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GUERRE 14-18 25 FEVRIER 1916 CASTELNAU SAUVE VERDUN par le général Yves Gras Quand on évoque ta bataille de Verdun, on y attache immanquablement le nom du maréchal Pétain, & qui Yon attribue tout le mérite et la gloire exclusive de la victoire. Pétain a certes joué un réle essentiel dans Ja défense de Verdun on il a eu @ résoudre les plus graves difficultés. Mais la bataille a duré du 21 février au 45 décembre 1916. Or Pétain n'a commandé la 2° armée dont il avait regu la charge, que du 26 février au I” mai, date & laquelle il a &é remplacé par le général Nivelle. Et surtout il ne faut pas oublier que, durant la phase la plus critique de la bataille, celle des cing premiers Jjours ot le front frangais a failli seffondrer, c'est le général de Castelnau quia sauvé la situation, 60 © HISTORIA Vinverse de Pétain, Castelnau n’est plus guére présent dans la mémoire collective des Frangais, Tl a été cependant Tun ‘des meilleurs généraux de la Grande Guerre, tant par ses méthodes de commandement que par ses idées stratégiques, trés supérieures & celles des généraux que le pouvoir politique lui a préférés pour le commandement supréme. Né en 1851 dans le Rouergue, Saint-Cyrien a 17 ans, il avait fait ses premieres armes pendant la guerre de 1870. Il avait ensuite servi dans la troupe et les états-majors de fagon si brillante que le chef d’état-major de Farmée de Pépoque, le général de Boisdeffre, le considérait comme un de ses successeurs. Mais son avance- ment avait été bloqué par le ministre de la Guerre du cabinet radical de M. Combes, le général André, pour la seule raison qu’ll était catholique pratiquant. Il s’en était alors fallu de peu que sa carriére ne se terminat au grade de colonel. Castelnau avait tout de méme fini par recevoir ses étoiles a Page de 55 ans. Et en 1911, Joffre, nommé chef d’état-major général, avait pris comme premier sous-chef d’état- major de Parmée. En 1914, ala téte de la 2° armée, il avait joué, & plusieurs reprises, un rdle décisif dans des citconstances trés critiques, notam- ment en Lorraine, oi il avait rempor- té, le 25 aot dans la Trouée de Charmes, la premiére victoire fran- gaise de la guerre. Il avait ensuite commandé le groupe d’armées du le général de Castelnau devant sa voiture, tne condutte intéieure nore Renault, Lors de |a bataile de la Mame, ce sont des taxis G7 Renaut! qui ont contrbué & la victoire, Edouard de Curves de Castelnau (1851-1944) Centre et dirigé Voffensive de Cham- pagne en septembre 1915. Depuis le mois de décembre 1915, il était de nouveau le second de Joffre au GQG a Chantilly, avec le titre de chef d’état-major général des armées. Verdun menacé Cest en janvier 1916 qu’on eut vent au GQG qu'une offensive alle- mande se préparait contre la Région fortifiée de Verdun (RFV). Le géné- ral Herr, qui la commandait, alerta le commandement sur ces préparatifs et sur la faiblesse des moyens dont il disposait. Sa démarche provoqua de Yémoi au GOG, car Joffre venait de donner au gouvernement I'assurance que les travaux réalisés 4 Verdun § mettaient la place en état de résister a toute attaque. Castelnau proposa alors aller sur le terrain inspecter ses organisations défensives. L’éventualité de cette offensive laissait Joffre scep- tique : « Allez-y si vous voulez, lui répondit-il, mais ils n’oseront jamais nous attaquer cet endroit du front ». Castelnau se rendit 4 Verdun le HISTORIA © 61 CASTELNAU SAUVE VERDUN nifestement insuffisants pour faire face une offensive d’envergure. Sur place, Castelnau ordonna les travaux urgents a effectuer. Et voyant a quel point la RFV manquait defiectifs, il fit mettre a sa disposition deux divisions de réserve générale et un régiment territorial du génie pour les réaliser. De retour & Chantilly, il