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1
INTRODUCTION
Où a lieu cette conversation? A Paris, dans notre chambre? A Florence, d’où l’ami répond?
Ou en quelconque endroit intermédiaire? Non. En un site virtuel. Les anciennes questions
de lieu: où parlonsnous, vous et moi, par où passent nos messages... semblent se fondre e
se répandre, comme si un nouveau temps organisait un autre espace. L’être là s’expanse.
« Juin 2007. A la veille d’un départ pour le Mali dans le cadre de la mise en place d’une
coopération décentralisée 1 entre une collectivité du Nord de la France, la Communauté de
Communes du Coeur d’Ostrevent, et une collectivité située en Région de Kayes, la Commune
de Sadiola2 , je me rends à Montreuil afin d’y rencontrer l’Association des Ressortissants de la
Commune de Sadiola en France ARCSF. Après avoir détaillé ma mission et m’être enquis du
rôle de l’association, de son fonctionnement et de ses actions, ses membres m’amènent au foyer
Bara, lieu de vie et point de rencontre de toute une communauté. Le secrétaire de l’association
me conduit ensuite dans un taxiphone voisin afin d’informer de ma venue prochaine un de ses
parents. Il me donne l’appareil. La communication n’est pas très bonne mais toujours estil que
le Mali est là, à l’autre bout du fil... »
Quelques mois plus tard, nous assistons au même brassag. Mais il s’agit désormais de
l’approcher et de le comprendre. A la surprise et aux réactions passionnées et immédiates, nous
privilégierons ici la prise de recul et le temps de la réflexion. En espérant que le lecteur prenne
autant de plaisir à lire ce document que nous en avons éprouvé à l’écrire.
Notre étude s’inscrit dans la lignée de travaux, de plus en plus nombreux, qui s’intéressent aux
liens entre les technologies de l’information et de la communication TIC et les migrations
internationales. En France, nous pouvons signaler, entre autres, deux groupes de recherche qui
1Atelier de terrain de Licence 3 Aménagement Environnement Urbanisme. Année scolaire 2006/2007. Université des
Sciences et Technologies de Lille
2 Une Commune malienne est un regroupement de villages. Celle de Sadiola en compte 46.
1
travaillent directement sur ces questions. Le programme TIC et Migrations en premier lieu, de la
Maison des Sciences de l’Homme à Paris, dirigé par la sociologue Dana Diminescu. Fondé en
2003, l’objectif de ce programme est d’« observer, conserver des données numériques et mener
des recherches sur l’impact des TIC dans le champ des migrations.3 » Le Groupe de Recherche
international Netsuds en second lieu, dirigé par la géographe Annie ChéneauLoquay, qui
développe un volet entièrement consacré aux « systèmes de communication dans les
diasporas 4». Ces deux équipes de recherche partent du même constat: l’histoire des migrations
serait rentrée, grâce au développement technologique actuel Internet et la téléphonie mobile
en étant les symboles les plus éclatants dans un nouvel âg. Emergerait en eet un migrant
nouveau, « le migrant connecté » Diminescu, 2007, en lieu et place de l’immigrant déraciné.
Ce novomigrant serait dans la capacité d’entretenir, et ce malgré la distance physique qui l’en
sépare, des rapports de proximité avec son territoire d’origine.
Il s’agit donc ici de réaliser une étude de cas précise qui éclaire et interroge cette relation TIC
migrations internationales, et ce nouveau paradigme du migrant connecté. Pour ce faire, nous
avons choisi Montreuil, ville de SeineSaintDenis, connue pour l’importance de sa population
malienne, ellemême célèbre pour être une des populations migrantes en France la mieux
organisée sur le plan communautaire Marsaud, 2007.
Les questions auxquelles nous souhaitons répondre sont les suivantes: quelles technologies de
l’information et de la communication cette population utilisetelle? Y’atil empilement ou
remplacement des technologies utilisées au fur et à mesure de l’évolution technologique? Quels
sont les lieux de la communication? Les TIC et leur appropriation ontelles facilité le double
engagement notamment en ce qui concerne les transferts d’argent et la dynamique
associative? L’appropriation des TIC entraînetelle une modification du rapport à l’espace et
aux territoires de cette population?
Partie car cette expression tend dans le même temps à isoler cette population malienne, ou
d’origine malienne, de celle pouvant résider dans d’autres villes, et à faire de ses pratiques des
pratiques spécifiques. Or ce n’est pas fondamentalement le cas: à titre d’exemple, il nous est
arrivé à plusieurs reprises de prendre rendezvous avec des maliens rencontrés à Montreuil et
nous apercevoir lors du choix du lieu de rencontre qu’ils n’y habitaient pas. Toutefois,
Montreuil, du fait de l’importance de sa population malienne a vu sur son territoire se
développer un grand nombre de structures, notamment commerciales, à destination de cette
dernière et des populations immigrées en général. Ainsi nous pouvons penser à juste titre que
par rapport à d’autres villes, la ville de Montreuil est plus propice à la réalisation de pratiques
transnationales. En outre, il nous fallait pour cette étude délimiter un terrain de recherche
abordable dans le cadre du master 1.
Les entretiens
Alors que dans notre projet de recherche initial, disponible en annexe, nous avions prévu
l’utilisation de questionnaires à visée quantitative afin d’approcher les pratiques transnationales
des Maliens de Montreuil, notre réflexion nous a amené assez rapidement à opter pour la
méthode de l’entretien. Et l’explication est assez simple: nous travaillons ici sur des pratiques
et sur des usages et comme le soulignent Serge Proulx et Philippe Breton, deux auteurs
reconnus en Sciences de l’Information et de la Communication, ils « relèvent du cadre
sociologique »: en eet, selon eux, « les usages s’inscrivent dans un système de rapports sociaux
rapports de sexe, rapports intergénérationnels, rapports économiques, et dans un mode de
vie qui agit sur les usages autant qu’il est agi par eux » Breton, Proulx, 2002. Approcher cela
nécessite donc une prise en compte bien plus large que les seules informations sur l’utilisation.
3
Notre souhait était également de relever des opinions et des discours sur les technologies ainsi
que de recueillir des anecdotes. L’entretien se révélait comme la solution la plus adéquate afin
de répondre à toutes ces exigences.
Nous avons ainsi élaboré un guide d’entretien, dont nous récapitulons dans l’encadré cidessous
cf. encadré n°1 les parties et questions essentielles.
Nous avons ensuite interrogé les personnes sur l’équipement actuel de leur
territoire d’origine en technologies de l’information et de la communication:
téléphone, Internet, télévision, radio, courrier etc.
Une troisième partie a été consacrée aux relations entre “ici” et “làbas”: avec
qui maintiennentils le contact? Où sont ces personnes? Quels sont les
moyens utilisés? Quels sont les lieux de communication? Quels sont les sujets
de conversation? Comment ces conversations sontelles ressenties? Ces
communications permettentelles une gestion à distance? Retournentils
physiquement au Mali? etc.
Enfin, dans une sixième et dernière partie, nous nous intéressions aux
communications avant l’arrivée de la personne interrogée en France. Pour
finir, nous lui demandions où elle souhaitait se faire enterrer.
4
Les personnes rencontrées
Nous avons, pour les besoins de cette étude, rencontrés une trentaine de personnes.
Des Maliens de Montreuil évidemment mais également des ressortissants Maliens d’autres villes
de la Région ÎledeFrance Paris, Villetaneuse, Bobigny. Avec ces ressortissants maliens,
toutes les discussions n’ont pas été nécessairement enregistrées; un certain nombre d’entre
elles se sont déroulées de façon libre.
Ce dernier avait pour objet de témoigner de la façon dont la diaspora malienne se sert
d'Internet et occupe le cyberespac. Plusieurs thématiques y étaient abordées. Nous
La deuxième partie, dont l’intitulé Le Mali, les Maliens de Montreuil et les TIC est inspiré du titre
de la thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication de Thomas
Guignard Le Sénégal, les Sénégalais et l’Interne 6 , commencera par un retour sur le concept de
fracture numérique et s’intéressera à la place du Mali dans la société de l’information et à ses
équipements en matière de TIC. Nous a nerons l’analyse en nous penchant sur la Région de
Kayes, dont sont originaires la plupart des migrants maliens chapitre 1. Cela nous amènera
assez logiquement aux Maliens de Montreuil et aux technologies qu’ils utilisent afin de rester
en relation avec leurs parents au Mali, ce que nous nommerons leurs pratiques transnationales.
Nous nous intéresserons ainsi au courrier postal, à la cassette audio, au téléphone et à Internet.
Nous nous attarderons également dans ce second chapitre sur les lieux de la communication à
savoir les domiciles, les foyers et, structures très visibles dans une ville comme Montreuil, les
taxiphones et autres téléboutiques.
6Guignard T., Le Sénégal, les Sénégalais et l’Internet, Médias et identit, Thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la
Communication, Soutenue en octobre 2007 à Lille 3
6
Dans la troisième partie, intitulée Une transformation du rapport à l’espace?, nous aborderons en
premier lieu la question du double engagement: celuici estil facilité par l’utilisation des
technologies de l’information et de la communication? Pour répondre à cette question, nous
nous intéresserons aux transferts d’argent et à la dynamique associative. Le deuxième chapitre
soulignera quant à lui la persistance du lien physique chez les Maliens de Montreuil; forme de
lien qui n’a pas disparu avec l’arrivée des TIC mais qui au contraire se manifeste toujours
vivement à travers les fréquents vaetvient, les retours définitifs et les rapatriements et
enterrements au pays d’origine. Enfin dans le troisième et dernier chapitre de ce mémoire,
nous questionnerons le « dédoublement des lieux de l’habiter » Dupuy, 2005 des Maliens de
Montreuil et le brouillage de l’ici et du làbas: quel est, en tant qu’acteurs d’une culture de lien
médiatisée par les TIC, leur rapport à l’espace et aux territoires?
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
8
Partie 1 Questions de migrations, de la théorie à la pratique
9
Chapitre I : L’immigrant déraciné
Dans son récent plaidoyer pour l’Afrique, Aminata Traoré aborde longuement la question des
migrations Nord Sud. Selon elle, nous n’avons pas aaire à des émigrés ou des immigrés, mais
à des « quêteurs de passerelles » munis d’« échelles » Traoré, 2008.
Cette expression attire l’étudiant en géographie travaillant sur les migrations. En eet, les
termes utilisés passere et éche peuvent se définir tous deux comme ce qui fait lie: lien
dans le temps et lien dans l’espace entre deux ou plusieurs entités jusque là séparées. Ces
entités peuvent être des personnes, des lieux, des territoires. Le migrant est donc vu comme
acteur d’une « culture de lien » Diminescu, 2007 lui permettant, tout en étant à distance de
son pays d’origine, d’entretenir des rapports de proximité avec celuici.
Comme le souligne la géographe Johanna Waters dans une étude sur les ressortissants
asiatiques à Vancouver, « c’est maintenant un fait établi de la migration contemporaine que
beaucoup des migrants maintiennent activement des liens sociaux, économiques et
émotionnels avec leur pays d’origine7 » Waters, 2003.
Cependant, cette vision de la migration n’est pas celle qui a tout le temps prévalue. Et encore
aujourd’hui, pour certains, la migration se caractérise et se définit avant tout comme une
«
rupture physique, aective et culturelle avec le territoire quitté » Scopsi, 2004.
I. La rupture migratoire
La rupture entre le pays d’accueil et le pays d’origine fut longtemps considérée comme l’acte
fondateur de la migration: celleci impliquait que la personne rompe les liens qui l’unissait à son
territoire d’origine et s’assimile au pays d’arrivée, à ses lois, ses traditions etc. Cette expérience
de rupture consistait en quelque sorte en un véritable « deuil social » OktapodaLu, 2005 et
s’apparentait dans sa logique à un traumatisme. Traumatisme pouvant causer des problèmes
d’ordre psychique chez les migrants, et théorisé par un certain nombre de psychologues, de
psychanalystes et de médecins sous le nom de “syndrome d’Ulysse”.
7Exrait initial: « it is now a weestablished fact of contemporary migration that many immigrants actively maintain deep social, economic
and emotional ties with their countries of origi »
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1 Le syndrome d’Ulysse ou La double absence
Roi d’Ithaque, Ulysse souhaite après la Guerre de Troie rentrer chez lui retrouver sa femme,
Pénélope, et son fils, Télémaque. Ce retour pris la forme d’une Odyssée: dès lors, Ulysse est « le
Voyageur, le Migrant » OktapodaLu, op. cit. par excellence. De par les di cultés qu’il connaît
pour retourner dans son foyer près de dix années lui seront nécessaires, Ulysse représente
parfaitement bien la perte des liens au pays d’origine dont seule la proximité physique peut
permettre le rétablissement: « Tous ceux qui avaient évité la noire mort, échappés de la guerre
et de la mer, étaient rentrés dans leurs demeures; mais Ulysse restait seul, loin de son pays et
de sa femme » Homère, L’Odyssé, Chant I. C’est en référence à cette histoire que l’on parle
de “syndrome d’Ulysse”: il s’agit d’une forme de maladie mentale caractérisée par une
dépression profonde qui trouverait son origine en partie dans la solitude et l’isolement du
migrant.
Solitude visàvis du pays d’origine et des personnes qui y sont ; isolement dans le pays
d’accueil: nous retrouvons là la « double absence », expression popularisée par le titre de
l’ouvrage posthume d’Abdemalek Sayad Sayad, 1999. Dans la présentation de ce travail,
l’immigré est vu comme étant « absent de sa famille, de son village, de son pays » et « tout aussi
absent ... du pays d’arrivée. » Le sociologue Pierre Bourdieu, dans sa préface, renforce cette
vision en définissant l’immigré comme « doublement absent, au lieu d’origine et au lieu
d’arrivée »: pour lui, « l'immigré est atopos, sans lieu, déplacé, inclassable. Ni citoyen, ni étranger,
ni vraiment du côté du Même, ni totalement du côté de l'Autre, il se situe en ce lieu “bâtard”
dont parle aussi Platon, la frontière de l'être et du nonêtre social. »
Les témoignages allant dans le sens de la rupture migratoire sont encore très nombreux
aujourd’hui. Considérant tous la migration comme étant un phénomène individuel consistant à
laisser derrière soi le désespoir et le manqu d’avenir, pour se diriger vers l’espoir, souvent
occidental, ces documents révèlent un univers rempli de contradictions et d’oppositions
définitives: ici e làbas, lieu d’arrivée e lieu d’origine, immigrant e émigrant etc.
2 Emigrant / immigrant
Les termes immigran et émigran étaient souvent employés. De par l’utilisation des préfixes é
et im, ces deux termes symbolisaient parfaitement bien la séparation nette entre le pays
d’accueil et le pays d’origine.
11
Démontrant en premier lieu un intérêt non pas pour le migrant luimême mais pour le cadre,
notamment juridique, dans lequel ce dernier évolue Faret, 2003, ce vocabulaire est toujours
largement utilisé par les autorités publiques nationales. En France, l’Institut National de la
Statistique et des Etudes Economiques INSEE définit un immigré comme étant un personn
résidant en Franc, née étrangère dans un pays étranger. Cette définition classique peutêtre
séduisante pour le recenseur ne l’est pas pour le chercheur en sciences sociales car elle
implique, malgré sa neutralité a chée, l’idée d’une déchirure économique et socioculturelle
avec l’espace d’origine.
Les immigrants étaient donc en substance vus « comme des personnes déracinées, laissant
derrière elles leur foyer et leur pays, et arontant le processus pénible d’assimilation dans une
société et une culture diérentes 8 » Glick Schiller et al., 1995. La vision de la migration en tant
que rupture avec le pays d’origine s’inscrivait donc dans un discours précis sur l’Etatnation et
la croyance en son mythe assimilationnist.
Pour Alain Tarrius, les sciences humaines et sociales ont dès leur naissance étaient
«
immergées » dans les idéologies de l’Etatnation Tarrius, 2001, au risque de s’y noyer. Selon
le dictionnaire Le Petit Rober, l’Etat est une « autorité souveraine s’exerçant sur l’ensemble d’un
peuple et d’un territoire déterminés. » Nous pouvons extraire de cette définition les trois
grandes dimensions constitutives de l’Etatnation moderne Schnapper, 2001:
8 Extrait initial: « as persons who uproot themselves, leave behind home and country, and face the painful process of incorporation into a
2 Etatnation et immigration
Bien qu’il ne faille pas, comme le rappelle Dominique Schnapper, « surestimer l’e cacité de
cette politique », cela a eu tout de même pour conséquence qu’une migration dans laquelle les
personnes maintenaient des liens forts avec leur pays d’origine depuis leur pays de résidence
était « uniformément définie comme inacceptable 9 » Glick Schiller et al., 1995 car
contrevenait aux principes suscités: en eet, comment pourrait persister l’Etatnation
classique face à des personnes qui se sentent citoyennes de plusieurs pays, qui se jouent des
frontières et qui se prévalent d’avoir une double culture?
Dans cette perspective, les immigrants étaient forcés de rejeter les liens qui les rattachaient à
leur pays d’origine afin de s’engager dans un processus d’assimilation: « la politique dite
“d’assimilation” a été le moyen privilégié par lequel s’entretenait le projet commun, fondateur
de la nation » Schnapper, 2001. Cela a eu pour conséquence que la France a longtemps « refusé
de se penser comme un pays d’immigration ». Des traces de ce refus et de « l’idéologie
nationale unitaire » sont encore perceptibles aujourd’hui : l’invisibilité des origines nationales
et religieuses dans les statistiques sur la population nationale en est un des éléments les plus
marquants.
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux concepts et théories forgés par les
scientifiques dans le but d’appréhender de manière dynamique les flux migratoires et non plus
de façon statique résumant la migration en une rupture entre deux territoires.
Pour ce faire, nous allons notamment nous appuyer sur le Bilan des travaux sur la circulatio
migratoir réalisé en 1998 par l’équipe Migrinter à la demande du Ministère de la solidarité et
de l’emploi. Mise en ligne seulement en 2008, l’« Arlésienne des études migratoires françaises »
a conservé « toute son actualité » Lacroix, 2008.
1 La noria humaine
En 1954, dans des travaux consacrés à l’immigration des algériens en France, Robert Montagne
prévoyait le premier la tendance mobilitaire à venir des migrations et proposait le terme de
«
noria ». Ce terme, dont la définition courante est une suite de véhicules qui vont et viennent, est
utilisé par l’auteur pour décrire des hommes qui quittent leur village pour quelques années, puis
y reviennent laissant un de leurs parents partir à son tour. Cela permet de ne pas rompre avec
le pays, d’assurer la reproduction de la communauté paysanne et évite à la métropole d’avoir à
gérer sur son sol une immigration de caractère permanent. C’est dans cette logique que le
gouvernement français a encouragé la constitution de structures d’accueil spéciales, les foyers
hôtels, destinées à ces hommes vivant seuls et susceptibles de ne passer que des séjours limités
en France. C’est la Société Nationale de Construction pour les Travailleurs algériens
SONACOTRA, créée en 195610 , qui fut chargée de développer ce type d’habitat.
Le terme proposé par Robert Montagne ne sera guère repris mais, au contraire, se verra
fortement critiqué. La critique la plus virulente est l’oeuvre d’Abdelmalek Sayad, qui dénonce
l’application « à tous les immigrés de l’image stéréotypée de la noria : l’immigration serait un
mouvement qui amènerait en France et ramènerait de France , dans un perpétuel
renouvellement, des hommes toujours nouveaux même s’ils ne sont pas à leur première
émigration ni à leur premier séjour en France et toujours identiques, l’immigré étant fixé une
2 La chaîne migratoire
Au tournant des années 80, Emilio Reyneri forge le concept de chaîne migratoir. Ce concept
décrit la migration comme un « fait par étape ». Pour l’OCDE, en 1979, il s’agit « d’une
succession de situations correspondant à l’aventure de la migration : les circonstances du
départ et la situation économique qui l’occasionne, le déroulement de l’histoire migratoire
proprement dite, dans le pays d’accueil, et le retour éventuel au pays d’origine » cité dans Ma
Mung, 1998.
Repris par les auteurs anglophones au début des années 90, le concept de la chaîne migratoire
devient celui de la migratory chai qui à son tour en français peut être retraduit par
“migration en chaîne”: on insiste ici sur la dimension du réseau. En 1992, à propos de
l’émigration des Chinois aux PaysBas, Frank N. Pieke déclare qu’il s’agit « principalement d’
une migration en chaîne »: en eet, « les Chinois vivant dans le pays de destination assurent le
parrainage des parents et des amis de leur communauté d'origine qui souhaitent partir. Ces
personnes ont ainsi la possibilité de migrer car ils bénéficient d'un lien migratoire avec dans
le cas présent les PaysBas. » cité dans Ma Mung, 1998 Nous sommes dans ce cas proche du
concept de “circulation migratoire” qui commence à se développer en France.
L’expression “circulation migratoire” apparaît pour la première fois en 1987 dans un mémoire de
maîtrise de géographie, dirigé par Gildas Simon, s’intéressant aux relations entre la France et le
Portugal. Dans ce travail, la circulation migratoire regroupe les flux d’émigration et
d’immigration, les “vaetvient” et les transferts d’économies.
L’avantage de cette approche est d’étudier les migrations dans une perspective dynamique: en
eet, « la notion de circulation migratoire ne restreint pas le déplacement au simple acte de
migrer. La migration n’est plus vécue comme une rupture ou une parenthèse mais comme
partie intégrante d’une organisation sociale » Arab, 2008.
Cependant, à la lecture du “bilan” réalisé en 1998, nous sommes frappés par la prédominance
accordée à la circulation physique et matérielle par rapport à la circulation immatérielle c’est
àdire celle médiatisée par les TIC dans le cadre de la circulation migratoire. En eet, il n’est
fait référence qu’aux seuls déplacements de personnes et de marchandises. Ainsi, si nous
souhaitons approcher quantitativement la circulation migratoire, nous devons nous adresser
«
essentieemen aux compagnies de transports d’individus et de marchandises »; flux
12Actes du FIG, « Réseaux turcs en Europe: espace réticulé, espace diasporique? », http://figstdie.education.fr/actes/
actes_2005/detapia/article.htm
16
matériels auxquels « on peu ajouter ... les flux immatériels, telles que les communications
téléphoniques.13 »
En 2001, Stéphane de Tapia dans une étude sur l’ore médiatique en direction des populations
turcophones en France, concluait en soulignant le manque d’études sur les liens entre TIC et
migrations: « Force est de constater que nous disposons encore de peu d’études d’impact sur
l’opinion des principaux intéressés, les auditeurs, téléspectateurs, usagers des NTIC, du
téléphone cellulaire à l’internet, lorsqu’ils sont d’origine étrangère et gardent des liens avec leur
société d’origine. » De Tapia, 2001
Cependant, nous ne pouvons pas dire que les liens à distance entretenus grâce aux TIC n’ont
été que peu voire pas étudiés. En réalité, c’est du côté de la littérature anglosaxonne qu’il faut
se tourner et à la théorie dite du transnationalisme, apparue dans les années 90 grâce à des
travaux d’anthropologues. C’est à ce courant très peu adopté par les auteurs francophones, et
dont il n’est fait aucune référence dans le Bilan des travaux sur la circulation migratoir pourtant
réalisé en 1998, que nous allons désormais nous intéresser.
III. Le transnationalisme
En 2001, Stéphane De Tapia regrettait l’absence d’études menées sur l’utilisation des TIC par
les migrants. Cette même année était publié le premier numéro de la revue Global Networks, qui
allait, entre autres, s’intéresser à ces questions là. En eet le but de ce journal, qui existe
toujours, est de « publier des articles de haute qualité sur les réseaux globaux, les aaires et
pratiques transnationales et leur relation avec les théories plus larges relatives à la
13 Nous soulignons.
17
mondialisation.14 » Cette revue, dont l’équipe éditoriale est dominée par le monde anglosaxon,
fut fondée dans le cadre du programme de recherche Transnational Communities Programm
appelé également TransComm Programm de l’Université d’Oxford.
Ce programme, qui a duré de 1997 à 2003 et qui fut dirigé par Steven Vertovec, partait du
constat suivant: « beaucoup de groupes et d’organisations ont saisi l’opportunité oerte par les
avancées technologiques dans les domaines du transport et des communications. De telles
avancées leur permettent d’opérer plus e cacement quelque soit leur localisation. 15 » Il
s’agissait donc de répondre à la question suivante: « comment ces groupes et organisations
développentils leurs activités longuedistance et qu’implique cette connectivité globale
améliorée pour la politique, l’économie et la société?16 » Vertovec, 2003
Aujourd’hui, toute la réflexion menée dans le cadre de ce programme ne s’est pas arrêtée mais
continue et ce notamment au Centre sur la migration, la politique et la société COMPAS de
l’Université d’Oxford, dont l’un des axes de recherche est Transnationalisme et Diaspora 17, au sein
duquel nous retrouvons le Professeur Steven Vertovec.
