Vous êtes sur la page 1sur 13
La garantie constitutionnelle de Desthétique et de la mémoire Institute of Hellenic Constitutional History and Constitutional Law. Studies 5. .ge: Current Trends in its legal protection, (International 6-27 November 1992), P. Sakkoulas. Bros. Publishers, Athens 1995.6. 105- 115. Archaeological Heri Conference Athens INSTITUTE, OF HELLENIC CONSTITUTIONAL HISTORY AND CONSTITUTIONAL LAW STUDIES 5 UNDER THE DIRECTION OF PROFESSOR G. KASSIMATIS ARCHAEOLOGICAL HERITAGE: CURRENT TRENDS IN ITS LEGAL PROTECTION (International Conference (Athens, 26-27 November 1992) P. SAKKOULAS BROS. PUBLISHERS ATHENS, 1995 LA GARANTIE CONSTITUTIONNELLE DE L’ESTHETIQUE ET DE LA MEMOIRE Par HELENE TROVA* ! INTRODUCTION Voici peut-étre un cas unique de travail interprétatif de la Constitution par la jurisprudence: deux simples mots, ceux d’«environnement cultu- rel», sont devenus pour le juge une telle source d'inspiration qu’ils ont rendu la protection judiciaire bien plus large que la protection législative, et d'autre part, ont modifié de maniére essentielle le texte de la législation en vigueur. Peu A peu, et par le biais de traits d'audace jurisprudentiels remar- quables, la protection des objets meubles et immeubles de l'antiquite et des temps modernes a connu une évolution qui a débouché sur une protection des biens relevant du domaine de I’ esthétique et de la mé- moire, dans I’ espace et dans le temps. 1. L’approche legislative La protection des biens culturels est un probléme qui preoccupe depuis peu, relativement parlant, l'activité des Etats, mais aussi de la communauté internationale, sur le plan de la production législative. La forme initiale de leur réglementation juridique était surtout lige au pro- bléme de leur régime de propriété, et concernait des biens meubles aussi bien qu'immeubles. Les évolutions les plus récentes en ce domaine ont transféré le centre d'intéreét, de la protection de biens meubles et immeu- bles concrets, au souci de développer un niveau de vie élevé au milieu 1. * Docteur en Droit, Avocate au Barreau d’Athenes 106 des biens culturels, de créer un espace environnant esthétiquement ac- ceptable, et a la volonté de faire le lien entre le passé des biens culturels et leur avenir. En d'autres termes, 'intérét du législateur se déplace vers des biens juridiques abstraits tels que le niveau de vie et I’ esthétique, la continuité historique et la mémoire. La conséquence de cette évolution est que l'on en soit venu a considérer comme biens culturels protégés, hormis les objets, meubles et immeubles, I" ensemble des interventions humaines dans léspace etdans le paysage naturel, en tant que composantes de la mémoire historique. La Constitution hellénique dispose a l'article 24 que «la protection de I environnement naturel et culture! constitue une obligation de Etat. En vue de sa sauvegarde, lEtat est tenu de prendre des mesures spéciales, préventives ou répressives» (par.1). Au paragraphe 6 du méme article, elle dispose que les monuments et les sites sont placés sous la protection de lEtat. Dans la législation grecque, I’ injonction constitutionnelle est par ail- leurs spécifiée en protection des objets «antiques», meubles et immeubles (art.1, 50, 52 de la loi 5351/32, art.3 de la loi 1469/50) et des sites historiques (art.50, 52 de la loi 5351/32). Il ne fait aucun doute que la protection législative des biens culturels est surannée et ne suffit plus & répondre a linjonction constitutionnelle. Ce n’ ef'st que trés récemment, depuis la ratification du traité sur la protection de I’ héritage architectural de Europe (loi 2039/1992), qu’ont été inclus dans la notion d'héritage architectural des monuments, ensem- bles architecturaux et sites importants du fait de leur intérét historique ou archéologique. Ce traité a pour objectif de resserrer les liens entre les membres du Conseil de l'Europe, afin de sauvegarder les idéaux et principes qui constituent Phéritage commun des Etats de l'Europe, comme un ensemble de références culturelies destiné aux générations futures, en vue de l'amélioration du mode de vie, dans aussi bien qu’ en dehors des villes, au sein d'une politique culturelle commune. L’approche