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La Nuit
rwandaise REVUE ANNUELLE
NUMÉRO 4 • 13 MAI 2010
Nuit 4 07/05/10 16:10 Page 2
ladylongsolo.com
ou , à Paris,
38, rue Keller, 75011
Direction de publication :
Michel Sitbon
Rédaction en chef :
Bruno Gouteux
Merci à toutes celles et ceux qui se
sont dévoués pour corrections et
relectures.
ISBN 10 2-84405-243-6
EAN 13 978-2-84405-243-8
Nuit 4 07/05/10 16:10 Page 3
371
Initiative citoyenne• “MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE...” 367
373
LDH• FRANCE RWANDA BEAUCOUP DE QUESTIONS, PEU DE RÉPONSES
375
LNR• LE 13 MAI, JOUR DU REPENTIR
379
Survie• LE GÉNOCIDE DES TUTSI FAIT PARTIE DE NOTRE HISTOIRE
CEC• LES CONSÉQUENCES DU COMPORTEMENT DE LA FRANCE
385
391
GMIF• BONNE CHANCE À LA FRANCE
395
MJS LA FRANCE DOIT LA VÉRITÉ ET LA JUSTICE AU SUJET DU GÉNOCIDE
401
Document L’APPEL RWANDA D’AOÛT 1994
Michel Sitbon LA VÉRITABLE MISSION DE TURQUOISE
Yolande Mukagasana
419
LA RÉCONCILIATION FRANCO RWANDAISE N’EFFACE PAS LA RESPONSABILITÉ
425
FRANÇAISE DANS LE GÉNOCIDE DES TUTSI DU RWANDA
427
Privat Rutabwiza SARKOZY TOURNE LA PAGE DES SORCIERS
445
Vénuste Kayimahe ENCORE UN EFFORT, MESSIEURS LES PRÉSIDENTS
449
Joël Dockx UNE JOURNÉE COMME LES AUTRES...
457
Jean Ndorimana QUE SONT REVENUS FAIRE LES SOLDATS FRANÇAIS EN JUIN ?
484
Cris Even RÉPONSE À BRAUMAN
491
Michel Sitbon CARL SCHMITT ET LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE
Document SUR LA COOPÉRATION POLICIÈRE FRANCO-MEXICAINE
ÉDITORIAL
Cela fait quatre ans maintenant que, chaque année, nous ras-
semblons des textes consacrés à l’implication française dans le dernier
génocide du XXème siècle, le génocide des Tutsi du Rwanda, en 1994.
En hommage à Jean-Paul Gouteux, qui de 1994 à sa mort aura
été le dénonciateur implacable de ce crime de l’État français, qu’il
qualifiait de « Rwandagate », nous avons emprunté le nom de cette
revue à son livre La Nuit rwandaise, la dénonciation la plus impitoya-
ble de l’ignominie française, et jusqu’à peu, la plus documentée.
Saluons ici la parution du livre de Jacques Morel, La France au cœur
du génocide des Tutsi, un grand livre de 1500 pages qui résume le plus
grand scandale de la République.
La Nuit rwandaise est ainsi devenu le nom de ce scandale qui se
prolonge depuis bientôt vingt ans. Cela fait presque vingt ans que la
France intervenait au Rwanda, en octobre 1990, et depuis vingt ans
une sombre nuit s’est abattue sur la démocratie française. Car, ainsi
qu’on a pu l’étudier et le décrire abondamment dans cette revue
comme dans de multiples livres, articles, travaux universitaires,
conférences ou documentaires, c’est depuis le premier jour de cette
intervention décidée par François Mitterrand que l’armée française a
contribué on ne peut plus activement à l’un des plus grands crimes
racistes de tous les temps.
Depuis vingt ans de même, on enregistre avec stupeur le grand
silence des médias, l’horrible complicité de ceux qui ont pour fonc-
tion de préserver la démocratie de telles dérives. Le bruit que certains
peuvent faire par moments s’est bien trop souvent avéré répondre
aux besoins classiques de ce qu’on appelle la désinformation.
