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DOSSIER Les coopératives de travail en Europe: un essai de synthése par Jean-Louis Laville" Résumé Dans divers pays européens, le mouvement des coopératives de travail a connu un renouveau au cours des années 70 et 80, embellie passagere pour certains, réactualisation importante pour autres. Cette contribution s'attache & analyser ce renouveau illustrant la tendance actuelle & Uhétérogéntisation de Véconomie sociale, Aprés avoir identifié les principaux facteurs explicatifs (importance du chémage, réle conféré a U’Etat providence, existence d’un environnement favorable) des deux vagues de créations coopé- ratives observées au cours des vingt derniares années (collectifs volontaires é collectifs contraints), Vauteur synthétise les principaux changements institutionnels engendrés. Les collectifs volon- {aires apparaissent ainsi éroitement lés & une crise des valeurs, tandis que les collectifs cantraints sont davantage la conséquence d’une crise économique. Cet article s’attache ensuite a tirer partie de ces changements pour proposer un renouvellement des problématiques de recherche propres aux coopératives de travail, avant de conclure quant & Pévolution de la place de ces coopératives au sein du systeme productif : entre banalisation, liée au développement d'autres formes d'actionnariat des salariés, et spécificité, s’appuyant sur la consolidation @apports originaux en matiare de démocratisation des rapports sociaux.. Sommaire de la communication présentée au X* colloque de I’Addes (Seules les 3* et 4 parties sont présentées ici.) L Les collectifs volontaires Des facteurs explicatifs variés ir Vutopie. ae Différentes sortes de reprises ‘entreprise innovante Les dynamiques interes 7 changements institutionnels IL. Les collectifs contraints : IV. Pour un renouvellement ‘Un mouvement hétérogéne danplourventie des problématiques de recherche Les dynamiques interes Mode de formation et pérennisation ‘ILL La nature des changements Participation et démocratie coopérative institutionnels engendrés Une hétérogénéisation croissante De Palternative & innovation de l'économie sociale (Les intertitres sont de la rédaction.) (*) Jean-Louis Laville est chercheur au CNRS (Crida ~LSCD). 76 53-264 DOSSIER u cours des années 70 et 80, deux vagues de créations co- opératives se sont succédé. La premiére fut l’ceuvre de col- lectifs volontaires correspondant a des groupes fusionnels, c'est-d-dire des groupes oit’ensemble des membres af- ‘firme son appartenance commune & par- tir de V'exercice duméme métier, La se- conde fut Ueuvre de collectifs contraints, ‘fruits plutét de la nécessité et corres- pondant a des groupes clivés, c’est-a- dire des groupes oit la pluralité des ap~ partenances socioprofessionnelles crée des différences entre les membres. Dans les groupes fusionnels, si l'implication dans la création n'est pas égalitaire, néanmoins la responsabilisation s"indi- vidualise au sein d’un collectif ot les droits et les devoirs sont identiques et Vobjectif partagé ; le groupe révele le leader et réciproquement. Dans les groupes clivés, la dynamique est tour autre : les promoteurs de projet convain- quent les autres de former une coopé- ative en s’appuyant sur leur crédibilité lige dla compétence et d la prééminence hiérarchique (Laville, Mahiou, 1984). I. La nature des changements institutionnels engendrés La résurgence des collectifs de travail dans Ja fin des années 60 et 70 s'est d’abord manifestée dans des groupés intellectuels en réaction contre les valeurs véhiculées par I’économie marchande et non mar- chande, Ces groupes a la fois militants et professionnels se sont consacrés ala conception de nouveaux services dans la perspective dune économie alternative. De I'alternative a l'innovation Leur développement dans les activités du tertiaire s’est doublé d'un passage progressif de |’alternative a l’innova- 77 tion, La naissance de ces projets a en effet 616 lige A la critique des modes d’or- ganisation hiérarchiques et A la vo- onté de se faire le porte-parole de nou- velles demandes sociales. A ce titre, il a été possible de les désigner comme “collectifs d’ intervention” (Corpet, 1982 ; Laville, 1984 ; Conpet, Hersent, Laville, 1986) puisqu’ils préconisaient des rapports de travail différents et se fixaient pour horizon le paftage du sa- voir, en favorisant des processus de ré- appropriation collective du savoir social pour une “production de la société par elle-méme (Touraine, 1973)”. Ces col- lectifis ont été I’ objet d’une adaptation fonctionnelle au terme de laquelle ils ont généré des formes de travail inte]- lectuel