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FIN DE VIE Euthanasie et soins palliatifs, cote a cote Les débats sur la fin de vie peuvent-ils se limiter en un combat idéologique « pour » ou « contre » feuthanasie: Le vécu de certains patients, comme des soignants, indique que la frontiére nest pas toujours aussi claire quion le pense. EN SOINS PALLIATIFS. (On chemine, loin des certitudes médicales. lest en soins palliatifs depuis quelques _nait : « Ici, je suis soigné comme un rol... paroles ont été entendues lors du récent semaines. Epuisé par un long combat Mais je veux mourir. » Un autre encore colloque organisé par la plate-forme contrele cancer, ildit: «Stop. Cela suff. affirme, avec une pointe de cynisme : «Je des soins palliatifs wallons 8 Louvain- Je rien peux plus... Aidez-moi @ mourir veux mourir, mais on ne va tout de méme _ la-Neuve. Fautil stoner quapres de tranquillement, » Un autre patient recon- pas faire comme avec notre cocker. » Ces | longs mois de traitements, voire plusieurs — q g zg ws EM ererS années, des patients disent un jour, sim- plement : « Docteur, je pense que fon ne peut pas aller plus loin.» SUR UN TERRAIN INCERTAIN Alors, « peut-on souvrir4 leuthanasie dans _ un contexte de soins paliatifs?» sintertoge uc Sauveur, médecin au CHR de Namur. / suis} «En sons palais, exoiave te BaD médecin et enseignante, on cheming Cen est fini des certitudes médicales. Cela reste une pratique professionnelle fondée sur un savoir et une pratique confirms, mais sur un terrain inertin,» Cette maniére de voir « nous éloigne de la toute-puissance médicale, afirme@aymond Guelbs) Qui Engagé depuis de nombreuses années | taire de la mort des autres 71! faut retrouver cen soins palliatifs il constate une évolution. « Passer des soins palliatifs @ feuthanasie était impossible & envisoger ily une dizaine dannées.. ‘On nest pas programmé pour « Quisuis-je, pour avoir cru que jétais propriétaire de la mort des autres ?I faut retrouver I’humilité quéon ne ma pas enseignée... » fa douleur atin de permetie que a décision deuthanasie as« Nous sommes fs our eet [Fhumitéquon nema ps esi. ni’ la vie, rappelleRaymond Gueib& psy- chiatre et responsable du Gefers (Groupe francophone diétudes et de formations en éthique de la relation de service et de soin), mais peut-on laisser tomber le patient en fin de vie, alors qu’on Ya accom- ‘pagné pendant des semaines, parce que ‘nous ne sommes pas destinés en priorité & ans les situations les plus difficiles, tech~ rniquement et humainement parlant, les patients attendent une réponse profession- nelle.» RESPECTER LES SOUHAITS DU PATIENT Cette question taraude les soignants en soins palliaifs. Certains estiment quil faut Sajuster a la réalité et & la volonté pro- fonde du patient jusqu’a faire «le deuil de la solution idéale, pour eux, celle du laisser ‘mourir plut6t que du faire mourir ». Ce qui importe alors, cest que la décision soit expression d'une volonté personnelle et non pas seulement une décision médi cale habillée d'une raison technique ou psychologique. « Notre travail, explique une équipe de soutien, est de sortirde Fur- gence par te activ une bonne communication centre les personnes concer rnées, une bonne gestion de soit un choix et non facte dune personne jux abois.» © Limportant, affirme te médecin et Heute ae Desng membre d'une Equipe mobie de soins palliatfs dans un grand hépital laic en Flandre, est de gar declarelation avec le malade... Aprés avoir exprimé ses craintes et éclairc ses volontés, le patient est souvent plus sere, plus en phase avec les soignants et sa famille. » pratiquer feuthanasie?» 