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FREDERIC CHAUVIN LA CHARGE DE CAVALERIE, DE BAYARD A SEYDLITZ par Frédéric CHAUVIRE octorant en histoire ~ Université de Nantes La révolution militaire Lanotion de « evolution militaire », désormais bien connue des historiens mi taires, fut introduite par Michael Roberts lors d'une conférence a la Queen's University de Belfast, en 1955. Michael Roberts applique cette expression aun ensemble de réformes tactiques congues par Guillaume et Louis de Nassau et éla- borées par les Suédois entre 1560 et 1660 pour combiner la puissance de feu et Tef- fet de choc. Ces innovations auraient ensuite induit une inflation considérable des effectifs des armées et un renforcement de l'autorité des Etats. Mais cette théorie est 6galement& Torigine de nombreux et vis débats, qui font encore rage aujourd'- hnui chez les historiens militaies anglo-saxons®. Geoffrey Parker, qui fut le premier a remettre en cause certaines de ces hypothéses® donne ainsi & sa révolution mill- taire un cadre chronologique plus large Elle débutcrait en 1500 et se terminerait en 1800, quand les armées deviennent assez importantes pour desserrer Ista de Ia trace ifalienne, Tl ne nous appartient pas de prendre position dans ce débat, de <éfendre Vinterprstation de Michael Roberts platot que celle de Geoffrey Parker. Il serait sans donte plus pertinent de se rapprocher de Ia vision proposse par Clifford 4 Rogers, qui envisage une « évolution militaire » depuis la guotre de Cent Ans et is fin du Moyen Age. Il sinterroge sur Ia validité de Ia démarche qui consiste & poser Ia révolution militaire comme un phénoméne tnique et entier La domination militaire de TOceident repose sur ne séxie de révolutions militaires, chacune tentant de remédier & umn déséquilibre introduit parla prévédente, plutat que sur une seule” Sans chercher, donc, & rentrer dans la polémique, il n'en reste pas moins possi- ble, au travers des travaux des historiens de Ja révelution militaite, de distinguer (Q) Les principales contsibuions au dbat ont été ststemblges dans un ouvrage colectfpublié sous Ia drsction de Clifford J. Rogers cn 1995: The Miliary Revolution Debate. Readings on the Miltary Transformations of Early Modern Europe, Bouder, Colorado, Jean Chagnot fait également le point sur ce bat dane « La Revolution multaice des empe modernes on Revue historique de Armée n° 2/1997, ps eemment, dans Guerre et société dPépoque modem, PUE col. « Nouvelle Clio», Pass, 2001 2) G.Paker, The Military Revluton: AGlitary Dunovation and the Rise ofthe West 1500-1800, Cambridge UP, 1988. Traduction fangize de Jean Toba: La Revolution militaire. ta guerre et Vessor de Oceident 1500-1800, Gallimard Pavis, 1993 (@) Roges, C. 5, « Miltary Revolution of the Hundied Yeate War», in The Military Revolution Debate: Readings onthe Miltary Teansformatons of Early Modern Europe, Boulet, Colorado, 1995, p57. (Cette prudence méthodologque semble également partagte pat J. Chagniot, pour gus «la révolutonmuitaire 4 époque moderne ext wn concept qui requ de brouller lee idee car om me peut» adhérer quien xarifiant la complesiti dee evolutions et Fextmaordinaire divert des stations pour mieux dicorner wn dessen oh {qelque sorte providontel ».« La Révokion militaire des tripe moderne», Revue hstorigue des Armes, 2.1997, p 10.1 Black, quant afi istingue ois «revolutions»: «les penodes «révolutonnates» furent 1470-1530, 1660-1720 et 1792-1815. », «A Miltary Revolution? A 1660-1792 Paspective», i The Miltary [evolution Debate: Readings onthe Miltary Transformations of Early Modern Europe, Boulet, Colorado, 1995, p. 110 93 CAHIERS DU CEHD quelques étapes de cette longue et complexe évolution. Il en ressort que les analy. ses privilégient généralement l'infanterte, les armes 4 feu lattillerie ou les fortifi cations. Mais qu’en est-il de la cavalerie? Celle-ci était en effet jusque-la 'élément prépondérant des combats. L’élaboration d'une nouvelle escrime de la lance, aux alentours du xr sidcle, avait donné a cette arme une puissance de choe qut allait lui permetize daffirmer sa prépondérance sur les champs de bataille, en méme temps quelle assurait la suprématie de la caste des chevaliers. Il parait impossible que cette arme n'ait pas été profondément bouleversée par les transformations interve~ rues dans l'art militaire, Ce « déficit » du volet équestre de la révolution militaire n'a pas échappé a Laurent Henninger, qui rappelle que les transformations dans la structure, l’équipement, le recrutement ou le réle tactique de Ia eavalerie occiden- tale sont done & étudier au méme titre que les changements cités plus haut « et que Yon a peut-étre trop tendance & considérer comme exclusifs ». Le questionnement & ce propos est Iégitime autant que vaste. Le déclin de la cavalerie? I serait bien sr faux de prétendre que les chercheurs ont totalement délaissé cet aspect de I'évolution militaire. Ceux-ci, comme les contemporains dailleurs, abordent dans une certaine mesure Ia question du réle et de la place de Ia cavalerie au combat, Mais il faut se rendre a I'svidence: Ioin de simplifier les choses, ces réflexions tendent & sbaucher une dialectique double, a la fois historiographique ct historique. Dans le premier terme de cette progression dialectique historiogra- phique, nous trouvons une partie importante des adeptes de la révolution militaire, qui, selon Jean Chagniot, condamnent la cavalerie un déclin inéluctable ds le XV, en raison de limportance croissante prise par l'arme 4 fou et la guerre de sidge dans beaucoup d'armées®. C'est notamment Ia position de LE.C. Fuller et Geoffrey Parker. Ce dernier affirme qu'a la suite de Pavie, « dans fous les pays de l'Ouest euro péen, la cavalerie lourde connut un déclin rapide, relatif et absolu ». Pour certains, ‘comme le colonel Costantini” et William McNeill", le déclin de la cavalerie est méme évident bien avant le xvr sidele. Mais Jean Chagniot prend ses distances vis- A-vis de cette thése, pour le moins radicale. « Nenterrons pas non plus trop vite la cavalerie », prévient cet auteur. Il percoit ainsi, aprés 1640, un renouveau des trou- pes montées, quill interpréte comme un « démenti » infligé a la « révolution militai- re», David Parrot tente de donner une explication a ce phénoméne. II constate, (@) Laurent Henninger, « Une conséquenee de la gucre de Treate Ans en Europe centrale ct ‘alaique: le renowvenu de la valerie dan lee ares occidentale», in Nowe regard eur la guerre cde Trent dns, Actes ds collogue international exganisé par Is CEUID FEcole militar le 6 avril 1998, ‘ADDIM, Pans 199, p. 94.95 (6) « [] Que ce rit du fait des archers de arbre de campagne ou des mousqucaies. Pasker, a Révoluion militaire. la gucre et Fessor de FOccident, Gallimard Pans, 1983, p51 (6) 6 asker, La Revolution isis, la guerre et Usssor de Foecident 1500-1400, Gallimard, Pas, 1093, p99 (7) Costantins, A. (Col), «cDannibal 4 Gengis Khan ~ la suprématie del ewan 216 av J.C 1281 ap. J-C))», in Revue informational histoire maine, 197, p. 30 () W Me, Neil, La Recherche dela puissance, tchnigus, force armée et société depute Pan Mi Economics, Pacis, 1992 . 2-84, (0) 3 Chagas, Guerre et socité & Mpoque moderne, PUE. co « Nowwelle Clo », Pais, 2001 201. Iemaigue également que cet conte-evoltion nalts west Gvoquée iven note par G. Pati, gut ‘en donne dailous quuneinterptétaton pucteat négatve. 94. FREDERIC CHAUVIN dans son article sur la guerre de Trente Ans, que les innovations tactiques et tech- nologigues accrurent de maniéxe ts significative la capacité défensive de V'infan- terie. A tel point, dailleurs, que Yon aboutit a un véritable blocage tactique. Das lors, la réponse a Timpasse constatée sur le champ de bataille fut « d’encourager la ‘cavaleried chercher d-contourner le front de V'infanterie dans le but de la prendre par Te flanc ou sur ses arrieres ». C'est done essentiellement par des opérations sur les ailes des atmées, habituellement dévolues a la cavalerie, que se gagnaient les batailles*™, Peut-étre pourrait-on encore distinguer une troisiéme tendance. En cffet, Jean Bérenger affirme que la cavaleri, « chargée denlever la décision, demew- ra au moins jusqu'en 1660, la reine des batailles, l'infanterie, moins mobile, conservant un réle défensif », Perspective semblable pour Eric Muraise. Selon lui, c'est avec Turenne et Condé que saffirme Tévolution de la tactique du champ de batalle amorcée par Gustave-Adolphe ; linfanterie prend alors le pas sur Ia cavalerie lour- de, Tl semble donc, pour ees auteurs, que Ia cavalerie ait conservé une réelle importance, un poids effectif dans les combats, jusque dans les années 1660 pour Tun et 1640 pour lus, Aprés quoi, elle aurat céde la prééminence a Vinfantrie. La nuance est done certaine avec Ia perception de Jean Chagniot, pour qui cestjus- tement 4 partir de 1640-1660 que la tendance vinversa brusquement en faveur des tuoupes montées. A ce débat dhistoriens fait écho une autre confrontation Confiontation qui nous conduit & tisser un lien entre les deux bornes chronolo- giques du sujet, puisquelle repose sur la divergence des points de vue de Machiavel et du comte de Guibert. Le premier, qui tédige son Art de la guerre au début du XvF siéele, pose sur la cavaletie un regard sans ambigufté. Tant que les hommes de guerre avaient perdu les iégles qui permettent de former une solide infanterie, 1a Cavalerie a pu simposer. Mais ces temps sont terminés. D&s lors, il ne fait plus aucun doute que le t8gne de la cavalerie touche sa fin, Elle ne peut servir désor- Imais qua effectuer des reconnaissances, harceler Vennemi, Dans les batailles ran- es, elle perd toute efficacité et « ne peut rendre de vertables services elle n‘est utile {que pour poursuivre les yards »", Guibert, sans conteste Tun des principaux éeri~ Vains militaies du xvu sigele, nous livre, dans TEssai général de tactigue, une prose qui contraste sensiblement avec celle du Florentin, Cesten effet la cavalcie, affirme-til, qui « souvent décide des combats et qui compléte souvent les succés »™ Cette arme nest done pas eartée du champ de batalle, car elle « n'a de force et action qu’autant quelle est en batalle », elle « n'est propre quia Vaction de choc ». Non seulement la cavalerie asa place sus le champ de batalle, mais encore il consi ize quelle était jusque-Ia sous-employée. I! importe done d'apprende & exploiter fau mieux ses eapacités et de Iui redonner Ie réle qui lui convient. Cette volonté refléte une vision dynamique de larme équestee, fondée sur la conviction quelle demeure une arme davenit et de décision pour qui saura utiliser. Ces réflexions twouvent ailleurs un écho dans un autre écrit, réglementaite celui-la, de la méme pétiode. Le reglement de la cavaletie autrichienne de 1769 affirmait ainsi que (GO)DA., Parrot, «Strategy and tates inthe thityYearé War, in The Military Revolution Debate Readings om the miliary Transformations of Eary Modern Europe, Bouler, Colorado, 1995, p. 286.257, (1) Bétenge. J, Taenne, Fayar Pai, 1987, p S18, (42) Murase B,Inraduction& histone militaire, Lavauzelle, Pais, 1964, p. 266 (13) Machisel, Borer completes, La Pade, Gallimard 1954, p. 763 (44) Conte de Guibest, Svatégigues, ition raltée par Jean-Paul Charna,éd. de L'Hemne, Part, 1977, p. 282 95 CAHIERS DU CEHD « le gain de la bataille dépend en général de la premiére attaque de cavalerie et du ‘moment propice oit elle se produit »"9. Voila qui confirme que, décidément, V'appré- hension du réle de la cavalerie et de son histoire n'est pas chose aisée. La double mise en perspective 4 laquelle nous venons de nous livrer pose évidemment plus de problémes quelle n'en résout. Le déclin de la cavalerie est-il effectif dés le début, du xvr sidcle? Pourrait-on au contraire émettre Vhypothése que V'arme équestre conserva une relative importance, voire prédominance, tout au long de la période, fu tout au moins jusque dans les années 16607 TI parait de toutes les fagons néces- saire de s'éloigner d'une vision trop polarisée autour d'une confrontation dans Iaguelle la thése du déclin n'aurait d'autre alternative que celle d'une cavalerie qui préserve, méme relativement, sa prééminence. La question serait peut-étre finale- ment moins de savoir si Ie déclin de Ia cavalerie est absolu que de se demander comment mesurer la place, Ie réle qui lui revienne effectivement sur les champs de bataille et d'en appréhender l'évolution, Dans cette perspective, l'étude de Ia char- age pourrait alors se révéler essenticlle Tentative de définition de la charge de cavalerie Queest-ce quiune charge de cavalerie? Adressons-nous & une référence de la lan- gue francaise. Le Robert la définit briévement comme une « Atfague impétueuse dune troupe », Le Larousse est un peu plus disert: Ia charge est « le mode dat taque d'une troupe. particuliérement de la cavalerie, qui se jetait sur une autre pour la combatire d Varme blanche». 11 est également possible de se tourner vers des ouvrages plus spécialisés. Le général Bardin, avant de se lancer dans une longue exposition sur historique de la charge, souligne que les charges de cavalerie sont ‘une sorte de charge impulsive. Pour le comte de Chesnel, le mot charge désigne «le choe de deux troupes, comme par exemple la charge de cavalerie, laquelle s'exécu- te de quatre maniéres: en ligne paralléle et en ligne oblique contre la cavalerie, en éche- lon et en colonne contre linfanterie ». Enfin, le Nouveau dictionnaire militaire définit, lui, 1a charge comme une « atfague impétucuse pour déloger Vennemi des positions qu'il occupe. Se dit surtout des attagues de la cavalerie »°®. Ces différents ‘ouvrages couvrent une période assez, large, ils sont en outre de natures différentes In'en reste pas moins possible de distinguer quelques éléments communs dans ces définitions. Effectuons tout d'abord un rapide relevé grammatical. Un substantif «le choe », un verbe d'action: « etait » et des adjectifs « impétueuse » (qui revient deux reprises), « impulsive » ; autant de termes qui nous conduisent a considérer Ja charge d'un point de vue cinétique, comme un mouvement offensif, un élan vif et violent, Un second trait semble apparaitre : ces mouvements d'attaque semblent (15) Cité par Dessitees,E,(com) et Saul, M. (cap) La Cavalere pendant la Révolution, la rise (1783-96), Beagecevault, Pais, 1907, 77 (U5) Le Pett Robert, Dictionnaies Le Robert, Psi, 1990, (1 Dictionnaire deta langue fanpaise, Larousse, Pais, 1979. (1) Bardi, (gal. baton), Dictionnaire de Carmée de terre, par fe général baron Bardi, Corénd, Pasi, 183, p 1171 (19) Cheanel, (te. de), Encyclopédie militaire et maritime, parle comte de Cheane, A. le Cheval, Pais, 1862-186, 272 (20) Nouveau detionnaire mile, pat ws comité offices de toutes anes, 1. Baudoui, Pats, 1802, p. a8 96 FREDERIC CHAUVIN particuliévement propres 4 la cavalerie. Cette remarque renvoie bien évidemment & ‘ce qui fait la nature méme de la cavalerie, le cheval, lequel est doté d'une vitesse et d'un poids supérieurs celui de "homme. Il s'agit 1A d'une vérité essentielle qui va au-dela du truisme. LE.C. Fuller rappelle en effet que le mouvement est un des élé- ments primordiaux de Ia guerre. En conséquence, lorsque « énergie dont dépen- daient les mouvements militaires était engendrée par la force musculaire, l'énergie du cheval étant plus grande que celle de Vhomme, Vorganisation de la tactigue était basée sur les possibilités du cheval 9°). Cependant, tout mouvement de cavalerie ne peut pas étre assimilé a une charge, Commander un face-d-droite 4 un escadron ne cons- titue pas une charge. Un autre critére évident, qui éclaire d'ailleurs logiquement le précédent, doit en effet étre pris en compte, celui du combat, La charge est un mou- ‘vement offensif, qui vise a l'affrontement direct avec 'adversaire. De cette idée lim- pide, en laquelle d'aucuns verraient une lapalissade, découlent des principes fondamentaux. L'indispensable prise en compte de ce que les sociologues nomme- aint I'altérité induit de considérables adaptations comportementales, En termes plus militaires, il parait ainsi difficile d'envisager de la méme maniére une charge selon qu'elle est dirigée contre une unité d'infanterie ou contre une unité de cavale- rie, et plus encore si les fantassins sont armés d'arcs « Jong bow » ow de fusils mod’- Ie 1777. Au terme de ces réflexions, il nous apparait que produize une définition, simple, courte et complete de la charge de cavalerie tient presque de la gageure. Ce défrichement superficiel laisse en fait de nombreuses questions en suspens, et l'on a finalement impression d’en avoir fort peu dit. Peut-dtre cela tient-il au fait que Vessentiel n'est justement pas toujours dit dans ces définitions. Ainsi, lorsqu’on évoque l'histoite de la cavalerie frangaise, un certain nombre de batailles viennent immédiatement & esprit: Marignan, Fontenoy, Eylau. Or, ces batailles renvoient & autant de charges, entrées dans Ia’ mémoire collective, « chevauchées ardentes, élées furieuses, sacrifices sublimes », dit la préface de Youvrage de Brécard®. Ne considérer la cavalerie qu'au travers de la charge serait bien évidemment réducteur. Il nen reste pas moins que l'on ne pourrait comprendre la premiére si Ton négli- ‘geait Ia seconde, puisque, ainsi que le souligne Guibert, elle est « l'action de cor at de la cavalerie, ef par conséquent son mouvement important et décisif »®. Un auteur anonyme, contemporain de Guibert, affirmait également que le but principal de la cavaleric est la charge Tous les autres objets auxquels elle est employée & la guerre sont des accessoires de celuila, et doivent par cette raison en étre dépendants!