre se dit en un seul et méme sens de tout ce dont il se dit, mais ce dont il se dit dillére : il se dit. do la différence elle-méme. Sans doute y a-t-il encore dans V'étre univoque une hiérarchie et une distribution, qui concermenl les facteurs individuants et leur sens. Mais distribution et méme hiérarchie ont. deux accep- tions tout a fait différentes, sans conciliation possible ; de méme les expressions logos, nomos, pour autant qu’elles renvoient elles- mémes 4 des problémes de distrib 1. Nous devons d’abord dis- Linguer une distribution qui implique un partage du distribué : cy DIFFERENCE ET REPETITION sagit de répartir le distribué comme tel. C'est 14 que les régles @analogie dans Te jugement sont toutes-puiscantes. Le sens commun ou le bon sens en tant que qualités du juzement sont done représentées comme des principes de répartition, qui se déclarent eux-memes le mieuz partagés, Un tel type de distri- bution procide par déterminations fixes et. proportionnelles, assimilables & des « propriétés » ou des terrtoires linités dans la représentation. TI se peut que la question agraire ait eu une grande importance dans cette organisation du jugement comme faculté de distinguer des parts (ed'une part et d’autre part »). Meme parmi les dieux, chacun a son domaine, sa eatégorie, ses attributs, et tous distribuent aux mortels des limites et des lots conformes au destin. Tout autre est. une distribution qu'il faut appeler nomadique, un nomos nomade, sans propriété, enclos ni mesure. La, il n'y a plus partage d'un distribue, mais plutot réparlition de ceux qui se distribuent dans un espace ouvert illimité, du moins sans limites précises'. Rien ne revient ni nappartient & personne, mais toutes les personnes sont disposées gi el 1a, de maniére & couvrir le plus d’espace possible. Meme quand il’s'agit du sérieux de la vie, on dirait un espace de jeu, une régle de jeu, par opposition a lespace comme au nomos séden- taires, Remplir un espace, se partager en lui, est Urs différent de partager Vespace. Clest une distribution d'errance et méme de 4 délire », ot les choses se déploient sur toute T'étendue d'un Blre univoque et non partagé. Ce n'est pas V'étre qui se partage d'apris les exigences de la représentation, mais toutes choses qui se répartissent. en lui dans T'univocité ‘de la simple présence (I'Un-Tout). Une telle distribution est démeniaque plutat que divine ; car la particularité des démons, o'esl d'opérer dans les etvailes entre les champs d'action des dieux, comme de sauter par-dessus les barritres ou les enclos, brouillant les propriétés. Le choeur d’dipe s'écrie : « Quel démon a sauté plus fort que le plus long saut ? » Le saut témoigne ici des troubles bouleversants que les distributions nomades introduisent dans les structures 1, Ct. E, Lanocme Hisloire deta racine nem — en grec ancien (Klineksieck 1948]. E, Laroche montee que Le de distribution dane wuse-veuws te pas dans un rapport aumple aves cele Fens’ pastoral de séuao (lire paltre) n'y dlelattere La soe homirique ne Diturages ine sagit pas de distribuer la terre aux bites, Le les dstribuerellewmtines, de les repartir ca et Ie dans un e Ard ane e mopar ur dene ard ew tals sans limites précises [par exempte, 'etendue autour d'une vile Suse fe thime dus nomads = tage (neuen, Bato, Buse). Le con age Edin an"patage ie le Smt ys enn Se pel ds neat LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME 35 sédentaites de la représentation. Et l'on doit en dire autant de la hiérarchie. Il y a une hiérarchie qui mesure les étres d’aprés leurs limites, et d’aprés leur degré de proximité ou d’éloignement par rapport un principe. Mais il y a aussi une hiérarchie qui Considere les choses et les étres du point de vue de la puissance : il ne s'agit pas de degrés de puissance absolument considérés, mais seulement de savoir si un étre « saute » éventuellement, c'est-i- dire dépasse ses limites, en allant jusqu'au bout de ce qu'il peut, quel qu'en soit le degré. On dira que « jusqu‘au bout » définit encore une limite. Mais la limite, répac, ne désigne plus iei ce qui ‘aintient la chose sous une loi, ni ce qui la termine ou la sépare, mais au contraire ce & partir de quoi elle se déploie et déploie toute sa puissance ; 'hybris cesse d’étre simplement. condam- nable, el le plus peli devient légal du plus grand dés qu'il n'est pas séparé de ce qu'il peut. Cette mesure enveloppante est la méme pour toutes choses, Ia méme aussi pour la substance, la qualité, la quantité, etc., ear elle forme un seul maximum oi le diversité développée de Lous les degrés touche & l'égalité qui Venveloppe. Gette mesure ontologique est plus proche de la démesure des choses que de la premiére mesure ; cette hiérarchie ontologique, plus proche de V'hybris et de V'anarchie des étres que de la pre- mnire hiérarchie. Elle est le monstre de tous les démons. Alors les mots « Tout est égal » peuvent retentir, mais comme des mots Joyeux, & condition de se dire de ce qui n'est pas égal dans cet Eire égal univoque : V'étre égal est immédiatement présent & toutes choses, sans intermédiaire ni médiation, bien que les choses se tiennent inégalement dans eet étre éal. Mais toutes sont dans une proximité absolue, 14 oi V'hybris les porte, et, grande oa petite, inféricure ou supérieure, aucune ne participe & Foire plus ou moins, ou ne le recoit par analogie. L’univocite de Vétre signifie done aussi 'égalité de Petre. L’Btre univoque est & la fois distribution nomade et anarchie couronnée, Pourtant ne peut-on concevoir une conciliation de V'analogie et de 'univocité ? Car si Vétre est univoque en lui-méme, en tant qu'étre, n’est-il pas « analogue » dés qu'on le prend avec ses modes intrinseques ou facteurs individuants (ce que nous appe- rns plus haut les exprimants, les désignants) ? S'l est égal en ‘mémo, n’est-il pas inégal dans les modalités qui se tiennent en lui? Sil désigne une entité commune, n’est-ce pas pour des existants qui n'ont « réellement » rien de commun ? S'il a un état métaphysique ’univocité, n'a-t-il pas un état physique dan: logie ? Et si V'anslogie reconnait un quasi-concept identiqu Vunivocité ne reconnait-elle pas un quasi-jugement. d’analo I 56 DIFFERENCE EY REPETITION sian pout ports Peis ces tenia patie Mais de telles questions risquent de dénaturer les deux (hescs aves tne terrace, Cresent! de feign Aiteence de" notre) entre les dilerences peaigoes apse fgues Tele ne pr tre pea! eee an ate enters ticako i rave poac equele See ee ee posbla'de pour ies iférencenspéctiquea Unset tiontem Tine pas quer do pots de vue de Ponaiety tones oat medion ot ca gerade eee analog ies comeps Md Gis et Pare ee tropenees de gear’ de Tapeoe it sia evant ee Vanalogie tombe dans une difliculté sans issue Ja fois, elle doit catntellementrapperter tire des exeants paras ne Gls ne pra! cite oy gut costing or eater ee aul diosa portlet Gl cee hee (lore et maitre ele cheebe fe fincpe ncnduste as {eu te element des individu erat obi again, dans Quand nos dnns quelreusseoquesereppoe ene eUinmtdistement& des fates taddanels Nous eee cris peoer cancel tu ivan Dae Suche pea sxtomme piste taaeeman oe Frncpe‘pastigue, anachique at tosis aeepcae ne processus d'individuation, et qui n'est pas’ moins capable de Howudre cde dre is indihin torte site a portent # ullds fostegies te Reig mae es ‘lor mati Linueiduant yet paste single neil ne ces conditions, il ne sullit pas de dire que l'individuation différe en nature dea splcfeaton Ne a8 mee wo dee eke matin de Dine Set, guise oe cnleal ros poet a Iyer es iments do avid const mois Seceal use ID conceplion duce iadviduaton some relieeetanie aes forme 2" faut montrer'non seloment comment ie aaheoes ttalviduonle dies en ature sei dfs speeheue ak Gobir eh vada, eemnent ndisieain (eae oe oat Informe ela mare Pepe et es pavtcne te gerne tpperteImanaintereal 2 aitcrcace’ ge wee tor ee sly Gruso soulbv Lutes ee questions dns son livre sur Jean Duna Sep tn. 1852) 147i tate care rapport de van Io ate agen, pt prtclirnant ave Te Jugenea eaten LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME 3 comment la différence individuante précéde dons I'étre les diffé~ ences génériques, spécifiques et mime individuelles — comment tin champ prealable d individuation dans Vétre conditionne et la fea ion des formes, et Ia détermination des parties, et leurs v duelles, Si Vindividuation me se fail. ni par la Torme ni par In matiére, ni qualitativement ni extensivement, est parce qu’elle est déji supposée par les formes, les matiéres tL les parties extensives (non pas seulement parce qu'elle différe en nature). Ce n'est done pas du tout de la méme fagon quo, dans l'ana~ logie de Vétre, les diflérences génériques et les dillérences spéci- fiques se médiatisent en général, par rapport a des dilférences individuelles, et que, dans Tunivocité, Vétre univoque se dil immédiatement des differences individuantes, ou que Puniversel ‘dit du plus singulier indépendamment de toute médiation. Sill est vrai que Tanalogie nie que Metre soit un genre commun parce que les dillérences (spécifiques) « sont », inversement Matre univoque est bien commun, dans In mesure oft les dillé- rences (individuantes) « ne sont pas » et n'ont pas & étre. Sans dloute verrons-nous qu’elles ne sont pas, en un sens trés parti- culier: si elles ne sont pas, c'est parce qu’elles dépendent, dans Tétre univoque, d'un non-étre sans négation. Mais il apparatt dja, dans Iunivoeité, que ce ne sont. pas les différences qui sont elont a étre, Crest P'étre qui est Différenco, au sens ott il se dit de In dilférence. Et ce mest pas nous qui sommes univoques dans un Etre qui ne I'est pas ; c'est nous, c’est notre individualité Gq reste équivoque dans un Bre, pour un Etre univoque. L’histoire de la philosophie détermine trois moments prinei- paux dans elaboration de Vunivocité de V'étre. Le premier est Feprésenté par Duns Scot, Dans 'Opus Ozoniense, te plus grand livre de Tontologie pure, Iétre est pensé comme univoque, mais Vetre univoque est pensé comme neutre, neuer, indillérent & Vinfini et au fini, au singulier et & T'universel, au créé et & Vineréé. Seot mérite done le nom de « docteur subtil », paree que son regard discerne 'étre on deca de lentreeroisement de 'universel et du singulier, Pour neutraliser les forces d’analogie dans le agement, il prend les devants, et neutralise d’abord I’étre dans tin concept abetroit, C'est pourquoi il a soulement. pensé Wéire Univoque. Et Ton voit Mennemi qu'il sfforce de fuir, confor- mement aux exigences du christianisme : le panthéisme, dans Tequel il Lomberait siT’étre commun n'était pas neutre. Toutefois, i avait su définir deux types de distinction qui rapportaient la dillérence cet étre neutre indiliérent. La distinction formele, 38 DIE. ENCE ET REPETITION fn effet, est bien une distinction réelle, puisqu'elle est fondée dans V'étre ou dans la chose, mais n'est pas nécessairement une distinction numérique, parce qu'elle s'établit entre des essences ou sens, entre des « raisons formelles » qui peuvent laisser sub- sister l'unité du sujet auquel on les attribue. Ainsi, non seulement Vunivocité de l'etre (par rapport. 