originales mais dissociées de leur idéologie originelle. A la volonté ini- tiale de lutte contre la division sociale & Yintérieur et & ’extérieur de l’entreprise, s'est progressivement substituée une stratégie de responsabilisation des sala- riés dans la gestion et dans le travail. Nées comme “projets imaginaires de sociétés alternatives (Desroche, 1976)” a travers une idéologie “association niste” qui retrouvait les aspirations ex- primées au sigcle dernier par Owen, Saint-Simon ou Fourier, les entreprises alternatives avaient comme visée, par eur propre fonctionnement, d’anticiper une économie alternative “réunissant idéalement ce que la société contempo- raine divise (Vienney, 1980-1982)”. Elles ont souvent choisi le statut co- opératif comme “adapré a la formation et d la gestion d’ entreprises par ceux qui travaillent dans le systéme socio- économique dont elles font partie”. En cela, les entrepreneurs collectifs & l’ori- gine de coopératives de travail ont pré- figuré dés les années 70 une réhabilita- tion de l’entreprise qui s’est affirmée dans la décennie suivante. Mais en DOSSIER méme temps, ils ont d renoncer & leur projet de changement sociétal par abandon de leur tentative économique ou par son rabattement sur un projet d'entreprise innovante. Le statut co- opératif, par ses régles, ne s"est révélé adapté qu’a certains acteurs dévelop- pant certaines activités. Aces collectifs de travail volontaires, ont succédé les collectifs contraints qui sont venus dans le début des années 80 occuper le devant de la scéne, & tel point qu’ils ont pu faire oublier les premiers. Ii ne s’agit pas 14 en priorité de “tra- vailler autrement”, mais de “sauver Pemploi”. Sile premier renouveau coopératif vient de démarches volontaires, le mouve- ment coopératif de travail a été pro- fondément affecté par une autre vague de coopératives, fruit non plus du choix mais de la nécessité : les reprises d’en- treprises. En Italie, en dépit du manque de précision des statistiques, environ 1 000 reprises peuvent étre mention- nées de 1975 @ 1985, pour la plupart dans le nord du pays, dans le textile et le vétement, l'imprimerie, la petite mé- canique, le bois et le transport, em- ployant en moyenne entre trente et cent salariés. En Espagne, les reprises ont été opérées non seulement sous la forme coopérative, mais aussi sous la forme de sociétés anonymes de travailleurs avec une participation au capital majo- ritaire des employés ; leur nombre, s’il nest pas connu exactement, est au mi- nimum de 1 300, représentant cinquante mille emplois. En France, entre 1978 et 1983, période d’expansion inégalée du mouvement, les reprises ont représenté entre 37 et 61 %, selon les années, de Vensemble des nouveaux emplois co- opératifs. Ce sont les pays Jes plus tou- chés par ce phénoméne. Au Royaume- Uni et en Allemagne, les reprises ont SEE EEE EEE CoC Ce Les coopératives de travail en Europe : entreprises et emplois en 1990 Coopératives | —Salariés France" 1260 32.000 Royaume-Uni** 1200 10000 Espagne” 6260 | 124000 Italie 20800 | 370000 Danemark® 260 7500 Belgique!® 270 5.600 Allemagne® 7 - (1) Souree CGscop. (2) Source : United Kingdom Cooperative Council, cité ar M, Texador in Reema n° 46, 1993. (3) Source : JL Monzon, J. Barea, Livre bane de I'Eco- nomio sociale en Espagne, Cirec Espagne. (4) Source : Cecop (chiffes de 1989, & considérer avec radence} (5) Source : J. Michelsen, Economie sociale au Dane- ‘mark Recina n° 43,1992 (hires de 1987). (6) Daprés H. Munkner, “pour diverses raisons, ls s0- cidtés coopératives ouvréres de production sot restées ‘un groupe marginal dans le syst2me coopértif allemand (ilen dénambre teize en 1990)" extrait de "Panorama ‘une Economie sociale qui ne se reconnatt pas comme tell: lecas de Allemagne, Reeman® 44-45, 1992-1983 une importance bien moindre : en 1986, leur nombre dans chacun de ces pays est respectivement de 90 et 13. Pourtant, la menace d’une fermeture ou du chémage ne conduit pas automati- quement & une reprise d’entreprise en coopérative. La possibilité en est sou- vent ignorée ou négligée et la situation est trés différente selon les pays, ce qui incite a chercher des explications complémentaires, Des facteurs explicatifs va ‘Une explication évidente est que, dans les pays qui ont un syst@me redistributif dé- veloppé, les retombées du chémage pour les individus sont beaucoup moins pé- nibles que dans les pays ott les disposi- tions prises en faveur des chémeurs sont plus limitées. Il serait surprenant que cela n’ait pas de conséquences sur la fréquence et 'intensité des tentatives de reprises.

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