®, (21) « Ceiteconsdérationrestavalale suse longtemps que a porte et le volume de feu des pro jects demeurirent fables ete seulement avee apparition ful que le powsir de réitonce dex cava Terie devin eufsamment fort pour immobile Ie forces de eavalerie Ce changement, surver aX camena la décadence de orgomsation tacrque, désormais bask non sur lacapacté dese mowworr mats bien su celle de fapper-» SEC. Pollet, LTaluence de Vormement sur Thstore des guerres médiques dla Seconde Guerre mondiale Payot, Pans, 198. p. 20 Brécard gal La Covalerie, Société ds tions militaies, Pass, 1981 Comte de Guibert, Sratégiqus,éditionsealisée par Jean-Paul Chamay 64 de Ltleme, Pais, Potitmmoice anonyme su YEquitaton del caval, dat du 26 fever 1769, SHAT, Memos tseconnaisunees, IM 1732, n° 90 97 CAHIERS DU CEHD Aux discours des précédents fait écho l'évocation, plus lyrique, du général Dupont a premidre charge! Minute si longtemps attendue, désitée!.,.. Geste si longuement Studié, voulu, compris 189 La charge est vraiment le moment essentiel, celui vers lequel tend tout 'entrai- nement du cavalier; c'est presque tne fin en soi. Elle est finalement & la cavalerie ce que le combat est a la guerre, cet instant essentiel, paroxystique, cristallisant, vers quoi tout semble converger. Voila pourquoi l'analyse de sa morphologic et de ses évolutions pourrait nous apprendre énormément. SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE Puisqu'est posée I'utilité d'une analyse en profondeur de la charge de eavalerie, il peut sembler utile, en premier lieu, de déterminer la nature et importance du corpus & interroger. Le traitement des sources nécessite cependant un éclairage pré- alable par la bibliographie. Bibliographie Lihistoire militaire Sans bien sir oublier les grandes références en histoire militaire, nous noterons que la bibliographic récente est marquée par le renouveau de I'« histoire-bataille », Iequel s'exprime par exemple, chez les cherchewrs anglo-saxons, par le débat autour de Ia révolution militaire et, en France, dans divers ouvrages® ainsi que dans les travaux et réflexions du Centre d'études dbhistoire de la Défense et de la Commission frangaise d'histoire militaire. Ces lectures permettent de contextuali= ser et dentrer dans le sujet en dessinant les grandes lignes de la problématique ainsi la question de l'éventuel déclin de la eavalerie a partir du xv siécle. La cavalerie Les ouvrages récents consacrés 4 la cavalerie sont peu nombreux; bien que sou- vent de grande qualité, Si l'on se tourne en revanche vers la seconde moitié du xn siécle et Ie début du xx", on constate alors la richesse de la bibliothéque de cole «application de !'arme blindée-cavalerie. Celle-ci nous offre non seulement uun grand nombre de publications portant sur Vhistoire de la cavalerie, mais égale- ment des cours destinés aux éleves de I'Bcole. Is sont certes anciens, mais propo- sent au chercheur contemporain une vision synthétique de l'évolution de la charge, ainsi qu'une approche intéressante des sources que nous aurons @ interroger. Nous y trouverons en outre des détails techniques et tactiques réutilisables dans une trés, large mesure pour l'étude de notre période. (25) Dupont, M, Cavaliers ddpopée,Lavauzlle, 1985, 7 (26) Ainsi Youwage dOtvier Chaline sur la Montagne Blanche, les travaux d'A. Corvisies, ceux de 19. Bois et J Chagnot pour Tépoque modere. 98 FREDERIC CHAUVIN Approches sociales et psychologiques Enfin, la bibliographic pourrait permettre d'appréhender certains aspects spéci- fiques du sujet, d'en initier Ia réflexion, Le renouveau de Vhistoite militaire que nous avons déja mentionné, s'est en effet accompagné d'une ouverture, ou d'un élar- gissement, sur de nouvelles perspectives: approche sociale des armées, sociologie de la violence. Des travaux comme ceux initiés par Gaston Bouthoul et André Corvisier permettent ainsi d'envisager la question de la charge sous langle socio- culturel, du point de vue de la psychologic du combatant, La difficulté réside ici autant dans le fait quiaucun n'aborde exelusivement la question sous Tangle de la cavalerie que dans des limites chronologiques trop larges ou trop contemporai- Sources Les témoignages les récits de combat et de guerre La démarche la plus simple serait sans doute de se tourner du c6té des témoi- gnages, récits de batailles et de guerres, rédigés par les acteurs ou les contempo- rains. Ces récits pronnent de multiples apparences. Ils peuvent aussi bien se présenter sous la forme d'ccuvres importantes du patrimoine littéraire, comme les Commentaires de Monluc, que douvrages de commande d'historiographes royaux ; lest [Histoire de la guerre de 1741, de Voltaite, ou encore de correspondances dof ficiers, telles celles qui sont conservées dans les archives historiques du ministéxe de la Guerre, a Vincennes. De plus ou moins grande qualité littéraize®, les mémoi- res et récits de militaires pésent d'un grand poids dans ces sources. Das le xvi sid le, les guerres d'Ttalie donnérent lieu a plusieurs récits et biographies. Ft, quelques décennies plus tard, les guerres de religion furent également fécondes en témoi- ‘ghages, certains d'entre eux demeurant dailleurs des references: Monluc, déja cité, mais aussi La Noue ou Brantéme. La tendance se confirme au sigele suivant. Des généraux aux officiers subalternes, de nombreux militaires ont en effet éprouvé le besoin d'écrire leurs souvenirs de la guerre de Trente Ans, de la guerre civile anglaise ou des autres conflits européens. La veine parait se tarir quelque pet au XVI, puisque les récits de guerre semblent passer de mode partir de la Régence. 11 faut enfin noter que les témoignages dhommes de troupes sont trés rares avant Ia Revolution, mais ils peuvent s'averer précieux lorsqu'on cherche @ percevoir le combat de l'intéricur, a son échelon élémentaire, c'est pourquoi nous ferons sans doute parfois appel a eux. Des témoignages, pour la plupart manuscrits, sont ainsi disponibles au SHAT dans la série des Fonds privés (1K). Nous pourrions alors iso- ler de ces récits ce qui concerne les charges de cavalerie, sans les couper totalement de ce qui fait sens, clest dire de Ia bataille dans son ensemble. Cette opération et I'a- nalyse qui s'en suit sont pertinentes, que le narrateur soit acteur, spectateur ou «vietime » de la charge. De telles sources peuvent en effet renseigner I'historien du point de vue des aspects tactiques et techniques, méme s'il importe évidemment de (27) JP Bois emarque ainsi que ls travaux portant sur Thomme dans la guerre, comme celui de Masson pour lex siele, manquent pour a pétiods qu va de Marignan& Fontenoy (28) Tous wetaeat dailews pas destnts & dre pubis, certains hommes de guerre nervaent ins que pou la formation de leu deseendance mile Sot, par exemple, nleriompt ses mémoies&lamort de son Til pour afew eprene la daction qu’ la naissace de son petits. CE J. Chagnot, Guerre et soci a Pe pose moderne, PUE, eal « Nouselle Clio», Pai, 2001, p. 317-318, 99 CAHIERS DU CEHD conserver une distance critique. II est possible, non sans difficulté parfois, de reconstruite le schéma tactique. Monlue met ainsi en évidence lentremélement de la cavalerie et de Tinfanterie durant les guerres de religion, tandis que La Noue nous renseigne sur lintroduetion de la charge en escadron, sur les qualités respec tives des lanciers et des reftres. Mais on doit également tenter d'envisager la réal 16 « vécue » des combats. Et T'on se heurte alors & une nouvelle limite, ear « les acteurs de la guerre étaient eux-mémes avares de descriptions réalistes. Ils évoquaient en général avec beaucoup de retenue Vacharnement, la peur et la violence dans leurs lettres et leurs mémoires »®, En outre, comme le remarque Jean-Pierre Bois, les récits de bataille ne permettent guére une entrée uniforme et rigoureusement sériel- Ie, I reste cependant possible d'éclairer cette perspective, par utilisation de quelques outils bien connus de la linguistique, par exemple, Le relevé systématique des adjectifs et des adverbes révéle ainsi les sentiments, les réactions de Vhomme au combat®, D'une maniére générale, Vhistorien doit pallier le manque d'éléments observations objectifs, doit la nécessité pour lui de recucillir des indices qui vont Iui permettze de formuler des hypothéses, Nous sommes bien la dans le domaine de la spéculation et de l'interprétation, dont Laurent Henninger rappelle quiils font encore peur aujourdbui 4 nombre d'historiens. « Pourtant, si 'historien n'interpréte as, s'il nessaie pas de trouver des explications, il ne fait pas son métier ».0* Méme si elle peut s'avérer fort enrichissante, la lecture de ces récits et la recherche des pas- sages qui nous concerne nécessitent cependant du temps. Cette remarque parait sans doute trés prosaique, mais elle peut avoir une certaine importance si Ton considére le nombre important d'ouvrages et manuscrits susceptibles de nous inté- resser. Enfin, il est un type de narration qui ne doit peut-étre pas étre négligé, le récit « pictural », celui des peintres de bataille et des graveurs. En noubliant pas, comme le souligne par exemple A. Lavezzi, que de nombreux peintres de bataille nfont pas suivi 'armée et reconstruisent done, imaginent, a posteriori®™. Les éerits théoriques Nous trouvons dans cette catégorie de sources un grand nombre douvrages, consacrés, pour une part, a lart de la guerre et & la tactique en général et, pour l'au- tre, exclusivement 4 la cavaleric. Quelques remarques préliminaires s'imposent, Tout d'abord, et méme si cela n’a rien d'une révélation, il nous faut remarquer que Ies publications sont plus nombreuses au xvi" siécle, et surtout au xvn, qu'au XVI, (29) « Le général lutméme donnait souvent deux versions des fats, Vane destinge @ tre rendue publique, Faure ayant un caractve confident, rmasque I-Chagnit, Guerre ef soc Pépogue moder- ‘ne, PUR col « Nouvelle Cio, Pars, 2001, . 304. Méme le observatour les plus qualiischangeaint par fois de dicours ave le trp. importedllure de save ile rei fu eédigs aur le momen, par exemple ‘rode os quntnes Give, on phusiers anne do dstanre, ars que la eanre walt ops on basar- Sea eval de election, (60) tb, p. 308, G1) JP. Bois, « Lome dans Ia ataile& Pépogue moderne», in « Nowvlle histoire Bataille», Cahiers du Centre tudes dhistrre de la Defense m8, Vincennes, 1999, p 135. (62) JB, Darrel, entetien pubhé dane Le Monde da 20 septembre 1994, eté par L. Heninger, ‘Pour ane nouvelle histoire bata », in « Nowvelle stone bate», Cahiers du Contre dudes histoire de ln Dafne, n° 9, Vinecaaes, 1999, p15. (G3)A Lovez «Tuer enpentue vin omée au arse (1715-1783), aces du collogued Aix- ex-Provence, 1996, Aix 1999. Voi aussi sur ce sujet L’Ast de la guest. La vision des eines aux xv" et ‘vr sees, acts du cllogue du CEHD, ADDIM, 1998, 100 FREDERIC CHAUVIN Deuxiémement, ces éerits sont, dans la plus grande partie des cas, le fait d'fficiers et d'hommes de guerre. Malheureusement, et cela est également valable pour les récits de guerre, les grands capitaines ont laissé peu de considerations théoriques, ‘Ainsi, les Réveries de Maurice de Saxe ne sont pas destinées 4 tre Iues par le public, mais n'ont été écrites qu’a lintention de son pére, lecteur de Saxe’. Les auteurs de ces travaux sont done le plus souvent des officiers dont la carriére mili- taire eut nettement moins de retentissement que celle de leurs ouvrages. Le xvr sig cle semble done moins prolixe que les suivants. Est-il pour autant négligeable? Diune maniére générale, il nous faut remarquer qu'il n'existe pour ce siécle que peu de livre traitant exclusivement de la cavalerie; nous devrons alors nous tourner vers des ouvrages plus généraux, Des écrits comme Le Rosier des guerres (1502) ou L’Arbre des batailles (vers 1510) livrent encore une vision trés traditionnelle, exal- tant la chevalerie et le combat individuel médiéval. Le xvi siécle s'ouvre en fait véritablement avec lceuvre marquante de Machiavel, L'Art de la guerre (1521), pre- miére tentative pour théoriscr les bouleverscments militares, sensibles dés la fin du sigole préeédent, Mais V'exemple de la France montre que la production militaire du XVE siécle ne se limite évidemment pas au Florentin, John A. Lynn note par exem= ple que l'évolution tactique dans l'armée frangaise au xvi sicle s'accompagne de débats, débats qui s'expriment notamment au travers de nombreux ouvrages théo- riques®, En effet, alors méme que les larges carrés étaient progressivement aban- donnés au profit des petites unités, il y avait encore certains militaixes pour prendre position en faveur d'unités massives de 2000 hommes. Les controverses et les pro- positions se poursuivirent, et les ouvrages militaires les alimentérent. Le xvr" sid cle tardif vit ainsi paraitre un flot de livres faisant étalage d'une grande varieté de formations tres élaborées. Une nouvelle génération d'ouvrages apparait dans les premigres décennies du xvi, nourrie de l'apport des réflexions de Maurice Orange”: les Discours militaires de Du Praissac (1614), La Milice francaise du sieur de Courbouzon (1615) ou encore Les Principes de V'art militaire, de Tean Billon, une des euvres les plus importantes si Ton considére Vavancement de ses systémes tactiques et le nombre d'éditions, Hans Delbriick, qui réfléchit sur la genése de la cavaleric moderne, utilisa également la plupart de ces autcurs, mais appuya en outre ses travaux sur la Théorie et pratique de la guerre, de V Espagnol Bernardino Mendoza, et sur des ouvrages spécifiquement consacrés a la cavaleric, comme Le Gouvernement de la cavaleric légere (1627), de Italien George Basta, et L'Art militaire é cheval (1616), de V'Allemand Wallhausen. Ces auteurs abordent par exemple la question de la caracole, de la vitesse d'approche de l'escadron, son enca- drement et autres problémes pratiques. Ils participent également 4 la querelle (G4) 1? ois, « Approchehistorograpigue de la taeique &Tepaque moder», Revue historigue des Armées 8° W1999, p28 (05) 1b. p25 (@6)1.A.- Lynn «Tactical Evolution nthe French Army, 1560-1660 », in French Mistrial Stes, p79 (67) Attention cependant ne pas srestimerFimportance des travaux de ce dernier: « Bn toute pro bait, fe manna de Maurice euren wn fort impact sur es range préciment parce quilsvenatent ron force leur propre développement tactique et ffratent des pefectionnements ot des amilioations faciloment ‘adaptable eux méthodes francais». Lyn, LA.,« Tactical Evolution inthe French Aen, 1560-1660, in French Historical Stas, p. 180 (G8) H. Delhi, History ofthe Art of War, Nol IV, The Dawn of Modern Mifare, Univesity of Nebraka, Lincaln st Landes, 1990, p. 17-14. 101 CAHIERS DU CEHD opposant les tenants de la lance a ceux du pistolet, les partisans du lancier 4 ceux du cuirassier. Il existe bien évidemment d'autres auteurs dans ce xvi" siécle, mais nous pouvons d'ores et déja tirer deux legons de ces remarques. Tout d'abord, il ne faut pas sous-estimer la production douvrages militaires dans les périodes anté- Heures au xvi, pour ne pas risquer d’éluder les principales controverses tactiques de Vépoque. Ensuite, il n’en faut pas moins garder vis-i-vis de ces livres un réel sens critique. Ainsi, John Lynn reléve, parm la profusion des ouvrages de la fin du xvr', de nombreuses figures et ordres de batailles irréalisables, congus au mépris de la simplicité et du sens commun, « Téte de fléche » et autres « moulin & vent »: « Cette littérature ne doit pas nous masquer la réalité », prévient-iK, Hans Delbriick garde également une distance trés critique vis-a-vis de ses sources, puisqu'il met en exergue les limites de leurs réflexions respectives. D'une maniére générale, juge-t- il, « leur diversité et Ieurs contradictions donnent une vive impression des incertaines investigations de ces professionnels ». « Nous nous trouvons face au cas, pas si rare, dé ‘minents praticiens qui tentent de saisir par la théorie les problémes de leur époque, et nly parviennent pas. Ils ne sont pas encore capables d’exprimer clairement et logique: ‘ment les choses quils ont vues et comprises ». Cela est particuliérement vrai pour Basta, excellent cavalier, qui passa quarante ans dans la cavalerie et dont Delbriick souligne pourtant les contradictions et les incohérences. Mais on pourrait égale- ment pointer du doigt son adversaire, Wallhausen, qui, en 1616, affimait avec force la primauté du lancier sur le cuitassier alors méme que le premier était déja presque complétement écarté au profit du second™®. David Parrot, qui éerit sur la guerre de Trente Ans, en arrive également & la conclusion « qui existe wn infran~ chissable fossé entre la théorie tactique et la réalité persue des batailles ». De méme quil y ala bataille et le récit de la bataille, il y aurait done la guerre et l'art de la guerre, le premier terme étant irréductible au second, La pensée militaire éelot véritablement au xvi‘ sidele, affirme Hervé Coutau- Bégatie. Ce sigcle est effectivement parcouru par une profonde réflexion sur l'art de la guerre, réflexion dailleurs dominée par les auteurs francais, qui marquent profondément la pensée tactique de ce temps!" Deux périodes se dégagent parti- culigrement, Le début du sigcle, tout d'abord. Alors que la guerre de Succession Espagne consacre le fameux blocage tactique, la période de paix qui s'en suit est propice a une nécessaire remise en cause, Les théoriciens s'efforcent de surmonter les limites du dispositif en ligne. Folard (Nowvelles Découvertes sur la Guerre dans tune dissertation sur Polybe, suivi du Traité sur la colonne, 1724) propose de former des colonnes, Puységur, lui, (‘Art de la guerre par principes et par régles) se fait le (69) 1A. Lymn, «Tatil Evolution in the French Ae, 1560-1660 », in French Historical tudes, pt, (40) 1 avait daileus admis luznéme qulun ds pls grands chef militares de Epoque, Mausce Orange, avait dass les lances, quil ava hénté de som pre, Guillaume I>, sane toutefo pouvoir expli- ‘ger pourgiol cla ft fait Delhi, op tp. 34 1D Parrot, « Strategy an tactis in the tity Yer! War», in The Militory Revolution Debate ‘Readings on the Military Transformations of Early Modern Europe, Boulder, Colorado, 1995 p. 239. (42) « Limpénabime de Intellect fangs #8tond age & In seenee de Ia guerre» H, Coutas Bégane, Taté de sratége, Heonomsiea, Paris, 1998, p 178. 