Nous sommes quelques uns à penser que l’étude et la dénoncia-
tion de ce crime politique hors normes sont non seulement nécessai-
res d’un point de vue éthique, mais particulièrement intéressantes
pour mettre à nu les mécanismes les plus fondamentaux de la science
du pouvoir telle qu’elle est mise en œuvre à notre époque.
Ainsi, nous sommes confrontés d’emblée à un scandale politi-
que d’un autre degré encore, lorsque nous ne pouvons que constater
l’invraisemblable cohésion qui aura entouré ce crime dégueulasse.
Faut-il dire que c’est l’ensemble de la communauté nationale qui s’est
ainsi compromise ? Oui, manifestement.
Aussaresses dément bien sûr, il n’a « rien à voir avec ce que les
Américains ont fait au Viêt-nam ». « Ils étaient assez grands pour se
débrouiller tous seuls. » Il avoue bien connaître William Colby, qui a
dirigé la dite opération Phénix, mais il ne sait rien « de ce qu’il a pu
faire au Viêt-nam ou ailleurs ».
À Fort Bragg, il enseignait les méthodes de la guerre révolution-
naire à des « stagiaires » américains, mais aussi « alliés ». « Il y en
avait beaucoup qui venaient des pays d’Amérique latine. » « Bolivie,
Argentine, Mexique, Colombie, Brésil, Paraguay, Uruguay, Chili et
Venezuela. » La liste est précise. Le vieil homme se vante de sa
bonne mémoire, tenant au fait qu’il écrivait « le moins possible » –
pour ne pas laisser de traces de ses crimes.
– Mais, dites-moi, tous ces pays étaient ou allaient devenir des
dictatures militaires, non ? remarque Deniau. Et c’est à partir de
1964, à la fin de votre séjour américain, curieux, non ? […] Les
Américains, à l’époque, faisaient tout pour instaurer et soutenir
des dictatures en Amérique du Sud. […] Et les Français partici-
paient à cette politique, en toute connaissance de cause ?
demande-t-il.
– Bien entendu qu’ils participaient et ils étaient tout à fait au
courant du contexte, répond Aussaresses. Vous croyez que Pierre
Messmer ignorait quelle était ma mission à Fort Bragg et Fort
Benning ?
Il n’enseignait qu’à des officiers, « capitaines au minimum et un
peu plus haut dans la hiérarchie ». « Tous triés sur le volet. »
Je leur apprenais ce que j’avais vu et fait en Indochine et ce que
j’avais vu et fait en Algérie. […] Toutes les techniques de la
guerre subversive, la lutte contre la guérilla urbaine, le quadril-
lage des quartiers, l’infiltration, comme je l’avais fait à
Philippeville et pendant la bataille d’Alger, et puis surtout nos
méthodes pour récolter du renseignement. […] Je leur apprenais
comment l’état-major français avait procédé pour lutter contre la
guérilla urbaine. Je leur décrivais les différentes étapes des opéra-
tions à mener pour éradiquer le terrorisme, d’abord les arresta-
tions préventives pour neutraliser les meneurs, […] le quadrillage
des quartiers, l’exploitation du renseignement et les arrestations.
À ce propos, nous disions qu’il fallait « vider l’eau dans laquelle les
poissons se déplacent ». Cette image est claire. C’est la seule
méthode pour venir à bout du terrorisme urbain. Nous ajoutions
même que « s’il fallait vider une piscine avec une petite cuiller pour
attraper les gros poissons, nous étions prêts à le faire ».
Apocalypse now, titrait Francis Ford Coppola, pour son film décri-
vant un épisode typique de guerre révolutionnaire, dans son décor
d’origine, l’Indochine du colonel Trinquier. Marlon Brando, incar-
nant le guerrier révolutionnaire poussé au bout de sa logique, résumait
ce dont il est question en deux mots : « L’horreur, l’horreur…»
sommes dans une situation où les comptes vont se régler sur place.” Cette
phrase horriblement glaçante, une semaine après le début du géno-
cide, où “les comptes” avec “l’ennemi intérieur” tutsi se “réglaient”, en
effet, “sur place”...
