QUE SAIS-IE?
Les 100 mots
du marxisme
GERARD DUNENTL. MICHABL LOWY.
EMMANUEL RENAULT1 Pres Unrated Pans 2009
oases Rel 13014 Pur
PREFACE
Bien qu'il ait refusé fe terme de son vivant, le marxisme
est d'abord ta pensée de Marx (1818-1883) - pensée dime
richesse proprement extraordinaire, en constante évolution
ty, fnalenent,laissée nachevée. Mais ce que le marxisne
doit @ Marx est indissoiable de ce quill doit a Engel
(1820-1895), le coauteur dourrages aussi célébres que
Lildéotogie ‘allemande (1845-1846) et Le Manifesto dir
parti communiste (1848), et Véditeur posthume des vol
Ines 2 e¢ 3 chi Capital. Aprés leur mort, leurs idées farent
développées dans des divectons ies diverses par des penseurs
er des courants politiques se réelamant de leur heritage
= c'est Fensemble de ces développements que Ton appelle
aujourd'hui « marxisme ». L'appellation est souvent wetted
controverse: esti justifié de considérer tele ou tlle analyse
‘au position comme marsiste? Estlligitine que tel ou tel se
revendique lui-méme conme marxiste ? Ce west pas @ nous
dle déeider « qui est marxiste» et gui ne Fest pas ! Notre
objectif n'est pas non plus de codifer le vocabulaire mar-
xiste, den fourir une version « poitiquement » correcte ou
4 seontfignement » excete, mais de proposer ane. intro~
duction & quelques-es des notions ls pls importantes da
1, Nous praposons une introduetion& cette pensée dans G. Damé-
sil, M Pony. E- Renault Live Adare, Pass, PUP, 2009.
"2: Comme toute selection, Ia notte compare une. part de subs
jeclivié et Farbiuaine. Elle pouta Eke complcice ct approfendie pe
falecture de'ditionnares eneyelopediques du marsizme, Voie Tet
[uricullsement G. Labica et @- Rensustan (Air), Dieionaire erie
merc, Bac, Ur OES Haug), Mao Kah
Worterbuch des Sireeoner do Harbors, Berlin, Araument. Verse.
984. "Les termes Gconomiques ten rilement f de Yastes
nsembles de trasabn dont memerge fable eonsenstn IhePrécisons done que c'est plutot « des marxismes » (de
Lukics @ Antonio Gransei, d’Henri Lefebvre @ Theodor
W. Adorno, de Walter Benjamin @ Emesto Che Gue-
vara, ete.) que « due marxisme » qu'il s'agira lei. La source
de diversité tient principalement Vhistoire de mouvement
ouvrier et des luttes anticapitalistes. Mars fit Tun des divi
geants de la F* Internationale (fondée en 1864), et son
‘uvre constituait déja la référence centrale de la IF Interna-
tionale (fondée en 1889, & Vinitiative d'Engels notamment)
La vietoire de Ja révolution bolehevique en Russie (1917)
ouvrit une nowvelle ére. Le mouvement ouier se divisa de
owveau alors que chacune des composantes se réclamait de”
Marx. Naguit ainsi ce gui allait s‘appeter te « marxisme-
eninisme », 1a comps de doctrines of la rigueur marxiste
Snirait par se transformer en instrument doppression par la
‘main de fer de Staline. Qu’on le seuille ow non, et quelle
gquiait 88 sa signification historique, ce marxisme en est
aussi un. Mois en paralléle se développait sa critique, celle
des opposants ace régine, notamment derriere la figure de
Trotsky. La révelution Vemporta ensuite en Chine en 1949,
et la « querelle sino-sovistique » révéla dle nouvelles interpré.
{ations tout en ouvrant de nowelles voies. Vinrent alors les
réformes aprés ta mort de Mao Zedong en 1976, puis les
ambiguités des directions actuelles. Entre-temps, ia révolt
tion eubaine, différentes expériences socialistes en Afrique et
Te mouvement tiers-mondisie avaient achevé de briser Feuro-
centrisme du marxigme des fondateurs et suscité de profonds
renowvellements.