4 Dieu et aux eréatures) se prolonge dans l'univocité des « attributs », mais, sous la condition de son infinité, Diew peut posséder ces atfributs univoques formellement, distinets sans rien perdre de son unité. L’autre type de distinction, la distinction modale, s'établit entre V'étre ou les attributs d'une part, et d’autre part les variations inten- sives dont ils sont capables. Ces variations, comme les degrés du blanc, sont des modalités individuantes dont V'infiniet le fini constituent précisément les intensités singuliéres. Du point de vue de sa propre neutralité, V’étre univoque n'implique done pas seulement les formes qualitatives ou des attributs distincts eux-mémes univoques, mais se rapporte et les rapporte a des facteurs intensifs ou des degrés individuants qui en varient le mode sans en modifier Pessence en tant qu'étre. S'il est vrai que la distinction en général rapporte 'étre la différence, la distinction formelle et ta distinetion modale sont les deux types sous lesquels I'étre univoque se rapporte & la différence, enh méme, par Iui-méme. Avec le second moment, Spinoza opére un progrés considé- rable. Au lieu de penser Vétre univoque comme neutre ou indif- ferent, il en fait un objet d’affirmation pure. L'étre univoque se confond avec In substance unique, universelle et infinie ‘est posé comme Deus sive Natura, Bt la lutte que Spinoza entre prend contre Descartes n'est pas sans rapport avec celle que Duns Scot menait contre saint. Thomas. Contre la théorie cartésionne des substances toute pénétrée d'analogie, contre la conception cartésienne des distinctions, qui mélange étroitement V'ontolo- Bique, le formel et le numérique (substance, qualité et quantité) — Spinoza organise une admirable répartition de la substance, des attributs et des modes. Dés les premitres pages de I'Ethique, {fait valoir que les distinctions réelles ne sont jamais numériques, mais seulement formelles, c’est-i-dire qualitalives ou essentielles (attributs essentiels de Ia substance unique); et inversement, que les distinctions numériques ne sont. jamais réelles, mais seulement modales (modes intrinséques de la substance unique et de ses attributs). Les attributs se comportent réellement comme des sens qualitativement différents, qui se rapportent 4 Ia substence comme a un seul et méme désigné; et cette LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME s est de déployer toute sa puissance ou son étre dans la limite elle-méme. Les attributs sont done absolument communs 4 la substance et aux modes, bien que la substance et les modes ce mime sens de la substance et des modes, bien que les modes sition expressive affirmatiy modes, et les modes dépendent de la substance, mais comme principe devenu ; qu’elle tourne autour du Différent, telle est la 60 DIFFERENCE ET REPETITION Véternel retour consiste-t-elle fi penser le méme & partir du diffé rent. Mais cette pensée n'est plus du tout une reprisent: théorique : elle opére pratiquement une sélection des di d'aprés leur eapacité de produire, c'est-i-dire de revenit ou de supporter I'épreuve de éternel retour. Lr caractire sélectif de Véternel retour apparatt nettement dans Vidée de Nielzsehe : ce qui revient, ce n'est pas le Tout, le Méme ou V'identité préalable en général. Ce n'est pas davantage le petit ou le grand comme parties du tout ni comme éléments du méme. Seules reviennent les formes extrémes — celles qui, petites ou grandes, se déploient dans la limite et vont jusqu’au bout de la puissance, se transfor- ‘mant et passant les unes dans les autres. Seul revient ce qui est extréme, excessif, ce qui passe dans l'autre et devient identique. Gest pourquoi ’éternel retour se dit seulement du monde thédtral des métamorphoses et des masques de la Volonté de puissance, des intensités pures de cette Volonté, comme facteurs mobiles ividuants qui ne se laissent plus retenir dans les limites factices de tel ou tel individu, de tel ou tel Moi. L'éternel retour, le revenir, exprime l'tre commun de toutes les métamorphoses, Ia mesure et létre commun de tout. ce qui est extréme, de tous les degrés de puissance en tant que réalisés. Crest I’étre-égal de tout ce qui est. inégal, et qui a su réaliser pleinement son inégalité. Tout ce qui est exiréme devenant le méme communique dans tun Btre égal et commun qui en détermine le retour. C'est pourquoi le surhomme est défini par la forme supéricure de tout ce qui « est ». Il faut deviner ce que Nietzsche appelle noble : il emprunte le langoze ddu physicien de lénergie, il appelle noble énergie capable de se transformer. Lorsque Nietzsche dit que V'hybris est. le vrai probléme de tout héraclitéen, ou que Ia hiérarchie est le probleme des esprits libres, il veut dire une seule et méme chose : que c'est dans Vhybris que chocun trouve 'étre quile fait revenir, et aussi cette sorte d'anarchie couronnée, cette hicrarchie renversée qui, pour assurer Ia sélection de la différence, commence par subordon- ner Videntique au différent®. Sous tous ces aspects, I'éterne! retour est Vunivocité de I'étre, la réalisation effective de cette uunivocité. Dans P'éternel retour, l'étre univoque n'est. pas seule- ment pensé et méme affirmé, mais effectivement réalisé. L'Btre ‘hyn, et Ia pi queda tied rec ance de a philosiphe, trad. Biangtte, NAF, p- fo) Et sur le probleme de la 'ierarchie, « notre problime & nous autres’ eopnts lies », Human trop umain, preface’ § 670 Le eurhumain comme’ forme supérieure de tout fcequl est»: Bece Homo (Anal pari! Zarathousira, 0) 1A DIFFERENCE EN ELLE-MEME ot se dit en un soul et méme sens, mais ce sens est celui de I'éternel retour, comme retour ou répétition de ce dont il se dit. La roue dans Féternel retour est a la fois production de la répétition & partir de la différence, et sélection de la différence & partir de Ia repétition, L'épreuve du Petil et du Grand nous a semblé fausser Ia Lion, parce qu'elle renoncait. un concept propre de la diffe 1 au profit des exigences de Videntité du concept en général, Elle fixait seulement les limites entre lesquelles la determination devenait diflérence en s'inscrivant dans le concept identique ou dans les eoncepts analogues (minimum ot maximum). C'est pour- quoi la sélection qui consiste 4 « faire Ia différence » nous a paru avoir un autre sens : laisser parattre et se déployer les form extrémes dans la simple présence d’un Btre univoque — plutt aus de mesurer et de répartir ds formes moyennes aps les exigences de la représentation organique. Toutefois pouvons-nous dry que nous avons épust toutes len ressources du Petit ot du Grand, pour autant quits s'appliquent 4 la différence ? N’allons- nous pas les retrouver comme une alternative caractéristique des formes extrémes elles-mémes ? Car lextréme semble se définir par 'infini dans le petit ou dans le grand, L'infini, en ce sens, méme Videntité du petit et du grand, Videntité des extrémes. Quand la représentation trouve en soi linfini, elle apparatt comme représentation orgigue, et non plus organique : elle découvre en soi le tumulte, V'inquiétude et la passion sous le calme apparent, ou les limites de Vorganisé, Elle retrouve le monstre. Alors il ne s'agit plus d’un heureux moment qui mar- querait entrée et. la sortie de Ia determination dans le concept en général, le minimum et le maximum relatifs, le punelum pro- stimum el le punclum remotum., I faut-au contraire un «il myope, un ail hypermétrope, pour que le concept prenne sur soi tous les moments : le concept est maintenant le Tout, soit. qu'il étende sa hénédiction sur toutes les parties, soit que la scission ct le malheur «tes parties se réfléchissent en lui pour recevoir une sorte d'abso- lution. Le concept auit donc ct épouse la détcrmination d'un bout 4 Pautre, dans toutes ses métamorphoses, et la représente comme pure difference en la livrant & un fondement, par rapport. auquel i n'importe plus de savoir si on se trouve devant un minimum ou un maximum relatifs, devant un grand ow un petit, ni devant un début ou une fin, puisque les deux coincident dans le fonule~ oa DIFFERENCE ET REPETITION ment comme un seul et méme moment ¢ total », qui est aussi bien celui de lévanouissement ct de la production de la différence, celui de la disparition et de lapparition. On remarquera en ce sens 4 quel point Hegel, non moins que Leibniz, attache de l'importance an mouvement infini de léva- nouissement, comme tel, e'est-i-dire au moment oi la difference s'évanouit qui est aussi celui oit elle se produit, Crest la notion méme de limite qui change complitement de signification : elle ne désigne plus les bornes de la représeatation finie, mais au contraire In matrice oit la détermination finie ne cesse pas de disparattre et de naitre, de s'envelopper et de se déployer dans la repréentation orgique. Elle ne désigne plus la limitation d'une forme, mais la convergence vers un fondement ; non plus la dis- Linction des formes, mais la corrélation du fondé avec le fonde~ ment ; non plus 'arrét de lo paissanee, mais V'élément dans lequel la puissance est effectuée et fondée, Le calcul différentiel en elfet rest, pas moins que la dialectique, affaire de « puissance », et de puissance de Ia limite, Sil’on traite les bornes de la représentation finie comme deux déterminations mathématiques abstraites qui seraient celles du Petit et du Grand, on remarque encore qu'il est tout & ifférent & Leibniz (comme i Hegel) de savoir si le déterminé est petit ou grand, le plus grand ou le plus petit ; la considération de I'infini rend le déterminé indépendant. de cette question, en le soumettant & un élément architectonique qui découvre dans tous les cas le plus parfait ow le micux fonde’ Crest en ce sens que la représentation orgique doit étre dite faire la différence, puisqu’elle la sélectionne en introduisant cet infini {qui la rapporte au fondement (soit-un fondement par le Bien q ‘agit comme principe de choix et de jeu, scit un fondement par la négativité qui agit comme douleur et travail). Et si Yon traite les bornes de la représentation finie, c'est-i-dire le Petit et le Grand eux-mémes, dans le caractére ou le contenu conerets que leur donnent les genres et les espéces, la encore, introduction de yicum (G., Ph. Schr,, t. VU ja remarquera que, pour Leibniz non moins sentian per thathematique ou fupre-mathématique, Invers eonnallre das le cael diferente la presenee dun ni, ui est Pinfinl du rapport +: ee ql reproctie au calcu, cst ferment d'exprimer ce véritable infnt tous ia forme mathemotique de Ta rie ul eli et un four inah Cf, Heowe, Logiqne (rad. 8. JANKSLEVITCH, ‘Rubies, fy pp: 25409," On sait que Finteepretation moderne rend eompt fntitremeat ‘du ealeul ttérentiel dans les termes de la representation fine; fous analysona ce point de wwe chapitee IV. LA DIPPERENCE EN ELLE-MEME 63 Vinfini dans la représentation rend le déterminé indépendant du genre comme déterminable et de Vespéce comme détermination, fen retenant dans un moyen terme aussi bien l'universalité vraie qui échappe au genro que Ia singularité authentique qui échappe a Vespéce. Bref, la représentation orgique a pour principe le fondement, et 'infini comme élément — contrairement a la représentation organique qui gardait pour principe la forme et pour élément le fini. Cest Vinfini qui rend Ia détermination pensable et sélectionnable : la différence apparatt done comme Ta représentation orgique de la détermination, non plus comme sa représentation organique. Au lieu d’animer des jugements sur les choses, la représen- tation orgique fait des choses mémes autant d'expressions, de propositions : propositions analytiques ou synthstiques infinies. Mais pourquoi y a-t-il uno alternative dans la représentation orgique, alors que les deux points, le petit et le grand, le maximum et le minimum, sont devenus indiflérents ou identiques dans Vinfini, et la différence, tout a fait indépendante deux dans le fondement ? C'est que l'infini n'est pas le lieu oft la détermination finie a disparu (ce serait projeter dans l'infini la fausse conception de Ia limite). La représentation orgique ne peut découvrir en soi Vinfini qu’en laissant. subsister la détermination finie, bien plus, int Vinfini de cette détermination finie elle-méme, en la roprésentant non pas comme évanouie el disparue, mais comme Gvanouissanle et sur Ie point de disparattre, done aussi