Un des trente-trois responsables politiques et militaires dénon-
cés par le rapport Mucyo, le général Quesnot, déclarait dans
L’Express du 28 octobre 2009, qu’il souhaiterait pouvoir poursuivre
en diffamation les rapporteurs rwandais, mais en était empêché par
l’immunité diplomatique dont bénéficie un État étranger. C’est pour
ça que l’association France-Rwanda-Génocide, enquête, justice et répa-
rations a diffusé un communiqué réitérant les accusations contenues
dans le rapport Mucyo contre le chef d’état-major particulier de
François Mitterrand, considéré comme un des principaux responsa-
bles de la politique génocidaire française. La Nuit rwandaise y souscrit
à son tour. Si le général Quesnot souhaitait réellement laver son
honneur, et ne procédait pas seulement par effet d’annonce, nous
nous offrons pour tout débat public, y compris judiciaire, qui puisse
être l’occasion d’examiner le plus complètement possible la réalité de
son action. De même pour tous les autres responsables dénoncés ici
comme dans les précédents numéros de La Nuit rwandaise.
Tout le monde comprend que ces deux faces d’une même pièce, l’ar-
mée et l’espace colonial qu’elle contrôle, sont nécessaires à la « gran-
deur » du pays. « Idéologie française », la « mission de la France »
habite l’inconscient collectif tout comme la conscience de nos élites
criminelles. Le messianisme discret de la « fille aînée de l’Église »
imprègne ce pays au moins depuis Louis XIV et son ambitieuse par-
ticipation à la Contre-Réforme catholique. En fait, dès François 1er,
on pouvait voir la furia francese déferler sur l’Italie. Et, remontant le
temps, on entend la terrible voix de Saint-Bernard, à Vezelay, appe-
lant aux croisades. Mais l’ensemble de ce dispositif va profondément
se renouveler en 1789, avec la Marseillaise et le début des guerres
révolutionnaires qui, d’emblée, permettaient de mobiliser le peuple y
compris pour des guerres laïques. Et c’est en 1793, dans le contexte
des guerres vendéennes, qu’apparaît pour la première fois la lutte
contre « l’ennemi intérieur » au degré du génocide :
– On ne chasse pas l’ennemi du dedans, dit Robespierre.
– Qu’est-ce donc qu’on fait ? demande naïvement Danton.
– On l’extermine, répond Robespierre.
INTERVIEW
Un soldat français
parle
Propos recueillis par Valérie Marinho de Moura
Je crois qu’il y avait quand même une certaine hostilité à l’égard des
paras en ville notamment. On circulait en territoire conquis, sur nos
véhicules avec tête de buffle sur le capot, toujours en armes.
C’est quand la date de tir du missile, à peu près ? Vous avez appris
aux Rwandais à s’en servir ? En ont-ils gardé ?
Faudrait vraiment que je fasse un travail de mémoire. Je crois que je
n’étais plus basé sur Mont Jari. On était à Kigali, ça ne devait sans
doute pas être très loin de notre départ, fin 1993. Je ne sais pas où
sont passés ces missiles, ils demandent quand même une très bonne
instruction pour les manipuler.
De même, on avait vu des véhicules légers, façon buggy. Je sais plus
s’ils étaient de chez Renault mais si on en vendait au Rwanda, nous
en France, on n’en avait jamais vu.
Je crois que ce qui était très coûteux pour la France, c’était ces
fameux véhicules d’écoutes, vraiment du top matos, et il fallait les
protéger. Un truc intéressant, quand on partait en mission, on nous
demandait de nous débarrasser de nos vêtements militaires français,
de nos pièces d’identité, etc. Puis on nous dirigeait sur le QG fran-
çais de Kigali, on nous donnait des vestes camo [de camouflage] bel-
ges, un FAL (fusil d’assaut Belge) et des chargeurs. Puis on partait
dans un pick-up banalisé jusqu’à la ligne de front.
