Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
2
Plume !
est un trimestriel de
vulgarisation scientifique
Édito
apéritive ouvert à tous.
Impression
1er tirage 1000 exemplaires
Numéro ISSN
Plume!
1951-9168
Prochaine édition
Juillet 2010
Diffusion
Abonnement et évènements
Sur demande
Prix libre - Abonnement 10/8 €
Y a pas
Au menu
Y a pas que les neurones (3)
La diversité des discriminations (4)
que
neurones
Diversité, en a-t-on
vraiment besoin ? (6)
U
n des aspects importants autre type de cellules est présent dans le Elles réagissent aux éléments indésirables
du fonctionnement des cerveau : les astrocytes, nommés ainsi en (pathogènes, neurones morts, etc.) qu’elles
neurones est la rapidité référence à leur forme étoilée. D’un côté, les rencontrent en les dégradant. Lorsque le
avec laquelle les messages astrocytes sont en contact direct avec les combat paraît trop difficile, elles peuvent
nerveux, de nature vaisseaux sanguins irriguant le cerveau. Ils également produire des substances
électrique, sont transmis le sont donc capables d’absorber de l’oxygène particulières qui font appel à des cellules
long des fibres nerveuses. Ces fibres ne ainsi que des nutriments transportés par le immunitaires situées à l’extérieur du
sont rien d’autre que le prolongement de sang. De l’autre côté, ils sont proches des cerveau.
neurones qui, lorsqu’elles sont assemblées neurones et peuvent donc leur transmettre
en faisceau, forment un nerf. Un message ces éléments nécessaires à la vie des Les neurones ne représentent finalement
conduit par un nerf peut atteindre plusieurs cellules. Depuis une dizaine d’années, on qu’environ 10% des cellules du cerveau.
dizaines de mètres par seconde. Cette sait que les astrocytes participent aussi aux Les autres cellules évoquées ici sont
grande vitesse est atteinte grâce à d’autres synapses, le lieu d’échange d’informations regroupées sous le terme global de « cellules
cellules qui peuplent notre système entre deux neurones. gliales » et sont vraiment essentielles : pas
nerveux, les oligodendrocytes. Ces cellules de cellules gliales, pas de cerveau !
entourent les fibres nerveuses et jouent un Une protection
rôle isolant permettant au signal électrique Elise
d’être propagé à très grande vitesse le rapprochée
long du neurone. Sans elles, nous serions En plus de cela, les astrocytes entourent
incapables de réagir aussi rapidement que l’ensemble des vaisseaux sanguins. Ils
nécessaire! forment ainsi, avec d’autres composants,
une barrière qui protège les neurones
d’éventuels éléments nocifs provenant du
à la soupe ! sang. Ils constituent une première ligne de
Les neurones semblent avoir tellement la défense. Il en existe une seconde assurée
tête au travail qu’ils ne se nourrissent pas par les microglies. Ces cellules scrutent en
tout seuls. Pour leur prêter main forte, un permanence ce qui se passe autour d’elles.
logos vs nomos p. 4
La diversité
des discriminations
Q
ue serait la diversité sociale sans sciences et disciplines techniques, chose dans une situation réelle les principes d’une
discrimination ? Plus importante, qui reste encore à prouver (bonne chance expérience contrôlée (comme en laboratoire)
sans aucun doute. À rebours les généticiens et les neurologues). à et c’est ce que Scott E. Carrell, Marianne E.
des dynamiques de mélange l’inverse, le rejet partiel de l’explication par Page et James E. West font pour un cas
harmonique et des complémentarités dans cette hypothèse peut passer par la preuve particulier aux Etats-Unis.