continua de surveiller ce qui se passait a Verdun. La RFV dépendait du groupe d’armées du Centre, commande par le général de Langle de Cary, dont le chef détat-major, le colonel Jac- quand, était son ancien chef d’ Gets major avec lequel il conservait des 23 janvier. Il y constata que la défense de ce front comportait certes de grosses lacunes, mais aussi qu’on y avait fait ce qu’on pouvait, étant donné les moyens dont on disposait. La RFV n’avait plus, ala vérité, d'un camp retranché que le nom. Les forts de la place avaient été déclassés. Et, comme Verdun était considéré comme un secteur calme, le GQG n'y avait affecté, pour tenir un front de 112 kilometres, que quatre divisions dinfanterie et deux brigades de territoriaux. Ces moyens étaient ma- liens privilégiés. C*était done avec ce dernier quill allait désormais traiter directement par téléphone toutes les questions concernant Verdun et, par lui, exercer son influence sur les préparatifs de défense, La menace contre Verdun se précisant, la RFV fut renforoée. Ses efectifs furent portés A douze divi- sions, réparties en deux corps dar- mée, le 30° CA (général Chrétien) sur la rive droite de la Meuse et le 7° CA (général de Bazelaire) sur la rive gauche. Ces divisions ne tenaient plus chacune que 82 10 kilometres de front les généraux ote, au premier plan, et Castelnau au grand quarter geet ce fly. Castelnau avait digg a bataile dde Champagne en cclobre 1915 puis devint adjoint dt eee, 24 fewer 1916 fu Bois des Caures, des ‘léments une ie de uanes of mis 8 62 © HISTORIA Rivers Chalons 5: Marne ME fort "BELLEVIELE® Wf MR ace oles -++++ camp evans de VERDUN Ww cee ate © ile Réalisation Jocelyne Grenier Bois des Caures, le Mort-homme, Douaument, Les Eparges, le fort de Vaux, auton! de noms qui résonnent ‘dans nos memoires. Ciedessus, 1a situation entre fe 20 of le 25 févier 1916, et leur infanterie était appuyée par 388 pices d'artillerie de campagne et 244° dartillerie lourde. Enfin, le 19 février, V’attaque paraissant im- minente, Castelnau fit mettre en route sur Verdun deux corps d’armée, les 20° et 1° CA. Si, le 20 février, tout n’était pas parfait 4 Verdun, du moins Je commandement frangais, grice & son intervention, ne serait pas surpris «Je ne vous en demande pas l’auforisation » Loffensive allemande se déclen- cha le 21 février sur la rive droite de la Meuse. Le 24, elle avait enfoncé le front frangais sur 12 kilometres de large et creusé dans son dispositif une poche de 6 kilometres de profondeur. = © DEUE -p-1uog 8184 wossnoy En fin d'aprés-midi, les_mauvaises nouvelles affluerent au GQG oi elles semérent une certaine inquiétude Dans son bureau, Joffre faisait avec Castelnau le bilan de la journée quand, a 19 h 30, le général dé Langle téléphona du PC de la RFV a Dugny, pour rendre compte que la situation était devenue tes sérieuse et qu'il donnait ordre de replier au cours de Ja nuit sur les hauts de Meuse les forces de la Woévre qui risquaient d'etre prises A revers par lavance allemande. Il ajouta, tres nerveux : «Je ne vous en demande pas auto- risation, je le prescris sous mon entiére responsabilité ». Jofire, atterré, essaya de discuter : « Ne pourriez-vous pas tenir au moins de ce c6té entre Ornes ct Frome- zey?», «Non», lui répondit De Langle d'un ton sec. Joffre se résigna : «Vous étes sur les lieux et par HISTORIA ¢ 63 CASTELNAU SAUVE VERDUN conséquent seul juge de ce qu'il y aa faire » Apres le diner, Jofire et Castelnau se retrouvérent pour examiner de nouveau la situation qui venait de leur étre révélée sous un jour si grave. Les propos et le ton de De Langle leur faisaient pressentir une catastrophe. Ils se demandaient si le moral du commandement local n’était pas en train de flancher. Car aprés tout, celui-ci disposait encore de tout le 