La diversité des marxismes remoie également aux multi-
ples facettes du marxisme comme théorie des sociétés. Philo
sophes, politologues, sociologues, historiens, économistes..
ya ainsi de themes comme fe problime de la « transformation», 1a
stendance & in boise du taux de profi», ou key wschmas de tp
duction», ee. ILest diflcle de donner «une» serene La dame
4a phus appropriée consisted se reporter des dictonnaies seonomts
ques eneyslopediques, comme le New Palgare Dicnary of Reon
‘hes, sxjuel Om peut aecéder eur Intent
trowvent tous matigre & nourrir leurs recherches. Pout les
teletel ui rerenigunt ae inspitoton mars ds ces
igfbrenis domaines, la relation aux marxismes gu’ant institn-
ee eee aaee
difficile. entre soumission, doute et contestation, mais sans
que siinterrompe la démarche.
La plupart des articles s'efforcent de rendre compte de
Finbrication des enjews: politiques, économiques et philoso-
phiques des notions considérées, tout en montrant comment
elles furent mobilisées dans les débats. Copendant, conpte
enw du caractére technique de certains derits de Marx et
Engels, i arrive aussi quiun article privilégie une approche
dlisciplinaire, Les notions plus directement philosophiques ont
816 traitées par Enonanuel Renault ; économiques, par Gé-
rard Dumeénil ; et politiques, par Michael Lowy
intra de marsismes tls diferenes formes dy mar
xisme contemporain, avee ses personnalités, ses revues et ses
livees, ses congrds et conférences, avec ses Ecoles nationales
{er ses discussions Internationales, sont au eaur de ce livre. A
des degrés et sous des formes diverses, ces héritage inspire la
plipart des contestaitons radicales de Tordre capitaliste
Pulsque la publication de ce « Que sais-je ? » cobucidle avec wi
regain d'intérét pour la pensée de Marx, dans le contexte de
fa nowvelle erise majeure dans laquelle le capitalisme est entré
en 2007, espérons que ces articles inciteront leurs lecteurs d se
réferer aux grandes euvres de la tradition et aux pasitions
daciuelles de marsisme,AnstRACTION
Loriginalité de Marx est Qavoir employé la notion
abstraction non pas seulement dans le domaine de la
théorie de fa connaissance, qui est son domaine habituel de
pertinence, mais aussi dans celui de la théorie sociale, en
Forgeant le concept d’abstraction réelle.
‘Dans le domaine de la théorie de Ia connaissance, la no-
tion d'abstraction se voit attribuer une valeur tantot néga-
tive, tantot positive, Dans le cadre de sa critique de Hegel, le
jeune Marx reproche souvent 4 la démarche spéculative de se
Timiter aux abstsactions logiques et de les faire passer pour le
concret, La critique de Vabstraction slinscrit alors dans le
cadre d'une critique de la pensée aliénée (voir Aliénation),
Plus tard, dans introduction des Fondements de la critique
de économie politique (1857-1858), Vabstraction se voit
‘conférer une fonction beaucoup plus positive. Marx y sou-
ligne que Ia pensée doit partic d'abstractions pour s'appro-
piier Je monde et le reproduire sous forme de «concret de
pensée »*, Mais il ajoute également deux précisions :@) ilne
faut jamais oublier que le point de départréel de la pensée est,
Vintuition du monde réel et non les catégories abstraites :
») les abstractions dont doit partir économie politique sont
des abstractions historiquement déterminges (voir Méthode).
Dans Le Capital, la notion d’abstraction est investie dans
de nouveaux domiaines : ceux de la theorie sociale et de la
critique sociale, En soulignant que la valeur d’échange (voir
Marchandise) fait abstraction des différentes qualités utiles
des marchandises, et en suggérant qu'elle est Ie résultat d'un,
processus visant & séduire le travail humain coneret 2 du
travail abstrait (voir Travail), Mare esquisse le theme d'une
Vie sociale soumise a des abstractions néells.