4 QU'IL S'EN AILLE LE PLUS VIVANT POSSIBLE! » Que répondre 3 ce fils de vingt ans qui volt sa mere décl- ner sur son lit d‘hOpital ? Celui-ci nen peut plus de voir ce corps qui gémit et se défait des suites d'un cancer : « On voit bien quion est dans un hépitat catholique ! lance-til.La seule solution sefait-elle de dire: si ces derniers instants sont insupportables, il n'y aurait qu’ les supprimer ? Respecter le temps de lagonie - un mot quion nutlise plus guere — est” ce pas ne rien entreprendre qui pourrait raccourcir le temps de la mort, tout en soulageant les douleurs et la souffrance du patient, ce que permet la médecine actuelle ? Certes, la sédation en fin de vie suscite un débat houleux. Si elle per- ‘met de soulager les douleurs du patient proche de la mort, est parfois aussi au prix de raccourcir sa vie. Ce qui pose question, cest que on est vite dans Iutilitaire, méme dans les moments les plus graves.«Lagoni, celasert@ quoi?» Quel est Iintérét de ce «temps» ou il semble que rien ne se passe d’autre que dlattendre fa mort ? Précisément, répond le docteur Isabelle Marin, médecin francais cancé- rologue et de soins pallatfs, 'agonie, «celane sert rien... » Selon les mots de Gabriel Ringlet, ce n'est « qu‘un espace de temps vivre » pour « prendre le chemin de a contemplation », pour « empoigner ce qui nbus arrive », « soulever la vie ordi- naire », et, si Yon est chrétien, « oser une parole évangélique @ hauteur de ce qui se joue d cet instant... afin quil sen aille le plus vivant possible » Ce temps «qui ne sertd rien » permet & la famille, aux amis, aux médecins, aux soignants 8 étre « les garants de cette vie qui lutte ou fabandonne, des amarres du ‘grand voyage... » dit encore Isabelle Marin. (CVA) AGONIE. Larguer les amarres du grand voyage. AAinsi, selon Iui, soins palliatifs et eutha- rnasie peuvent coexister sans que cola les affaiblisse, « Les souhaits du patient et Fattention aux proches ne sont‘ils pas au centre des soins palliatfs? » Il recon: nait quil faut beaucoup d'humilité pour admettre la diversité des choix, prendre au sérieux celui qui meurt, accepter Fimportance de ses attitudes et de ses intentions. Les grands principes généraux ne doivent pas, en tous cas, priver la per- sonne qui choisit de mourir par euthana sie d'etre bien entourée. AIDER A MOURIR N’EST PAS TUER ent a diautres religiew fe parle jamais de leuthanaste commie étant le fait de « tuer ». Aider Un patient 8 mourir, en réponse 8 une demande personnelle, au bout de longs mois, voire d’années de souffrances, «cela na rien a voir avec un meurtre », dit- Il. En parlant de cette fagon, on sinterdit de proposer une éthique d’accompagne- «MA MORT NE CONCERNE PAS QUE MOI. Le recours & leuthanasie se développe dans une société marquée par exaltation de lautonomie de I'individu : « Ma vie m’appartient. » Mais le mourant n'est pas seul au monde! La mort donnée @ une personne souffrante affaiblt peut-étre la capacité de résis- tance d'autres malades. On doit sinterroger sur la discrimination qui peut appa- raltre entre les personnes « autonomes » (qui peuvent demander 'acte dieuthana- sie) et celles qui sont jugées « incapables » dexprimer leur volonté, Les soignants peuvent porter jusque dans leur vie privée le poids de décisions prises dans la Vie professionnelle. Certains médecins ne prennentils pas le risque de devenir des spécialistes de leuthanasie et, faute de coll@gues volontaires, de porter une image négative de « médecin de la mort ». Peut-on demander une euthanasie sans penser la famille et aux proches ? Obtenir leur assentiment allégera le poids de cette lourde décision... Sans nier le droit 8 Yautonomie des patients en fin de vie, il faut rappeler que celle-ci est toujours « dans la relation » (CVR) ment et de soins terminaux