20° CA qui avait débarqué dans la région de Bar-le-Duc. En l’engageant vigoureusement, on devait pouvoir tenir jusqu’a Parrivée des renforts qu’on dirigeait’ sur Verdun : trois corps darmée et d'autres qui suivraient. Il fut done décidé d’envoyer & de Langle un message du commandant en chef daté de 21h M 14 — qui tout en approuvant le repli de la Woévre, lui prescrivait : « Vous devez tenir face au nord, sur le front entre la Meuse et la Woévre par tous les moyens dont vous disposez. Em- ployez-y tout le 20° corps sans hésita- tion. Son engagement est certaine- ment nécessaire pour permettre larri- vée des divisions de renfort dont vous devez hater la marche vers la Meuse ». ‘Ce message envoyé pour stimuler énergie du commandement, Jofire et Castelnau pensérent qu’il fallait pré- voir le pire, c'est-i-dire le cas ot l'on serait obligé d’évacuer la rive droite de la Meuse. On ne pouvait envisager sans risques graves un tel repli avec un commandement nerveux et des troupes épuisées. Pour mener une opération aussi délicate, il fallait un chef au moral intact, qui ait le calme et énergie nécessaires. Castelnau. proposa d’envoyer a Bar-le-Duc, dans ce but, le général Pétain et l’état-major de la 2° armée qui se trouvaient au repos & Noailles. I connaissait bien Pétain, qu’il avait eu sous ses ordres et dont il appréciait le sang-froid et les qualités militaires. I! savait aussi qu’on pouvait compter surl’état-major de la 2° armée. C’était son ancien état-major du temps od il commandait la 2° armée, qu'il avait lui-méme formé et que dirigeait LE FILM DES 24 HEURES QUI ONT SAUVE VERDUN = Chantilly, GOG, 24 février, 23 h : Castelnau fait réveiller Joffre ct lui demande Pautorisation, accordée, de se rendre & Verdun. Le 25 février & 0h 30, il prend Ia route. = Avize, 25 février, 4h du matin : Castelnau arrive au QG du général de Langle, commandant le groupe d’armées du Centre, qu'il trouve démoralisé. = Avize, 25 février, 5h 45: Castelnau fait téléphoner au général Herr, commandant la Région Fortifiée de Verdun (REV), Pordre personnel de tenir sur la rive droite de Ia Meuse. = Dugny, 25 février, 8h 30: Castelnau est au QG de la RFV et fait presser le passage des troupes en renfort sur la rive droite. = Caserne Bevaux, 25 février, 11 h 30: Castelnau passe sur la rive droite au PC du général Balfourier commandant le 20° corps d’armée et confirme ses ordres de résistance. = Souilly, 25 février, 15 h 30: Par téléphone, du nouveau QG de la RFV, Castelnau propose a Joffre de remplacer Herr par Pétain alatéte dela RFV, et 16 h, sans attendre la réponse, il nomme Pétain pour le méme jour & minuit. - Souilly, 25 février, 19h Pétain regoit de la main de Castelnau son instruction de commandement. — Rive droite de la Meuse, 25 février, minuit : Le front qui avait cédé vers 18 h mais avait regu des renforts vers 21 h était & nouveau solidement reconstitué. 64 © HISTORIA Le général de Castelnau @ son bureau. Sumommé le capucin botté & ‘cause de son catholicisme milton, It deve pperdre 60 trois fs la guere. encore le méme chef, le colonel de Barescut. En dépit de quelques changements de personnes, il avait conserve son articulation, son esprit et sa méthode de travail Un message fut aussit6t envoyé & Noailles, convoquant Pétain au GQG le lendemain & 8h. Le colonel Renoward, chef du 3° bureau, fut invité a rédiger une instruction qui lui serait remise dés son arrivée. Elle lui donnait le commandement des « forces disponibles sur la rive gauche de la Meuse ou prochainement débar- quées dans cette région », avec pour mission : « 1°/ de recucillir les troupes de la RFV engagées sur la rive droite de la Meuse au cas oi elles seraient contraintes de se replier sur la rive gauche ; 2° dinterdire & Yennemi le franchissement de la riviére. » Castelnau fait