1 Larus * pao fe die un mot dans sxe dei
«que ce terme Int Fobjet une ene propre U-sont plac apes le
‘Roc quit convient de chrcher selon Fore alphatctue, Par ekemple
Mol de produccon : Compostion® du capitalLa dialectique* du concret et de V'abstrait a trouvé de
La hausse de la composition du capital retarde le point
nombreux prolongements au sein du marxisme. La défini- | i une accumulation soutenue conduirait Temploi aux
tion du concret comme totalité de déterminations fonde la
ales se reapposent réiptoquement, eles sont articles
ieee par le refus d'un systéme qui réduit toute
its valeurs d la seule valeur d'échange, et toutes =
de vie A des marchandises*, Seca eas
Cortes, Marx n'ignorait pas que le capitalisme est por-
teur de progrés® historique, notamment par le développe-
sent exponentie! des forces productives (voir Mode de pro-
duction), evéant ainsi les conditions matérielles pour une
Société nouvelle, libre et solidaire. Mais, en méme temps, il
Ie considérait comme une force de régression sociale, dans la
mesure oit il « fait de chaque progrés économique une cala
mite publique » (Le Capital)
‘Au début du Xx" sitele, Panticapitalisme ~ puisant dans
le marsisme, mais aussi dans d'autres formes de pensée cri-
tique - est un dénominateur commun et un signe de ralie-
‘ment au sein de la gauche radicale, notamment en France ct
en Europe,
Approrniarion
Chee Marx, l'idée o’appropriation est initialement lige &
In philosophie de P'alignation* : appropriation signifie alors
dspassement. Mais dans Le Capital, Tappropriation dési-
gnera lexpropriation des expropriateurs.
‘Comme Vexplique Tentrée «aliénation », le concept
@alignation, tel qu'il est formulé dans les Manuserits
ide 1844, désigne une dépossession de soi qui fépond un
certain type de rapport entre activité humaine et ses condi-
tions objectives. Mars considére en effet que les homunes ne
peuvent développer leurs forces essentislles que s'ils trou-
‘ent dans le monde extérieur des moyens de satisfaire leurs,
intéréts fondamentaux. Hen résulte que les hommes sont
toujours engagés dans une activité d'appropriation du
monde extérieur, notamment par le trayail®. Inversement, si
le monde extérieur cesse de Jeur apparaitre comme une sorte
de prolongement naturel de leur propre nature®, ils se
trouvent dépossédés de celle,
Ten résulte que la contrepartie de la critique de I'aliéna-
tion est un projet de réappropriation de sa propre nature et
Bde toutes les conditions permettant d’en développer les as-
peels essentiels. C'est précisément comme un dépassement
de ensemble des aliénations, d'une réappropriation de
Tedtre générique »® et de ses conditions objectives que les,
Manuserits de 1844 définissent le communisme*. Tout lef
fort de Marx consiste alors. montrer que le communisme
cexige la négation de Ia propriété privée non pas seulement
pour assurer un partage plus juste des richesses, mais parce
Quelle est Torigine des différentes formes d'alignation : le
‘Projet communiste est celui d'une réappropriation collective
de Pensemble des dimensions de existence humaine,
A Vépoque de la maturité de Marx (aprés 1845), le com-
munisme cesse d'etre défini par Je couple alignation/réap-
propriation, mais l'idée d'appropriation n‘en continue pas
‘moins de cemplir une fonction décisive. Dans le chapitre
final du Capital, ta tendance historique de la production
capitaliste est présentée comme un mouvement dexpro-
priation d'un nombre toujours plus grand d'individus de la
propriété individuelle, de sorte qu'il ne reste plus qu’a expro-
pier les expropriateurs pour se réapproprier collectivement
Jes moyens de production et d’échange. Réappropriation des
richesses, mais aussi des institutions et des différentes moda-
ligs de fa vie collective : cela reste aujourd'hui encore un mot
ordre bien au-delii du marxisme.
ARGENT, MONNAIE
Dans l'euvre de Mars, les termes «argent » et « mon-
naie » doivent étre considerés comme synonymes, sauf dans
usage de «monnaie > désignant une devise particulit
comme le dollar.
Dans Le Capital, Vintroduction de argent provient
dune élaboration de la théorie de la marchandise* et de
PPéchange. Mars procéde d'une maniére descriptive en réfé-
rence 4 des sociétés de producteurs, antéricures au mode*
4
de production capitalist, o les agents produisent d'abord
en vue de Ia satisfaction de leurs propres besoins, puis par-
tiellement en vue de l'échange. Lorsque ces échanges se ré-
pitent de maniére permanente, la perspective de échange
modifie les conditions de production les « produits devien-
rent marchandises » selon une formule de Marx, Avec cette
sépétition, certaines marchandises sont utilises comme ré-
frences dans la négociation des prix et Ia réalisation des
échanges, typiquement une matrchandise fréquemment
Schangée. Une telle marchandise fait fonction 4’ « équiva-
lent général », en ce sens que Ia valeur des marchandises est
exprimée en quantité de cette marchandise particuliere et
permet ainsi des marchandises diverses d'etre jugées
Equivalentes du: point de vue de leur valeur.
