La santé entre les sciences
de la vie et les sciences sociales:
André-Pierre Contandriopoulos
hives de Montréal
Résumé:
La santé est au centre de tres nombreus débats dan tous les pays développés mais la défnition de ce que recou:
vre ce concept est loin de faire U'unanimité. L'analyse des travaux empiriques et théoriques sur ta santé et ses
determinants montre que les catégorie et ls disciplines mobilisées sont tes nombreuses et souvent incompat
bles. Pour réconcilier ces perspectives, il faut admerre que la santé n’est pas un continuum allant du bien-étre
Te plus complet jusqu’a la mort, en passant par la maladie, mais un concept complexe socialement, historique:
ment et culturelement construit, qui tient compre de la tension permanente qui existe entre U'adaptation de la vie
4 environnement, la quéte du bonheur et la maladie
Lenjeu de la santé publique est alors de mobiliser 2a ois les sciences de la vie et les sciences sociales pour
premicrement, metre en auvre des programmes visant a réduire les facteurs de risques pour la santé, deusiéme-
tment, participer @ améioration du systéme de soins pour qu'il traite de facon équitable et effciente toutes les
personnes malades et trosiemement, identifier, évaluer et faire connatire tout ce qui, dans la socité,favorise ou
limite V'épanouissement de la vie pour orienter les politiques publiques.
Mots clefs: Santé, maladie, bien-&tre, santé publique, déterminants de la santé, politiques de santé.
a santé est aujourd'hui, au début du XXIr
siécle, au centre de trés nombreux débats
Jdans tous les pays développés. Il suffit,
pour s‘en convaincre, de lire les journaux et
découter les nouvelles. Tous les jours, il est
question des problémes du systéme de soins, de
découvertes scientifiques donnant lespoir de
vaincre telle ou telle maladie, des attentes de la
population envers le gouvernement... Ainsi, par
exemple, dans le Discours du Trone (1999), la
gouverneure générale du Canada, madame A.
Clarkson, déclare:
“Les Canadiens s‘attendent @ce que leurs gou-
vernements travaillent de concert pour asst-
rer que le systeme de santé du Canada demew-
re moderne et viable. Ainsi, nous ferons en
sorte que notre systéme de santé nationale
réponde aux besoins changeants de tous les
Canadiens... que les gouvernements aident les
familles a sortir du wcycle de la pauoreté»,
quis investssent en faveur de «trés jeunes
enfants», quils sassurent de «la qualité de
environnement», quils combattent «la cri-
sminalité», qu'il batissent «des collectivités
plus fortes» ."
En un mot, elle indique que la légitimité
de '«ftat moderne»? repose, comme le disait
Foucault, “sur sa capacité a prendre en charge la
vie, la ménager, la multiplier, d’en récompenser
leg aléas, d’en parcourir et délimiter les chances
et les possibilités biologiques.” (Foucault, 1997).
Et cest pourquoi, les questions se rapportant &
la santé continuent d’avoir une telle importance
dans les pays développés?.
Toutes les sociétés développées ont cru,
au lendemain de la deuxiéme guerre mondiale,
quil serait possible, compte tenu des succés
spectaculaires de la médecine moderne, délimi-
ner les disparités de santé en rendant accessibles
Ruptures, ree transdscplinaire en sant ol. 6, n° 2, 1999, pp. 174-191.La santé entre les sciences de la vie et les sciences sociales 175,
4 tous les citoyens, tous les services de santé
‘médicalement requis, dans le cadre de systémes
publics d’assurance-maladie.
Cet optimisme a vite fait place au désen-
chantement; les disparités de santé entre les dif-
férentes catégories professionnelles sont aujour-
dhui aussi grandes qu’au moment de lintro-
duction de assurance-maladie, méme si ’espé-
ance de vie a augmenté trés rapidement durant
la deuxidme moitié du XX*sigele.
Mais si Vassurance-maladie n'a pas per-
mis de réduire les écarts de santé, elle a eu toute-
fois trois grandes conséquences. Elle a, premig
rement, accru de fagon considérable le senti-
ment de sécurité de tous par rapport a la mala-
die; elle a, deuxitmement, grace a son finance-
‘ment public, constitué un formidable systéme
de redistribution de la richesse entre les catégo-
ries socioprofessionnelles, et entre les bien por-
tants et les malades; elle a donc participé a ren-
dre la société plus équitable; et finalement, elle
est devenue un secteur essentiel de Iactivité
économique: aujourd'hui, au Québec, plus dun
travailleur sur dix travaillent directement dans
Te domaine de la santé.
Le systéme public d’assurance-maladie a
ainsi contribué de fagon trés importante a la
stitution et au maintien de la légitimité de
VEtat aux yeux des citoyens. Au Canada, en
1995, plus de 60 % de la population pensait qu'il
fonctionnait bien et 73% estimait qu'il avait con-
tribué a amétiorer la qualité de vie dans le pays
(EKOS, 1996). Cest en partie grace a cette popu-
larité que les coats des systémes ont pu, dans
tous les pays développés, augmenter plus vite
que la richesse collective jusqu’au miliew des
années ‘90. Au Canada par exemple, les dépen-
es totales de santé sont passées de 5.5% du PIB
en 1960 8 10,2 % en 1992 (ce qui plagait le Canada
pari les pays les plus généreux du monde).
Mais a partir de 1998, la mondialisation de
Véconomie a obligé les gouvernements & assai-
nir leurs finances publiques pour maintenir leur
position concurrentielle dans le monde et sur-
tout pour conserver une autonomie suffisante
ar rapport aux marchés financiers, afin de pou-
voir gouverner démocratiquement. Les gouver-
ements du Canada et des provinces, compte
tenu du poids de la dette publique (18% de
dépenses de I’Ftat au Québec) et de I'impossibi-
lité ’augmenter les impots, ont di, pour équilt
brer leurs budgets, réduire leurs dépenses et for-
cément celles relatives a la santé qui constituent
environ le ters de leurs budgets.
‘Au Canada, le redressement des finances
publiques s'est effectué brutalement en moins
de cing ans. La part des dépenses totales de
santé dans le PIB est passée de 10,2% en 1992 a
9.2% en 1997 (OCDE, 1999). Si la rapidité de
cette décroissance est remarquable — aucun
autre pays de YOCDE n’est arrivé a le faire — les
conséquences en termes d’accds aux soins et de
satisfaction de la population sont aussi remar-
quables et uniques!