réveiller Joffre Ces décisions prises, les deux généraux se séparérent. Dans son bureau, Castelnau reprit l'étude des renseignements et comptes rendus de la journée. Avec ces seuls éléments, il ne parvenait pas a se faire une idée précise de a situation. Pour y voir lair, il fallait aller sur place. « Aprés réflexion, écrit-il, j'estimai qu’a tous égards, la place du chef était 1a-bas, avec le prestige de son autorité et le rayonnement de son ime ». Vers 11h du soir, il fit réveiller le général Joffre par son aide de camp, malgré la consigne qui prescrivait de respecter son sommeil. Il résuma la situation et, en conclusion, Tui demanda T'auto- risation de se rendre 4 Verdun. Joffre a lui accorda aussitét, en précisant qu'il lui donnait pleins pouvoirs. Puis il se rendormit. Castelnau se mit en route & minuit et demi en pleine tempéte de neige. Il arriva & Avize, au QG du général de Langle, 2 4 h du matin. Il y trouva de Tangle, qui était rentré de Dugny, tres agité. A ses propos comme & son attitude, on voyait qu’il désespérait de sauver la rive droite : la poussée allemande paraissait irrésistible, nos troupes refluaient sans que rien ne puisse les arréter, il parlait d'un nouveau Sedan, Dans la soirée, probablement vers 8 h 30, de Langle avait donné verbale- ment Fordre de ne plus faire passer un seul homme de la rive gauche sur la rive droite. C’était isoler complete ment la rive droite et 'abandonner & clle-méme. Aussi le général Herr, obéissant a son chef direct, avait-il affecté la 39° DI, du 20° CA, arrivée Je 24 au soir, au 7° CA, rive gauche, et prescrit de replier pendant la nuit les pares, convois, trains régimentaires, et unités de cavalerie se trouvant sur la rive droite. De Langle avait déja quitté Dugny pour renter 4 son QG lorsqu’on y avait recu le message de Jotfre de 21h 14. La REV Vavait retransmis vers 3h 30 a Avize, en demandant si le général maintenait ses ordres. Le colonel Jacquand ayant fait remarquer quils étaient contraires aux instruc- tions du général en chef, de Langle lui demanda de répondre qu'il ne les maintenait pas pour le 20° corps. Crest alors que Castelnau était arrivé. Vingt minutes plus tard, le contrordre préparé par le colonel Jacquand fut envoyé au général Herr sous la forme d’un message téléphoné, HISTORIA ¢ 65 \ ) i ° | champ se ea daté de 4h 20: « En présence des ordres du général en chef, le général de Langle ne maintient pas Tordre qu'il avait donné de ne plus faire passer de troupes sur la rive droite de la Meuse. Si pour faire face au nord, il est nécessaire d’engager tout ou partie du 20° CA qui se trouve encore sur la rive gauche, le général Herr est autorisé a le faire Ce message manquait de convie- tion. Ce m’était pas un contrordre franc et net, et les restrictions dont il entourait, non pas ordre d’engager le 20°CA sur la_rive droite, mais Vautorisation qu'il donnait 4 Herr de utiliser montrent que de Langle s‘inclinait seulement, presque a re- gret, devant un ordre formel qu'il n’approuvait pas. Tenir coiite que coite Aprés une heure d’entretien avec de Langle et Jacquand, Castelnau estima que, tout le 20° CA une fois a pied d'ceuvre, on pourrait tenir sur la rive droite assez longtemps pour 66 © HISTORIA so Réslisation Jocelyne Grenier donner aux divisions qui roulaient vers Verdun le temps Warriver. Et, trouvant qu’a Avize comme a Verdun «on qenvisageait pas la situation dans le sens tres net et trés ferme de ordre » donné par Joffre 421 h 14, il décida de prendre lui-méme l'affaire en main et fit téléphoner au général Herr, a5 h 45, un message mettant fin a toute hésitation : «< Comme confirmation des ordres du général en chef, le général de Castelnau preserit de Ia fagon la plus formelle que le front Nord de Verdun, entre Douaumont et Meuse, et le front Est, sur la