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1. Introduction……………………………………………………….…….…..2
6. Conclusion………………………………………………………..…………8
7. Bibliographie………………………………………………………………..9
1
1. Introduction
Plusieurs des clauses de ce texte étaient, au moment de leur rédaction, d’une brûlante
actualité, et d’autres clauses portent sur des événements qui n’étaient pas contemporains,
mais qui servaient à justifier les affirmations pompeuses des clauses les jouxtant. Les
Dictatus papae ne sont pas écrits dans un genre littéraire raffiné. La forme brève et
succincte de ses clauses – qui ne forment pas un texte suivi – se rapproche du style
juridique. Son langage législatif se compare à celui des canons conciliaires ou des
capitulaires royaux.
Dans les prochaines pages, nous étudierons le contexte historique large ayant mené à la
Querelle des Investitures, nous verrons quel était le contexte historique immédiat dans
lequel les Dictatus papae se déployèrent, nous analyserons les Dictatus papae en eux-
mêmes, puis nous ferons un survol des développements politiques subséquents.
Trois enjeux principaux étaient alors générateurs d’antagonismes pendant la Querelle des
Investitures : {1} D’abord, l’indépendance du siège pontifical ; {2} ensuite, l’indépendance
de l’Église dans les pays d’obédience catholique vis-à-vis des régnants civils ; {3} et enfin,
la volonté de contrôle hégémonique de la papauté sur les églises occidentales. La sujétion
1
Paul-Hubert POIRIER, Christianisme de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge. Module XIII : L’Orient et
l’Occident au XIe siècle. Recueil de textes. Québec, Université Laval, 2011, p. 19.
2
de l’évêque de Rome à l’empereur, d’une part, et l’imbrication de l’épiscopat allemand
dans l’appareil impérial, d’autre part, remontent loin. Commençons par le commencement.
En 824, Lothaire Ier – coempereur carolingien avec son père Louis le Pieux depuis 817 –
avait été couronné régent d’Italie par le pape Pascal Ier. En échange, par la Constitutio
romana, le pape avait reconnu son autorité impériale sur les États pontificaux (impliquant
la surveillance des tribunaux civils et l’obligation de prestation d’un serment de fidélité à
l’empereur par les futurs papes avant leur consécration)2.
Cette tutelle s’était accrue en 962 lorsque le pape Jean XII, en espérant s’émanciper de
l’emprise de l’aristocratie romaine et des Lombards, avait conclu une entente avec le roi
allemand Otton Ier le Grand qui désirait asseoir sa dynastie (et qui avait des rêves de
domination continentale3), entente couchée par écrit dans un diploma. Otton Ier fut sacré
« empereur d’Occident4 » par le pape, et en contrepartie celui-ci lui concéda que soit
renouvelée l’obligation du serment d’allégeance avant la consécration (ce qui impliquait
dorénavant que les papes seraient sélectionnés par l’empereur). On nomme ce droit
impérial le Privilegium Ottonis ou le Pactum Ottonianum5. Le pontife de Rome devint ainsi
un vassal féodal du Saint-Empire romain germanique qu’il contribua à fonder.
2
COLLECTIF, Atlas historique : De l’apparition de l’homme sur Terre à l’ère atomique. Paris, Libraire
Stock, 1968, p. 120-121.
3
Jacques MADAULE, Histoire de France. Tome I, Paris, Gallimard, 1965 (1943), p. 88.
4
André LARANÉ, « 2 février 962 : Naissance du Saint-Empire ». Hérodote.
http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=9620202, (consulté le 1er avril 2012).
5
Paul-Hubert POIRIER, Christianisme de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge. Module XIII : L’Orient et
l’Occident au XIe siècle. Notes de cours. Québec, Université Laval, 2011, op. cit., p. 8.
6
Jacques MADAULE, op. cit., p. 77.
3
s’appuyèrent fermement sur les évêchés auxquels ils octroyèrent de solides privilèges en
échange de leur coopération. Maints évêques furent par ce procédé reconnus comme des
suzerains temporels détenant les pouvoirs judiciaires dans leurs principautés respectives, les
intégrant ainsi dans le régime vassalique8. Dans le processus de nomination épiscopale, la
consécration de l’évêque dans son diocèse par des clercs était précédée de l’investiture, une
cérémonie où le nouvel évêque prêtait serment de fidélité au souverain qui en retour lui
remettait sa crosse9. Par ce geste, les épiscopes devenaient des hauts fonctionnaires du
royaume germanique. Ce régime est appelé le Reichskirchensystem (système ecclésiastique
impérial).
Or ces évêques n’étaient pas uniquement des délégués du roi en province, mais aussi des
membres influents à la cour. Lors des « conseils généraux » bisannuels, le concilium des
prélats se juxtaposait au colloquium des grands laïques pour édicter en commun la
législation du royaume10. Les monarques allemands renforcèrent ce dispositif en faisant de
la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle fondée sous Charlemagne un levier de leur politique.
