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« INTERVENTION DE MARIE-CHRISTINE BLANDIN A NEUVILLE-SAINT-VAAST, LE 11 NOVEMBRE 1992 Septembre 1992 : a 'hépital de Saravejo, une gamine de huit ans raconte & Daniel Mermet, journaliste @ France-Inter, qu'elle a vu sur un trottoir de son quartier un panier plein d'yeux humains arrachés. Un autre interlocuteur du journaliste affirme que plusieurs dizaines de femmes ont été violées pendant des semaines par des soldats; celles qui étaient enceintes ont été retenues prisonniéres plus longtemps afin qu'il leur soit impossible d’avorter. De Somalie, 'été demier, 'équipe du magazine « Envoyé spécial » de France 2 a ramené un reportage terrifiant, peuplé --si l'on peut dire de tueurs fous, de morts-vivants et d'enfants si décharnés qu'on les confond avec leurs hardes. Sont-elles vraies ou sont-elles fausses ces histoires et ces images ? La question n’a qu'une importance relative. Si ce n’est dans l'ex-Yougoslavie ou dans la come de Afrique, de tels faits se produisent ailleurs sur la planéte, partout out le nationalisme et I'intolérance cumulent leurs effets. ‘On sait ce qu'est la guerre. On le sait. Et pourtant, on a oublié qu'll y a quelques mois seulement, Arméniens et Azéris, Libériens, Afghans, se massacraient avec une sauvagerie inoule. On se souvient a peine de la guerre du Golfe et de ses milliers de victimes; encore moins de la guerre des Malouines et de ses ridicules fondements. Au Cambodge, les khmers rouges sont sur le point de retrouver une respectabilité et la guerre du Vietnam ne sert plus qu’a mesurer le déclin de 'empire américain Le brouillard semble méme s'étendre sur la deuxiéme guerre mondiale et sur la solution finale imaginée par les nazis : ne sommes-nous pas en train d’entériner le concept de purification ethnique, remis a lordre du jour en Serbie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine ? Quant a la premiére guerre mondiale, on ne l’évoque plus qu'une fois par an et en termes pas toujours appropriés. 14-18 --il faut le dire et le répéter—- fut une infame boucherie, dépourvue de toute justification. Sur le territoire de Neuville Saint-Vaast, sont implantées pas moins de trois nécropoles : frangaise, britannique et allemande. Le cimetiére allemand auprés duquel nous nous trouvons est constellé de 45 000 croix noires. Dans le secteur, on estime que le confit @ fait au total 470 000 victimes. Morts, disparus ou estropiés, pour rien | Malgré tous ces précédents, la guerre sévit aujourd'hui au coeur de l'Europe. Et dans certains pays du Sud, assortie d'une famine, elle menace l'existence de peuples entiers. Je nai pas l'intention de jouer les prophétes millénaristes et c'agiter le spectre d'une Terre devenue folle, d'un monde en perdition. Mais j'affirme que les drames auxquels nous sommes confrontés viennent, pour une bonne part, du mal-développement général de la planéte. Le productivisme érigé au rang de doctrine un peu partout, le totalitarisme en vigueur ailleurs, produisent les pires effets : compétition, inégalités, injustices, exclusion, rejet de l'autre et finalement, guerres. C'est en vertu de cette logique que le commerce des armes est devenu activité florissante que l'on connaitt. La France est une marchande de canons sans scrupules excessifs, qui ne craint pas de se placer dans des situations parfaitement absurdes ! Notre pays n’a-til pas armé le dictateur Saddam Hussein pendant des années avant de lui déclarer la guerre ? Les exocets made in France n’ont-ils pas été employés contre notre allié britannique par nos amis argentins ? Le méme appétit de profit sous-tend l'opération plutonium menée entre La Hague et le Japon. Rappelons qu'on ne connait que deux usages a ce produit : l'alimentation d’installations hucléaires haut risque et la fabrication de bombes atomiques... Je suis écologiste, donc je suis pacifiste. Je refuse la guerre pour une raison simple : ordre qui en ressort est toujours celui des puissants sur les faibles. Le parti Vert auquel j'appartiens milte pour la non-violence entre les hommes --et des hommes envers la nature. Cette conception ne nous a jamais réduits a inaction : nous nous opposons au saccage de notre biosphere et nous luttons contre les atteintes aux droits des personnes. Anos yeux, tous les étres humains ont une valeur égale en tant qu'étres humains. Mais je veux aller au-dela des principes et des incantations. Au Conseil régional, modestement, nous essayons de faire de la politique autrement et de favoriser la participation des citoyens a la conception, a la mise en oeuvre et au contréle des décisions publiques, Pas pour le plaisir de la palabre, bien sir, mais parce que nous sommes convaincus que la confrontation d'idées vaut mieux que le confit Le débat est finalement le seul rempart contre la guerre, ce raz-de-marée qui balaie tout sur son passage et engloutit ensemble civils et simples soldats. Un amateur d'histoire locale, Monsieur Feutry, et le maire de Neuville-Saint-Vaast m’ont fait découvrir Les carnets de guerre de Louis Barthas, un livre édité chez Maspéro en 1983. II s’agit de notes rédigées sur le vif par un ouvrier du midi -un tonnelier— plongé dans rhorreur des tranchées. Un chapitre au moins est consacré a la guerre sur Ie territoire de Newville Saint-Vaast, la fin de l'année 1915 et a certaines scénes incroyables qui s'y produisirent. Je vous en livre quelques extraits. Le 10 décembre, en maints endroits de la premiére ligne, les soldats durent sortir des tranchées pour ne pas s'y noyer. Les Allemands furent contraints d'en faire de méme et l'on eut alors ce singulier spectacle : deux armées ennemies face a face sans se tirer un coup de fusil La méme communauté de souffrances rapproche les coeurs, fait fondre les haines, naitre les ‘sympathies entre gens indifférents et mémes adversaires, Ceux qui nient cela n’entendent rien 4 la psychologie humaine. Frangais et Allemands se regardérent, virent quis étaient des hommes tout pareils. lls se sourirent, des propos s’échangérent, des mains se tendirent et s‘étreignirent, on se partagea le tabac, un quart de jus ou de pinard (...) Ah que n’étiez-vous la, rois déments, généraux sanguinaires, ministres jusqu’au-boutistes, jouralistes hurleurs de mort, patriotards de l'arriére, pour contempler ce sublime spectacle | (.) Cependant, nos grands chefs étaient en fureur. Qu’allait-il arriver, grands dieux, si les soldats refusaient de s'entretuer ? Est-ce que la guerre allait donc si tot finir ? Et nos artilleurs regurent ordre de tirer sur tous les rassemblements qui leur seraient signalés et de faucher indifféremment Allemands et Francais comme aux cirques antiques, on abattait les bétes féroces assez intelligentes pour refuser de s'égorger et de se dévorer entre elles. Et plus loin, Louis Barthas conclut : Qui sait ! Peut-étre un jour sur ce coin de I'Artois, on élévera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient 'horreur de la guerre et qu’on obligeait & s‘entretuer malgré leur volonté. Eh bien, ce monument, je vous propose de commencer a l'édifier ici méme, sur ce sol ott il y a quatre-vingt sept ans, l'espace de quelques courtes heures, 'humanité a triomphé de la bétise, la vie 'a emporté sur la mort. ».

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