Mené de 1997 à 2003, le TransComm Programm faisait suite aux travaux alors récents d’un
groupe d’anthropologues menés par Nina Glick Schiller, Linda Basch, et Cristina Szanton
Blanc. Ce groupe se propose en eet dans la première moitié des années 90 d’appliquer aux
migrations un concept jusque là surtout employé par des économistes à propos des entreprises
multinationales et des politologues à propos du développement des institutions politiques au
delà des frontières nationales: le transnationalisme.
Pour ces trois auteurs, le transnationalisme appliqué aux migrations peut être définit
simplement comme étant « le processus par lequel les migrants forgent et maintiennent de
multiples relations sociales simultanées qui les relient à leurs sociétés d’origine et
14 Site web de la revue Global Networks: http://www.globalnetworksjournal.com/about.htm Extrait initial: « publishes high quality,
refereed articles on global networks, transnational aairs and practices and their relation to wider theories of globalization. »
15Extrait initial: « many dierent groups and organisations have grasped the opportunities oered by advances in transport and
communications technology. Such advances enable them to operate more e
ciently and eectively in dierent locations across the worlds. »
16Extrait initial: « how do such groups and organisations develop their longdistance activities, and what does enhanced global connectivity
mean for politics, economy and society? »
Pour ces auteurs, et plus largement pour tous ceux se réclamant de ce courant, le
transnationalisme est à voir « comme une part du phénomène plus large de mondialisation21 » et
est notamment relié à ses discours sur le déclin de l’Etatnation et sur le développement des
TIC.
Figurant parmi les sujets les plus controversés de notre époque, la mondialisation est un terme
qui est comme l’indique Olivier Dollfus dès les premières lignes de son ouvrage consacré à la
question « chargé de sens et de valeurs contradictoires. » Dollfus, 1997 Cependant, cela ne
doit nullement empêcher notre tentative de rendre ce processus intelligible. Les premiers à
s’être intéressés à la mondialisation furent des économistes et, aujourd’hui encore, nous
constatons une prépondérance de la discipline économique dans les définitions diverses que
l’on peut trouver du phénomène. Dans son rapport 2007, le Fonds Monétaire International
FMI définit la mondialisation comme étant « l’intégration de l’économie mondiale par la
globalisation progressive du commerce et de la finance » FMI, 2007. Dans cette perspective,
la mondialisation concernerait donc uniquement les échanges de biens et de services, les
mouvements de capitaux et les transferts de technologie Mucchielli, 2007. En réalité, comme
le souligne le géographe Laurent Carroué, « la mondialisation est irréductible à sa seule
dimension économique » Carroué, 2007 mais est plutôt à comprendre comme un mouvement
total englobant l’ensemble des dimensions économique, politique, sociale, culturelle etc.
18 Extrait initial: « the process by which immigrants forge and sustain simultaneous multistranded social relations that link together their
societies of origin and settlement. »
Cependant, pour le philosophe Will Kymlicka, nous ne ferions là que passer d’un mythe à un
autre, c’estàdire du mythe de l’Etatnation au mythe du transnational. Selon lui, les liens
qu’établissent les migrants entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine font que ces derniers
«
participent à la vie de deux communautés nationales territorialement définies. Cela ne
justifie donc pas en soi que la politique doive être organisée sur une base non nationale ou
territoriale » Kymlicka, 2004.
Impossible de faire une étude sur les liens qu’entretiennent les migrants avec leur territoire
d’origine sans parler des diasporas. Le terme initial, avec un D majuscule, fait référence au
phénomène historique de la dispersion du peuple juif à travers le monde. Le terme a cependant
connu une véritable « inflation » Dufoix, 1999 au point qu’il ne veuille pratiquement plus rien
signifier aujourd’hui. Pour Michel Bruneau, un des rares géographes francophones à faire
22Extrait initial: « e are entering an era in which states that can claim dispersed populations construct themselves as “deterritorialized
nation states” »
20
sienne la théorie transnationaliste, il faut « se souvenir du sens originel pour éviter que la
notion de diaspora ne perde une grande partie de sa pertinence, en se diluant dans la très
grande diversité des phénomènes migratoires. » Bruneau, 2004
Toujours selon cet auteur, les communautés transnationales et les diasporas dièrent dans leur
rapport à l’Etatnation. Les diasporas auraient en eet une existence propre, celleci n’étant pas
due à « tel ou tel Etatnation, mais souvent elles préexistent à ces formes étatiques, parfois
elles les ont créées. » A l’inverse, une communauté transnationale apparaît « postérieurement
à la formation de l’Etatnation »: dans cette perspective, « les citoyens d'un Etatnation vivent
dispersés à l'intérieur des frontières de divers autre Etats, mais lui appartiennent toujours
socialement, politiquement, culturellement, et souvent économiquement.23 » Nous serions là
face à des Etatsnations déterritorialisés: nous nous demanderons dans le troisième chapitre de
cette première partie si c’est le cas en ce qui concerne l’Etatmalien.
4 Transnationalisme et T.I.C.
24 Extrait initial: « the increase in density, multiplicity, and importance of the transnational interconnections of immigrants is certainly mad
possible and sustained by transformations in the technologies of transportation and communication. Jet planes, telephones, faxes, and Interne
certainly facilitate maintaining close and immediate ties to home. »
21
Pour Steven Vertovec, les migrants contemporains utilisent ces technologies telles une « glu
sociale25 » Vertovec, 2004 visàvis de leur communauté d’origine. Pour la sociologue Dana
Diminescu, que nous avons déjà citée à plusieurs reprises, les TIC, en étant adoptées par les
migrants, transformeraient ces derniers en des migrants connectés.
Or, en premier lieu, les télécommunications ne sont pas la communication, ce sont des
techniques. Parler de communication, c’est prendre en compte la société dans son ensemble. A
ce propos, Dominique Wolton parle d’une « dimension anthropologique » de la communication
à savoir la communication en tant qu’« idéal d’expression et d’échange ... à l’origine de la
culture occidentale, et par la suite de démocratie » et en tant que « valeurs, symboles et
représentations qui organisent le fonctionnement de l’espace public » Wolton, 2005.
En second lieu, l’information. Yves Jeanneret remarque que cette notion a connue une
«
extension considérable » Jeanneret, 2005 au point que chacun l’utilise dans son domaine
propre et pense en détenir le sens véritable. A la base de la révolution numérique, nous
retrouvons cette notion d’information, notamment dans les travaux de Shannon Dupuy, 2002;
Dupuy, 2007. Pour ce dernier, l’information « était un concept précis, limité, permettant de
contrôler une machine opérant sur une forme, en conservant certains de ses caractères
quantifiés » Jeanneret, 2005. Or nous rejoindrons ici Dominique Cotte pour qui cette
numérisation, dont l’informatique est le symbole le plus fort, « en tant qu’expression d’un
calcul, ... consacre le triomphe d’une forme de logique formelle pour laquelle le mode de
raisonnement est plus souvent “ou bien/ou bien” que le peutêtre. Elle exclut le doute fécond,
la pensée en mouvement, la réflexion dialectique. » Cotte, 2005
A propos de cette soidisante capacité, nombreux sont les auteurs transnationalistes à utiliser le
terme d’impac 27. Pourtant l’emploi de ce vocable ne résiste pas longtemps à l’analyse: se cache
derrière lui un déterminisme technologique qui, selon Serge Proulx et Philippe Breton,
«
consiste à poser comme un donné stabilisé le fait de l’existence de telle ou telle technologie.
L’exercice intellectuel consiste alors à identifier les “impacts” possibles ou les conséquences
probables pour l’individu, la société, la culture » Breton, Proulx, 2002. S’il faut se méfier
grandement de ce déterminisme, il faut également se méfier de la posture inverse, à savoir celle
du déterminisme social. Nous pensons qu’il est meilleur d’opter pour un entredeux intellectuel
consistant en une étude des interrelations complexes qui existent entre ores technologiques
et contextes sociétaux et territoriaux. Il s’agit là d’un courant de recherche facilement
reconnaissable au vocabulaire qu’il emploie: “appropriation”, “usages”, “pratiques” etc.
C’est en ayant tout cela à l’esprit que nous avons mené notre recherche. Toutefois, pour des
raisons de facilité, nous continuerons à employer au cours de ce mémoire l’expression “TIC”.
Avant de nous y intéresser plus en profondeur, nous allons continuer notre présentation du
transnationalisme en nous intéressant à ses “avantages” et à ses “qualités transgressives”.
Dans un article consacré aux pratiques transnationales des asiatiques résidents au Canada, le
géographe Philip Kelly interroge le concept même de transnationalisme. Cet exercice s’impose
car, selon lui, « la littérature sur le transnationalisme n’a pas toujours ... posé un regard
critique sur ellemême 28 » Kelly, 2006. Cet article est tout à fait intéressant car il répond à un
article de Roger Waldinger publié également en 2006, très critique envers la théorie
transnationaliste et abondamment repris depuis sa publication par les auteurs francophones..
27A noter que la commission “Société de l’Information” du Comité national français de la géographe utilise également ce
vocabulaire. Elle se propose en eet d’« étudier les impacts territoriaux de l'inscription des TIC dans la société » http://
cnrs2.nfrance.com/~k1045/spip.php?rubrique22
28 Extrait initial: « the literature on transnationalism has not always ...
asked critical questions of itself »
23
Dans son article, Roger Waldinger critique principalement le présentism des chercheurs sur le
transnationalisme: ces derniers auraient en eet deshistoricis le présent en jouant trop souvent
sur le couple aujourd’hui migrant en relation intense et permanente avec son pays d’origine /
hier migrant en rupture totale et définitive avec son pays d’origine, reproduisant ainsi
l’antinomie familière en sciences sociales du présent ouver et du passé ferm Waldinger,
2006. Il est vrai que la littérature sur le transnationalisme joue sur cette opposition mais nous
la retrouvons également chez ceux qui se réclament de la circulation migratoire à travers
notamment la formule suivante reprise par le groupe de recherche Netsuds: « hier: immigrer
et couper les racines, aujourd’hui: circuler et garder le contact ».
Pour Philip Kelly, comme pour Roger Waldinger, il ne faut pas opposer catégoriquement les
migrants actuels et les migrants qui les ont précédés: ces derniers soutenaient également
financièrement leurs parents restés au pays d’origine, communiquaient régulièrement avec eux,
s’impliquaient dans la politique de leur pays d’origine et y retournaient soit temporairement
soit définitivement. En dépit de ces points communs, Philip Kelly a rme qu’ « il existe
également des caractéristiques du transnationalisme contemporain qui le font se diérencier
de manière importante 29 » Kelly, 2006. Ces caractéristiques sont la faisabilité financière et
technologique vols à bas coûts, sociétés de transfert d’argent, cartes téléphoniques prépayées,
courriers électroniques, chats et forums de discussion.., l’émergence d’acteurs privés au niveau
mondial permettant un entrepreneuriat transnational, un encouragement de plus en plus
grand des pays envers leur population résidant à l’extérieur à maintenir des liens avec eux, des
politiques d’immigration différentes etc. Tout cela fait dire à Philip Kelly que le
transnationalisme représente « un processus social relativement nouveau.30 » Kelly, 2006
Enfin, Philip Kelly s’intéresse dans la lignée de la géographe Katharyne Mitchell qui avait
publié un article dans la revue de géographie radicale Antipod sur le sujet aux qualités
transgressives du transnationalisme. En eet, pour ces deux auteurs, le transnationalisme
subvertit les identités et les territorialisations traditionnelles et déstabilise les compréhensions
linéaires et maîtrisées du temps et de l’espace en mettant l’accent sur la pluralité, la mobilité,
l’hybridité, les marges et les espaces de l’entredeux. Les concepts de nationalité, de
citoyenneté et d’immigration sont potentiellement remis en cause et les cartographies et
catégories spatiales traditionnelles sont perturbées: « le découpage de l’espace global en
29 Extrait initial: « there are also features of contemporary transnationalism that appear to make it distinct in important ways »
Après ces deux chapitres théoriques, nous allons nous intéresser désormais aux migrations
maliennes proprement dîtes et à la déterritorialisatio de l’Etatnation malien...
31Extrait initial: « the carving of global space into national containers of economic, political and sociocultural processes becomes less
meaningfu. »
32Extrait initial: « The distant objectifying gaze with which world regions such as East, South or Southeast Asia were once beheld and
through which they were held together is now problematised by the insertion of Asia into Canada and the complicity of Canada in events i
Asia. »
25
Chapitre III : Du Mali à Montreuil, les Maliens de l’Extérieur
Pays enclavé d’Afrique de l’ouest cf. carte n°1 d’une superficie de 1.240.000 kilomètres carrés
et peuplé de 12,3 millions de personnes 33, le Mali est un de ces pays dont les frontières donnent
l’impression d’avoir été tracées à la règl, pardelà les diverses réalités locales et solidarités
ethniques; frontières jugées par certains comme “artificielles” ou “arbitraires” mais lesquelles
ne le sont pas? et accusées d’avoir abouties à une “balkanisation” du continent africain.
Algérie
Mauritanie
Sénégal
Mali
Gambie
Niger
sau
Guinée Bis
Guinée
Burkina - Faso
ne
ra Leo
Sier Côte d'Ivoire
Nigeria
ia
er Ghana
Lib
Bénin
Togo
Mali
1000 km
Symbole de ce malêtre frontalier, un premier conflit armé éclata entre le Mali et le Burkina
Faso en 1974 à propos de la bande d’Agacher. Cependant, cette guerre, réactivée en 1985, fut
plus motivée par la présence dans le soussol de cette zone de gaz naturel et de ressources
minières, que par une volonté de retour à une improbable cohésion “ethnicoterritoriale” qui
aurait été mise à mal par le découpage colonial. Le conflit est réglé en 1986 avec l’intervention
33 Estimation de la population au 1er janvier 2005. Source: « Tous les pays du monde », Populations & Sociétés, n°436, INED, 2007
26
de la Cour Internationale de Justice qui, trois années après avoir été saisie, attribue au Mali du
militaire Moussa Traoré la partie occidentale de la “bande”, et au BurkinaFaso du légendaire
Thomas Sankara, sa partie orientale.
Cependant, cela ne doit pas masquer les faiblesses de l’Etat malien. Celuici a notamment dû
subir depuis les années 80 divers plans d’ajustement structurel PAS initiés par la Banque
Mondiale et le Fonds Monétaire International. Pour l’économiste Brésilien Marcos Arruda, ces
PAS « visent prioritairement non pas le plein emploi et l’amélioration de la qualité de vie de la
population, mais le remboursement de la dette extérieure. » Arruda, 2005 Ils se caractérisent
donc, selon la géographe Sylvie Brunel, par une « austérité budgétaire, des privatisations à
tout crin, la liquidation des entreprises publiques “non rentables”, et l’ouverture brutale des
frontières » ce qui a des conséquences désastreuses pour les pays concernés: « paupérisation,
chômage de masse, montée de la malnutrition, réapparition d’endémies qu’on croyait jugulées
.... Les sociétés africaines basculent dans la débrouille et le chacun pour soi. » Selon la
géographe spécialiste de l’Afrique et des questions de développement, ces PAS signent « le
délitement des Etats » : « les Etats subissent ... une perte de souveraineté territoriale et de
souveraineté économique, et ils sont confrontés à la montée des tendances centrifuges et des
contestations internes » Brunel, 2004.
Aujourd’hui encore, les eets néfastes des PAS se font sentir. Le Mali est désormais classé dans
la catégorie des Pays les Moins Avancés de la planète. Il répond en eet aux trois critères mis
en avant par la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement
CNUCED censés caractériser ces pays, à savoir: un faible revenu, des ressources humaines
insu santes et une forte vulnérabilité économique CNUCED, 2007.
Il est vrai que les indicateurs retenus ne donnent pas une image très heureuse du Mali: dans le
classement 2007/2008 des pays selon leur Indice de Développement Humain IDH établi par
27
le Programme des Nations Unies pour le Développement PNUD34 , le Mali arrive en 173ème
position sur 177, avec un score de 0,380 sur une échelle allant de 0 à 1 à titre de comparaison,
en acceptant l’idée selon laquelle des niveaux de développement soient mesurables et
comparables, la France a un IDH en 2007 de 0,952 et atteint ainsi la 10ème place du
classement.
A la vue de l’IDH et des autres indicateurs généraux disponibles, et l’on sait combien il faut se
méfier d’eux à la fois à cause de la manière dont ils sont calculés et aux définitions sur lesquels
ils reposent, le Mali se caractériserait donc par un « bas niveau de développement » selon
l’expression utilisée par le journal Jeune Afriqu à son égard dans « L’Etat de l’Afrique 2007 ».
Toujours selon ce journal, « l’une des conséquences directes de ce faible niveau de
développement est l’immigration émigration massive de jeunes maliens ».
Avant de nous intéresser au cas français et, plus spécifiquement, montreuillois, il nous paraît
important de souligner que les migrants maliens se trouvent avant tout en Afrique même.
Selon l’étude la plus récente et la plus documentée sur le sujet, réalisée en 2007 par le Fonds
Européen de Développement35 , il y aurait entre 2,5 et 3 millions de Maliens vivant à l’étranger,
«
dont 2 à 2,5 millions en Afrique et 1 à 1,2 million en Côte d’Ivoire ». Nous retrouvons cette
importance du continent africain dans le classement eectué en 2008 par la Banque Mondiale
des dix premiers pays hébergeant des émigrés maliens, à savoir dans l’ordre: la Côte d’Ivoire, le
BurkinaFaso, le Nigeria, la France, le Niger, le Gabon, le Sénégal, la Gambie, la République du
Congo et la Mauritanie.
La Côte d’Ivoire est unanimement reconnue comme étant le pays où se trouve la plus
importante communauté de maliens vivant à l’étranger. Nous avons dans le tableau cidessous
retracé l’évolution de la population malienne en Côte d’Ivoire cf. tableau n°1.
Mais, avec la baisse des cours mondiaux des produits agricoles et plusieurs accidents
climatiques, une importante crise économique démarre et pousse les autorités ivoiriennes à
suspendre en 1987 le paiement de la dette extérieure et ses exportations de cacao, dans l’espoir
de faire remonter les cours Leymarie, Perret, 2006. Cependant, cela ne fonctionne pas et le
Premier Ministre Alassane Ouattara, fraîchement nommé, doit lancer en 1990 un plan de
rigueur qui aura comme conséquence une dégradation de la situation sociale. C’est dans ce
contexte que le concept d’« ivoirité », loin de l’usage plutôt libéral qu’en faisait au départ Henri
Konan Bédié, commence à être exploité par les leaders politiques et devient « le support
idéologique qui justifie des actes et des propos xénophobes, des agressions brutales contre les
étrangers et la mise en doute de l’identité authentiquement ivoirienne des populations
portant des patronymes malinké 36 ». De cela et de la crise politique qui s’en est suivi et qui
perdure encore jusqu’à aujourd’hui , des mouvements de retour des populations immigrées se
mettent en place et, à l’échelle régionale, c’est à une certaine reconfiguration des flux
migratoires à laquelle nous assistons. En ce qui concerne le Mali, des pays qui étaient jusque là
des pays d’immigration deviennent également des pays d’émigration Mauritanie, Guinée,
Niger et les circulations se font plus intenses avec le Sénégal. Malgré tout cela, une chose
demeure: le Mali est toujours un pays d’émigration. Et au sein du système migratoire malien, la
Région de Kayes occupe une place toute particulière.
La Région de Kayes cf. carte n°2 en couleur bleue sur la carte, composée de sept cercles
équivalent des départements français et située à l’ouest du Mali d’où des frontières
36
La documentation ançais, « La crise en Côte d’Ivoire, questions à Marc Le Pape et Claudine Vidal », février 2003, http://
www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/cotedivoire/marclepapeclaudinevidal.shtml
29
communes avec le Sénégal, la Mauritanie et la Guinée, est l’une des huit Régions
administratives maliennes auxquelles il convient d’ajouter le District de Bamako.
Désignée également en termes administratifs sous le nom de “Première Région”, elle est
connue pour être « la première région migratoire malienne » Maelstaf, 1998 à tel point que
certains la présente comme désertée de ses forces vives.
Tiré de Blazyk S., Les disparités spatiales de la scolarisation dans la Région de Kayes au Mali,
Mémoire de maîtrise de Géographie, sous la direction de Frédéric Dumont, Lille 1, 2000
Peuplée d’environ 1,6 million d’habitants en 2005 selon la Direction National de la Statistique
et de l’Informatique du Mali, la migration internationale y toucherait deux ménages sur trois
FED, 2007. La spécificité régionale apparaît lorsque l’on s’intéresse aux pays concernés par
cette migration internationale: en eet, selon l’enquête malienne sur les migrations et
l’urbanisation EMMU réalisée en 19921993 par le réseau migrations et urbanisation en
30
Afrique de l’ouest REMUAO, plus de la moitié de l’émigration des ressortissants de la Région
de Kayes se ferait endehors des pays d’Afrique de l’ouest, soit à peine plus que le District de
Bamako 49
mais loin devant les autres Régions en troisième position, nous avons la Région
de Ségou pour qui le pourcentage mesuré n’est que de 23
.
Région essentiellement rurale, l’activité principale y est l’agriculture. Il y a ainsi une grande
dépendance visàvis des conditions climatiques, à l’instar de l’économie malienne en général
qui “épouse” le rythme des pluviométries. La migration apparaît donc « comme une stratégie de
diversification des sources de revenus pour l’économie villageoise » Daum, 1995. Et cette
migration se fait notamment vers la France où les kayésiens représentent la quasitotalité des
immigrés maliens. Plus exactement, ce sont les cercles du nord de la Région, ceux des Soninké,
qui sont émetteurs de migrants maliens vers la France.
Avec l’arrivée du colon français, nous assistons à un bouleversement des modes de productions
qui avaient cours jusque là. Se met alors en place une première émigration saisonnière vers le
Sénégal et des filières vers la France voient le jour. Dans les années 6070, la migration
s’accélère, afin de répondre à un besoin fort de main d’oeuvre dans l’ancienne métropole, dans
un contexte de forte croissance économique « les trente glorieuses ». Progressivement, les
villages deviennent dépendants des revenus liés à l’émigration qui est ainsi autoentretenue.
31
une position figée » ; enfin, dans des zones où les infrastructures scolaires sont déficientes,
«
émigrer est ... la seule promotion sociale possible » Daum, 1995.
L’immigration est en France un sujet sensible: la victoire aux dernières élections présidentielles
d’un candidat de la “droite décomplexée” appelant à la création d’un Ministère de
l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement ce dernier
terme devenu depuis “développement solidaire” est la traduction dans les urnes, selon le
politologue Vincent Tiberj, d’une « crispation hexagonale » Tiberj, 2008 autour de cette
question.
Et les événements récents mort d’un malien sanspapier à JoinvillelePont, grève des sans
papiers etc. ne vont malheureusement pas contribuer à apaiser les débats dans lesquels les
migrants d’Afrique subsaharienne, et notamment maliens, sont l’objet de toutes les attentions.
Il semble que ces derniers aient en eet acquis une place très élevée dans l’imaginaire collectif,
au point de dépasser l’immigration nordafricaine.
Chirer la population malienne en France est un exercice périlleux tant est grand le risque
d’être pris au piège d’opinions partisanes plus ou moins généreuses.
Selon les résultats nationaux des enquêtes de recensement de 2004 à 2007 eectuées par
l’INSEE, la France est, au 1er janvier 2005, composée à la fois de 4 959 000 immigrés et de 3,5
millions d’étrangers, ces deux chires ne pouvant être l’objet d’une simple addition car des
individus répondent aux deux critères:
Les immigrés originaires du Mali sont estimés en France à 54 000 soit à peine 1
de la
population totale immigrée en France. Dans cette estimation sont mélangés immigrés de
nationalité malienne et immigrés de nationalité française: les premiers sont estimés à 41 580
et les seconds à 12 420 soit un taux de naturalisation de 23
.
Les étrangers maliens sont eux estimés en France à 57 000 soit environ 1,6
de la population
totale étrangère en France. A ce nombre, il convient de retirer ceux qui sont nés au Mali et
32
que nous avons donc déjà comptabilisés précédemment. Après calcul 57000 41580, nous
obtenons 15420 Maliens nés en France.
Nous avons donc, selon les chires de l’INSEE, 69420 individus “maliens” en France le terme
“maliens” étant à saisir au sens large car regroupant immigrés originaires du Mali de nationalité
française, immigrés originaires du Mali de nationalité malienne et individus Maliens nés en
France.
Dans les deux cas, qu’ils s’agissent des immigrés ou des étrangers, nous observons qu’ils sont à
90
en moyenne situés en Région ÎledeFrance. Nous observons également un fort
déséquilibre homme femme, toutefois celuici tend à diminuer au fil des recensements.
En ce qui concerne le nombre d’individus originaires du Mali vivant en France illégalement les
“sanspapiers”, expression née en 1996 à l’occasion de l’occupation de l’Eglise SaintBernard à
Paris et destinée à insister sur le fait qu’ils ne sont pas “sans droits”, les estimations sont très
nombreuses: toutefois, si certains parlent en plusieurs dizaines voire en centaines de milliers,
certains événements nous incitent à revoir à la baisse ces estimations. Il en est ainsi de
l’opération de régularisation de 1998 durant laquelle 10 000 individus ont déposé une
demande. Nous pouvons penser là qu’il s’agit approximativement du nombre total de “sans
papiers” maliens en France FED, 2007.