Louis le Germanique créa des chapelles impériales sur le modèle de celle d’Aix à
Ratisbonne et Francfort11. La charge de chapelain dans la Hofkapelle devint un tremplin
vers la carrière épiscopale. « Pépinière de prélats, instrument de gouvernement, la chapelle
royale devient une pièce maîtresse d’un système dans lequel le pouvoir royal pesait d’un
grand poids sur l’Église12. » Il est exact de dire qu’à cette époque, la cohésion du Saint-
7
Je soutiens, avec Bührer-Thierry et contre le paradigme dominant, que la mise en place du Reichskirchen-
system n’est pas principalement l’œuvre des ottoniens, mais plutôt de leurs prédécesseurs. Un examen
rigoureux démontre que les ottoniens n’ont pas inventé ce régime, ils ont simplement récupéré les
prérogatives de nomination épiscopale et de convocation des conseils généraux qui étaient temporairement
tombées aux mains des princeps régionaux. Voir Geneviève BÜHRER-THIERRY, Évêques et pouvoir dans
le Royaume de Germanie : Les Églises de Bavière et de Souabe (876-973). Paris, Picard, 1997, p. 80-84, 161
et 164-168.
8
Ibid., p. 206-215 sur 278.
9
Ibid., p. 163-168 et 181-182.
10
Ibid., p. 78-84.
11
Ibid., p. 24.
12
Jean-Yves MARIOTTE, « Joseph Fleckenstein : Die Hofkapelle der Deutschen Könige ». Bibliothèque de
l’École des chartes. Vol. 125, N° 2, 1967, p. 509.
4
Empire reposait largement sur les relations interépiscopales et que l’unité de l’Église
allemande dépendait de l’autorité royale13.
13
Geneviève BÜHRER-THIERRY, op. cit., p. 12-13.
14
Paul-Hubert POIRIER, op. cit., p. 8.
15
Ibid., p. 13.
16
Ibid., p. 12.
17
Augustin FLICHE, La Réforme grégorienne. Tome III : L’opposition antigrégorienne. Louvain,
Spicilegium sacrum Lovaniense, 1937, p. 216-218.
5
4. La salve des Dictatus papae
L’idée centrale des Dictatus papae est la suprématie papale. Ses 27 clauses ne sont pas
vraiment agencées selon un plan argumentatif ayant un enchaînement logique. Les clauses
traitant du même thème ne forment pas des suites compactes, mais s’entremêlent avec les
autres clauses aux sujets variés. Il faut cependant remarquer que l’auteur commence par une
stipulation généraliste (« 1. L’Église romaine a été fondée par le Seigneur seul. ») et qu’il
termine avec une stipulation plus pointue (« 27. Le pape peut délier les sujets du serment de
fidélité fait aux injustes. »).
Les clauses des Dictatus papae sont assez redondantes. Elles peuvent se synthétiser en cinq
catégories principales : {1} le pontife de Rome est la seule personnalité universelle (clauses
2, 10, 11 et 18) ; {2} insistance sur le particularisme ou l’exclusivisme du catholicisme
romain (clauses 1, 22, 23 et 26) ; {3} le pontife de Rome seul dispose d’une autorité
spirituelle universelle absolue (clauses 3, 4, 5, 13, 14, 15, 16, 17, 21 et 25) ; {4} le pontife
de Rome seul dispose d’une autorité temporelle universelle absolue (clauses 8, 9, 12 et 27) ;
et {5} mélange des absolutismes spirituel et temporel (clauses 6, 7, 18, 19, 20, et 24). Nous
avons donc là un document inédit dont les prétentions pourraient difficilement être plus
totalisantes.
Dans les Dictatus papae, Grégoire VII se pose comme le maître du monde, ayant un
pouvoir inégalé et sans appel, le vicaire du Christ sur Terre (comme le veut la formule) :
« 8. Seul, il peut user des insignes impériaux. 9. Le pape est le seul homme dont tous les
princes baisent les pieds. […] 12. Il lui est permis de déposer les empereurs. […] 18. Sa
sentence ne doit être réformée par personne et seul il peut réformer la sentence de tous. »
Les Dictatus papae constituent donc une attaque en règle contre l’autorité impériale sur les
fronts séculiers et religieux confondus par un pontife visiblement imbu de lui-même.