Une marchandise peut finalement se détacher des autres,
en vertu de propriétés spécifiques (divisbilité, conserva
tion), comme 'or. Elle devient argent ou monnaie, Elle sert
‘estimer les valeurs, que la transaction soit réalisée ou non.
Elle permet la séparation de I'achat et la vente (par opposi
lion Iéchange immédiat de deux marchandises). Elle peut
ttre conservée (thésaurisée)
AUTO-EMANCIRATION
Résumant en une phrase sa conception de la lutte poli-
lique, Marx écrivait, dans le Préambule des Statuts de la
I Internationale (1864) : « L’émaneipation des travailleues
3 illeurs eux-mémes. »
Liidée de Tauto-émancipation prolétarienne était gj
apparue dans certains éerits de Flora Tristan et dans la
gauche du mouvement chartiste en Angleterre. Mais c'est,
dans les éerits de Marx et Engels qu'elle va trouver sa formu
lation la plus convaincante, notamment a partir de L déo-
lgie allemande (1846), oi elle apparait comme la traduction
politique de la philosophie® dela praxis (voir Pratique). Pour
5Mars et Engels, ce n'est que par sa propre praxis révolution-
naire (voir Pratigue), par son expérience dans l'action, par
son apprentissage pratique, par son auto-éducation dans le
combat, que Ia classe subversive (stitrzende). cest-i-dire le
prolétariat®, peut non seulement briser le pouvoir des classes
gui «correspondent», voi ldologe), ks sit
tons feridico-plitguee et ls Tnstttons celles ne sont
pes condiionnes de In mate maniére dans touts Tes pe
Fides histoigues, C'est ence sens que Louis Althusser par
ter du rapport des diferenes instances une formation
socials come dur tout complexe structure dominante»
tau eherchera tact ea prot at conn £0.
homiques au moyen du concept de surdétemination
Besoms
Marx a (out a Ia fois donné une importance philoso-
phique fondamentale aux besoins, et souligné leur vatiabi-lité historique. Chez Marx, les hommes sont analysés
‘comme un ensemble de besoins et de forces.
Dans sa période de jeunesse, la nature humaine était pré-
cisément définie comnie un ensemble de besoins et de forces,
cessentilles, Les besoins essentiels portent sur «des objets
indispensables, essentiels, pour activation et la confirma-
tion de ses forces essenticlles » (Manuscrits de 1844). Mi
Marx a également proposé une analyse du conditionnement
historique des besoins et il a critique les besoins engendrés
par le mode" de production capitaliste (comme le « besoin
argent » ou les « besoins égoistes » dont parlent les Mfa-
nuserits de 1844), Dans Le Capital, il a souligné dans le
méme sens que méme les « besoins dits nécessaires » sont
une certaine maniére des « produits historiques ».
H reviendra au marxisme d'explorer ces deux voies diver-
gentes : ou bien la défense philosophique de la difference
entre besoins essentiels et artficiels (Agnes Heller), ou bien
analyse sociologique de la construction sociale des besoins
ct de leur réle dans V'adhésion 4 la domination (Herbert
Marcuse). Ces deux voies ne sont pas totalement incompati-
bles, comme on le voit dans la volonté de Heller comme de
Marcuse de conserver Ia definition du communisme® pro-
poste par Marx dans Ia Critique de programme de Gotha
(1875), comme ordre social qui permetira la satisfaction
des besoins de tous.