2 Des relations avec le pays d’origine façonnées par les politiques migratoires françaises
La date charnière est 1974. Avant cette année, la venue en France pour les Maliens est assez
simple: une carte d’identité malienne et une visite médicale Gare du Nord à l’O ce National
de l’Immigration su sent. Le contexte économique est favorable, la France a besoin de main
37Extrait initial: « strategies of immigration surveiance and control adopted by the state in France since the 1960s have significantly shaped
the construction of migrant identities »
33
d’oeuvre: tout concourt à l’établissement de ce que Robert Montagne nomme, nous l’avons vu,
la “noria”, basée sur le remplacement des individus.
Mais au lendemain du premier choc pétrolier, Valéry Giscard d’Estaing, nouvellement élu, met
en place une politique forte de maîtrise de l’immigration. Le 5 juillet 1974, le gouvernement
français décide de la fermeture des frontières à l’immigration. Cependant, dès 75, les frontières
sont réouvertes aux membres des familles. Le regroupement familial rentre alors en
concurrence avec les divers mécanismes de retour mis en place ex.: le “million Stoléru” en
1977 et, selon C.F. Sargent et S. LarchanchéKim, « cela a eu pour eet inverse de pousser les
immigrants à faire le choix de s’installer définitivement en France par peur de ne jamais
pouvoir revenir.38 »
Depuis la moitié des années 1970, la législation française en matière d’immigration s’est en
permanence durcie: les formalités sont de plus en plus importantes, les conditions nécessaires à
l’obtention des papiers de plus en plus lourdes et les contrôles aux frontières de plus en plus
forts: en 1993, le Ministre de l’Intérieur Charles Pasqua en appelle ainsi à une « immigration
zéro ». Tout cela a contribué à ce que les séjours des maliens en France soient de plus en plus
“durables”, passant ainsi d’une « immigration de travail » à une « immigration
d’installation
» Daum, 1995.
38 Extrait initial: « these had the reverse eect of pushing immigrants to choose to settle permanently in France for fear of never being able to
return. »
39Créée en 2000, cette association est destinée à valoriser l’est parisien, trop souvent écarté des réflexions en matière
d’aménagement du territoire en ÎledeFrance selon ses initiateurs
34
Encadré n°2 Montreuil, “Ville Internet”
Cette dernière fonction n’est pas sans rapport avec Montreuil, ville connue pour l’importance
de sa population malienne. Ainsi dans une version spéciale du journal Le Mond Le Monde du
93 , Mariama Diop écrit: « Dans cette ville populaire, la communauté malienne est l’une des
plus importantes au monde. » Diop, 2008 Ce qui lui vaut de nombreux surnoms tels que “la
deuxième Bamako”, “Bamako bis”, “la capitale du Mali” ou encore “Malisousbois” en
référence à la dénomination d’usage de la ville, Montreuilsousbois.
Lors de nos entretiens et de nos diverses rencontres sur le terrain, notre première question
était systématiquement la suivante: “combien y’atil de maliens à Montreuil?”. Cette question
suscitait très souvent chez notre interlocuteur un éclat de rire suivi d’un “je ne sais pas... et
personne ne sait”. Et il est vrai que chirer la population malienne de Montreuil est quasi
impossible.
Pour le démographe de la ville Pascal Fuchs, cité dans L’Express, « au dernier recensement
l’article date de 2005, 2118 personnes se sont déclarées de nationalité malienne.40 » Selon le
site internet o ciel de la mairie de Montreuil, « le nombre de Maliens de Montreuil est
estimé entre 6 000 et 10 000.41 » C’est également cet intervalle que nous ont fourni sur le
terrain les rares personnes à avoir osé apporter une réponse chirée à la question. Derrière la
variété des quelques chires que nous pouvons trouver, se cache des définitions variées de ce
que sont les “Maliens de Montreuil”. Certains en eet limitent cette appellation aux résidents
de Montreuil de nationalité malienne alors que d’autres l’étende aux individus d’ascendance et/
Montreuil aurait donc une population malienne et d’origine malienne de 6 000 à 10 000
habitants. Comment pouvonsnous expliquer cette “concentration”?
Pour JeanPierre Brard, maire de la commune de 1984 à 2008 et député depuis 1988,
l’immigration malienne à Montreuil est une « tradition ... qui se marie avec la tradition
politique de la ville de solidarité anticoloniale. » Tradition qui remonte à son prédécesseur, le
communiste Marcel Dufriche. Maire de la ville de 1971 à 1984 et élu au conseil municipal dès
1959, Marcel Dufriche était également secrétaire particulier de Benoît Frachon, secrétaire
général de la CGT de 1945 à 1967 et président du syndicat de 1967 à 1975. Au sein de ce
syndicat, Marcel Dufriche fut le « spécialiste des questions coloniales » Dewitte, 1981. Il se
rendit alors fréquemment à des réunions en Afrique où il fit connaissance personnellement
avec Modibo Keïta, le père de la nation malienn selon l’expression consacrée.
Encore aujourd’hui les liens politiques sont forts entre Montreuil et le Mali. Pour preuves: la
mise en place d’un partenariat de coopération décentralisée entre la ville et le Cercle de
Yélimané en Région de Kayes cf. encadré n°3 ; et des Présidents de la République du Mali
Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré qui lors de leurs visites o cielles en France
ne manquent jamais de se rendre à Montreuil. Comme nous l’a dit une malienne: « Il faut venir
à Montreuil pour voir notre Président ». C’est d’ailleurs à l’occasion de l’une de ses visites,
qu’ATT, en 2007, a inauguré la diusion sur satellite de la chaîne de télévision malienne
accessible désormais aux Maliens de l’Extérieur cf. encadré n°4.
36
Encadré n°3 Un partenariat de coopération décentralisée entre Montreuil et le
Cercle de Yélimané
Jumelée avec le Cercle de Yélimané depuis 1985, Montreuil a, grâce à la loi du 06 février
1992 relative à l’administration territoriale de la République, mis en place un partenariat
de coopération décentralisée avec son partenaire. Dans ce cadre a été élaboré, avec la
participation des Maliens de Montreuil, un programme d’appui au développement
durable de Yélimané PADDY, signé en 2004.
« J’étais gêné que le Mali ne soit pas vu et entendu par tous les Maliens de l’extérieur.
Nous avons choisi de lancer l’ORTM O ce de Radiodiusion et de Télévision du Mali
ici, pas à Bamako. Nous voulons que le Mali soit dans chaque foyer, dans chaque maison ;
que les nouvelles générations, nées en France, soient proches de leurs valeurs ancestrales.
Nous souhaitons qu’elles regardent ce qui se passe au Mali à travers l’information de leur
propre pays d’origine et pas à travers l’image négative d’une certaine presse. »
La chaîne est aujourd’hui très regardée par les Maliens de Montreuil: tous ceux que nous
avons rencontrés la regarde au moins une fois par jour. Dans les foyers, la télévision est
présente dans toutes les chambres ainsi que dans les parties communes. Certains
programmes sont très prisés: les journaux télévisés et les “Top Etoile” émission musicale
notamment.
C’est en mars 1968, alors que Marcel Dufriche et Modibo Keita sont respectivement élu au
conseil municipal de Montreuil et Président de la République du Mali, qu’est créé le désormais
célèbre foyer de travailleurs migrants rue Bara communément appelé “foyer Bara”.
Aujourd’hui nous dénombrons neuf foyers de travailleurs migrants FTM sur la ville de
Montreuil cf. tableau n°2. Bien évidemment, tous les Maliens de Montreuil ne logent pas dans
37
ces foyers, mais nous allons nous y intéresser car ils ont acquis une très forte charge symbolique
et ce sont eux qui ont fait de Montreuil une ville si importante pour la communauté malienne.
Le plus grand organisme gestionnaire présent sur la ville est l’Aftam.
Ru ns Adoma 195
Lepère OPHM** 26
Hugo OPHM** 17
L’Aam:
A sa création en 1962, l’Association pour la formation aux techniques de base des africains et
des Malgaches résidants en France AFTAM devenu acronyme en 2005 avait pour activité
première, comme son nom l’indique, la formation de base afin que les « ressortissants des
anciennes colonies » aient « une qualification utile au développement de leur pays lors de leur
retour au village. 42 » Aujourd’hui, l’Aftam travaille autour de quatre axes: l’habitat social adapté,
l’hébergement social, le secteur médicosocial et la promotion sociale.
L’hébergement des travailleurs migrants a commencé dans la seconde moitié des années 60 et
ce à Montreuil précisément, avec le foyer Bara. Aujourd’hui, l’Aftam gère 49 FTM et 38
résidences sociales sur 6 Régions Bretagne, Bourgogne, Centre, ÎledeFrance, Normandie,
Picardie. Au niveau départemental, la SeineSaintDenis apparaît comme étant la plus équipée
en matière de FTM Aftam derrière Paris, et la troisième en matière de résidences sociales
Aftam derrière le ValdeMarne et Paris. Pour l’association, tous les FTM ont vocation, à
Au niveau français, la population hébergée par l’Aftam est à 40
originaire du Mali, du Sénégal
et de la Mauritanie. En ÎledeFrance, la population des FTM « est d’abord et avant tout
constituée de Maliens, Sénégalais ou Mauritaniens » à savoir 49
des résidents. Mais les
auteurs du Rapport d’activité 2006 notent que « dans les faits, si l’on tient compte des personnes
naturalisées, ils comptent pour plus de la moitié de l’eectif ». Autre caractéristique de la
population des foyers: elle est essentiellement masculine 96
et vieillissante 48
de
l’eectif est ainsi en 2006 âgé de plus de 55 ans, soit un point de plus qu’en 2005. Enfin, les
foyers Aftam d’IledeFrance sont en moyenne occupés à 95
; fort taux d’occupation qui
s’accompagne d’un faible taux de rotation.
Le foyer Bara:
Créé en mars 1968 pour accueillir 265 personnes, ses capacités d’accueil sont dès la fin des
années 70 largement dépassées en accueillant, selon Koné Amadou secrétaire général du
comité de concertation du foyer, 400 personnes. Aujourd’hui, le foyer est composé de 68
chambresdortoirs pour un nombre total de lits de 410. Cependant il s’agit là du chire o ciel.
Selon Philippe Schroder, coordinateur SeineSaintDenis de l’Aftam, la population réelle du
foyer avoisine le millier de personnes, soit 600 “surnuméraires”. Tous vivent dans des
conditions de confort très sommaires.`
Ce foyer cf. illustration n°1 a acquis une forte charge symbolique, ce qui fait de lui non pas
seulement un simple lieu de résidence mais plus largement un véritable lieu de vie et un point
de rencontre de toute la communauté malienne et également de toute une communauté
musulmane. Cette forte charge symbolique est évoquée par Philippe Schroder comme un frein
aux projets de rénovation et de réhabilitation.
39
Le foyer est un lieu de vie intense: aussi bien à l’intérieur où le moindre espace est utilisé nous
y trouvons une mosquée, un atelier de couture, une forge, des coiffeurs, des petits
commerçants... qu’à l’extérieur: « La rue Bara se prolonge, à l’ouest, par la rue Paul Eluard qui
ore un espace piétonnier assez large. Destiné, dans la journée, à l’accueil des écoliers ce texte
date de 1995; l’entrée de l’école se fait désormais sur un autre rue mais ce qui suit est toujours
vrai, il est largement investi par les résidents du foyer le soir et le weekend. ... Certains
weekends, les résidents installent des cartons et des bouts de moquette sur le bitume pour s’y
asseoir plus nombreux. ... En été, entre dixhuit et vingtdeux heures, on peut compter plus
de cinquante personnes dans cette rue. » Brunet, 1995 Ainsi, les foyers présents sur la ville
apparaissent à la fois pour ceux qui y vivent, pour ceux qui y ont vécu et pour ceux qui s’en
occupent non pas comme des lieux fermés tels qu’ils sont souvent présentés mais au contraire
comme des lieux ouverts sur l’extérieur, sur Montreuil, sur la région parisienne et sur le Mali...
40
Chapitre IV : Vers un Etatnation malien déterritorialisé?
Le 29 avril 2007, au premier tour des élections présidentielles, Amadou Toumani Touré est
réélu avec 71,20
des surages 43.
Dans son programme, le candidat à sa propre succession accordait une place importante aux
Maliens de l’Extérieur. Ainsi la vingtième des « 21 raisons pour réélire ATT » était relative à
cette population, à leur « protection » et à leur « implication dans le développement du pays44 ».
Plus concrètement, les Maliens de l’Extérieur sont considérés comme des acteurs à part entière
de son Projet pour le développement économique et social PDES du Mali qui veut, selon ses
propres termes, « insuer un nouvel état d’esprit et un nouvel élan avec des hommes
entièrement dévoués à la cause national45 » ; projet sur la base duquel il a été réélu.
Au lendemain de son élection, son engagement en faveur des Maliens de l’Extérieur n’a pas
disparu. Il déclare ainsi dans son discours d’investiture: « Les Maliens de l’extérieur, par leur
nombre, leur compétence et leur apport, constituent une grande chance pour le Mali. Je tiens à
réitérer, ici, notre profond attachement aux droits et à la dignité des migrants. La gestion de
nos compatriotes est au centre des priorités de notre politique extérieure. En eet, mieux
assurer leurs droits et préserver leur dignité, mieux mobiliser leurs capacités d’investissements,
cerner et féconder leur apport intellectuel, mieux les promouvoir dans les organisations
internationales et mieux valoriser l’image des Maliens et du Mali, constitueront les axes
majeurs, de l’action de protection et de promotion des Maliens de l’Extérieur.46 »
Quelques mois plus tard, en novembre 2007, dans sa lettre de cadrage au Premier Ministre,
ATT reréa rme cette volonté: « Le gouvernement poursuivra les eorts pour améliorer les
prestations des missions diplomatiques et consulaires au bénéfice de la communauté malienne,
encourager leur participation au processus de développement et mieux valoriser l’image des
maliens et du Mali.47 »
44ATT 2007, « Maliens de l’extérieur: protection et implication dans le développement du pays », http://www.att2007.ml/
article51.html
Une « plateforme France pour la réélection du Président ATT » a même été créée. Basée à
Montreuil, disposant d’un site internet dédié, cette plateforme organisait des débats dans
divers foyers de travailleurs migrants Foyer Gambetta dans le 20e à Paris, Foyer Bara à
Montreuil, foyer Valenton dans le 94 etc. afin de promouvoir le candidat ATT auprès des
autres membres de la communauté malienne.
Enfin, la plupart des candidats à l’élection présidentielle disposaient d’un site internet sur
lequel ils organisaient des séances de chat discussion en direct, proposaient leur “projet”, leur
“vision” et leurs diverses réactions. Ces sites leur permettaient ainsi une visibilité à la fois à
l’intérieur et à l’extérieur du Mali. Pour le journal o ciel malien L’Essor, ces sites sont « les
innovations de cette campagne 48 » cf. encadré n°5.
L’Etat malien et ses acteurs reconnaissent ainsi le rôle et l’importance des Maliens de
l’Extérieur dans le développement du pays et ce notamment via les nombreux transferts
d’argent et leur dynamique associative. Cependant, cet intérêt porté par les hommes
politiques maliens maliens envers leurs ressortissants à l’étranger n’est pas nouveau: la prise de
conscience de l’importance de cette population s’est faîte avec le rôle qu’a eu cette dernière
dans la chute du régime militaire de Moussa Traoré.
Les sites web des candidats aux élections présidentielles sont une véritable nouveauté au Mali. Le journal o ciel
L’Essor a ainsi parlé d’une « cybercampagne ». Malheureusement pour nous, beaucoup des sites créés à l’occasion
kalentigi.com, tiebile.net, electionsmali.net etc. ne sont plus accessibles aujourd’hui.
43
Selon ce que l’on sait alors, « l’armée restera au pouvoir jusqu’à la formation d’un gouvernement
démocratique issu d’élections libres.49 » Cependant il n’en fut rien et Moussa Traoré mit
progressivement en place, pendant ses 23 années à la tête du Mali, « un régime dictatorial ayant
pour base un parti unique50 ». En mars 1991, Moussa Traoré est à son tour renversé par un coup
d’Etat militaire après trois jours d’émeute ayant fait environ 300 morts et de nombreux blessés
dans la capitale Bamako.
Les Maliens de l’Extérieur n’ont pas été inactifs dans la chute du régime dictatorial. Nous
pouvons dire qu’ils ont joués à deux niveaux:
En premier lieu, sur le temps long, par le biais des associations de développement villageoises
qu’ils créent à partir des années 80. Bien que les actions de ces associations soient freinées par
le pouvoir central, elles finiront par concerner la quasitotalité des villages touchés par
l’émigration. Ainsi, selon Christophe Daum et Céline Le Guay, « le pouvoir sera assez vite
dépassé par l'ampleur du mouvement associatif. » Toujours selon ces deux auteurs, «
rétrospectivement, la création et la montée en puissance de ces associations indépendantes du
régime s'inscrivent bien dans un mouvement plus vaste de démocratisation et d'émergence de
la société civile. »
50 AFP, « La peine de mort contre Moussa Traoré commuée en détention à perpétuité », dépêche du 12/09/99, disponible en
ligne: http://www.peinedemort.org/document.php?choix=725
vue=notice&id_notice=CAB91015397
44
Le deuxième niveau de l’implication des migrants maliens dans la chute du régime de Moussa
Traoré nous est révélé par Mr Soumaré, exPrésident du Conseil des Maliens de l’Extérieur en
France. Selon lui, la communauté malienne en France fût en quelque sorte la « base arrière » des
opposants au régime de Moussa Traoré. Les opposants venaient ainsi en France où ils étaient
accueillis par leurs amis maliens. De là, ils pouvaient organiser leur propagande, imprimer leurs
tracts, diuser leurs revues, se mettre en relation avec la presse, se trouver des financements..
Pour Mr Soumaré, c’est le discours de Mitterand à La Baule en juin 1990 qui a « requinqué » les
migrants dans leur opposition au régime de Moussa Traoré cf. encadré n°6.
Encadré n°6
Extraits du discours de François Mitterand le 20 juin 1990 à l’occasion de la séance
solennelle d’ouverture de la 16e conférence des chefs d’Etat de France et d’Afrique
« Il nous faut parler de démocratie. C’est un principe universel qui vient d’apparaître aux peuples
de l’Europe centrale comme une évidence absolue au point qu’en l’espace de quelques semaines,
les régimes, considérés comme les plus forts, ont été bouleversés. Le peuple était dans les rues,
sur les places et le pouvoir ancien sentant sa fragilité, cessait toute résistance comme s’il était
déjà, et depuis longtemps, vidé de susbstance et qu’il le savait. Et cette révolution des peuples, la
plus importante que l’on eut connue depuis la Révolution française de 1789, va continuer. ...
Enfin on respire, enfin on espère, parce que la démocratie est un principe universel. ... Lorsque
je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à
Source:
un état RFI, « Le au
d’équilibre discours de La où
moment Baule », http://www.rfi.fr/actufr/articles/037/article_20103.asp
apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai
naturellement un schéma tout prêt: système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté
de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure; voilà le schéma dont nous
disposons. ... Puisje me permettre de vous dire que c’est la direction qu’il faut suivre. »
Ayant participé, ou du moins contribué, à la chute du régime dictatorial de Moussa Traoré, les
migrants ont plus généralement concouru à faire du Mali un Etat moderne, indépendant, libre
et démocratique.
Représenter les maliens de l’Extérieur auprès des instances et des institutions nationales;
Rassembler tous les ressortissants maliens résidant à l’extérieur sans distinction d’origine
régionale, ethnique, religieuse, sociale, de sexe et de profession;
Promouvoir l’union et la solidarité entre les Maliens de l’Extérieur;
Porter assistance aux Maliens de l’Extérieur dans leur pays de résidence;
Susciter leur contribution au développement économique, environnemental, social, culturel
et sportif du Mali;
Promouvoir la paix et l’intégration entre les peuples.
Pour le HCME, est Malien de l’Extérieur « tout ressortissant malien ayant une résidence
permanente à l’extérieur, immatriculé au niveau d’une Mission Diplomatique et / ou
Consulaire, détenteur de la carte d’identité consulaire et / ou d’un titre de séjour en cours de
validité du pays de résidence. »
Concrètement, le HCME est la structure fédérative des Conseils des Maliens résidant à
l’extérieur: en eet, chaque pays doté d’une population malienne significative 52 est doté d’un
Conseil des Maliens de l’Extérieur. Après comptage eectué sur le site web du Ministère des
Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration Africaine 53, nous en répertorions 32 au total. La carte
cidessous cf. carte n°3 montre la répartition mondiale par pays des CME. La localisation de
ces structures reflète bien la géographie de l’émigration malienne: elle sont en eet
majoritairement situées sur le continent africain ; et, si l’on rajoute les missions diplomatiques
Légende:
Conseil des Maliens de l'Extérieur
Mali
Fonds de carte: Atelier de cartographie de SciencesPo
47
Source: Ministère des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration Africaine
Réalisation: Arthur Devriendt, 2008
ambassades et consulaires, deux pays ressortent: la Côte d’Ivoire et la France.
En ce qui concerne la représentation politique des Maliens de l’Extérieur en tant que tels, ces
derniers ne peuvent voter depuis leur pays de résidence qu’aux élections présidentielles. Des
bureaux de vote sont ainsi installés là où ils vivent. Il y aurait ainsi eu lors des élections de 2007,
79 bureaux de vote en Europe dont 55 en région parisienne, 10 en “province”, 13 en Espagne et 1
au Portugal54 . Toutefois, plusieurs ressortissants maliens que nous avons interviewés se sont
plaints d’une mauvaise organisation: il en est ainsi de N.K. selon lequel les ressortissants
maliens de Montreuil avaient demandé trois bureaux de vote sur Montreuil même afin qu’ils «
puissent aller voter à Montreuil au lieu de prendre le transport de droite à gauche. ... Les trois
bureaux on les a eus mais tous ont été inscrits à la Porte de Paris au lieu d’êtres inscrits dans la
liste de Montreuil. C’est pour saboter. ... C’est pour contredire l’électorat. T’arrives au bureau
de vote et à la vérification seulement, après une heure, tu apprends que t’es pas ici mais à Saint
Denis, tu crois que tu vas aller voter? »
Au niveau des élections législatives et communales, les Maliens de l’Extérieur ne peuvent pas
voter en tant que tels. Théoriquement ils peuvent le faire, en retournant physiquement au pays,
mais nous n’avons interviewé personne faisant cela. Comme nous l’a déclaré un malien que
nous avons interrogé, à cet échelon politique, « c’est la distance qui nous exclu ».
L’idée d’avoir des députés des Maliens de l’Extérieur a fait l’objet de réflexion, selon le directeur
adjoint du cabinet du Premier Ministre malien55 , dès 1991. Cependant deux raisons sont mises
en avant par les autorités maliennes pour expliquer sa nonfaisabilité: le refus des pays d’accueil
tels la France et la Libye d’avoir sur leur territoire des personnes ayant une immunité
parlementaire; et, deuxièmement, des di cultés matérielles et ce notamment au niveau des
coûts des billets d’avion.
En revanche, les Maliens de l’Extérieur sont représentés dans deux autres structures à savoir
dans le Haut Conseil des Collectivités Territoriales, l’équivalent du Sénat français, et au Conseil
Economique et Social, organe consultatif des pouvoirs publics maliens.
55Que nous avons rencontré lors du salon Mali France http://www.salonmalifrance.com/ organisé à la Bourse de Commerce
de Paris, du 24 au 28 avril 2008
48
Ainsi les Maliens de l’Extérieur sont sollicités par les autorités maliennes afin de participer au
développement du pays 56 . En approfondissant nous constatons cependant que l’intérêt porté
par l’Etat malien envers sa population est quelque peu “poussé” par les pays dits du Nord afin
que le Mali se dote d’une politique migratoire.
L’Etat malien ne s’est pas arrêté à la création du Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur. Au
début des années 2000 est créée une Délégation Générale des Maliens de l’Extérieur puis un
Ministère délégué chargé des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration Africaine. A la faveur
d’un remaniement ministériel en mai 2004, ce dernier prendra la forme d’un Ministère plein
exclusivement consacré à cette question: le Ministère des Maliens de l’Extérieur et de
l’Intégration Africaine MMEIA. En plus de fonctions assez proches du HCME, c’est ce
ministère qui est l’interlocuteur des pouvoirs publics européens et français pour la gestion des
flux migratoires.
C’est ainsi le MMEIA qui a organisé suite à la conférence ministérielle euroafricaine sur la
migration et le développement de Rabat en juillet 2006 et à la conférence ministérielle
conjointe sur les migrations de Tripoli en novembre de la même année; et dans le cadre du
“dialogue approfondi” prévu par l’article 13, exclusivement consacré à la question des
migrations, de l’Accord de Cotonou une réunion à Bamako le 8 février 2007 entre le Mali, la
Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest CEDEAO et l’Union Européenne.