la différence se dressent les discriminations d’au moins un phénomène discriminatif
tant décriées mais pourtant omniprésentes. (explicite ou implicite, volontaire ou pas) à Le principe, rapidement
Identifier la discrimination dans la vie de tous l’encontre des femmes. Pour l’influence des Pour l’économie, la méthode expérimentale
les jours n’est pas une chose évidente mais professeurs sur les parcours et la réussite est un peu utilisée (mais de plus en plus)
certaines personnes y parviennent. des femmes en disciplines mathématiques, et contient d’importantes difficultés, pour
scientifiques et techniques, nous pouvons l’instant incontournables : faible taille des
La science, au masculin énumérer une série de possibilités intuitives échantillons, faible durée des expériences,
Pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes qui peuvent être sources de discrimination différences avec les comportements
dans les sciences ? Pour l’Europe des 27, (idées préconçues, cycles autoentretenues habituels, etc. Une solution originale consiste
si les femmes sont globalement majoritaires d’étudiants masculins ayant pour modèles à identifier sur données réelles (telles que
dans l’enseignement supérieur, elles sont des professeurs masculins, manières celles de l’éducation nationale) une structure
surreprésentées dans les disciplines liées d’enseigner, etc.) Mais pour évaluer le poids aléatoire d’attribution d’un traitement. Une
aux lettres, aux arts, à l’éducation et à réel du facteur « professeur » face à la fois cela accompli, par comparaison des
la santé, alors que les hommes le sont première hypothèse des aptitudes innées, groupes traités et non traités, il est possible
dans les disciplines dites scientifiques et il ne suffit pas d’énumérer les possibilités de quantifier l’effet causal du traitement sur
techniques. Ainsi, en 2005, seulement 31 % intuitives et de choisir l’hypothèse qui en une variable donnée. C’est selon ce principe
des diplômés de l’enseignement supérieur contient le plus. Il faut élaborer une preuve que les auteurs en question remarquent qu’à
en mathématiques, science et technologie formelle (la statistique est un outil approprié l’U.S. Air Force Academy, les étudiants sont
sont des femmes et cette proportion pour cela) de la relation causale et cela est assignés aléatoirement à des professeurs et
n’évolue guère depuis 2000. D’une réalité une autre affaire. subissent des examens et des corrections
évidemment plus complexe (qui implique standard. Le lecteur intéressé peut
également la recherche, les postes à L’apport d’une quasi- se reporter à l’article pour les détails
responsabilité, etc.) mais peu contestée, expérience nécessaires à une bonne compréhension de
découlent d’interminables débats autour La relation statistique entre le grand nombre l’approche mais cela permet de contourner
des origines sociologiques, génétiques, de professeurs masculins actuels et le grand de nombreux problèmes statistiques en plus
familiales ou personnelles de cet état de fait. nombre de professeurs masculins dans le de ceux précédemment cités. Pour l’histoire,
Autant que la facilité du discours idéologique passé n’est pas une preuve de discrimination les chercheurs trouvent un effet négatif
(qui n’est pas nécessairement faux), c’est la car elle n’est pas en contradiction avec relativement important de l’attribution d’un
difficulté de disposer d’éléments statistiques l’hypothèse des différences innées. professeur masculin aux étudiantes sur leurs
fiables qui rend les débats sur la question Comparer, pour un même professeur, les résultats dans les disciplines mathématiques,
interminables. résultats des hommes par rapport à ceux scientifiques et techniques. D’autant plus
des femmes n’est pas non plus satisfaisant que cet effet disparaît lorsqu’une étudiante
Responsable mais pas car les élèves choisissent les matières qu’ils est attribuée à un professeur féminin. Autant
que le résultat, c’est la méthodologie qui est
coupable suivent au travers de leur orientation. Se
intéressante. Elle permet d’entrevoir une
Ce manque de diversité n’est pas un présenter à un examen de mathématiques
lors des études supérieures n’est pas le nouvelle manière de présenter des résultats
problème et se comprend simplement en sciences humaines.
si l’on suppose une aptitude innée résultat d’un tirage aléatoire. Une solution
alternative existe et consiste à retrouver Jean-So
des hommes pour les mathématiques,
P
renons l’exemple de la production laitière. laitières. Ces vaches sont le produit d’une sélection
Nous considérons tous normal d’avoir drastique opérée pendant des décennies. De fait,
notre lait quotidien pour 1 euro le litre. Or, seuls quelques taureaux hyper sélectionnés servent
pour produire ce lait bon marché que nous à inséminer des milliers de vaches, ce qui les rend
considérons désormais tous comme un produit très consanguines (elles sont toutes plus ou moins
« de base », il faut des vaches, des vaches dites apparentées).
« laitières » produisant en moyenne 40 litres de lait
par jour. Ces bêtes sont, bien sûr, très éloignées des Or, ce manque de diversité génétique rend ces
bovins sauvages. Pour comparaison, les femelles animaux extrêmement vulnérables aux maladies Aller plus loin :
zébus – bétail domestique le plus commun en Afrique infectieuses. Certains chercheurs estiment qu’un
subsaharienne et très proche du bétail sauvage virus un peu plus agressif que les autres pourrait [1] Certains auteurs
– produisent tout juste de quoi nourrir leurs veaux, décimer notre pot à lait européen en l’affaire de estiment que plus de 60%
et leur production journalière dépasse rarement les quelques jours seulement. On évite donc le pire à des vaches laitières en
6-7 litres. grands coups d’antibiotiques et/ou vaccins, lorsque Europe sont des Holstein-
Friesan
cela est possible, mais jusqu’à quand ? C’est alors
.