bien comme s'engendrant dans V'infini. Cette représentation est telle que Vinfini et le fini y ont la méme « inquiétude », qui permet pricisément de représenter l'un dons l'autre. Mais quand l'infini se dit du fini lui-méme sous les conditions de la représentation, il a deux maniéres de se dire : ou bion comme infiniment petit, ou bien comme infiniment grand, Ces deux maniéres, ces deux « différences », ne sont nullement symétriques. La’ dualité se réinlroduit ainsi dans Ia représentation orgique, non plus sous Torme d'une complémentarité ou d'une réflexion de deux moments finis assignables (comme e’était Ie cas pour la différence spéci- fique et la différence générique), mais sous forme d'une alterna- tive entre deux processus inassignables infinis — sous forme d'une alternative entre Leibniz et Hegel. S'i est vrai que le petit et le grand s'identifient dons I'infini, Vinfiniment petit et linfini- ment grand se séparent 4 nouveau, et plus durement, pour autant que l'infini se dit du fini, Leibniz et Hegel, chacun d’eux séparément échappe A V'alternative du Grand et du Petit, mais tous deux ensemble retombent dens I'alternative de Vinfiniment % DIFFERENCE ET REPETITION petit et de Vinfiniment grand. C'est pourquoi Ia représentation orzique s‘ouvre sur une dualité qui redouble son inquiétude, ow mime qui en est la véritable raison, et Ia divise en deux Lypes. Tapparatt. que Ia « contradiction », selon Hegel, fait. fort pew probleme. Elle a une tout autre fonction : Ia contradiction se résout et, se résolvant, résout la différence en la rapportant a un fondement. La différence est le seul probléme. Ce que Hegel reproche & ses prédécesseurs, c'est d’en étre restés & un maximum, tout relatf, sans atteindre au maximum absolu de Ia difference, crest-adire a la contradiction, a Vinfini (comme infiniment grand) de la contradiction, Ils n’osérent pas aller jusqu’au bout : «La difference en général est déji contradiction en soi... Crest seulement lorsqu'il est poussé dla pointe de la contradiction que le varié, le multiforme s'éveille et s’anime, et que les choses faisant partie de cette variété recoivent: Ia négativité qui est la ulsation immanente du mouvement autonome, spontané et ivant... Quand on pousse asses loin la différence entre les réalités, ‘on voit Ia diversité devenir opposition, et par conséquent contra dietion, de sorte que Pensemble de toutes les réalités devient & son tour contradiction absolue en soi x. Hegel, comme Aristote, détermine a difference par opposition des ‘extrémes ou des contraires. Mais Vopposition reste abstraite tant qu'elle ne va pas 4 Vinfini, et Vinfini reste abstrait chaque fois qu'on le pose hors des oppositions finies : Vintroduction de V'infin, ie, entraine Videntité des contraires, ou fait du contraire de Autre un contraire de Soi. Il est vrai que la contrariété représente seule- ‘ment. dans linfini le mouvement de I'intériorité ; celui-ci laisse subsister de Vindifférence, puisque chaque détermination, en tant. qu'elle contient l'autre, est. indépendante de l'autre comme d’un rapport avec l'extérieur. II faut encore que chaque contraire expulse son autre, s'expulse done Iui-méme, et devienne l'autre quiil expulse. Telle est la contradiction, comme mouvement de Vextériorité ou de Vobjectivation réelie, constituant Ia vraie pulsation de Vinfini. En elle se trouve done dépassée Ia simple identité des contraires, comme identité du positif et du négatif. Gar ce n'est pas de la méme fagon que le positif et le négatif sont, Je Méme ; maintenant le négatif est & la fois le devenir du positif quand le’ positif est nig, et le revenit du posilif quand i se nie lui-méme ou s'exclut. Sans doute chacun des contraires déter- t, Meoxt, Liq 1, pp- 57, 70 eL7, Cun Eyl, § 11612, — dus ttac Set atniics& oppositone ata Sadchon ets nmentabes a6 Veen venus, Lalo elses theses Univesies See Se MEESE LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME 6 minés comme positif et négatif était dja In contradiction, ‘mais le positifn’est cette contradiction qu'en soi, tandis que In négation est la contradiction posée ». Gest dans la contradiction posée que la différence trouve son concept propre, qu'elle est Gsterminée comme négativité, qu'elle devient pure, intrinséque, essentielle, qualitative, synthétique, productrice, et ne laisse pas subsister d'indifférence, Supporter, soulever la contradiction, est I'épreuve sélective qui e fait » la dilférence (entre V'efeti- voment-réel et le phénoméne passazer ou contingent). Ainsi la difference est poussée jusqu’au bout, e'est-i-dire jusqu'au fone ddement qui n'est pas moins son retour ou sa reproduction que son anéantissement, Get infini hégélien, bien qu’ se dise de opposition ou de la ddétermination finies, c'est encore Vinfiniment grand de la théo- logie, de Ens quo nihil majus... On doit méme considérer que la nature de Ia contradiction réclle, en tant qu'elle distingue tune chose de foul ce qu'elle n’est pas, a été pour la premitre fois formulée par Kant, qui la fait. dépendre, sous le nom de « déter- rmination complete », de lo position d’un tout de la réalité comme Ens sunmum. I n'y a done pas lieu d’attendre un traitement mathématique de eet infiniment grand théologique, de ce sublime de Vinfiniment grand. I n'en est pas de méme chez Leibniz. Gar, pour la modestie des eréatures, pour éviter tout mélange de Diew et des eréatures, Leibniz. ne peut introduire Vinfini dans le fini que sous la forme de I'infiniment petit. En ce sens, pourtant, ‘on hésitera & dire qu'il va « moins loin » que Hegel. Lui au i dépasse la représentation organique vers la représentation -gique, bien qu’ille fasse par un autre chemin. Si Hegel découvre dans la'représentation sercine Vivresse et l'inquiétude de V'infi- niment grand, Leibniz. découvre dans Vidée claire finie Vinquié- ude de Vinfiniment petit, faite aussi d'ivresse, d’étourdissement, @évanouissement, méme de mort. Il semble ‘done que la ditfé= renee entre Hegel et. Leibniz tient aux deux fagons de dépasser organique. Cerles, Messentiel et inessentiel sont. inséparables, comme Pun et. le multiple, "égal et inégal, Videntique et le différent. Mais Hegel part de l'essentiel comme genre ; et l'infini est ce qui met la scission dans le genre, et la suppression de la scission dans Pespéee. Le genre est done luiememe el Vespéee, le tout est lui-méme etla partie. Déslors,ilcontient l'autre en essence, il te contient essentiellement®, Leibniz au contraire, en ce qui 1, Sur Pinfii, le gente et Veapten, ef, Phinoménologie (trad, Hvrrousre, Aubin), Lily pps 1550198, 140181, 245-807, et 66 DIFFERENCE ET REPETITION concerne les phénoménes, part de V'inessentiel — du mouvement, de 'inégal, du different. Crest inessentiel, en vertu de linfiniment petit, qui est maintenant posé comme espéce el comme genre, et qui se Lermine a ce Litre dans la « quasi-espece opposée » : ce qui signifle qu'il ne contient pas l'autre en essence, mais seulement en propriété, en eas. Il est faux d'imposer & l'analyse infinilésimale alternative suivante :est-ce un langage des essences, ou une fietion commode ? Car la subsomption sous le « eas », ou le langage des propriétés, a son originalilé propre. Ge procédé de Vinfiniment pelit, qui maintient la distinction des essences (en tant que l'une Joue par rapport. l'autre le réle de l'inesceniiel), est tout & fait différent de la contradiction ; aussi faut-il lui donner un nom particulier, celui de « viee-diction », Dans linfiniment grand, Végal contredit l'inégal, pour autant qu'il le posside en essence, tse contredit lui-méme pour autant qu'il se nie ui-méme en niant Vinégal. Mais dans l'infiniment. petit, V'inégal vice-dit Pégal, et se vice-dit lui-méme, pour autant qu'il inclut en eas ce qui l'exelut en essence. Liinessentiel comprend l'essentiel en cas, tandis que Vessentiel contenait l'inessentiel en essence. Doit-on dire que la viee-diction va moins loin que la contradic- tion sous prétexte qu'elle ne concerne que les propriétés ? En réa- lité, Vexpression « dilférence infiniment petite sindique bien que la difference s'évanouit par rapport & I'intuilion ; mais elle trouve son concept, et c'est plutot l'intuition qui s'évanouit elle-méme ‘au profit du rapport différentiel. Ce qu'on montre en disant que dz n'est rien par rapport a x, ni dy par rapport & y, mais que dy de fonction séparée de ses valeurs numériques particulitres, Mais si le rapport n'a pas de déterminations numériques, il n'en a pas moins des degrés de variation correspondant & des formes et Equations diverses. Ces degrés sont eux-mémes comme les rapports de l'universel; et les rapports différenticls, en ce sens, sont pris dans le processus d'une détermination réciproque qui traduit T'interdépendance des coefficients variables’. Mais encore, la délermination réciproque n’exprime que le premier aspect d’un véritable principe de raison ; le deuxitme aspect est lu délermination complete, Car chaque degre ot rapport, pris st Ie rapport qualitatif interne, exprimant 'universel d'une 2m ma nt gt. 0. — fw ee en eh ete ete 7 Te ea iste eee te Fa reece ne oa theta LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME o comme Vuniversel d'une fonction, détermine Vexistence ot In répartition de points remarquables de Ia courbe correspondante. Nous devons prendre grand soin, ii, de me pas confondre Ie «complet » avec « Ventier »; c'est que, pour l'équation d'une courbe par exemple, le rapport differentiel renvoie seulement a des lignes droites déterminées par la nature de la courbe ; est, déja détermination compléte de l'objet, et pourtant n’exprime qu'une partie de Pobjet entier, la partie considérée comme «c dérivée » (Vautre partie, exprimée par la fonction dite primitive, no peut étre trouvée que par I'intégration, qui ne se contente nullement, d’étre Vinverse de la differentiation ; de méme, c'est Vintégration qui définit In nature des points remarquables pré- cédemment déterminés). Crest pourquoi un objet peut étre complétement. déterminé — ens omni modo delerminatum — sans disposer pour eela de son intégrité qui, seule, en constitue existence actuelle, Mais, sous le double aspect de la détermi- nation réciproque et de ia détermination compléte, il apparatt, ddéja que la limite coincide avec Ia puissance méme. La limite est definie par la convergence. Les valeurs numériques d'une fonction trouvent leur limite dans le rapport différentiel ; les rapports différentiels trouvent, leur limite dans les degrés de variation ; et & chaque dezré, les points remarquables sont la limite de séries qui se prolongent analytiquement les unes dans les autres. Non seulement te rapport différentiel est élément. pur de la potentialité, mais la limite est la pull continuité, elle des limites elles-mémes. La différence trouve ainsi son concept dans un négatif, mais un négatif de pure li tation, um nihil respectioum (dz n'est rien par rapport & 2). De tous ces points de vue, la distinction du remarquable et de Vordinaire, ou du singulier et du régulier, forme dans le continu les deux ¢atégories propres 4 Vinessentiel. Elles animent tout le langage des limites ct des propristés, elles constituent la struc- ture du phénoméne en tant que tel; nous verrons en ce sens tout ce que la philosophie doit attendre dune distribution des points remarquables et des points ordinaires pour la description de Pexpérience. Mais déja les deux sortes de points préparent et déterminent, dans l'inessentiel, Ia constitution des essences elles- mimes, Liineezenticl ne désigne pas ici ce qui cet sana importance, mais au contraire le plus profond, l’étoffe ou le continuum uni- versel, ce dont les essences elles-mémes sont finalement faites. En effet, Leibniz pour son compte n’a jamais vu de