102 FREDERIC CHAUVIN <éfenseur dela ligne pleine™, La seconde grande période de bouillonnement intel- lectuel débute au milieu du siécle, elle est nouzrie des expériences de la guerre de Succession d’Autriche et, surtout, de la guerre de Sept Ans. Ce dernier contlit mit particuligrement en valeur les défaillances de la cavalerie francaise, face notam- ‘ment A Vimpressionnante cavalerie prussienne. Ces legons eurent sur les officiers de cavalerie frangais un impact certain, Nous pouvons envisager ce phénoméne en ‘observant par exemple que les dates de parution de la plupart des ouvrages recen- és sont postérieures 4 1750. Des auteurs devenus des références ont ainsi contri- bbué a ce renouveau: d'Authville, (Essai sur la cavalerie tant ancienne que moderne, 1756), Boussanelle (Commentaires sur la cavalerie, 1758) ou Drammont de Melfort (raité sur la cavalerie, 1776). D'une maniére plus générale, deux évolutions sont remarquables en ce qui concerne les ouvrages militaires consacrés & la cavaleric. D'une part, il nous faut constater que leur nombre s'accroit nettement au xvi Mais, plus encore, il semble que les tires tratant uniquement de 'équitation soient égaloment de plus en plus nombreux. Ce sont par exemple les travaux de Saunier (Lidrt de la cavalerie, 1756) et de Mottin de la Balme (Esai sur !équitation, 1773). Ces publications traduisent ailleurs une réclle préoccupation des officiers fran- sais. Lléquitation, les évolutions & cheval prennent désormais une importance considérable. A tel point dailleurs que plusicuss auteurs, comme Guibest, jugent nécessaize de rappeler qu'un bon cavalier « ce nest point un homme exercé manier son cheval avee grace et adresse, ce n'est point un écuyer; c'est un homme robuste, placé & cheval ainsi qu'l doit lire [..] 'est un homme intrépide a cheval, qui, moins instruit {que brave, nimagine rien d'impossible pour son cheval et pour lui» Les écrits réglementaires Sous ce terme générique, jfenvisage tout d'abord les ordonnances, instructions cet autres reglements concernant les exercices, les armes ou les évolutions de la cavalerie. TI faut cependant préciser que tous les différents projets manuscrits qui préparérent l'élaboration des réglements me semblent au moins aussi importants que ces derniers. Fy joindrais en outre les nombreux mémoires techniques, égale- ment manuscrits, envoyés par des officiers parfois fort prolixes, Enfin, il serait sans doute intéressant de considérer les rapports établis par les inspecteurs généraux de Ia cavalerie, en s'attachant autant aux observations en elles-mémes qu'a la fagon dont ces officiers se représentaient leur mission. Projets de réglement, mémoires et rapports sont tres majoritairement conservés au SHAT dans la série des Mémoires ct Reconnaissances. On peut cependant en consulter certains dans Ia série A (cor respondances du ministére de la Guerre). Comme pout les ouvrages théoriques, il faut observer un déséquilibre de ces sources en faveur du xvul siécle, Eugene Cartias éclaire en partic ce point en remarquant qu’au xvut siéele 'habitude de la réglementation prise en ce qui concerne le domaine matériel et administratif com- mengait & s'étendre & la tactique. Un projet dinstruction concernant la marche d'un (43) Le maréchal pense quil est mule de garder un onde sur deus lignes, ear este priver de a smolié des effects de Tare. Dans cette optique il propose de combate enw ligne pleine », cestiaue ‘oncenter toutes lee uoupes ruc ne seul ligne, ea stervalle ene lee bataillone ot lee excadons CE FE Chawvic,« Guillaume Leblond ot FA de le Guerre », ménmoite de maltise, Université de Nantes, 1995, pli. (44) Conte de Guibert, Siatégiques,ouveage été par Jean-Paul Charny, 6. de L'erne, Pai 1977, 7.293 103 CAHIERS DU CEHD régiment de cavalerie et le service de cette arme en campagne avait ainsi été établi en 1733 et fut inséré par la suite dans une ordonnance. Les instructions données en 1752-53-54 sur les évolutions de la cavalerie fient objet de Yordonnance sur Vexercice de la cavalerie du 21 juin 1755”. L'efficacité de cette production régle- mentaize ne fut sans doute pas évidente puisque E.G. Léonard observait qu'au moment of débutait Ia guerre de Sept Ans, « la France niavait @ opposer @ la Prusse et d son roi que des demt-projets, réformes @ demi appliquées et doctrines tactiques contradictoires »®. II serait done intéressant, dans un premier temps, de voir ce que prescrivaient ces ordonnances et instructions quant au combat ct a la charge. Restaient-elles évasives ou bien étaient-elles détaillées et pratiques? Et, dans un second temps, nous pourrions tenter de vérifier dans quelle mesure elles étaient applicables et appliquées ? Avant d'entreprendre un tel travail, évidemment cons dérable, nous pourrions nous attarder avec profit sur les ordonnances, projets de réglements et autres mémoires techniques afin denvisager plus précisément leur in{érét. Compte tenu du temps nécessaire pour une (elle opération, je n'ai pu visiter chaque carton, seuls quelques-uns uns Vont été de maniére rigoureuse. L'inventaire, détaillant les titres des documents contenus dans chaque carton, m'a permis d'avoir sur les autres un regard superficiel et de repérer les piéces susceptibles de m'inté- resser. Cela ne remplace cependant pas le contact ditect avec le document, tant il est vrai qu'une pice de vingt pages, au titre peu accueillant de prime abord, peut receler en son coeur un court passage ou quelques réflexions fort intéressantes. Les écrits réglementaires ne sont certes pas des relations de batailles ou de combats, et ne permettent, par principe, qu'une perception théorique: ils concernent diailleurs ‘tes majoritairement, au moins jusqu'a lordonnance de 1777, les points @organisa- tion, de police et de discipline. Les ordonnances, qu’elles soient en vigueur ou aI tat de projet, les maneeuvres, n’en sont pas moins des sources dinformations quill ne faut évidemment pas négliger. Elles apportent des informations précises sur Ia fagon dont on pensait que devaient se dérouler les opérations sur le terrain, les commandements et ordres nécessaires pour effectuer une charge, Mais aussi les représentations (Ie choc, Tutilité de telle ou telle arme, telle maneuvre) et les schémas tactiques alors en vogue chez les officiers et le haut commandement, Les mémoires dofficiers, qui accompagnent dans les archives les minutes d'ordonnan- ces et autres réglements, sont I'indispensable complément de ces derniers. Il s'agit fréquemment en effet d'ebservations et critiques rédigées la demande de l'autori- 16 ou spontanément par des officiers réagissant aux nouvelles instructions. Ces, mémpoites permettent de dépasser le point de vue « institutionnel » exprimé dans les crits officiels réglementaires ot de prondxe plus exactement la mesute des inévita- bles débats et querelles théoriques qui les accompagnent. La question du nombre de rangs de lescadron est de ce point de vue exemplaire. Elle est récurrente dans la seconde moitié du xvi. Le ministre est harcelé par de nombreux mémoires d'offi ciers dans lesquels chaque auteur entend apporter sa vérité et y démontre avec rigueur qu'il n'y a qu'une fagon de ranger les cavaliers: sur deux rangs pour T'un, sur trois pour l'autre, et davantage encore pour le troisigme. La composition et Tor- ganisation de T'escadron (nombre de compagnies, place des officiers) sont d'une maniére générale des sujets qui donnérent lieu & moult controverses et réglements On peut sans doute émettre des réserves quant a l'intér&t réel de toutes ces disputes. (45) Bugéne Caras, La Ponsée militaire franpaise, PUB. Aix-en-Provence, 1960, p. 168 (45) EG. Léonard LArmie tse problomes au vr siete, Pass, Plon, 1958, . 156 104 FREDERIC CHAUVIN Malgré tout, ees questions ne sont pas purement spéculatives. Leur finalité consis te en effet a estimer ce qui sera le plus efficace face 4 l'ennemi. Le rapport au com- bat est le principe qui doit guider les réflexions et propositions. Dans une perspective plus générale, William McNeil reléve également les vives controverses ‘qui naquirent en France dans la seconde moitié du xvi, mais il ne porte pas sur elles un jugement systématiquement négatif puisqu'il affirme que « Les polémiques engendrées par ces rivalités, |...] présentaient en France le remarquable avantage d'ou- vrir la porte aux essais systématiques de noweau matériel et aussi d de nouvelles tac- figues. »* Ces considerations ne doivent cependant pas masquer Ie fait que Ton trouve parfois dans ces mémoires d'officiers quelques idées pour le moins origina les, dont le rayonnement n'a visiblement pas dépassé a table de travail de leur auteur, Ainsi auteur anonyme d'un court mémoire général sur Ia cavalerie propose ‘un infaillible moyen de rebuter une charge: « le jew des drapeaux », selon Iwi aussi efficace que la mousqueteric: agiter un drapeau sous les yeux d'un cheval leffraic, il suffisait done d'équiper la premiére ligne des fantassins d'un tel attribut, quiils agiteraient avec élan et dynamisme, pour stopper I'élan d'une charge'*! existe enfin une autre catégoric de sources quill serait sans doute bon d'inter- roger. Celle qui saurait nous permettre de mesurer I'efficacité des charges d'un point de vue « physiologique », par Ia constatation de impact des armes sur les corps eux-mémes. Il s'agit done d'aller un peu plus loin que l'analyse des pertes subies durant les batailles pour tenter d'évaluer la nature des blessures et 'em- placement du corps olt elles sont regues, par quelles armes elles sont données. Pour Jean-Pierre Bois, qui évoque cette perspective, des documents directs comme les contrdles de troupes et les registres d'admission a I1étel des Invalides s'avérent tres utiles, Nous pourrions peut-dtre également questionner des documents de la sous-série Ya des archives du ministére de la Guerre sur les hépitaux militaires®, Dans le méme ordre d'idée, il serait aussi sans doute fort instructif de pouvoir esti- mer combien de morts sont imputables aux charges. PROBLEMATIQUE ‘importance du corpus est done reconnue, Mais il est également indispensable de donner des cadres au sujet, des limites de nature géographique et chronologique, de Vintégrer dans une réflexion historiographique, Il faut ensuite envisager le ques- tionnement de maniére plus précise. Deux démarches complémentaires sont possi- bles, Tout d'abord une périodisation problématique: il s'agira de déterminer des, (G7) « Des ofciersappartenant & des groupes rvaus ¥opposaient sur des question de doctrines concurentes dont is 4 servaient pour briguer dans ta hidrarchie mili. Les canceptions doctrinales ‘omtestoee parle wn ot dfenduce parle autres ne powsaien cre jugiee que par une demonctration sur le Terran de manavoreo! por desir au povgone.», W MeNei, op. yp. 179 (48) Mémoire et Reconnaissance, IM 1725, n° 13, « Observations dun zéeiloyen » (anonyme), 1757, 14 pages (49) Anaiyse qu nen cont pas moins, ston Benne de Durand un crite escent!» pour 1S crite de Thistire bata. I regret @allurs que les pores alent té peu et mal eudies dans les ations e batlle. De quelques difficlsdeThistoie baal» in « Nowell histoire Bataille», Cahiers du Centre Tetadesdstoire dela Défense, x 9, Vinesnnes, 1999, p 216 (60) JP. Bois, « Ubomme dans la batlle& Tpogue modeme », in « Nowvelle histoire Baal», Cahiers du Contre tudes histoire de la Defense, x° 8, Vince, 1999, p 135, (51) Ya127: Brats doe soldat hospitals 105 CAHIERS DU CEHD « espaces » chronologiques plus ou moins précis que l'on singularisera par une ou plusieurs problématiques. D'autre part, nous pourrons aborder le sujet par une démarche plus transversale, a travers l'étude de trois aspects de la charge. Les cadres du sujet La « nouvelle histoire bataille » Jean-Pierre Bois rappelait, dans la Revue historique des Armées"®, le renou- vellement considérable dont fait objet [histoire militaire depuis les années 1960 Les initiateurs de ce renouveau, André Corvisier, André Martel, Gaston Houthoul®, lui ouvrirent de nowvelles et fruetucuses perspectives. Longtemps négligés rejetée par les annals, « Vhistoie-bataille » benéficie de ce vent noweat et retrouve, grice notamment aux travaux de John Keegan, une place essentille au scin de Ia discipline. Tout dabord, Vhistoriographie est on partie revenus sur le topos des batailes indéciscs ct inuties, affrontements accidentels, aussi sanglants aque pew décisife, L'prouve de force sur le champ de batalle reste, en effet, le moment oi sétablissent les hiérarchies entre les nations”. D'autre part, si les batalles sont rares, il ne faut pas pour autant en négliger les implications, les enjeux ef les conséquences ~ c'est lévénementematrice de Le Roy Ladurie. La bataille du Kahlenberg, qui sauve Vienne en 1683, « régle pour plus dun site le sortde la puissance ottomane ». De la méme maniete, asst indcse fat-elle du point de vue tactique, Malplaquet n’en évita pas moins & Louis XIV une invasion dont les suites eussent pu décider du sort de la guerre; et le sursis quelle apporta rendit pos- sible la vietoize de Denain. Ia baaille ext également le refle, la eristallisation, des pratiques militaires d'une époque. Comme le souligne Ftienne de Durand, c'est « le moment déctsf autour duguels'organisent toutes ls activités quelle [histoire militai- te] éudie 8, Mais elie renvoie aussi 4 individu, et aux dimensions essentielles de celvicei, A des dimensions aussi simples que le courage, Ia mort, Tacte de ter, Car le combat est bien au crur de la guerre, et cest la un aspect fonda- imental que, selon Laurent Henninger, Thistoire militaire frangaise strait encore parfois tendance 4 négliger™” C'est done une approche multisealsire axée sur Ix (62) « Approche historiographique dela tactque a Tépoque modems », in Revue historique des Armies, 2° 2, 1997p. 25-30. (63) 1 fam cane doute également mentionner le aval présrteur de Duby dane fon exelent Dimanche de Bowne (64) John Keegan, The Face of Bale, Jonathan Cape, Londies, 1976; tion francaise, Anatomie de a bata, Robert Lafont, Pais, 1993, (65) Jean Petr Bois, « La baal, de Condé & Sat: essa de flexion sur le concept de a batall dane la guete modene », in Revue internationale dhsoie militaire, ° 78,2000, p63 (65) « De quelaues dificulés de Thistoxte militaie », Cahiers du Cenre d'études histoire deta Défense? 9p. 192 (51) JP, Bois, « Plaidoyer pour une hstoite tatique dela guste eu xv sil », in Lm a im sgte, collogue dAsx-en-Provenee, 1996, Ai, 1999, (68) « Lhstoie iltaire francaise est en effet &Pheure actuelle dans une station dew saber » om oui aint le cour de son objet au profit de Famont ede aval da combat proprement dit [|i coment ‘de corrger cetetdance& étudir lex inhtatione militaire ors de toute pratique dela guerre: Paccent ‘dora ana Gre mie gai sur tude de Vorgaieation ede la composiion des foress, of ur la stati, la tactique ela conduit des epérations au combat» 1. Hennings, op ci . 