Donc pour passer de 7 à 20 litres/jour/vache, les que nous comprenons ô combien la diversité est [2] Les vaches ont la
éleveurs ont eu recours à une sélection génétique « importante, sinon vitale. capacité de ralentir ou
empirique ». Cela signifie simplement que pendant de carrément stopper
des décennies, ils ont sélectionné leur meilleur Chez les vaches laitières comme chez d’autres l’éjection de leur lait si elles
bétail afin de garder et d’améliorer les aspects les espèces végétales et/ou animales, les races et sont stressées ou se sentent
plus intéressants de certains individus, comme leur variétés dites « rustiques » sont généralement en danger !
docilité, leur fertilité, leur conformation, ou encore, bien plus résistantes aux maladies infectieuses, et
pour notre exemple, leur productivité laitière. leur « rusticité » leur permet de survivre dans des
environnements très variés. D’où l’intérêt croissant
La sélection génétique est présente partout dans pour les races et variétés dites « anciennes », quand
le monde agricole : elle a permis de nous nourrir, elles n’ont pas -hélas- disparu… Seule ombre au
mais nous en percevons désormais les limites… La tableau : leur productivité, qui est généralement assez
grande majorité des vaches laitières européennes1 limitée. Qui donc aura alors la patience d’attendre
sont de race Holstein-Friesan, qui sont d’une part que la Marguerite locale veuille bien remplir notre
relativement dociles (donc faciles à traire), et qui pot à lait ?2
ont, d’autre part, les meilleures performances Eléonore
épisode #2
Bio diversité
et fonctionnement des écosystèmes
Au
-delà des questions éthiques as- dans les forêts tropicales ou au trajet de l’azote entre
sociées à l’impact de notre espèce les espèces d’une même communauté.
sur son environnement, les éco-
logues essayent de comprendre Entre eux, il y a une vraie différence de perception du
les conséquences de la perte de biodiversité sur le monde : la première, place les organismes en avant
fonctionnement même des écosystèmes et les ser- et suppose que les propriétés des écosystèmes dé-
vices qu’ils rendent à nos sociétés. Le terme « fonc- coulent de leurs interactions alors que la seconde
tionnement » réfère aux propriétés et/ou processus considère que c’est l’environnement qui prime en
biotiques et abiotiques au sein des écosystèmes, contrôlant, et même en organisant le fonctionnement
comme par exemple le recyclage ou la production de et la structure des écosystèmes. Il aura fallu une
biomasse. Les « services » représentent les bénéfic- 6ème crise d’extinctions massives pour enfin moti-
es que les populations humaines obtiennent des éco- ver une réconciliation entre ces deux approches de
systèmes, notamment la production de nourriture, le l’écologie !
contrôle biologique, la pollinisation, etc.
Le point de vue des
Après deux décennies de recherche pour compren-
dre plus clairement ces relations, on assiste enfin à un communautés
rapprochement entre l’écologie des communautés et L’écologie des communautés propose trois mé-
celle des écosystèmes. Les écologues des commu- canismes pouvant générer une relation positive entre
nautés s’intéressent historiquement aux interactions la diversité et le fonctionnement des écosystèmes.
entre espèces au sein des systèmes écologiques. Plus clairement : plus la diversité augmente, mieux
La coexistence d’espèces en compétition ou la dy- l’écosystème va fonctionner. L’effet d’échantillonnage
namique de la diversité des arbres en forêts tropi- est purement « statistique » et considère que les
cales sont des exemples de questions qu’ils peuvent écosystèmes riches en espèces sont plus productifs,
aborder. Les écologues des écosystèmes voient plus c’est-à-dire que leur biomasse augmente rapidement,
large et intègrent les flux de matière et d’énergie simplement parce qu’ils ont plus de chance d’abriter
dans les écosystèmes. Ainsi, certains d’entre eux une espèce très productive. La complémentarité des
s’intéressent par exemple au stockage du carbone espèces se traduit par une complémentarité des
p. 7 ... moi non plus
traits écologiques présents au sein des communau- maximale. Pour simplifier en milieux pauvre et/ou Aller plus loin :
tés. Dans ce cas, en augmentant la diversité, on aug- très riche on aura peu d’espèces présentes à causes
mente le nombre de fonctions réalisées par les es- de fortes contraintes environnementales. Par contre, Chapin, F. S., E. S. Zavaleta,
pèces car plus de niches écologiques sont utilisées aux fertilités intermédiaires la biodiversité est maxi- et al. (2000). Consequences
au sein de l’écosystème. Une niche écologique d’une male car l’environnement offre une ressource abon- of changing biodiversity.