jurisprudentielle ‘Ayant constaté les lacunes de la législation grecque, la jurisprudence a jugé que, selon les dispositions en vigueur, la protection s’étendait aussi aI’ espace intérieur et & 1 e'space environnant des immeubles qui demandent a étre protégés, élevant ainsi au rang de biens a protéger le paysage et I’ ensemble de |’ esthétique des objets immeubles. En outre, 107 la jurisprudence a lié la protection des objets meubles a celle des objets immeubles se trouvant au méme endroit. Ainsi le passage s’ est-il effectué, de l'objet concret, meuble ou im- meuble, protégé par la joi, 1’ esthétique abstraite de l'ensemble, le but étant la protection durable des éléments qui composent I'héritage histo- rique, artistique, technologique et culturel, d'une maniére générale (CE 2801/91). Cette évolution de la jurisprudence est, a notre sens, la conséquence: a) d’une legislation désuete, qui demande a étre complétée et modi- fiée; b) du caractére indéfini de linjonction constitutionnelle, dans 'usage qu’ elle fait des termes d’ environnement culturel, qui a laissé libre cours une interprétation large de la Constitution; c) de l'’évolution des cou- rants techniques, archtecturaux, urbanistiques, qui a orienté en un certain sens l'interprétation de la loi, au moment ott il convenait de l'appliquer; d) de lampleur des atteintes portées aI’ environnement culturel, qui a sensibilisé ceux qui avaient a charge d’appliquer la loi. Toutes ces raisons sont @ |’ origine de I’ adaptation du travail inter- prétatif de la Constitution hellénique accompli par la jurisprudence, aux courants architecturaux modernes tels qu'ils se sont exprimés dans la Charte d’Athénes pour les monuments et leur conservation (1931), de Venise pour la conservation et restauration des monuments et des sites (1964), et dans la Charte pour la protection des villes historiques, pro- posée par l'organisation internationale ICOMOS. La jurisprudence récente du Conseil d’Etat poursuit dans la voie de V'interprétation de la Constitution en un sens qui ne se limite plus a la seule protection de I esthétique globale et du paysage, mais qui vise également 4 la promotion au rang de biens 4 protéger, de biens tels que Ja mémoire historique et I’ esthétique. Le premier arrét que nous allons présenter constitue un point de repére dans l’évolution de la politique jurisprudentielle du Conseil d’Etat, qui tend résolument, et de maniére systématique, a se substituer au législateur et 4 l’Administration. Ensuite seron examinés deux avis récents, qui se référent a la conser- vation de la mémoire historique et de I’ esthétique (comme faisant partie de la vie des citoyens) comme motif de protection de biens culturels et d’ ensembles esthétiques, sur la base de I’ interprétation de la Constitu- tion En présentant ce matériel, nous voulons montrer que, grace a la pratique judiciaire et 3 1’ élaboration jurisprudentielle, la notion constitu- tionnelle d'senvironnement culturel» trouve peu & peu son essence pro- 108 fonde, qui réside dans la garantie de I’ esthétique et de la mémoire en tant qu’éléments culturels immatériels. Nous tenterons, dans un dernier temps, de préciser les notios d’ esthétique et de mémoire, telles qu’ elles résultent de l'interprétation qui est faite de la Constitution. A. LA FIN DE LA ROUTINE EN MATIERE DE PROTECTION DES. BIENS CULTURELS. ARRET CE 1917/92 (ART.50 DE LA LOI 535/1931) Un arrét récent du Conseil d’Etat souligne la volonté du juge d’en finir avec la logique du «on a toujours fait comme cela» en ce qui concerne la protection des biens culturels. Considérant que l'interprétation «habi- tuelle» de la loi par I'Administration n'est pas la seule bonne, le tribunal bouleverse le status quo et suggére a I’Administration la maniére correcte d'aborder l'interprétation de la législation. Faits réels, Par un recours pour excés de pouvoir a été demandée l'annulation du permis de /construire de la Direction de r'Urbanisme d’Athénes de la Préfecture d’Attique et de tout acte ou omission connexe. Un atréte du Ministre de la Culture a autorisé, sous certaines conditions, une société touristique hoteliére a construire sur un terrain situe & proximité de l’Acropole