13, 106 FREDERIC CHAUVIN tactique — c'est-A-dire, outte la tactique proprement dite, la « microtactique », la technique et le vécu du combattant - qui, sans doute, conviendrait le mieux pour Gtudier et comprendre Ja bataille. Il s'agirait en somme, selon les mots de Jean- Pierre Bois, de réconcilier « l'affectif » et le « technique ». Le cadre chronologique : De Bay rd a Seydlite Cette étude nous aménera done a parcourir une période qui court de fa fin du Moyen Age jusqu'a la veille de la Révolution. Il est permis de s'interroger sur la pertinence dun tel découpage. Peut-étre aurait-on pu le formaliser dune autre imanigre, en y intégrant par exemple les guerres de Ia Révolution et de !Empire? importance des sources & traiterpése, il est vrai, d'un certain poids dans ce décou- page. Mais il faut également prendre en compte tin argument de nature plus « qua- litative ». Des innovations techniques et tactiques, dont les prémices sont perceptibles dans les derniéres décennies de l'’Ancien Régime, comme l'emploi de tirailleurs, Vintroduction des divisions et Ia eréation d'une véritable artillerie de campagne vont, & partir de 1792, s'associer une nouvelle et considérable crois- sance des cffectifs. L'enscmble produisit des effets tels que Yon peut considérer «qu'un nouveau scuil fat alors franchi dans Vart de la guerre. C'est done a une « xSvo0- lution militaize » d'une tout autre nature que l'on fait référence lorsqu'on aborde la période qui s'ouve avec Valmy". Deux grands noms de la cavaleric, qui établis- sent, au-dela des bouleversoments de l'Europe moderne, comme un lien entre les sideles, peuvent incarner et rendre plus humaines ces « bornes » chronologiques. Lun est Frangais, Bayard (1476-1524), et l'autre Prussien, Seydlitz (1721-1773) Ces deux personnages sont tout dabord deux grandes figures de cavaliers, au pan- ache et a faudace unanimement reconnues pat leurs contemporains. La réputation du premier, Pierre Terrail, seigneur de Bayard, n'est évidemment plus a faize Limagerie d'ipinal retiendra de lui la défense du pont du Garigliano et 'adoube- iment, au soir de Marignan, du jeune roi Frangois I*. Bayard est done sans nul doute Tran des plus célebres capitaines de son temps. Certes, mais T'on aurait alors égale- iment pu choisir Gaston de Foix, lui aussi grand capitaine ot cavalier. Cependant Bayard, plus encore que Gaston de Foix, représente le paradigme du chevalier. Nous nous trouvons done face une situation paradoxale, puisque Bayard, « che- valier sans peur et sans reproche », incarne la forme la phis accomplie d'une idéo- logie — la chevalerie ~ qui a justement cessé d'exister dans son expression militaire. On connait dlailleurs, symbole de ce paradoxe, la position du Chevalier a légard des armes 4 fou individuelles, qui commengaicnt alors a s'affirmer sur les champs de bataille: ces nouvelles technologies donnaient désormais 4 « um manant armé dun baton & feu » Ia possibilité de tixer sur un gentilhomme « qu‘@ deux pas il net ‘sé regarder en face ». Cruauté du destin ou avancée inexorable de l'art militaice, histoire zetint aussi que c'est un arquebusier qui le blessa mortellement apres (69) Ede Durand comment ans Tapproche de Keegan dans Anatole del Batale: «Sait dans m ndividuel le oldat ex meme temps ute sorte tome sur lequel #agrgent ler connaisances {rales de Voor relatives dle baile et &Tepoque: lea miero-tactique» produ eins le tactique. » op. ip 208, (60) 1-8 Bois, « Uhomme dant la Bataille &Tépoque moderne », in Cahors du Cenve ditudes hie toive de la Ditonse, 2° 8,9 132. ton hor (61) « Ce son es dimensions dela gucrre ul se wouvent dis lors troneforméc,ef16complitement «qe Yom peut dive que autre voto mar eat crvenue ». G. Pater, La Revolution militaire: ks ger eet lessor de POccident, 1500-1800, Gallimard Pan, 1993, p. 184-185, 107 CAHIERS DU CEHD Romagnano. Au-dela de Marignan, en effet, Bayard est d'abord rhomme des guer- res dltalie. Cette période représente une charniéxe du point de vue de l'art de la guerre, qui évolue alors de maniére considérable:; ce sont les débuts de la révolution militaire évoquée par Parker"). Il nous appartiendra d'observer dans quelle mesu: re ce phénomene global influe sur la doctrine d'emploi de la cavalerie. Delbriick affirmait que le roi de Prusse était le général qui avait réussi a tirer la quintesser ce du systime de guerre pré-révolutionnaire, pré-divisionnaire. Tl avait hérité de son pire une infanterie trés performante, bien organisée et disciplinée, Mais ill en allait tout autrement de la cavalerie. TI dut ainsi constater aprés Mollwitz. que s2 cavalerie était nettement surclassée par celle des Autrichiens\, I] entreprit alors de la relever et de lui insuffler un nouvel esprit. Seydlitz, qui fut avec Ziethen, mais celui-ci pour la cavaleric légére, le meilleur cavalier de Frédéric, su étre Vinstra- ment de cette réforme, II faisait du choc l'élément principal du succés de la charge, et des cuirassiers I'arme de la décision (Quand le grand mvur frappe soudainement et impétueusement lennemi, i n'est pas possible doffrir de résistance, Ce général au caractéxe trempé, pour qui la cavalerie ne gagnait pas les batailles avec le sabre mais avec la cravache, s'est illustré par son courage dans l'action et sa clairvoyance dans le commandement®, Dominique Venner nous le décrit ainsi & Rossbach, fumant paisiblement sa pipe devant ses 38 escadrons, impassible face la superbe ct vaste caracole des 52 escadrons frangais jusqu'au moment oi, d'un geste, il déclenche la charge décisive®™ Il put done forger un outil qui répondait aux vues de son prince et fit de la cavalerie prussienne, de Tavis de nombreux auteurs, Ia meilleure de son époque™ Le cadre géographique Les limites peuvent enfin tre géographiques, Sans doute la France, ses auteurs, son armée, seront privilégiés, mais d'autres théatres, des auteurs d'autres nationali ‘és doivent absolument étre pris en compte, Notte propos s'enrichira et se nourrira de ces apports indispensables: comment, par exemple, envisager le premier tiers du xvi" siéele sans s‘intéresser au modéle suédois, & Ia cavalerie de Gustave-Adolphe? 11 faudra donc également s‘intéresser aux grands theatres d'opération de l'époque, (CX): Bn 1494.98, Charles VII se pricipite en lle avec 14000 hommes et wx matériel de sége de 40 canons. Méme les contemporains compritent in nowveas dipér! Gait donné 2 la conduit deta _quere».G. Packer, La Revolution iltaire: la guerre e Vessor de !Occiden, 1500-1800, Gallimard, Pats, 1993, p36 (63) «1 [cavalry] wae completely overohelmed and driven fom the Batley the Austrian caval ‘yy, Ht Delbick, History of the Art of War. VOI, Unversity of Nebraska Pres, Lincoln ané London, 1990, pst (64) hid, p. 281 (65) « Copendant tris peu de génino comme Cromwell, Bugéne et Seyi, manacaraient et nga _eatent Tews forces montées au bon endroit pour produire un effet deci!» , Bodine, ale « Cave», Dictionnaire dart et dhstoire mares, p57 (66) Batlle dant laguell i ut alles bless, comme & Kunesdort (61 Venn, D, Les Armes de combat individu, Sages Grancher, Pais, 1976, p. 118, (68) « la plupart des batlles gagnées par Frédéric Font été grced tacion de sa cavalre» 1M Dugué Mae Carthy La Cavalerie au temps des cheveu,p. 116 108 FREDERIC CHAUVIN les Flandres, les Allemagnes, ltalie du Nord, A des cavaleries auxquelles on préte peut-étre généralement moins datention celle de Crome, de [Espagne Nous hous en tiendrons done vraisemblablement& des délimitations assez larges. Mais il ten este pas moins possible de dstinguer certains espaces. Ainsi, sans pour autant les exclure de maniere systématique, il serait sans doute pertinent de tracer une ligne séparant les régions ayant adopté la tactique de Vaffrontement frontal direct ct celles qui conserverent ia méthode, bien plus indiecte, de Vesquive et de Tat- laque 4 distance, tels Tes pouples de Ta steppe, ainsi que ceux di Proche et du Moyen-Orient Il s'agit la bien si dune reference a ce « modéle occidental de la gucrre », proposé par Victor Davis Hanson. Elaboré initialement & partir de 'etude dles combats dinfanterie de Ia Gréve ancienne, il reste signifiant pour Ia eavalerie Laurent Henninger remarque ainsi que apparition de la tactique de la chevalerie médiévale d’Oceident lui correspondait merveilleusement bien. A inverse, dans les eapaces oi regne le second modéle, e rencontre une cavaleri qui se distingwe de sa rivale par limportance accordée aux archers, par Ia légércté de son équipe- rent, sa vitesse ot sa mobilité™, La confrontation directe de ces deux modéles fat parfois source de désarroi pour les combattants, ainsi que les eroisés purent en faire Texpérience en Orient. Ces deunicesavaiont face A eux des eanemis perpétuant ue tradition fort different et pour laquelle il n'y avait nulle honte a fair ni & manoou- ver de maniéte a éviter le choe frontal. Nous privilégierons done Tespace dans lequel est né et s'est épanoui ce « modéle occidental de la guerre », sans pour aviant, bien sir, négliger Tinfluence des peuples steppiques et orieniaux sr la morphologic de la charge. Fnfin, nous potrrions établir des differences entre les Zones fortement marquées par lempreinte dela trace italienne, celles oi ce systé- tne de fortification est moins présent, et enfin les régions de frontiees. Geoffrey Parker constate on offet que, dans les premires zones, les baailles étaient pou recherchées. A Tinverse, dans les autres, elles étaient A la fois plus fréquentes ot plus importantes, Et cette premicre romazquc le conduit & une seconde, relative la place de Ia eavalerie est vrai aussi que, ld ot les bastions étaient absents ot les bataille plus fréquentes, Ia cavalerie était plus prééminente (69) G. Pacer, spcialist do Varn enpagnole, regret ainsi que Ton sccorde que place tes seconde A ctl valerie: « Dans Ie batalles, comme & Gamblou on 157A, leur intervention [des cavalier spagnole) était décieve. La cavalrie doit ues terrible que le trios» « The Mibtary Revolstion, 3 [Mpah? >. in The Miltary Revolution Debate, op. cit. p38 (70) «Préfrence nett voireabsolue pour le choc froma ta batailedécisive, volotédabtenir un résltan tanché dana des dilate de temps réduits, volont également de bien marguer ne séparation nett ‘ne Fae Fennems le temps dela guerre et ell dela pas »-L, Heaninge,« Une consiquenee dele gue fe de Tonte Aus en Europe centrale ct Balkanigue Te senouveau dela eatalcie dans les ames ocidente- Tes», Nouveau repards sur a guerre de Tente Ane, Cente dudes dist de la Défense, ADDIM, 1998, Pe (1) « Le Mongol comme le Hun, atteignait son objec & une distance de 200-100 mires.» Bérenge. I « Lintloenre des pouples des steppes suc le ception européenne de guerre de imowvernal ‘ot Temploi de Ia eavaleie», 4, RII, 1980, p35. Il gra tostefos erro de penser que les peupes step piques et onentaue ne posstdaient quiune eavaletic epee. Les Arabes qui se lancérent& Ta conquste Proche-Oriet au vr scl salent dotés de virtableseataphratazes, apes Ala casge et au comps 2 corp. Dela méme manide, 4 Liege, ex 1241 les Mongols de Bitar Khinpossédaient une grosse eavaletie Ui chaygea a sabre la eavaleve chitienne, enfoncant et dicoupant tout au mule de hurloments denfr Tid, p 3438. 109 CAHIERS DU CEHD Cos aires se localisent sur les frontiéres de Europe des steppes, par exemple, avec les cosaques et les estradiots ou, durant les guerzes civiles en Allemagne et en Angleterre, avec les furieuses charges de Pappenheim, du prince Ruppert ou des Tronsides de Cromwell, Périodisation problématique La présente étude couvre trois sideles: les xv, xv" et xvurt. Liorganisation de cette partie reposera également sur une structure ternaize. Mais les limites de chaque période devront étze justifiées par une problématique, une ou plusieurs questions qui fonderont son originalité et la distingueront des autres. Des guerres d’Ttalie jusqu'au début du xvir Meme si elle est souvent moins étudiée, la période qui va de Ia fin du xv" a la fin du xvridébut du xvtt ne doit pas Sire négligée. Elle constitue une période char- nigre dans le développement de lacavalere, le moment pasticuirement sensible ot difficile a saisir of, selon Vexpression de Hans Delbrick, la chevaleric devient cavalerie. Comment la charge de cavalerie novs renseigne-telle tout dabord sur la mort » de la chevalerie? C'estiedire, principalement, comment appréhender Ia confrontation entre les chevaliers et Vinfanterie renaissante. Equipés de leurs lourds hhamois blancs, de leurs lances, les premiers s‘opposent désormais a des unités compactes, équipées en partie darmes a feu individuelles dont Iefficacité ne cesse de ctoitre, et contre lesquelles les armures de plus en plus pesantes des chevaliers semblent engagées dans une course vaine™. A Pavie, par exemple, les balles de deux onces des arquebusiers du marquis de Pescaire, que ce dernier avait melés aux Cavaliers, percent les meilleures armures des chevaliersfrangais™®. Dés la fin du 0" siécle dailleurs, le « grand due d’Occident » avait pu mesurer & ses dépens Pef- ficacité nouvelle de Tinfanterie suisse, ces massifs et terribles carrés qui le teras- sérent a Grandson et Morat®, Mais, dautre part, quelle est cette cavalerie qui suceéde aux chevaliers ? Dans quelle mesure est-elle Thériigre des chevalirs, quel- Ie est la part dinnovation™™? Ces questions renvoient directement la nature de Is cavalerie et & sa capacité & mener une charge. On pense ici bien sr & la différen- ciation qui semble saffirmer au xvr sile entre une cavalerielourde, la « gendarme rie» rangaise, et une cavalerie legere & Téquipement et aux missions tres diferentes (02). Pater, «The Miltary Revolution, « Myth? » p. 343-244 in Roger, C4 (ir), The Military evolution Debate, Boulet, 1995 (13) «0 Je harmo Bane comprend 100 pitced'acir i ize 42 keen oute et #8 em gue, armure du cheval comprise Malgré cela, Farbaléte peut encore le fauser ef Varquebuse le percer.» E Marit, troduction & histoire mitre, op it, p81 (14) H.de Week, La Cavaleri travers les ge, Edita S.A 1980, p35. A avi, Tarquebuse,per- fectonnée pa adoption dy bassinet td sexpentinporte-meeh, peamst également un tr pie rapide (25) «La gendarmerie ne peut rien conte cette muraile de pues |. et ous les décharges nces- antes des arbalites ow des argucbuses exécuant leurs tr3 au commandement sous la protection des piquiers.M. Dugué Mae Cathy, La Cavalerie au temps des chev, op cit. 62 (16) Detbrickencote note & ee propos que «Les escadvons montis de ptllers me se substtudrent pas purement et simploment aux chevalies et eur aucliares, mais les deus méthodes de combat cess ‘rent se confrontrent Uae aire la fos praiquement et théoriquement.» op. cit p. 126. (77) «Dane a premiére maité du x17 sécle se développe et erefore Ta dchotomie entre une cave lore lige, qui adopt les nouvelles arms & fou et celle de gens Fares, lourdement Suipts et agstont ‘parle cho ef la charge & Pancienne made.» Dugas Mae Carly, La Cavalerie au temps des chev, p70, 110 FREDERIC CHAUVIN Pour cette dernitre catégorie de cavalicts se pose particulidrement la question de sa capacité & mener une charge. Plus précisément, ne faut-il la voir que comme une cavalerie descarmouche et de reconnaissance, alors méme quiric Muraise emarque que, dés 1554, le succts de la compagnie de chevau-légers de Tavannes & Renet montie qu'il est tout & fait inutile d're cuirassé du harnois blane pour char- or aussi efficacement que la gendarmerie. Les contemporains n'ont pas pu ne pas trer les legons des évolutions de Tarmement. La cavalerie est efforcée de les intégrer, et la fameuse caracole put apparaitre comme une réponse au développe- iment croissant du facteur feu, L’stude de cette tactique nouvelle, du fait de Ia consi- diérable rupture quelle implique au niveau de la morphologie de la charge, nous parait bien entendu indispensable, L'arme blanche intervenait-elle, et & quel moment? Comment mesurer lefficacitéréelle de la caracole, ov tout du moins ses limites? Certains auteurs soulignent ainsi quil n'est pas aisé de tirer~ et de rechar- got — dans de telles conditions™. Cette dialectique héritage/innovation implique encore, bien évidemment, un certain nombre de questionnements, qui n'ont Gaillewzs pas échappé aux contemporsins, Pendant le Moyen Age la chevalerie chargeait en baie ct se rangeait le pus souvent devant les pigtons, ou du mioins agis~ sait-elle indépendamment deux, Quelle place est done maintenant attribuée 4 la cavalerie sur le champ de bataille, et quels types de formations adoptent les unités rmiodemes? On a ainsi souvent observé lors des guettes de Religion que les diffé rentes armes tendaient & se mélanger™, Henri IV, notamment, soutenait sa cavale- tie en intercalant des compagnies de mousquetaires entre les excadrons, Une telle pratique, qui se perpétua jusqu'a la guerre de Trente Ans, ne pouvait quavoir dim- portantes répercussions sur la maniére de conduire une charge De Gustave Adolphe jusqu'a la fin de la guerre de Succession d’Espagne Crest la période du renouveau. Simon Adams affirme cette renaissance, obser- vable selon lui dans les années 1630-1640, Témoin de ce renouveau, Ia guerre de ‘Trente Ans, durant laquelle la proportion de chevaux s'est acerue de maniére impor- tante. A Liitzen, la moitié des 16000 hommes de Wallenstein et un tiers des 19000 hommes de Gustave Adolphe étaient des cavaliers. Des proportions similaires sont observées & Nérdlingen, Le roi de Suéde en est généralement considéré comme Vinitiateur*™. C'est done bien un véritable tournant qui semble s‘offrir au regard de (78) Mraz, Introduction & Yhistoire miaie, Lavaszlle, 1968, p 262. (09) « Done pratique, lerechargement du pistolet ne devil pas ete une mince aire». D Nennes, Les Armes de combat individu. op. i, p. 10S, Voi ase Dagué Mae Carty, La Covleriefransaise et son harnachomont, Malone, Pais, 1985, p. 103 (80) «Le combat se présente comme un choc froma, cavalerie et infanteri enremélées se génant sane pouvoir se soutonir.» 1 Bole, Lee Gueresen Europe, Bin, ace, 1993, p. 51 (81) « Hew IV & Couoas conribua ésscréditer la gendarmerie en intercalat des plotons di Lanterie de 4 honmes de profondeur sur 5 de front ene les excadvans , Caron Nisas, Est sur Thsttre sinéval de Yart militaire, Pais, Delaunay, 1824, tose, . 