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villas du littoral
litique, cet écrivain vit en France depuis la possibilité de me replonger dans cette histoire sans et dont l’architecte sera Guillaume Gillet. «Vous êtes dix ans pour le portique du front de mer ou le nou- charentais sont
1981. Ses romans sont traduits en français gêner mes proches. condamnés à réussir, avait déclaré Raoul Dautry à veau casino. Le cœur de la ville a été déclaré zone de tirées du livre
et publiés par les éditions de l’Aube. En 1992, Ali Un jour, je vais visiter le Marais poitevin en barque. Claude Ferret, sinon vous serez fusillés.» Une plai- protection du patrimoine architectural et urbain en Ombres blanches.
Erfan était invité en résidence à Niort par l’Office du Le guide me dit : «Savez-vous qu’on peut approcher santerie, sans doute, mais qui ne faisait pas encore 1992. Si l’on tient vraiment à raser quelque chose dans
livre en Poitou-Charentes, la ville et la bibliothèque un briquet de l’eau et qu’alors l’eau devient le feu ?» rire, en 1945. Heureusement tous les architectes qui la région, nous ne saurions trop conseiller la destruc-
municipale. Nous l’avions rencontré à cette époque Je ne le croyais pas. «Revenez à 8 h du matin, je vous participèrent à cette entreprise étaient jeunes, épris tion des lotissements faussement bon marché qui se
(«Exil chez les modernes», L’Actualité n°18). Pour- montrerai.» Une semaine après, je retrouve cet homme de modernisme et disposaient d’une chance incom- sont multipliés dans toute la péninsule d’Arvert, no-
suite de la conversation, neuf ans après. dans le marais. Et il fait surgir des flammes de l’eau ! parable : à Royan ils avaient vraiment table rase. tamment autour de la Palmyre, et qui saccagent la
Il m’explique que les végétaux en décomposition pro- Guillaume Gillet et l’ingénieur René Sarger cons- forêt. Quant à Royan, il semble que les citadins comme
L’Actualité. – Pourquoi avez-vous été attiré par duisent un gaz inflammable. Du coup, je me suis sou- truisirent en un temps record en béton coffré très les touristes soient enfin devenus conscients de ce que
Niort? venu qu’un homme très âgé d’Ispahan m’avait raconté mince – les murs porteurs ont dix centimètres les architectes et les urbanistes ont compris depuis
Ali Erfan. – Avant de venir à Niort, j’avais observé qu’on avait vu une fois le marais brûler. Je venais de d’épaisseur, le toit, un voile de béton à double cour- près de quinze ans. C’est un grand musée du passé
sur une carte qu’une rivière traverse cette ville et finit trouver le décor exceptionnel pour faire mourir mon bure en forme de selle à cheval, est encore plus proche, une exposition permanente du style moderne
dans un marais. Cela me faisait penser à Ispahan. Dans personnage. Je suis resté deux jours dans un hôtel du mince – un édifice surprenant de légèreté et des années 50, avec ses intrépidités, ses limites, sa
ma ville natale coule le Zâyandé-Roud, la «rivière qui marais et j’ai écrit quinze pages. Ainsi le Marais poi- d’audace, unique en son genre, et classé aux Mo- généreuse confiance en l’homme. La juxtaposition des
accouche», et qui se va se jeter dans les marécages de tevin m’a permis, par la voie de l’abstraction, de re- numents historiques depuis février 1988. L’incon- vieilles villas tarabiscotées ayant échappé aux bom-
Gavkhoni. trouver celui de Gavkhoni. vénient, comme l’explique Yves Delmas, géogra- bardements et des nouvelles, agressivement simples,
J’essayais alors de trouver un peu de tranquillité pour phe et historien de Royan, est qu’en raison des cré- de l’époque de la reconstruction forme un contraste
terminer un roman situé à Ispahan il y a un siècle, une Pouvez-vous aussi faire abstraction du temps ? dits restreints qui s’imposaient à tous à l’époque, finalement assez harmonieux le long de la baie et dans
période de sécheresse et de grande famine. Dans ma Non. Je vis toujours d’autres temps, pas le présent. l’intendance ne suivit pas toutes les exigences de le bois en retrait. Jacques Convert a eu l’idée de re-
jeunesse, j’ai souvent suivi cette rivière de la source Quand j’étais à Niort, je vivais le temps d’Ispahan. cette technologie révolutionnaire. Au lieu de pren- censer les plus belles villas de Charente-Maritime,
aux marécages. Je raconte une histoire d’amour dans Au moment où je vous parle, je vis le temps de Niort. dre du sable fin de la Loire, on prit du sable de récentes ou anciennes, de les faire photographier par
ce roman, mais le personnage principal c’est la ri- Autrement dit, je vis le temps de l’écriture, le temps Gironde, plus grossier et salé. Les tiges de métal Daniel Nouraud et de confier à dix auteurs de romans
vière, comme métaphore de la vie. Etant par nature de la mémoire. qui arment le béton ont rouillé et des fragments de policiers un jeu de cinq photos à partir desquelles
très mélancolique, j’avais du mal à écrire cette his- Voici pourquoi la question du temps est si importante l’église s’effritent un peu partout. On la restaure, chacun a été libre d’imaginer une nouvelle. L’ensem- Avec l’autorisation de
toire jonchée de cadavres, à concilier la vie de la jeu- pour moi. Au début, je regardais ma carte de séjour mètre par mètre, et les travaux dureront plusieurs ble, intitulé Ombres blanches, a été publié aux édi- Michel Braudeau,
nesse et l’écriture sur les morts. A chaque fois que sur laquelle il est inscrit «réfugié politique». Je croyais années. Certains jugeront l’opération trop coûteuse, tions Syros, et se conclut par un florilège des villas nous publions cette
j’essayais d’écrire, je vivais tel- que j’étais exilé parce que j’étais loin de l’Iran. Je auraient préféré qu’on liquide la «Cathédrale» pour de bord de mer qu’on souhaiterait vivement voir re- chronique, publiée le
■ lement dans le roman que ma vie vivais avec mes souvenirs et un hypothétique futur, le en commander une neuve, à quelqu’un comme M. pris dans un format plus large. Il le mérite et pourrait 28 août 1993 dans
Ali Erfan a publié récemment se détruisait, et je ne savais pas retour dans mon pays. Peu à peu et surtout grâce à Pei, par exemple. «On oublie que la cathédrale de peut-être servir à l’éducation apparemment bâclée des Le Monde, qui n’a
aux éditions de l’Aube : comment terminer. J’avais donc Joyce, j’ai compris que le critère pour définir l’exil ce Strasbourg, que personne ne conteste, note Jacques promoteurs d’aujourd’hui. ■ pas pris une ride.
Les Damnées du paradis, 1996, abandonné. Pierre Loti est venu n’est pas être loin d’un lieu mais loin d’un temps. Ce Convert, coûte beaucoup plus cher, depuis toujours,
La 602e nuit, 2000, et, en poche, à Ispahan à cette époque et ne n’est pas Ispahan qui me manque, c’est mon enfance. à cause de sa pierre friable, et qu’on n’en finit pas
Le Dernier poète du monde, 2000 l’a pas aimée (Vers Ispahan), ce Ce n’est pas l’Iran qui me manque, c’est ma jeunesse. de la restaurer.»