Tandis que le véhicule travaillait sur ses écoutes, nous, on était dans
un trou à observer les mouvements ennemis. Si jamais on était pris,
on devait s’identifier comme mercenaires. Autant dire qu’il aurait
mieux valu se faire sauter la cervelle plutôt que de se faire découper
à la machette. Ils ont le coup de machette facile.
Les rebelles pour vous c’étaient les grands sur le territoire rwan-
dais ? Comment était présenté le FPR, les Tutsi ?
On nous chantait que nous devions protéger les pistes et routes accé-
dant à la ville par des bataillons rebelles. Le grand manitou en chef
nous avait dit que sur la ligne de front et, je pense, d’une façon géné-
rale, que nous les reconnaîtrions par leur grande taille. Je n’ai pas le
souvenir de speech sur les Tutsi. À mon niveau, l’essentiel était de
faire son boulot sans réfléchir. Je me souviens qu’avant notre départ,
notre section avait reçu une lettre de remerciement par le président
rwandais. Nos chefs, eux, avaient reçu la médaille de la paix rwan-
daise je crois. Ils avaient même eu droit à un tour dans le fameux
avion du président qui allait sauter plus tard.
C’est à se demander même si l’avion n’a pas sauté avec un missile
Milan, la guerre était bien là de toute façon. La France était là pour
vendre, entraîner, assister et protéger le Rwanda. Bref, faut que je
fasse un effort de mémoire. À mon retour, j’ai été malade.
Tu t’es guéri ?
Oui, mais tu l’es vraiment jamais. Je suis un peu pourri de l’intérieur.
Trente pour cent de nos effectifs ont été malades je crois, la plupart
des soldats ont eu la malaria. Est-ce que vous avez des témoignages
d’autres militaires ?
S’agissant de la torture, je ne l’ai jamais vu pratiquée ou même ensei-
gnée. Je n’en ai jamais entendu parler sur place ni à mon retour.
Oui, les massacres du Bugesera par exemple, peu avant ton arri-
vée, des milliers de gens massacrés, des milliers de réfugiés.
Bref... Une énorme hypocrisie française. Et puis dans les années 90,
qui connaissait le Rwanda ? Maintenant, l’histoire d’avoir fourni les
machettes et d’avoir appris à s’en servir, c’est n’importe quoi.
Les lignes de front sur lesquelles vous alliez, tu pourrais les situer ?
Les lignes de front, non pas moyen. On partait à l’aube, on avait suivi
une route bitumée jusqu’à un check point, on était en altitude je
crois, ça grimpait. Puis on a retrouvé ce fameux véhicule, une sorte
de fourgon blindé. On était dans un camp militaire avancé rwandais.
Sur les photos, vous devriez avoir une image avec quelques gars en
veste camo [de camouflage] belge et pantalon de treillis français.
En 1993, les troupes françaises n’étaient plus dotées de treillis
camouflés. Sur cette même image, les paras devraient porter des cha-
peaux de brousse américains.
Merci, Sébastien.
1 http://www.lanuitrwandaise.net/la-revue/no2-o-2008/temoignages-aupres-de-la,131.html
2 http://jcdurbant.wordpress.com/2008/08/07/rwanda-on-avait-ordre-de-ne-pas-bouger-france-
lies-low-as-it-dubious-role-in-rwandas-genocide-is-brought-up-again/
BRUNO BOUDIGUET
Bernard Kouchner,
le maître des apparences
Selon le mot de François Mitterrand, l’amiral Lanxade aurait
été le “maître des méthodes”. Bernard Kouchner, lui, aura
toujours été le “maître des apparences”. Véritable machine à
propos vertueux, le french doctor a été au Rwanda pour ten-
ter de sauver la face de la République génocidaire. Rude mis-
sion. Mais, depuis le Biafra, le docteur a de l’expérience...