espèce est la position qu’occupe cette espèce dans dante et hétérogène. La productivité, elle, augmente Nature 405(6783): 234-242.
un écosystème donné en fonction des ressources constamment avec la fertilité du milieu. Donc au final
Costanza, R., R. dArge, et
qu’elle exploite et de ses relations avec les autres es- on trouve une relation en cloche entre la productivité
al. (1997). The value of the
pèces. Par exemple en associant une plante fixatrice et la diversité quand on compare différentes commu- world’s ecosystem services
d’azote (comme les légumineuses) avec une autre nautés le long d’un gradient de fertilité. and natural capital. Nature
plante (comme les graminées) on aura un meilleur 387(6630): 253-260.
fonctionnement de la communauté. Enfin, la facilita- Et voilà comment écologie des communautés
tion est définie comme une interaction positive en- et des écosystèmes se sont finalement mariés : Hector, A. and R. Bagchi
tre deux espèces. Par exemple, en les abritant du les écologues ont élucidé d’une part comment (2007). Biodiversity
rayonnement direct du soleil, les ronciers créent en l’environnement modulait la biodiversité et d’autre and ecosystem
multifunctionality. Nature
plein milieu d’une prairie un habitat favorable pour part comment la biodiversité modulait à son tour la
448(7150): 188-191.
des espèces végétales telles que certains arums qui productivité. C’est l’environnement qui fixe le décor
ne fréquentent que des milieux sombres et humides, mais ce sont les espèces qui jouent la pièce ! Loreau, M., S. Naeem,
plutôt caractéristiques des sous-bois. et al. (2001). Ecology -
Biodiversity and ecosystem
Ces différents mécanismes peuvent s’exprimer lo- à peine mariés, déjà un amant ! functioning: Current
calement mais aussi sur des échelles spatiales et A peine le jeune couple formé, l’écologie des commu- knowledge and future
temporelles plus larges, depuis l’assemblage des es- nautés a commencé une relation adultère avec les challenges. Science
sciences de l’évolution. Il s’agit d’un amour de jeu- 294(5543): 804-808.
pèces de bactéries et de champignon du morceau de
fromage au fond du frigo, jusqu’aux forêts tropicales nesse : comment en effet oublier qu’au fond écolo-
et aux océans. gie et évolution s’intéressent aux mêmes questions.
C’est la biodiversité qui les rapproche ! Alors qu’on
venait enfin de célébrer le mariage entre la diversité
Le mariage avec l’écologie des et le fonctionnement des écosystèmes, voilà que des
écosystèmes… trouble-fêtes proposent que l’histoire évolutive des
Les écologues ont maintenant accumulé presque espèces explique le fonctionnement des écosys-
deux décennies de mesures reliant diversité et fonc- tèmes plutôt que la diversité elle-même ! Quelques
tionnement des écosystèmes. Et les résultats diffèrent briseurs de mariage vont jusqu’à recréer en labora-
selon l’approche de l’écologie des communautés ou toire des expériences montrant une relation positive
des écosystèmes ! Alors que les approches expéri- entre diversité et fonctionnement.
mentales menées par les écologues des communau-
tés ont pour la plupart trouvé une relation positive Au moment où l’écologie des écosystèmes allait
entre diversité et fonctionnement, le patron observé demander le divorce, coup de théâtre : elle rencon-
dans la nature par les écologues des écosystèmes tre la génomique, et ils se mettent eux aussi à bati-
est plutôt celui d’une courbe en forme de cloche. Ai- foler en cachette, discutant jusqu’à plus d’heure de
nsi, pour ces derniers, il existe une diversité optimale génomique fonctionnelle ! La génomique étudie le
pour laquelle les écosystèmes fonctionnent mieux fonctionnement d’un organisme à l’échelle de son
que s’ils comptaient moins ou plus d’espèces. Bien génome (c’est-à-dire l’ensemble du matériel géné-
que les deux perspectives semblent partager un lan- tique), et non plus à celle d’un seul gène.