Lors de cette réunion a été décidé de la création au Mali d’une Maison des Maliens de
l’Extérieur et d’un Centre International de Gestion des Migrations CIGEM.
L’objectif de ce centre est « de définir et mettre en oeuvre une politique migratoire malienne
adaptée aux dynamiques nationales, régionales et internationales ». Ses missions seront ainsi,
selon un document interne, « l’amélioration de la connaissance des phénomènes migratoires;
l’accueil, l’information, l’orientation et l’accompagnement des migrants potentiels et des
migrants de retour; l’information sur les conditions juridiques de la migration et la
sensibilisation de la population sur les risques de la migration irrégulière; la valorisation du
56Nous pouvons également citer le programme Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals TOKTEN qui existe au Mali
depuis 1998 et dont l’objectif est, selon le site internet consacré à ce projet, « d'utiliser les compétences des universitaires
maliens expatriés » http://toktenmali.org/
49
capital humain, financier et technique des Maliens de l’Extérieur57 ». Pour l’Union Européenne,
il s’agit là d’un « projet pilote appelé à être reproduit dans d’autres pays de l’espace
CEDEAO.58»
Le MMEIA représente également la partie malienne lors des réunions du comité francomalien
sur les migrations maliennes, créé en 1998. Selon un document du Ministère français des
Aaires étrangères, cette structure « permet d’aborder le phénomène migratoire dans sa
globalité en faisant le lien entre gestion des flux de personnes, intégration des Maliens en
France et aide au développement du Mali.59 » Au sein de ce comité, il existe un point majeur de
divergence entre la partie malienne et la partie française à propos de la réadmission des
Maliens vivant clandestinement en France. En décembre 2006, la partie malienne a tout
simplement refusé de signer les clauses relatives à ces réadmissions.
A la vue de ces diérents éléments, nous pouvons nous interroger, à l’instar de Mélanie
Cambrezy, si cet intérêt porté par l’Etat malien envers sa population résidant à l’étranger n’est
donc pas une réponse « aux pressions internationales, et notamment françaises, pour mettre en
œuvre une gestion concertée des migrations » Cambrezy, 2007. Expression typique des
autorités du Nord, elle semble être aujourd’hui avoir bien été intégrée par les autorités
maliennes: ainsi le Ministre actuel des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration africaine en
appelle à « une gestion concertée des flux migratoires », seule à même selon lui, « de préserver
les intérêts du Mali et de la France. » interview au journal Le Chaenger, 12/12/07
En tenant compte de tous ces éléments, il nous paraît di cile de parler d’un Etatnation malien
déterritorialisé car les structures créées s’inscrivent en partie dans le cadre d’une politique
migratoire qui visent précisément au contraire, c’estàdire à le reterritorialiser . Pour le
Ministre des Maliens de l’Extérieur, il faut s’engager dans « des actions vigoureuses pour réguler
le flux migratoire afin de donner aux jeunes des raisons d’espérer en restant attachés à leur
terroir.60 »
57 Termes de référence du chef du service “études, recherche, formation et documentation” du CIGEM, disponible en ligne à
l’adresse suivante: http://www.delmli.ec.europa.eu/fr/avis_recrut/doc/02_TdR_Etudes_CIGEM_VF.doc
58Unio Européenn, « Les Migrations et le Développement: Réunion de Haut Niveau Union Européenne », http://
www.europaeuun.org/articles/fr/article_6758_fr.htm
59 Ministère des Aaires étrangères et européennes, «Place à une gestion concertée des flux migratoires », http://
www.diplomatie.gouv.fr/fr/articleimprim.php3?id_article=45862
60 Nous soulignons.
50
Partie 2 Le Mali, les Maliens de Montreuil et les TIC
51
Chapitre I : Le Mali et les TIC
Nous avons vu dans la première partie de notre travail, le jugement de valeur positif qui se
cache derrière l’utilisation de l’expression “technologies de l’information et de la
communication”. Ces dernières sont « parées de toutes les vertus » ChéneauLoquay, 2004 et
vont, selon une opinion largement répandue, transformer radicalement notre quotidien. Nous
serions ainsi rentrés dans une “nouvelle ère”, dans une “société de l’information”.
1 La société de l’information
L’expression “société de l’information” information society en anglais a été popularisée dans les
années 1990. En premier lieu aux EtatsUnis avec le programme National Information
Structure NIS initié par Al Gore en 1991. Ce programme comportait deux volets: un volet
“social” visant à améliorer l’accès de tous aux données publiques, et un volet “économique”
encourageant l’investissement privé, promouvant la concurrence et appelant à la création d’un
cadre réglementaire flexible pouvant s’adapter aux évolutions technologiques et aux
transformations rapides du marché.
En 1994, le programme NIS est rebaptisé Global Information Infrastructure GII. A cette
occasion, le 21 mars, Al Gore prononce un discours quasiprophétique à la tribune de l’Union
Internationales des Télécommunications: selon lui le GII créera « un nouvel âge athénien de la
démocratie 61 » cf. encadré n°8.
La notion a ensuite traversée l’Atlantique pour inspirer les politiques de l’Union Européenne
dont la dernière en date dans ce domaine est l’initiative i2010 qui vise à créer « un espace
européen unique de l'information 62 ». En France, ce sont des Assises du numérique qui se
tiennent à l’heure où nous écrivons ces lignes et qui selon leur organisateur Eric Besson,
Secrétaire d’Etat, vont permettre l’élaboration d’un plan de développement de l’économie
numérique qui devrait être présenté avant l’été au Président de la République et au Premier
Ministre. L’objectif a ché est de « faire de la France une grande nation numérique ».
Extrait et traduit de UIT, « Al Gore speech, Information Superhighways, IUT March 21, 1994 »,
http://vlib.iue.it/history/internet/algorespeech.html
Toujours selon ce collectif d’auteurs, “société de l’information” est une expression qui « relève
d'une forme particulière de présupposition » : en eet, « les textes innombrables ... qui
annoncent "l'entrée dans la société de l'information" constatent l'existence de cette société
tout en présentant comme une obligation le fait de la faire advenir. »
Autre critique de l’expression est le politologue et économiste Riccardo Petrella. Selon lui, la
“société de l’information” est devenue « la technoutopie explicative et légitimante du
capitalisme mondial ». Détaillant sa pensée, il a rme que la société de l’information « sert à la
nouvelle classe dirigeante planétaire pour a rmer et faire accepter les enzymes forts de la
mondialisation, c’estàdire la libéralisation totale de tout marché, partout dans le monde.
Selon les nouveaux maîtres du monde, la société de l’information appelle de nouvelles formes
53
de régulation audelà de l’Etat. La régulation doit être laissée au marché global autorégulateur.
Et la boucle est bouclée. Le capitalisme mondial se retrouve non seulement légitimé par la
société de l’information, mais on lui donne la possibilité de construire les autoroutes du futur
pour son bénéfice quasi exclusif. » Petrella, 1996 Si nous pouvons trouver ce point de vue
quelque peu excessif, toujours estil qu’il a le mérite d’exister et d’éclairer ainsi sous un angle
nouveau un vocabulaire qui a envahi les déclarations des institutions internationales et ce
notamment dans le cadre de la lutte contre la fracture numérique.
2 La fracture numérique
Traduit63 de l’anglais digital divid, le concept de “fracture numérique” est apparu dans les
années 90, soit en même temps que la “société de l’information”: il y a une prise de conscience
rapide dans ce domaine que tous ne sont pas “logés à la même enseigne”, que tous ne sont pas
“connectés au réseau des réseaux”.
La fracture numérique est initialement définie par l’accès aux infrastructures. On compare
d’une zone à une autre le nombre d’utilisateurs, soit du téléphone, soit d’Internet cf. carte n°4.
On trace des frontières, on délimite des territoires et les expressions fusent: “il y a plus de
téléphones à Manhattan que dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne” étant la plus célèbre.
63 Gabriel Dupuy est revenu sur la traduction de cette expression. Nous privilégierons comme lui le terme de “fracture” étant
donné le caractère toujours évolutif des TIC et de leurs usages Dupuy, 2007.
54
Dès lors nombreuses sont les associations et les institutions internationales à s’engager dans ce
nouveau domaine de “lutte” qu’est « la solidarité numérique » expression proposée et définie
par Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, lors du deuxième comité préparatoire au Sommet
Mondial sur la Société de l’Information à Genève le 17 février 2003. Sans doute, les organismes
d’aide trouventils là un “terrain de jeu” plus consensuel, un nouveau champ d’action loin des
domaines d’intervention où ils sont fortement critiqués “crise de la dette des pays en
développement”, gestion de conflits... Le monde entier est appelé à se mettre en mouvement
car les enjeux sont capitaux: selon l’homme politique français Alain Madelin, Président du
Fonds Mondial de Solidarité Numérique, « la fracture numérique entrave les possibilités de
développement que les TIC pourraient orir aux plus démunis. Elle limite la production et la
circulation de connaissances, accentue le retard économique et intensifie dangereusement
l’incompréhension entre les peuples. Elle est de nature à amplifier l’émigration et la
déculturation. Enfin, elle réduit les eorts engagés pour promouvoir la diversité culturelle.64 »
Rien de moins.
Si ce texte n’a pas fait l’objet d’une analyse particulière, plusieurs chercheurs se sont penchés
aux documents et discours relatifs au lien entre TIC et développement. Il en est ainsi d’Aurélie
Laborde qui s’est intéressé à ceux des Nations Unies et de la Banque Mondiale; et de Nicolas
Péjout qui s’est penché sur le cas sudafricain.
C’est en ayant ce soucis de ne pas s’intéresser qu’à l’accès aux infrastructures que l’Union
Internationale des Télécommunications propose, depuis 2003, un Indice d’Accès Numérique
DAI cf. tableau n°3. Treize variables dans cinq domaines sont prises en compte: existence
d'infrastructures, accessibilité financière, niveau d'éducation, qualité des services TIC et
utilisation de l'Internet. Le résultat obtenu varie de 0 à 1, 1 étant le niveau d’accès numérique
à ne pas confondre avec l’accès aux infrastructures le plus élevé.
56
A l’exception du Canada, les dix pays en tête de ce classement sont tous européens ou
asiatiques. Les EtatsUnis arrivent en onzième position. La France n’est pas très bien placée car
elle arrive en 23e position mondiale et 14e position européenne. Nous avons ensuite reproduit
les premiers pays des catégories intermédiaires Irlande et Belarus. Enfin, nous avons ceux
dont le niveau d’accès numérique est qualifié de “faible”: c’est dans cette catégorie que nous
retrouvons le Mali, avec un score de 0,09, qui le place en troisième position... à partir du bas.
Avec une faible densité de population, un territoire immense, une population à majorité rurale
et des di cultés économiques prégnantes, on pourrait se dire que rien n’est fait pour que le
Mali soit équipé en matière de TIC Dulau, 2001. Et l’on pourrait s’interroger sur
l’opportunité même de cet équipement: n’yatil pas des problèmes plus urgents à régler
lorsque 21
de la population soure de malnutrition, lorsque l’espérance de vie n’est que de 48
ans, et quand 73
de la population vit avec moins de 1 dollar US par jour? cf. illustration n°2.
Illustration n°2 La lutte contre la “fracture numérique”: une question vraiment urgente?
1 Un Président eAfricain
57
penser que l'Afrique a d'autres priorités comme par exemple la faim, les endémies, les guerres
civiles etc. Pour compréhensibles que peuvent être ces réactions, j'aimerais, pourtant a cher
mon optimisme par rapport à la présente initiative ... L'Afrique doit maintenant engager le
débat sur les nouvelles technologies de l'information et envisager, à cet égard, des actions
concrètes parce que le Continent est entré dans une phase clé de son évolution. » C’est à cette
conférence qu’est partie l’idée d’un Sommet Mondial sur la Société de l’Information auquel le
Mali prit part fort activement en accueillant notamment à Bamako, du 28 au 30 mai 2002, la
conférence régionale africaine préparatoire.
Alpha Oumar Konaré fut en réalité le premier homme politique africain de premier plan, après
Nelson Mandela, à s’intéresser au développement des TIC et à la lutte contre la fracture
numérique. Et ce à un point tel qu’on l’a surnommé “monsieur eAfrique”. Son successeur ATT
n’a pas renié cet engagement. Ainsi dans sa lettre de cadrage au Premier Ministre, que nous
avons déjà citée à propos de la gestion des Maliens de l’Extérieur, il écrit: « La grande
progression de la télédensité du pays grâce à d’importants investissements en infrastructures et
équipements, l’extension de la couverture TVFM, les progrès dans l’implantation des TIC,
ouvrent la voie à une utilisation croissante de ces technologies. Le gouvernement devra
poursuivre et accroître ces eorts pour doter le pays en infrastructures et équipements lui
permettant rapidement d’être au niveau des évolutions du siècle. » Aussi critiquable qu’il soit
notamment dans l’emploi d’une rhétorique « dromologique » dénoncée par Nicolas Pejout65 ,
cet écrit n’en témoigne pas moins d’une forte volonté politique en faveur du développement
des TIC.
A l’instar du continent africain en général, le Mali est très faiblement équipé en matière de
lignes téléphoniques fixes. Selon les statistiques de l’Union Internationale des
Télécommunications UIT, en 2007, le Mali ne comptabilisait que 0,69 lignes de téléphone
fixes pour 100 habitants. Par contre, la téléphonie mobile a connu un essor fulgurant. Ainsi, ce
sont 20,13 habitants sur 100 qui sont abonnés à un service de téléphonie mobile au Mali en
2007. Un téléphone pouvant passer d’une main à l’autre, nous imaginons très bien l’ampleur du
phénomène.
65 Pejout, 2003
58
Comme nous le montre le graphique cidessous cf. graphique n°1, c’est entre les relevés 2002
et 2003 que la téléphonie mobile, arrivée en 1996 au Mali ChéneauLoquay, 2001 devient plus
importante que la téléphonie fixe, introduite au Mali en 1982 cf. encadré n°9.
15,0
7,5
0
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
La téléphonie fixe a été introduite au Mali via le Réseau Dakar Cotonou RDC du projet
Panafricain de Télécommunications PANAFTEL mis en place par l’Agence canadienne de
développement international ACDI. Concernant 5 pays d’Afrique de l’ouest Sénégal, Mali,
BurkinaFaso, Niger, Bénin, le RDC, qui est une liaison de télécommunications par faisceaux
hertziens analogiques, s’étend sur plus de 3500 kilomètres. Mise en place en 1982, la partie
malienne est longue de 1000 kilomètres et se développe suivant deux axes: un axe Bamako
Kayes et un axe Bamako Sikasso.
Sources: « Communiqué du Conseil des ministres du 27 août 2003 », République du Mali « Evaluation du
projet PANAFTEL », Agence canadienne de développement international
Le marché malien de la téléphonie est ouvert à la concurrence depuis 2002. Sont présents deux
opérateurs: l’opérateur historique, la Sotelma Société des télécommunications du Mali et sa
59
filiale Malitel pour tout ce qui concerne la téléphonie fixe. Et Orange Mali, anciennement
Ikatel. Si le premier a bénéficié pendant longtemps d’une situation de monopole, Orange Mali
est un plus grand opérateur pouvant lever des fonds importants pour la réalisation de ses
projets. Ces deux opérateurs travaillent également dans le domaine de l’Internet.
A l’image de la téléphonie fixe, le nombre d’utilisateurs du réseau Internet au Mali est faible.
Les statistiques de l’UIT évoquent à ce sujet un chire de 0,81 utilisateurs66 pour 100 habitants
en 2007, chire qui est cependant en augmentation.
L’arrivée d’Internet au Mali ne s’est pas faîte sur une “terre vierge”. Dans sa thèse consacrée au
Déploiement des in astructures Internet en Afrique de l’Oues, le géographe Eric Bernard insiste
bien sur les « réseaux préInternet ». Le Mali a ainsi vu sur son territoire se développer le
Réseau Intertropical d’Ordinateurs RIO de l’Orstom Institut français de recherche
scientifique pour le développement en coopération devenu en 1998 l’Institut de Recherche
pour le Développement de 1987 à 1998 ; le Réseau francophone de l’éducation et de la
recherche REFER de l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue
française AUPELF de 1991 à 2002 ; le réseau Healthnet à destination des professionnels de
santé mis en place par l’organisation SatelLife de 1989 à 1997 et le réseau GreenNet pour les
militants écologistes, de 1991 à 1996.
Ainsi souligne l’auteur, avant même l’arrivée d’Internet, le Mali dispose « d’une grande diversité
de solutions » en matière de réseaux électroniques. Le début de la transition vers l’Internet en
Afrique de l’ouest a lieu en 1995 au Ghana. Le Mali suit en 1997, comme la majeure partie des
autres pays de la région. L’auteur fait remarquer qu’à l’inverse de ce que l’on pourrait penser de
prime abord, « il n’y a ... ici aucune relation entre l’arrivée d’Internet et la richesse d’une
nation ». Pour l’auteur, « une des causes premières d’explication de la chronologie d’Internet en
Afrique de l’ouest » est la politique intérieure des pays: en eet, si les réseaux préInternet
n’étaient pas dépendants de la volonté des pays, « l’établissement d’une liaison par câble ou par
satellite ne peut se faire qu’avec l’accord, explicite ou implicite de l’Etat » Bernard, 2003.
Or nous l’avons vu, les autorités maliennes sont très favorables à l’équipement de leur pays en
TIC en général, et au développement d’Internet en particulier. C’est entre autres cette volonté
66 L’IUT ne fournit pas pour le Mali de données sur le nombre d’abonnés à Internet
60
qui a permis au Mali, avec 20 autres pays africains, d’intégrer67 l’initiative Leland de l’Agence
Américaine pour le Développement USAID. Programme initié en 1996 d’une durée de cinq
ans, il avait comme « but ultime » de faciliter l’accès à Internet dans chacun des pays
partenaires cf. carte n°5.
C’est la même volonté qui a poussé le Mali et les deux autres pays membres de l’Organisation
pour la mise en valeur du fleuve Sénégal le Sénégal et la Mauritanie OMVS au début des
années 2000 à profiter de la mise en place d’une centrale hydroélectrique à Manantali Mali
pour utiliser le cable de garde, qui sert normalement à préserver les infrastructures de la
foudre, comme « support à une fibre optique destinées aux télécommunications » Bernard,
2003. Reliant Bamako à Nouakchott en passant par Bakel au Sénégal, cette fibre passe
“naturellement” par la Région de Kayes.
Etudier les infrastructures en TIC à une échelle infranationale oblige à dépasser les
indicateurs statistiques publiés par l’Union Internationale des Télécommunications et amène la
67 L’intégration à l’initiative se faisait sur la base de « la volonté du pays hôte » Voir le site web: http://www.usaid.gov/leland/
61
plupart des cas à “aller sur le terrain”. S’il n’était pas prévu de faire ce voyage cette année, en
2007, un étudiant en géographie de Lille 1 a réalisé, sous la direction de Frédéric Dumont, un
mémoire portant sur l’enclavement de la Région de Kayes et s’est intéressé, entre autres, aux
TIC. Nous nous appuierons donc en partie sur son travail pour alimenter cette partie ainsi que
sur les résultats de notre travail de mise en place d’une coopération décentralisée entre la
Communauté de Communes du Coeur d’Ostrevent et la Commune de Sadiola; coopération
incluant un volet “fracture numérique”.
Pendant longtemps, la Région de Kayes a été marginalisée et oubliée par l’Etat malien.
Cependant, avec la crise en Côte d’Ivoire, en plus de la réorientation des flux migratoires, c’est
l’ensemble des politiques de développement maliennes qui s’intéressent à d’autres espaces.
Cela est notamment visible dans le domaine des infrastructures de transport avec la mise en
place de liaisons avec Nouakchott, Conakry et Dakar qui supplante désormais Abidjan. Mais
les projets des autorités maliennes ne concernent pas seulement “l’international”: elles
émettent également le souhait de relier les chefslieux de cercle à la capitale régionale et les
chantiers se mettent progressivement en place.
Ainsi aujourd’hui, comme le note Nicolas Han, « d’une manière générale, la situation
enclavante et l’extrême isolement dont sourait la Région il y a encore une dizaine d’années
ont diminué. » Ce désenclavement est également dû à l’amélioration en TIC. Quelle est la
situation régionale dans ce domaine?
2 Le courrier postal
Selon les dires des migrants maliens que nous avons rencontrés, la Poste malienne est très
déficiente. Cela est à mettre en lien à la fois avec la mauvais état des routes “en brousse” et avec
une organisation qui, faute de moyens, ne pénètre que peu jusque dans les villages. Dès lors, les
courriers peuvent mettre plusieurs semaines à arriver, quand ils arrivent. Toutefois, des
améliorations sont à noter dans des villages où les migrants s’intéressent au problème: il en est
62
ainsi de village de Kersignane cercle de Yélimané que nous retrouverons plus tard à propos
d’un autre projet où les ressortissants se sont cotisés et ont construit un bâtiment pour un
coût de 24 millions de FCFA soit environ 36600 euros qu’ils ont mis à disposition de la Poste
qui fournit les équipements et les employés. Désormais les délais de transmission du courrier
entre la France et le village ne sont plus que d’une semaine et les transferts d’argent sont
facilités grâce à l’accord signé le 23 septembre 2007 entre la Poste malienne et la Banque
Postale de France à propos de l’exploitation du “mandat express international”. Ce dernier est
présenté comme rapide, sûr, à prix abordable et transparent68 . Ce que les ressortissants de ce
village se sont empressés de nous confirmer.
3 Les radios
En 1997, dans son habilitation à diriger des recherches consacrée aux relations entre
circulations migratoires et développement à propos des migrants “de la vallée du fleuve
Sénégal”, Patrick Gonin insistait sur le rôle essentiel des radios en Région de Kayes: « maintien
du lien social par delà les distances par l’annonce de mariages, de décès ou de maladies ;
organisation des initiatives de développement par la convocation des réunion de tout type ;
information des populations locales par les diverses administrations...» Gonin, 1997. Dix ans
plus tard, la radio est toujours fortement présente en Région de Kayes. Les raisons de son
succès sont son accessibilité Han, 2007 tant financière un transistor ne coûte plus
désormais que 1000 à 2000 francs CFA que culturelle nombreux programmes en langue
véhiculaire; média particulièrement bien adapté à une certaine tradition orale et technique
possibilité de capter à peu près partout les ondes radio, du moins les ondes courtes des radios
internationales telles Radio France Internationale, très écoutée sur place.
De nombreuses radio sont donc présentes sur le territoire de la Région mais sont surtout
concentrées à la capitale, où il y en a cinq, et dans les chefslieux de cercle. Il s’agit
généralement de petites structures en proie à diverses di cultés de fonctionnement. La plus
grande est la Radio Rurale de Kayes.
Si elles ont pu être utilisées par les migrants afin de transmettre des informations, aucun des
Maliens de Montreuil que nous avons sondés n’a déclaré l’avoir pratiqué. C’est pourquoi nous
avons ici souligné son existence mais nous n’y reviendrons pas.
68Maliweb.ne, « Accord entre la Poste du Mali et la banque postale de France », 24/09/07, http://www.maliweb.net/
category.php?NID=22322
63
4 Le téléphone
Projet PANAFTEL dès 1982, installation de cabines satellites au tournant des années 2000
nous reviendrons sur ce point dans le premier chapitre de la troisième partie et meilleure
couverture nationale en matière de téléphonie mobile derrière Bamako, la Région de Kayes a
toujours bénéficié relativement vite des progrès en matière de télécommunications. La
téléphonie mobile y apparaît véritablement comme un « phénomène de mode » selon les termes
employés par le directeur régional de la Sotelma qui, interrogé par Nicolas Han, déclare: «
Que ce soit à la ville ou dans les village, tous prétendent avoir le portable. C’est très pratique,
même dans les plus profonds villages des gens peuvent avoir ça, même si on leur propose le fixe
ils disent : “non, d’abord le portable”. » cité dans Han, 2007
64
5 Internet
Si comme le note Nicolas Han, « la progression de l’Internet ne fait pas de doute », celleci
semble pourtant limitée à la ville de Kayes, où l’ADSL est arrivé en mai 2006. Ce
développement de l’Internet dans la capitale régionale est notamment visible à travers le
nombre de cybercafés: de 2 en 2002, ce nombre est passé en 2007 à 7. Seules trois autres
communes de la Région possèdent un cybercafé comme Sadiola cf. encadré n°10, page
suivante. Cependant dans ces structures, la qualité de la connexion est souvent médiocre et le
matériel est vieillissant.