CONCLUSION
sée pour ouvrir des couloirs humanitaires (et ainsi contribuer, à son
insu ou pas, à redorer le blason du gouvernement du génocide), il ne
pouvait que défendre la politique de François Mitterrand, ce qu’il a
fait lors d’un débat télévisé contre André Glucksmann. Il a égale-
ment semé la confusion sur le rôle déterminant de la machine étati-
que rwandaise en décrivant une situation chaotique où la rue gouver-
nait. Ce qui est en soi une forme de négationnisme puisque tout
génocide est le fruit d’une politique intentionnellement criminelle
de la part d’un État. À cette époque, ce positionnement lui permet
de protéger les parrains du génocide, François Mitterrand et Édouard
Balladur.
Il a ensuite soutenu l’opération Turquoise, qui sous couvert
d’humanitaire a protégé un gouvernement d’assassins et son retrait
en bon ordre, alors que le génocide est quasiment terminé et qu’il ne
continuera que dans les zones contrôlées par la France. Certes, il par-
lera plus tard du terrible échec de Turquoise, mais pour dire juste
après qu’il regrette que l’opération ne se soit pas faite sur Kigali ! Ce
qui aurait partitionné le Rwanda et donc permis à l’appareil génoci-
daire d’être encore à la tête d’un État souverain et légitime...
Dix ans plus tard, il fustige les « erreurs d’analyse » de
Mitterrand qui ont fait que ce dernier a soutenu plus que de raison le
camp des extrémistes du Hutu Power. Mais c’est pour aussitôt dire, en
concordance avec les conclusions de la mission Quilès, que la France
ne s’est en aucun cas compromise dans le génocide en lui-même. Il
reconnaît le génocide, s’insurge contre les courants révisionnistes et
négationnistes – et donc exècre le débat qui entoure la prétendue
responsabilité du FPR dans l’attentat du 6 avril par exemple – portés
par les propos de certains de ses collègues politiques, mais agit
comme un véritable croisé de l’innocence française au Rwanda.
Or, toute la documentation accumulée depuis quinze ans sur
l’implication de l’État français va dans le sens d’une co-responsabilité
franco-rwandaise a minima dans ce génocide. Il nie totalement la
spécificité néo-coloniale de cette entreprise d’extermination.
Dans ces conditions, il est même à se demander si c’est à ce prix
que le locataire du Quai d’Orsay reconnaît le génocide. Ou bien est-
ce le génocide dans son ensemble que Kouchner refuse de reconnaî-
tre ? Ce serait une forme de négationnisme beaucoup plus insidieuse
que les coups de boutoir des Péan, Hogard et autres : d’une part,
l’exécution d’un génocide ne peut que suivre une phase préalable de
Notes
1. Lire François-Xavier Verschave, La Françafrique, Stock, 1997.
2. Entretien avec Bernard Kouchner. « Nous entrons dans une époque où il ne sera plus possible
d’assassiner massivement à l’ombre des frontières » nous déclare le secrétaire d’État à l’action
humanitaire, in Le Monde du 30 avril 1991.
3. Un entretien avec M. Bernard Kouchner, op. cit.
4. Comme toujours dans les cas de très grande catastrophe, l’estimation est difficile. Un à trois
millions, selon les sources.
5. La qualification de génocide au Cambodge fait débat chez les spécialistes. À noter que le cri-
tère politique a été écarté de la charte de l’Onu sur le génocide, à la demande de l’URSS...
Rappelons aussi que l’Onu a soutenu les Khmers rouges y compris après qu’ils aient été
évincés du pouvoir – ceux-ci conservant leur siège dans l’arène internationale de nombreu-
ses années après.
6. Libération, 29 septembre 1979, Patrick Sabatier.
7. Une disparition si opportune... Le procès de Pol Pot aurait embarrassé aussi bien les Khmers
rouges que Pékin, Paris ou Washington. Libération, 17 avril 1998 .