BoNaranrise
Le concept de bonapartisme apparait chez Marx dans Le
18 Brumaive de Louis Bonaparte (1852), comme une tents
tive de rendre compte de la nature énigmatique du pouvoir
exereé par le neveu de Napoléon Bonaparte, aprés un coup
Etat sanetionné par le suffrage universe] ~ mais avant son
‘couronnement sous le titre pompeux de « Napoléon IIT». I,
agit d’une forme de pouvoir personnel autoritaire, appuy’
0
sur Parmée et Ia bureaucratie, qui semble s'autonomiser en-
jérement par rapport & la société civile : « L'Etat semble
étre devenur complétement indépendant. » Le chef bonapar-
tiste se prétend un arbitre au-dessus des classes" sociales,
mais sert, en demigre analyse, au maintien de ‘ordre bour:
geois ~ tout en s‘assurant, par la démagogie, le soutien de la
ppaysannerie et de certaines couches populaires urbaines. La,
bourgeoisie’, incapable d'exercer sa domination, délégue le
pouvoir politique au leader bonapartiste, qui défend, en
derniére analyse, ses intéréts fondamentaus,
Plus tard, Marx et Engels vont étendre le concept de
bonapartisme a d'autres figures historiques, comme celle de
Bismarck en Allemagne. Antonio Gramsci, dans les Cahiers,
de prison rédiaés de 1926 a 1937, utilise un terme analogue,
Césarisme, pour désigner ce type de « pouvoir d’arbitrage »,
dont il distingue une forme relativement « progressive » (Na-
poléon 1") et une forme « régressive » (Napoléon II). Daas
Jes années 1930, Trotsky (voir Trotskisme) pagle de bonapar-
tisme, ou semi-bonapartisme, pour tenter de zendre compte
des certains régimes populistes en Amérique latine, par
exemple au Mexique. Enfin, pour le politologue Nicos Pou-
Tantzas, ce que Marx désigne comme « bonapartisme » n'est
qu'une variante du phénoméne plus général de P'autonomie
de Etat* bourgeois par rapport aux classes dominantes.
Bource
Bien entendu, ec ne furent pas Marx et Engels qui in-
vyentérent le terme « bourgeoisie », d’usage courant depuis
des sidcles pour désigner In classe urbaine aisée. Mais ils
font donné au mot un sens bien plus précis, désignant la
classe des propriétaires des moyens de production (voir
Capital) et d'échange dans Findustrie, le commerce et Ia fi-
nance, Le concept occupe une place essentielle dans es,
crits politiques des années 1847-1853, pour étre progressi-
avvement remplacé, dans les éerits économiques, par celui de
« productive
et d'échange de marchandises). L'analyse de la fonction du.
Jangage dans interaction qui est proposée par L'Zdéologie
allemande, de méme que, dans Le Capital, Vanalyse de la
fonction du fétichisme® et du Droit® dans interaction, re-
live de Ia théorie des modalités spécifiques du commerce
entre les hommes.
On a souvent reproché a Marx d’analyser le monde so-
cial et historique du seul point de vue de la production,
(comme si toute la vie sociale pouvait étte réduite & acti
vité productrice des hommes) (Jean Baudrillard) et d'avoir
réduit Pactivité humaine & I «agic instrumental » (JOrgea,
Habermas). Et pourtant, Vagir humain est dembiée saisi
par Marx sous ces deux aspects : d'une part, comme rap-
port instrumental a la nature et aux produits da travail
(production et échanges Economiques) ct, d'autre part,
comme une relation avec autrui (commerce avec les
hommes).
CommunisMs, SOCIALISM ET SOCIAL-DEMOCRATIE
Dans L'Teologie allemande (1846), Marx et Engels défi-
nissent le communisme comme «le mouvement réef qui
supprime état de choses actuel », par l'abolition de Ia pro-
prieté privée et la réglementation commune de la produc-
tion et de l'échange, Dans le Manifeste du parti communiste
(1848), la révolution* communiste* est présentée comme Ia
rupture In plus radicale aussi bien avec Ies rapports de pro-
prigté traditionnels qu’avec les idées traditionnelles
Dans la préface 2 Tédition allemande de 1890 du Mani-
este, Engels explique pourquoi leur brochure ne pouvait
pas Sappeler « Manifeste socialiste » : le socialisme était,
dans les années 1840, un courant «en dehors du mouve-
ment ouvrier » ; le communisme par contre, aussi bien cn
France qu’en Allemagne, désignait «cette partie des ou-
‘riers qui, convaincue de Pinsuffisance de simples boulever-
sements politiques, exigeait que la société fut réorganisée de
ond en comble »,
Dans des documents postérieurs, Marx et Engels utlisent
tantOt socialisme, tantdt communisme pour désigner Ia so-
ci8té sans classes. Dans la Critique du progranme de Gotha
(1875), Marx définit le communisme comme « une société
coopérative fondée sur la possession commune des moyens.