ligne des hauts de Meuse, devront étre tenus cote que cofite et par tous les moyens dont vous disposez. La défense de la Meuse se fait sur la rive droite. Il ne peut done étre question que d’arréter ennemi a tout prix sur cette rive » En fait, cette décision, il la prenait en toute initiative. En quittant Chan- tilly, il n’avait regu aucun ordre formel concernant la rive droite, sinon il edt été inutile de lui donner les « pleins pouvoirs». Il savait ce que cela ‘On voit combien offensive cllemande fut fulgurante dans les jours de premiers Des units faiches prises en Kaeaiged de Cateau emetront de fenic ligne de front cotle que signifiait. « Je n’étais pas assez novice, écrit-il, pour ignorer les responsabili- tés que feraient peser sur mes épaules ma présence et mon. interventi éventuelle sur le terrain de la bataille. La, plus qu’ailleurs, le pavillon couvre la marchandise » Pendant plus d’une heure encore, Castelnau resta auprés de De Langle Tl avait pour ce chef, plus 4gé que lui, la plus haute estime. Peut-étre espé- rait-il pouvoir lui communiquer la vyolonté de vaincre qui l’animait. Mais il dut se rendre a lévidence : de Langle paraissait dépassé par les événements. Malgré la peine qu'il pouvait en éprouver, il se voyait obligé de passer par-dessus sa téte pour étre sir d’étre mieux obéi. ar DI Samagneux EAA ‘ioe priate de resistance mp 001 rit ongagée Basen wt ome ie “REGRET n Jocelyne Grenier ° lle Réal ee CASTELNAU SAUVE VERDUN Il repartit d’Avize vers 7 hi et alla tout droit Dugny. Iyarriva a8 h 30. Le QG de la RFV était en plein déménagement pour aller s'établir plus en arrigre, & Souilly. C'est au milieu des archives et des bagages qu’on entassait a la hate dans les voitures sous la neige que Castelnau trouva le général Herr et son état- major désemparés, épuisés par la tension nerveuse et Ie manque de sommeil dus & quatre journées de bataille. Vhistorien Louis Madelin, alors attaché & cet état-major, a été témoin de cet épisode : « Nous vimes, dans une petite tempéte de neige, arriver le général de Castelnau... La seule présence du grand chef apaisait les ao DT 20° C.. Groupertent DELIGNY reeaan en Nenaauiae = Ww Tae “souvmier ph, sMoULAINVILLE HISTORIA © 67 ‘CASTELAU SAUVE VERDUN fievres et rassurait les inquiétudes. I] fit son enquéte rapidement mais & fond, se rendit compte des réalités, calma les trop grandes inquiétudes, discerna ce qu’il y avait & faire pour arréter la démoralisation, seul danger qui fat absolument mortel ». Castelnau fit presser le passage sur la rive droite de toute la 39° DI, dont le général Herr n’avait mis en route qu'une seule brigade & 6h 10, et ordonna de « faire occuper dés main- tenant par des réserves Bras et la ligne Douaumont, Hardaumont », qu'il choisit_ comme ligne principale de résistance en arriére de la « ligne avancée » tenue par les unités de premier échelon. Puis, malgré sa nuit blanche, il se rendit, vers 11 h 30, sur la rive droite, a la caserne Bevaux, ott se trouvait le PC du général Balfou- rier, commandant le 20° CA. Celui-ci venait tout juste, a 10 h, de relever le 30°CA décimé, et Tun de ses éléments, le groupement du général Deligny, s‘était déja engagé sur la ligne avancée au nord de Douaumont. Balfourier regut de Castelnau des ordres précis et les transmit aussitot aux généraux de division auxquels il téléphona : « Le général de Castel- nau, qui est A cOté de moi, donne Yordre de tenir coate que coaite sur les positions actuelles ». A midi et demi, il revint & Souilly ot s était transporté le QG de la RFV. Sur le terrain, il avait acquis la conviction que, grace aux unités fraiches mises en ligne ou en marche yers le front on pouvait, a condition de le vouloir & fond, tenir 1a nouvelle ligne principale de résistance et sauver Verdun. Castelnau propose Pétain