gage commun, des nuances sur la notion de produc-
tivité expliquent le débat sur cette relation de cause Toutes ces péripéties sont tellement récentes qu’on
à effet. ne sait pas encore ce qu’elles apporteront à la ques-
tion de la relation entre biodiversité et fonctionnement
On comprend maintenant qu’à l’échelle d’une com- des écosystèmes. Une chose est claire : les deux
munauté, on puisse trouver souvent une relation mariés ont trouvé un équilibre avec leurs nouveaux
positive entre la diversité et la productivité. Par con- amants, le mariage est sauvé !
tre, les variations de fertilité entre communautés in-
fluent sur la productivité réalisée et la biodiversité Nicolas, Isabelle et Dominique
Dans la position du... p. 10
le marché mondial
de la che
r ec h e r
L
es scientifiques se comportent en Il s’est créé un glissement de la reconnais- prédis pas quand il aura lieu, mais je prédis
capitalistes endurcis, c’est un fait. sance souhaitée de l’individu, vers la monnaie son arrivée inéluctable. Grossièrement, un
Bruno Latour en son temps a dénoncé toute puissante du système. Même Latour krach intervient avec l’effondrement des val-
l’objectif central du scientifique : maxi- admet que le cycle de la crédibilité est ver- eurs de la communauté scientifique, lorsque
miser son capital de crédibilité (Latour 1984). tueux, parce qu’il aide à l’émergence d’idées les titres (les publis, les journaux qui les
Il a décrit un « cycle de crédibilité » poussant et de connaissances nouvelles. Tout se passe portent) possèdent une côte supérieure à
le scientifique en quête de reconnaissance à comme si le cycle de crédibilité était polarisé leurs valeurs réelles. Je prétends que c’est
chercher des subventions pour financer ses vers la reconnaissance du scientifique, tandis aujourd’hui le cas, ou en passe de l’être,
expériences, collecter des données, élaborer qu’il eut mieux valu qu’il soit polarisé vers les pour le CAC40 des revues scientifiques. On
des arguments sur la base de ces données, arguments scientifiques, les idées originales. a vu que c’était possible car les arguments
rédiger des articles avec les nouveaux ar- scientifiques et les publis ne sont pas sys-
guments et en retour gagner plus de recon- Je prétends aujourd’hui que la polarité en- tématiquement liés : on trouve des publis «
naissance. Poursuivons l’analogie et voyons visagée il y a presque 30 ans et centrée sur creuses » cotées et des publis pertinentes
jusqu’à quel point elle peut nous éclairer sur l’individu, s’est subrepticement déplacée vers oubliées. Le mécanisme caché dans un tel
le fonctionnement de la recherche actuelle. les publications (la monnaie) et non vers les krach est simple : les scientifiques réalisent
arguments scientifiques, comme il se devrait que plusieurs revues « prestigieuses » ne
Latour, qui est sociologue, met l’emphase sur dans une Science altruiste et désintéressée. valent pas l’impact factor (une évaluation des
le scientifique souhaitant acquérir toujours Les maisons d’édition sont, en grande partie, journaux scientifiques réalisée par la société
plus de reconnaissance, économisant et ré- responsables de cette « mercantilisation » ISI Thomson et qui fait référence) qu’elles ont
investissant toujours plus dans ce même ob- de la recherche. Je crois à des solutions ou- ; ils n’y soumettent plus leurs papiers, mais
jectif. La monnaie d’échange, pour lui, est le vertes et gratuites comme celles des revues visent d’autres revues, par exemple numéri-
crédit du scientifique, mais je ne crois pas que PLOS1, des sites HAL2, etc. ques ; ce mouvement massif fait disparaître
ce soit encore le cas. Le système a pris le des- les grandes revues d’aujourd’hui au profit de
sus sur l’individu et, comme dans le marché C’est donc le marché scientifique mondial et nouvelles aidant à rebâtir un nouveau marché
économique mondial adorateur de l’argent, le sa monnaie toute puissante qui domine. Tout de la publication (numérique ?).