217 (82) S. Adams, « Tactics of Politics? The Miltary Revolution’ andthe Hapsburg Hegemony 152 1648 », in The Miltary Revolution Debate, Boulder, 1995, p25 (83) A ce propos, ls tavaux de LA. Lymn conduirient nuance quelque peu le caracttevEritable- tment novaeur dee vefrtes subdoises. Dane son atcle su volution de la tactique dee andes fangaies rite 1560 et 1660, i afm ainsi qc, sles eavabiers dHene TV, § Coutas ct Ioy,ulistent dabord leur tne & fou, is chargtent ease rme Blanche et au galop. Ain ers 1600, lee Francis eaieot de sur Ia oie des tactiques préonisées par Gustave Adolphe un quart de secle hus ar, «Tactieal Evolution in the French Army», in FnchHtorical States, XIV, 1985, 183 M1 CAHIERS DU CEHD Vhistorien. Mais peut-on alors imaginer que la transformation fut systématique et immédiate, changeant ainsi radicalement la morphologie de la charge? Une double problématique s'impose done. Peut-on, tout d'abord, affirmer avec certitude que la charge telle que la concevait Gustave écartait absolument usage de l'arme a feu, Ft, si tel était bien le cas, cette derniére fut-elle aussitdt abandonnée par tous les autres généraux, unanimement convaincus de son inanité? Le second questionne- ment se fait cho du précédent: Ia charge au galop, apparemment réintroduite par Gustave, s'est-elle définitivement imposée dans toutes les cavaleries européennes? Gustave Adolphe serait aussi a Vorigine d'une importante transformation interve~ nant au niveau de économie de la bataille, c'est-a-dire les « lois » qui régissent la doctrine d'emploi de la cavalerie, et principalement le moment oi elle est engagée, Ie but de cette intervention. Auparavant, Vinfanterie affrontait en général infante- Hic, et la cavaleric la cavaleric; ce n’était qu’aprés avoir défait la cavaleric adverse quelle venait préter main-forte a V'infanterie, Le roi de Suéde, nous dit Gilbert Bodinier, combina done l'action de ses armes au licw de les engager séparément ct «ne fit intervenir la cavalerie qu’au dernier moment pour emporter la décision »®®, Si done elle cut bien liew & cette époque™, cette modification essentielle dans la doc ‘rine d'emploi de La cavalerie, qui supposait aussi de la part du général qu'il pensat différemment la bataille, qu'il fit capable de déceler le « moment » décisif, se retrouve-t-elle rapidement dans les armées du temps? Et peut-on réellement obser- ver dans les batailles qui suivirent application de cette nouvelle conception de la cavalerie, envisagée alors comme une arme de décision? De 1714 a la Révolution Il semble, a priori, que Yon ne puisse envisager une réflexion sur l'évelution de la charge au xvi" de la méme maniéxe que pour les périodes précédentes. Les évo- utions de la tactique du xv1r ne paraissent en effet pas aussi spectaculaires, au pre mier abord, que celles des siécles précédents. Pour linfanterie, les deux innovations essentielles que furent le fusil et la baionnette, inventions qui ne paraissent ailleurs guére favorables a la cavalerie®, datent de la fin du xvi" siécle. Quant Ia cavalerie, il semblerait que I'on ne doive constater aucun véritable bouleverse- ‘ment tactique ou technique, Jean Chagniot note ainsi que les cavaliers sont un peu les laissés-pour-compte dans l'art militaire frangais du xvu'. Une premiére lecture de ce siecle laisse done penser quil sera peut-étre plus difficile d’élaborer wne pro- Dlématique basée sur l'éventualité d'une rupture nette, comme ce fut par exemple le cas avec les réformes de Gustave Adolphe au xvi‘. Certaines observations peuvent cependant aisser penser que la morphologie de la charge connut dans cette pério- de de véritables transformations, qu'il convient de ne pas négliger. Ainsi Warnery souligne-t-il Ia décadence de la eavalerie entre 1 600 et 1750, ce qui implique un relatif redressement 4 partir de cette date. De la méme manitre, M. Dugué Mac Carthy remarque que l'on assiste pendant la seconde moitié du xvi" a un efface- ment progressif de la cavalerie au profit de l'infanterie, sacrée « reine des (44) G.Bedinie, article « Cavaleie» in Dictionnaire tart et dhistore militares, p. 156 (5) CarP Contamine rmargue, dans 17toiremulaive de la France, vel. 1 p. 322, qavant ls ueret de Religion le combat consist en un choc infarc, la décision Gait recherche pat dee charget de cavaleic, le ph souvent effetute de lane. Petite fall dae naxncer le caracle novalewr ds moe le suédois? (6) «Le fl tla Baton <4 la cavaterie et de Fartilerie Boss, 13 font de Pinfanteri Fare essentele des armed 00° aux dipons [Let Gueres en Barope, 1494-1792, Belin, Pare, 1993, p. 246 112 FREDERIC CHAUVIN batailles », et ce processus, précise-t-il, « se poursuivra jusqu’au milieu du siécle sui- vant ». Certains généraux parvinrent a s'extraire de la routine, mais ils se heurtaient une telle incompréhension « gu‘aucun changement ne devait intervenir avant le miliew du xvir , Hervé de Weck semble cependant discerner une dynamique inverse, puisquil affirme que, dés le milieu du xvrt, le feu commence 4 'emporter sur le choe de la cavalerie. Ainsi, 4 Minden, en 1759, l'artillerie anglo-hano- vrienne permet a Brunswick de vainere la cavalerie frangaise chargeant en muraille Sans étre aussi catégorique, Jean Chagniot remarque également que Yeffet destruc- teur de T'artillerie de campagne, jusque-ld assez, relatif™, augmenta brusquement pendant la guerre de Sept Ans. C'est 4 Minden, précise-t-il, ainsi qu’ Crefeld, of issue de la charge fut identique, que les Frangais prirent conscience de cette nou- velle donnée", Le milieu du siécle parait ainsi se détacher. Il se dessine comme une période chamniére sur laquelle il importe de faire la lumiére. Le questionnement est alors légitime: marque-t-elle une nouvelle étape du déclin de Ia cavalerie ou bien une relative revalorisation de son réle, et, surtout, comment la charge, dans son rapport au fou notamment, permet-elle de prendre la mesure du changement? La cavalerie prussienne se distingue particuliérement partir de cette époque, au point qu'elle devient pour certains la meilleue d'Ewope®”, Frédéric Il a su insuf- fler a la cavalerie un esprit nouveau, basé sur la recherche du choc que produit la charge d'unités compactes formées en « muraille »?®. Au contraire, la cavalerie frangaise parait loin d'@tve a la hauteur de sa rivale, du moins sus le plan strictement tactique, comme en témoigne sa piette prestation 4 Rossbach. Une étude précise de la charge telle qu’elle est réellement pratiquée par ces deux cavaleries devrait reflé- ter, expliquer ce rapport de force; et peut-étre également permettre de prendre la mesure des limites de la charge a la prussienne, La guerre de Sept Ans a dailleurs suscité chez, les militaires frangais une douloureuse prise de conscience, laquelle contribua a relancer le bouillonnement d'idées et de propositions que T'on avait pu voir s'exprimer aprés 1714. II serait fort étonnant que ces remises en cause ne tou- chassent pas la cavalerie, étant donné la facon dont elle fut surclassée par celle du roi de Prusse, Nous devrions pouvoir en retrouver les traces dans les écrits officiels ct les réflexions des théoriciens (G7) Dogué Mac Carthy, M, La Cavalerte francaise ef som karmachement, op. cit p. 134 (G8) De Week, Hop et, p ILL (G9) Commontant Ia batalle de Plaisance, du 16 juin 1746, voltae se Sjuisait encore de voir que “clef ete canon sont mins meartriers que ne (aen ures a pique et Tipe». J-P Boi, « borne dans Ia baile &Tepoque moderne» in Nowwele histoire batale, Cahiers du Cente d'hadesdisoire de a Diferse, x 9, Wineennes Paris, ADDIM, 199, p-135 (00) 4 Chagniot, Gucr et socdl & Fépoque moderne, PUR, coll « Nowelle Clio», Pans, 2001p. 282-83, (01) « La eavaleri prusienne, gu shusra notamment sous Seydits@ Rosebach, ext devenue Ia elle dupe », G Bodinier ariel « Cale» 3 Corvsie, A. (2ou a direction de), Dictionnaire art et thistore militares, op. ct, p. 186. (02) «Plusews fos au cous dexercices de charge dfond de dew escadrons Fun contre Fauve, des cavalersfurenttués par fa violence du choc.» M. Dugué Mae Carty, La Cavaterie au temps des chevas op. cit, p 116. «Lescadrom dat condut non seulement avec les hommes tr Sitement sere es uns cont eles ares, iter contre der ou mime genou contre geno mal en plas, dans le premier dokclon. ly avait 4 pine um intervaleenre les escadrons»,Delbrick. op elt, . 388. 113 CAHIERS DU CEHD PROBLEMATIQUES TRANSVERSALES I serait également possible, sans abandonner tout & fait la perspective chrono- logique, d'aborder la question sous un angle différent. Peut-étre pourrait-on ainsi envisager séparément les différents aspects d'une charge de cavalerie. Trois appro- ches peuvent étre distinguées: l'approche technique, ou « micro-tactique »; l'ap- proche tactique; 'approche « humaine » (la charge véeue). Approche technique (microtactique) 1. Armement et équipement La question de l'armement, aussi bien offensif que défensif, est évidemment essentielle. Considérons, par exemple, les armes offensives. On reconnait généra- Iement a la cavalerie plusieurs armes: Varme 4 feu, le sabre, 'épée, la lance. Elles ne furent bien sir pas utilisées toutes simultanément. Il conviendra done de déter- miner de quelle maniére elles se suceédérent. Ainsi la lance, qui est l'arme symbo- lique de la charge de chevaleric, ne va pas disparaitre immédiatement, la transition est longue ~ on a voit méme d'ailleurs réapparaitre au xvi" siécle®®, Cela nous oblige a envisager de maniére précise les inconvénieats ot les avantages de chacu- ne, Ieur pouvoir destructeur, afin de savoir quels motifs ont pu pousser les contemporains 4 abandonner l'une pour adopter l'autre, Il est possible pour cela de s'appuyer sur les débats et controverses, peut-étre plus nombreux qu'on ne le pense, qui opposérent les théoriciens et les officiers du temps®®. Nous pouvons également utiliser, au moins en partie, des « grilles » plus récentes, comme celle de IEC. Fuller, qui évalue l'impact d'une arme selon plusieurs eritéres : portée, pouvoir des- tructif, précision, volume de feu, facilité de mise en euvse®. Ainsi, on peut consi- dérer que le pistolet présentait plus davantages que la lance, en ce que son utilisation nécessitait peut-étre moins dentrainement et que sa portée était plus importante. Mais cette derniére assertion n'a pas de valeur absolue, Wallhausen, au début du xvi" siécle, considérait par exemple la lance comme une arme offensive et le pistolet seulement comme une arme defensive, du fait de sa faible portée. Il serait bien stir étonnant de ne pas aborder dans cette partie la question des chevaux. Crest le couple homme-cheval qui « fait » la cavalerie et lui confére 1a mobilité et Ia rapidité qui constituent sa force, Car le mouvement est a Tunité tactique ce que Ia portée est a Ia puissance de l'arme: I'élément primordial, Tant que énergie dont dépendaient les mouvements militaires reposait sur la force musculaire, « énergie du cheval étant plus grande que celle de Vhomme, Vorganisation de Ia tactique était basée sur les possibilités du cheval »®, Tout cela ne reléve done pas de points de (63) Feddévie Ila tinuoduit en 1745; de Week, La Cavaleried ravers le ges, ita SA; p. 116 ‘En ute, Montecuecoli serait plutt favorable, sous eestanes conditions sa stappastion Mémoires de M, de Montéeucli, 9.239. (04) Des auteus comme MAllemand Sehifes, les Francais de Brack et Spate out ual sure les ues castes pr la lance ot sn effiacts pa apport au sabre (@5) Aisi polémigue entre Basta et Wallhausen au sje de a lance. (5) TEC. Fullet, op cit, p. 25-26, (01) H. Delbtek, op. ct, 122. (08) « Cete consideration restavalable aussi longtemps que la potée et le volume de feu des pro~ Jectles demeurirent fsbles et c'est seulement avee apportion da util que le powsoir de résistance den Samtrie dent rafiamment fort pour immobiliser les forces de eavalerie» SEC. Fale, op il, p29. 14 FREDERIC CHAUVIN détails. Le probléme des chevaux fut, par exemple, un des facteurs qui entraina I'a- bandon de Ja lance, puisque usage de cette arme, comme lexpliquait le Pére Daniel, nécessitait de grands chevaux de bataille que les guerres de Religion avaient rendus difficile & trouver”. II ne peut cependant pas étre question d'abor- det le sujet 4 la maniére des spécialistes, mais bien plutat de voir si telle ou telle ceatégorie de chevaux était plus propre a la charge, denvisager en quoi les capaci- ‘és mais aussi les limites de l'animal induisent des avantages et des contraintes. La charge portée par le cheval définit ainsi les possibilités, et plus encore la tactique d'une cavalerie'™™, Du cheval, il serait ensuite logique de passer a Tequitation mili- taire. Une étude de celle-ci, bien sir non-exhaustive, permettrait de comprendre la fagon dont chevaux et cavaliers étaient préparés au combat, ou, plus simplement, quel était le niveau d'exigence que les instructeurs pouvaient attendre d'un cavalier. 2. Liavance vers l'ennemi ‘Une fois les cavaliers armés et équipés, ils se mettent « en marche » pour join- dre lennemi, Mais les choses n'en deviennent pas pour autant plus simples. II s'a- git en effet a ce moment de déterminer & quelle vitesse va avancer Ia tgoupe™™, Et, plus précisément, le galop est-il toujours préconisé? Dans le cas d'une réponse affirmative, 4 partir de quel instant les cavaliers pronnent-ils le galop? Esteil pr férable d'attendre le plus longtemps possible? L'Eneyclopédie rapporte, par exem- ple, qu'une troupe de cavalerie sésolue a charger doit partix au trot 4 environ 1000 pas, aprds 400 ou $00 pas, prendze le galop et a 100 pas s'abandonner au plus grand galop. Des instructions de Frédéric II pour les hussards prescrivent quant 4 elles lune approche au trot jusqu'a 30 pas de lennemi, aprés quoi les chevaux passent au galop, les cavaliers mettent sabre au clair et chargent avec des cris aigus"™, 3. Les techniques de combat Et, puisque nous sommes maintenant fort proches de l'ennemi, il importe & pré- sent denvisager une autre technique, qui nous porte au coeur méme de T'acte de guerre: la technique du combat individuel. Le souci du détail doit ici nous guider. Ce qui apparait de prime abord comme un élément secondaire peut en fait se rev ler essenticl aux yeux des spécialistes et théoriciens. Jean Bérenger nous rapporte par exemple Ia querelle qui opposa Folard a Louis de Boussannelle & propos de la position du cavalier sur son cheval”, Des gestes, des postures savamment étudiges = il nous appartiendra diailleurs de voir si l'étude de ces techniques fut toujours aussi fouillée ~ peuvent peut-étre faire Ia différence au combat, Comme pour les (09) Cité par M. Dugué Mac Carthy, La Cavaliere au temps der chevaus. op eit, p77 (000) Hervé de Weck, La Cavlere travers lex dges, Eta S.A, 1980, p 60. (G01) John Keegan estime, pr exemple, que les chevalits fangais @Azineourtchargeaient 3a vites- se de20 kmh avion, ees euzasiers de Waterloo 255 kh, Anatomie del bata, Robert Lalfont, Pat 1993, p66 et 121 (402) RB. Asprey, Frélre le Grand, Hachete, 1989, p. 346 (402) Le prereset leon det gueses en ure Orientalepropotadasseor tus lsc leur cheval imitation des Tatars, comme sur tabouet. Ce & uci Te socond répligqua que este fagon do combalite ne pouval convent la cavaleie fangs, Le caver rangle ne dit pa ehercher,& Vila “Tata, sallonger ur sa monture pour ateindre et fapper Fadversaie i fat at contaie restr dot su son cheval, les Jambes presque tenes. Voir Jean Terenge, « Lintience des peuples de a steppe su a ‘conception européenne dela guerre de mowemeat et Templot de la eval (V2 siele)», im Rerue Internationale dhistore militaire, 1980, n° 49, p. 40-41 us CAHIERS DU CEHD armes offensives proprement dites, auxquelles cette pattie se rattache de maniére Evident, il ne faudsa done pas non plus craindre de s'étendre dans la précision et Vanalyse pointue. Approches tactiques 1. L'économie de la charge Nous abordons ici un point évoqué & propos des innovations de Gustave Adolphe, celui de "économie de la charge. Voila done la premiére question d'im- portance a laquelle il nous faudra répondre. Qu’en estil des régles, des lois qui régissent Temploi de la cavalerie sur le champ de bataille ou de combat"? Le commandant doit étre capable utiliser au micux l'arme équestre, Il lui faut par exemple déterminer le moment propice pour lancer la charge, Cette décision, il est vrai, exige un degré de lucidité, entre Ie « coup d'eil » et T'intuition pure, qui n’était sans doute pas a la portée de tous les généraux. C'est d'autre part un élément que le commandant en chef n'est peut-étre pas en mesure de contréler tout au long de la bataille, Existe-til cependant, dans le déroulement de la bataille, un « moment » idéal que l'on pourrait isoler et distinguer de maniére systématique? ‘Mais le général doit aussi fixer un objectif 4 cette charge. S'agitil par exemple dobtenir un gain particl, ou au contraire un succés décisif, ou bien encore diex- ploiter un avantage déja acquis afin de transformer un flottement en déroute? Diune maniére plus générale, Jean-Paul Charnay, avee d'autres auteuts, note que la charge de la cavalerie lourde doit provoquer Ia rupture du front adverse. Cela appa- rait dans la bataille napoléonienne, dit-i]. Mais alors, quelle est la doctrine d'emploi de la cavalerie, de la charge, avant cette époque? N'y a-t-il que des mouvements denveloppement ou déja des attaques de rupture? Les exemples de Ravenne"™, Roctoi ou les batailles de Gustave Adolphet™ laissent ainsi penser quill s'agit d'a- bord d'éliminer Ia cavalerie de Vennemi pour isoler son infanterie et concentrer ensuite sur elle ses propres forces. Peut-étre faut-il en chercher en partie la raison dans la place attribuée a Ia cavalerie sur la ligne de bataille. Elle est en effet tradi tionnellement disposée aux ailes et se trouve ainsi face & la cavalerie adverse. Cet ordonnancement s'est figé au xvu* dans ce que Yon a appelé « la routine », contre laquelle s'élevait déja Puységur. Peut-étre n'est-il alors pas inutile de rappeler qu'il niest pas possible d'envisager cette question, et celle plus générale de l'économie de In charge, sans l'inscrire dans la problématique globale de I’évolution de la tactique La question de 'objectif peut également se poser 4 un autre niveau, Ainsi, lorsqu'on (JH) Ta