8. France 3, 10 octobre 1990.
9. Le Monde, 30 avril 1991.
10. Le Monde, 20 mai 1994.
11. Il serait plus juste de dire : « divisées par cinq ».
12. Kouchner inverse les deux événements.
13. Humanitaire, n°10, avril 2004.
14. Notamment un rapport sous l’égide de la FIDH publié en mars 1993. Jean Carbonare, son
rapporteur, avait d’ailleurs averti Bruno Masure de l’imminence d’un génocide.
15. TF1, 10 mai 1994.
16. Bernard Kouchner préfère dire qu’il est en mission pour l’Onu ou bien qu’il voyage à la
demande du FPR. Sa tartufferie humanitaire en 1994 au Rwanda est parfaitement démon-
trée dans l’article de Jacques Morel et Georges Kapler, Concordances humanitaires et géno-
cidaires, La nuit rwandaise, n°1, 2007. Nous ne faisons qu’un bref résumé sur ce sujet.
17. Roméo Dallaire, J’ai serré la main du diable, Libre expression, 2004.
18. Nous revenons plus loin sur l’idée d’intervention française à Kigali.
19. Déclaration multi-diffusée sur France 3 le 14 mai (12h, 13h, 19h, 23h), ainsi qu’au journal
de 20 heures de France 2.
20. Citations tirées du film de Jean-Christophe Klotz, Kigali, des images contre un massacre.
Nous ignorons si ces propos ont été diffusés dans les médias.
21. Cité par Renaud Girard, Rwanda : le combat singulier de Marc Vaiter, Le Figaro, 16 mai 1994
22. Humanitaire, n°10.
23. JT de France 3, 18 mai 1994.
24. De la part de politiques, militaires, ou journalistes. Il est à noter que France 3 diffuse cette
interview à midi, mais, dans les deux éditions du 19/20, coupe le passage sur le génocide des
Tutsi pour ne garder qu’un passage sur le droit d’ingérence.
25. TF1, journal de 20h, 18 mai 1994.
26. Le Monde, 20 mai 1994.
27. France Inter, 18 mai 1994, 13h.
28. TF1, 18 mai.
29. Kigali, des images contre un massacre.
30. À partir de l’ouvrage de Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable, publié aux Arènes en 2004
lors de la dixième commémoration du génocide. Le livre touche un public plus large.
31. Pourtant, le leitmotiv humanitaire, qui est l’étendard de l’opération Turquoise qui n’inter-
vient qu’en toute fin de génocide, sera repris par Kouchner, qui, bien que regrettant son
aspect « tardif », en soulignera la « nécessité ». Source : Les réactions françaises, Le
Monde, 24 juin 1994.
INTERVIEW
Alain Gauthier :
“Tout n’est pas réglé”
L’action inlassable du CPCR pour que des poursuites judiciai-
res soient engagées contre les responsables du génocide des
Tutsi qui ont trouvé refuge en France, se heurte depuis des
années au mauvais vouloir de la justice française. Cette pas-
sivité est particulièrement scandaleuse à la lumière des pro-
cédures qui ont abouti au rejet de la demande d’asile
d’Agathe Habyarimana, où l’on peut voir comment cette
même justice est très bien informée de la gravité des crimes
reprochables aux génocidaires rwandais. [Voir Le procès
d’Agathe H. dans La Nuit rwandaise n°3.]
des Tutsi, ils doivent rencontrer les témoins que nous citons dans nos
plaintes et trouver éventuellement d’autres témoins. Les parties civi-
les que nous sommes leur ont déjà bien mâché le travail… La justice
française a manifestement changé d’attitude mais, comme nous le
disons sans cesse, nous devons rester vigilants et être, encore et tou-
jours, la “mouche du coche” afin que toutes ces affaires ne tombent
pas dans l’oubli.
Dans les statuts du CPCR, on peut lire que votre action concerne
“ceux qui, résidant en France et soupçonnés d’implication dans le
génocide, ne font pas encore l’objet de poursuites judiciaires, afin
qu’ils répondent de leurs actes devant les tribunaux français”.