Les premiers à avoir utilisé Internet dans la Région furent les administrations et les
organisations non gouvernementales. Les particuliers eux se font attendre et seule une élite,
économique et culturelle, se connecté régulièrement au “réseau des réseaux”, que ce soit dans
les cybercafés ou sur des connexions privés. Les connexions privées sont très rares en raison de
leur coût prohibitif: en plus de l’ordinateur, le client doit chez Orange Mali, par exemple,
débourser pour un abonnement d’un an à la formule “Internet Home”69 environ 38 euros par
mois 25000 FCFA plus 75 euros 49000 FCFA de frais d’ “accès”. Et tout cela pour une
connexion qui n’est pas mauvaise mais qui ne répond plus tout à fait aux exigences du moment
128 kbits en débit symétrique et une boîte mail d’une capacité de 20 Mo.
69 http://www.orangemali.com/ml/pmsdata.bsp?1990295652:target=orangeml_web/ore_orange/internet_home.bsp
65
Encadré n°10 L’accès à Internet dans la Commune de Sadiola
La Commune de Sadiola avait en 2007 sur son territoire un seul lieu d’accès à Internet en
activité: le “cyber” photo 1 Privé, ouvert uniquement en soirée, il propose quelques
séances de formation mais la connexion est médiocre 56 kbps ainsi que le matériel.
Un autre lieu d’accès photo 2 était en cours de réalisation lors de notre séjour sur place
en juinjuillet 2007. Ce télécentre, associé à la radio rurale située dans les mêmes locaux,
devrait constituer à terme un Centre Multimédia Communautaire. Cette démarche est
appuyée par l’UNESCO dans le cadre de son programme Community Multimedia Centres
site web du programme: http://www.unesco.org/webworld/cmc.
66
Chapitre II : De la cassette audio à Internet
Les Maliens de Montreuil ont toujours été en relation avec leur pays d’origine, et ce bien que
4000 kilomètres les en séparent70 . Avant les TIC modernes que sont la téléphonie, notamment
mobile, et Internet, deux autres techniques de communication ont été mobilisées et ont
connues un certain succès: la cassette audio, aujourd’hui quasiment disparue, et la lettre,
toujours utilisée. Nous montrerons ainsi que l’évolution dans les moyens de communication ne
s’est pas faîte brutalement, sous la forme d’une “révolution”, mais progressivement.
1 La cassette audio
Commercialisée à partir de 1961 par la société néerlandaise Philips, la cassette audio à bande
magnétique fut adoptée par nombre de migrants maliens à partir du milieu et de la fin des
années 1960. Elle fonctionne alors comme une “copie” de la téléphonie fixe qui se développe à
cette période en France et dans les autres pays dits développés. Avec le matériel adéquat, un
magnétophone, il est en eet possible d’enregistrer sur ces cassettes tous types de sons: naît
alors ce qu’il est possible de nommer un prétéléphon.
2 La lettre
La lettre fut la toute première technique de communication à distance utilisée par les Maliens
de Montreuil. Dans les années 60, années d’arrivée en France des migrants les plus âgés que
nous ayons rencontrés, la lettre est alors largement répandue et utilisée pour les
communications avec les parents au Mali.
Néanmoins, si la lettre concerne alors à peu près tous les migrants, tous n’écrivent pas ou ne
lisent directement ces lettres. En eet, la lettre oblige, pour être indépendant, à savoir lire et
écrire ou le français, surtout, ou l’arabe. Si ces conditions ne sont pas remplies, les personnes
désireuses d’envoyer une lettre doivent demander à une personne tierce de la rédiger pour elles.
Et de même au Mali: la lettre nécessite la présence d’une personne sachant lire le français et ou
l’arabe. Si le destinataire n’était pas dans cette situation alors il devait demander à une autre
personne. L’intimité est donc là aussi mise à mal.
Toutefois, avec les progrès actuels en matière de scolarisation, de plus en plus de jeunes
personnes peuvent lire les lettres et les secrets rester ainsi dans le cercle familial.
Par la Poste:
Si la partie française du parcours de la lettre ne posait en général pas de problèmes, c’est
l’organisation du système postal côté malien qui faisait défaut. Celleci devait faire face à un
mauvais état des routes et ne se limitait qu’aux villes. Pour les citadins, la situation n’était donc
pas trop mauvaise. En revanche, pour les lettres à destination des villages, le reste du trajet
était “assuré” par des villageois de passage en ville à qui l’on demandait de remettre telle et telle
lettre. Les lettres pouvaient ainsi rester plusieurs semaines à un même endroit avant d’être
finalement apportée à son destinataire, soit “disparaître”.
Dans l’autre sens, c’estàdire du Mali vers la France, l’acheminement du courrier était
confronté aux mêmes problèmes de mauvaise organisation auxquels venaient s’en ajouter un
autre: les villageois qui partaient en ville étaient chargés par la population de prendre les
lettres, acheter des timbres et poster les lettres. Pour cela de l’argent leur était confié mais très
souvent ils gardaient l’argent et disaient avoir envoyé les lettres. Etant donné la déficience de la
Poste malienne, le fait que la lettre n’arrive jamais à son destinataire ne pouvait remettre en
cause la parole des “porteurs”.
Une lettre mettait ainsi en général un à trois mois pour arriver à destination.
De main en main:
L’autre moyen d’envoyer du courrier était de profiter du retour au Mali d’un migrant. Ce
dernier emportait avec lui, selon les souvenirs actuels, une trentaine de lettres qu’il
redistribuait une fois arrivé. Cette façon de faire était considérée, notamment pour les
ressortissants des villages reculés, comme plus sûre et plus concurrentielle de celle de la Poste.
Elle s’appuyait sur des fréquents vaetvient.
Aujourd’hui c’est ce système qui est le plus utilisé pour envoyer des lettres au Mali. Si pour
certains villages, l’organisation postale s’est améliorée, notamment grâce à l’action des
migrants, l’arrivée du téléphone mobile et la diminution du nombre de lettres ont eu comme
conséquence pour la majorité des villages une organisation postale encore plus déficiente « Ca
69
mettrait encore beaucoup de temps.. je pense même qu'il va mettre plus de temps parce que les
gens ne pensent plus au courrier. S'il y en a un il risque d'être oublié 72 ».
Si les sujets de conversation sur la famille, les stocks de nourriture, l’éducation, la santé etc. ont
été “transférés” au téléphone, le courrier est aujourd’hui utilisé pour tout ce qui est documents
administratifs. Elle est aussi utilisée lorsqu’il s’agit de compléter une discussion téléphonique,
en apportant des détails, des précisions et des consignes.
Cependant, des lettres au contenu plus classique circulent encore. Lors de l’une de nos visites
au foyer Bara, un migrant avec qui nous discutions librement en a reçu une. Il nous a autorisé à
la photographier et à en révéler le contenu cf. encadré n°11.
Cette lettre, écrite le 30 mars, a été transmise à son destinataire, devant nous, le 24 avril
par une personne revenant du village. Elle n’a pas été écrite par B.D. luimême car il ne
sait pas écrire mais la tâche a vraisemblablement été eectuée par un de ses enfants. Pour
le destinataire, cette lettre est une demande d’argent.
Comme nous l’avons souligné, il n’est pas di cile de voir dans la cassette audio une sorte de
prétéléphon . Le “vrai” téléphone n’ayant pu être utilisé des deux côtés de l’espace
transnational qu’à partir du moment où il fut disponible au Mali et chez les parents des Maliens
de Montreuil.
Le téléphone fixe arrive au Mali dans les années 1980, mais il ne concerne en premier lieu que
les centres urbains. Sa pénétration “en brousse” se fera plus tard, comme à Sadiola en 1995 à la
faveur de l’installation de la Société d’Exploitation de la Mine d’Or de Sadiola SEMOS.
Il faut alors fixer une date et une heure d’appel. Certaines personnes font plusieurs dizaines de
kilomètres pour se rendre là où il y a le téléphone et ainsi être en relation avec leurs proches
installés en France. Mais ces eorts ne sont pas vraiment récompensés: la connexion n’est pas
tout le temps assurée et la qualité est souvent médiocre. De plus, l’usage du téléphone est ultra
collectif dans le sens où ce ne sont pas seulement quelques individus qui se partagent un
combiné, mais plusieurs centaines d’habitants. Là aussi l’intimité dans la discussion est, le
souligne les personnes interrogées, mise à mal.
Mais les migrants et leurs parents ou amis arrivent à se joindre de temps en temps et tester
ainsi les premières connexions rapides et instantanées. Les migrants prennent conscience des
potentialités et des avantages de telles communications au point que certaines associations en
font un de leurs domaines d’action nous y reviendrons dans le premier chapitre de la troisième
partie. Cependant, au fil du temps, ils sont dépassés par les opérateurs et au tournant des
années 2000, c’est la téléphonie mobile qui entre en jeu.
C’est de cette explosion du mobile au Mali, qui dépasse la téléphonie fixe entre 2002 et 2003,
et de l’apparition en France des cartes prépayées 1997 et des taxiphones 1999, que va naître,
dans les discours des Maliens de Montreuil, un “aujourd’hui” et un “avant” dans leurs discours
sur leurs pratiques transnationales médiatisées par les TIC.
71
2 L’arrivée de la téléphonie mobile au Mali
La couverture du Mali en réseau de téléphonie mobile introduite en 1996 par les opérateurs
ne se fait évidemment pas “d’un coup” mais progressivement: les premiers à en bénéficier sont
donc les Maliens de Montreuil dont les relations sont installées dans les grandes villes du pays.
Dans les villages, l’extension des réseaux se fait au coup par coup en fonction des logiques des
opérateurs et des pressions de la population locale et des associations de migrants. Chez
certaines personnes que nous avons rencontrées, l’utilisation du téléphone portable remonte
seulement à janvier 2008. Et les annonces de pose d’antenne de la part des opérateurs occupent
fréquemment les journaux télévisés maliens et sont vécues comme de grands moments.
Pour les zones couvertes, les Maliens de Montreuil se réjouissent d’une telle facilité de
communication. Pour les zones non ou peu couvertes, ils doivent encore s’adapter à ces
conditions. L’appel direct, spontané, n’est pas possible: ils doivent attendre d’être “bipé”.
Jonathan Donner, dans une étude publiée en 2008 dans le Journal of computermediated
communicatio souligne l’importance du “beeping” sur le continent africain au Kenya il y aurait
selon les chires des opérateurs environ 4 millions de bips par jour et le livre How to be a
Kenya y fait référence dans sa dernière mise à jour et met en évidence trois bips diérents.
Ici, il s’agit d’un « bip prénégocié 73 » Donner, 2008 c’estàdire d’un “bip” dont le sens est
connu des deux interlocuteurs. Ici, il signifie que la personne s’est déplacée à l’endroit où elle
“capte du réseau” et attend qu’on la rappelle.
Pour les zones bien couvertes par les opérateurs, la pratique de l’appel intentionneement manqu
définition du “beeping” existe également. Il s’agit là aussi d’un « bip prénégocié » mais son
sens est autre: il signifie qu’un problème particulier se pose; problème auquel le migrant peut et
doit apporter une réponse « Quand ils bipent c’est quand ils veulent qu’on les appellent parce
qu’il y a un problème74 ». D’où pour certains l’association entre le “bip” et le transfert d’argent
« ils me bipent pour que je leur envoie des sous 75 ».
Plus généralement, la pratique du “beeping” en dit long sur le sens des appels. En eet, de ces
deux situations nous pouvons tirer une règle, également mise en évidence par Andrew
Endehors de cela, ce sont les Maliens de Montreuil qui prennent généralement l’initiative
d’appeler. La totalité des Maliens de Montreuil que nous avons questionnés appellent
régulièrement au pays. Cependant, nous constatons des diérences entre les personnes.
Schématiquement, nous pouvons faire deux groupes avec d’un côté ceux qui vivent en foyer,
majoritairement des hommes “géographiquement célibataires”; et de l’autre côté, ceux qui
résident avec leur famille.
Pour les premiers, les appels sont très fréquents: tous les jours et pour certains plusieurs fois
par jour. Eloignés de leurs femmes et/ou de leurs enfants, ce sont des hommes qui sont à
la recherche d’une gestion quotidienne des aaires familiales.
Pour ceux qui résident en famille, les appels téléphoniques sont mois intenses car ne
s’inscrivent pas dans cette logique de gestion des aaires quotidiennes. Les délais entre les
appels sont plus grands avec au minimum des individus qui appellent 2 3 fois par semaine,
quand d’autres peuvent passer plusieurs mois sans téléphoner. Les individus se reposent ici
aussi plus sur les nouvelles fournies par les proches vivant à proximité. Il en est ainsi de N.K.,
vivant en appartement avec sa femme venue du Mali sous le regroupement familial, qui se
repose en partie sur les informations qui lui sont fournies par ceux du foyer, en contact plus
étroit avec “làbas”: « moi une fois si j’appelle du lundi, la semaine j’ai pas eu un coup de fil
parce que des fois on peut passer au foyer, on peut laisser un message làbas et eux au foyer
avoir un contact avec la famille et dire “dis à N. y’a ça”. Si y’a ça, je suis tranquille, je n’ai pas à
téléphoner. »
Une autre diérence entre ces deux grands groupes se situe au niveau de la localisation des
appels. Ceux qui visent une gestion quotidienne sont en eet très concentrés sur le noyau
familial, soit au village ou à la ville. Généralement deux trois personnes sont appelées en
priorité. Ces “personnesrelais” sont souvent le père ou la mère ainsi qu’un frère et une épouse;
personnes à qui le migrant a acheté un téléphone portable.
Pour ceux qui visent une gestion moindre, la localisation des appels est plus vaste. Elle suit la
géographie familiale. Le schéma le plus classique pour un Malien de Montreuil originaire d’un
village de la Région de Kayes est le suivant: la première destination des appels est le village, la
deuxième destination est Kayes et enfin, Bamako. A cela s’ajoute les appels eectués à d’autres
maliens situés ailleurs dans le monde et en France.
Quelque soit le profil d’appel du Malien de Montreuil cf. schéma n°1, s’exercent certaines
contraintes temporelles comme les horaires de travail en France et au Mali, les temps de prières
et le décalage horaire moins une heure sur l’heure française en hiver, moins deux heures en
été. Ce décalage horaire n’est pas un frein absolu mais fait que beaucoup de Maliens de
Montreuil appellent tard le soir heure française.
Tout ce que nous venons d’évoquer dépend aussi des budgets de chacun et des moyens utilisés.
Les deux moyens les plus utilisés sont la carte prépayée et le taxiphone ou téléboutique.
Les taxiphones sont ces boutiques qui sont apparues en 19992000 suite à la libéralisation des
télécommunications en France. Ce sont des boutiques composées de cabines téléphoniques, et
pour certaines d’ordinateurs connectés à Internet, grâce auxquelles les clients peuvent appeler
à moindre coût n’importe où dans le monde et/ou se connecter à Internet. Montreuil compte
un nombre importants de taxiphones et de téléboutiques. Sur la seule rue de Paris, située à
74
Ville ou village d'origine
Gestion quotidienne
Noyau familial
vivant en foyer
Individus seuls,
de la famille
Appels courts
et fréquents
Ailleurs au Mali
Proches
Ville ou village d'origine
Avoir des nouvelles
Personnes vivant
Noyau familial
des proches
en famille
Ailleurs en France
Proches
l’ouest de la ville et longue d’1,54 km, nous en avons 11. Les deux critères de choix de ces
établissements pour les Maliens de Montreuil interrogés sont, en premier lieu, les tarifs
pratiqués et, en second lieu, la proximité géographique. Au niveau des tarifs, ceuxci varient de
15 à 27 cents / minute l’appel vers un téléphone fixe au Mali, et de 25 à 30 cents / minute vers un
téléphone portable. Elles sont donc utilisées par les Maliens de Montreuil majoritairement
pour les appels courts. Ces boutiques permettent une gestion très rapprochée du porte
monnaie grâce au compteur qui défile devant soi: ainsi pour H.W., « dans un taxiphone on sait
on est à combien. Si tu as un euro, tu raccroches à un euro. Ca permet à des gens même qui
n'ont pas beaucoup de moyen d'accéder à des communications lointaines...»
75
Les cartes prépayées sont des cartes, au format carte de crédit, émises par des sociétés
privées. Le client dispose, en en achetant une, d’un numéro à appeler et d’un code secret sous
un revêtement à gratter. Sur certaines cartes, deux numéros d’appel sont indiqués: ou un
numéro d’appel gratuit ou un numéro d’appel au tarif local. Si le client opte pour la deuxième
solution, il dispose de plus de temps de communication à l’étranger mais cela lui revient plus
cher. Reconnaissables aux images figurant dessus, il existe diérentes cartes selon la destination
souhaitée Afrique, Maghreb, Asie etc.. Nous avons ainsi vu des cartes décorées de
photographies de Bamako comme une sorte d’avantgoût de ce que la carte va permettre à son
utilisateur.
Les premières cartes prépayées sont arrivées sur le marché français en 1997 via l’entreprise
Kosmos. Ce marché a connu un véritable engouement, et ce en priorité chez les travailleurs
immigrés. Pour le fondateur et Président de Kosmos, Gil Soer, le succès de la carte prépayée
est due au fait qu’il s’agit, premièrement, de la « formule la plus économique pour appeler à
l’international, essentiellement vers l’Afrique »; deuxièmement, elle « permet de maîtriser son
budget » et enfin, elle « dispense d’un abonnement76 ». Ce sont ces trois raisons qui sont
également mises en avant par les personnes que nous avons interrogées.
Utilisables sur diérents supports cabines publiques, téléphones fixes, téléphones portables,
ces cartes sont disponibles à diérents tarifs. Toutefois les Maliens de Montreuil achètent
majoritairement des cartes de 6 à 7,5 euros soit aux premiers tarifs proposés. Cela s’explique
par le fait que même si la carte peut être consommée en plusieurs fois, l’achat lui ne se fait
qu’en une seule fois et donc oblige à un certain eort financier.
Chez les Maliens de Montreuil avec qui nous nous sommes entretenus, la carte prépayée est la
plus souvent utilisée sur le téléphone portable. Cela leur donne une véritable “sensation de
liberté”: ils peuvent en eet avec la combinaison de ces deux outils appeler depuis n’importe où
le Mali. Cela leur permet également une certaine réactivité et une indépendance visàvis des
structures telles les téléboutiques bien que l’achat de cartes se fasse dans ces endroits.
Toujours dans un souci d’optimisation du budget, beaucoup des Maliens de Montreuil que nous
avons rencontrés ne possèdent pas d’abonnement pour leur téléphone portable mais adoptent,
D’après les entretiens que nous avons menés et les observations que nous avons pu faire sur le
terrain, l’Internet est globalement faiblement utilisé par les Maliens de Montreuil. Cependant
cette vision générale cache une certaine diversité dans les comportements.
C’est dans cette partie que nous solliciterons, avec modération, les résultats de notre
questionnaire cf. tableau n°4.
Hommes 22,3
Femmes 77,6
Migrants 31,5
77 Arcep, « Suivi des indicateurs mobiles chires au 31 mars 2008 », 05/05/08 http://www.arcep.fr/index.php?id=35
77
1 Fracture grise, ressources financières et eet de club
Comme nous pouvions nous y attendre, nous constatons une diérence de comportement
assez nette entre les Maliens de Montreuil les plus âgés et les Maliens de Montreuil les plus
jeunes. Cette division est classiquement appelée actur gris. Les premiers sont confrontés
depuis peu à la technologie: des auteurs utilisent l’expression immigrés technologiques pour les
désigner, ce qui semble encore plus vrai dans notre cas. Les seconds, eux, ont été amenés à s’en
servir plus tôt au cours de leur vie on trouve alors parfois pour les nommer l’expression digital
natives. Ainsi à propos d’Internet, Y.B. déclare lors d’un entretien que « c’est un truc de jeunes..
Les vieux qui utilisent Internet j’en connais même pas, c’est que les jeunes. »
Toutefois il ne su t pas d’être jeune ou vieux pour utiliser ou non les ordinateurs et Internet.
En réalité les personnes qui sont fortement utilisatrices d’Internet et qui déclarent s’en servir
bien et de façon assez importante, sont des personnes qui ont été amenées à utiliser ces
technologies soit dans le cadre de leurs études, de leur engagement associatif ou de leur travail.
En plus de ce contexte propice à l’utilisation d’Internet, il faut avoir les moyens financiers
nécessaires: tous ceux que nous avons rencontrés qui n’utilisaient pas Internet mais qui étaient
intéressés par cet outil évoquaient le coût de l’ordinateur et de l’abonnement à la connexion
Internet comme freins principaux à leur utilisation.
A ce sujet, le témoignage de Y.B., arrivé en 2000 en France dans le cadre de ses études, est
assez éclairant: «Durant les 4 années d’école normale supérieure que j’ai fait au Mali, je n’ai
jamais utilisé un ordinateur. ... A l’Ecole Normale Supérieure on n’avait pas un seul poste
d’ordinateur. Donc quand je suis arrivé ici en 2001 à Jussieu on était 27 dans notre classe et
pour être précis, lors du premier cours en informatique, j’étais le seul africain dans la classe, le
prof vient et pour le premier cours demande: “Estce qu’il y a quelqu’un qui n’a jamais utilisé un
ordinateur?”. Y’a personne qui bouge et moi j’avais honte quoi tu vois et après j’ai fait comme
ça il lève alors son bras timidement et tout le monde a rigolé quoi tu vois.. rires ... Le prof
il m’a alors dit “Mais tu as quoi comme diplôme?”. Je lui ai alors dit que j’avais une maîtrise en
socioanthropologie. Il m’a dit “Tu as une maîtrise en socioanthropologie et tu n’as jamais
touché un ordinateur?”. Je lui ai dis “Je n’ai jamais touché.. jamais touché un ordinateur..”. Voilà
il m’a dit qu’il allait falloir me concocter un programme spécifique pour moi, pas pour être au
même niveau que les autres mais s’en rapprocher.. Donc il m’a donné 20 heures par semaine et
du coup je me suis acheté un ordinateur pour maîtriser le clavier, il m’a donné une tonne de
manuels sur le clavier, l’unité centrale, l’écran.. Donc je me suis mis à fond de dedans.. tout seul
78
et avec les cours.. Au premier semestre j’ai eu 10. J’avais fais beaucoup de progrès: tu ne pouvais
pas voir que trois mois avant je n’avais jamais touché de ma vie à un ordinateur. Je l’avais à
l’école, je l’avais chez moi.. Je n’arrêtais pas. Je pouvais consacrer 5 heures par jour chez moi sur
l’ordinateur. Je faisais tout et n’importe quoi. Petit à petit je suis arrivé à faire beaucoup de
choses sans qu’on me le montre. »
Autre caractéristique à ne pas omettre, entre jeunes Maliens de Montreuil que nous avons
rencontrés, ceux nés en France ont une pratique plus importante d’Internet. Leur pratique est
selon eux semblable à celle des autres français de leur âge. Ce sont par ailleurs ces jeunes
français d’origine malienne qui ont répondu principalement à notre questionnaire en ligne
50,5
.
Enfin, tous les Maliens de Montreuil qui se connectent à Internet que nous avons interrogés
nous ont dit le faire depuis leur domicile. Les accès collectifs tels les téléboutiques et les
cybercafés sont très peu utilisés. Pour les personnes qui ont répondues à notre questionnaire,
ce sont également les lieux de connexion privés qui arrivent en tête: 92,5
des personnes
interrogées citent le lieu privé comme lieu de connexion contre 5,5
seulement pour les lieux
d’accès collectif.
Se servir d’Internet à des fins de relations interpersonnelles entre France et Mali est encore
assez rare chez les Maliens de Montreuil et ce en raison du faible taux d’équipement au Mali.
Et c’est aussi cela qui peut expliquer, en retour, la faible utilisation d’Internet dans notre
population d’étude.
79
Seuls quelques individus que nous avons rencontrés utilisaient Internet à des fins de
communication interpersonnelle. Ils reconnaissaient le statut social assez élevé de leurs
correspondants, en général des amis, dans la société malienne, et pour zone géographique
d’habitat, les villes de Bamako ou Kayes. Les échanges consistent alors en de brefs mais
fréquents emails où l’on raconte ses dernières nouvelles, des petites blagues et d’autres
contenus sans grande importance. L’avantage mis en avant est que cela peut se faire à n’importe
quelle heure.
Cette pratique du réseau Internet devrait toutefois se développer dans les années à venir, au fur
et à mesure de la démocratisation de l’accès à Internet au Mali. En tout cas les services sont
déjà là: MSN, Skype etc. Tous ces outils font dire aux auteurs transnationalistes qu’Internet est
le média diasporique par excellence.
Pour l’instant, la faiblesse de l’accès à Internet au Mali fait que les Maliens de Montreuil qui se
connectent à Internet le font en partie afin de rester en liaison avec la communauté malienne
en général.
Le premier avril 2008, apparaissait sur le web un nouveau site destiné au Mali et à ses
actualités: Malijet.co. Ce site n’est pas un cas unique; en réalité le Mali est assez bien présent
sur le “réseau des réseaux”. Pour mesurer cette présence, la méthode la plus communément
adoptée est de relever le nombre de pages référencées par les moteurs de recherche, dont le
plus célèbre est Google, « le moteur de recherche satisfaisant le plus grand nombre de requêtes
47,3
..., avec un index de 25 milliards de pages web et 250 millions de requêtes par
jour78
» Bing et al., 2007. Le 20 mai 2008, la requête “Mali” donne 166 millions de réponses
mais seules 940 pages sont réellement accessibles.