Le pourcentage de la population qui
pense que l'accessibilité aux services s‘est dété-
riorée est considérable: en 1998 (AMC, 1998),
plus de 70% de la population canadienne esti-
ment que les délais d’attente a l'urgence et pour
tune chirurgie se sont détériorés durant les der-
nidres années, plus de 60 % se plaignent du man-
que de disponibilités des infirmitres et des
médecins spécialistes, 86% attribuent aux cou-
pues budgétaires la baisse de la qualité des ser-
vices disponibles dans la communauté. Plus de
50% de la population se dit préte a accepter une
certaine privatisation du financement des servi-
ces pour sortir de cette situation. Et pourtant,
quand on interroge les Canadiens sur leurs
valeurs, ils manifestent un grand attachement
aux grands principes sur lesquels s‘appuie le
systéme de santé canadien: 93% trouvent trés
importante Iuniversalité, 85% Vaccessibilité et
88% T'intégralité de la couverture (Forum
national sur la santé, 1996).
La situation paradoxale devant laquelle
les gouvernements sont placés saute aux yeux.
Diune part, les impératifs économiques les obli-
gent a réduire leurs dépenses pour avoir un
budget équilibré, faute de quoi leur dépendance
envers les marchés financiers les empéchera de
conserver une autonomie suffisante pour gou-
verner de fagon démocratique et maintenir une
position concurrentielle dans le monde. Et,
dlautre part, les coupures que cela impose dans176 André-Pierre Contandriopoulos
Jes programmes sociaux et en particulier, dans le
régime dassurance-maladie, remettent en cause
Jes bases mémes sur lesquelles repose la légitimi
té de I'Etat et done, sa capacité a mettre en oeu-
vre la rationalisation qu’impose la logique éo-
nomique.
‘Etat doit alors simultanément maintenir
tun systéme public et universel d’assurance-
maladie pergu par la population comme un élé-
ment central de sa légitimité et le transformer en
profondeur pour ne pas hypothéquer la survie
de la société. Ceci ne peut résulter que d’un
long et difficile processus de négociation entre
les groupes sociaux concernés.
Pour réussit, les transformations envisa-
‘gées s’accompagnent forcément d'une redistri-
bution des ressources matérilles, financiéres et
aussi symboliques entre ces groupes, autrement
dit de changements dans les positions relatives
quills occupent dans la société. Ces change-
ments impliquent des modifications dans leurs
systémes de valeurs et de croyances, Cest-d-dire,
dans la structure symbolique qui permet aux
différents acteurs de trouver un sens a ce quills
font. La possibilité de transformer le systtme de
santé repose ainsi en partie sur des changements
dans ce que nous concevons étre la santé, la
maladie et le bien-étre, dans ce qui les détermi-
ne et dans les relations qui existent entre ces
concepts, cest-i-dire dans la compréhension de
Vobjet méme du systeme de santé.
Le but de article est, en s‘appuyant sur
les résultats des études empiriques sur la santé
et ses déterminants, de clarifier les catégories
utilisées et les disciplines mobilisées pour parler
de la santé, de la maladie, du bien-étre et de
leurs déterminants. Et d’explorer les implica-
tions de Tidée que la santé n'est pas un conti-
nuum allant du bien-étre le plus complet & la
mort, en passant par Ja maladie, mais un
concept complexe, socialement construit, qui
tient compte de la tension perpétuelle qui existe
centre I'adaptation de la vie l'environnement, la
quéte du bonheur et la maladie.
Nous commengons par analyser I'évolu-
tion de lespérance de vie dans les pays de
OCDE. Nous montrons ensuite que les dispari-
és de santé d’une population sont fortement
associées aux différences dans la position socia-
le occupée, dans les conditions de vie, dans le
sentiment de controle que I’on a sur son existen-
ce et dans ses habitudes de vie. Finalement,
dans la troisi¢me partie, nous proposons quel-
ques hypothéses sur les mécanismes par les-
quels le social influence le biologique. Nous
concluons par une discussion des implications
de nos réflexions sur les politiques de santé.
Espérance de vie, dépenses de
soins et richesse collective
Un premier coup d’ceil sur la Figure 1
‘montre que Vévolution des espérances de vie
dans les différents pays de YOCDE est loin
d’étre uniforme et que les écarts entre les pays
retenus se sont amplifiés (Contandriopoulos,
1999). Cette diversité souléve de nombreuses
‘questions, parmi lesquelles:
1) Comment expliquer les gains de tongé-
vité de la population japonaise? En 1960, les
Japonais vivaient en moyenne moins longtemps
que les populations des autres pays de YOCDE,
et aujourd'hui, ils ont Vespérance de vie la plus
Glevée. L’écart de 2 ans entre le niveau de Vespé-
ance de vie des Japonais en 1997 et celui des
Francais, par exemple, est considérable. Deux
ans, Cest I'espérance de vie qu’ont gagnée les
Francais en 10 ans. Ces gains correspondraient,
daprés les travaux récents en épidémiologie,
aux gains de santé que l'on aurait pu obtenir s'i
avait été possible d’éliminer 80% de la mortalité
causée par les cancers.
2) Pourquoi les anciens pays de Europe
de IEst, qui étaient dans la moyenne en termes
despérance de vie en 1960, n‘ont pas pu mainte-
nir leur position? Pourquoi sont-ils restés a V6
cart de la trajectoire suivie par les autres pays
jusqu’au début des années 1990? Pourquoi cette
tendance s’est-elle inversée & partir de ce
‘moment- et que leur espérance de vie a recom-
mencé a augmenter rapidement?La santé entre les sciences de a vie et les sciences sociales 177
B19
700 |
7300+
Tehaque République)
600
LPL FELL LL ELLE PLP LHS
Figure 7. Espérance de vie moyenne (hommes el femmes)
(Source: O.C.D.E,, 1999)178 André-Pierre Contandriopoulos
3) Comment se faitil que respérance de
vie aux Etats-Unis, le pays le plus riche du
monde, soit inférieure a toutes celles des pays
retenus, a exception des trois pays de l'Europe
de Est?
4) Comment expliquer que des pays
comme la Suéde et les Pays-Bas r’aient pas réus-
si a conserver lavance qu‘ils avaient durant les
années 60?