nuance est do Jomin. Fle est fort pertnente car les operations de guere ne peuvent &vi- emment ps Sie rédits aux seules baile rangées (105) Au Moyen Age dia es eodspensaent que le suedsrsidait dan lo choix du bon moment our lancer la charge avec Pasturance de rapper au carur titme de fennemi. Voir John Keegan, Histoire de a ‘Gacrre, collection « Teretote de histor », tad frangase: 6 Dagorno, Pars, 1996, p 357 (108) Nous fitons ic notamment ferns aux problmes dy commandement Let bata font pas raes dans lesquelles les officers de eaalen on ps de eur plein auton, sans en ere 4 leur com- ‘mandant on chef, a bert de deslencher une charge. (107) Ains également qu Cérisoles, le 14 ail 1544, ote choc otal ds infantis ne donnant «qe des résultats nega, Enghien a Tidée une charge de caval enycloppate préfigraion del mance ‘we de Roctl, qu se 16vte écisive, Voir Andé Corvisir (Sous la duction de), Dicnonnaire dart et dhis- foie militares, Pats, 198, atl « Cioles»,p- 178 (08) FEC. Full, Les Batalles dciives de Pater, op. ct p. §S. 116 FREDERIC CHAUVIN charge un bataillon, vise-t-on directement I'élimination « physique » de celui-ci, et done des hommes qui le composent, ou bien s'agit-il de désorganiser son ordon- nance afin qu'il se débande de lui-méme et que l'on puisse ensuite le poursuivre et causer de grosses pertes 4 lennemi? I] peut étre pertinent, pour progresser dans notre recherche, de rester A cette échelle, c'est-A-dire de ne plus considérer l'en- semble du dispositif de bataille ennemi, et done le point de vue du général, mais de prendre une partie de ce dispositif, bataillon, escadron ou régiment, et denvisager {quill constitue Ia cible d'une charge de cavalerie. La troupe de cavalerie lancée dans sa charge va-Lelle alors attaquer préférentiellement un endroit plutét qu'un autre? A la fin du xv" sigele déja, la direction de Ia charge par rapport a Ia « cible » sem ble capitale. En effet, les attaques de flane mettent en danger l'unité ennemie, tan- dis qu'un assaut frontal conduit & une mélée confuse qui peut durer longtemps”, Ainsi, dés la fin du Moyen Age semble s'imposer un principe essentiel: celui de la supériorité des charges de flancs, Il nous appartiendra bien sir de tenter de vérifier s'il est fondé et récurrent pour toute la période qui nous concerne™®, 2. L'ordonnancement des cavaliers Les chevalicrs chargcaicnt en haic, sur une scule ligne. Au début du xvi" siécle, les Frangais conservaient cet ordonnancement. Puis, au cours de ce siécle, lesca- dron, dont les reitres semblent étre les premiers a faire usage, simpose comme ‘unité tactique, Cotte transformation se traduit bien évidemment par une réorgani- sation de l'ordonnancement des combattants, qui se wouvent désormais rangés sur plusieurs lignes. Le nombre de range ne cesse diailleurs de diminuer jusqu'au xvur#, Le nombre de rangs sur lesquels on doit ranger les cavaliers dans l'esca- dron, cette évolution, tout comme celle qui touche la disposition des escadrons dans la ligne de bataille, semblent avoir fait objet de querelles virulentes et récur- rentes tout au long de notre période. Le sujet parait sensible, il faudra done s‘inter- roger sur limportance effective de ces questions quant A la réalité du combat. De la méme maniére, enfin, on ne pourra faire T'économie d'une étude des avantages comparés de lordre serré, en muraille, cher a Frédéric II, et de ordre lache, « en fourrageurs ». L'examen de organisation tactique ne peut se limiter & ces perspec tives, il faut changer d'échelle, pénétrer plus encore au coeur de 'organisme de com- bat et se rapprocher des hommes. On peut ainsi tenter de mesurer Timpact de Vencadrement des hommes de troupes au combat. II semble par exemple que l'on ait pris Phabitude, dans la cavaleric frangaise du xvur, de prélever des hommes dans Yensemble du régiment ou de la brigade pour constitucr les unités combattantes, et cela afin de xépartir les risques de pertes. L'inconvénient d'une telle pratique est (000) De Week, opt, pM. (10) A Motivitz, par exemple, c'est encore une charge menés par Roemer sur le lane des dix esea- dons de Schulenbuyg qui Ehanle tue Tale droite prusscane et manque de faire peste le batalle Schulenburg stat mal diploé A Fexteemité de la ign de bata, oulut effectuer une conversion afin do ‘= mete en potion dialtage, C'est alors ql mancuveait ql ft chargé par leu Autichiens ot ascii som lane, «En vain essae-il de fare voter se lignes embarrassés.Latempete ennemie dere au grand galop eu 2eshignet |] Sex rang élatnt comme um chatea de cartes», RB. Asprey op. ct, p. 189-190, (11) Hervé De Week nd compte rommarement devolution da nombre de range dans I eval tie fangsise: ix rans sos Hen ne six eh ous Tear TV, pi entre toi t cing sone Losi XIE ot efin dur & paride 1796. De Week, op. ct, p15 7 CAHIERS DU CEHD que les officiers ne connaissent pas leurs subordonnés et n'ont pas 'habitude de tra- vailler ensemble 3. Le contact ‘Act instant de notre questionnement, il semble opportun de se demander si les charges se concluaient systématiquement par un contact direct avec Tennemi? Plus précisément, le choc, souvent présenté comme un des forces essentielles de la eava- lerie a travers « effet bélier», tail réellement recherche lors des charges” Mais Ton peut également sinterroger plus avant. Le choc existe-til? Est-il méme tout simplement physiquement possible? John Keegan semble faire écho Ardent du Pieq lorsqu'l décrt lee combats entre cavaleries & Waterloo, Il tend ainsi & uancer tubs fortement los témoignages rapportant le choe frontal de deux corps s'avangant Tron vers Tauro av galop. Invoquant Ie « simple bon sens », ect auteur souligne aquane eavalerie montant lassaut « comme un mur», et de surroit au plein galop, Mobtiendrait pas grand-chose, « um fas informe d'hommes et de chevaus en piteu état), Comment faire ensuite Ia part dt combat colletif et du combat indivi- duel? Michel Dugas Mac Carthy remarque ainsi qu’a 1époque of se pratiquait Ia caracole, dans les combats entre cavaleics, les deux partis s'abordaient au galop, chaque cavalir utilisant successivement ses deux pistolets en tirant 4 « brilespoure point », puis on mettat lépée 4 Ia main et laffaire se terminait au corps a corps dans In plus parfaite confusion", John Keegan observe également qu'a Waterloo Je combat singulier fut exclusivement affair de la cavalerie se présentait comme le prolongement de charges qui perdaient leur vigueur initia- Ie et finiseaient dans le désordre™™, Le combat individuel interviendrait done comme une conclusion de Ia charge. ‘Mais celle-ci était-elle alors condamnée & se terminer dans la confusion du corps & corps? 4. Pour quels résultats? On peut tout d'abord estimer le résultat d'une charge, en mesurer impact, en fonction du critére des pertes. Laurent Henninger évoque ainsi, pour expliquer len gouement des conscrits de Empire envers les régiments de hussards, les carnages des charges frontales dans les batailles, lesquelles étaient plutdt réservées A la cava~ lerie lourde, Les champs de bataille de la Révolution ct de I Empire semblent en cffet parsemés de ces grandes charges épiques et cofiteuses en hommes, Il fau- drait alors étre capable, de la méme maniére, de présenter pour la période (112) De Week, op it, p 132. J-P Hoie not également propos de cer offices « eneadrement oilers subaltenes ou barofiiere, ils coneitnt «le malo eaentel de a tale, parce quis sont 1a taison indhspensable ene le commandement ela roupe ». « Approchehistorographque de Ia fatigue & époque modetne», in Reve historique des Armées, n° 2, 1997, p.24 (113) Toba Keegan, Anatomie dela Bataille, Robes Lafont, Pais, 1993, p. 120, (114) La Cavolerc au temps des chevaus op. eit, p- 7h (15) Fon Keegan, Anatomie dela bataile, Robert Lafont, Pais 1993, p. 117, (116) 1 Keegan soulgne Ini le caactve plus inoffensif de Yafftontement entcecavalies, méme loxsque ses source dbcrivent I momcat dela charge ct choc Il ffs sins qu mine « que engage- ‘ment del cavalerte ne fintsaeen une série actions indvidulles, elle ne présental pas grand danger.» Ibid, p22, 18 FREDERIC CHAUVIN pré-révolutionnaize une estimation des pertes subies lors de quelques grandes char- es par les deux cétés, afin d'appréhender, a la fois, les dégats que pouvait effecti- ‘Vement occasionner une charge dans le dispositif ennemi et son « rendement » en termes de vies humaines. Il est également possible de mesurer l'efficacité des char- ‘ges en questionnant une échelle tactique différente, c'est-A-dire en évaluant leur role dans le gain ou la perte d'une bataille L'approche « humaine » 1. L'aspect social La question pout tout d'ahord étre abordée sous Vaspect socal ot culture. Jean- Pierte Bois rappelle ainsi, & propos des bas-officiers, que « ce quils son, e plus lar- gement leurs origines sociales, leurs carriéres |...| deviennent alors des éléments constitulfs du schema tactique »*?, Cette question de Vorigine sociale état de toute premigre importance pour certains auteurs, qui réclamaient par exemple que Ton feerutat pour la cavaleric un plus grand nombre de jeuncs hommes issus es cou- ches paysannes, davantage habitués aux chevaux et réputés plus dociles et plus robustes. Le probléme du courage peut sans nul doute également sexprimer dans le champ du véou social. Faitil considéxé comme Vapanage d'une élite, don de la haissance!*” Dans Laffirmative, il semble intéressant de s'intersoger sur Ia patt relle que tenait la noblesse dans la composition de la cavalerie™. Et la cavaleric, héritéte, sinon des méthodes de combats des chevaliers, du moins de certaines de leurs valeurs, Thonneur, la valeur ou le devoir, 'étaitelle pas généralement consi- dérée sinon comme plus « courageuse » que Tinfanterie™™, at moins comme tne frme plus « noble »? On le voit, il emble également impossible de ne pas aborder le domaine des représentations avec une arme aussi chargée de valeurs et d'heri- tages (117) TP Bois, wy des Armies, 2° 2, 1997, 24 (11) F Acke nous présente ainsi Vauvenatguesadhivant 4 Tdéal de glote muita de sa east et potant le courage ee dévouernent comme valeurs eetentelles de a noblesse, Rapport social au courage ue Ten retrounve également chea Challe pour qui nner et Fenigence de couage, qui nexcut pas la petals fmpligue de la dominer, sont des sentiments exclusile dune shte epee. Lidrmee au Wir sce collogue EAixen-Provence 199, Ai, 1999, (19) Divereesordonnancesprétendient limiter et «intrusions» de rotrers Aisi, dé 1579, Pune elle serve les places de gendarmes dela garde des geatishommes ayant serv au moins tois ans. Léa 4 1600 enjint de laccepter dans les compagnies de gendarme dordonnance que dee genishommes ov des ‘ens ayant serv dt ans. A. Corvisies, Armes ef océts en Europe de 1494 a 1782, PUE Pats 1976, p76 ‘Atetioncependant aux farcecmblants, E.G, Léonard «ainsi monté que la dichotomi qu tft a sein da ‘corps ds officers au xvur sel est moins fonde sur Toppositionnoblsslrture que sur la fortune. dre cl ses problomes au sr ile, Pais, Plo, 1958. ie hisorographigue de la tactique& Pépoque modern », Revue historique (020) Lingus, comme Vola, reretit que «Tes combatants ne sapprockent plus |] La force, adress, la nempe dee armes mimes sont imuler A pene une seule fot dans une gucrre se servon de [a Daionnete, quale sot a plue terrible des arms». 1. Rey « Dy vodstmachine & Ia machine-tol- atin LArmie aus sécle, olloque @An-en-Provence 1996, A, 1999, p82. Or la eavalene, df ‘ime de son mode de combat ~ si Yom fit abstraction de la caracole et tae Copies os rapprochement, day apa ou peu ds combat & distance. Ele conserve done une dnension «héoiguem ui semble fie deft ‘Tinga ax youx de certains contemporain. 119 CAHIERS DU CEHD 2. La psychologie du cavalier Nous abordons ici un domaine que Uhistorien de la guerre ne peut négliger, sous peine d'amputer son étude d'une de ses dimensions essentielles. C'est celui que Hervé Coutau-Bégarie nomme le « combat élémentaire », et quill distingue de la simple tactique Crest Ia sphire dans laquelle les ealeuls savants peuvent se briser sur des réactions primaires incontedlables*™. Ce combat élémentaire fait d'abord appel a la force et au courage, éléments sans lesquels la tactique reste vaine!™, Comme le souligne Jean-Pierre Bois, V'historio- graphic moderne n'a peut-étre pas assez. insisté sur le degré de courage, de ferme- té morale qu'exigeaient des soldats les effroyables batailles rangées des guerres Ancien Régime”, Ces facteurs, qui tiennent 4 la psychologic du combattant, doivent étre pris en compte pour apprchender la réalité d'une charge. Tout le succés dune charge reposait, affirme ainsi Joan Bérenger, sur « Je courage physique des cavaliers, car un flottement dans Vescadron au moment du choc permetiait é Vadversai re de rompre Ia ligne, de provoquer la débandade »*9, 1] pouvait aussi arriver, lorsque deux partis de cavalerie se chargeaient, que l'un des deux ne se sente pas la force d'encaisser le choc et fasse demi-tour avant 'abordage. Lun des deux adver- saires a-t-il done montré davantage de volonté de vainere, ou l'autze s'est-il laissé dominé par sa peur? Comme John Keegan l'avait fait pour Azincoust et Waterloo, Olivier Chaline tente d'appréhender ces sentiments & propos des combats de la Montagne Blanche. Il y observe une réelle réticence vis-a-vis de la mélée de cava- lerie. Elle est, selon lui, un symptéme qui en dit long sur lappréhension que res- sentaient face & cette forme de combat ceux dont c'était pourtant Ia spécialité, Pour résumer, l'étude de la charge « vécue » confirme-telle Ia prégnance au coxur du combat d'un « esprit cavalier », que ses composantes fussent psychologiques, socia- les ou culturelles ? Esprit que l'on pourrait tenter de définir comme un ensemble de qualités — esprit offensif, audace, jugement rapide — et de défauts ~ négligence dans Ia préparation des opérations, conservatisme, attachement excessif a la technique Equestre — qui font loriginalité du combatant & cheval", Et celui-ci induit-il & son tour une certaine maniére de combattre et de considérer Ie danger, rendant Ia comprchension d'une charge de cavalerie irréductible 4 de simples considérations tactiques? (021) H Coutau-Bégarie,Taté de stratépe, Beonomics, Pass, 1999. 102. (122) « Lasclence qu'on nomme tacique a bien 24 raison tre; mats ele et vain le courage, Vardeur,lavoloté de vaincre waniment pas les combatants 1 Colin, Ler Transformations de la pucre, Pans, Beonomics, 1987, p 7. (123) « Le Bruit des arms, la poussire tla fumée, Uatente et a peur Vodeur dela pore Vo dour i eang, donner la mort et voir dee camarades la revoir: i falas! que les soldateeustetsosven! une vertu rare. « Approchehistriogrphigue de la tactique&Lepoque moderne», Revue historique des Armées, 2.1997, p. 24 (124) Bt plus encore, « Tureme prétendat gaps deux charges mpuissates& rompre la ligne enmemte, if valat mic ae reply.» 1 BStenger, Tucane, Fayard Pais, 19, .$19-520. (025) «Sie cavalier ext granié de nombres difts. om ul reconna uss des quaitéscertanes, ies et nécessares aux missions de son arme |] Ces VensemBle de ces qualita et de ces dfs gu cons- twen Fespit cavalier» . G. Bodine, dans A. Corvisit (dit), Dictonnaire dart et histir militares, Pai, 1988, atele « Cavalese», p 159. 120 FREDERIC CHAUVIN PERSPECTIVES La question de Vexercice de Ia eavalerie Quels que soient le choix et les armes d'un soldat, ses exercices doivent étre Ie principal objet de vos soins, sinon vous nen tirerez aucun parti utile™*, Une troupe ne peut étre efficace si son instruction est défaillante. Les chevaliers consacraient 4 cet entrainement une grande partic de leur temps, l'eserime de la Iance 4 elle seule nécessitait un long apprentissage. Comment Ia cavalerie du XvuK sidcle envisageait-elle les exercices qui préparent les unités au combat? De méme que les réglements qui établissent la conduite 4 tenir sur le champ de bataille? évoquerais d'abord rapidement la question de 'équitation, puis nous Evoquerons plus précisément le probleme sous langle du rapport a a réalité du ‘combat. Pour qu'une unité puisse aller au combat, il faut d'abord que les hommes ‘qui la composent sachent monter a cheval. La préparation passe done évidemment par 'équitation. Les recrues étaient dabord entrainges individuellement aux diffé- rentes manceuvres, puis par deux, par quatre et ainsi de suite, jusqu'a la formation cen pelotons, et enfin en escadrons. Mais toute la question est de savoir quel conte- nu Ton doit donner cet enseignement, quel niveau d'exigence peut étre envisagé, Il s'agit 1a d'une question récurrente, M. 