La Thnardier tant mchante pour Cosette, ponine et Azelma(1) furent
mchantes. Les enfants, cet ge, ne sont que des exemplaires de la mre. Le format est plus petit, voil tout. Une anne s'coula, puis une autre. On disait dans le village : Ces Thnardier sont de braves gens. Ils ne sont pas riches, et ils lvent un pauvre enfant qu'on leur a abandonn chez eux ! On croyait Cosette oublie par sa mre. Cependant le Thnardier [] exigea quinze francs par mois []. La mre paya les quinze francs. D'anne en anne, l'enfant grandit, et sa misre aussi. Tant que Cosette fut toute petite, elle fut le souffre-douleur des deux autres enfants ; ds qu'elle se mit se dvelopper un peu, c'est--dire avant mme qu'elle et cinq ans, elle devint la servante de la maison. Cinq ans, dira-t-on, c'est invraisemblable. Hlas, c'est vrai. [] On fit faire Cosette les commissions, balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter mme les fardeaux. Les Thnardier se crurent d'autant plus autoriss agir ainsi que la mre qui tait toujours Montreuil-sur-Mer commena mal payer. Quelques mois restrent en souffrance(2). Si cette mre fut revenue Monfermeil au bout de ces trois annes, elle n'et point reconnu son enfant. Cosette, si jolie et si frache son arrive dans cette maison, tait maintenant maigre et blme. Elle avait je ne sais quelle allure inquite. Sournoise ! disaient les Thnardier. L'injustice l'avait faite hargneuse et la misre l'avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils taient, il semblait qu'on y vit une plus grande quantit de tristesse. [] Dans le pays on l'appelait l'Alouette. Le peuple qui aime les figures, s'tait plu nommer de ce nom ce petit tre pas plus gros qu'un oiseau, tremblant, effarouch et frissonnant, veill le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l'aube. Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais. Victor Hugo, Les Misrables