marché scientifique mondial a placé au des- y devient mercantile. Par exemple, on ne
sus de tout la « publication », ces articles pub- prête qu’aux riches, c’est bien connu. Seuls On n’évite pas un Krach. Au mieux, on le re-
liés par des journaux scientifiques après une ceux disposant déjà de publis vont pouvoir en tarde, on s’en prémunit. Ce krach sera social,
relecture approfondie. Notre monnaie est la engranger plus encore, car ce sont eux qui il ne sera pas un changement de paradigme
publi., non le crédit. Et nous faisons tout pour décrocheront les projets ANR3, pour Agence (c’est-à-dire de modèle théorique, comme le
la faire fructifier. Plus de publis entraînent en- Nationale de la Recherche, eux qui gèreront philosophe T. Kuhn l’envisageait), même s’il
core plus de publis. Nous en voulons toujours les observatoires, qui contrôleront l’afflux de aura sûrement des répercussions sur ces
plus pour arriver à nos fins, tel un milliardaire données fraiches, que les laboratoires puis- théories. Ainsi, la polarisation du cercle de
qui, même philanthrope, souhaite toujours sants (entendre : qui publient davantage que crédibilité s’est, selon moi, déplacée de la re-
plus d’argent, plus de pouvoir financier. les voisins) attireront à la manière d’un club connaissance individuelle vers une monnaie
de football qui se paye un grand joueur. Bien systémique. Sans doute l’idéal serait-il de
Pourtant l’argent du scientifique et celui de sûr, comme les sportifs, les chercheurs pour- déplacer plus encore cette polarisation vers
l’économiste ont des différences. Le premier ront refuser l’offre, mais ce sera difficile… les arguments scientifiques, vers les idées
est une variable intensive (comme la tem- de refuser toujours plus de monnaie. Là en- originales. Notons d’ailleurs qu’elles récon-
pérature), tandis que le second est une vari- core, le scientifique et sa trajectoire sont cilieraient l’individu avec le système, en plus
able extensive (que l’on peut diviser, comme inconsciemment dirigés par le système. No- de contribuer à l’enrichissement souhaité des
le volume). Un capital de publication peut être tons que la recherche n’est pas le seul milieu connaissances. Je fais l’hypothèse facile que
partagé avec autant d’étudiants que le scien- dans lequel on observe une évaluation par le marché scientifique mondial est et restera
tifique publiant en encadrera. Les publis devi- les pairs (comme on se l’entend souvent rap- capitaliste. Rêvons un instant à ce que pour-
ennent ces dernières années une fin en soi et peler, c’est-à-dire une relecture de l’article par rait être cet alter-mondialisme scientifique,
en viennent même à échapper à leur auteur, à des collègues de la discipline). En économie où les publis seraient source d’idées scienti-
l’individu. Comme sur le marché financier où de marché aussi, ce sont les riches qui jugent fiques et non de faire-valoir social.
l’argent règne en maitre. Il n’est plus possible l’efficacité de leurs pairs… à s’enrichir.
d’enrayer le système, de réformer ce capital- Cédric
isme par un alter-mondialisme plus vertueux Mais où va le système ? Vers le Krach bien [1] www.plos.org/journals/
qui redonnerait à l’argent son rôle initial de sur ! Je prédis un Krach du marché scienti- [2] hal.archives-ouvertes.fr/
« vecteur de richesse ». fique mondial. Comme pour tout krach, je ne [3] www.agence-nationale-recherche.fr
Rencontre ... p. 12
xis Chaine
Ale
‘‘ P
endant ma thèse à Santa Cruz, en Cali- j’ai trouvé que les femelles avaient des pré-
fornie, je travaillais sur des passereaux, férences très claires vis-à-vis des couleurs des
les bruants noirs et blancs. Ce qui mâles. Mais à la fin de l’étude, les patrons que
m’intéressait c’était les interactions entre indivi- j’avais observés la première année avaient dis-
dus et la façon dont ces interactions influencent paru. Donc j’ai regardé année par année pour
l’évolution de certains traits, notamment la comprendre ce qui s’était passé et j’ai vu que
couleur du plumage car les couleurs sont as- la sélection variait énormément d’une année
sociées avec la variation entre populations et à à l’autre : une année les mâles très noirs avec
terme avec la spéciation. de grandes taches blanches étaient favorisés,
une autre année les femelles ne font pas vrai-
Chez les bruants noirs et blancs, en hiver, ment attention à la couleur du mâle, et d’autre
mâles et femelles sont marrons, mais au fois on peut même voir des patrons avec une
printemps, les mâles changent de couleur et nette préférence pour les petites taches. Sur
deviennent noirs avec des taches blanches ces deux traits là, on a des changements de
brillantes. Il y a énormément de variations dans préférences. Donc les traits que les femelles
les couleurs entre mâles et les couleurs sont choisissent d’une année sur l’autre sont très
souvent des signaux sociaux importants pour la différents et un mâle doit avoir tous ces traits-là
séduction ou la défense du territoire. pour plaire. Cela peut expliquer pourquoi on
peut détecter de la sélection très forte sur une
Nous nous sommes vite rendu compte que, année et ne pas observer de changement dans
même si une femelle ne s’apparie qu’avec les populations au cours d’une longue période
un seul mâle, parfois avant la fin de la ponte d’étude.