Les sites web proposés sont très variés, allant de Wikipédia au Routard en passant par les sites
institutionnels PNUD, ministères... et les sites d’associations d’aide humanitaire. Néanmoins,
les sites destinés à l’émigration malienne sont bien visibles: le premier est Maliweb.ne. Plus
loin, et à l’aide d’un annuaire spécialisé 79 , nous trouvons les sites suivants: Maliba.co,
78Extrait initial: « the search engine serving the largest percentage of queries at 47,3 ...
, with an index of around 25 biion Web pages
and 250 miion queries a day »
148
150,0
122
112,5
95
72
75,0
49
42
37,5 27
9 8 7
4 3 2 2 2 2 2 2 1
0
Maliweb
Soninkara
Mali-Music
Malikounda
Grioo
Bamakosoldat
Bamanet
Maliba
Famafrique
Dogonvillage
Malijet
Lemali
Malijaw
Musow
Sonomar
Malinews
Missmalifrance
Mali-la
Afribone
La plupart de ces sites ont un logo et/ou une image d’accueil se référant plus ou moins
explicitement au Mali. Le site Maliweb.net montre une carte du pays ainsi que diverses
photographies représentatives de la vie quotidienne et de la culture malienne. Le site
Soninkara.com a che une “oeuvre d’art” réalisée spécialement pour le site, représentant un
village traditionnel africain. Le site Bamanet.net utilise le crocodile, qui constitue le symbole
de la ville de Bamako. Le site Malila.com joue quant à lui sur les couleurs du drapeau national
et présente des photos alliant “tradition et modernité” avec des photographies de villageois,
d’instruments de musique traditionnels, de pirogues et de grands bâtiments. Enfin, le site
MaliMusic utilise quant à lui l’emblème malien et les armoiries maliennes.
Toute cette iconographie malienne cf. encadré n°12, voire plus largement africaine dans
certains cas, est accompagnée le plus souvent d’une phrase d’accroche symbolisant le
rapprochement, la proximité et le contact qu’ils permettent. Pour Maliweb.net et Malila.com,
il s’agit respectivement d’être “virtuellement au Mali” ou de pouvoir consulter “le Mali online”.
Dans un autre style, nous avons les sites Malikounda.com et Maliba.com pour qui il s’agit
81
respectivement de suivre “le Mali en continu” ou d’être “en route vers le Mali”. Le site web est
ainsi présenté comme étant en mesure d’eacer la distance physique qui existe entre
l’utilisateur et le Mali.
Encadré n°12
Sites web “maliens”: logo, année de création et localisation
82
La mise en page de ces diérents sites suit toujours, à quelques variations près, le même
modèle. Ce qui est le plus frappant est le foisonnement d’informations et de services proposés:
nous pouvons en eet suivre les actualités nationales et internationales, dans tous les
domaines, faire des rencontres, lire notre horoscope, passer des petites annonces, créer notre
adresse mail, créer notre blog, consulter les annuaires, regarder des vidéos, rechercher un
emploi, faire des achats, discuter en direct avec d’autres utilisateurs cha et participer aux
diérents forums. Cette abondance de fonctionnalités semble être une caractéristique partagée
des sites web à destination des migrants du monde entier: dans une étude sur les sites web
destinés aux mexicains installés aux EtatsUnis, Victor M. Gonzalez et Luis A. Castro
soulignent que « les sites fournissent des fonctionnalités très variées, à savoir, entre autres, du
partage de photographies, de l’information générale comme l’histoire régionale, des émissions
de télévision et de radio, des recettes de cuisine régionale, de l’échange de devises..80 » Castro,
Gonzalez, 2008 .Toutefois, tous ces services ne connaissent pas le même succès: c’est ce que
nous avons pu mesurer grâce à notre questionnaire cf. graphique n°3.
49
40
32
20
16
0 7
4
Horoscope
Rencontress
Forums
Création de blogs
Aucun
Chats
Petites annonces
Sur ces sites, le forum est le service le plus populaire. Pour les Maliens de Montreuil qui
fréquentent les sites suscités, ce sont également les forums qui retiennent toute leur attention.
La vie de ces “lieux de discussion en ligne” est intense et les conversations se font sur tous les
80Extrait initial: « the sites provide a very varied functionality which included among other services picture sharing, general informatio
such as regional history, live video feeds, local TV & radio broadcasting, regional cuisine and currency exchange.. »
83
sujets: cela concerne bien sûr les sujets liés à l’immigration, aux conditions de vie en France, à la
distance et à ses conséquences, mais pas seulement: on y parle également de culture, de valeurs,
de politique, française et malienne, d’économie, on y raconte des blagues, on livre ses
expériences personnelles, on pose des questions et l’on débat intensément.. avec de temps en
temps certains dérapages incontrôlés.
Abordant des sujets généraux comme les forums des sites web, ces listes de discussion
permettent également d’informer sur des événements précis un concert à proximité,
une journée culturelle malienne dans une ville voisine, une conférence etc. ainsi que de
transmettre des informations plus confidentielles comme des photographies ou son
nouveau numéro de téléphone portable.
84
association. Toutefois aucun Malien de Montreuil que nous avons rencontrés ne participait à
une de ces listes.
Tous ces sites, ces forums, ces listes de discussion mais aussi ces blogs le plus célèbre étant
Bamakosoldat81 consacrés au Mali donnent à voir de l’Afrique en général et du Mali en
particulier un continent et un pays qui bougent. Les résultats de notre questionnaire sont dans
ce domaine sans appel: ils sont en eet 88
à penser que l’image du continent africain
véhiculée dans les médias classiques radio, presse écrite, TV est négative et/ou extrêmement
négative. Dans le même temps, ils ne sont que 0,5
à dire que l’image du Mali véhiculée par les
sites web “maliens” est négative, et nous avons 64,5
des individus pour qui cette image est
positive et/ou extrêmement positive.
Les divers éléments du “web malien” autorisent donc l’entretien d’un lien communautaire large.
Ils permettent aux Maliens de Montreuil d’exprimer leur attachement à leur pays d’origine en
étant tenu au courant de la vie quotidienne au Mali, en suivant les actualités de la “diaspora”
malienne, en échangeant des idées avec d’autres maliens etc. Selon J.A.Tyner et O. Kuhlke,
dans une étude des représentations de la diaspora philippine sur le world wide web, pour une
fois le langage informatique tombe juste car ces sites sont véritablement des home pages82: « Ces
sites représentent un sens du foyer, de l’appartenance, d’une situation dans le cyberespace. Cela
est significatif pour des communautés diasporiques qui, séparées dans l’espace réel de leur
territoire d’origine, sont capables, à travers la technologie informatique, de recréer une
“maison” sur le web. Internet assure donc symboliquement un foyer spatialement
élargi. 83
» Kuhlke, Tyner, 2000 On retrouve cette idée dans les discours de ceux avec qui
nous avons eectués des entretiens: « ce sont des gens que je n’ai jamais vu.. mais on se retrouve
tous les jours sur le web.84 »
83Extrait initial: « These sites thus represent a sense of home, of belonging, of a situatedness in cyberspace. This is significant for diaspora
communities, as these communities are separated in ‘real space’ om their homelands, but through computer technology are able to recreate a
notion of home on the web. The Internet, therefore, symbolicay provides for a spatiay enlarged concept of home. »
Dans cet ensemble de communications, des endroits apparaissent comme de véritables lieux de
la communication transnationale et plus largement comme des lieux transnationaux. Ce sont les
domiciles, les foyers et les téléboutiques.
1 Les domiciles
Parmi les trois lieux transnationaux, les domiciles sont les plus di ciles à approcher. En eet,
ces domiciles étant privés, l’entrée n’y est par définition pas libre. Toutefois plusieurs Maliens
de Montreuil nous ont ouverts leurs portes. Tous ces domiciles possèdent plus ou moins
fortement des “éléments maliens”: cela se voit notamment au niveau de la décoration, avec des
tentures et du mobilier “africain”. La décoration est aussi, en plus d’éléments religieux,
composée de photos du village et de la famille vivant au pays à côté de photos de la famille
vivant en France. Il ne s’agit pas d’une pâle copie d’un logement soidisant malien: c’est bien un
mélange des références de l’ici et du làbas qui s’y opère. Le logement acquiert ainsi une
dimension transnationale symbolique.
La dimension transnationale du logement n’est cependant pas que symbolique: dans tous les
domiciles que nous avons pu visiter il y avait un poste de télévision sur lequel il était possible
de visionner la chaîne malienne ORTM et d’autres chaînes africaines. Enfin, tous les logements
possédaient un téléphone fixe permettant, avec une carte prépayée, d’appeler le Mali.
Toutefois, comme nous l’avons dit précédemment, c’est le téléphone portable qui est préféré,
et ce même à l’intérieur des logements. Le téléphone portable peut en eet permettre à celui
qui parle de circuler et donc de pouvoir au cas où s’éloigner des personnes présentes, se mettre
dans une autre pièce, afin de ne pas être entendu et parler ainsi plus librement.
Comme nous l’avons déjà dit dans notre présentation sur Montreuil, les foyers sont des lieux
ouverts. Pour le sociologue Marc Bernardot, les foyers sont bien plus que cela: ils sont des lieux
transnationaux car ils parviennent « à conserver un lien avec le pays d’origine ». Pour montrer
cela, nous pouvons reprendre le cas du foyer Bara.
86
Premièrement, le foyer Bara constitue un véritable point d’entrée en France pour les nouveaux
migrants: ils y sont accueillis et orientés par les membres de leur famille ou d’autres
ressortissants de leur village ou ville. Pour de nombreux migrants, le foyer est la première
destination après l’atterrissage. C’est ce que nous disent notamment les migrants que nous
avons interrogé sur leur parcours migratoire « Direct de làbas, de l’avion jusqu’au foyer. Là où
était mon grandfrère, rue Bara. »
Deuxièmement, le foyer constitue une “centralité immigrée”: ce rôle est notamment visible le
weekend quand des ressortissants maliens qui n’y habitent pas y viennent afin de rencontrer
d’autres membres de leur famille, des amis.. A cette occasion, les nouvelles du Mali sont
échangées et discutées. Et des décisions peuvent être prises. Dans ce domaine le foyer est aussi
le siège social de nombreuses associations de développement villageoises et une salle de
réunion est à leur disposition dans le foyer.
Troisièmement, le foyer Bara est bien équipé en matière de télécommunications: nous notons
la présence de cabines publiques dans les parties communes du foyer, des téléphones fixes dans
les chambres et un petit local, avec un ordinateur connecté à Internet et des téléphones
fonctionnant sur la technique de la voix sur réseau IP VoIP. Grâce à ce local, créé par un
résident du foyer, les résidents mais aussi des personnes de l’extérieur peuvent téléphoner au
Mali ou ailleurs dans le monde depuis l’intérieur du foyer depuis leur chambre même vu que
les téléphones sont sans fil à des prix à peu près identiques à ceux des taxiphones voisins. Le
foyer Bara est également doté du courant porteur en ligne CPL technologie qui permet le
transfert d’informations numériques via les lignes de courant électrique cependant seule 3 à 4
personnes l’utilisent. Enfin, nous pouvons également citer les postes de télévision, qui équipent
chaque chambre ainsi que la cuisine et qui diusent les chaînes françaises et la chaîne
malienne, l’ORTM.
Enfin, le foyer a vu se développer en son sein un système de transfert d’argent “informel” très
utilisé. Nous y reviendrons dans le premier chapitre de la troisième partie.
A travers ces diérents éléments, le foyer apparaît comme étant en relation permanente avec le
Mali. C’est dans ce sens que nous pouvons parler de lieu transnational.
87
3 Les téléboutiques
Comme nous l’avons dit précédemment, les téléboutiques sont très nombreuses à Montreuil.
De façon plus générale, Montreuil est très “équipée” en établissements labellisés “commerce
ethnique” typiques des quartiers à forte population immigrée tels que des boucheries
musulmanes, des restaurants de spécialités turques kebabs, des boutiques de produits
exotiques africains, des magasins de mobilier oriental, des agences de voyages spécialisées dans
les destinations africaines... Reconnaissables à leur façade, ces taxiphones sont pour de
nombreux gérants et certains utilisateurs plus que de simples endroits où l’on vient dépenser de
l’argent pour téléphoner. Pour un employé d’un taxiphone créé en 2002 à la place d’une
épicerie situé à quelques mètres à peine du foyer Bara, son lieu de travail est « un monde à
part. Audelà même de l’aspect communicatif »: c’est pour lui « un lieu très social, très convivial
» où les gens, qui pour la plupart se connaissent car viennent du foyer voisin, se racontent leurs
histoires, s’échangent leur point de vue etc. L’employé luimême rentre dans la vie des gens et
se voit comme une « assistante sociale »: il est amené à lire des courriers, à écrire des CV et des
lettres de motivation, à donner des conseils sur “làbas”, des clients se confient à lui etc. Tout
cela rend par ailleurs sa clientèle très fidèle et fait que la boutique existe depuis plusieurs
années sous la même forme alors que la concurrence est grande et que les changements dans ce
domaine sont fréquents.
De nombreux auteurs se sont déjà intéressés aux téléboutiques. Il en est ainsi de Samia
Mihoub qui parle à propos des publinets tunisiens d’« espaces de manifestation du lien social »
ce qui s’applique également à notre cas. Pour l’auteur, avant même que les clients soient en
relation avec leurs proches via le téléphone ou Internet, le lien social « se tisse dans l’espace
concret de leurs interactions vivantes. » Ce constat est également partagé par le géographe Jean
Richer et l’architecte JeanPhilippe Doré pour qui les téléboutiques sont « un nouveau lieu
urbain où la communication longue distance génère des liens sociaux locaux ». Toujours selon
ces deux auteurs, « les téléboutiques nous enseignent ... une relation entre le lieu, le territoire
et le réseau. ... Ce sont des lieux de contacts physiques et communautaires, où la spatialité
développée se joue des discontinuités géographiques pour recomposer un territoire suivant les
implantations des communautés utilisant ce service. » Dès lors, à l’instar des domiciles et des
foyers, les téléboutiques apparaissent comme étant des lieux transnationaux et non seulement
des lieux de la communication transnationale. Elles acquièrent un statut symbolique: y entrer
ce n’est déjà plus tout à fait être ici ni tout à fait être làbas.
88
Partie 3 Une transformation du rapport à l’espace?
89
Chapitre I : Un double engagement facilité?
Nous allons nous intéresser dans ce chapitre à l’implication des TIC dans les deux domaines
clés du double engagement des Maliens de l’Extérieur: les transferts d’argent et la dynamique
associative.
Selon les chires publiés par la Banque Mondiale, les transferts de fonds à destination du Mali
ont plus que doublés entre 2000 et 2007, passant de 73 millions de dollars US en l’an 2000 à
192 millions de dollars US en 2007 cf. graphique n°4.
200
192
150 177 177
154 155
137
100
88
50 73
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Source: Migration and remittances facbook 2008, Banque Mondiale, 2008
Toutefois, il ne s’agit là que des chires o ciels reconnus par la Banque Centrale des Etats de
l’Afrique de l’Ouest. Dans une étude récente effectuée à la demande du Comité
interministériel français de la coopération internationale et du développement étude qui
s’intéresse au Mali, au Sénégal, au Maroc et aux Comores, la Banque Africaine de
Développement estime, en prenant en compte les transferts informels, à 456 millions d’euros le
montant global des transferts pour l’année 2005. Soit 11
du produit intérieur brut PIB
malien et 79
de l’aide publique au développement APD reçue par le pays BAD, 2008.
La totalité de ces fonds ne sont pas émis uniquement depuis la France. Toutefois, la France
représente 65
de l’ensemble des transferts de fonds à destination du Mali contre 40
pour
le Maroc et 35
pour le Sénégal; en revanche pour les Comores, 95
des transferts de fonds
90
proviennent de France. Et la répartition des zones d’envoi en France même fait du Mali un cas
unique: 90
des transferts proviennent de la région parisienne. Les zones d’envoi suivantes
sont les autres pays africains 84 millions d’euros, l’Espagne 47 millions et les EtatsUnis
d’Amérique 20 millions.
Des quatre pays approchés, le Mali se détache nettement en ce qui concerne la moyenne des
sommes reçues annuellement par foyer: elle est chirée à 7700 euros alors que pour le Sénégal,
on est à 2925 euros; pour le Maroc, 2470; et pour les Comores, 2460 d’où un eort mensuel par
migrant élevé: l’étude parle en moyenne d’un eort de 160 euros par mois. Ce sont des chires
de cet ordre de grandeur qui nous ont été communiqués par les Maliens de Montreuil que nous
avons rencontrés. Il ne s’agit bien sûr là que d’une moyenne dans la mesure où les dépenses
n’étant pour la plupart pas planifiées à l’avance mais décidées en réaction à des situations et
événements sur place, les Maliens de Montreuil peuvent être amenés certains mois à dépenser
plus: « Des fois à la fin du mois tu te retrouves avec 0 centimes! 85 »
Cette nonprévisibilité des dépenses tient aux domaines d’utilisation des fonds envoyés: pour
les Maliens de Montreuil il s’agit prioritairement d’argent destiné à l’achat de nourriture et à
des dépenses de santé et d’éducation ; dépenses qui répondent à une certaine urgence. Plus
prévisibles sont les dépenses liées à l’immobilier. Comme le souligne l’étude, ces dépenses sont
très importantes chez les maliens: le volume des transferts lié à l’immobilier est même
légèrement supérieur à celui qui concerne l’aide familiale 188 millions d’euros contre 185. Pour
les auteurs de l’étude, il s’agit de « la principale forme d’épargne des transferts ».
En ce qui concerne le domaine des “investissements productifs”, les montants envoyés sont
faibles. D’où le jugement répandu selon lequel « les envois d’argent des migrants africains ne
contribuent pas au développement des pays d’origine » car soit il n’y a pas investissement et
dans ce cas il ne peut y avoir développement mais uniquement de la consommation; soit, quand
il y a des investissements, ces derniers « subventionnent, et perpétuent, des pratiques
économiques condamnées, sans avenir comme l’agriculture traditionnelle dans la vallée du
fleuve Sénégal ou des investissements improductifs à Kayes, au Mali. » Smith, 2003
A Kayes justement, l’économiste Flore Gubert a montré dans sa thèse le risque de substitution
qu’entraînaient les transferts des migrants: ces transferts permettent certes une hausse des
Source de revenu Revenu moyen par tête sans Revenu moyen par tête avec
1996 migrant à l’étranger migrant à l’étranger
Pour Christine Follana toutefois, audelà de cette simple dimension économique, les transferts
de fonds des migrants sont « socialement utiles » : ils réduisent « la vulnérabilité économique et
maintiennent une cohésion sociale ». De plus, par rapport à l’aide publique au développement
avec laquelle ils sont souvent comparés, ces transferts présentent l’avantage d’arriver
directement « à ceux qui en ont besoin » Follana, 2006.
2 Transférer l’argent
Alors qu’auparavant il n’existait que le mandat cash pour pouvoir envoyer de l’argent à
distance, les TIC ont considérablement facilité la chose. Deux possibilités s’orent désormais
aux Maliens de Montreuil: soit le canal formel des sociétés de transfert d’argent STA soit le
canal informel du “système foyer”.
92
Montreuil, nous recensons 7 agences Western Union dont 6 bureaux de Poste et une seule
agence MoneyGram qui partage ses locaux avec le taxiphone Publitel.
En ce qui concerne l’Afrique, les STA y sont apparues au milieu des années 90. Plus
précisément, le journal Jeune Afriqu86 date à 1995 l’arrivée de Western Union sur le continent
et ce au Ghana or nous l’avons vu précédemment, 1995 est l’année d’arrivée d’Internet dans ce
pays d’Afrique de l’ouest précurseur en la matière. Les deux événements ne sont évidemment
pas indépendants l’un de l’autre, Western Union ayant besoin d’un tel réseau pour assurer ses
activités. Le réseau Internet étant arrivé en 1997 au Mali, nous pouvons penser que Western
Union a dû étendre son réseau d’agences à ce pays cette année là. Aujourd’hui, Western Union
dispose de 315 points de vente au Mali et MoneyGram de 34.
Pour envoyer de l’argent, le système est semblable pour les deux STA. Nous prenons ici
l’exemple d’une personne utilisant Western Union pour réaliser un transfert:
La personne se rend dans une agence Western Union 87. Là, elle remplit un formulaire intitulé
“Pour envoyer de l’argent” sur lequel elle indique son nom et son prénom ainsi que ceux du
bénéficiaire, le pays et la ville de destination et le montant à envoyer. Pour le Mali comme pour
l’ensemble des pays africains, l’expéditeur doit également indiquer une “question test” et sa
réponse. La personne va ensuite au guichet et remet à l’employé son formulaire, la somme
d’argent et ses papiers d’identité. Une fois le formulaire vérifié, l’identité contrôlée et les frais
de transaction payés, le guichetier enclenche le transfert et remet à l’expéditeur un numéro de
contrôle du transfert d’argent MCTN de dix chires. Après être sorti de l’agence, le client
prend son téléphone et appelle le bénéficiaire pour l’informer du montant envoyé, de la
question test et du numéro MCTN.
C’est alors au tour du bénéficiaire de se rendre dans une agence où il doit, pour retirer son
argent, dire le nom de l’expéditeur, le pays et la ville d’origine du transfert, le montant attendu,
présenter sa pièce d’identité sauf si l’expéditeur a coché sur le formulaire “le bénéficiaire n’aura
pas de pièce d’identité”, donner la question test et sa réponse et fournir le numéro MCTN
celuici n’est pas indispensable mais facilite et accélère la procédure. Après tout cela, le
bénéficiaire reçoit l’argent en liquide. Généralement, le bénéficiaire joint alors l’expéditeur
pour le remercier soit en le “bipant” pour être rappelé soit en appelant quelques courts
instants.
87 Depuis peu il est possible d’eectuer des transferts en ligne mais aucune personne rencontrée ne l’avait fait.
93
Nous avons dans le schéma cidessous retracé l’ensemble de la démarche cf. schéma n°2;
démarche tout au long de laquelle les TIC interviennent en permanence: en amont, avec la
demande ; pendant le transfert, avec d’un côté le réseau Internet utilisé par la STA pour réaliser
techniquement la transaction et de l’autre l’expéditeur qui appelle le bénéficiaire pour lui
transmettre les informations nécessaires au retrait de l’argent ; et enfin, en aval, pour les
remerciements.
Schéma n°2
Des TIC qui interviennent tout au long de la démarche de transfert d’argent canal formel
Le “système du foyer”:
Bien que la qualité du service délivré par les STA soit généralement reconnue, la plupart des
personnes que nous avons rencontrées utilisent le système informel mis en place dans les
foyers. Comme nous l’a dit le responsable de l’agence Western Union rue de Paris à Montreuil:
« Ici le top ten des clients ce sont les sénégalais, la Côte d’Ivoire et le Maroc. Les maliens, ils
ont un système sans commune mesure, beaucoup plus e cace.. Allez voir au foyer. »
Et en eet, selon la BAD, dans le marché des transferts de fonds en direction du Mali, ce sont
les modes de transferts informels qui sont largement majoritaires 72
. Les deux raisons
principales de l’adoption de ce système par les Maliens de Montreuil sont les coûts pratiqués
qui sont moins importants et la meilleure couverture géographique.
94
Pour les coûts, une simple comparaison avec les autres moyens le prouve cf. tableau n°6. Pour
faire cela, nous pouvons nous aider du site internet http://www.envoidargent. mis en place le 19
novembre 2007 par l’Agence Française de Développement, le Ministère de l’Economie, des
Finances et de l’Emploi, le Ministère des aaires étrangères et européennes et le Ministère de
l’immigration, de l’identité nationale, de l’intégration et du développement solidaire. Site dont
l’objectif « est d’appuyer les eorts des migrants en faveur du développement de leur pays
d’origine, notamment par une incitation à utiliser les circuits de transferts formels et à valoriser
ces fonds à des fins d’investissement. 88 »
Western Union 10 21 32
Délai inférieur à 1 heur
Western Union
8 12 12
Délai de 12 heures à 2 jours
MoneyGram 8 15 25
Système Foyer*
5 10 10
A destination d’un viag
Système Foyer*
5 5 5
A destination d’une vi
La deuxième raison tient à une meilleure couverture géographique du système. L’argent est en
eet plus proche du bénéficiaire, car arrive jusqu’au village. Ce dernier n’est donc pas obligé de
se rendre en ville, parfois à plusieurs dizaines de kilomètres, pour aller retirer son argent.
Basé sur des liens sociaux existants entre une personne en France et plusieurs autres,
généralement des commerçants, au Mali, le “système du foyer” se fait surtout à l’échelle d’une
commune. Chaque commune dispose de son “système” de transfert d’argent.
Lorsqu’une personne souhaite envoyer de l’argent, celuici est collecté en France au foyer par le
“responsable” du système. La somme est indiquée sur un cahier avec le nom de l’expéditeur, le
nom du bénéficiaire, la somme et le village de destination.
