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NS 268 LES FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS par Jean-Louis Laville ct Renaud Sainsaulieu Dans cet article, J.-L. Laville et R. Sainsaulien tentent de mettre en evidence Voriginalité de Vassociation comme orga- nisation productive, a partir des travaux sociologiques por- tant sur les organisations. Ils Sappuient sur quatre courants de Lapproche organisasionnelle, quils utilisent pour appréhen- der des évolutions récentes de la réalité associative : la théorie de la contingence, Vapproche socio-technique, Vanalyse stra- segique et la psychosociologie. ments plus ou moins bureaucratiques ou collectifs, histoire des associations se révéle d’autant plus dépen- dante de leurs modalités de fonctionnement que, loin de sap- puyer sur des ressources économiques et techniques, les associations doivent surtout compter sur une compétence par- ticulizre : celle de pouvoir transformer des énergies individuelles en capacité d'action collective. Les hommes, et donc leurs fagons de fonctionner ensemble, constituent bien leur principale res- source. Comment analyser ces histoires sociales de vie associa~ tive sans modile de réferences théoriques spécifiques ? Issue d'une sociologie du travail, des organisations et des entre- prises, la méthode d’analyse consiste & explorer la formation de dynamiques sociales autour d’approches largement validées en entreprise. Le probléme se pose alors de pouvoir en déduire, par lecture transversale de ces modalicés de rapports sociaux, les carac- ttéxistiques propres a un modéle de fonctionnement associatif. Une premitre formulation, élaborée & partir d’un certain nombre de cas, tla pour but que d'attirer Fattention sur des réalités associa- tives qui se distinguenc de celles d'autres organisations. comme a vie des entreprises confrontées & leurs dyna” ¢ : miques organisationnelles est source de fonctionne- (© Jean-Louis Laie est chargé de recherche au CNRS, ISCHCRDA, Renaud Sainsaulou est profesteur a Vnsttut d'études poliiques de Por. Is viement ce pubter (ci): Sociclogss 2 raxsoctoton, Pors, Descia de Brouwer, 1997. DE Potet,R Scineauleu, Méthode pour une sacioogia de entrepice, Pats, Prosios dela Fondation nationote des sciencet politiques, 1996. R. Soinsaulou, Sociclogie do Ventre: se, organisation, culture et développement, Pars, Daloz, Presses de la Fondation natto~ ‘nde des sciences potiques, 1997 65 RECMA ~ REVUE INTERNATIONALE DE L'ECONOMIE SOCIALE i Les FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIES | ® Il existe une véritable rupture entre les rapports a économie marchande qui s'écaient constitués pendant la période d’ex- pansion (1945-1975) et ceux qui prévalent au cours de la période de mutation engagée depuis 1975. Le contraste entre période d’expansion et période de mutation est d’une velle amplitude quill se retrouve dans [histoire de chaque association, méme si les formes varient. 1 | j t I Le passage de la période d’expansion & la période de mutation se traduit, pour les associations étudiées, par une pression de leur environnement. En conséquence, un des points cruciaux du fonctionnement associatifréside probablement dans la capa cité des associations & développer des structures susceptibles de produire les ajustements appropriés. Le probléme des asso- ciations n’est pas celui d’une professionnalisation gestionnaire qui les amenerait & adapter par le biais d'une rationalisation calquée sur celle mise en ceuvre dans les entreprises. L’adoption dune “logique d'entreprise”, quand elle est plaque sur la réa- lité associative, engendre plus d’effets pervers que d’effets béné- fiques. C’est en s'appuyant sur une réflexion sur le rdle essentiel des mécanismes de coordination et de sanction précédemment générés par Phistoire que l'association peut conserver et déployer uune permanente capacité d’évolution dans ses structures d’or- ganisation interne. Il faut toutefois explorer avec quelles capa- cités professionnelles, quels systémes d'action et quelles cultures association est en mesure de réussir ce défi. Lanalyse fine des taches, organisation des fonctions et circuits information, étude des réglements de travail et mécanismes de contrdle dans les milicux associatifs débouchent généralement sur le constat d'une large autonomie laissée aux membres bénévoles et salariés des associations, Dans ce contexte, Pétude socio-tech- nique s apparente beaucoup plus & une approche principalement socioprofessionnelle, centrée sur la constitution, la transmission et la combinaison des savoir-faire et savoir-agir avec d'autres. Lhypothase principale en la matitre peut s’énoncer comme suit : Phistoire des associations est étroitement liée a celle de insticutionnalisation de professions sociales ct culturelles. L’ana- lyse socioprofessionnelle ne peut se résumer & examen des tiches cffectuées par les seuls salariés. Bien d'autres acteurs concourent ala réalisation de l'objet, et la coexistence du travail bénévole et salarié est l'un des fats saillants de la vie associative : Papproche socioprofessionnelle doit intégrer le travail de l'ensemble des . acteurs. En méme temps que les comportements des salariés sont examines, les modes d’interventions bénévoles doivent érre récapitulés et intégrés dans le repérage des dépendances fonctionnelles et dans le recensement des points sensibles. = RECMA.