5) Qu’ont en commun la Grace; la France,
la Suisse et le Canada pour que ’espérance de
vie dans ces pays suivent des trajectoires sem-
blables?
6) Pourquoi lespérance de vie des hom
mes hongrois a-t-elle diminué dans les années
1970-1980, alors que celle des femmes a progres
86, lentement, mais régulidrement?
A ces questions, pas de réponses simples.
Ni les dépenses de santé (Figure 2) qui expri-
‘ment la capacité que se donne un pays de traiter
les personnes malades, nila richesse (Figure 3)
ne peut expliquer les différences dans les trajec-
toires d'espérance de vie.
absence de relation entre les dépenses
de santé et Vespérance de vie est particulidre-
ment intéressante. Au début du siécle, les pro-
grés extraordinaires de la médecine scientifique
ont permis de croire qu'il suffisait de rendre uni-
versellement accessibles les services médicaux,
Vaccés ’hpital et les médicaments... pour que
la santé de la population s‘améliore et surtout,
pour que les disparités entre les différents grou-
pes sociaux s’amenuisent et disparaissent. Or,
aujourd'hui, il faut reconnattre que cet objectif
est Join d’étre atteint. D’une part, les disparités
face & la santé demeurent aussi grandes qu’au
début du sidcle et, d’autre part, il semble impos-
sible d’attribuer au syst#me de soins la croissan-
ce de Fespérance de vie.
Mais si on ne peut pas attribuer au syst
me de soins et a lefficacité de la médecine,
augmentation de lespérance de vie (ou, pour
les hommes en Hongrie, sa baisse) cela ne veut
pas dire pour autant que la médecine est inutile
ou inefficace. Cela signifie tout simplement qu'il
rne faut pas confondre objet immédiat de la
médecine: prévenit, diagnostiquer et traiter des
‘maladies spécifiques, avec les facteurs qui agis-
sent sur la longévité d’une population
(Hurowitz, 1993; Forum national sur la santé,
1996).
Dans les sociétés développées, la mise en
place des systémes de soins constitue la réponse
institutionnelle au droit d’étre traité quand on
est malade, droit qui résulte de la valeur accor-
dée a la protection du vivant et & la dignité
humaine. En effet, on peut se demander avec
‘Canguithem (1966)
“Comment un besoin humain et thérapeutique
aurait engendré une médecine progressive-
‘ment plus clairooyante sur les conditions de la
maladie sila lutte de la vie contre les innom-
brables dangers qui la menacent n’état pas un
besoin vital, permanent et essentel?*
Mais, les variations qui existent entre les
pays, dans la fagon dont ce droit a été mis en
application, ne paraissent pas sulfisantes pour
expliquer les différences d’espérance de vie
illustrées sur la Figure 1.
Les phénoménes qui conditionnent la
durée de la vie semblent étre d’une autre nature
que coux qui sont a l'ceuvre, lors du traitement
des maladies. Pour aller plus loin, il faut repérer
dans lenvironnement, dans la position sociale,
dans les conditions de vie et de travail, dans les
habitudes de vie, tout ce qui use, plus ou moins
ptématurément, la vie (Drulhe, 1996), ox encore,
ce qui constitue une «valeur négative» pour la
vie (Canguilhem, 1966)
Environnements et santé
Sion admet quil existe des déterminants
environnementaux de la santé, on devrait étre
en mesure, premigrement, d‘observer des simili-
tudes dans l'état de santé des personnes appar-
tenant un méme groupe social, économique ou
géographique, et des différences entre des per
sonnes appartenant 4 des groupes différents.
Deuxiémement, on devrait constater que desLa santé entre les sciences de la vie et les sciences sociales 179
Etats-Unis
Dépenses de santé/PIB en %
8
SLOP ELE SPIE PLS
Figure 2. Dépenses tolales de santé en pourcentage du PIB (1960-1006)
(Source: O.C.D.E., 1999)180 André-Pierre Contandriopoulos
similitudes et des différences se reproduisent
dans le temps et dans espace. Si de plus,
explication de ces variations repose sur des
hypotheses théoriques crédibles, alors la pré-
somption d’une causalité entre des facteurs
environnementaux et la santé sera forte. Les
résultats des travaux empiriques et théoriques
sur cette question montrent que c'est aujour-
hui le cas.
Les caractéristiques des environnements
dans lesquels vivent, travaillent, se reproduisent
les populations affectent leur état de santé,
méme lorsqu’on contrdle pour des différences
dans des facteurs de risque individuels. Lidée
que Yenvironnement social influence la santé de
la population est de plus en plus généralement
reconnue (OMS, 1998). Mais pour que cette
reconnaissance puisse étre & l'origine de vérita-
bles politiques de santé, il faut arriver & com-
prendre de fagon plus explicite, comment lenwvi-
ronnement affecte la santé. Ce qu'il faut, ce rest
pas de savoir «pourquoi un patient a telle ou
telle maladie 4 un moment précis», mais bien
«pourquoi, dans une population, la morbidité
ou la mortalité est différente de celle observée
dans telle ou telle autre?» (McKinlay, J.B.,
McKinlay, SM., & Beaglehole, 1989).
Pour expliciter le sens des relations entre
Jes différents facteurs qui conditionnent la santé
de la population, on peut commencer par les
plus généraux, ceux qui structurent la fagon
dont la société est organisée (Frenk et al, 1994).
Leurs influences sur la santé des individus sont
certainement importantes, mais trés diffuses.
Le contexte au niveau systémique
(Figure 4) est structuré par les relations entre,
d'une part, Fenvironnement physique (climat,
géographie, ressources naturelles, urbanisme,
hhygiéne publique, pollution, milieu de travail,
parc immobilier, réseau routier.) et, autre part,
Venvironnement social. Ce dernier résulte, dans
‘une société donnée, a un moment donné, de
VVinteraction qui s’établit entre la structure symbo-
lique, cesta-dire les
valeurs ou la culture de
5100
cette société ot ses moda-
sao Japon.
lités d’organisation. Ces
$ 9.0 | ——
scanaat
Eepérance de
70
Royaume-Unb AlemaERE
7609 |
0 500 1000
+ Subd $< s556 ————
| — 5 gag Bereeng # Rese”
no) seat rn
Sad
7500
15002000 2500 3000 38004000
Dépenses de santé per cepta $US PPA
modalités sont consti-
tuées par ensemble des
lois, des institutions, des
traditions qui définissent
le rOleet les fonctions de
tat et de la socisté cvi-
le ainsi que par les régles
et les normes qui organi-
sent Tactivité économi-
que et Jes relations socia-
les, Crest ce contexte qui,
compte tenu des caract®
ristiques de la_popula-
8100 tion, est a Yorigine de la
goo | ter | prospérité de la société,
= 7900 | de son caractére plus ou
ed ones moins égalitaire, de la
i vo Gree re rashes | constitution et du main-
| ey ors 9 ae tien de son capital social
7600 |} states (Putnam, 1993) et aussi
7500 de sa structure sociale et
+0000 12000 14000 16000 18000 20000 22000 24000 24000 28000 ddes conditions de vie de
PIB per capita $US PPA la population.