88 Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi, « Christine Lagarde et Brice Hortefeux annoncent l'ouverture d'un
L’argent est ensuite être transféré au commerçant par le responsable du système en France, soit
par Western Union soit par virement entre comptes bancaires soit par une personne qui part au
Mali. Le remboursement peut également se faire par l’expédition de marchandises.
Nous avons dans le schéma suivant cf. schéma n°3 retracé la démarche: ici aussi, les TIC
interviennent en permanence.
Schéma n°3
Des TIC qui interviennent tout au long de la démarche de transfert d’argent canal informel
Toutefois il s’agit là d’une méthode que certains ont abandonné: en eet, après la diussion
d’un reportage sur ce système par une chaîne du groupe France Télévisions, un cambriolage a
96
eu lieu au foyer Bara. Rien n’indique cependant que cet abandon soit définitif du fait des
avantages que ce système procure.
Techniquement, les TIC et notamment la téléphonie mobile, ont permis une nette facilitation
des transferts d’argent. Cette facilité technique n’est cependant pas sans incidence sur les
relations sociales que les Maliens de Montreuil entretiennent avec le Mali.
Certains des Maliens de Montreuil que nous avons rencontrés appréhendent les appels «S’ils te
parlent c’est pour demander de la maille..89 » et mettent donc en place une “stratégie”: la
communication, quand elle est enclenchée car certains évitent tout simplement d’appeler s’ils
savent que ce ne sera que pour répondre à une demande d’argent, ne doit durer ni trop
longtemps ni s’étendre à de trop nombreux sujets. La communication assez courte est censée
montrer au correspondant que l’on ne dispose pas de beaucoup d’argent « Je vais au taxiphone
je dépense 56 euros; si la personne làbas convertit cette somme en CFA elle va se dire: "il a
tout ça pour téléphoner, c'est qu'il en a encore tout plein pour lui"...90 »; la communication
centrée sur un ou deux sujets permet quant à elle de limiter les possibilités pour le
correspondant de commencer une nouvelle liste de problèmes et de di cultés à résoudre « Si
on continue de parler, ils vont parler d’autres problèmes encore... Si on parle le nécessaire, on
va arrêter et “à la prochaine”91 ».
Ainsi ce domaine peut être invoqué par certains proches vivant au Mali, pourtant en bonne
forme, afin de bénéficier de transferts supplémentaires, ou, si la raison invoquée est vraie, les
sommes demandées peuvent être supérieures à celles qui sont réellement nécessaires. Les
Maliens de Montreuil ne sont pas dupes: « si quelqu’un est malade, ils te disent pas la vraie
version, ils te disent “envoie de l’argent, on a quelqu’un qui est malade” mais on te dira jamais
quelle maladie la personne a.. Et si la personne est soignée disons à 10 francs, eux ils te
demandent 20 francs. Ils te disent jamais la vérité.92 » Dans ce cas, des conflits peuvent éclater:
toutefois, avec l’intervention de personnes tierces telles un père ou une mère, ces conflits ne
durent jamais très longtemps et chaque partie est invitée à renouer le lien rompu par le
raccrochage du téléphone.
Le lien que les Maliens de Montreuil entretienne avec leur pays d’origine ne se fait pas
uniquement à titre individuel. Il existe également une forte dynamique associative, déjà
approchée par de nombreux chercheurs comme Céline Le Guay pour qui les Maliens de France
« forment une des communautés de migrants parmi les plus structurées en associations de
développement tournées vers les villages ou régions d'origine. » Le Guay, 2002
Tous les Maliens de Montreuil que nous avons rencontrés font partie au moins d’une
association. Pour certains individus, cela prend une place considérable dans leur vie: il en est
ainsi de Madidian Dembele, VicePrésident de l’association Benkunda, qui est également
Président d’une association pour le rapatriement de corps, Président d’une association
villageoise, VicePrésident d’une association pour les doyens du Mali en France, Secrétaire aux
On le voit à travers cet exemple, il existe diérents types d’association: toutes les associations
n’ont en eet pas la même couverture géographique ni ne représentent la même population.
Nous avons des associations villageoises exemple: association Kite Kafo des ressortissants du
village de Diendie en France, des associations intervillageoises ex.: L’espoir des sept villages,
association pour le développement du secteur sud de la Commune de Tambacara, des
associations communales ex.: association de la commune de Gory en France, des associations
de cercle ex.: association Montreuil Yélimané citoyenneté solidarité pour le développement
et des associations régionales ex.: association d’appui au développement de la Région de
Kayes. Cette présence aux divers échelons administratifs maliens s’explique notamment par le
fait que les migrants ont milité et accompagné le processus de décentralisation entamé au Mali
au lendemain de la chute du PartiEtat de Moussa Traoré SNV, 2004. Nous avons également
des associations de femmes ex.: association des femmes maliennes de Montreuil, des
associations de travailleurs ex.: association de la communauté des travailleurs de Conthinga en
France, des associations de jeunes ex.: association des jeunes pour le développement de
Kersignane en France93 et, bien sûr, des associations qui souhaitent regrouper l’ensemble des
Maliens de Montreuil.
93 Toutes les associations qui viennent d’être citées ont leur siège social à Montreuil.
94 Journal O
ciel des Associations, http://www.journalo ciel.gouv.fr/association/index.php, consulté le 21/05/08
99
70
: selon lui, chaque association regroupe en moyenne 70
des ressortissants du village
concerné Daum, 1998.
Pour financer toutes leurs actions, ces associations ne comptent pratiquement que sur les
cotisations de leurs membres. Toutes les associations ne fonctionnent cependant pas de la
même façon: pour certaines les cotisations sont annuelles quand pour d’autres elles sont
mensuelles ou récoltées seulement pour financer des projets précis. Cette dernière façon de
faire est notamment apparue dans des associations où des problèmes de gestion ou des
désaccords sur l’intérêt de tel ou tel projet ont fait surface.
Nous allons nous intéresser ici aux TIC et à leur utilisation dans le domaine associatif. Nous
allons mettre en évidence trois dimensions à cette appropriation: les TIC comme champ
d’action pour les associations, les TIC comme moyen d’action et enfin, les TIC comme
“vecteur” d’action.
Les pionniers en la matière sont les ressortissants du village de Korera Koré cercle de Nioro
qui, dans le cadre du jumelage entre la ville de BuressurYvette et leur village, mettent en place
en 1999 une cabine INMARSAT 95.
De nombreuses autres associations ont suivies: il en est ainsi des associations des ressortissants
des villages de Souenna, Serenaty, Marena Diombokhou cercle de Kayes et de Kodié cercle
de Yélimané qui, en 2000 et en partenariat avec l’association pour le développement
économique régional ADER, ont installé six cabines: une dans chacun des villages du cercle
de Kayes et trois dans celui du cercle de Yélimané 96.
Des associations que nous avons rencontrées, trois s’étaient lancées dans des projets de ce
type: l’association des ressortissants du village de Diakadromou ARDF cercle de Yélimané
qui a installé une cabine, l’association des ressortissants de la commune de Dialafara qui en a
installé trois et l’association des ressortissants de la commune de Sadiola ARCSF qui en a
installé quatre. Toutes ces actions ont eu lien en 9900 et ont nécessité des investissements
importants plusieurs millions de francs CFA à chaque fois.
En dépit de l’enthousiasme initial et des premiers résultats plutôt concluants, ces cabines n’ont
pas duré longtemps et aujourd’hui toutes ou presque ne sont plus utilisées. Les raisons les plus
citées sont des manquements aux règles élémentaires de gestion, du matériel insu samment
entretenu et surtout, l’arrivée et l’explosion du téléphone portable, qui a rendu caduques les
cabines satellites. Au sein de l’ARCSF, cet arrêt des cabines a été mal perçu par de nombreux
membres au regard des sommes investies, et a influé sur le dynamisme de l’association pendant
plusieurs mois: « Avec les cabines téléphoniques, il y a des adhérents qui ont trouvé que ça c’est
cher, on a dépensé assez et que le résultat n’a pas été probant. Ca a joué beaucoup sur la
motivation des gens.97 »
Pour d’autres associations, c’est tout un “système économique” mis en place autour de ces
cabines qui doit s’arrêter: il en est ainsi de l’ARDF où les bénéfices des cabines devaient
permettre l’élaboration d’un moulin puis d’un jardin et enfin d’un magasin coopératif. Si les
96
Coopératio solidaritdéveloppemen, « Rapport de mission ADER d’installation de 6 cabines IMARSAT en Région de
Kayes Mali », http://www.csdptt.org/article119.html
97 Entretien avec Makan Sissoko, Secrétaire chargé des aaires extérieures de l’ARCSF
101
deux premiers projets ont pu être concrétisés et générer leurs propres revenus, en revanche, le
magasin coopération est quant à lui toujours en projet..
Pour la plupart des associations qui s’étaient lancées dans les télécommunications, l’aventure
s’est arrêtée là hormis quelques actions de lobbying visàvis des opérateurs de téléphonie
mobile afin qu’ils agrandissent leur réseau. Très rares sont celles qui s’engagent aujourd’hui dans
le développement d’Internet. Dans ce domaine, le projet le plus important est actuellement le
projet “Télémigrant” au foyer Bara.
Le projet “Télémigrant”:
Nous avons vu précédemment que ce foyer possède un petit local avec connexion à Internet et
VoIP. La personne qui en est à l’origine, Koli Traoré originaire de Kersignane, est également à
la base de ce projet. Porté par Télémédia communications et en partenariat avec l’association
des jeunes pour le développement de Kersignane en France, l’association des résidents en
France du Grand Yélimané, le Centre National d’Etudes Spatiales CNES, la ville de
Montreuil et l’Aftam, ce projet, d’un coût total prévu de 420 000 euros les migrants apportant
43 000 euros, vise à « interconnecter les migrants avec leurs villages d’origine au moyen d’un
lien Internet haut débit en prenant directement appui sur les activités socioéconomiques des
associations des résidents en France et la participation financière des migrants.98 »
Plus concrètement, il s’agit de créer des “guichets numériques”, un en France au sein du foyer
Bara et un au Mali dans le village de Kersignane, qui permettraient aux utilisateurs “d’ici et de
làbas” de bénéficier d’une connexion Internet haut débit et ainsi pouvoir rester en contact soit
par courriers électroniques, VoIP ou visioconférence. S’ajouterait à cela une plateforme
numérique, c’estàdire un site web sur lequel les migrants pourraient prépayer en France pour
leurs proches vivant au Mali de la nourriture, des médicaments, des communications etc.
délivrés au village eservices. Les sommes ensuite étant transférées de banque en banque, ce
qui vise à une résorption des modes de transferts informels.
Selon l’entreprise, il ne s’agit pas là de créer un nouveau marché, les dépenses étant déjà
existantes à travers les transferts de fonds réalisés, les achats de cartes prépayées etc.. Il s’agit
ici de “mutualiser” les pratiques des migrants pour pouvoir en diminuer les coûts. Les
bénéfices, après la part prise par l’entreprise Télémédia, permettront le financement des
98
Source: Formulaire de requête pour les projets de développement local dans les régions d’origine, Projet Télémigrant,
Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire
102
infrastructures et donc d’en assurer la longévité: pour JeanLuc Colombani, Directeur du
développement chez Télémédia Communications, il s’agit de « rentrer dans une économie de
développement ». Selon les dernières informations que nous avons pu obtenir, le projet aurait
été accepté par le Ministère de l’Immigration, de l’Identité nationale, de l’Intégration et du
Développement solidaire dans le cadre de ses “Initiatives au codéveloppement” et participerait
donc financièrement à son élaboration nous ne connaissons cependant pas la hauteur de cette
intervention.
Avant de se lancer dans ce projet, une expérience pilote a été menée au sein du foyer Bara le 14
novembre 2006 dans le cadre de la Journée Mondiale du Diabète. A cette occasion, une liaison
satellitaire a été établie avec le village de Kersignane et une visioconférence a eu lieu avec
autour de la “table virtuelle”, les habitants du village de Kersignane, les résidents du foyer Bara,
le siège de l’Association française des diabétiques à Paris et la Poste centrale de Bamako. Pour
tous les acteurs du projet, cette visioconférence a beaucoup plu, les migrants pouvant même
profiter de la liaison pour voir et parler à leur famille en direct. C.B., sanspapier arrivé en
France en 2000, fut l’un d’entre eux: « Ah ce jour là je suis très très content, ma mère aussi. J'ai
vu ma mère avec mes enfants tout ça là.. ... Tous les gens de Kersignane.. Tu parles avec
quelqu'un: combien de kilomètres? C'est un peu bizarre. ... Et même que quand j'avais quitté
Kersignane, ma femme était enceinte d'un mois et ce garçon là il a maintenant huit ans et c'est
la première fois que je le voyais. J'avais les photos mais... »
Mais cette expérience pilote ne concernait qu’une partie du projet, la partie “relationnelle”,
soit celle qui ne pouvait que convaincre les migrants d’y adhérer. Aucun test ni aucune étude n’a
été mené sur l’opportunité de la plateforme numérique et sa probable appropriation or c’est
sur quoi repose principalement le projet notamment du point de vue financier. L’exploitation
des services devrait commencer en juillet 2008: toutefois, sans un grand travail pédagogique
envers le public visé et de nombreuses séances de formation, le risque est grand que cette
exploitation ne se révèle décevante... Cidessous, nous avons schématisé le projet schéma n°4.
103
Schéma n°4 Projet “Télémigrant”
Rester connecté
e-mail, visioconférence etc.
Télémédecine
Formations à distance
Guichet Guichet
numérique numérique
Kersignane, Mali Montreuil, France
Prépaiement e-services
Communications
Nourriture
Plate-forme
Santé - Education numérique Bénéfices
etc.
Si toutes les associations ne font pas des TIC un de leurs domaines d’action, en revanche elles
sont à l’image de leurs membres et utilisent donc toutes les TIC au quotidien, et notamment le
téléphone. Celuici permet de joindre les membres, de s’informer des dates de réunion et de
discuter des décisions prises. En ce qui concerne les associations qui ont vocation à représenter
tous les ressortissants à l’étranger d’une localité malienne donnée un village, une ville, un
cercle, une région, le téléphone permet le contact et la coordination des actions entre les
membres éloignés: on appelle alors à Strasbourg et à Mulhouse pour leur faire part de tel ou tel
événement, pour leur demander de promouvoir telle action ARCSF ; on contacte ceux
installés aux EtatsUnis afin qu’ils mettent à jour leur cotisation ARDF etc. Les coûts de ces
communications sont pour la plupart pris en charge par l’association, soit en amont
distribution de cartes prépayées à ceux qui appelleront soit en aval par un remboursement
monétaire ou par des cartes prépayées. Toutefois, le téléphone n’arrive pas parfaitement à
104
dépasser la distance: la plus grande partie des membres étant à proximité en région parisienne
en ce qui nous concerne, la “présence des éloignés” n’est pas indispensable au bon
fonctionnement de l’association et les contacts se font au fil du temps de plus en plus rares.
En ce qui concerne les relations avec le Mali même, le téléphone est également utilisé. Celuici
permet de joindre la ou les antennes de l’association sur place. Comme le soulignait déjà en
1998 Christophe Daum, les associations en France « ont toutes leur répondant dans les villages.
» On aurait pu penser qu’avec les progrès obtenus dans le domaine de la communication ces
antennes disparaîtraient, les associatifs en France étant dans la capacité de “gérer à distance”.
Or il n’en est rien, ces antennes sont toujours là et les communications avec elles sont
fréquentes, notamment lorsqu’il s’agit de préparer la venue de membres au Mali: elles ont alors
pour charge de “préparer le terrain”, ce qui à distance n’est pas possible.
Enfin, toujours en 1998, Christophe Daum soulignait que l’initiative des réalisations des
associations « revient majoritairement aux propositions des émigrés ». On aurait pu penser ici
que la facilité dans la communication équilibrerait les rapports de force, comme on le croit
souvent. Or lorsque l’on participe aux réunions et lorsque l’on interroge les associatifs sur ce
point, rien n’a fondamentalement changé: ce sont toujours les migrants installés en France qui
décident des actions à mener. Pour les membres des associations, ce fait est facile à
comprendre: on est de làbas donc on sait ce qui est bon pour làbas. Dès lors, « ils ne peuvent
être que d’accord quoi.. et ils accueillent avec enthousiasme.99 »
Les TIC n’ont donc pas profondément changé les méthodes et les moyens d’action internes des
associations. En revanche, l’eet est plus sensible dans le domaine de la promotion des
associations et de leurs actions.
Pendant longtemps, les réalisations des associations de migrants maliens sont restées peu
visibles, du moins endehors des publics concernés. Aujourd’hui, deux facteurs leur permettent
de “se montrer”: l’arrivée de la télévision malienne en France, l’ORTM, et Internet.
Disponible en France depuis 2007, l’ORTM est souvent invitée lors d’événements organisés par
des maliens en France et est même partenaire de certains. A ces diérentes occasions, une
Pour les associations, prévenir l’ORTM de leurs actions est devenu quasiment automatique:
cela leur permet d’être vu par les maliens “de l’extérieur” et par ceux “de l’intérieur”. On
montre ainsi à ces derniers qu’ils ne sont pas oubliés et que l’on agit pour eux. De plus, les
reportages qui sont consacrés aux associations valorisent ces dernières et peuvent les aider à
trouver de nouveaux partenaires, au Mali comme en France.
Deuxièmement, quelques associations basées à Montreuil disposent d’un site Internet. C’est le
cas de l’association Djiké et l’association de Bada en France. Ces deux associations développent
des projets dans les TIC, ce qui explique sans doute l’intérêt porté à la création d’un site web.
De plus, pour l’association de Bada, son responsable, Sékou Bathily, est assez connu de par son
engagement dans « la lutte contre la désertification » il a fait l’objet d’un documentaire diusé
sur France 5 et participe à de nombreuses conférences: cela explique sans doute le design très
professionnel du site de l’association de Bada, alors que celui de l’association Djiké association
106
de développement de la commune de Kirane Kaniage est moins travaillé et pas encore
terminé.
Toujours en ce qui concerne Internet, il est intéressant de noter l’existence du site web mali
associations http://www.maliassociations.com, qui se propose de répertorier les associations
francomaliennes mais qui est à l’heure actuelle malheureusement incomplet. Nous présentons
dans l’encadré page suivante, les trois sites que nous venons d’évoquer encadré n°14.
Ces sites permettent aux associations de se montrer et de valoriser là aussi leurs actions auprès
de potentiels partenaires.
107
Encadré n°14 Sites web d’associations francomaliennes
Site web de l’association Djiké Site web MaliAssociations Site web de l’association de Bada en France
http://www.djike.fr http://www.maliassociations.com http://www.badafrance.net
Très sommaire, ce site nous propose pour seules Site web qui se propose de répertorier Ce site présente de façon très détaillé
informations sur l’association une liste de ses cinq l’ensemble des associations ancomaliennes. l’association, ses objectifs et ses réalisations ainsi
objectifs principaux ainsi qu’une copie de ses statuts. Cependant, à l’heure actuee, ce site est loi que le viage de Bada. Nous pouvons égalemen
A cela s’ajoute deux galeries de photos du viage. d’être complet. nous renseigner sur Sekou Bathily et être mis au
c o u ra n t d e s e s d i v e r s e s i n t e r v e n t i o n s
conférences, interviews...
108
Chapitre II : La persistance du lien physique
Nous l’avons vu précédemment, les maliens de Montreuil maintiennent des relations à distance
avec leur territoire d’origine via diverses techniques d’information et de communication:
téléphone, courrier, Internet etc. Le lien physique, matériel, n’a cependant pas disparu, loin de
là. Nous l’observons à trois niveaux: les retours définitifs au pays, les retours temporaires ce
qu’il est d’usage de nommer le “vaetvient” et enfin, lien ultim, les enterrements au pays.
Nous insisterons particulièrement sur ce dernier car il est généralement peu abordé et nous
semble éminemment emblématique.
L’ensemble des migrants Maliens de Montreuil que nous avons rencontrés dans le cadre de ce
travail, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, qu’ils soient venus “tenter l’aventure”, ou dans le
cadre du regroupement familial ou pour poursuivre leurs études supérieures, avaient l’idée, à
leur entrée sur le territoire français, de ne pas s’y installer définitivement. Volonté qui n’était
pas seulement présente chez les “anciens” mais également chez les migrants récents arrivés
dans les années 2000: il s’agissait pour eux, comme à l’époque de la “noria”, de venir travailler
quelques années, amasser des revenus et puis repartir au pays.
Cependant, avec le durcissement des politiques migratoires françaises qui empêchent d’être
“remplacé”, avec des di cultés au Mali qui s’accentuent, avec une dépendance aux revenus liés
à la migration qui se met rapidement en place et avec la dureté de la vie quotidienne en France
à laquelle ces migrants sont confrontés, beaucoup doivent revoir à la baisse leurs ambitions. Il
en est ainsi de G.B., en France depuis 30 ans: « Moi, quand je suis venu, je me disais que je
venais pour avoir un petit capital pour faire du commerce. Mais une fois là, avec les sécheresses
du Mali, ... au lieu d'économiser de l'argent, il fallait nourrir les familles donc on n'a plus
d'économies. Donc, le souhait que moi j'avais a volé parce que je ne pouvais plus le faire. Et ça
a duré des années des années. » Jusqu’à l’âge de la retraite, après lequel ils peuvent rentrer sans
remettre en cause leur engagement financier.
Durant ces années d’attente et d’espérance d’un retour proche, beaucoup se construisent une
ou plusieurs maisons à la ville ou au village d’origine: cette maison héberge bien sûr la famille
làbas mais représente également un “chezsoi” que l’on pourra rejoindre au moment venu.
109
Pour les migrants Maliens de Montreuil établis avec leur famille que nous avons rencontrés, la
volonté de retour n’est plus de mise: la famille proche étant en France, pourquoi retourner au
Mali? Toutefois, plus les enfants avancent en âge et deviennent autonomes, plus les personnes
repensent au retour.
Pour ceux qui ont toujours l’envie de rentrer, alors souvent ils entament une réflexion sur un
projet, sur une “chose à faire” sur place pour générer leurs propres revenus. Ces projets
concernent souvent l’agriculture et le petit commerce. Si la plupart du temps cependant ces
projets ne font pas l’objet d’une “mise sur papier”, en revanche d’autres sollicitent des
associations locales, telles que le Groupe de Recherches et de Réalisations pour le
Développement Rural GRDR, afin d’élaborer un dossier sérieux et présentable à des bailleurs
de fonds cf. encadré n°15.
D’un coût total estimé à 6 483 907 FCFA 9 900 euros environs, ce projet vise à la
création d’un atelier de couture dans le village de Sadiola. Pour le porteur du projet, il
s’agit véritablement de poursuivre un objectif de « réinsertion socioéconomique » dans
son village. Afin d’étudier l’opportunité d’un tel projet, un enquêteur a été recruté sur
place afin de sonder le marché: quels établissements existent déjà? quelle clientèle
potentielle? etc. Le document de présentation du projet liste également les moyens
matériels machines à coudre, machine à broder, table de coupe, fer à repasser etc. et
humains un maître tailleur, un brodeur et deux apprentis en plus du porteur du projet
qui sera le gérant de l’atelier nécessaires, les diérentes données techniques de
production ainsi que les prévisions de productions, de ventes, d’achats de consommables
etc. L’apport personnel du migrant est chiré à hauteur de 37,7
du coût total; ce dernier
sollicitant donc un emprunt de 5 000 000 FCFA. Mis sur papier de façon claire et
précise depuis 2005, ce projet n’a cependant toujours pas réussi a trouver de bailleur de
fonds.
Chirer le nombre de retours volontaires au Mali n’est pas aisé. Les seuls chires o ciels
disponibles nous proviennent de l’Agence nationale des l'accueil des étrangers et des
migrations ANAEM, créée en 2005 par la loi de Cohésion sociale dite loi Borloo. Résultat de
110
la fusion entre l’O ce des migrations internationales OMI et le Service social d’aide aux
migrants SSAE, l’ANAEM applique aujourd’hui la politique définie par le Ministère de
l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire. Elle a en
charge les diérents mécanismes « d’appui à la réinsertion et à la création d’activités
économiques portées par des migrants dans leur pays. » ANAEM, 2007 Plusieurs pays sont
concernés et chacun a un programme spécifique: il en existe un pour le Mali. Il s’agit du
programme ANAEM Fonds de Solidarité Prioritaire FSP / Codéveloppement Mali, mis en
place en novembre 2006 en remplacement du Programme Développement Local Migration qui
datait de 1997 année de publication du rapport remis au Premier Ministre de l’universitaire
Sami Naïr qui consacre le terme de codéveloppement ; une politique de codéveloppement
visant à « faire de l’immigration un vecteur de développement parce que celuici signifie la
stabilisation des flux migratoires dans le pays d’origine et la garantie de l’intégration en France
» Naïr, 1997. Le programme ANAEM FSP / Codéveloppement Mali donc « s’adresse aux
migrants maliens revenus du Mali après un séjour en France et qui souhaitent créer une activité
génératrice de revenus. » ANAEM, 2007 Plus précisément, les personnes visées sont celles
qui n’ont pas été expulsées de France, qui peuvent justifier de deux années de présence au
moins en France et qui se présentent dans un délai de moins de six mois après leur retour à un
des opérateurs techniques du programme au Mali. Après étude du projet, celuici peut être
financé jusqu’à 7000 euros maximum. Selon le rapport d’activité 20052006 de l’ANAEM, le
dernier disponible, ce sont, en 2006, 133 projets qui ont été appuyés, pour un montant moyen
de 4508 euros par projet. Pratiquement tous ces projets concernaient Bamako.