contra- diction entre la loi de continuité et le principe des indiscernables. L'une régit les propriétés, les affections ou les cas complets, oe DIFFERENCE ET REPETITION Vautre, les essences comprises comme notions individuelles entiéres, On sait que chacune de ces notions entidres (monades) exprime la totalité du monde ; mais elle 'exprime précisément sous un certain rapport différentiel, et autour de certains points remarquables correspondant. & ce rapporl!. Cesk en ce sens que rapports différentiels et les points remarquables indiquent deja dans le continu des centres d'enveloppement, des centres ion ou d'involution possibles qui se trouvent eflectués par les essences individuelles. I suit de montrer que le continu des affections et des propriétés précide en droit, d'une certaine manitre, la constitution de ces essences individuelles (ce qui revient & dire que les points remarquables sont eux-mémes des zularités pré-individuelles ; et ce qui ne contredit nullement Vidée que V'individuation précéde la spécifieation actuelle, bien qu'elle soit précédée de tout le continu dillérentiel). Cette se trouve remplie dans la philosophie de Leibniz de la suivante : le monde, comme exprimé commun de Loutes des, préexiste a ses expressions. Il est bien vrai pour- tant qu'il n’eziste pas hors de ce qui lexprime, hors des monades elles-mémes ; mais ces expressions renvoient. Vexprimé comme ‘au requsil de leur constitution, Crest en ce sens (comme Leibniz le rappelle constamment dans ses lettres & Amnauld) que 'inhé- renee des prédicats dans chaque sujet suppose Ia compossibilite du monde exprimé par tous ces sujets : Diew n'a pas créé Adam pécheur, mais dabord le monde oii Adam a péché. C'est sans doute la eontinuité qui définit la compossibilité de chaque monde; et si le monde réel est le meilleur, c'est dans la mesure ot il pré= sente un maximum de continuité dans un maximum de eas, dans tun maximum de rapports et de points remarquables. C'est. dire que, pour chaque monde, une série qui converge autour d'un point remarquable est eapable de se prolonger dans toutes les directions dans d'autres séries convergeant autour d'autres points, lincompossibilité des mondes se définissant au contraire au voisinage des points qui feraient diverger les sérics obtenues. On voit pourquoi 1a notion d'incompossibilité ne se raméne nullement la contradiction, et n'implique méme pas d'opposi- tion rvelle = elle n’implique que la divergence ; et la compossibilité nz, Lele d Aruauld (Janet, 2 dd, (fp. 593) 24 Savais dit que iit natrellement ut univers en Certain ‘senay et stone ont sie et pareonsdquentexprimagt pis knit rata appardet a pari de son conf dite vertu dee oe du apport qu tu sont essntilles,expriner particuiérement quelques mou aires deg partis de son corps.» CE aussi, dans la Lette da ‘deers’ de rapport + (p. 973) 1A DIFFERENCE BN BLLE-MB. 69 traduit seulement Voriginalité du processus de la vice-diction comme prolongement analytique. Dans le continuum d'un monde compossible, les rapporls diffrentiels et les points remarquables déterminent done des centres expressifs (essences ou substances individuelles) dans lesquels, chaque fois, le monde tout entier s'enveloppe d'un certain point de vue, Inversement ces centres se déroulent et se développent.en restituant le monde, et en jouant alors eux-mémes le réle de simples points remarquables et de cas » dans le continuum exprimé. La loi de continuilé apparatt ici comme une loi des propristés ou des eas du monde, une loi de développement qui s'applique au monde exprimé, mais aussi aux monades elles-mémes dans le monde ; le principe des indis- ‘ernables est un principe des essences, un principe d’enveloppe- ment, qui s’applique aux expressions, e’est-i-dire aux monades cL au monde dans les monades. Les deux langages ne cessent de se traduire 'un dans Vautre, Tous deux ensemble rapportent la différenee, 2 la fois comme différence infininent, petite et comme teen tant que fondement. qui tionne, c'est-i-dire qui choisit le monde le meilleur meilleur des mondes, en ce sens, implique bien une compat mais n'est pas un comparatif ; chaque monde étant inlini, superlatif qui porte In dillérenee & un maximum absolw, wreuve méme de T'infiniment petit. La dillérence finie est délerminée dans la monade comme la région du monde exprimée clairement, la différence infiniment petite comme le fond confus qui conditionne cetle elarté, De ees deux maniéres, la représen- tation orgique médintise la détermination, en fait un concept de la difference en lui assignant une « raison » La feprésentation finie est eclle d’une forme comprenant une tatitre, mais une maliére seconde en tant qu’informée par les contraires. Nous avons vu qu'elle représentait la différence en la meédiatisant, en la subordonnant 4 Videntils comme genre, et en issurantcelte subordination dans l'analogie des genres eux- mémes, dans opposition logique des déterminations, comme dans la ressemblance des contenus proprement matériels. I nen est pas de mime de la représentation infinie, parce qu'elle comprend le Tout, c'est-d-dire le fond comme maliere premifre, el Pessenee come sujet, comme Moi ou forme absoluc. La représentation infinie rapporte 4 la fois V'essence et le fond, et la dilférence entre les deux, fi un fondement ou raison suffisante. La iédiation méme est devenue fondement. Mais, tantat le fond est la continuilé infinie des propriétés de Vuniversel qui s'enveloppe Inieméme dans les Moi parliculiers finis considér’s comme des 70 DIFFERENCE ET REPETITION essences, Tantt les particuliers sont, seulement des propriétés ou des figures qui se développent dans le fond universel infini, mais qui renvoient aux essences comme aux vraies determinations d'un Moi pur ou plutOt d’un « Soi » enveloppé dans ce fond, Dans les deux cas, la représentation infinie est objet d'un double discours : celui des propriétés et celui des essences — celui des points physiques et celui des points métaphysiques ou points de vue chez Leibniz, celui des figures et celui des moments ou catégories chez Hegel. On ne dira pas que Leibnis aille moins loin que Hegel ; il y a méme chez lui plus de profondeur, plus d'orgisme ou de délire bachique, au sens oii le fond jouit d'une initiative plus grande. Mais dans les deux cas aussi, il ne semble pas que la représentation infinie sullise a rendre la pensée de la iférence indépendante de la simple analogie des essences, ou de la simple similitude des propriétés. C'est que, en dernier ressort, {a représentalion infinie ne se dégage pas du principe didentité comme présupposé de ta représentation. Crest. pourquoi elle reste soumise & la condition de la convergence des séries chez Leibniz, et & la condition du monocentrage des cercles chez Hegel. La représentation infinie invoque un fondement. Mais si le fondement. n'est pas l'identique Iui-méme, il n’en est pas moins une maniére de prendre particulitrement au séricux le principe d'identité, de lui donner une valeur infin, do le rendre coextensif au tout, et par la de le faire régner sur V'existence elle-méme. Il importe peu que l'identité (comme identité du monde et du moi) soit congue comme analytique, sous lespéce de l'infiniment. petit, ou comme synthétique, sous Vespéce de Vinfiniment grand. Dans tun cas, Ia raison suffisante, le fondement est ce qui vice-dit. Videntité ; dans autre cas, ce qui la contredit. Mais dans tous les eas, la raison suffisante, le fondement, ne fait & travers V'infini que conduire Videntique’& exisler dans son identité méme. Et, ici, ce qui est évident de Leibniz ne lest. pas moins de Hegel La contradiction hégélienne ne nie pas l'identité ou la non- contradiction ; elle consiste au contraire a inscrire dans V'existant les deux Non de la non-contradiction, de telle maniére que I'iden- Aité sous cette condition, dans cette fondation, sullise & penser Vexistant comme tel. Les formules selon lesquelles « la chose nie ce qu’elle n'eet pao » ou «se distingue de tout ce qu'elle n'est pas », sont des monstres logiques (le Tout de ce que n'est pas Ia chose) ‘au service de I'identité. On dit que la dilférence est Ia négativité, qu'elle va ow doit aller jusqu’a la contradiction, dés qu'on la pousse jusqu’au bout. Ce n'est vrai que dans la’ mesure of Ia différence est déja mise sur un chemin, sur un fil tendu par LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME n Videntité, Ge n'est vrai que dans la mesure of c'est Pidentité qui In pousse jusque-la, La différence est le fond, mais seulement le fond pour la manifestation de Videntique. Le cercle de Hegel n'est pas l'éternel retour, mais seulement la circulation infinie de Videntique a travers la'négativité. L’audace hégélienne est le dernier hommage, et le plus puissant, rendu au vieux principe. Entre Leibniz et Hegel, iimporte peu que le négatif supposé de la différonce soit. pensé comme limitation vice-disante, ou comme opposition contredisante ; pas plus qu’il n'importe que Videntité infinie soit elle-méme posée comme analytique ou synthétique. De toute maniére, la différence reste subordonnée & Videntite, réduite au négatif, incarcérée dans la similitude et.dans l'analogie. Crest pourquoi, dans la représentation infinie, le détire n’est. qu'un faux délire préformé, qui ne trouble en rien le repos ou la sérénité de Videntique. La représentation infinie a done le méme défaut que la représentation finie : celui de confondre le concept propre de la diffévence avec l'inscription de la différence dans Videntité du concept. en général (bien qu'elle prenne Videntité comme pur prineipe infini au lieu de la prendre comme genre, et qu'elle éLende ‘au tout les droits du concept en général au lieu d’en fixer les bornes).. La différence a son expérience eruciale : chaque fois que nous nous trouvons devant ou dans une limitation, devant ou dans une opposition, nous devons demander ce qu'une telle situation sup- pose. Elle suppose un fourmillement de différences, un pluralisme des différences libres, sauvages ou non domptées, un espace et un temps proprement differentiels, originels, qui persistent & travers les simplifications de la limite’ ou de opposition. Pour que des oppositions de forces ou des limitations de formes se dessinent, il faut d’abord un élément réel plus profond qui se définit et se détermine comme une rultiplicité informelle et potentielle. Les oppositions sont grossiérement taillées dans un miliew fin de perspectives chevauchantes, de distances, de divergences et, de disparités communicantes, de potentiels et d'intensités hétéro- fines ; til ne s'agit pas d'ahord de risodre des tensions dans Tidentique, mais de distribuer des disparates dans une multipi- Cité. Les limitations correspondent & une simple puissance de la premiére dimension — dans un espace a une seule dimension et ‘une seule direction, comme dans lexemple de Leibniz invoquant. des bateaux emportés par le courant, il peut y avoir des chocs, n DIFFERENCE ET REPETITION tas ees choce ot nrssirement valeur delimitation et desl sation, non pas de neutralisation ni d’opposition. Quant & oppo- Sion’ ele représente h son tour la puisonce de Ta sooehee dimension, comme un étalement des choses dans un espace plan, comme une polarisation réduite a un soul plan ; et la synthése elle-mtme se fait seulement, dans une fausse profondeur, e'est-a- dire dans une troisiéme dimension fictive qui s'ajoute aux autres et se contente de dédoubler le plan. Ce qui nous échappe de toute facon, c'est la profondour originelle, intensive, qui est Ja matrice de Vespace tout entier et la premiére allirmation de la aiérence ; en ele vit et bouilonne & tat de libres differences ce qui n'apparattra qu’ensuite comme limitation linéaire et oppo- sition plane. Partout le couples, les poartes suppucent deo faisceaux et des réseaux; les oppositions organisées, des rayon nements en toutes directions. Les images stiréoscopiques ne forment une opposition que plane et plate ; elles renvoient tout autrement& un élagement de plans coexistants mobiles, & une « disparation » dans la profondeur originelle. Partout la profon- dleur de la diflérence est promitre ; etl ne sext de rien de retrouver la profondeur comme troisitmme dimension, si on ne I'a pas mise au début comme enveloppant les deux autres, et s'enveloppant elle-méme comme troisitme. L'espace et le temps ne manifestent des oppositions (et des limitations) qu’a la surface, mais supposent dans Teor profondour elle des diférences autrement volumi- neuses,allirmées et distribuées, qui ne se laissont pas rédi plaitude du négati, Comme dans le miroir de Lowis Carrell of lout est contraire et inverse & Ia surface, mais « différent » en épaisseur. Nous verrons qu'il en est ainsi de tout espace, géomé- trique, physique, biopsychique, social et linguistique (combien peu certaine & cot égard apparatt In déclaration de principe de ‘Troubetzkol: « 'idée de difference suppose V'idée d’opposition... 