Mais, la décision prise, il fallait installer et articuler les’ renforts attendus, assurer le ravitaillement et les évacuations dans des conditions difficiles, bref mener et alimenter une trés dure bataille. Cette tache était trop lourde pour le général Herr, épuisé, et surtout pour son état-major qui « ne paraissait pas constitué pour lui préter le puissant concours dont il MAURICE GENEVOIX A VERDUN Romancier de la nature, conteur @ 'ébiouissant talent, Maurice Genevoix, académicien de renommée mondiale, o été en 1914 un combatant, Jeune normalien, lieutenant, il fut un témoin précieux ef souvent horrifié de cefte boucherie que fut la querre de 1914, Verdun, il!'a vécu. Blessé griévement aux Eparges le 25 avril 1945, i! devait rester de longs mois entre la vie ef la mort. Mutilé i! s’en sortait bien. ‘Rétormé, il se tourna vers les lettres. Les premiers récits dont [a simplicité, a chaleur, 'humanité vont ‘droit au cceur fémoignent. Tout au long de sa vie, il sera solicité pour apporter sa plume au service dune grande cause. Eviter que les morts de Verdun soient morts pour rien. Et quand i! dit Verdun, ‘Genevoixenglobe fous les moments cruciaux de cefte guerre. En 1955, pour\e Combattant de Verdun, i! écrivait«... les soldats de Verdun étaient des hommes anormaux. Lutter contre la peur, e tremblement de la carcasse et les vainere, c'est anormal. Accepfer de mourir & vingt ans, c'est anormal. Pour nous ‘es derniers survivants, nous entendons fémoigner jusqu'au bout, refuser jusqu'au bout fa lGcheté de cerfains scepticismes, fa trahison de certains abandons...» £n juin 1966, Genevoix comme & laccoutumée témoigne : « Cette nuit, lorsque les 15 000 croix blanches se sont illuminées ensemble, ce que j'ai vu d la clarfé des forches, ca a élé les silhouettes indistinctes, éparpillées de ces veilleurs silencieux, toujours I de reléve en reléve ef depuis cinquante ‘années. » Jusqu’é sa mort facadémicien Maurice Genevoix, aura G cosur de témoigner pour le combatfant Genevoix ef pour fous ceux qui partagérent son combat. Tallandier a publié les ceuvres complétes de Maurice Genevoix en vingt-cing volumes avec des iustrations de auteur. Renseignements : 43 70 53.53, 68 © HISTORIA Portrait du général de Castelnau ‘pendant Ia guere, ‘Aprés 1918, 1 fut ‘maintenu en et sans ime age, I se langa dns la poltique ct en 1924 fonda la Fédération nationale ‘catholique pour mete en échec le projet dofensive ‘aniicéricale du Catiel des gauches, le général de Castelnau observant les lignes ennemies. Collection pariculére avait besoin ». Castelnau prit done de sa propre autorité la décision de changer le commandant des troupes et son état-major. Il en avisa Joffre par message téléphoné & 15 h 30 : « Gé- néral de Castelnau se propose de donner au général Pétain le comman- dement de Pensemble de la RFV et des troupes arrivant sur la rive gauche. La mission initiale du général Pétain sera d'enrayer effort que ’ennemi prononce sur le front de Verdun ». Sachant que Pétain était en route en auto pour Bar-le-Due, od il devait &tablir son QG, il lui prescrivit, par message adressé a ses points de passage probables, de venir d’urgence 4 Souilly pour y recevoir ses ordres. A 16 h, avant méme d’avoir regu une réponse de Joffre, il rédigea 'instruc- tion qu'il remettrait & Pétain dés son arrivée, lui confiant « le commande- ment de la Région fortifige de Ver- dun et des forces disponibles sur la rive gauche de la Meuse » ; le général Herr lui serait adjoint et l’état-major de la RFV absorbé par celui de la 2° Armée. Cette décision de changer le commandement en pleine bataille comportait un risque sérieux, celui dentrainer un flottement — qui pouvait Gtre fatal — pendant les quelques heures nécessaires au nouvel état-major pour s‘installer, prendre connaissance