d'Athénes; au cours des travaux de terrassement, une section du mur antique de la cité d’Athénes (mur de Conon) a été mise au jour. Par la suite, un permis de construire a été accordé 8 la société anonyme en question par les services de l'urbanisme. Motivation du Conseil Archéologique Central (C.A.C.) Larrété du Ministre de la Culture s' est fondé sur un avis du Conseil Archéologique Central qui, contrairement au Service des Antiquites compétent, a jugé que la solution de I’ expropriation était préjudiciable et devait are rejetée, et que le permis devait etre accordé sous certaines conditions, notamment celle que les antiquités seraient conservées dans le sous-sol du batiment, of le public pourrait les voir et les visiter. Le CAC a abouti a cette conclusion essentiellement parce qu’il a jugé qu’il devait se conformer a la pratique qu’il avait suivie par le passé en des cas similaires, dont certains concernaient justement des portions du meme mur, 109 Exposé des motifs de I’arrét du Conseil d’Etat Le Conseil d’Etat a jugé que, méme a admettre qu'il existe effective- ment une politique du CAC en matiére de protection des murs antiques (conservation dans des sous-sols), suivie par le passé, en l'instance, la motivation de 'avis ci-dessus était défectueuse. Le vice de la motivation réside dans le fait que le CAC devait exami- ner spécialement et en détail les arguments du Service des Antiquités, qui mettent en avant la valeur archéologique propre cette portion du mur, valeur qui en exception a cette pratique, justifiait sa conservation, d’a- bord eu égard a la nécessité de compléter la recherche scientifique, et d'autre part, en vue de la sauvegarde de sa valeur culturelle particuliére, et par suite, justifiait également I expropriation des lieux. En d'autres termes, conformément toujours a la position adoptée par le tribunal, epour que le rejet de la solution de I’ expropriation soit legitime, il fallait avant tout envisager les arguments scientifiques concer- nant la valeur archéologique particuliére du mur, ce qui n'a pas été fait en l'occurence par le CAC». Approche critique de l'arret Cet arrét sert de guide dans l’approche critique de la politique jurs- prudentielle dans les questions touchant a linterprétation de article 24 de la Constitution, pour ce qui concerne |’ environnement culturel. Le tribunal s‘insurge contre la position qui consiste 8 admetire de nouveau, systmatiquement, ce qui l'a été naguére, et déclare sans détour que c’en est fait de la routine en matiére de protection des biens culturels. Cette fin, vue comme une révolution jurisprudentielle, est bien sir particuliérement romantique; mais en meme temps, c’ est un défi a Yadministré qui programme des investissements sur la base d'une inter- prétation constante de la loi et en fonction de la pratique de l’Adminis- tration. Sous cet angle, cet arrét du Conseil d’Etat devra étre considéré comme poursuivant une longue série d’arréts militants de cette méme cour sur des questions d'environnement, et surtout d’environnement culturel. AToccasion du contréle de la motivation du CAC, le tribunal en arrive aussi, subrepticement, a la question des jugements techniques de I'Ad- ministration, par la référence aux arguments scientifiques indispensables a Pévaluation de la valeur culturelle du mur de Conon. Jugeant insuffi- sants les arguments scientifiques de 'organe consultatif spécial, le Conseil d'Etat procéde & l'annulation de larraté, et incite l'organe consultatif & fonder par une argumentationle jugement qu’il porte sur la valeur cultu- 110 relle des biens en cause. Sur ce point, on devra considérer que cet arrét introduit, indirectement mais de maniére trés claire, le contréle des juge- ments techniques de I'Administration. La référence la valeur culturelle d'un bien comme motif justifiant sa conservation est, enfin, un élément novateur, introduit par cet arrét, élément qui n’ est pas mentionne dans la législation en vigueur. Cette question présente un intérét particulier, si on la rapproche de la récente proposition de loi déposée par l'opposition en vue de la protec- tion pénale des biens culturels, qui s'appuyait sur la distinction des biens culturels selon leur