Ce dispositif n’est pas bien connu par les migrants souhaitant rentrer que nous avons
rencontrés. Seule une personne, M.S., envisageait de demander cette aide au retour. Sans
papier et ne travaillant plus depuis 2005, il souhaite développer une petite activité commerciale
dans son village. S’il obtient l’aide, il rejoindrait la « majorité » de ceux qui l’ont également
obtenu à savoir des individus qui « sont rentrés au Mali en réponse à leur situation sociale en
France » d’où un migrant qui n’est pas « acteur du développement », selon Mélanie Cambrezy,
mais simple « bénéficiaire » Cambrezy, 2007.
Pour les travailleurs qui veulent rentrer définitivement, la communication sur le sujet ne se fait
pratiquement pas avec les proches au pays. Pour l’individu dont nous relations la situation
précédemment, cela va même jusqu’à ne pas demander des nouvelles de ceux qui sont rentrés
avant lui. Selon un proche, sa famille « ne va pas admettre » : « Les parents ils vont te pousser à
tenir mais c’est toi qui est dans la sourance. » Il y a là une pression des parents et de la famille
111
qui s’explique sans doute par la situation de dépendance dans laquelle ils sont placés visàvis
des revenus liés à la migration.
Enfin, il convient de préciser que ce qui est présenté comme un “retour définitif ” ne l’est
jamais tout à fait. Si la rupture avec le territoire quitté ne s’est pas produite à l’aller, elle ne se
produit pas non plus lors du chemin inverse: les membres de la famille en France, les autres
ressortissants du village qui y sont installés, les amis qu’on y a fait, les nécessités
administratives que l’on doit y faire, tout cela fait que la liaison reste maintenue avec la France.
En 1995, le géographe Gildas Simon écrivait dans sa Géodynamique des migrations internationales
dans le mond : « Quoi de plus symbolique de l’attachement à la société d’origine que les flux
humains considérables qui ramènent chaque année vers leur pays des millions de travailleurs et
leurs familles au moment des congés annuels ou à l’occasion de fêtes religieuses ou
nationales.
» Simon, 1995 Plus de dix années plus tard, ces mouvements de vaetvient sont
toujours aussi importants et les Maliens de Montreuil n’en sont pas “épargnés”.
Tous ceux en situation régulière le vaetvient ne pouvant pas se faire pour des individus en
situation irrégulière car implique une traversée des frontières administratives que nous avons
approchés le pratiquent plus ou moins fréquemment: pour certains le vaetvient a lieu tous les
ans quand pour d’autres c’est tous les 23 ans. Les séjours sur place sont généralement assez
longs, deux mois étant la durée la plus souvent citée: cette durée permet de “profiter du Mali”
tout en se prémunissant de possibles aléas ex.: village inaccessible à cause des pluies etc. et
tout en s’inscrivant dans le cadre fixe des vacances seuls quelques uns prennent parfois des
congés sans solde. Nous observons également que la durée des séjours a tendance à augmenter
lorsque le migrant a atteint l’âge de la retraite: elle peut alors faire 56 mois à une ou deux
années consécutives.
Evidemment, un des premiers facteurs de limitation de ces retours est le coût d’un tel
déplacement et notamment le prix du billet d’avion. Dans ce domaine, la liaison Paris Bamako
a bénéficié, comme d’autres destinations de par le monde, de l’arrivée des compagnies à bas
coût, dont une des plus célèbres est Point Afrique, qui a commencé ses vols sur la ligne en
2002. Au tournant des années 2000, c’est également la création des compagnies Air Sénégal
112
International 2001, Bénin Golf Air 2002 et la Compagnie Aérienne du Mali 2005 qui fait
suite à Air Mali et à STA Trans African Airways qui font aujourd’hui également la liaison Paris
Bamako. L’apparition de ces nombreuses compagnies est à mettre en lien avec les di cultés
puis la faillite de la compagnie Air Afrique en 2002 compagnie panafricaine créée en 1961 avec
la participation d’Air France et de 11 pays africains francophones.
Toutefois, malgré la multiplication des ores, c’est la compagnie Air France qui est toujours
privilégiée chez ceux que nous avons interrogés: bien que beaucoup plus chère que les autres
compagnies cf. tableau n°7, Air France est appréciée pour la qualité de son service peu de
retards, bagages qui ne se perdent pas etc. et pour le nombre de vols qu’elle propose. Selon les
observateurs, la compagnie Air France est sur cette ligne Paris Bamako « toute puissante.100
»
Tunisair 1070,82
Lors de son retour, le migrant emmène avec lui des courriers et de l’argent confiés par d’autres
ressortissants mais aussi des médicaments, des téléphones portables etc. Il amène également
des nouvelles “fraîches” des autres ressortissants installés en France.
Pour certains, le retour sera l’occasion d’un mariage ou de vacances quand pour d’autres
travailler n’est pas exclu, surtout s’il s’agit d’un séjour long.
Mais il existe également une autre forme de lien physique, moins souvent prise en compte par
les chercheurs étudiant les migrations: il s’agit du choix du lieu d’enterrement. Ce qu’Agathe
Petit, dans sa thèse consacrée aux pratiques funéraires des migrants africains en France,
nomme « la mort au loin » cité dans AttiasDonfut, Wol, 2005.
Dans un article consacré à la question se basant sur les résultats de l’enquête PRI de 2003101 ,
Claudine AttiasDonfut et FrançoisCharles Wol montrent que plusieurs « facteurs ... jouent
dans le choix du lieu d’enterrement » chez les migrants, à savoir notamment « l’appartenance
religieuse et le rapport à la famille ». Nous retrouvons ces facteurs dans notre population
d’étude.
1 Le facteur religieux
Le premier facteur mis en avant par les personnes que nous avons rencontrées est le facteur
religieux.
Le 19 février 2008, la Ministre de l’Intérieur Michèle AlliotMarie signait une circulaire relative
à l’aménagement des cimetières dans laquelle elle réa rmait le principe de neutralit dans les
cimetières: « La loi du 14 novembre 1881, dite “sur la liberté des funérailles”, a posé le principe
de nondiscrimination dans les cimetières, et supprimé l’obligation de prévoir une partie du
cimetière, ou un lieu d’inhumation spécifique, pour chaque culte. Ce principe de neutralité des
cimetières a été confirmé par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et
de l’Etat. Les cimetières sont des lieux publics civils, où toute marque de reconnaissance des
diérentes confessions est prohibée dans les parties communes. Seules les tombes peuvent
101Enquête sur le vieillissement et le passage à la retraite des immigrés, menée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse en
collaboration avec l’INSEE.
114
faire apparaître des signes particuliers propres à la religion du défunt.102 » point 1.2 de la
circulaire
Il n’y a donc pas théoriquement incompatibilité entre prescriptions religieuses et inhumation
en France. Toutefois l’enquête PRI révèlent que « les musulmans souhaitent majoritairement
une inhumation dans leur pays d’origine, dans 68
des cas » alors que ce chire est bien plus
bas pour les autres religions. Ce choix de retour ultime pour les musulmans, et les maliens de
Montreuil le sont pour beaucoup, est notamment expliqué par le fait que certaines règles
propres à leur culte ne peuvent être pleinement satisfaites en France: orientation des tombes
cellesci doivent être orientées vers la Mecque, durée des sépultures dans la tradition
musulmane, un corps, une fois rendu à la terre, ne doit plus être remué et ne doit par ailleurs en
aucun cas être brûlé, ce qui pose problème dans le cas des concessions temporaires etc.
Nous retrouvons ces problèmes chez ceux que nous avons interrogés: lors d’un entretien avec
K.A., celuici déclarait: « Oui.. tous les maliens veulent rentrer chez eux une fois mort. Parce
que dans leur tête ici on va les mettre dans une boîte 5 ans, 10 ans et après on va brûler leur
corps. Ils ont ça dans la tête. Mais dans la religion musulmane c’est interdit. Donc ils préfèrent
être enterrés dans leur village d’origine. »
2 La filiation
Plus globalement, c’est tout le rapport particulier que le migrant entretient avec son territoire
d’origine qui transparaît à travers le choix du lieu d’enterrement. Nombreux sont ceux alors à
cotiser dans des associations pour le rapatriement de corps or, comme le souligne Abdellatif
Chaouite, le terme de rapatriemen fait référence à une territorialité d’appartenance et a
également un sens plus ancien de réconcilier, « de réparer la rupture et la culpabilité d’être
parti et d’acquitter la dette qui en résulte. » cité dans AttiasDonfut, Wol, 2005
De nombreuses associations de rapatriement ont donc été créées afin de répondre au souhait
bien partagé des migrants Maliens de Montreuil, et notamment les résidents des foyers, de se
faire enterrer au Mali. Les sommes récoltées permettent de régler les frais de rapatriement en
avion et de participer aux frais de cérémonies afin d’alléger au plus possible l’eort financier de
la famille restée au pays.
Lors d’un entretien avec Niama Keita, Président de l’Association Malienne de Prévoyance
Funéraire AMPF, ce dernier est revenu sur la création de son association: «Si on n’a pas
d’assurance en cas de décès, en cas de malheur, il y a une assurance qui doit s’occuper des décès.
La plupart on avait pas ça. Moi je me suis dit “si on a pas ça, on a oublié quelque chose, on n’est
pas complet”. On a eu les décès d’au moins deux trois. Les ressortissants de la commune de
Sadiola m’ont demandé de faire les démarches entre eux et les pompes funèbres pour envoyer
un corps au Mali. Ca nous revient à 5000 euros, 4500 4600 euros.. ... Si tu as pris cet argent,
la famille qui n’est pas riche, de sortir 6000 7000 euros de la famille avec les frais de
cérémonie, d’ici deux ou trois mois, la famille il n’en reste rien. Estce que c’est raisonnable?
Ce n’est pas raisonnable. ... Je suis allé au foyer j’ai discuté avec les autres, je leur ai proposé.
J’ai dit “si on a 100 150 personnes 200 personnes à 50 euros tous les ans, c’est pas par mois, si
on est 100 150 personnes, pendant deux ans, trois ans, le problème sera résolu”. ... Aujourd’hui
116
oui, on peut faire face, y’a aucune crainte. Ce que moi je crains, ce que je ne veux pas, ce que je
ne veux pas voir c’est qu’une famille ne puisse rapatrier son corps faute de moyens.»
Ces associations de rapatriement sont fréquentes. Elles ne sont pas confondues avec les
associations de développement villageoises même si elles ne s’adressent chacune qu’à un village
ou à un groupe de villages particuliers, bien que parfois les intitulés puissent être trompeurs
telle l’AMPF qui semble indiquer une dimension malienne à l’association or elle ne concerne
qu’une commune particulière.
Le système de cotisation est semblable d’une association à l’autre: celuici est en eet annuel
mais les sommes demandées varient, d’environ 20 à 50 euros selon le nombre de membres.
117
Chapitre III : Un « dédoublement des lieux de l’habiter » ?
En 2005, dans un numéro spécial des Annales de géographi consacré à la géographie des TIC,
Henry Bakis et Baptiste Froment signent conjointement un article consacré à la communauté
réunionnaise installée à Montpellier et à son utilisation d’Internet afin de rester en liaison avec
son territoire d’origine. Pour les deux auteurs, bien que ce territoire soit « éloigné », il continue
à « “habiter” » leur population d’étude. Pour Gabriel Dupuy, dans sa présentation de l’article,
nous avons là une « incitation pour le géographe à repenser la question de l’habiter ».
Nous allons donc dans une première partie de ce chapitre revenir brièvement sur cette notion
d’habiter, puis, dans la seconde partie, nous nous intéresserons à l’articulation entre l’ici et le là
bas chez les Maliens de Montreuil.
I. Habiter le monde
Selon le dictionnaire Le Petit Rober, le terme habiter signifie « avoir sa demeure, ... demeurer,
... vivre dans ». Nous retrouvons la même définition dans le dictionnaire Les mots de la
géographi dirigé par le géographe Roger Brunet où habiter signifie « avoir son domicile en un
lieu ». Toutefois, il s’agit là d’une conception bien trop résidentielle de l’habiter dans laquelle
habiter et habita sont confondus.
En réalité, la notion d’habiter se veut bien plus englobante. Pour le philosophe de l’urbain
Thierry Paquot, l’habiter « possède une dimension existentielle »; selon lui, habiter c’est
«
déployer votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque
et qui devient vôtre. » Il s’inscrit là dans la lignée du philosophe allemand Martin Heidegger
pour qui l’habiter signifie « être présent au monde et à autrui » Paquot, 2007.
118
mobiles103 ». Approcher ces sociétés, qui construisent de l’espace d’une nouvelle façon,
appelle selon lui à une remise en cause du modèle proxémique mis en avant par Abraham Mole
qui « repose sur la primauté de l’Ici et le phénomène d’atténuation avec la distance ». Dans ces
sociétés du mouvement, la congruence entre population et lieu n’existerait plus et les
structures spatiales classiques seraient instables et mobiles. Dans cette situation, l’habiter ne
serait plus « monotopique » mais « polytopique » cf. schémas n°5.
D’après : http://www.espacestemps.net/document1853.html
Selon le géographe Michel Lussault, pour qui « l’être humain a toujours à faire avec l’espace »,
l’habiter polytopique contemporain est « caractérisé par l'existence de plusieurs lieux de
résidence plus ou moins permanente et de nombreux espaces de pratiques électives, choisis
et assumés comme tels, ou de fréquentation imposée. » Lussault, 2007
103
EspacesTemps.ne, « Les sociétés à individus mobiles: vers un nouveau mode d’habiter? », 25/05/05, http://
www.espacestemps.net/document1353.html
119
II. Le mélange de l’ici et du làbas
Dans les discours des Maliens de Montreuil que nous avons questionnés, les termes “ici” et “là
bas” étaient omniprésents. Ce vocable a tendance à tout regrouper: pour l’ici il s’agit à la fois
par exemple du lieu de travail comme du foyer, de Montreuil, de la région parisienne ou de la
France entière; pour le làbas, il s’agit du village, du cercle, de la famille, des amis.. Audelà du
simple jeu de langage, il s’agit bien des deux grands référents géographiques généraux de leur
habiter dans lequel distance et proximité ne vont pas nécessairement ensemble. La culture de
lien médiatisée par les TIC atelle favorisée un brassage de ces deux référents?
Sur un plan technique, le mélange ici làbas semble pouvoir se faire: il est en eet
théoriquement possible d’avoir tous les jours des nouvelles des proches via le téléphone, de
s’investir quotidiennement dans les aaires familiales via Western Union, de participer au
développement socioéconomique du territoire d’origine en montant un projet de “solidarité
numérique”, de suivre les actualités maliennes via l’ORTM, d’en discuter sur les forums des
sites web “maliens” etc. C’est ce à quoi tendrait l’utilisation des TIC par les migrants. Mais
raisonner de la sorte c’est faire le postulat que les TIC sont forcément désirées par les migrants
et que leurs usages, leurs façons de faire avec ces TIC, sont déterminés à l’avance..
Tous les Maliens de Montreuil ne souhaitent pas forcément devenir de véritables migrants
connectés en relation permanente et étroite avec leur territoire d’origine. Alors que nous en
sommes encore loin, ils sont d’ores et déjà nombreux à regretter que les TIC aient réduit leur
capacité à maîtriser la distance. Nous avons vu dans le premier chapitre de cette partie,
consacré aux transferts d’argent, que certains individus mettent en place ce que nous avons
appelé des “stratégies de communication”: cellesci visent précisément à récupérer de la
distance et à s’éloigner de la pesanteur de leurs proches qui a pu s’étendre grâce aux TIC. Il ne
faut en eet pas oublier que la migration répond en partie au désir d’échapper aux pouvoirs des
aînés et à s’extraire d’une position sociale figée.
Nombreux sont également les Maliens de Montreuil à insister sur le fait que toute cette liaison
avec le pays maintenue grâce aux TIC n’est qu’une impression: pour reprendre l’image
employée par un migrant avec qui nous nous sommes entretenus de façon libre, cela
fonctionne comme un mur; mur derrière lequel les Maliens de Montreuil peuvent entendre et
parler mais derrière lequel ils ne peuvent pas voir ce qu’il se passe réellement sur place. Le
120
développement du village, les nouvelles constructions etc., tout cela échappe au migrant
installé en France qui ne le découvre qu’à l’occasion de ses retours. Nombreux sont ceux qui se
sentent au fur et à mesure du temps passé en France devenir étrangers à leur ville ou village
d’origine.
Enfin, malgré l’utilisation des TIC censées faire tomber la barrière de la distance, celleci se
rappelle au migrant, souvent de façon violente, lors de conflits ou à l’occasion de problèmes
divers qui se posent. Les TIC en eet ne fournissent alors que peu d’opportunités d’action. La
sociologue australienne Raelene Wiling dans une étude sur des migrants de diverses
nationalités irlandais, néerlandais, italiens, singapouriens, iraniens et néozélandais en
Australie parle à ce sujet de « technologies des jours heureux104 » Wiling, 2006. En eet si la
situation est bonne, que ce soit ici ou làbas, alors les TIC donnent une véritable sensation de
proximité mais quand la situation se détériore, les TIC paraissent inutiles. Ce fait est souligné
par N.D, femme malienne venue dans le cadre du regroupement familial que nous avons
rencontrée: « Si c’est des bonnes nouvelles, vous êtes dans leur joie. Mais si c’est des mauvaises,
c’est encore plus dur pour vous, isolé d’un pays loin du vôtre. ... C’est pour ça que ça fait du
bien le téléphone mais quand c’est des mauvaises nouvelles ça peut être dur aussi.»
Le mélange de l’ici et du làbas grâce aux TIC modernes n’est donc pas aussi franc que nos
croyances et nos premières observations rapides sur le terrain nous le laissaient penser. Au
contraire, ce que nous venons de voir nous invite à nuancer notre vision initiale...
L’ensemble des Maliens de Montreuil que nous avons rencontrés105 restent en relation avec leur
territoire “d’origine”, bien qu’ils en soient physiquement éloignés. Cela a toujours été vrai. Pour
ce faire, ils ont utilisés et utilisent diérentes techniques d’information et de communication
dont nous retraçons l’évolution générale dans le tableau cidessous cf. tableau n°8.
Années 1960 Années 1970 Années 1980 Années 1990 Années 2000
Lettres et Courriers
Cassettes audio
Internet
Toutefois, les pratiques transnationales médiatisées par les TIC ne dépendent pas seulement
de l’ore technologique. Elles s’inscrivent dans un contexte d’ensemble. En eet, comme nous
l’avons vu tout au long de ce mémoire, rentrent en ligne de compte des éléments propres à
chaque individu intégration dans la société d’accueil, revenus, âge.. ainsi que des éléments
politiques et sociaux ex.: chute du régime militaire de Moussa Traoré, fermeture des frontières
françaises en 1974 etc..
Nous nous situons donc à distance des discours selon lesquels hommes et machines
convergeraient dans un monde où la localisation géographique n’aurait plus aucun sens, et ce au
plus grand bénéfice des migrants. Nous avons en réalité des individus qui s’approprient les
techniques d’information et de communication dans leur quotidien, qui souhaitent garder la
maîtrise de la distance nous l’avons vu à propos des transferts d’argent et qui continuent a
maintenir, pour ceux qui le peuvent, un lien physique avec leur territoire d’origine.
C’est pourquoi il ne nous semble pas que les Maliens de Montreuil soient rentrés dans un
«
nouvel âge » Diminescu, 2002. Certes, les avancées technologiques sont là, mais elles n’ont
pas, du moins pour l’instant, abouties à la formation d’une nouvelle condition unique, stable et
définitive comme sa formulation le suggère, celle du « migrant connecté » Dana Diminescu,
2007. En réalité, les pratiques transnationales sont des pratiques mouvantes, qui se
réinventent au quotidien, qui sont le fruit d’actions volontaires sans cesse renouvelées, avec
une prise en compte tant des aspects positifs que négatifs des TIC, et qui s’inscrivent dans un
contexte social. Pluriels, nous avons aaire à des individus se connectan...
123
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127
Annex
1 Projet de recherche initial
L’époque actuelle est caractérisée par ce que l’on peut nommer une révolutio et une explosio des
Technologies de l’Information et de la Communication TIC. De par les potentialités qu’elles orent,
ces technologies transforment profondément le rapport des hommes à l’espace: le philosophe et
académicien, Michel Serres, parle ainsi de l’émergence d’un “nouvel universel, non centré” dans lequel
“le milieu gît en tout lieu, et toute chose, toute place, tout homme, tout groupe ou toute phrase y
occupent ... un site focal” Serres, 1994. De là à l’a rmation de la fin de la géographie, comme
certains ont pu le faire nous pouvons citer à titre d’exemple J.M. Guéhenno et son ouvrage L’avenir d
la libert, Flammarion, 1999, ou encore R. O’Brien auteur de Global Financial Integration: the end of
geography, Chatham House, 1992 , il n’y a qu’un pas qu’il faut cependant se garder de franchir.
Néanmoins, se pose la question du rapprochement permis par les TIC; question qui prend tout son sens
lorsque l’on s’intéresse aux migrations et aux diasporas. En eet, les populations qui les composent,
d’ordinaire en “rupture physique, aective et culturelle avec le territoire quitté” Scopsi, 2004,
deviennent, grâce aux nouveaux outils que sont Internet, la téléphonie mobile etc., “acteurs d’une
culture de lien” Diminescu, 2007 leur permettant, tout en étant à distance de leur pays d’origine,
d’entretenir des rapports de proximité avec celuici.
C’est sur cette culture de lien que mon travail portera. Pour cela je m’intéresserais aux pratiques, usages
et représentations des TIC de la communauté malienne de Montreuil ville de SeineSaintDenis
connue pour l’importance de sa population originaire du Mali. Les questions aborderont ainsi le choix
des outils utilisés Internet, téléphone.., les lieux d’accès privés ou collectifs, les informations
recherchés sites Internet visités, les personnes contactées France Mali, les actions et/ou projets en
cours actions de solidarité numérique envers le pays d’origine, amélioration des conditions d’accès en
France etc... afin d’analyser ce “dédoublement des lieux de l’habiter” Dupuy, 2005 autorisé par les TIC.
La communauté malienne sera abordée par le biais de diérents foyers situés sur le territoire de la
Commune de Montreuil. Ayant travaillé au cours de ma troisième année de Licence avec des
associations basées sur place Groupe de Recherches et de Réalisations pour le Développement Rural,
Association des Ressortissants de la Commune de Sadiola en France, je dispose d’ores et déjà de
contact avec des maliens logeant dans un des foyers, le foyer Bara.
Enfin, je compte adopter un calendrier de travail me permettant de soutenir au mois de juin: du mois
d’octobre à mijanvier je réaliserais essentiellement le travail bibliographique me permettant d’a ner
ma problématique, de mieux cerner le sujet et de préparer mes questionnaires; de mijanvier à la fin du
mois d’avril, je réaliserais les enquêtes sur le terrain; et enfin, le mois de mai sera quant à lui entièrement
consacré à la rédaction du mémoire.
Evidemment, les pistes énoncées ici seront sans doute amenées a évoluer.
128
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 1
Les entretiens 3
SOMMAIRE 8
I. La rupture migratoire 10
2 Emigrant / immigrant 11
2 Etatnation et immigration 13
1 La noria humaine 14
2 La chaîne migratoire 15
III. Le transnationalisme 17
4 Transnationalisme et T.I.C. 21
129
5 Avantages et qualités transgressives du transnationalisme 23
2 Des relations avec le pays d’origine façonnées par les politiques migratoires
françaises 33
1 La société de l’information 52
2 La fracture numérique 54
1 Un Président eAfricain 57
130
III. La Région de Kayes, une Région enclavée? 61
2 Le courrier postal 62
3 Les radios 63
4 Le téléphone 64
5 Internet 65
1 La cassette audio 67
2 La lettre 68
1 Les domiciles 86
3 Les téléboutiques 88
2 La filiation 115
CONCLUSION 122
Bibliographie 124
Annexe 128
132
Table des encadrés, tableaux, graphiques, illustrations et schémas
Graphique n°1 Evolution du nombre de lignes téléphoniques fixes et d’abonnés au téléphone mobile au
Mali pour 100 habitants / page 59
Graphique n°2 Popularité des sites web “maliens” / page 81
Graphique n°3 Popularité des services du web “malien” / page 83
133
Graphique n°4 Les transferts de fonds à destination du Mali / page 90
134