2). ly a une fausse profondour du combat, mais, sous le combat, Vespace de jeu des differences. Le négatif est image de la différence, mais son image aplatic et renversée, comme la dougie dans Vail du boul — Yoel du dislecticien révant aun vain combat ? En ce sens encore, Leibniz va plus loin, c'est-i-dire plus remarquables et les léments différenticls dune multiplicité, et lorsqu'll découvre un jeu dans la création du monde : on dirait done gue la prerite dimension, elle de a ite mal toute son imperfection, reste plus proche de Ia profondeur originelle. Le seul tort de Leibnie no serail pas avoir ila difeence au LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME 2 négatif de limitation, parce qu’il maintenait 1a domination du vieux principe, parce qu'il liait les séries 4 une condition de convergence, sans voir que la divergence elle-méme était, objet @allirmation, ou que les incompossibilités appartenaient & un méme monde et s'aflirmaient, comme le plus grand crime et la plus grande vertu, d'un seul et méme monde de I’éternel retour 2 Ce n'est pas la différence qui suppose V'opposition, mais opposition qui suppose la difference ; et loin de la résoudre, crest-a-dire de Ia conduire jusqu' un fondement, opposition trahil et dénature la différence, Nous disons non seulement, que la différence en soi n'est. pas « déja » contradiction, mais qu'elle ne se laisse pas réduire et mener & la contradiction, parce que celle-ci est moins profonde, et non pas plus profonde qu’elle. Car A quelle condition la différence est-elle ainsi menée, projetée dans un espace plan ? Précisément quand on I'a mise de force dans tune identité préalable, quand on I’a mise sur cette pente de Videntique qui la porte nécessairement od Videntité veut, et 1a ait se rélléchir oi veut Videntité, o'est-a-dire dans le négatif'. On a souvent remarqué ce qui se passe au début de la Phénomé- nologie, le coup de pouce de la dialectique hégélienne : Vici et le ‘maintenant sont posés comme des identités vides, des universa~ lités abstraites qui prétendent entratner la différence avec elles, ‘mais justement la difference ne suit pas du tout, et reste accrochée dans la profondeur de son espace propre, dans I'iei-maintenant une réalité diflérentielle toujours faite de singularités. Il arrivait {des penseurs, dil-on, d’expliquer que le mouvement était impos- sible, et cela n'empéchait pas le mouvement de se faire. Avee Hegel, c'est le contraire til fait le mouvement, et méme le mouve- 1, Louig Auriussen dénonee dans la philosophie de Hegel 1a toute-puis- ance de Tidentite, eesteadite la a neg interne a a ite de la contradiction hegalionne est en effet possible imple Mh princpe interne. qu consttue Pessence de toute periods historique Gost pave aul esten droit possible de réduire fa Lota Findni diverts ‘ine Bociet historique donnéé.” un prineipe interne simple, que cette meme Simpl, neque ast de droit la contraction, peut ey niece» Crest vouequot l'reproche au cercle hégelien de n'avolr qu'un seu centre, oi toutes les ngures se rehuchiesent et so conservent-L. A. oppose a Hegel un pritcipe de Tot tfeaiction multiple ow auedctermines, qu ert tower cher Maree tan diferences qu constituent chacane des instances en Jeuzvy elles fondent ‘dah une uni eelle, ne ae dssipent Pas commae un pur phinombne da {ntdsieue dune contradiction simple» {fieste que, selon L. Aw c'est encore Ik juve sundolerminee et diferentiee, et eat Penseable 'Tonlent legitimement dana une gon.cadition prine!= ton (Maapéro, 1965). ‘'ses ditrences qul pale) — Cf. Pour Mara, Contradiction et surdétermi bp. i00-103, % DIFFERENCE ET REPETITION i, mais comme il le fait ave des mots et des repré= sentations, c'est un faux mouvement, et rien ne suit. I] en est ainsi chaque fois qu'il y @ médiation, ou représentation. Le représentant dit : « Tout le monde reconnaft que... », mais il y toujours une singularité non représentée qui ne reconnalt pa parce que précisément elle n’est pas tout le monde ou Puniversel « Tout le monde » reconnatt. 'universel, puisqu'il est lui-méme Vuniversel, mais le singulier ne le reconnatt pas, c'est-a-dire 1a profonde conscience sensible qui est pourtent censée en faire les frais. Le malhieur de parler n'est pas de parler, mais de parler pour {es autres, ou de représenter quelque chose. La conscience sensible (c'est-i-dire le quelque chose, la différence ou +x 92a) s‘obstine On peut toujours médiatiser, passer dans l'antithése, combiner la synthése, mais la thése ne suit pas, subsiste dans son immé- diateté, dans sa différence qui fait en soi le vrai mouvement. La différence est le vrai contenu de la thése, Ventélement de Ia thise. Le nézatif, In négativité, ne capture méme pas Je phénoméne de la différence, mais ‘en recoit seulement. le fantéme ou l’épiphénomine, et toute la Phénoménologie est une épiphénoménologie. Ce que la philosophic de la différence refuse : omnis delermi- ratio negatio... On refuse Valternative générale de la représen- tation infinie : ou bien V'indéterminé, Vindifférent, V'indifferencié, ou bien une différence déj déterminée comme négation, impl quant et enveloppant le négatif (par la méme on refuse aussi Valternative parliculidre : négatif de limitation ou négatif d’oppo- sition). Dans son essence, la différence est objet d'affirmation, affirmation elle-méme. Dans son essence, lallirmation est elle: me différence. Mais ici, In philosophic de la dilférence ne risque-t-elle pas d'apparattre comme une nouvelle figure de la belle ame ? Gest Ia belle ame en effet qui voil partout des differences, qui en appelle 4 des différences respectables, conci- liables, fEdérables, 1a o8 histoire continue & se faire & coup de contradictions sanglantes. La belle me se comparte comme un juge de paix jeté sur un champ de bataille, qui verrait de simples « différends , peut-étre des malentendus, dans les luttes inex- piables. Pourtant, inversement, pour renvoyer Ie gont des différences pures a la belle Ame, et souder Ie sort. des differences réelles & celui du négatif et de la contradiction, il ne suit pas de se durcir & bon compte, et d'invoquer les ‘complémentarités bien connues de Valfirmation et de la négetion, de la vie et de a mort, de la eréation et de la destruction — comme si elles, suflisaient & fonder une dialectique de ls négativité, Car de LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME % tlles complémentarités ne nous font rien connattre encore du rapport d'un Lerme avee l'autre (lallirmation dé e nésulle- Lelle d'une différence déjit négative et négatrice, ou bien le négalif résulte-t-il @une allirmation déja différentielle 2). Tris généralement nous disons qu'il y a deux maniéres d'en appeler aux « destructions nécessaires » elle du poste, qui parle au nor d'une puissance eréatrice, apte a renverser tous les ordres toutes les représentations pour allirmer la Différence dans état de révolution permanente de Wéternel retour ; et celle du poli- tique, qui se soucie d’abord de nier ce qui « différe », pour conser- ver, prolonger un ordre labli dans 'histoire, ow pour élablir tun ordre historique qui sollicite déj4 dans le monde les formes de sa représentation, Il se peut que les deux coincident, dans un ‘moment particuliérement agité, mais ils ne sont jamais le mi Nul moins que Nietzsche ne peut passer pour une belle Ame. Son ame est extrémement, belle, mais non pas au sens de belle me ; nul plus que lui n'a le sens de la eruauté, le godt de Ia destruction. Mais précisément, dans toute son osuvre, il ne cesse d'opposer deux coneeptions ‘du rapport affiemation-négation. Dans un cas, Ia négation est bien le moteur et la puissance. Léaffirmation en résulte — disons comme un ersatz, Et peut- tre n’est-ce pas trop de deux négations pour faire un fantime allirmation, un ersatz d’aifirmation. Mais comment l'allir- mation résullerait-olle de la négation si elle ne conservait pas ce qui est nié ? Aussi bien Nictzsche signale-t-il le conservatisme effrayant d'une telle conception, Laffirmation est bien produite, mais pour dire oui & Lout ce qui est négatif et négateur, & tout ce qui peut étre nié, Ainsi Ane de Zarathoustra dit oui ; mais pour lui, allirmer, c'est porter, assumer, se charger. Il’ porte tout : les fardeaux dont. on le charge (les valeurs divines), ceux dont il se charge lui-méme (les valeurs humaines), et le poids de ses museles fatigués quand il n'a plus rien & porter (U'absence de valeurs), Il y a un goat terrible de la responsabilité chez cet fine ou ee beouf dialecticion, et un arriére-goit moral, comme si Von ne pouvait allirmer qu’a force d’expier, comme s'il fallait 1 Nimes ne cae do Annee assnaon de vale Jn seu te oid at out tn pour einen. ot pos autre echt sellcment dos produite dike” ‘Alnst Nietsehe triers de a posi » qui amassent ugementa do valour eta, aneme el i ve charge seulement gant et Hegel comme de Sinn an és st coneervent une masse enorme STaRtC pour cx de trimpher du pau; ence sens sont encore alaes a ( inegatif(§ 210) % DIFFER BE REPETITION passer par les malheurs do Ia scission et du deéchire snl p arriver ii dite oui. Comme si la Difference était le mal, et déja le négatif, qui ne pouvait produire Vailirmalion qu'en expiant e'est-i-dire en se chargeant a la fois du poids du nié et de la nigation méme. Toujours la vieille malédietion qui retentit du haut du principe d'identité : seule sera sauvée, non pas ce qui est simplement reprisenté, mais la représentation infinie (le concept) qui, conserve tout le négatif pour rendre enfin la dif- férence & Videnlique. De Lous les sens de Aufieben, il n'y en a pas de plus important. que colui de soulever. Ily a bien un cerele de la dialoctique, mais ee cercle infini n'a partout qu'un seul centre qui relient en Tui tous les autres cercles, tous les autres centres momentanés, Les reprises ou les repetitions de la dialec- tique expriment seulement Ia conservation du tout, toutes es figures et tous les moments, dans une Mémoire gigantesque. La représentation infinie est mémoire qui conserve. La répétition n'y est plus qu'un conservatoire, une puissance de la mémoire elie-méme, Tl y a bien une sélection circulaire dialectique, mais toujours a 'avantage de ce qui se conserve dans la représentation inie, cest-i-dire de ce qui porte el de ee qui est ports. La sélection fonetionne a rebours, et élimine impitoyablement ce qui rendrait le cercle tortueux, ou qui briserait Ja transparence du souvenir. ‘elles les ombres de la caverne, le portour et le porté entrent sans cesse ct sortent pour renirer, dans la repré- sentation infinie — et