valeur, cette distinction se répercutant dans les sanc- tions et les peines infligées. B. LA CONSERVATION DE LA MEMOIRE HISTORIQUE COMME. MOTIF LEGITIMANT DES DEROGATIONS EN MATIERE D' URBANISME. Ce n'est pas la premiere fois que Pylos préoccupe le Conseil d’Etat, lui donnant l'occasion de rendre des arréts d’avant- garde. Sa valeur touristique et économique conduit a l'affrontement d’intéréts contraires d'un coté la conservation du site historique, et de l'autre, sa mise en valeur. L’arrét CE 2739/87 a jugé que, en n'expédiant pas de dossier, V’Administation avait agrée les allégations des requérants concernant la nécessité de proteger le site historique en question. L'avis se référe a une autre affaire pour réaffirmer que la conservation de la cité de Pylos est lige a celle de la mémoire historique. Avis 205/1992 A Voccasion de l'avis formulé sur un projet de décret présidentiel concernant la révision du plan de découpage des rues de la commune de Pylos deja approuvé, de maniére A instituer des dérogations, la 5e Section a jugé que ces dérogations étaient authentiques et donc légales Ces dérogations (exceptionnelles et nécessaires) concernaient un petit nombre de batiments, pour des motifs d’intérét public. Elles ont été jugées nécessaires la conservation de la continuité des facades des quartiers construits de la cit, en tant que composante de sa physionomie et de Vechelle réduite des batiments, qui constitue un élément architectural caractéristique. Le maintien des dérogations est lié a «la sauvegarde de la mémoire et de la continuité historiques de la cité, qui a joué un réle prépondérant dans histoire de la Grace, et on peut parvenir ce résultat par la sauvegarde de sa physionomie tant urbaine qu’architecturale, caractéri- mi sée par la continuité de la construction des facades et par l’échelle réduite des batiments». La these de la 5e Section présente un grand intérét pour ce qui est de la possibilité de conserver la mémoire et la continuité historiques de la cité de Pylos comme motif légitimant les dérogation urbanistiques, si ’on pense a la difficulté qu’éprouve la 5e Section 4 admettre la légitimité des dérogations en matiére d'urbanisme. Comme motif de conservation des biens culturels, la nécessité de protéger la mémoire historique a été admise pour la premiére fois par Varrét CE 1599/87 (relatif une pharmacie classée monument historique 4 Corfou), et indirectement, par l'arrét CE 416/91 (concernant le batiment sis a l'angle de la rue Corais et de la rue Panépistimiou), en vertu d'une interprétation de la loi conforme la Constitution, loi qui ne se référe nulle part a la mémoire historique. Le tribunal a abouti 4 cette conclusion en interprétant la notion d'«environnement culturel» avec une indéniable audace. Le fait est que la garantie de la mémoire historique est désormais passée dans des décisions de justice et dans des avis, si bien que '’Ad- ministration pourra elle aussi étre guidée dans ses choix futurs, Cela constitue un autre aspect de la position de la jurisprudence, a savoir que Yarticle 24 par.6 de la Constitution confie au législateur ordinaire le soin de fixer les mesures nécessaires susceptibles d’assurer de maniére durable Ja protection de I’ environnement naturel et culturel et des éléments qui le composent, dans le but de sauvegarder l’héritage culture! grec pour les générations futures (jurisprudence constante; v. a titre indicatif CE 1364/81). L’innovation intéressante réside dans le fait que la conserva- tion de la mémoire, naguére but de la protection d'un bien, devient objet méme de la protection de la loi. C. LA GARANTIE CONSTITUTIONNELLE DES CONDITIONS DE VIE OPTIMALES DES CITOYENS DANS LE DEVELOPPEMENT DE L'HABITAT: PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT ET ESTHETIQUE La legislation urbanistique a été la premiére (art.4 de la loi 1577/85), & l'occasion de la protection de sites ou de portions de sites caracterisés par I'Administration comme classés, & disposer que le but de la conser- vation des sites était la protection de lénvironnement naturel et la sauve- garde et mise en valeur de leur caractére urbanistique, esthétique, histo- ique, folklorique et architectural