Pour l’instant, seuls des Rwandais résidant en France ont été la
cible de votre travail et de vos investigations. Peu de choses fil-
trent sur l’avancée des plaintes portées au Tribunal aux armées par
des Rwandaises (plainte contre X pour viol pendant l’opération
Turquoise par des soldats français), plainte à laquelle l’association
Survie s’est associée. Peut-on imaginer que vous portiez également
plainte un jour contre des Français ?
La justice française
enfin en marche ?
À l’aube de la seizième commémoration du génocide des Tutsi
perpétré au Rwanda en 1994, il semblerait que la justice française,
après avoir fait preuve d’une inertie coupable pendant de trop lon-
gues années, se soit décidée à prendre au sérieux les nombreuses
plaintes déposées sur le bureau des juges d’instruction parisiens par le
CPCR et d’autres associations (Survie, FIDH, LDH).
La première bonne nouvelle est venue en octobre dernier lors-
que Madame Alliot-Marie, ministre de la Justice et Garde des
Sceaux, a fait part de son intention de proposer au parlement fran-
çais la création d’un « pôle d’enquêteurs spécialisés » pour crime de
génocide. Depuis plusieurs mois, le Ministère des Affaires Etrangères
s’était exprimé sur la création d’un tel pôle d’enquêteurs mais le
ministère de la justice était resté sourd à sa demande.
Les avocats du CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le
Rwanda) s’étaient aussi exprimés à plusieurs reprises sur le sujet et
n’avaient eu de cesse de demander la mise en place d’une telle struc-
ture. Début mars, le parlement a été saisi du projet. Espérons que d’ici
la fin de l’année la France se sera dotée d’une institution qui existe
déjà dans d’autres pays. Une inquiétude cependant : quels moyens
seront dégagés pour permettre à ce pôle d’enquêteurs de fonctionner
efficacement ? Les juges d’instruction seront-ils déchargés, comme ils
le demandent, et comme nous le demandons avec eux, de tous les
autres dossiers qui encombrent leur bureau ?
Un deuxième événement est venu illustrer la nouvelle donne
en matière de justice. À peu près à la même date, Mesdames Pous et
Ganascia, en charge des dix premières plaintes, et en particulier cel-
CHRISTOPHE BARONI
Le gYnocide dans le
génocide des Tutsi
Les lecteurs de La Nuit rwandaise connaissent les tenants et
aboutissants de l’un des plus atroces génocides qui ont ensanglanté le
vingtième siècle.
Aussi est-ce sur un aspect particulier que je désire focaliser l’at-
tention – avec l’espoir que cela contribuera à sensibiliser davantage
les femmes, à travers le monde, à cette tragédie minutieusement pro-
grammée – et dans l’accomplissement duquel l’Armée, le
Gouvernement et la Présidence du « pays des Droits de l’Homme »
et ses services secrets ont joué un rôle sinistre. Les agissements de
l’inénarrable capitaine Paul Barril et de ses acolytes devront être
pleinement dévoilés, et l’on peut compter à cet égard sur La Nuit
rwandaise. – Les gens informés savent, depuis l’affaire des Irlandais de
Vincennes (1982), que ce curieux personnage est un spécialiste des
preuves fabriquées ; mais, peut-être parce qu’il en sait long sur les
affaires de pédophilie impliquant dans les années 80-90 de très hau-
tes personnalités françaises jusqu’à l’Élysée (affaire Doucé en particu-
lier), il s’en tire en général, sur le plan pénal, avec une pirouette.