'Autheuil notait en 1740 qu'« un des prin- ‘cipaux obstacles qui s'oppose @ la perfection de notre cavalerie est le défaut d'exercices habituels et fréquents ». Défaut qui tient principalement, selon Iui, aux soucis des capitaines de préserver chevaux, selles et équipages, ct qui a pour conséquence que «Les officiers et cavaliers ne savent pas se tenir @ cheval. Les premiers n’en ont méme ‘pas et sont obligés d'en louer ou den emprunter ou de démonier leurs cavaliers 9, Un niveau d'équitation beaucoup trop insuffisant done pour d'Autheuil. Pourtant, Drumont de Melfort, dans les mémes années fait, Ini le procés de « I’équitation d'é- ‘cuyer ». C'est-a-dire une équitation qui viserait sans douie davantage 4 produire une cavalerie de prestige et de parade, et s'avére inadaptée aux besoins réels des cava- liets, presque contre-productive. La deuxiéme moitié du sidcle vit-elle se résoudre le dilemme de léquitation militaire? Rien n'est moins sir, si fon en croit le Mémoire sur la nécessité d'établir une seule école générale d’équitation, sans doute Gerit par d’Auvergne trente ans plus tard. I] y regrette la fermeture des écoles d’ ‘quilation, tout en reconnaissant qu'il n'y a pas eu d'uniformité dans ces écoles et que « Von y a exigé beaucoup de choses inutiles, comme si 'on avait voulu former des deuyers plat que des hommes de guerre »\. Le comte de Guibert, dans son Essai général de tactique, avait dailleurs, trois ans plus tt, déja stigmatisé le manque d'u- niformité des prineipes d'équitation enseignés dans les écoles, Il regrettait égale- ment que les legons « ne conviennent ni d lespéce de nos cavaliers ni d celle de leurs (026) Machiavel LAr de a guerre, in Gres complies, La Pine, Gallimard, 1954, p. 766 (027) SHAT, Mémoires ct Reconnaisances, IMIT34, 87, « Mémeite concernant la xvalere», a 2M. D'Autheull, 1740 on 48. « Les commandants de corps les [exerices] ordonnaieat comune il jugcaeat & propos ou comme leur inet personnel. Aujourh quis noo plus de compagnie iss rendent atx plain- tes des eaptaines qui lou teprésestent sana eesse que chaque fis que Ton monte & cheval i leu eb ote ‘liver ou 5. Soit parce que les cavalier ou chevatx tnt bless, sot pate que lee elles ot quipages sont ‘ass ou bien que le chev marist,» (028) SHAT, Mémoires et Reconnaissance, IMI732, £94, « Mémoire sur la meen tbls une seule cole géntrale equtation » sans doute par M. & Auvergne, 1775 121 CAHIERS DU CEHD chevaux ni au temps qu‘on peut employer d leur éducation »™, Le licutenant général de Castries, inspecteur de la cavalerie, séeumait assez habilement le probleme Pas d'équitation pas de cavaleri, trop d'équitation pas de cavalerie, non plus. Entre le trop et le trop peu, il semble que l'on ait cu du mal & adapter 'équita- tion aux réalités du champ de bataille, a ce que l'on pouvait exiger du cavalier, 4 ce quil était utile d'exiger de lui, Quien est-il alors de I'escadron pris comme unité organique. L'instruction et les exercices préparent-ils les escadrons & faire face aux conditions de combat, aux situations du champ de bataille? Une premiére consta- tation s'impose, Plusicurs auteurs remarquent ainsi le « retard », ou tout du moins Vinfériorité, de la cavalerie par rapport a Vinfanterie dans ce domaine. Si, au camp de la Meuse, en 1727, Belle-Isle se montre satisfait des manoeuvres de 'infanterie, il ne ménage pas en revanche ses reproches a l'égard des officiers de cavalerie Ceux-ci maitrisaient en effet a peu prés l'exercice général, mais la plus effroyable confusion régnait dés que les escadrons devaient simuler les évolutions quils auraient A préparer a la guerre!®. En fait, la lecture des instructions, manceuvres ct autres projets d'exercices fait naitre une curieuse impression. Le projet d'ins- truction de 1733 mentionne les évolutions élémentaires, précise avec force détails les commandements & exécuter lors d'une inspection, évoque T'allure. Mais jamais fn ne trouvera de préparation au combat proprement dit. Vingt ans plus tard, T'or- donnance de 1753 ne va guére plus loin, Elle prévoit d’exercer les troupes a la char- ge en plagant deux escadrons en face I'un de l'autre, Celui qui doit tre battu fait demi-tour a droite par homme et se retire au galop. On prescrit que Ia troupe qui doit étre repoussée aura le mousqueton haut tandis que l'autre attaquera le sabre & Ja main, fagon de montrer Ia supériorité de 'arme blanche. Témoin de ces imper- fections, stigmatisant aspect peu réaliste des exercices, La Porterie souligne par exemple, en 1754 encore, la nécessité de pousser plus loin l'exercice visant 4 faire charger deux escadrons, pour montrer aux hommes ce qu'est un combat réel de cavalerie™. Il précise quil serait bon quien allant l'un & l'autre le sabre a la main « ils [les cavaliers] exécutassent le simulacre du coup de sabre ». Ce souci du réalisme dans l'exercice se manifeste encore chez quelques autres officiers, comme Chabo™? et Melfort. Mais on ne peut pas dire que cette préoccupation soit réel- Iement répandue, ni qu'elle se soit concrétisée. De telles observations nous permet- tent de prendre la mesure de Vefficacité de la préparation au combat des cavaliers frangais. Les évolutions et exercices conduits lors des maneuvres ne permettaient pas de se rapprocher des conditions réelles de la charge, Tout se passe comme si la (129) 1B. Charney, rite sratépgues de Guibert, p. 294 (130) 1 Chagait, Guerre er sacietd dla UBurope moderne, Nowvelle Cio, PUR 2001, p. 195: Mem, et Recon, 1809 (4), fol 117, (11) SHAT, Memoies et Reconnaissance, IMIT32, 6, Observation sur Tordonnance de 1753 rele tive aux exereices, par dela Portis. (132) Das un pln guil deese pour Fexerice dune troupe de SO mate, le chevalier de Chabot pr ent que « quelque rigle que l'on pulse donner pour manauser ele ne saura! approcker der évinements «de guerre que fort mparaiement ». SHAT, IM 1734, 90 « Plan que propos le chevalier de Chabo pot sxereer In cavaleie 1788, (133) SHAT, IM, 1731, 6, «Hse sures évolions de Ia cavaleie», 1748, «ext bon mms nse to-til, que lee cavalics les choquent Is wn conte ls ates pour aecoutumer lee chevae ax lights de ett anne, ce afin qui puiseotprende eux mime, ane qu ee eunes offices, quelque ide dun combat el de exvalete 122 FREDERIC CHAUVIN réflexion des institutions militaites sur le combat de cavalerie s'arrétait 4 quelques toises de V'ennemi. La direction dudit combat serait donc laissée a Initiative = improvisation - des cavaliers, et plus particuliézement des officiers qui les enca- drent et les entrainent. On imagine alors aisément les conséquences de cette instruction sur des recrues engagées pour la premidre fois dans une véritable char- ge. Cette impression est confirmée par M. Desbriére. L'ordonnance definitive de 1755, précise-t-i, ne vise directement ni le combat, ni les allures ni la charge. Cet auteur pousse d'ailleurs plus loin son analyse On ne peut imaginer dexercice plus faux et plus dangereux que cot apprentissage de Ia défaite L'instruction et les exercices auxquels sont astreints en temps de paix les cavs licrs du milicu du sigcle sont, en effet, non seulement peu vraisemblables mais, encore ils les accoutumeraient a la manceuvre de retraite, affaiblissant par-la méme esprit de combat et les prédisposant ainsi 4 la fuite et la défaite™. Est-ce parce aque l'on no parvenait pas a déterminer son réle dans les combats que l'on ne savait pas trop de quelles armes la doter ni quelles manoeuvres lui enscigner ou, au contraite, est-ce a paralysie de la réflexion au plus haut niveau qui empéchait de définir des moyens et une doctrine d'emploi clairs. Il ne fait en tout eas guére de doute que la relation doit étre trés étroite entre les difficultés parfois rencontrées par Ia cavalerie sur le champ de bataille et les titonnements constatés dans le domaine de instruction, On peut par exemple évoquer, a Fontenoy, la diffieulté qu'eurent les cavaliers A maitriser leurs chevaux, effrayés par le feu de la colonne anglaise, ainsi qu’ charger en ordre lors de lattaque décisive, Dans le méme temps, Frédéric soumettait sa cavalerie a un rude entrainement. Michel Dugué Mac Carthy remarque ainsi qu'il arriva plusieurs fois, au cours d'exercices de charge & fond de deux eseadrons, que des cavaliers fussent tués par la violence du choc. Bt cela ne s'améliora pas aprés la guerre de Sept Ans. Jean Chagniot note que, depuis le réglement de 1766 jusqu’a celui de 1788, les cavaliers francais furent initiés a des Evolutions de plus en plus compliquées, au point que le souci du détail finit sans doute par éclipser I'intvition tactique™®. La « Grande Charge » ‘Une image ts forte est généralement attachée au combat de cavalerie: celle, pique, de Ia charge au galop, crinigre au vent ct sabre aa clair, Mais cette image, de, ce que j'appellerais Ia « grande charge », estelle autre chose qu'une image Gpinal? La question se pose daillewrs aussi bien du point de vue de Valhure que 4a point de vue de Tarme. Au xvr siele, Ia chevaleric devient cavalerie, Varme Squestre se diversific, Elle s'adapte aux évolutions de Part militare. Une parte de cette cavaleric adopte notamment les armes qui ont contribue en partie at reno veau de linfanterie: farme 4 feu individuelle, et notamment le pistolet a rovet, La tactique qui permet dexploiter au mieux la puissance de feu de la cavalerie est ia caracole, qui est a lacavalerie ce que la contte-marche est a Vinfanterie. Mais cette (034) Desbrre, H, Sati, M. La Cavaleri de 1740 41789, BergersLevrlt, Pans, 196, p, 20-21, (235) M. Dugué Mac Cathy, La Cavaeri temps des chevaus, p16, TLexigent également que les exerices alent Lie sx fos par semaine. La eavalesiefrangase eat frt loin de cette quence. (036) 1 Chagniot, Guerre et sociéd Pépoque moderne, op. et, . 197, Tan Cagniotrenvoie 4 ce jt an jugement de Frangoi Davont, 123, CAHIERS DU CEHD tactique rend trds difficile V'attagque au galop. Méme si les cavaliers sont armés de pistolets 4 rouet au lieu de pistolet 4 meche, il semble tres difficile de viser effica- cement sur un cheval au galop. Doit-on pour autant penser que la maniére tadi- tionnelle de charger fut abandonnée simultanément? Sans doute non. Hans Delbrtick note ainsi que « les escadrons montés de pistoliers ne se substituerent pas ‘purement et simplement aux chevaliers et @ leurs auxiliaires, mais les deux méthodes de combat coexistérent, se confrontérent l'une d V'autre, d la fois pratiquement et théori- quement ». Deux modes de charges vont alors coexister. Lun avec des cavaliers armés de pistolets, principalement sous la forme de la caracole, laquelle n'exeluait ailleurs pas, une fois la décharge faite, l'utilisation de 'épée pour fondre sur len nemi ébranlé par le feu; T'autre a la Iance ou 4 I'épée, la question faisant l'objet de vifs débats dans Ia seconde moitié du xvr' sigcle, La Noue témoigne de cette coe- xistence en évaluant les mérites comparés des pistolicrs allemands ct des lancicrs frangais. Acteur et témoin de cette période, Tavannes, qui préférait Ie pistolet & la lance sans tre pour aulant un partisan inconditionnel de a caracole, conscillait plutat, pour ce qui est de V'allure, de faire avancer l'escadron lentement, de s'arré- ter fiéquemment pour garder sa cohésion et ne pas permettre aux laches de quitter la formation, et de prendre un grand trot ou un petit galop dans les quinze derniers «paces »"9, La Noue reprochait dailleurs aux lanciers francais de prendre trop tot le galop ~ mais était-ce un grand galop? — et de se désunit. Période complexe que ce xvr' sidcle, marquée tout a la fois par le développement de la charge au pistolet et la survivance relative de la charge traditionnelle 4 la lance, notamment dans la gendarmerie frangaise. Mais il n’en reste pas moins que la charge reste appa- remment bien éloignée de l'image de la « grande charge ». Selon la problématique traditionnelle, cette phase aurait perduré jusqu'd Gustave Adolphe. Le souverain suédois exigeait de sa cavalerie qu'elle charge au sabre et au galop sans préparer Vattaque, Toutefois, les travaux de certains historiens tendraient & nuancer quelque peu le caractére véritablement novateur des réformes suédoises. Dans son article sur l'évolution de Ia tactique des armées frangaises entre 1560 et 1660, John Lynn affirme ainsi que, si les cavaliers d'Henri IV, 4 Coutras et Ivry, utilisérent d'abord leur arme a feu, ils chargérent ensuite l'arme blanche et au galop. Ainsi, vers 1600, les Francais étaient déja sur Ia voie des tactiques préconisées par Gustave un quart de sigcle plus tard”, Il reste ensuite a s‘interroger sur la posterité des réfor- mes de Gustave Adolphe. La charge au galop et & Iarme blanche devint-elle la regle? Lors de la bataille de Rocroi, en 1643, la vigoureuse charge du duc dEnghien, qui, vietorieux 4 Vaile gauche, contourne les lignes espagnoles pour secourir Vaile droite pourrait sans doute nous le faire exoire. M. Dugué Mac Carthy (037) H. Detuek, etry ofthe Art of War, Univesity of Nebraska, Lincoln et Lond, p. 126, (038) sbidem, p. 128. Un capteine gui cowvraltquinze «paces» au galop sans peter ateation aces soldat courait le ique dattagues sel (136) Wallaueen ze faite dfenseur dela lance dane son owvzage Lt mile @ cheval, publé eo tet. (140) 1A. Lynn, «Tactical Evolution inthe French Aumy », in French Histrlal Shades, XIV, 1985, p. It Jan Chagnotabonde dane ce sens: « C'est d Henri de Navarre que revent le mérte diver renou lec la charge de cavalerie aux dipens de la earacole Couras ef Tsryw. Guerre! soi poque moderne, Pani, PUE, 2001, 279 124 FREDERIC CHAUVIN nous invite 4 davantage de prudence. « Personne, dit-il, ne sut tier les legons de Rocroi. » Plusieurs éléments semblent aller dans ce sens. Dans son Dictionnaire de farmée de terre, paru au xix° siécle, le général Bardin affirme que, sous Turenne et dans la guerre de 1665, « la cavalerie ne chargeait encore qu‘au pas et quelquefois elle arrétait une charge entamée, s‘arrétait @ 10 pas faisait fou et ressaisissait Vépée pour fournir la charge d fond ». Et si, quelquefois, une troupe chargeait au galop, on disait aussi « en fourrageurs », etait sans s'astreindre A garder V'alignement et les intervalles!™®. Le maréchal de Duras, dans une lettre & Louvois datant d'avril 1689, confirme cette impression d'hétérogénéité des pratiques. Le ministre semble vou oir régler la question de l'arme a feu et de I'épée en tranchant en faveur de la secon- de, Le maréchal recommande au contraire dialler 4 la charge le pistolet ou la carabine haute avec l'épée pendue au poing, et, ajoute-til, « je sus persuadé que si Ton se fait une régle de ne mettre que l'épée a Ia main, de cent escadrons qui iront @ la ‘charge et qui seront attendus par Vennemi, il n'y en aura pas deux qui les abordent qu'en ‘confusion, et par conséquent seront battus », I] faut toutefois savoir s'adapter aux circonstances; ce n'est que dans le moment que se décident ces choses. Il a dailleurs vu Turenne et Condé user de toutes les maniéres de charger. Puységur affirmait également que, jusqu'a la guerre de Hollande, la pratique de la caracole survécut dans la cavalerie francaise Les escadrons se chargeaient & coup de mousqueton, puis ils faisaient caracole et aprés avoir toutné, revenaient & la charge, soit pour titer de nouveau soit pour char ger Uépée a la main IL ne semble pas, malgré Gustave Adolphe, y avoir d'uniformisation des pra tiques de charge au xvu", surtout pas de monopole de la « Grande charge ». Comme au xvrr, la diversité, aussi bien de l'armement que de V'allure, marque la période. Quelques éléments se dégagent cependant. Tout d'abord, la lance a disparu, bien aque certains, comme Montecuccoli, le regrettent™, 1] semble aussi qu'en France ‘on tente de réglementer la charge’, aux dépens du pistolet et de la caracole. Cette évolution a-telle connu un aboutissement au xvut siécle? Pour Velimir Vuksic, deux grands capitaines, grands cavaliers, se démarquent au début du xvmr sigele Marlborough et Charles XII. Ces deux hommes ont en commun leur vision de la charge de cavalerie: une charge menée a I'arme blanche, en exploitant la vitesse duu (41) «Let grand eaprite mlaies, loin de recherche le mayen dutlser la vitesse et le mouvement, se préocenpent de svoi ule eo lameileare formation permellans Vinfenterie dlser ex eas la pis ance de few acerue dese fusile La guerre de siege ele sous de ser batale sur une «borre poston » re font gu aggraver le grit de a avaleic » M. Dugas Mae Carty, La Cavalerieransaie et som ar rachement, Maine, Paris, 1985, p. 134 (042) Bardi, (ga. baton), Dictionnaire de Varmée de tere, pa le général baron Hardin, Cores, Pass, 1848, (048) Letue da maréchal de Duras & Lowvos,dtée du 26 avi 168, ctée dane Guorre paix dane Ewope du xr sic, exes et documents, Sees, Pats, 19, p. 167-170. (144) Puystgur L'a deta guerre par princips et par régles p. 252 (045) «a lance est a reine des armes pour la cavalerie, comme la pique pour Finfanterie. Mais ta tigiclt aon aver de Uentreteny at de sem servir nous a fait abandonner Vusage ». Mémeizes de ‘Montecueel, vl. Ip. 17. (146) Le marcha de Dara expine ton scepicisme quant dl pst des glemente en mate de tactque: «tout ce que Ton peut imsinuer ax oupes de cent my ena pas deux gus Tenceuent ecela a de dle tout temps et sent». Op et p. 169. 