de production ». I! distingue entre fa phase inférieure de la
société communiste, ot chacun regoit selon son travail
(phase parfois appelse «socialise »), de In phase supé-
eure, qui pourra écrire sur ses drapeaux : « De chacun selon
ses capacités, A chacun selon ses besoins. » A partir de 1919,
avec la fondation de Internationale communiste (voir Inter
nationalism), le terme « communisme » va désigner les par
lisans de la Révolution russe et de 'Union soviétique, tout
au long du « court xx° siéele ». En opposition a la tendance
comiuniste dominante (qui se référe & Staline), vont aussi
apparaitre des courants communistes dissidents, comme Te
conseillisme, le communisme libertaire et le trotskisme'.
Par la suite, le terme « socialisme » est couramment uti-
lisé en référence aux société issues d'une transformation ré
volutionnaire se réclamant du marxisme, Ces sociétés ont
alternativement désignées comme socialistes ou com-
rmunistes, et se sont elles-mémes déclarées telles. On a par,
par exemple, du «socialisme dans un seul pays». De
Hombrews militants révolutionnaires s‘engagent pour Ie
socialisme, des origines jusqu’a 'cosocialisme®. méme si
certains préférent la référence au communisme.
BLe terme «social-démocratie » est marqué des mémes
ambiguités. Les révolutionnaires marxistes se désignérent
‘eux-miémes de cette manire avant In TIT Tnternantionale,
‘qui consaera la scission du mouvement ouvrier en un cour
rant révolutionnaire et un courant réformiste, Pour les ré-
volutionnaires, le terme devenait péjorati.
De nos jours, les termes « social-démocratie » et « socia-
lisme » sont wilisés en référence & des partis revendiquant
des programmes favorables & des protections sociales, ou un,
role aceru de Etat face au marché
Communisne PRIMITIE
Marx et Engels désignent comme communisme primitf
Je mode de production enistant dans les périodes pre
historiques, avant Tapparition de la propriété privée, des
classes" sociales, du patrircat et de Etat. En sinspirant
des recherches de Fanthropologue Lewis Morgan sur les
Troquois nord-américains, Engels va tenter de développer
une analyse systématique de ces formations dans LOrigine
dd la fra, de ta propriété privée et de Etat (i884). I
agit, selon fu, de communautés dont fe niveau des forces
pwoductives (voir Dinlectique ; Mode de production) était
tres limite, ce qui explique Tabsence de surplus, et dons
exploitation ou de classes? sociles cistinetes. Mars et
Engels ne cachent pas leur admiration pour les structures
sociales de ces communautés libres et egalitaires, et pour
tears qualités humaines, qu'il esperent retrouver, 4 un
niveau de civilisation supérieur, dans fe communisme
moderne
Ce theme apparatt dans les écrits de Rosa Luxemburg;
notamment dans son Inirodietion & 'éconanie.poltigue,
publige aprés sa mort en 1927. La discussion str le comm
hisme primitif oceupe plus de la moitié de cet ouvrage
Parmi fes exemples etude, la « Marche » geemnique, une
s
‘organisation sociale simple et harmonieuse, o « tous tra-
vaillent ensemble pour tous et décident ensemble pour
tout >. Mais Rosa Luxemburg insiste sur Puniversalité du
communisme agraire primitif, qu'on trouve aussi bien chez,
les Indiens des Amériques, les Incas, les Kabyles, les tribus
alricaines et les villages hindous.
Sans connaitre les éerits de Rosa Luxemburg, le marxiste
péruvien José Carlos Mariategui développe des idées analo-
juss dans les années 1927-1929, considérant les traditions
collectivistes indigenes ~ le « communisme inca » ~ comme
un point de départ pour gagner les masses paysannes au so-
cialisme moderne. Ces idées trouvent encore aujourd’hui un
cho dans des mouvernents comme le Zapatisme du Chia-
pas, ou les courants indigénistes de gauche en Amérique
latine.