voila. qu'ls prétendent avoir pris sur eux la puissance proprement dialectique. Mais d’aprés autre conception, Vallirmation est. premitre : elle affirme la différence, la distance. La difference est Ia légire, Vaérienne, Vaffrmative. Affirmer n'est pas porter, mais tout le contraire : décharger, alléger. Ce n’est plus le négatit qui produit, un fantdme d’ailirmation, comme un ersatz. Crest le Non qui résulte de Tallirmation : il est a son tour 'embre, mais plutot ‘au sens de conséquence, on dirait de nachfolge. Le négatify cest Vépiphénoméne. La négation, telle dans une mare, est Veet une allirmation trop forte, trop differente. BL peut“ttre faut deux allirmations pour produire 'ombre de la négation comme nackfolge ; et peut-etre y acti deux moments, qui sont la Dif- ence comme minuit et midi, of Yombre ‘méme disparatt Gest en ce sens que Nietzsche oppose le Oui et le Non de l'Ane, 1 le Oui ef le Non de Dionysos-Zarathoustra — le point de vue de Tesclave qui tire du non le fantéme d'une allirmation, et le point de vue du « mattre » qui tire du Oui une consequence de nézation, de destruction — le point de vue des conservateurs LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME ” des valeurs anciennes, el celui des erateurs de nouvelles valeurs’. Goux que Nietzsche appelle les maitres sont & coup sir des hommes de puissanee, mais non pas les hommes du pouvoir, puisque le pouvoir se juge & V'attribution des valeurs en cours j ne sullit pas & l'esclave de prendre le pouvoir pour cesser d’étre esclave, c'est mémo la loi duu cours ou de la surface du monde d'étre mené par les esclaves. La distinction des valeurs élablies et de la eréation ne doit pas davantage se comprendre au sens d'un relativisme historique, comme si les valeurs établies avaient 6Lé nouvelles & leur époque, et les nouvelles devaient s'établir fleur heure. Au contraire, ily a une différence de nature, comme centre Vordre conservateur de la reprisentation, et un désordre créateur, un chaos génial, qui ne peut. jamais que coincider avec un moment de l'histoire sans se confondre avec lui. La différence de nature la plus profonde est entre les formes moyennes et les formes extrémes (valeurs nouvelles) : on n’atteint pas a Pextré en portant & V'infini les formes moyennes, en se servant de leur ‘opposition dans le fini pour alfirmer leur identité dans l'inlini. Dans la représentation infinie, Ia pseudo-aflirmation ne nous it pas sortir des formes moyennes. Aussi bien Nietzsche reproche-L.il 4 tous les procédés de sélection fondés sur Poppo- silion ou le combat, de tourner & avantage de la moyenne et de jouer au bénéfice du « grand nombre ». I appartient & I'éternel retour d'opérer la vraie sélection, parce qu'il élimine au contraire les formes moyennes et dégage « la forme supérieure de tout ce qui est », Lrextréme n’est pas identité des contraires, mais bien plutet Munivocité du différent ; Ia forme supéricure n'est. pas la forme infinie, mais bien plutdt I'éternel informel de Méternel relour lui-méme a travers les métamorphoses et les transfor mations. L’éternel retour « fait » la différence, parce qu'il erée la forme supérieure. L’éternel retour se sert de la négation comme nachjolge,et-invente une nouvelle formule dela négation de la néga- tion + est’ nié, doit étre nié foul ce qui peut éire nié. Le ginie de Veternel retour n'est pas dans la mémoire, mais dans le gaspillage, dons 'oubli devenu actif. Tout ce quiest négatif et tout ce qui nie, toutes ces allirmations moyennes qui portent le mégatif, tous ces pales Oui mal venus qui sortent du non, foul ce gui ne supporte pas lépreuve de Vsternel retour, tout cela doit étre nié. Si 'éternel retour est une roue, encore faut-il doter celle-ci d'un mouvement 1, Pardo le bien of fe mat, § 2H, Sur le «non » du maltre, qui est cunse uence, par opposition ou « noit= de Fesclave, qui est prinelpe, et Genealogie La nara Tn 8 8 DIFRERENCE BT REPETITION centrifuge violent, qui expulse tout ce qui « peut » étre nié, ce qui ne supporte’ pas l'épreuve. Nietzsche n’annonce qu'une punition légére & ceux qui ne « croiront » pas & l'éternel retour : tiront, et n’auront qu'une vie fugitive! Ils se sentiront, ils se sauront pour ce qu'ils sont — des épiphinoménes ; tel sera leur Savoir absolu, Ainsi la négation comme conséquence résulte de la pleine affirmation, consume tout ce qui est nialif, et se consume elle-méme au eentre mobile de l’éternel retour. Car si Véternel retour est un cercle, e'est la Différenee qui est au contre, et le Mame seulement, au pourtour — cercle ii chaque instant décentré, constamment tortueux, qui ne tourne qu'sutour de Vinégal. ‘La négation, c'est In différence, mais la différence vue du petit coté, vue d’en bas. Redressée au contraire, de haut en bas, la différence, c'est V'aflirmation. Mais cette proposition a beau- coup de sens; que la différence est, objet. dallirmation ; que Pallirmation méme est multiple ; qu'elle est eréation, mais aussi quielle doit étre créée, comme ‘affirmant la différence, comme tant dilférence en elle-méme, Ce n'est pas le négatif qui est le moteur. Bien plutat il y a des éléments différentiels posilifs, qui déterminent a la fois In genése de Vaflirmation et de la difference alfirmée. Qu’il y ait une genése de Vailirmation comme telle, est ce qui nous échappe chaque fois que nous laissons Vafliema- tion dans Vindéterminé, ou que nous mettons la détermination dans le négatif. La négation résulte de Vatfirmation : eela veut dire que la négation surgit & la suite de Vaffirmation, ou a cdté elle, mais seulement comme Vombre do Vélément génétique plus profond — de cette puissance ou de cette « volonté » qui engendre affirmation et la différence dans Paffiemation. Geux qui portent. le négatif ne savent pas ce qu’ils font: ils prennent 'ombre pour Ja réalité, ils nourrissent les fantémes, ils eoupent la conséquence des prémisses, ils donnent & l'épiphénoméne la valeur du phéno- mine et de essence, "La représentation laisse échapper Je monde allirmé de la différence. La représentation n'a qu'un seul centre, une perspec~ tive unique et fuyante, par li méme une fausse profondeur ; elle médiatise tout, mais ne mobilise et: no meut rien, Le mouvement pour son compte implique une pluralité de centres, une superpos tion de perspectives, un enchevétrement de points de vue, une coexistence de moments qui déforment,essentiellement la repré= sentation : déji un tableau ou une sculpture sont de tels « défor- mateurs » qui nous foreent faire le mouvement, c'est-a-dire & combiner une vue rasante et une vue plongeante, ou a monter et, LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME 9 descendre dans espace & mesure qu’on avance. Suflitil de multiplier les représentations pour obtenir un tel « effet »? La roprésentation infinie comprend précisément une infinité de représentations, soit qu’elle assure 1a convergenee de tous les, points de vue sur un méme objet ou un méme monde, soit qu'elle fasse de tous les moments les propriétés d’un méme Moi, Mais elle garde ainsi un centre unique qui recueille et représente tous les autres, comme une unité de série qui ordonne, qui organise une pour toutes les termes et leurs rapports. C'est que la repré= sentation infinie n’est pas séparable d'une loi quila rend possible : la forme du concept comme forme d'identité, qui constitue tantot Ven-soi du représenté (A est A), tanttle pour-soi du représentant (Moi = Moi). Le préfixe RE- dans le mot représentation signifie cette forme conceptuelle de Videntique qui se subordonne les différences, Co n'est done pas en multipliant les représentations cl les points de vue, qu’on atteint & V'immédiat défini comme « sub-représentatif », Au contraire, c’est déja chaque représenta- tion composante qui doit étre déformée, dévide, arrachée & son centre, Il faut que chaque point de vue soit lui-méme la chose, ou que la chose appartienne au point de vue. Il faut done que la chose ne soit rien d'identique, mais soit écartelée dans une différence o& s'évanouit l'identité de Vobjet vu comme du sujet voyant, Tl faut que la différence devienne I’élément, Iultime unité, qu'elle renvoie done a d'autres différences qui jamais ne V'identifient, mais la différencient. Il faut que chaque terme d'une série, étant déja différence, soit mis dans un rapport variable avee d'autres termes, ct constitue par la d'autres séries dénutes de centre et de conver- gence. Il faut, dans la série méme, affirmer la divergence et le décontrement. Chaque chose, chaque étre doit voir sa propre identité engloutie dans la différence, chacun n’étant plus qu'une différence entre dos diférences. I! faut montrer la difference allant différant. On sait.que l'ceuvre dart moderne tend a réaliser ces conditions : elle devient en ce sens un véritable théatre, fait dde métamorphoses et. de permutations. Thédtre sans rien de fixe, ou labyrinthe sans fl (Ariane s'est. pendue). L’uvre d'art quitte Te domaine de la représentation pour devenir « expérience », empirisme transcendantal ou science du sensible, {est strange qu'on ait pu fonder l'esthétique (comme science du sensible) sur ce qui peut étre représenté dans le sensible. Ne ‘vaut pas mieux, il est vrai, la démarche inverse qui soustrait de la représentation le pur sensible, et tente de le déterminer comme ‘ce qui reste une fois la représentation Otée (par exemple un flux contradictoire, une thapsodie de sensations). En vérité l'empi- 0 DIFFERENCE ET REPETITION risme devient transcendantal, et Vesthétique, une discipline apo- dictique, quand nous appréhendons directement. dans le sensible ce qui ne peut étre que senti, ’étre méme du sensible : la dif rence, la différence de potentiel, la différence d'intensité comme raison du divers qualitatif. C'est dans la difference que le phéno- méne fulgure, s'explique comme signe, et que le mouvement s¢ produit comme « effet». Le monde intense des differences, oit les qualités trouvent leur raison et le sensible, son étre, est. préci ment l'objet. d'un empirisme supérieur. ‘Cet empirisme nous apprend une étrange « raison », le multiple et le chaos de la diffé- rence (les distributions nomades, les anarchiss couronnées). Ce sont toujours les différences qui se ressembleat, qui sont analo- gues, opposées ou identiques : la dilférence est. derriére toute chose, mais derriére la dilférence il n'y a rien, I appartient a chaque dillérence de passer a travers toutes les autres, et de se «vouloir »ou de se retrouver elle-méme & travers Loutes les autres, Crest. pourquoi I'éternel retour ne surgit. pas en second, ou ne vient pas aprés, mais est déj présent dans toate métamorphose, contemporain de ce qurl feit revenir. L’éterne! retour se rapporte aun monde de dilférences impliquées les unes dans les autres, & tun monde compliqué, sans édentilé, proprement chaotique. Joyce présentait le vicus of recirculation comme faisant tourner un chaosmos ; et Nietzsche déja disait que le chaos et ’éternel retour n’étaient pas deux choses distinetes, mais une seule et: méme affir- ‘mation. Le monde n'est ni fini ni infini, comme dans la représen- tation : il est achevé et illimité. L’éternel retour est Villimité de Pachevé lui-méme, V'étre univoque qui se dit de la différence. Dans I’éternel retour, Ia chao-errance s'oppose fi la cohérenee de la représentation ; elle exclut Ia cohérence d'un sujet. qui représente comme d'un objet représenté. La répétition s'oppose ala représentation, le préfixe a changé de sens, car dans wn cas la difference se dit Seulement par rapport & I'identique, mais dans autre cas c'est l'univoque qui se dit par rapport au différent. La répétition, c'est l'étre informel de toutes les différences, la puis- sance informelle du fond qui porte chaque chose & cette © forme » extréme oit sa représentation se défait. Le dispars est I'ultime jément de la répétition, qui s’oppose a V'identité de la représen- tation. Aussi le eercle de I’éternel retour, celui de la différence et de Ia répétition (qui défait celui de V'identique et. du contradic- toire), est-il un cercle tortueux, qui ne dit le Méme que de ce qui ere. Le potte Blood exprime Ia profession de foi de l'empi- sme transcendantal comme véritable esthétique : « La nature eat conlingente, excessive et mystique essentiellement.... Les LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME a choses sont étranges... L’univers est sauvage... Le méme ne revient que pour apporter du différent, Le cercle lent du tour du graveur ne gagne que de l'épaisseur d’un cheveu. Mais la diflé- rence se distribue sur la courbe tout entiére, jamais exactement adéquate ». I arrive qu’on assigne un changement, philosophique consi- dérable entre deux moments représentés par le prékantisme et le postkantisme. Le premier se définirait par le négatif de limi tation, l'autre, par le négatif d’opposition. L’un, par V'identité analytique, l'autre, par l'identité synthétique. L’un, du point de vue de la substance infinie, autre, du point de vue du Moi ans Ia grande analyse leibnizienne, c'est deja le Moi fini dans le développement. de linfini, mais dans 1a hégélienne, c'est Finfini qui se réintroduit dans Fopération du Moi fini, On doutera pourtant de l'importance de pareils changements. Pour une philosophie de la différence, il importe peu que le négatif soit concu comme négatif de limi- tation ou d’opposition, et lidentité, comme analytique ou synthétique, du moment, que la différenee est de toute fagon ite au négatif et subordonnée 4 Videntique. L'unicité et Videntité de la substance divine sont en vérité le seul garant du Moi un et identique, et Dieu se conserve tant qu’on garde Je Moi. Moi fini synthétique ou substance divine analytique, cest In méme chose. C'est. pourquoi les permutations Homme- Dieu sont si décevantes et ne nous font pas bouger d’un pas. Nietasche semble bien étre le premicr & voir que la mort de Diew ne devient effective qu’avec la dissolution du Moi. Ge qui se révile alors, c'est letre, qui se dit de différences qui ne sont ni dans la substance ni dans un sujet : autont d’affirmations souterraines. Si léternel retour est la plus haute pensée, c'est- acdire la plus intense, c'est parce que son extréme cohérence, ‘au point le plus haut, exclut la cohérence d'un sujet pensant, d'un monde pensé comme d’un Dieu garant?. Plutst qu'a ee qui piu oes gh RET ae amma iat mei a mtn mat fe Mea Gta su rats gta at 8 DIFFERENCE ET REPETITION se passe avant et aprés Kant (et qui revient au méme), nous devons nous intéresser & un moment précis du kantisme, moment, furtif éclatant, qui ne so protonge méme pas chez Kant, qui se prolonge encore moins dans le postkantisme — sauf peut-étre chez Hélderlin, dans l'expérience et V'idée d'un « détournement, catégorique ». Gar lorsque Kant met en cause la théologie ration- nelle, il introduit dw méme coup une sorte de déséquilibre, de fissure ou de félure, une aliénation de droit, insurmontable en droit, dans le Moi pur du Je pense : le sujet ne peut plus se reprécenter sa propre spontanéité que comme celle d'un Autre, ct par la invoque en derniére instance une mystérieuse cohérence qui exclut la sienne propre, celle du monde et celle de“Diew. Cogito pour un moi dissous : le Moi du « Je pense » comporte dans son essence une réceptivité d'intuition par rapport & laquelle, déja, JE est. un autre. Peu importe que Videntité synthétique, puis la moralité de Ia raison pratique restaurent Vintégrité du moi, du monde et de Dieu, et préparent les synthéses post- ‘kantiennes ; un court instant nous sommes entrés dans cette schizophrénie de droit qui caracterise la plus haute puissance de la pensée, et qui ouvre directement I’Btre sur la différence, au mépris de toutes les médiations, de toutes les réconciliations du concept. La Utche de la philosophie moderne a été définie : renverse- ment du platonisme. Que ce renversement conserve beaucoup de caractites platoniciens n'est pas seulement inévitable, mais souhaitable. Tl est vrai que le platonisme représente d6ji la subordination de la différenee aux puissances de I'Un, de l'Ana- fortuit maintenu arbitrarement commo ndcessairy, quitte & a tne pour cate oun universe Gof fortune qulte 8 embrae I totalite des eas, lo Tortat mime dans ga totale nécesaire, Ce qui subsist, Test done ita Le vere dre lequel ne wappiqu amaiyaeeeréne, ais {fu fortult» (Nitesoho, le polytheism ot ia parodl, dans Un sl funeste ‘desir, N-R-F., 1963, pp. 220-221). — « Est-ce a dire que le'sujet pensant perdralt ‘deniitd & partie d'une pensée conerente qui exelurait d'eleméme 7 tina pn dang ce mnuvement czar Ps rannerc augue tein rapport a cotio pensee W paviaement conerente qu'elle exelut aT ist Inte qu Jets pense *.- Comment ports-Lelleal (ents aLactuelté du mol, ‘ee mol que pourtant ello exalte ? Ea libérant les fluctuations qui iflaient ‘entant quelmot de tlle sorte que ce n'est jamal que le revolu qui reteatit dans ‘on présent., Le Cireulus tition dene nest qu’ure denomination de ce sine {Ul pendeianephyionomie vine ester te onyow (Qu et anariae ing experience veewe de Véternel retour du Meme, dans Niezache, Cahiers ‘de Royaumoni, Editions de Minuit, 1966, pp. 233-236). A DIFFERENCE EN ELLE-MEME a8 logue, du Semblable et méme du Négatif. C'est comme l'animal en train d'tre dompté, dont les mouvements, dans une derniére crise, témoignent mieux qu’ l'état de liberté d'une nature bientt perdue : le monde héraclitéen gronde dans le platonisme, ‘Avee Platon T'ssue est encore douteuse ; la médiation n'a pas trouvé son mouvement tout fait. L'Idée n'est. pas encore un concept d'objet qui soumet le monde aux exigences de la repré- sentation, mais bien plutt une présence brute qui ne peut &tre évoquée dans le monde qu’en fonction de ce qui n'est pas « repré- sentable » dans les choses. Aussi I'Tdée n'a-t-elle pas encore choisi de rapporter Ia différence a V'identité d’un concept en général ; elle n'a pas renoncé & trouver un concept pur, un concept propre de la différence en tant que telle. Le labyrinthe ou le eliaos sont débrouillés, mais sans fil, sans Paide d'un fil. Ce qu’il y a d’irrem- plagable dans le platonisme, Aristote I’a bien vu, quoiqu’il en {it précisément une critique contre Platon : la dialectique de la difference a une méthode qui lui est. propre — la division — ‘ais celle-ci opére sans médiation, sans moyen terme ou raison, agit dans V'immédiat, et se réclame des inspirations de I'Tdée plutat que des exigences d'un concept en général. Et c'est vrai ‘que la division, par rapport l'dentité supposée d'un concept est un procédé capricieux, incohérent, qui saute d'une singu- larité & une autre, Mais n'est-ce pas sa force du point de vue de VIdée ? Et loin d’étre un procédé dialectique parmi d'autres, qui devrait tre complété ou relayé par d'autres, n'est-ce pas la division, au moment ot elle paratt, qui remplace les autres procédés, qui ramasse toute la puissance dialectique au profit d'une’ veritable philosophie de la différence, et qui mesure & la fois le platonisme et la possibilité de renverser le platonisme ? Notre tort. est. d'essayer de comprendre la division. platoni. cionne & partir des exigences d’Aristote. Suivant Aristote, il s'agit de diviser un genre en espéces opposées ; or, ce procédé ne manque pas seulement de « raison » par lui-méme, manque aussi une raison pour Iaquelle on décide que quelque chose est du cété de telle espice plutat que de telle autre. Par exemple on divise l'art en arts de production et d’acquisition ; mais pour- quoi la péche & la ligne cat elle du odté do Pacquieition ? co qui manque, ici, c'est la médiation, c'est-A-dire Tidentité d'un concept ‘capable de servir de moyen terme. Mais il est évident que objection tombe si la division platonicienne ne se propose nullement de déterminer les espices d'un genre. Ou plutdt elle se le propose, mais superficiellement et méme ironiquement, a DIFFERENCE ET REPETITION pour mieux cacher sous ce masque son virilable seeret!, La division n'est pas Vinverse d'une « généralisation », ee n'est pas une spéeitication, Il ne s'agit pas du tont d'une méthode de spécification, mais de sélection. Il ne s'agit pas de diviser un genre déterminé en espices définies, mais de diviser une espéce confuse en lignées pures, ou de sélectionner une lignée pure & partir d’un matériel qui ne Vest pas. On pourrait parler de « platonons » qui s’opposent aux « aristotélons », comme les biologistes opposent les « jordanons » aux « linncons «. Car Pespice d'Aristote, méme indivisible, meme infime, est encore une grosse espéce. La division plotonicienne opire dans un tout autre domaine, qui est celui des petites espéces ou des lignées. Aussi son point de départ est-il indifféremment un genre ou une espice ; mais ce genre, ectte grosse espéee, est. post comme une matitre logique indifférenciéo, un matériau indiffirent, un mixte, tune multiplicité indéfinie représentant. ce qui doit éire éliming pour mettre jour I'ldée comme lignée pare. La recherche de Vor, voila le modéle de la division. La dilfirence n'est pas spé- cifique, entre deux déterminations du genre, mais Lout entire d'un e6Lé, dans la lignée qu’on sélectionne : ron plus les contraires d'un méme genre, mais le pur et limpur, le bon el. le mauvais, Vauthentique et Tinauthentique dans un mixte qui forme une grosse espeee. La pure différence, le pur concept de dillrence, cl non la différence médiatisée dans le coneepl en général, dans le genre el les espéces. Le sens et le but de la méthode de division, c'est la sélection des rivaux, lépreuve des prétendants — non pas V'avrigacie, mais l"aupiaéirqats (on le voit bien dans les deux exemples principaux de Platon ; dans Le Politique, oit le poli- tique est défini comme celui qui sail « pattre les hommes », mais beaucoup de gens surviennent, commereants, laboureurs, bou- langers, gymnastes, médecins qui disent : le vrai pastour des hommes, c'est moi! et dans Le Phédre, oii il s'agit de definir le bon délire ct le véritable amant, et ot beaucoup de prétendants sont la pour dire : l'amant, l'amour, c'est moi). Pas question espéce en tout cela, sauf par ironie. Rien de commun avec les soucis d’Aristote : il ne s'agil pas didentifer, mais d'authenti- iste at caine ue a, LA DIFFERENCE EN ELLE-MEME 8 fier. Le seul probléme qui traverse Loute la philosophie de Platon, qui préside & sa classification des sciences ou des arts, c'est toujours de mesurer les rivaux, de sélectionner les prétendants, de distinguer la chose ef ses simulacres au sein d'un pseudo-genre fou d'une grosse espéce. Il s'agit de faire In différence : done opérer dans les profondeurs de Vimmédiat, In dialectique de Vimmédiat, W'épreuve dangereuse, sans fil'et sans filet. Car d'aprés la coutume antique, celle du mythe et de Pépopée, les faux prétendants doivent mourir. Notre question n'est pas encore de savoir si la difference sélective est bien entre les vrais et les faux prétendants, & la manitre dont Platon le dit, mais plutdt de savoir comment, Platon fait cette diflérence, grace & la méthode de division, Le lecteur, ici, a une vive surprise ; car Platon fait intervenit un ‘«mytho », On dirait done que la division, dés qu’elle abandonne son masque de spécification et découvre son véritable but, renonce pourtant a réaliser cclui-ci, se faisant relayer par le simple « jeu » d'un mythe. En effet, dés qu’on en arrive a la question ‘des prétendants, Le Politique invoque Vimage d'un Dieu qui commande au monde et aux hommes dans la période archaique : seul ce dieu mérite & proprement parler le