125 CAHIERS DU CEHD cheval. Ainsi le roi de Suéde remit a Phonneur la charge a I'épée, qui s'était perdue depuis Gustave Adolphe, réservant les armes 4 feu pour les cas exceptionnels. Il entraina ses escadrons 4 'attaque au trot accéléré, les cinquante derniers pas étaient alors parcourus au galop'"*?. Mais Velimir Vucksic reste sceptique sur l'influence & long terme des deux hommes. Pourtant, il y a tout lieu de penser qu'une évolution est perceptible. Ainsi Puységur, que nous avons eité précédemment, mentionne qu’ partir de la guerre de Hollande, les escadrons se chargent en se joignant de front et 4 Tépée™, D'autre part, la lecture de plusieurs mémoires dofficiers ou de projets ATnstruction frangais de la premiére moitié du xvii" sigcle mlincite a penser qu'il est au moins une chose sur laquelle ces militaires francais — qui, par ailleurs, se déchirent quant au nombre de rangs ou de compagnies dans l'escadron ~ se mettent progressivement d'accord, c'est linutilité du feu. Ainsi Villars, dés 1701, affirme la nécessité de charger l'épée a Ja main sans tirer”. En 1732, au camp de Richemont, Ie comte de Belle-Isle prescrit qu'une ligne fera usage du mousqueton I'autre du sabre ct que la premire, aprés avoir fait sa décharge, sera par le fait méme censée étre battue et foreée a faire demi-tour™. Enfin, en 1754, Boussannelle rappelle que bien de gens sont dans l'idée que la cavalerie ne doit jamais tirer, et, affirme- il, « je suis dans ce principe plus que personne »'). L'usage du feu semble en gran- de partie abandonns*™, Cette évolution de l'armement en faveur de 'arme blanche trouve-t-elle son pendant au niveau de I'allure ? Débarrassée de lusage de l'arme 4 feu, la morphologic de la charge aurait di gagner en fluidité et Vescadron en vites- se, Or il nous faut constater que cela ne semble pas étre le cas. Nous avons vu qu’ plusieurs reprises 'usage du galop est évoqué, méme au xvi siéele, Pourtant, un projet dinstruction rédigé entre 1735 et 1740 précise que, lorsque 'escadron, la main, « sera d cinguante pas de V'ennemi le commandant le fera aller au petit trot et @ 15 pas il le mettra au grand trot observant de ne pas laisser prendre le galop auc chevaus, ce qui désunirait l'escadron »°*, En 1753 ou 1755 encore, un mémoire sur instruction préparé par les inspecteurs généraux de la cavalerie officialise cette pratique La troupe doit marcher & 'ennemi dans le meilleur ordre et le plus lentement quill est possible [Jet lorsqu'il ne sera plus qu'a 60 pas il fera sonner la charge et s'avancer au trot, (LT) ¥. Vie, 7. Gtbasie, Lifge or de ta cavlere, La biblothique ds as, Paris-Laueamse, 1989, p68. (148) Mais, itustation malgeé tut dela persistance du feu, le maxéchalsjute que deux eteadeons ai marchent en dane ot chargent & Tepe peuvent, avaat doo jindr, wile Frme& fu, comme Ta fuiméme wu faze, Poységur, opt, p 253, (149) SHAT, Mémoires et reconnaissness, IMLT2S, PL (150) Desbrizes t Sau, La Cavalerie franaiee de 17404 1788 9.9 (151) SHAT, 1M 1738, P99, « Observations faites par M, de Boustannll,capitaine au régiment de ‘Beauvillirs sur le eamp dela Sarre, pésentes 4M. le comte @Argenson. » (152) Mais Fags de eo, ies bien condemns parde nombreux alcur, pour subsist dans une cestane messce, das In paige de a charge. Astle regrets ins qe la methode de charger & Tame blanche « ne soir pas la plus sive; surtout lee érangers ne ka pratique gue rarement ». Op. ch. 307 (153) SHAT, 1M1734, © 83 «Projet instruction sur les Evolutions et exercces del avaetie», par (ME de Mrtaigne ete 1785 et 40. (0154) SHAT, IMI734, F" 55, « Instruction militaire & Tusage dela cavaess, ri expresso du tol et conformément & Son ondonnance pat les inspectousgénévaux dela caval 155 ce su Lore ie.» 1753-08 126 FREDERIC CHAUVIN IL faut attendre le miliew du sicle pour voir se manifester un véritable tournant. Apres Mollvwitz, Frédéric veut réformer sa cavalerie, Selon Robert Asprey, il vou- Iut la refondre en s‘inspirant de Charles XII. La cavalerie dut désormais s'en remet- ‘re avant tout a Varme blanche et, en ce qui concerne allure, les escadrons se mettaient au trot jusqu'a ce quiils arrivent 4 quelques centaines de pas de la ligne ennemie pour se lancer alors au galop(™. Que les réformes prussiennes aient influencé les officiers et les théoriciens de la cavalerie frangaise, comme ce fut le cas de linfanterie, cela est probable, le nom de Seydlitz apparait par exemple & plu- sicurs reprises. Toujours est-il qu'a partir des années 1760 les références au galop sont de plus en plus nombreuses et explicites : 'ordonnance de 1765 pour I'instruc- tion de la cavalerie préconise l'usage du galop. On peut en sentir les prémisses chez Drummont de Melfort & la fin des années 1740, Selon Desbriéres, c'est Tui qui fit cntrer le galop dans les procédés usuels de maneeuvre, Mais on peut également lire dans un mémoire du vicomte de Saarsfeld, vers 1756, Vexpression de cette idée nouvelle qui, sans doute, constitue un véritable retournement dans la doctrine dem- ploi de la cavaleric On établira comme le principe fe plus important que a cavalerie chargera toujours au grand galop; 4 20 pas de leseadron quion devra attaquer. Et alors les eavalirs #6 Veront sur leurs tiers, porteront leurs épées en avant et donneront deux coups d perons § leurs chevaux car 4 cette distance la rapidité est préférable a Tordre™ Si l'on procéde & un dénombrement des péres putatifs de Ia grande charge, ou de ses restaurateurs, nous constatons que Ia liste n'est pas mince, Henri IV a été men- tionné comme un possible précurseur, suivi de Gassion, Gustave Adolphe, Cromwell, Marlborough, Charles XII, Frédéric II. Cette observation et les précé- dentes nous conduisent & penser que la grande charge ne fut jamais, Ioin de la, le mode de charge exclusif de Ia cavalerie d'Europe occidentale. Elle réapparait en fait de maniére récurrente, mais il faut attendre la deuxiéme moitié du xvur sigcle pour Ia voir s‘imposer en Prusse et en France. Le choc (On présente souvent la charge comme une attaque reposant sur l'impulsion, la force cinétique de l'ensemble homme-cheval. L'aboutissement logique d'une telle conception est le choc. Mais ce choe entre cavaliers, ou entre cavaliers et fantas- sins, existe-til? II mest possible d'envisager la question a I'aune des éerits régle- mentaires et mémoires dofficiers, techniques et biographiques, particuligrement pour le xvi, La Noue nous offre cependant pour le xvr' sigcle une réflexion inté- ressante. II présente comme une maxime admise que « les esquadrons se rompent duu violent chog quils recoivent ». Il nous affirme ainsi l'existence d'un choc physique, brutal, employant pour décrire le phénoméne et ses conséquences un vocabulaire, adjectif et verbe, sans ambiguité, II faut également rappeler que La Noue est le ‘témoin d'une période ou la pratique de Ia caracole s'est trés largement répandue sur les champs de bataille. Ses réflexions doivent done se comprendre dans Ic cadre du (055) RB. Asptey Fir le Grand, Hache, Pai, 1989, p. 197-198, Pour soulignt Timportan= > dela vitesse, H. Delbuck pute égalemont & Seydli Tidée suivante: « La eavalerie me gagne pas ls batailes ave le sabre, mais avec la eravacke», op cts, p- 202, (06) SHAT, 1M1734, F101 127 CAHIERS DU CEHD débat qui oppose le choc et le feu. Le veeteur principal de ce dernier est le pisto- let, et sur ce point son opinion est claire La pistole ne fait quasi nul effect, si elle n'est tire de trois pas, et Ies troupes ne se rompent point si elles ne sont vivement enfoncées Onne peut done rompre lunité ennemie par le seul effet du feu, et le seul moyen dy parvenir est le choc de la cavalerie, qui va comme un bélier « enfoncer » la ligne adverse, y eréer une bréche. Nous remarquerons d'ailleurs combien ce champ lexi- cal de la brutalité, qui s'exprime par le registre de Ia violence et de la rupture est récurrent dans ses écrits lorsqu'tl aborde ce sujet. Limportance du choe est égale- ment soulignée, deux siécles plus tard par d’Auvergne, dans ses Observations sur Véquitation, parce que, dit-il, « la cavalerie frangaise ne peut combattre qu’en masse »*. Le comte de Guibert affirme tout aussi clairement que « la cavalerie nest propre qu’a action de choc 9, Un mémoire sans doute daté de 1756 appor- te une précision intéressante sur la nature du choc. Nous avons vu qu'il était décrit comme un phénoméne brutal ct violent. Mais 'auteur le présente aussi comme un phénoméne ponetuel, trés bref’ est le premier choe qui décide, les eseadrons ne se mélent pas toujours®™ Importance du choc encore bien évidemment dans a cavalerie prussicnne de Frédéric, oit les réglements visaient clairement & accroitre la puissance du choc. Le général Seydlitz comparait d'ailleurs la ligne des cuirassiers & un « grand mut » qui frappe lennemi soudainement et impétueusement, et auquel rien ne résiste®™”. Le choc est done essentiel & la cavaletie. Mais comment s‘obtient-il? La encore, La Noue ouvre la voie au questionnement. Pour lui, il parait évident que c'est la den- sité du corps de cavalerie qui permettra d'obtenit le meilleur impact. Les cavaliers doivent atre serrés les uns contre les autres CCeux qui se maintionnent plus serrez, & hourtent avec tout le corps joint, font wn plus grand effort & effect Et les Allemands sont, selon lui, ceux qui y parviennent le mieux. Les reitres ne sont pas seulement serrés, mais comme collés les uns aux autres explique-til, « ce qui procede d'une ordinaire accoustumance quils ont de se tenir tousjours en corps ». Mt expression de cette cohésion est 1a formation en escadrons, introduite par ces mémes reitres, Il en arrive ainsi a affirmer la supériorité de lescadron pour obtenir Ie choe le plus puissant, La Nowe insiste done pour que l'escadron préserve son (57) SHAT, Mémoires ct reconnissiness, IMI732, £89, « Observation sur Fégutation », par M. DrAwvergne, 1769, (€S58) 1 Charnay, Berit sraigiques de Guibert, Essai général de tactigue,p. 302 (158) SHAT, Mémoire et reconnassances, IMI734, 59, Dans ce passage, Taster critqne Pusage de placer aw woiriéme rang dex peites troupes gui seront charges de prendre Tenner deflate Elles ne st ‘eat A nea explique ti puisgue «c'est le premier choc qu décde le escadions ne se men! pas towous, Uy ena ordnaiement un qut ple avant que les petites troupes placée au Se rang aent fin leur comers pour prendre de lane Tennent.» (160) Hans Delbniek, story ofthe dr of rope, p. 281 128 FREDERIC CHAUVIN ‘unité, pour que le désordre ne s'y mette pas, afin d'assurer a ce corps une cohésion maximum, Ce souci se retrouve dans les années 1730 chez M. de Mortaigne 1 faut avoir grande attention de faire serrer les files et ne pas autoriser Ia délicates- se du cavaliet le dessus, Un escadron n'est fort quautant quil est uni et serté [0] Ia force d'un escadron étant dans sa masse et dans sa pesanteur' Mais le facteur vitesse ne semble pas décisif pour obtenir le choc, puisque Mortaigne recommande de ne pas prendre le galop, ainsi que nous l'avons vu plus hhaut. Cette volonté de maintenir la cohésion du corps aux dépens de la vitesse se relrouve d'ailleurs chez La Noue et le marquis de Castries. On note par contre une certaine nuance chez, Guibert 4 ce sujet. Il_y a bien pour lui deux éléments qui concourent & augmenter la force du choc: la cohésion et I'uniformité de 'ensemble, mais également la vitesse, Cette perception correspond au retour en grace du galop ‘comme allure privilégige de la charge, ainsi que nous Tavons vu, On peut également chercher a augmenter la force du choc par le nombre de rangs donné a Yescadron, ct c'est 1a un débat trés vif qui fait rage notamment au xv siécle, Le vicomte de Saarsfeld, par exemple, voulait que Fon dispose lescadron sur trois rangs. Cette formation a plusicurs avantages, et principalement « celui d'augmenter limpulsion Lorsque V'escadron s'ébranle au galop pour charger l'ennemi, il devient impossible aux ‘cavaliers du second et du premier rang de d’abandonner leur rang, et la troupe est entrainée »), Cette réalité du choc, qui apparait nettement dans les écrits théo- riques et r6glementaises du xvur' siecle, fut remise en cause par certains éerivains nmulitaizes contemporains, notamment 4 la fin du xix siecle et au début du xx" ‘Nous connaissons ainsi les propos d'Ardent du Pieq au sujet de l'infanterie. Mais, Delbriiek rapporte également les observations d'officiers allemands. Ainsi, le géné- ral von der Maritz reconnaissait que « le eas ou deux escadrons se heurtent l'un a Vase. tre de tout leur poids en formation serrée narrive jamais. Dans une telle situation les deux escadrons seraient détruits. » Un officier polonais exprimait a la méme époque de semblables réserves U nfexiste pas de veritable choc. La primaulé morale d'un dee opposants reaverse lau ‘re un peu plus t6t ou un peu plus tard, méme sls sont séparés par la longueur d'un rez, Avant Ie premier coup de sabre, Tun des camps est déja batty et «'enfuit, Dans un ‘veritable choc, les deux cétés seraient détruits. Dans la pratique, le vainqueur perd pet dommes” Cependant, méme aux xvu et xvur' sideles, si ce discours sur importance du. ‘choc apparaissait peut-étre comme dominant, il n’en était pas pour autant exclusif, En témoigne le maréchal de Duras, que nous avons vu soutenir utilisation du feu dans la charge. Cet officier affirmait avec la méme force que « fous ceux qui lui diront [au roi] que l'on entre dans un escadron nous jamais su ce que c'était d’aller bien 4 la charge »'*9, Duras remet en cause T'idée de contact violent qui sous-tend le choc. D'ailleurs, il n'utilise pas pour ce faire le vocabulaire de La Noue, il ne s'agit, pas de rompre ou d'enfoncer, mais « d'entrer » dans l'escadron, Au xvit également, (Gt) SHAT, Mémoires et rconnaitanees, IMIT34, £53, (152) 1P Charnay, Bevis sratgiques de Gusbert Beas général de taciqu,p. 304 (053) Deliv, op cit p28 (164) Late de Duras ALowvois, op cit 129 CAHIERS DU CEHD Drumond de Melfort Iui-méme se distingue. Dans le cadre du débat sur le nombre de rangs, il prend position pour deux rangs et explique 4 ceux qui arguent de Ia soli- dité d'une formation sur trois rangs quelle le serait effectivement si « les chevaue ‘pouvaient se soutenir les uns les auires et se pousser en avant comme font les hommes dans un bataillon ». U1 ajoute « qu'l n'arrive presque jamais d la cavalerie de se cho- quer dhomme d homme, et quil est assez ordinaire de voir plier un des deux escadrons, qui vont d la charge l'un @ Vautre avant quils soient @ poriée de croiser le sabre »®. Enfin, si Guibert insiste sur limportance de la puissance de choc, il sait aussi faire la part des choses et constater les limites de la cavalerie de son temps Les lignes s'avancent, se chargent ot Ie plus souvent ne se joignent pas, une des deux se metlant & fuir avant dlavoir été abordées. Si elle ne Suit pas tout a fait, elle se ral- lic, evient encore faire une charge sans vigueur, et ainsi va le combat toujours mol- Tement, sans perte et sane succés jusqu'a ce qu'un des deux corps ait perd courage et abandonne le terrain. I wen reste pas moins qu'apparait comme une filiation doctrinale 4 travers les sideles, une permanence dont le fil condueteur serait limportance déclarée du choc et, afin de produite le plus grand effet possible, limpérieuse nécessité de former des corps extrémement solides, fermes et soudes. Ces trois perspectives, qui semblent se ditiger dans trois directions, paralléles mais distinctes, se rejoignent en fait et pourraient dessiner une problématique unique. TI faut sans doute poser a la base un héritage de la charge médiévale: Ia recherche du choc, de « leffet bélier ». Mais, & la différence de celle-ci, le choc n'é tit plus obtenu par la multiplication des chocs individuels, réalisés par le chevalier et sa monture, mais par l'association des cavaliers en un seul corps tactique, qui agissait alors comme un seul, grand et massif bélier. Mais la production d'un tel effet de choc induisait une autre forme d'exercice et diinstruction, Les chevaliers slexergaient, bien évidemment; I'escrime de la Iance n’était pas chose aisée et sa pratique exigeait un véritable entrainement. Les tournois, tellement importants dans la société chevaleresque, avaient sans doute également cette fonction. Mais essence du combat chevaleresque reposait sur le combat individuel, l'affrontement de deux hommes d'égal statut. Le passage @ la cavalerie moderne implique alors le passage 4 un aulte type dexercice. Il s'agit d'une transformation dans la nature miéme de celui-ci. On doit exercer I'unité autant que lindividu. Les hommes sont entraings 4 agir & l'intéricur d'un corps tactique dont ile ne constituent qu'une par- celle. Is sont les parties d'un tout qui ne peut élze considéré que comme tel. Frédéric I espérait, autant que possible, voir disparaitre le combat au corps & corps, puisque « le soldat déciderait alors de la question, et l'on ne peut dépendre de cela » Ms'agissait d'appliquer a la cavalerie un veritable drill, presque similaire a celui de Vinfanterie, avec un corps tactique enveloppant le cavalier. Or, comme le remarque Hans Delbriick, la cohésion est plus difficile a eréer et & maintenir dans une unité montée que parmi les troupes a pied, et le combat dhomme & homme a toujours été pratiqué & une plus large échelle par les troupes montées que par les troupes & pied, L'exercice qui doit permettre cette cohésion semble done étre difficile a mettre en (165) SHAT, M1731, £6, Eval sur fe évoltions dela cavalere, pate conte Drumond de Melfort, ceonel au ségiment Oréans, 1749, 130 FREDERIC CHAUVIN place. On le vérific particuliérement en France, avec la flagrante inadaptation de instruction de Ia cavalerie du roi a Ia réalité du combat. Face a ces difficultés, on s'est sans doute replié sur un élément particulier de la charge: la cohésion, la fer meté, L'essentiel semble alors étre de maintenir la cohésion de Punité, de la pré- server, la rendre le plus ferme possible jusqu’au contact. Peut-étre d'ailleurs, pour les contemporains, tout - ou du moins une grande partie de la réussite ~ se jouait avant le contact. En témoigne diailleurs, a contrario, la faible place accordée au ‘maniement des armes en condition de combat dans les instructions et réglements, La cohésion dev ent pour certains une obsession, une fin en soi, on Iui a sacrifié la vitesse, et, partant, considérablement atténué leffet de choc. Si celui-ci est omni- présent dans les écrits théoriques, il reste donc a vérifier qu'il en est de méme sur Tes champs de batailles.

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