de Ja situation, du terrain et des moyens a sa disposition. HISTORIA ¢ 69 CASTELNAU SAUVE VERDUN Castelnau devait confier au comman- dant de Bary, son officier d'ordon- nance, qu'il n’aurait jamais osé le faire sil n'avait bien connu le général Pétain et s'il ne s’était pas agi de son ancien état-major de la 2° Armée, seul capable, a son avis, de réaliser ce tour de force. Par un message de 16 h 50, Jofire approuva « toutes les décisions prises parle général de Castelnau ». Une des plus pénibles était d’écarter du jeu le général de Langle, d’autant plus que celui-ci était revenu & Souilly, oi il devait assister, silencieux et uleéré, & tout ce qui se passait /par-dessus sa téte. Pétain fut touché & Chalons par le message de Castelnau. Il arriva a Souilly vers 19 h, muni de instruction de Joffre qu'il avait recue le matin & Chantilly et qui lui donnait le commandement des forces de la rive gauche. Castelnau annula cette ins- truction et lui remit aussitét celle qu'il avait signée a 16 h, en ajoutant qu'il prendrait le commandement & minuit. Pétain objecta qu’il ignorait la situa: tion, que son état-major n’arriverait que le lendemain et qu'il serait par conséquent préférable de remettre sa prise de commandement de quelques heures. «Non, lui répondit Caste nau, A minuit >. Le 25 février & minuit, il y avait tout juste vingt-quatre heures que Castelnau avait quitté Chantilly pour stenfoncer dans la nuit glaciale et la tempéte de neige. Pour se rendre compte de tout le chemin parcouru depuis ce moment, il faut comparer les deux instructions que Pétain avait recues, l'une & Chantilly le matin, autre & Souilly le soir. Dans la premiere, Joffre prenait les mesures pour limiter le désastre; dans la seconde Castelnau donnait le coup de barre qui sauvera Verdun. Le danger n°était cependant pas entigrement écarté. Pendant que Castelnau prenait, dans le domaine du commandement, les décisions éner- giques qui, dans son esprit, devaient rétablir la situation, sur la ligne de feu, deux événements des plus graves 70 © HISTORIA semblaicnt justifier le pessimisme de ceux qui désespéraient de pouvoir se maintenir sur la tive droite. L’offen- sive allemande était repartie le 25 aprés-midi, bousculant la ligne avan- ¢6e entre Louvemont et Bezonvaux. Le fort de Douaumont qui, par suite d'un malentendu, n’avait pas regu de garnison, tombait sans combat aux mains de l'ennemi. Entre la Meuse et Louvemont, Ja 37° DI, qui avait pourtant vaillamment contenu l’at- taque allemande sur la c6te du Talou et la c6te du Poivre, abandonnait ses positions ct, 4 18h 30, son chef, le général de Bonneval, lui donnait ordre de se replier sur Froideterre et Belleville, c’est-2-dire en arritre de la ligne principale de résistance, aux portes mémes de Verdun. Ce repli créait sur le front une bréche béante de 4 kilometres entre la Meuse et Ie village de Dowaumont. La situation paraissait plus mauvaise que jamaii Heureusement la 39° DI, qui avait franchi la Meuse a 16h au pont de Belleray et marchait vers le nord, allait arriver vers 21h sur la ligne Bras-Douaumont et s'y installer ra- pidement. A minuit, un front solide et bien soudé était reconstitué, aveu- glant la bréche qui avait fait craindre un moment que la route de Verdun ne fat largement ouverte. La crise conjurée Ce n’était done pas en vain que, depuis 4h du matin, Castelnau Sefforgait de redresser fa barre. Ce sont ses deux interventions énergiques a Avize et & Dugny qui avaient amené le général Herr a faire passer la 39° DI sur la rive droite. Grace A quoi, cette division était arrivée & temps sur la position principale de résistance. On constate une fois de plus qu'un ordre n'est pas tout. Celui que Joffre avait envoyé la veille au général de Langle était catégorique : « Tenir face au nord... Employez-y