Figure 3. Esperance de vie, dépenses de sanlé, PIB per capita, en 1996
(Source: O.C.DE,, 1999)[a santé entre le sciences de la vie et les sciences sociales 181
La structure sociale se refléte dans la posi-
tion sociale occupée par différents acteurs; elle
dépend directement des mécanismes de redistri-
bution des différentes ressources (argent, pou-
voit, influence...) dela division du travail et des
conditions d’accés aux différents services
publics. La position sociale d'un acteur est
déterminée par le degré de contréle qu'il exerce
sur les trois grands types de capitaux (Sconomi-
que, culturel et social) qui sont valorisés dans la
socisté.
Les conditions de vie dépendent des con-
ditions de travail et de logement, de I'organisa-
tion familiale et des différents biens et services
consomunés par les familles et les individus.
Une des dimensions importantes des conditions
de vie est Yaccés au systéme de soins, au systé-
me d’éducation ainsi qu’aux autres systémes de
protection sociale,
Ainsi, les caractéristiques systémiques, en
structurant espace dans lequel les individus
d'une société donnée interagissent, influencent
leur santé. Elles agissent simultanément sur
leurs caractéristiques biologiques et psychoso-
ciales. On peut illustrer cette idée (Figure 4) en
imaginant que ensemble des facteurs environ-
nementaux et sociaux constitue un immense
champ de forces positives et négatives (support
social, agents pathogénes, alimentation, stress,
informations... qui s‘exercent sur les individus,
influence de ces forces sur la santé dépend de
la résistance biologique de la personne (large-
ment déterminée par son bagage génétique, son
ge et son sexe); de ses dispositions & agir, qui se
‘manifestent par ses habitudes de vie, de sa
structure mentale et cognitive; de ses projets et
des ressources (matérielles, symboliques, affecti-
ves et sociales) qu’elle peut mobiliser. Les
réponses a ces forces se manifestent soit par le
maintien d'un état de santé (quelle que soit la
definition qu’on lui donne), soit par un dérégle-
ment du systéme biologique, cesta-dire par
Vapparition de la maladie. C’est a ce moment-i,
et pas avant, que le systéme de soins est mis &
contribution. Ce que Yon attend de lui, cest
quiil diagnostique et corrige les déréglements
biologiques (parfois méme les prévienne) et
qu'il pallie les conséquences néfastes de la mala-
die. Le processus d'utilisation du systeme de
soins se poursuit jusqu’au moment oi la per-
sonne retrouve un état de santé acceptable — ou
décede,
La Figure 4 illustre la complexité des phé-
omnes en cause. Pour progresser dans lana-
lyse des déterminants de la sant, il faut étudier,
de facon précise, Vinfluence des différentes
dimensions qui caractérisent la structure sociale
et les conditions de vie.
Il est difficile mais important dans cette
analyse de reconnaitre simultanément que la
structure sociale et les conditions de vie déter-
minent la santé d’une population (en d'autres
termes, qu'elles imposent leurs lois aux indivi-
dus biologiques et qu’elles dictent en partie les
comportements psychosociaux) et de reconnai-
tre aussi la spécificité et 'autonomie de chaque
individu. Par spécificité, nous entendons le
caractére unique du bagage génétique et de
environnement dans lequel chaque individu
grandit, et par autonomic, la possibilité pour les
acteurs sociaux de faire consciemment et volon-
tairement des choix qui peuvent avoir des
conséquences sur leur santé. (Bourdieu, 1994;
Drulhe, 1996, 1997)4. Les fléches de la Figure 4
constituent le réseau d’hypothéses que les tra-
vaux empiriques sur les déterminants de la
santé tentent de confirmer (Evans, 1996; Pincus,
Callahan, & Burkhauser, 1987). Nous nous con-
tentons ici de rapporter quelques-uns des résul-
tats des recherches récentes dans le domaine.
Nous commengons par les caractéristiques les
plus générales de Venvironnement, puis nous
nous intéressons, successivement, aux influen-
ces de la structure sociale et des conditions de
vie sur la santé
Nous avons déja vu (Figure 3), que le
niveau moyen de richesse dans les pays déve-
loppés n'est pas associé a Vespérance de vie. Par
contre, de nombreuses études montrent que
plus une société est égalitaire, meilleure est la
santé de sa population, mesurée soit par son
espérance de vie, sa mortalité infantile ou linci-
dence des diverses maladies (Smith, 1996; Lynch
& Kaplan 1997; Wilkinson, 1992; Kaplan, 1996;
Wolfson, 1998). Par ailleurs, plus une société
devient équitable, plus son espérance de vie
augmente (Wilkinson, 1992). Pour Smith, édito-182 André-Pierre Contandriopoulos
Figure 4._ Environnement ot santéLa santé entre les sciences de la vie et les sciences sociales 183
rialiste du British Medical Journal, la conclusion
de ces recherches est claire: «Laccroissement
des inégalités de revenu est mauvais pour I'éco-
nomie, mauvais pour le taux de criminalité,
‘mauvais pour les conditions de travail, mauvais
pour le développement des infrastructures col-
lectives et mauvais pour la santé — aussi bien &
court qu’a long terme.» (Smith, 1996, traduction
Bre).
Deux hypothéses tentent d’expliquer ces
phénoménes. La premigre est que, dans une
société inégalitaire, la proportion des individus
qui, indépendamment de leur niveau absolu de
richesse, se sentent exclus augmente. La deuxig-
me raison est lige au fait que dans les sociétés
inggalitaires, il y a un désinvestissement dans
les domaines et dans les activités qui favorisent
Vaccumulation de capital social (services
publics, activités communautaires...) (Putnam,
1993; Wilkinson, 1992; Kawachi, Kennedy,
Lochner, & Prothrow-Stith, 1997). L’exploration
de ces deux hypothéses améne a s‘interroger sur
influence que peuvent avoir sur la santé la
position sociale et les conditions de vie. Ces
deux déterminants ne sont, bien évidemment,
pas indépendants l'un de rautre.