Composition bu CAPITAL
‘Marx définit avee grand soin ce qu'il appelle la « composi-
tion du capital ». I s'agit du rapport du capital constant au.
capital vatiable (voir Plus-value). Il en donne trois défin
tions. La composition technique du capital établit le rapport
centre des quantités physiquement d&terminges, comme le
feraient des indices dans les statistiques, rapportant des
choses aussi hétérogénes que des matiéres premigres, des
sources d’énergic, des machines, des bitiments, d'une pact, &
des heures de travail également hétérogénes, d'autre part. La
‘composition-valeur est le méme rapport mais ot’ sont conside-
rées, au numérateur et au dénominateur, les valeurs de ces
ements (voir Marchandise). Enfin, Marx définit la compost.
‘ion organique du capital. Celle-i n'est rien d'autre que la
composition-valeur, mais « pour autant que ses variations
reflétent celles de la composition technique ». Dans son ana-
lyse du changement technique, c'est cette notion que Marx
utilise: méme si Texpression napparait pas explicitement,
35Pourquoi ce dernier raffinement ? Marx yeut dire qu'il fit
abstraction des variations de In composition-valeur prove-
rant de celles des valeurs des composantes du capital. Par
exemple, la valeur d'une machine peut diminuer du fait de la
hhausse de la produetivité du travail requis dans sa produc
tion. Mars signale qu'il va généralement ne pas considérer ce
type de développement, stuf mention explicite du contraire
CONCENTRATION ET CENTRALISATION DU CAPITAL
Marx identifie dans la progression du mode de produc-
tion capitaliste une tendance & la formation d'entreprises de
plus en plus grandes possédées par des capitalistes de plus
fen plus riches. Ilen déerit deux mécanismes. Le premier, ap-
pelé «concentration », provient des performances supé-
Fieures de certaines entreprises et de certains capitalistes
dont le capital s‘accurmule plus rapidement, avec des effets
camulatifs. La seconde modalité, dite «centralisation »,
provient de absorption des petits par les gros.
Conceer pe pensés:
Dans Je seu! manuscrit important quil ait lassé concer-
nant sa méthode" (Inuroduction générale a la Critique de
économie politique de 1857), Marx déerit le travail de éeo-
nomiste comme un double processus, allant, dune part, de
observation de la réalité vers la production des concepts,
et, d'autre part, fisant usage de ces concepts (combinés &
site fin) dans Iétude de la rélité. Le premier mouvement
est cali de ln production théorique, et le second, celui de
analyse coneréte
Mars soutient que les traités d'éonomie anciens par-
taieat de l'examen de conditions descriptives lies & In pro-
6
duction, par exemple, existence d'une population, son
savoir-aire, les richesses naturelles... A le suivre, l'écono-
miste qui procéde de cette maniére est amené, dans un se~
‘cond temps, 4 forger des concepts, par exemple, & passer de
| population aux classes", 4 s'interroger sur ce quest la ri-
cchesse, done les marchandises”, argent"... done la valeur,
le capital®, etc. Cette démarche est dite d°« abstraction® »
(au sens Stymologique de « tirer hors de...»), car elle
conduit a laisser de c0té, un ensemble d’aspects de Ja réalité
dont le concept considéré ne rend pas compte a lui seul, Ce
nest qu’une fois quill a exécuté ce travail de production
théorique, que Iéconomiste peut en revenir a l'étude de la
réalité, muni, cete fois, des outils adéquats, dont il combine
Ja valeur explicative. Vient ainsi le temps de analyse con-
eréte, ce gue Marx appelle la reconstruction du concret en
pensée, le « concret de pensée »,
Marx note que les traités les plus avancés dont il dispose
parteat ainsi des concepts fondamentaux et non de données
descriptives. II va procéder Iui-méme de cette maniére, com-
mengant son ouvrage économique majeur, Le Capital, par
étude de la marchandise, puis passant & Targent ot au
capital, objet central de leuvre. Marx est trés conscieat de
cette démarche et pratique Vabstraction de maniére trés
rigoureuse. 11 écrit, quelquefois, que ce qui n'a pas été intso-
uit n’esiste pas pour Ini, Il est, pourtant, trés avare de
telles mises en garde, ce qui complique la lecture de son
euvre ct impose d’en prendre une vue d'enserble avant
entter dans les développements particuliers
ConcuRRENCE EF PRIX
Marx emprunte aux économistes* classiques anglais une
analyse de la concurrence, qu'il perfectionne quelque peu,
Le cadre fondamental rassemble un ensemble de branches,
produisant des marchandises* distinctes. On peut d'abord
-
HERE EEE EE EEE ee eee Be Eee See Eee EE Ee ooo ee He Be Se eeesupposer que toutes les entreprises d'une branche sont iden-
tiques, On fait également abstraction” de toute considéra-
tien impliquant quvune production plus élevée ne pourrait
Ge obtenue qu'en augmentant le cofit de production des
marchandises (des rendements décroissants). Une telle
situation sera prise en considération par Marx dans son
analyse de la rente™ foncitre, dont il est fait abstraction
dans analyse de la concurrence au début du livre THT du
Capita.