tout le 20° corps sans hésitation ». Mais on peut affirmer que la 39° DI serait restée sur la rive gauche si Castelnau navait pas pris 'initiative de venir sur Jotte et Pétain en 1916 dans un vilage de la Meuse. La posts dans la vitro ‘mais lalssera dons ombre un des csons principaux, Castelnau. Nous remer- ions Ia famille de Castelnau quia bien voulu communiquer 3 auteur la majo- rité des photos inédites illus- trant cet article. place en vérifier, puis en imposer Fexécution. Ainsi, au soir de cette journée du 25 février, la plus drama- tique de la bataille, au moment ot Pétain en prenait la direction, tout était en place pour contenir les attaques allemandes qui allaient re- prendre le 26 a aube. La grande crise de Verdun était conjurée. Le Iendemain matin, Castelnau, qui était allé coucher a Bar-le-Duc, revint & Verdun en passant par Souilly dot Pétain venait de partir en inspection. Balfourier lui annonga la chute du fort de Douaumont. Castel- nau Tui ordonna aussitot de tout faire pour le reprendre. Pétain arriva en fin de matinée et, devant le général de Castelnau, il donna aux généraux Balfourier, Chrétien et Guillaumat des instructions d'une précision par- faite : « Jestime, dit-il, que si nous arrivons & nous maintenir dans la situation actuelle pendant deux jours, Verdun est sauvé. » « Dans l'aprés- midi a Souilly, écrit le commandant de Bary, l’état-major de la 2° Armée est deja en plein fonctionnement, ayant absorbé celui de la RFV, et cette belle machine est toute différente de celle quelle a remplacée. La confiance et ordre succédent au désordre et & la panique. » Castelnau resta encore pendant deux jours dans le secteur de Verdun, donnant depuis Souilly des ordres aux services du GOG pour organisation des arrigres de 'armée, la régulation des transports et 'acheminement des renforts. Pendant qu’il_prolongeait son séjour, le nouveau front resta inébran- lable, Les 26 et 27 février, toutes les attaques allemandes furent repous- sées. Verdun n’était certes pas déga- gé, mais la place ne pouvait plus étre emportée brusquement. Tous les renforts étaient maintenant a pied @aeuvre. Le 29 au matin, apres s’étre assuré que le dispositif qu’il avait mis en place fonetionnait bien comme il le youlait, il estima que sa mission était terminée et rentra 4 Chantilly. offensive allemande se poursui- vit par a-coups pendant cing mois, mais elle n’obtint que de trés faibles gains de terrain. Sa derniere vague vint mourir en pointe, le 11 juillet, devant le fort de Souville, a 3 kilo- metres du front atteint le 25 février. A partir du mois d’octobre, les Francais passérent a la contre-offensive et eprirent peu & peu le terrain perdu. Dans cette bataille, Castelnau a joué au moment le plus critique un role décisif. On peut dire qu'il a été yéritablement artisan initial de la victoire de Verdun dont Pétain a été le remarquable exécutant. Gallicni, alors ministre de la Guerre, ne s'y est pas trompé. II savait parfaitement que © était lui qui avait sauvé la situation : «Castelnau est parti A 1 heure du ‘matin. Ia paré a tout ; on a vu ce que pouvait faire un chef énergique, un homme de décision ». Cependant, on oubliera vite ce qu'on devait A Castelnau. Quand le président de la République, Poincaré, alla décorer de la Légion d’Honneur la ville de Verdun le 13 septembre 1916, seuls Joffre, Pétain et Nivelle furent invités a la cérémonie. Castelnau n'y avait pas été convié. La postérité ne lui sera pas plus reconnaissante. Lorsqu’aujourd’hui on commémore la bataille de Verdun, on en reporte toute la gloire sur le maréchal Pétain auquel on décerne le titre de « vainqueur de Verdun ». Le nom de Castelnau n’est méme pas prononcé dans les discours officiels. ‘Yves GRAS HISTORIA © 71

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