Les recherches récentes montrent que
état de santé est influencé de fagon non équi:
voque par la position sociale, quels que soient
les indicateurs retenus pour la mesurer
(niveau d’éducation, occupation, richesse de
Venvironnement durant la petite enfance, sup-
port social...) et surtout qu’il y a un gradient
entre la position occupée et la santé. Plus haut
on se situe dans la higrarchie sociale, meilleu-
re est la santé. Cette observation élimine
Vhypothése selon laquelle la mauvaise santé,
au bas de I’échelle sociale, serait explicable par
le fait que les personnes les plus pauvres n’ont
Pas acts au minimum vital (Marmot, 1986;
Evans et al,, 1996). Mais ce qui est encore plus
intriguant, C'est que ces écarts de mortalité ne
sont pas associés des causes spécifiques. On
les tetrouve avec la méme ampleur pour les can-
cers, les maladies respiratoires les troubles gas-
tro-intestinaux et les maladies cardio-vasculai-
res (Marmot, 1986). Un phénomene semblable a
616 observé aux Etats-Unis a propos de la préva-
lence de différentes maladies en fonction du
niveau d’éducation (Pincus et al., 1987). Ces
résultats semblent indiquer que la position
sociale renforce la résistance (Antonovsky, 1992)
apparition de la maladie en général et qu’elle
permet a ceriains, quand ils sont malades, de
etre moins longtemps et moins gravement.
Ainsi, aux Etats-Unis, aprés un infarctus du
myocarde, la probabilité de déces est 3 fois plus
grande pour les hommes dont Ie niveau d’édu-
cation est faible comparativement a ceux quien
ont un supérieur. La mortalité est 6 fois plus éle-
vvée chez. ceux qui ont une vie stressante et qui
sont socialement isolés que chez ceux qui jouis-
sent d’une vie calme et de support social
(Ruberman, Weinblatt, Goldberg, & Chaudhary
1984). Les conditions de travail exercent le
méme type d'effets: moins les travailleurs ont
d’autonomie dans Vorganisation de leurs taches,
‘moins ils sont valorisés, et plus ils sont malades
(Karasek & Theorell, 1990).
De plus, on peut éliminer I’hypothése que
les différences de mortalité en fonction de la
position sociale serait explicable par une plus
grande prévalence de mauvaises habitudes de
vie (cigarette, alcool, cholestérol) au bas de
Véchelle sociale. On constate, en effet, que la
considération de ces facteurs de risque
pas le gradient de mortalité (Marmot, 1986).
Ces observations montrent que les fac-
teurs, les situations, les contextes porteurs de
santé, Cest-d-dire ceux qui aceroissent «la possi-
bilité pour le vivant de s‘accomplir», (La
Recherche, 1995) ne sont pas de méme nature
que les mécanismes qui sont a leuvre quand il
s‘agit de diagnostiquer, de traiter, voire de pré-
venir des maladies spécifiques. Si les maladies
et la santé ne sont pas des phénoménes indépen-
dants, ils ne sont pas pour autant réductibles
Yuna autre. La maladie nest pas Vinverse de
la santé. Au Canada, a la question: qu’attendez-
vous du systéme de santé? 80% des interviewés
disent qu’ils veulent des soins accessibles et de
qualité et seulement 10% disent vouloir amélio-
rer leur santé (EKOS, 1996).
Ce nest pas parce que la durée de vie
d'une population augmente que les individus
qui Ja constituent sont moins malades. Les
Japonais ne sont pas moins malades que les184 André-Pierre Contandriopoulos
Frangais, pas plus, d'une fagon générale, les
femmes que les hommes. Lallongement de la
vie s‘accompagne d’une transformation de
Vincidence et de la prévalence des différents
types de maladie et des causes de mortalité
(transition épidémiologique), et non pas de I
mination de la maladie. Les modeles explicatifs
de la santé sont différents de ceux de la maladie.
Sciences sociales,
sciences de la vie et santé
individu qui est au centre de la Figure 4
est a la fois un étre psychosocial et un étre biolo-
gique. Les disciplines qui sont mobilisées pour
comprendre son fonctionnement biologique
sont les sciences de la vie. Elles visent en
décomposant I’étre humain (organes, tissus, cel-
Tules, molécules, génes ..) a comprendre «le
normal et le pathologique» (Canguilhem, 1966).
Par contre, les disciplines qui permettent de
comprendre le fonctionnement de l'homme
dans la société sont les sciences comportementa-
les et sociales. Elles portent sur les comporte-
ments des individus dans des groupes et sur les
relations entre des groupes d’individus dans un
contexte donné.
Crest autour de l'individu, & la fois ére
psychosocial et biologique, que se rencontrent
ces deux sphéres de connaissances (Figure 5).
Il est en effet trés largement reconnu que
les dimensions biologiques et psychosociales de
Vindividu sont en constante interaction. En
décrivant les systémes biologiques de communi-
cation qui existent entre le syst#me nerveux cer-
tral et le syst?me immunitaire, la neuropsycho-
immunologie renforce les travaux des psycholo-
‘gues et des psychanalystes sur les effets récipro-
‘ques de lame et du corps. Cette nouvelle disci-
pline (La Recherche, 1995) permet de compren-
dre comment un stress prolongé, comme celui
auquel sont soumises les personnes situées au
bas de I’échelle sociale, augmente la vulnérabili-
6 du corps a la maladie (Forum national sur la
santé, 1996). Mais la neuropsychoimmunologie
ne permet pas de comprendre comment le con-
texte social, dans son sens le plus large et toute
sa complexité, agit sur la santé, pour le meilleur
ou pour le pire.
En fait, la fagon par laquelle le contexte
social agit reste encore mystérieuse. On ne sait
‘pas de facon spécifique et précise quelles modi-
fications il faudrait apporter a environnement
social pour améliorer la santé d'une population.