particulier, faisant ainsi de I’ esthétique un motif de protection des biens culturels. Parallélement, la jurisprudence a consacré comme motif de protection a2 de I’ environnement, d’abord naturel, puis culturel, 'amélioration des conditions de vie des citoyens. Pour la premiere fois, on rencontre dans un avis opinion selon laquelle I’ esthétique de I’ espace constitue un élément des conditions de vie optimales que garantit la Constitution elle- méme. Avis 423/1992 A l'occasion de |’avis formulé par la Se Section du Conseil d’Etat sur un project de décret présidentiel qui concernait |'approbation d'une étude urbanisme et la révision d'un plan d'urbanisme déja approyvé pour Porto-Rafti, il a été jugé quill ressortait de Particle 24 par.2 de la Consti- tutions que la compétence réglementaire de l'Etat, «par laquelle est exer- cée la politique d’aménagement du territoire et d'urbanisme au profit de Vintérét public, s' exprime par l'adoption de régles générales et objec- tives... Ces conditions doivent donc étre posées par des régles générales et objectives, liées 8 des critéres purement urbanistiques, touchant au caractére fonctionnel et au développement de I’habitat ainsi qu’aux meil- leures conditions de vie possibles des citoyens, et en particulier au respect de I’ environnement, a la sécurité, 4 I'hygiéne, a I’ esthétique et a la communication». Cet avis fait suite 4 la longue série d’arréts et d'avis du Conseil d’Etat qui ont succédé au fameux arrét CE 10/1987 sur la garantie d'un mini- mum de conditions de vie par la Constitution. La jurisprudence s'est tout d'abord référée & ces conditions comme & des «mesures contribuant & l'amélioration de |’ environnement urbain, selon des critéres visant a servir le caractére fonctionnel et le développement de I'habitat». L’expres- sion «...et en particulier 4 I esthétique et & la communication» est dans le prolongement de cette conception du juge concernant les conditions de vie du citoyen, telles qu’elles ressortent de l'interprétation constitu- tionnelle. Depuis la ratification du traité sur la protection de I’héritage architec- tural de I'Europe, "élement culturel, en tant que composante du niveau de vie, est également passé dans la législation grecque, liant de maniére décisive la protection de 'héritage architectural a I’ environnement natu- rel et d'une maniere plus générale, au systéme de construction et d’or- ganisation urbanistique, si bien que ni !'Administration ni les particuliers n'ont plus d’excuse de l'ignorer. us D. DE LA GARANTIE DE L'ENVIRONNEMENT CULTUREL A LA. GARANTIE DE L'ESTHETIQUE ET DE LA MEMOIRE Le travail interprétatif accompli par la jurisprudence sur la notion constitutionnelle indéfinie d’«environnement culturel» a trés tot donné lieu a des débats doctrinaux. L'audace et Pimagination manifestées par le juge n'ont pas été considérées comme allant de soi, bien que la protection de la culture prédisposat 4 un consensus politique et la tolérance. L’cenvironnement culturel», en tant que notion constitutionnellement garantie, a été en fin de compte défini, suite cet avis jurisprudentiel, comme le choix esthétique fondamental de la Constitution, matérialisé dans I’ ensemble des biens contribuant d lélaboration de l'histoire et du cadre sociopolitique de la vie de tout citoyen. Lioeuvre récente de la Se Section du Conseil d’Etat montre que Tinépuisable dialogue du juge avec le pouvoir exécutif et le pouvoir legislatif se poursuit, et fait émerger les courants architecturaux et artisti- ques contemporains. Mais comment définir plus particuligrement la mémoire et I’ esthétique dans le texte de la Constitution? Si'on part de l'article 1 par.1 de la Constitution, qui dispose que «le respect et la protection de la valeur humaine constituent lobligation primordiale de la République», et qu’on le combine a l'article 24 qui se rapporte a I’ environnement culturel, on devra considérer que le droit de individu a la continuité historique est une composante de sa valeur. La continuité historique est une valeur pour tout peuple, Cette valeur a été mise en doute au cours de Mhistoire par divers systémes politiques, dans le but de détacher historiquement les citoyens de «souvenirs