‘Dans ce cade, Marx définit une nouvelle loi des éehanges,
distincte de la Loi des échanges marchands & des prix propor~
tionnels aux valeurs (voir Marchiandise), qui fait abstraction
Gu caractere capitaliste de In production. Du fait des compo-
Sitions® inégales des capitaux des branches, Vexistence d'un
taux de la plus-value* uniforme (2 travail égal. salaire éga!)
aurait pour résultat des taux de profit inégaux (voir
exemple numérique présenté 4 entrée Transformation des
valeurs en prix de production). Les prix normaux dans cette
Economie capitaliste garantissent aux différentes branches
des taux de profit uniformes,
"Au cour de cette analyse de la concurrence, se trouve le
taux de profit® des entreprises actives dans les différentes
branches. L'idée générale est que les capitalistes sont guidés
‘ans Jeurs investissements (les avances de capitaux) par les
taux de profit réalisés dans Ia production des diverses mar-
‘chandises, Si It production d'une marchandise rapporte un
faux de profit supérieur & fa production d'une autre, davan=
tage de capitaux s'iavestiront (s'accumuleront) dans ta pro-
Guotion dé la premiére, et inversement. Marx soutient que
gxtie attraction des capitaux par les taux de profit plus ¢le-
Aes prodait une tendance & Tégalisation des taux de profit
dans les différentes branches.
‘Ce mécanisme passe pat Fajustement des prix prévalant
sur le marché (les prix de marché) selon la. situation de
offre et de la demande, qui va conduire & une convergence
de ces prix vers umn systeme de prix particulier, es prix de
production. alflux des capitaux vers une branche, altités
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par un taux de profit élevé, augmente Fore de ces biens et
fend @ peser sur leurs prix. Il en va symétriquement des
branches of Ia rentabilité du capital est inférieure A la
rnorme, avec un effet haussier sur les prix par défaut ¢’ofire
Ces mouvements de prix commandent & leur tour ceux des
taux de profit
TL s'agit d'un mécanisme de constant ajustement réalisé
par les entreprises (modifiant leurs productions et prin) et,
des capitalistes(investissant plus ou moins dans tlle ou tlle
branche), ainsi que de déséquiibre récréé par des evéne:
ments divers (des choes). Les prix ne rejoignent pas les prix
de production, mais tendent & « graviter » autour d’eux, sa-
chant qu'il s'agit d'axes eux-mémes sujets 4 des déplace-
rents, qu’on suppose plus lent ("effet du changement tech-
nique es modiations de a demande.)
Tait, les branches sont composées «entreprises dis-
tinctes, wlsant des mthodes de production diferentes,
dione plus ou moins efficaces. La tendance a I'égalisation
des taux de profit ne conceme que les moyennes des entre-
prises de chaque branche, pes les entreprises individueles,
car aucun prix unique d'une méme marchandise ne peut as.
surer Tégale rémunération entreprises plus ou moins
pesfomates,
fe mécanisme de formation d'un taux de profit uniforme
entee ranches es @autant ps effeace que fs capt
sont «mobiles» (de méme que ls travailleurs susceptibles
de passer d'une entreprise & une autre). Le développement
du systéme de crédit™ contribue a ce mouvement. La taille
des entreprises croit historiquement mais aussi celle des
institutions financiéses qui aeeomplissent ces. fonctions
Ginvestisseurs capitalistes (voir Capital bancaire), et les
srandes entreprises diferencient, elessmémes, leurs produc-
tions. La théorie marsiste, aprés Mars, a fat grand cas des
Imonopols* ou de fa conertence monopoisigus, mais
fax lui-méme ne trate que de monopoles naturels (voir
Centralisation). : ieaaaaete
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