convenables ~pour fous. « Futhanasie et soins pallatif, amniouennemi 7 La question ne devrait pas se poser én ces termes. La réalité cli- nique invite & rechercher de nouvelles attitudes pour accompagner le patient, médicale ment mais aussi spirituellement, jusqu’ Véventualité d'une demande deuthanasie. Voila qui deveait faire débat. Christian VAN ROMPAEY 2 ywuwzsoinspalans be Bi wewaefersbe « Remué au plus profond du ceeur » Paul Franck, prétre et rédacteur pour Vappel, a vécu plusieurs expériences d'accompagnement de personnes dans leurs derniers moments. Elles ne sont pas exemplatives mais montrent différentes facettes d’une méme réalité : la fin de vie. les expériences n’ont pas été faciles, ni humainement, ni spirituellement. « Ce dont on parle peu et qui est évacué de la rencontré des personnes trés seules dont la situation familiale na pas été facile. Se mélent a cela des questions de disputes internes ou d’héritage, Des malades en fin de vie ont parfois une foi religieuse profonde ou sont agnostiques ou athées. « Jai vu des amis athées partir dans une paix profonde avec ta conscience davoir eu tune vie bien remplie et de fervents croyants traversés par Fangoisse et la peur.» HORS DES CLIVAGES Pour le prétre, la question de la fin de vie devrait dépasser les clivages philoso- phiques ou religieux. « Malheureusement, ces questions sont souvent & la base de opposition entre croyants et non croyants, entre pour et contre. En réalité, la question finale et importante nest-elle pas celle du sens que fon donne a sa vie et du sens que notre propre vie a pour les autres, nos proches, et la société dont ont fait partie. Faut-ilétre le plus malin, le plus fort, le plus performant pour que la vie ait un sens ?» ACCOMPAGNER JUSQU'AU BOUT Paul Francka rarement été confronté direc: tement a la question de leuthanasie, sauf par deux fois. Des amis ul ont demandé sit es accompagnerait jusav’au bout, meme dans le choix de feuthanasie. « Je leur ai répondu que je respecterai leur décision, que Je serai toujours avec eux. Ja aussi dit quil était certain quils avaient du sens pour moi, quils étaient importants & mes yeux, quils comptaient beaucoup dans ma vie et celle de leur entourage. Et ils nont plus jamais évoqué leuthanasie. Je pense que leur ques- tion fondamentale était de savoir sls comp- talent encore pour moi et pour leurs proches. Finalement leur interrogation était :Suis;je encore quelqu'un pour toi ? Est-ce que jen vaux encore la peine ? Cela névacue pas la question de Feuthanasie et ce quill convient x é Lappe! 364 Février 2014 Zervietels religieusement de faire quand la demande devient insistante.Serait-ilimpossible dima- giner un accompagnement, y compris rtuel, dans ces moments ?» LA TENDRESSE DANS LES GESTES Paul Franck évoque trois expériences de fin de vie marquantes sur le plan humain D’abord, cet ami prétre de longue date. Wi souffrait de la maladie d'Alzhe'- mer. Sa mémoire flageolait de plus fen plus. Cependant, il n/avait pas été reclus. Le plus longtemps pos- sible, ila été invité par le personnel du home & continuer & participer aux activités de la maison, y com: pris les repas au réfectoire. Quand ¢a n'a plus été possible, ses amis, Paul Franck y compris, sont venus lui rendre visite tres réguliérement, simplement pour lui tenir compagnie, lui prendre la main, lui par- ler. « Non pas dans un langage bétifant, comme d quelqu'un qui ne comprendrait rien, mais en lui faisant la conversation, comme @ un adulte. Jessayais de discuter leplus possible en wallon, sa langue mater- nelle. Etje voyais que cela éveillait une lueur dintérétdans ses yeux. Tout geste, tout sou- rire, toute parole gentile, toute caresse est indispensable