d’autres mâles arrivent à s’accoupler avec la
femelle mais ils ne participent jamais aux soins Dans la sélection sexuelle, on a toujours cru
aux jeunes une fois que la ponte est finie. C’est que la sélection était toujours la même chaque
un phénomène fréquent chez les passereaux année. Ici, on apprend que les femelles ont un
: en moyenne 15 à 20 % des poussins sont comportement plus riche et complexe qu’on ne
conçus par d’autres mâles que ceux qui s’en le pensait avant et que ce changement réduit la
occupent. Mais chez le bruant noir et blanc, sélection nette sur les mâles.
cette proportion dépasse un tiers des poussins,
il y a donc beaucoup de conflits entre mâles On en sait peu sur les facteurs écologiques qui
pour attirer une femelle et pour la défendre. influencent les préférences des femelles. Il peut
y avoir des corrélations entre certains traits des
La question que je me suis posée est donc : mâles et la capacité à trouver de la nourriture,
comment, avec tous ces conflits, la sélection à construire le nid ou à effrayer certains préda-
influence-t-elle les signaux sociaux ? teurs dont l’abondance varie d’une année sur
l’autre. Ces résultats ont ouvert de nouvelles
L’étude a duré plusieurs années mais j’ai perspectives et il reste encore pas mal de
commencé à regarder les données très tôt et travail pour élucider ces questions ! »
p. 13 ... écolo
Vincent C
alcagno
‘‘ J
’ai commencé mes études de biologie à Nice. Quand j’ai commencé ma thèse, ce modèle venait
A l’époque, mon trip, c’était le milieu tropical et d’être très critiqué car il faisait de grosses hy-
la forêt équatoriale. Puis j’ai bougé à Montpel- pothèses simplificatrices. Un point était particulière-
lier, j’ai fait des rencontres, découvert la biologie ment soulevé : lorsqu’une plante est installée à un
évolutive et peu à peu, je me suis plus intéressé à endroit, elle peut être protégée de la compétition
l’aspect conceptuel des choses. J’ai donc fait de du simple fait qu’elle est installée ; c’est ce qu’on
la modélisation pour comprendre comment des appelle la préemption compétitive. En gros, être le
espèces en compétition peuvent coexister. premier quelque part confère un avantage, même
contre un meilleur compétiteur. Une étude théorique
Quand on observe une communauté naturelle, on avait montré qu’en incluant cette préemption toute
s’intéresse aux raisons qui permettent la coexis- coexistence devenait impossible et le titre de l’article
tence des espèces : qu’est-ce qui empêche qu’une en question suggérait carrément que l’ancien
espèce, parce qu’elle est plus efficace, n’exclue modèle était mort.
toutes les autres ? En général, on cherche des dif-
férences dans la manière dont les espèces utilisent J’ai donc entrepris de construire un modèle plus
l’environnement, le type de ressources qu’elles con- général permettant de faire varier le niveau de prée-
somment, les prédateurs qui les attaquent, en bref : mption compétitive entre « aucune préemption », qui
on cherche des différences écologiques. Mais il ex- était le modèle classique, et la situation inverse où
iste une autre possibilité : des espèces qui ne sont la préemption est totale. On a ainsi pu montrer qu’il
pas différentes du point de vue écologique peuvent y a un niveau de préemption intermédiaire qui est
coexister si leur habitat est structuré dans l’espace, optimal pour la coexistence, cette dernière pouvant
par exemple s’il y a des portions d’habitat favorables même être plus facile encore que dans le modèle
séparées par des habitats défavorables. On a alors original. C’est le résultat principal qui est ressorti
des populations isolées qui sont connectées entre de ce travail, et qui a en quelque sorte réhabilité un
elles par un phénomène qu’on appelle la disper- modèle théorique simple et intuitif. C’est en partie
sion : le déplacement d’individus entre populations. pour ça, je pense, qu’il a reçu un accueil favorable.