~ REVUE INTERNATIONALE DE L'ECONOMIE SOCIALE N° 268 @B Gul "Fondement acono- mique du tiers secteur", Revue 06 études coopératives, mutua. Istos of associatives, n° dé-c8, pp. 160-173, @E Emiquez. “imognare soci, ‘efoulament et répresion danles organisations", Connexions, 3, 1967, Bp. 66-92 N° 268 L’économie sociale en débats Lhypothése qui peut étre énoncée en ce qui concerne l'analyse stratégique est que la teneur des jeux stratégiques est influencée par le mode de formation de l'association, c’est-A-dire la posi- tion des promoteurs au regard de action engagée. Deux modes de formation peuvent étre identifi¢s : Porganisa~ ton pour autrui, dans laquelle les promoteurs générent une acti- vité qu’ils estiment nécessaire ou souhaitable pour un groupe de béneficiaires dont ils ne font pas partie ; Pauto-organisation, dans laquelle les promoteurs mettent en place une activité pour le groupe done ils estiment faire partie, les catégories dominante et bénéficiaire érant confondues *. i" Lune des ressources majeures du pouvoir ne porte pas, en fait, sur expertise, la communication, l'allocation de res- sources ou la redéfinition des régles, mais sur les problémes de reconnaissance sociale des individus qui, en échange d’un engagement autonome, polyvalent, voire largement béné- vole, demandent en réalité une attention associative a leurs efforts. Cette capacité a donner de la reconnaissance n’est pas qu’une affaire psychologique ; elle dépend d’un inves- tissement multiforme et transversal 4 ensemble des positions et scenes d'action de l'association, et particulitrement des opportunités de contacts avec le milieu social extérieur. Ce que le paternalisme accordait par délégation de moyens, de reconnaissance tout au long d'une chaine hiérarchique allon- gée, association peut le conférer si elle démultiplie les zones d'interfaces et de contacts avec autrui ott chacun peut accé- der & une reconnaissance pour soi. Pour cette raison, P'ana- lyse stratégique est étroitement imbriquée avec l’analyse culturelle. La création associative met en jeu un imaginaire collectif, car ‘sans imaginaire il n'existe pas de projet, de réve a réaliser, d'uso- | pie, de monde & construire ensemble”. Cet imaginaite est fécon- dant; selon Enriquez ®, parce qu'il croit possible “impossible” et ouvre ainsi la voie a l'invention et A Ja création. Mais cet ima- ginaire porteur de projet est aussi Jeurrant, parce qu'il est une tentative de réduire le principe de réalité au principe de plaisir. Limaginaire se présente a la fois comme “couverture des relations réelles, comme mystification, instance de fausset, et comme ouver- ture au temps, & Uaction, & la transformation’. Ces observations psychosociologiques aident a formuler une hypothése concernant la dynamique culturelle propre aux asso- ciations : les associations ont une difficulté particuligre 4 sadap- ter aux perturbations induites par les modifications extérieures | parce qu’elles apportent un démenti au caractére unifiant de | Fimaginaire collectif. 67 RECMA ~ REVUE INTERNATIONALE DE L'ECONOMIE SOCIALE Les FONCTIONNEMENTS ASSOCIANES Le probléme culturel de la vie associative est bien clair : comment construire une dynamique de projet qui puisse prendre appui sur une culture commune susceptible d'expri- mer & la fois les différences et les valeurs collectives héritées de Thistoire méme de chaque milieu associatif ? Pour aborder une telle question fondamentale, il importe @’étre attentif aux formes sociales qui permertent de constituer un systéme déchange entre les groupes actifs, d’oit importance de la par- ticipation organisationnelle, cest-a-dire des activités de recueil | et de traitement collectif d'informations destinées & prépares, a prendre et a suivre application des microdécisions liées au travail. - La participation organisationnelle peut y étre mise en perspective avec une participation institutionnelle, c'est-a-dire un pouvoir daccds ae organes représencatifs en charge des finalités, dans laquelle le champ des possibles est plus ouvert qu’en entreptise. Cette possibilité d’intervention sur les finalités passe concré- tement par I'élaboration des logiques institutionnelles. Avec celles-

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