Au-delà de ces fantasmes papaux-centriques, les Dictatus papae contiennent aussi des
clauses terre-à-terre faisant écho aux litiges ayant conduit le pape à une telle démonstration
de force. Les Dictatus papae sont symptomatiques du programme de la Réforme
grégorienne et adressent les trois enjeux mentionnés précédemment. Ils affirment
(indirectement) l’indépendance inviolable de la fonction pontificale : « 19. Il [le pape] ne
6
doit être jugé par personne. 23. Le pontife romain […] est indubitablement par les mérites
de saint Pierre établi dans la sainteté. » Ils scandent la suprématie du primat de Rome sur
les églises occidentales : « 4. Son légat [du pape], dans un concile, est au-dessus de tous les
évêques […] et il peut prononcer contre eux une sentence de déposition. 14. Il [le pape] a le
droit d’ordonner un clerc de n’importe quelle église, où il veut. »
Le haut clergé étant un engrenage clé de la structure étatique du Ier Reich, l’empereur Henri
IV entendait repousser toute tentative papale de soustraire les évêques et les abbés à son
influence. Pour faire contrepoids aux Dictatus papae, Henri IV convoqua promptement un
concile à Worms, où l’épiscopat allemand et lombard jugea que Grégoire VII avait usurpé
le siège pontifical et le déposât18. Grégoire répliqua en excommuniant son souverain et en
employant deux autres armes qu’il s’était réservé dans ses Dictatus papae : « 12. Il lui est
permis de déposer les empereurs. 27. Le pape peut délier les sujets du serment de fidélité
[…]. » L’agitation nobiliaire reprit en Allemagne, et Henri IV fut contraint par les
circonstances d’aller implorer le pardon du pontife les pieds nus dans la neige au château de
Canossa à l’hiver 107719. Diplomatie oblige, le pape dut l’absoudre — ce n’était qu’une
trêve. L’année suivante, Grégoire VII reprit l’escalade en assemblant un synode à Rome qui
prohiba formellement aux clercs de recevoir leur charge des mains d’un laïque20.
Le parti impérial riposta en déposant Grégoire VII une seconde fois au concile de Brixen en
1080 où fut élu pape l’archevêque de Ravenne sous le nom de Clément III. Une campagne
militaire d’Henri IV permet à Clément III de s’installer à Rome de 1083 à 1093. Grégoire
revint grâce à une contre-attaque menée par les troupes du Royaume normand de Sicile (qui
couvrait aussi le sud de la Péninsule italienne). Mais la violence de cet assaut normand fut
18
Ibid., p. 50.
19
Jean-Claude BOLOGNE, « Aller à Canossa ». Canal Académie – Institut de France.
http://www.canalacademie.com/ida4887-aller-a-canossa.html, (publié le 4 octobre 2009). Cet épisode
dramatique a marqué l’imaginaire allemand. Huit siècles plus tard, le chancelier Otto von Bismarck, aux
prises avec une forte opposition catholique, s’écriait « Nous n’irons pas à Canossa ! » devant le Reichstag.
20
Uta-Renate BLUMENTHAL, « Investiture Controversy ». Encyclopædia Britannica.
http://www.britannica.com/EBchecked/topic/292452/Investiture-Controversy, (consulté le 1er avril 2012).
7
telle que la population romaine expulsa Grégoire VII, qui s’exila en Italie méridionale. En
1085, Henri IV convoqua à Mayence un concile qui réitéra la destitution de Grégoire VII et
ratifia unanimement le pontificat de Clément III, lequel exerça son ministère pendant deux
décennies. Grégoire VII mourut quelques semaines plus tard21.
6. Conclusion
La guerre continua pendant encore trente-cinq ans, les réformateurs élevant des papes
grégoriens ayant peu d’autorité dans l’Empire et les partisans du Reichskirchensystem
élisant des papes impériaux qui étaient uniquement reconnus dans l’Empire. Finalement, les
deux factions s’entendirent sur un compromis en 1122 – le concordat de Worms – qui reprit
une distinction préexistante23 entre les deux compétences épiscopales : spiritualia et
temporalia. L’empereur s’engageait à ne pas interférer dans les élections avec l’investiture
par la crosse, et la papauté promettait de laisser l’empereur remettre aux évêques les
pouvoirs politiques relevant de son poste avec l’investiture par le sceptre24. Ainsi, au milieu
de la féodalisation de l’Église, un terrain d’entente fut trouvé entre le césaropapisme
obstiné des impériaux et l’orgueil dogmatique des Dictatus papae.
21
Georges SUFFERT, Le pape et l’empereur. Paris, Éditions de Fallois, 2003, p. 22.
22
Augustin FLICHE, op. cit., p. 245.
23
On distinguait déjà (depuis le Xe siècle) entre l’honor episcopalis (charge spirituelle) et l’episcopatus
(charge temporelle) de l’évêque, voir Geneviève BÜHRER-THIERRY, op. cit., p. 173-175.
24
COLLECTIF, Atlas historique, loc. cit., p. 144.
8
7. Bibliographie
MADAULE, Jacques. Histoire de France. Tome I, Paris, Gallimard, 1965 (1943), 383 p.