Dans cette situation, deux espèces peuvent coexis- Depuis, cette étude a connu plusieurs développe-
ter simplement parce que l’une est douée pour dis- ments mais je suis passé à autre chose. Aujourd’hui,
perser beaucoup tandis que l’autre est particulière- je suis post-doc à l’université McGill de Montréal,
ment performante au sein de chaque population. où je m’intéresse aux relations trophiques en-
On connaît cette idée sous le nom de « compromis tre espèces, comme la prédation. Ça reste de la
entre colonisation et compétition. » Chez les plantes modélisation… En ce moment, pour moi, les forêts
par exemple, il y a un compromis entre la taille et le tropicales c’est plus un projet de vacances que de
nombre des graines. Plus il y a de graines produites, recherche ! Je veux creuser le côté conceptuel des
meilleure est la dispersion vers les habitats va- choses avant de m’attaquer aux aspects pra-
cants, mais les graines sont petites, et donc moins tiques. »
compétitives face aux grosses graines. à un endroit Propos recueillis par Pierre Jean
donné les espèces à grosses graines vont exclure
les espèces à petites graines, mais ces dernières
peuvent échapper à la compétition en colonisant
d’autres habitats.
Philo-raider p. 14
La véritable identité
de
Lara C r o f t
lui-même. La première vérité selon le principe
d’identité est que Lara est Lara. Je ne peux en
douter.
I
l était une fois un monde unique où tout Si tel est le cas, c’est parce qu’il y a dans cet
n’est qu’un amalgame de petites choses, univers une harmonie des individualités. Dans
entièrement différentes les unes des autres. la Nature ne peuvent exister deux choses
Il n’y a que dans ce monde-là que Lara Croft singulières qui diffèrent seulement numérique-
Aller plus loin : peut se distinguer des autres femmes fatales. ment. Entre la Tomb Raider d’Eva Longoria et
d’Angélina Jolie, il y a une différence. ça parait
G.W. Leibniz, Discours de Notre monde est régi par des lois que les hom- très simple, par contre prenez deux gouttes
Metaphysique mes inventent à leur propre manière. Ainsi, la d’eau ou deux atomes d’hydrogène ; Leib-
diversité naturelle doit posséder des principes niz s’engage à montrer qu’il doit y avoir une
G.W. Leibniz, Principes de
la philosophie ou Monad-
logiques issus de nos cerveaux. Certains hom- propriété de l’un qui diffère de l’autre selon le
ologie mes ont inventé des concepts pour encadrer principe d’individuation. Ce principe permet de
ces lois scientifiques afin qu’elles aient une comprendre la diversité des individus au sein
G.W. Leibniz, Principes de la logique comme critère de vérité.
nature et de la grâce
d’une même espèce, la multiplicité dans l’unité.
Ce qui rend Lara identique à elle-même est
Duhesneau François, Leib- La question « Qui est Lara Croft ? » remet en aussi ce qui la distingue d’une autre héroïne
niz, le vivant et l’organisme cause l’identité du monde entier. Car selon les affriolante dont il y pourtant une grande diver-
éléments qui nous serviront à reconnaître Lara, sité !
Mongin Jean-Paul, Le meil-
leur des mondes possibles !
nous posséderons des principes à l’explication
de toutes choses, autrement dit, du monde Alban
p. 15 Tom-sophie
Canard laqué c’était
Plume! 13
Courrie
r des le
cteurs :
Musing
s of a P
weeks h.D
of writin . student in h
g his th is supp
esis osedly
So,here I las t
Plume! through am like a fish in
,
Késaco
the wate
A volum r trying
e so ver to make
Should y muc h my way
I swim? like any
Ah yes! Should thing els
I eat? W e,
Ic
Poems h an dream, and hat mor life is blue.
ere and say onc e do I d
thee? poems th e a fish o,
ere, wh flew.
Is it in m e re is the
e, searc hin
Plume ! est un réseau national étudiant émergeant For if it is it out there, g mind
in
is reaso from ev
Would n I seek idence s
qui produit, promeut et diffuse la culture Inspirati
I blush w
hen I se
, and ne
gle
o scarce
,
scientifique en direction du plus grand nombre. on e Him w ct the Truth,
It was a was raining d orking b
eh
own on
Nos modes d’action sont complémentaires : Eons of
tattered
one tho me, luck ind the bush?
il y, I had
ra ugh; I so
susciter, promouvoir et valoriser la diffusion des Never to tional wisdom ug my umb
have giv ht shelter in a rell
connaissances chez les jeunes scientifiques. Notre
betray
science en me r veranda a
or it wo e a .
Champa uld be tr son
volonté est de réaliser l’alliance de la convivialité k Beera
volu Red
e ason.
dans l’approche et la rigueur du contenu. Notre Ecrivez-
dy, Ph.D
. studen
t
slogan, la Science Apéritive en condense l’esprit. nous : co
ntact@
plume.in
fo