Crest aux sciences humaines que revient
la responsabilité d’apporter des réponses & ces
questions (Renaud, 1994). Pour cela, il faudra
identifier ce qui, dans Venvironnement social,
atteint individu dans son corps et dans son
esprit. Pour réussir ce travail, il est nécessaire
que des équipes composées, 4 la fois, de cher-
cheurs des sciences sociales et de chercheurs des
isciplines des sciences de la vie travaillent
ensemble. C’est, selon nous, I'enjeu central de la
santé publique en tant que domaine de connais-
sance.
Ainsi, par exemple, vouloir agir sur les
‘comportements par rapport I'usage du tabac
sans prendre aussi en considération les fonc~
tions du tabagisme dans ensemble des com-
portements sociaux et la place du tabac dans
économie ne peut mener qu’a des déceptions
malgré les bonnes intentions des promoteurs
des programmes de lutte contre le tabagisme.
En effet, les interventions qui reposent
‘uniquement sur le raisonnement épidémiologi-
que, selon lequel, a partir du moment ott un fac-
teur de risque a été identifié, il sufft d’agir sur
ce facteur pour améliorer la santé, sont vouses &
Yéchec parce qu’elles ne sont pas en mesure de
tenir compte de la complexité du monde social.
Tl sagit 14, comme nous avons illustré sur la
Figure 5, de Yextrapolation dans le domaine
social de Vapproche expérimentale qui est au
ccantre de Factivité scientifique dans le domaine
des sciences de la vie. Il s‘agit en fait d’un véri-
table «coup de force théorique» (Drulhe, 1997)
{qui veut imposer 'idée que seule 'expérimenta-
tion est porteuse de connaissances scientifiques,
‘que les catégories utilisées pour apprécier le ris-
que mesurent des « fits objectfs» et sont done
tuniverselles et que, finalement, les comporte-
ments humains et organisation sociale qui enLa santé entre les sciences de la vie et les sciences sociales 185.
SCIENCES HUMAINES
MODELES PSYCHOSOCIAUX
DELAMALADIE ET DELA SANTE
Dineocaarte eocRAPhte
" Econom — ®COLOGIE
POCHOLOGE — SoCOLOGIE sts
‘otmcus
ny
nance
a
BoLociE MOLEC ARE
=
‘MODELES BIOMEDICAUX DES MALADIES
SCIENCES DE LA VIE
~Veeaei
RECTERCHECUNIOU
‘““Iotmooce
Figure 6. Contribution des sciences de la vie ot des sciences humaines a étude de la santé
(Sources: Krieger, 1994; Golberg, 1982; Evans, 1996)
découle sont régis par des lois de causalité rela-
tivement simples® McKinlay (1995) parle a ce
[propos de «spirale des actions sans réflexion»,
Jusqu’a aujourd'hui, les catégories utili-
sées pour parler de la santé et surtout pour la
‘mesurer sont élaborées par les sciences de la vie.
On a vu qu’empiriquement la santé est toujours
appréciée par des indicateurs de mortalité
comme l'espérance de vie et de morbidité, avec
Vidée que la santé est un continuum allant, sans
ruptures, de I’état le plus complet de santé et de
bien-étre jusqu’a la mort en passant par les dif
férents stades de la maladie et des pertes de
capacités fonctionnelles qui leur sont associées.
En fait, notre analyse débouche sur la nécessité
de considérer la santé dans toute sa complexité,
comme étant simultanément (Figure 6):
1) Ladaptation de la vie aux contextes
dans lesquels elle se déroule. La santé s exprime
alors par la durée et la qualité de la vie.
2) Le but vers lequel tend tout individu, le
bonheur, le bien-étre. La santé, dans cette per-
spective, correspond & l'état de bien-étre dont
parle OMS.
3) Labsence de maladie, «le silence des
‘organes» (Leriche, 1936). Les maladies congues
comme des déréglements des fonctions biologi-
ques constituent les manifestations négatives de
la santé.
4) Le sens que les différents acteurs
concernés (patients, professionnels, société)
donnent a la vie, a la mort, & la douleur, a la
maladie... et le niveau d’analyse considéré
(individu, le groupe, la population...), cest-a-
dire le systéme de représentation de la santé
(Herzlich, 1968),
Ces quatre dimensions de la santé ne sont
pas indépendantes, elles n’ont pas de dénomi-
nateur commun. Elles interagissent pour cons-
truire un concept qui permet de comprendre,
par exemple, que la maladie professionnelle par
laquelle un travailleur se soustrait un environ
nement de travail stressant contribue positive
ment a sa santé. Ou encore, pour comprendre186 André-Pierre Contandriopoulos
que le bien-2tre esta la fois le but recherché et
tun facteur de résistance 4 Vapparition de la
maladie et, de fagon plus générale, qu'il rest
pas possible de définir quantitativement la
quantité de ressources qu'une société devrait
affecter & son systéme de soins et combien elle
devrait investir dans les autres déterminants de
la santé. Pour prendre ces décisions de fagon
juste et équitable, il faut favoriser des débats
démocratiques autour de ces questions, en util
sant des informations qui reflétent la complexi-
‘és des phénoménes en cause.
Conclusion
Refuser de tenir compte de la complexité
et du caractére paradoxal du concept de santé
ouvre la voie & des décisions en termes de poli-
tiques de santé qui ne peuvent qu’étre décevan-
tes non pas parce qu’elles ne s‘adressent qu’a
tune partie du concept de santé, mais surtout
parce qu’elles ignorent qu’elles ne sont que par-
tielles. Les responsables des politiques de santé,
quels qu’ils soient, doivent éviter deux tenta-
tions: la tentation technocratique et la tentation
biotechnologique.
La tentation technocratique trouve son
origine dans observation que les ressources
affectées par I'Etat au systéme de soins n’amé-
liorent pas la santé de la population mesurée par
Vespérance de vie et que, par ailleurs, il existe
des déterminants sociaux de la santé sur les-
quels il serait possible d’agir. Il suffirait alors
d’@tablir les paramétres de la «fonction de pro-
duction de la santé de la population» pour
déterminer la combinaison des facteurs permet-
tant d’optimiser la santé, et donc, tout naturelle-
ment, de définir la politique de santé qui devrait,
encadrer toutes les décisions.
LA MALADIE
Dysfonctionnement biologique
(corps, organe tssus, molculs,gbnes.)
«Le santé ces silence des orgames »
Figure 6. Le concept dela santéLa santé entre les sciences de la vie et les sciences sociales 187
Une telle approche nest pas seulement
naive, elle est aussi profondément dangereuse.