nom de Roi-pasteur des hommes. Mais précisément, par rapport & lui, tous les prétendants ne se valent pas : il y a un certain « soin » de Ja communauté humaine qui renvoie par excellence 4 'homme politique, parce qu'il est le plus proche du modéle du Diew- pasteur archaique. Les prétendants se trouvent en quelque sorte ‘mesurés daprés un ordre de participation élective ; et parmi les rivaux du politique, on pourra distinguer (d’aprés cette mesure fontologique fournie par le mythe) des parents, des servants, ‘des auxiliaires, enfin des charlatans, des contrefacons'. Méme démarche dans le Phédre : quand il s'agit de distinguer les délires », Platon invoque brusquement, un mythe. Il déerit 1a circulation des Ames avant V'incarnation, le souvenir qu'elles emportent. des Idées qu'elles ont pu contempler. Gest cette contemplation mythique, c'est la nature ou le degré de cette contemplation, c'est le genre d’occasions nécessaires au ressou- ‘venir, qui déterminent la valeur et l'ordre des différents types de Uélire aetuels + nous ponvons déterminer qui est. le faux amant, ‘un autre gente, Le paradig orn everest, les at Porconipore “aieetons autres taeda meme foie», Polt gue, 008%) ai 36 DIFFERENCE ET REPETITION et l'amant véritable ; nous pourrions méme déterminer qui, de Vamant, du potte, du prétre, du devin, du philosophe, participe ‘lectivement de la réminiscence et de la contemplation — qui est le vrai prétendant, le vrai participant, et dans quel ordre les res. (On objectera que le troisiéme grand texte concernant la division, celui du Sophiste, ne présente aucun mythe ; c'est. que, par une utilisation paradoxale de la méthode, par une contre utilisation, Platon se propose d'isoler ici le faux prétendant par excellence, celui qui prétend 4 tout sans aucun droit : le « sophiste Mais cette introduction du mythe semble confirmer toutes les objections d'Aristote : 1a division, manquant de médiation, naurait aucune force probante, et devrait se faire relayer par un mythe qui lui fournirait un équivalent. de médiation sous une forme imaginaire. La encore, pourtant, nous trahissons le sens de cette méthode si mystéricuse. Car, s'il est vrai que le mythe et la dialectique sont deux forces distinctes dans Ie platonisme en général, cette distinction cesse de valoir au moment of la dialectique découvre dans la division sa véritable méthode. Crest Ja division qui surmonte Ia dualité, et intégre le mythe dans la dialectique, fait du mythe un élément de Ia dialectique clle- mime, La structure du mythe apparatt clairement chez Platon : crest le cerele, avee ses deux fonctions dynamiques, tourner et revenir, distribuer ou répartir — la répartition des lots appartient la roue qui tourne comme la métempsycose a Péternel retour. Les raisons pour lesquelles Platon n'est certes pas un protagoniste de V'éternel retour ne nous occupent pas ici. IL n'en reste pas ‘moins que le mythe, dans le Phédre comme dans Le Politique ou ailleurs, établit le modéle d’une circulation partielle, dans lequel apparait un fondement propre a faire Ia difference, c'est-icdire & ‘mesurer les réles ou les prétentions, Ce fondement se trouve détermins dans le Phédre sous In forme des ldées, telles qu’elles sont contemplées par les ames qui circulent au-dessus de la voute céleste ; dans Le Politique, sous la forme da Dieu-pasteur qui préside'lui-méme au mouvement. circulaire de Vunivers. Centre ou moteur du cercle, le fondement est institué dans le mythe comme le principe d'une épreuve ou d’une sélection, qui donne tout son sens 4 la méthode dela degrés d'une participation dlective, Conformément. & la plus vieille tradition, le mythe circulaire est. done bien le récil-répétition d'une fonda La division l'exige comme le fondement capable de faire é inversement, il exige la division comme l'état de la différence dans ce qui doit étre fondé, La division est la véritable LA DIFFERENCE EN ELLE-MBME 89 je, du mythe comme unité de Ia dialectique et de la imythol ondation, et du logos comme M705 zojebs ‘Ge rls du fondement apparailen tue earté dans la concep: tion platonicienne de la participation. (Bt sans doute est-ce lui qui fournit & la division Ia médiation dont elle semblait manquer, el qui, du méme coup, rapporte la difference & 1'Un ; mais d'une maniére si particuliéte...) Participer veut dire avoir part, avoir pris, avoir en second. Ge qui posstde en premier, c'est le fon- dement lui-méme. Seule la Justice est juste, dit Platon ; quant 4 ceux qu’on appelle les justes, ils possédent en second, ou en troisiéme, ou en quatriénie... ou en simulacre, la qualité d’étre juste, Que seule Ia justice soit juste n'est. pas une simple pro- position analytique. C'est In désignation de I'ldée comme fon- Aement qui posséde en premier. Kt le propre du fonderment, c'est dde donner & participer, donner en second. Ainsi ce qui participe tt qui participe plus ou moins, & des degrés divers, est nécessa foment un prétondant, Crest le prétendant qui en appelle & un fondement, c'est la prétention qui doit étre fondée (ou dénoneée comme sans fondement). La prélention n'est pas un phénoméne parm d'autres, mais la nature de tout phénoméne. Le fondement fst une épreuve qui donne, aux prétendants, plus ou moins & participer de l'objet. de la prétention ; c'est en ce sens que le Fondement mesure et fait la différence. On doit done distinguer : la Justice, comme fondement ; la qualité de juste, comme objet de la prétention possédé par co qui fonde ; les justes, comme pré- tendants qui participent inégalement & T'objet. Gest, pourquoi les néo-platoniciens nous livrent une compréhension si profonde du platonisme lorsqu'ls exposent, leur triade sacrée : l'Impar- ticipable, le Parlicipé, les Participants. Le principe qui fonde est comme Fimparticipable, mais qui donne quelque chose & par- ticiper, et qui le donne au participant, possesseur en second, crest-adire au prétendant qui a su traverser P'épreuve du fon- Gement, On dirait: le pére, la fille et le prétendant. Bt parce que Ia triade se reproduit le long d'une série de participations, parce que les prétendants participent dans un ordre et & des degrés qui Feprésentent la difference en acte, les néo-platoniciens ont bien Yu Vessentiel : que la division avait pour but, non pas Ia dis- Tinction des eepéces en largeur, mais Vétablisscment, d'une dialectique sérielle, de séries ow de Tignées en profondeur, qui marquent les opérations d'un fondement sélectit comme d'une participation élective (Zeus T, Zeus Il, etc.. Il apparatt ds lors fue Ia contradiction, loin de signifier I'épreuve du fondement Tukméme, représente au contraire l'état d’une prétention non a8 DIFFERENCE ET REPETITION fondée, & la timite de la participation, Si le juste prétendant (le premier fondé, le bien-fondé, Vauthentique) a des rivaux qui sont comme ses’ parents, comme ses auxiliaires, comme. ses servants, participant A titre divers de sa prétention, ila aussi ses simulaeres, ses contrefacons dénoneds par lépreuve : tel est selon Platon le « sophiste », bouffon, centaure ou tatyre, qui prétend & tout, et, prétendant & tout, n'est jamais fondé, mais contredit tout et Se contredit Iui-méme... Mais en quoi consiste exactement, ’épreuve du fondement ? Le mythe nous le dit : toujours une Lache & remplir, une énigme & résoudre. On questionne oracle, mais Is réponse de Voracle est clle-méme un probleme. La dialeelique est V'ironie, mais Vironie est l'art des problémes et des questions. L'ironie consiste a traiter les choses et les étres comme autant de réponses 4 des questions cachées, comme autant de cas pour des problémes & résoudre. On se rappelle que Platon définit la dialectique comme procédant par « problémes », 4 travers lesquels on s'éleve jusqu'an par principe qui fonde, e'est-i-dire qui les mesure en tant -que lels et distribue les solutions correspondantes ; et le Ménon nexpose 1a réminiscence qu'en rapport. avec un probleme géo- métrique, qu'il faut comprendre avant de résoudre, et. qui doi avoir la solution qu'il mérite d’apris la fagon dont le réminiscent Va compris. Nous n’avons pas & nous soucier maintenant de 1a distinction qu'il convient d’établir entre les deux instances duu probléme et de la question, mais & considérer plutot comment eur complexe joue dans la dialectique platonicienne un role cessentie] — rdle comparable en importance a celui que le néga aura plus tard, par exemple dans la didectique hégélienne, Mais précisément ce n'est pas le négatif qui joue ce role chez Platon. Au point qu'il faut se demander si ls thése eélébre du Sophiste, malgré certaines équivoques, ne doit pas étre comprise ainsi; le « non », dans lexpression « non-élre », exprime quelque chose d'autre que le négatif. Sur ce point, le tort des théories traditionnelles est. de nous imposer une alternative douteuse : quand nous cherchons a conjurer le négatif, nous nous déclarons satisfaits si nous montrons que l’étre est. pleine réalité positive, et n'admet aucun non-étre ; inversement, quand nous cherchons 4 fonder la uégation, nous sommes satisfaits st nous arrivons 44 poser dans I'étre, ou en rapport avec l'étre, un non-étre quel- conque [il nous semble que ce non-étre est néeessairement l'étre du négatif ou le fondement de la négation). L’alternative est done la suivante ; ou bien il n'y a pas de non-étre, et la négation est illusoire et non fondée ; ou bien il y a du non-étre, qui met le LA DIFFERENCE EN BLLE-MEME 89 négatit dans Vétre et fonde la négation, Peut-ttre pourtant avons-nous des raisons de dire d (a fois qu'il y a du non-étre, et que le négatit est illusoire. | Le problime ou la question no sont pas des déterminations subjectives, privatives, marquant un moment d’insulfisance dans la connaissance. La structure problématique fait partie des objets, el permet de les saisir comme signes, tout, comme instance questionnante ou problématisante fait’ partie de la connaissance, et permet d’en saisir Ia positivité, la spécificité dans Vacte d'apprendre, Plus profondément encore, c'est I'Btre (Platon disait I'ldée) qui « correspond » a Vessence du. probléme ou de la question comme telle. Il-y a comme une « ouverture » lune « béance », un « pli» ontologique qui rapporte W'étre et Ia question l'un & l'autre. Dans ee rapport Vétre est la Difference elle-mméme. L'étre est aussi bien non-étre, mais le non-élre n'est (pas Uélre du négalif, c'est 'étre du problematique, I'étre du pro- bleme et de la question. La Difference n'est. pas le négatif, Crest au contraire le non-étre qui est la Dilférence : &repov, non pas Evavelov. C’est pourquoi le non-étre devrait. plutot s'éerire {nonj-étre, ow mieux encore ?-étre. Il arrive en ce sens que Vinfinitif, Yesse, désigne moins une proposition que l'interrogation a laquelle la proposition est censée répondre. Ce (non)-itre est TElément différentiel ou Vatfirmation, comme affirmation mul- tiple, trouve le principe de sa genése. Quant & la négation, elle nest que Pombre do ce plus haut principe, Vombre de la diffé- rence & cbté de laffirmation produite. Lorsque nous confondons Ie (non)-dtre avec le négatif, il est inévitable que la contradiction soit portée dans l'stre ; mais la contradiction, c'est encore I'appa- renee ou l'épiphénoméne, Vllusion projetée par le probleme, Pombre d'une question qui demeure ouverte et de tre qui correspond comme tel avec cette question (avant de tui donner tune réponse), Nrest-ce pas déjien ce sens que Ia contradiction caractérise soulement chez Platon Wétat. des dialogues dits apo- rétiques ? Au-dela de la contradiction, la différence — au-dela du norétre, le (non)-dtre, auedeli dul négatif, le probléme et Ja question. 1, Nore son uunorme ne ca nertnence oe Heixcpn

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