et utile, Sai aussi été marqué ar Fattitude profondément humaine du Sui: ACCOMPAGNER, Redire que les personnes restent importantes & nos yeux personnel, depuis la technicienne dentre- tien, jusqu’é la garde-malade et nfir- mire, » Cette personne agée nétait pra tiquement jamais laissée & elle-méme. Et toujours traltée avec respect. Car pour le prétre, il y a évidemment la connais- sance des gestes techniques, indispen. sable, mais il y a surtout Ihumanité et la tendresse avec laquelle ces gestes sont posés. «Je me rappelle cette infirmiére qui «Finalement, leur interrogation était: FACE A UN BEAU JARDIN La seconde expérience concerne égale- ment une malade atteinte trés tot de la maladie dAlzheimer, une amie tres proche, avec qui Paul Franck avait beaucoup tra: vallé, Elle sest trouvée dans un home, loin de chez lui. La, ell était bien entourée par sa famille. Trés vite, sa mémoire a conn de sévéres troubles, jusqu’a ne plus recon- naitre ses propres enfants, ni son ami, Aprés avoir espace ses visites, le prétre a été averti un jour que je encore quelqu’un pour toi ? 1a fin approchait. Et il est retourné Est-ce que jen vaux encore la peine ? » venait lui donner @ manger. Une seringue était nécessaire pour le nourrir car it rvac- ceptait plus que du liquide. Quelle douceur dans le regard, et toujours une petite parole agentille, une présence vivante, chaleureuse. Brel, une humanité profonde. »Cet ami est mort dans la paix, avec la grande chance détre entouré, « Peu de temps avant sa ‘mort, illusion ou réalité il ma semblé avoir percu dans ses yeux une lueur, presque comme un rayon de joie. » Cette premiére «rencontre » avec la fin de vie a fait com prendre au prétre toute Importance de la présence, méme silencieuse, du regard de tendresse et affection. la voir, & plusieurs reprises. « Jai 6té étonné de lui rendre visite non dans sa chambre, mais dans un petit salon, face un beau jardin. Le voyait-elle ? En était-elle consciente ? Mais le personnel avait pri soin de lu offrirun cadre agréable, pas un mourot. La veile de sa mort, je lui ai park je ai prise par la main, je ut alraconté des histoires, des souvenirs communs. aieu impression quielle a compris que jétais & ses cOtés. Jai alors saisi importance davoir encorepoureuxuneconsidération, deVatten tion. »Se pose la question de celles et ceux ui sont seuls et sans famille. « Ny aurait- pas un appel& faire & des volontaires péur offrir une présence & ces personnes délais ‘sées ? Une tiche d'humanité profonde.» PARTI, LA BIBLE ENTRE LES MAINS Sa toisiéme expérience de fin de vie sur vient avant le décés d'un ami prétre, dans tun centre de soins pallatifs non chrétien. « Jy ai vécu un accompagnement respec- tueux de la personne ». I n'y avait plus rien dautre 2 faire que de lul prodiguer des soins de confort, administrés avec grande bienveillance. «Je u/al rendu visite pratique- ‘ment tous es jours, pendant deux semaines. Ga a été pour moi une veritable econ chur Ianité et de spintuatté aussi, donnée par ‘mon ami mais aussi le personnel. Jeu le privlége de célébrer avec lui et avec des amis lesacrement des malades. Lejourdesa mort, 11 état profondément calme. On ma appelé pour me signater quil venait de nous quitter Lorsque je me. sus rendu sur place, fai été remus jsqu‘au plus profond du cceur. Je ne sais pas sifinfirmire qui lavait préparé était chrétienne ou pas, mais elle a trouvé une tres Jolie et profonde attention. se fait que mon ‘ori aimait lire sa Bible toute usagée, méme forsquil était tres fatigué. Ele la lui avait <éposée’dans les mains, ouverte, comme il lalisait.erioubiieraijamais cette image.» Sabine LOURTIE et Paul FRAN

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