En effet, dans un contexte de coupures budgé-
taires od les pressions pour réduire les dépenses
du systéme public de soins et le privatiser sont
importantes, la tentation de passer a Vacte, sans
Pour autant investir dans des programmes
visant a réduire les risques sociaux sur la santé,
est trés forte. La conséquence la plus immédia-
te de la mise en oeuvre d'une telle politique
serait un accroissement des disparités entre les
groupes sociaux et, par conséquent, un risque
accru de détérioration de la santé de la popula-
tion. La naiveté du raisonnement réside dans le
postulat que la santé et la maladie sont de méme
nature et que ce qui les distingue est une diffe
rence quantitative. Or, nous avons montré que
ce 1’est pas le cas et qu’il ya entre ces deux états
une différence qualitative (Canguilhem, 1966),
Cest-a-dire qu'il n’y a pas d’unité de mesure qui
permette d’apprécier ‘une en fonction de
Vautre. I n'y a pas de critéres objectifs pour
choisir 'une au détriment de autre. Il faut
trouver les moyens simultanément de promou:
voir la santé et de soigner les maladies. Lidée
quiilest possible d’arbitrer entre le traitement de
la maladie et la promotion de la santé de la
population repose sur le postulat économique
qui prend pour acquis, qu’en derniére analyse,
est en fonction des gains de bien-étre de cha-
que individu qu’il faudrait que les choix soient
faits. Malgré son élégante simplicité, ce postulat
ne fait pas beaucoup progresser le débat et il
ouyre la voiea de nouvelles questions: bien-étre
de qui? mesuré comment? par qui? .. ete. Ce
concept rest pas vraiment d'un grand secours.
Ce qui est en cause, cest la capacité pour Etat
d’implanter démocratiquement et de faire fone-
tionner des dispositifs équitables et efficients de
distribution des ressources pour accroitre le
bien-etre collectif.
La tentation biologique consiste a croire
que les progrés des sciences médicales permet
traient de résoudre tous les problémes de
Yhumanité. Pour Lucien Sfez, en cette fin de sié-
cle, la «santé parfaite» est en train de devenir la
nouvelle figure symbolique capable de mobili-
ser les esprits et de drainer les ressources des
pays tiches. Il dit: “Grace au décodage du géno-
me, on va découvrir le Saint-Graal de humani-
té on va pouvoir remplacer les «mauvais
genes» par de «bons genes» et créer une espéce
nouvelle d’humanité soulagée de ses malaises et
de ses souffrances.” La biotechnologie va venir
a bout de toutes les maladies, de tous les dys-
fonctionnements biologiques et sociaux de
homme, tous les hommes pourront atteindre la
limite biologique de la vie. De plus, la santé par-
faite de homme sera totale “quand la planéte
elle-méme sera devenue surnaturelle, surveillée,
réformée, renaturalisée par les technologies.”
La «grande santé» du corps individuel est
indissociable de la «grande santé» de la planete:
tel est le paradigme de la santé parfaite. Il n'y a
plus de place pour le spirituel, pour le social,
tout est rempli par la science,
Crest en acceptant de considérer que la
santé est un concept complexe et paradoxal qu'il
sera possible, grace a un véritable dialogue entre
les sciences de la vie et les sciences sociales, de
trouver ce qui, dans le social, est opérant pour
améliorer la santé et d’éviter de succomber 8 la
tentation technocratique et a la tentation biolo-
gique... L’émergence d’une conception nouvelle
de la santé, de la maladie et de leurs détermi-
nants devrait permetire aux différents groupes
sociaux de prendre le risque la fois de transfor-
‘mer démocratiquement le syst#me de soins, et
par la méme, la société pour la rendre plus équi-
table et en méme temps de valoriser toutes les
politiques qui sont porteuses de santé.188 André-Pierre Contandriopoulos
Notes
1- Cot article reprend, en les développant, les idées
évoquées dans ma présentation a la Société royale duu
Canada (Contandriopoulos, 1997) et dans Varticle
paru dans La Recherche (Contandriopoulos, 1999)
2- Ce qui caractérise I'«Btat moderne», selon
Foucault (1997, p. 233): “est-ce que 'on pourrait appe-
ler la price en compte de la vie par le pouvoir: si vous
voulez, une prise de pouvoir sur homme en tant
‘qu’étre vivant, une sorte d’étatisation du biologique...
que jappellerais une «biopolitique» de lespéce
humaine.”
3- Le ministre de la Santé du Canada, Alan Rock,
déclarait devant I'Association médicale canadienne,
‘en 1997: “Pour les Canadiens, le systtme de soins de
santé rvest pas un programme gouvernemental quel-
conque. Il représente un droit pour les citoyens. Il
reflte et conerétse certaines valeurs et certains prin-
cipes de Tidentité canadienne. Si, nous, en tant que
gouvernement ou fournisseur de soins, nous ne réus-
sissons pas a relever le systiéme de soins de santé, c'est
Te pays tout entier que nous aurons laissé tomber”
4-11 faut faire attention de ne pas prendre au pied de
la lettre le concept de déterminant de la santé en se
représentant de fagon mécanique Vnfluence du social
surla santé, Cesta-dire en occultant la possbilité pour
les individus dagir, en partie, de fagon autonome.
‘5 On peut noter que le méme ensemble de postulats
relevant du positivisme s‘applique a I'économie néo-
classique qui est aujourd’hui dominante. Ce rest pro-
‘bablement pas sans influence sur le succés que connait
le domaine de Iévaluation économique des interven
tions cliques et celui de la pharmacoéconomie.La santé entre les sciences de la vie et les sciences sociales 189
Références
AMC. (1998). Communigué: Canadians’ confidence in
medicare hits all time low. Ottawa: Association
Médicale Canadienne.
Antonovsky, A. (1992). Care Attitudes Contribute to
Health? Adoances in Mind-Body Health, 8,4.
Bourdieu, P (1994) Raisons pratiques. Paris: Seu
Canguithem, G. (1966). Le normal et le pathologique.
Paris: PU,
Contandriopoulos, A-P. (1997). La santé entre les
sciences sociales et les sciences de la vie. Allocution
inaugurale adressée a la Société Royale du Canada
Présentaions, 50,79-90,
Contandriopoulos, A-P. (1998), Pourquoi certaines
populations viventelles plus longtemps que
autres? De Favantage dre riche, cultivé et japo-
nas, La recherche (Special), jullet-2oat (322), 102-105,
Discours du Tréne. (1999). Le Devoir, 13 octobre, p.A9.