dangereux», agissant de maniére libératrice lorsqu’ils réveillent soit une honte natio- nale soit une fierté nationale capables de mettre en branle l'inconscient collectif et de transformer les groupes humains de simples masses en forces politiques pensantes. De ce point de vue, les monuments sont des symboles, des points de repére susceptibles, en tant que signifiants, de metire le feu aux poudres. Il ne fait aucun doute que c'est aussi pour des raisons symboliques que la période byzantine a fait de la «querelle des images» une époque par excellence destructrice de monuments. A travers méme la personne de l'empereur Julien, surnommeé tort «apostats, Byzance a connu I expression la plus profonde de la jonction politique entre I’histoire et les courants modernes, c’ est-a-dire l’antiquité classique et le christianisme. Exemple actuel caractéristique: I'étoile de Vergina sur le drapeau de ee 114 la nouvelle République de Skopia, qui vise conférer une conscience nationale un Etat nouveau, en marquant idéologiquement ses objectifs futurs. La garantie constitutionnelle de la mémoire sera congue, de ce point de vue, comme une expression de la valeur humaine et comme une composante de la Nation telle quélle est citée a l'article 1 par.3 de la Constitution, Elle sera donc considérée comme un élément de histoire de la Nation et comme un facteur permettant au Peuple de se situer dans le temps. En tant que composante de I'Etat constituionnellement protégée, I esthétique se rapporte essentiellement a la situation du citoyen dans I éspace. Cette sensibilisation du législateur constituant ressort de la combi- naison des articles 17 et 18, qui se rapportent a la protection de la propriété tout en contenant parallélement la réserve de la loi (art.18 par.1 Const.) pour les sites et trésors archéologiques. Vu sous cet angle, I" environnement culturel devient I’ espace «agré~ menté» par la main de l'homme, capable d’infléchir la protection de la propriété. On devra rechercher la raison d’étre de sa protection dans le besoin de trouver aujourd'hui des signes de reconnaissance culturelle, au prix du sacrifiée économique de la propriété de! espace qui héberge ces signes. Rien ne saurait donner meilleure image de cetle idée que les groupes de touristes armés de !'outil d'immortalité technologique, la caméra ou l'appareil photo, montant a l'assaut des monuments du monde entier. La quéte du beau n’ est pas seule a faire aller de I'avant ces troupes: c'est aussi la recherche de signes de reconnaissance de cultures dont les créateurs ont cessé d’exister. La passion des archéologues ou des collec- tionneurs, soyons-en sirs, se nourrit de la méme quéte de fragments d'immortalité, En ce sens, on entendra par esthétique la quéte ontologique, au milieu de vestiges en tout genre, de l'homme modeme, a l'écoute du «verbe des vestiges», qui relie l'individu aI’ espace qui!’ environne. «Quel que soit le prix que l'on vous offre, n'acceptez jamais que ces biens-t8 sortent de notre pattie. C'est pour eux que nous avons combat- tu»: I’ exhortation du général Makriyannis exprime parfaitement l'échelle de vaieurs que doit établir Etat s'il a 8 coeur son entité esthétique et sa mémoire historique. La tendance actuelle & la restauration des monu- ments, quelque élevé quén soit le codt, exprime la volonté politique de faire vivre l'espace comme une continuité et comme un cadre de vie. La récente volonte internationale qui s'est manifestée au niveau légis- ns latif, de protéger les espaces en tant qu’ ensembles, et non plus seulement certains objets, scelle la prise de conscience du fait que I’ espace envi- ronnant lie et atteste le temps sur le plan ontologique. Il est manifeste que de la sorte, séparer I" esthétique de la mémoire n'a pas de sens. Il reviendra donc 4 la législation et a la jurisprudence, sanctionnant la fin matérielle de la routine en matiére de protection des biens culturels, de ne pas disjoindre ces deux notions de Mémoire et d'Esthétique, car, a ce qu'il semble, inséparables, elles sont capables de créer un cadre qui convienne au citoyen actuel, dans lequel dieux et symboles le soutiennent dans sa profonde angoisse existentielle.

Vous aimerez peut-être aussi