Drulhe, M. (1996). Santé et social lefagonmement social
de la santé. Paris: PUR.
Drulhe, M, (1997). Comment mesurer la santé? Esprit,
229 (sevrien), 56-62.
EKOS (1996). Recherche sur les valeurs de la population
relativement a la santé et au systime de soins de santé
Ottawa: Les Associés de recherche EKOS.
Evans, R etal. (1996). Etre ou ne pas ren bone santé
Paris: john Libbey Eurotexte
Forum national sur la santé, (1996). La santé au
(Canada: un heritage a faire fructfir. Otawa.
Foucault, M. (1997). Il faut defendre la socidé: Cours au
college de France 1976. Pais: Gallimard, Seu.
Frenk, J. etal. (1994). Elements for a Theory of Health
‘Transition. In Chen et al. (Eds), Health and Social
(Change in International Perspective. Boston: Harvard
University Press.
Goldberg, M. (1982). Cet obscur objet de Vépidé
1miologie. Sciences sociales et santé, 1 (3), 55-110.
Herzlich, C. (1969). Santé et maladie, analyse d'une
représentation sociale. Paris: Edition de VEcole des
‘Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Hurowitz, J. (1999). Toward a Social Policy for Health,
‘New England Journal of Medicine, 329 (2), 130-133.
Kaplan, G.A. (1996). People and Places: Contrasting,
Perspectives on the Association between Social Class
and Health. Int. J. Health Sere, 26 (3), 507-519.
Karasek, RA, & Theorell, T. (1990). Heally Work
‘Stress, Productivity, and the Reconstruction of Working
Life. New York: Basic Books.
Kawachi, I, Kennedy, B. P, Lochner, K.,& Prothrow=
Stith, D. (1997). Social Capital, Income Inequality, and
Mortality. American Journal of Public Health, 87 (9),
1491-1498,
Krieger, N. (1994). Epidemiology and the Web of
Causation: Has Anyone Seen the Spider? Soc. Sci
‘Med. 39 (7), 887-903.
La Recherche, (1995). La santé ef ses métamorphoses.
Supplément no 281, 3-34
Leriche, R. (1936). De la santé a la maladie, la douleur
dans les maladies: oi va la médecine? Encyclopédie
Frangaise, tome IV, cité par Canguilhem (1966).
Lynch, J.W, & Kaplan, G.A. (1997). Understanding
How Inequality in the Distribution of Income Affects,
Health, Journal Health Psych., 2 (3), 297.
‘Marmot, M.G. (1986). Social inequalities in mortality:
the social environnement, In R.G. Wilkinson (Ed).
Class and Health ~ Research and Longitudinal Data,
London: Tavistock Publications.
McKinlay, J.B. (1995), Bringing the Social System
Back. In An Essay on the Epidemiological Imagination.
Watertown: New England Research Institute,190 Andé-Pierre Contandriopoulos
McKinlay, .B, McKinlay, SM., & Beaglehole, R.
1989). A Review of the Evidence Concerning the
‘mpact of Medical Measures on Recent Mortality and
Morbidity in the United States. International Journal of
Health Services, 19 (2), 181-208.
CDE. (1999). Eeosanté OCDE, 1999, wn logiciel
Zour Yanayse comparative de 29 ysttmes de sant Paris:
SREDES-OCDE
OMS. (1998). La santé pour tous au 21° sidcle.
Copenhague: OMS. Europe.
Pincus, T, Callahan, Lf, & Burkhauser, RV. (1967).
Most Chronic Diseases are Reported more Frequently
by Individuals with Fewer than 12 Years of Formal
Education in the Age 18-64 United States Population.
Tournal of Chromic Diseases, 40, 865-874.
Putnam, R.D. (1993). Making democracy work: coil tra-
dition in modern aly. Princeton, NJ: Princeton
University Press.
Renaud, M. (1994). Expliquer I'inexpliqué: Nenviron-
rnement social comme facteur elé de la santé. Interface,
mars-avril.
Ruberman, W., Weinblatt, E,, Goldberg, J.D., &
Chaudhary, BS. (1988). Psychosocial Influences on
Mortality after Myocardial Infarction. New England
Journal of Medicine 311, 552-559.
Sfer, L. (1997), L'utopie du comps parfait. Esprit, no 229
(fevrien), 43-55.
‘Smith, G.D. (1996). Income inequality and mortality:
Why are they related? British Medical Journal, 312, 987-
988.
Wilkinson, R.G. (1992). Income Distribution and Life
Expectancy. Br. J. Med, 304, 165-168.
‘Wolfson, M.C, & Murphy, B.B. (1998). New Views on.
Inequality Trends in Canada and the United States.
‘Monthly Labor Review, 3 (avril.‘La santé entre les sciences de la vie et les sciences sociales 191
Abstract
Health isthe subject of numerous debates in many developing countries, However, the definition of his concept
is fr from unanimous. Theories and empirical results put forth by different disciplines concerning health and it’s
determinants are numerous and often incompatible. In onder 10 reconcile these perspectives, one must admit that
‘health is nora continuum that goes from a state of well being through illness to death. Rather, health is a com
pilex social concep, historically and culturally constructed which takes into account the permanent tension
Between the adaptation of life 10 its environment, and berween the quest for happiness and despair of illness.
‘The challenge of public health is thus to mobilise both health and socialsciences. This can be done, first, inthe
classical sense by putting in place programs aimed at reducing factors which place health at risk. Secondly, by
improving the heath care system so that it can treat equitably and efficiently all individuals in need. Thirdly, by
identifying, evaluating and making known all elements within society tha favour or limit the promotion of health.
This knowledge can then serve 10 orient public policy.
Biographie
André-Piere Contandriopoulosdétient un dipldme de doctorat en économie de Universit de Montréal. I est
actuellement pofesseur titulaie au Département d'administation de la santé de IUniversité de Monts I
‘occu le poste de directeur de ce méme département de juin 19928 Tété 198. Ila également été le diecteur scien.
§fique du Groupe de recherche interdisciplinare en santé (GRIS) de "Université de Montréal de 1977 199. Il et
cherchear associé cole Nationale de Santé Publique France. Ila été membre du Forum national sur la santé