L’aspect particulier du génocide que je tiens à mettre en
lumière, ce sont les viols systématiques de femmes, d’adolescentes,
voire de fillettes ou de bébés tutsi. Ces horreurs dans l’horreur furent
un gYnocide. Ne cherchez pas (pas encore) ce mot dans les diction-
naires. Je l’ai trouvé récemment en surfant sur des sites féministes où
sont dénoncées les mesures discriminatoires qui, depuis les années 80
et à la faveur de la détection du sexe au cours de la grossesse, empê-
chent de naître nombre de filles, notamment en Inde ou aux Émirats
arabes unis, en Chine ou au Tibet – le communisme n’ayant que
stoppé, et non éradiqué, les idées ancestrales de supériorité et de
suprématie masculines. Ici, je prends ce terme de « gynocide » dans
ces mères contraintes de se faire violer par leurs propres fils. Celles
qui, après de tels viols, ont été laissées en vie ont de quoi devenir fol-
les. Des pères furent contraints de violer leur fille : si l’excitation
sexuelle des interahamwe était seule en cause, ils se seraient à la hus-
sarde vidés dans les orifices de leurs victimes, sans imaginer ces raffi-
nements de sadisme qui ont souvent caractérisé le génocide de 1994
– ce qui n’empêche pas, aujourd’hui encore, les ignorants et les dés-
informateurs cyniques d’en parler comme de « tueries interethni-
ques ». Après avoir exterminé sous ses yeux toute sa famille, les inter-
ahamwe laissèrent vivre un vieillard, pour qu’il mourût de chagrin :
à côté de ces bourreaux, le marquis de Sade semble un enfant de
chœur.
Quand les tueurs arrivèrent à l’hôpital de Butare, ils achevèrent
sans pitié malades et blessés tutsi, puis firent le tri entre infirmières
hutu et infirmières tutsi. La mort dans l’âme de ne pouvoir intercé-
der en faveur de ces dernières, un médecin de MSF les supplia de lui
laisser une infirmière hutu enceinte qu’ils emmenaient avec ses col-
lègues tutsi. « Attendez, nous allons vérifier », répondirent-ils. Avec
une minutie que je qualifie d’« ecclésiastique » – acquise probable-
ment au contact des Pères Blancs –, ils se rendirent à l’administra-
tion communale pour y consulter le registre des habitants. « C’est
vrai, elle est hutu, mais l’enfant qu’elle a dans le ventre est de père tutsi,
c’est un Tutsi, il doit donc mourir. » Comme tant de femmes tutsi,
cette Hutu fut éventrée et son fœtus arraché de ses entrailles.
Je crois entendre, se confondant avec les appels au génocide
lancé au Pays des Mille Collines par les « médias de la haine », la
voix sinistre du chef de l’État croate Ante Pavelic qui, peu après
avoir été reçu en audience privée par Pie XII, déclarait devant ses
troupes : « N’est pas un bon Oustachi celui qui ne peut arracher au cou-
teau un enfant des entrailles de sa mère ! » Ces abominations eurent
pour cadre, de 1941 à 1945, un pays encore plus catholique que le
Rwanda de 1994 : la Croatie nationaliste où Mgr Stepinac – dont
Jean-Paul II a cru devoir faire un « bienheureux » – régnait comme
Mgr Perraudin régna sur le Rwanda1. Le sadisme des Oustachis croa-
tes révulsa même des officiers nazis, qui pourtant étaient leurs alliés.
Croatie, Rwanda : même horreurs, mêmes ordres, même vocabulaire
– « Tuez aussi les fœtus » ; massacrer, c’est « travailler ». En Croatie
aussi, on rassemblait volontiers dans les églises ceux qu’on allait
exterminer. Même mépris, même sadisme, même acharnement,
même sentiment d’impunité, notamment grâce à l’appui explicite de
NOTES:
1 Le regretté Jean-Paul Gouteux avait vu juste quand il dénonçait et déplorait le rôle criminel
de l’Eglise catholique dans le génocide des Tutsi : relisez, dans La Nuit rwandaise nº 2 (7
avril 2008), les excellents articles de Jean Damascène Bizimana et d’Yves Cossic (pp. 267-
268, on y retrouve notre Matata négationniste, lors d’une soirée habilement organisée par
des « associations catholiques et prétendument humanitaires »). Dois-je ici rappeler que
dans le quartier musulman de Kigali, les Hutu épargnèrent leurs coreligionnaires tutsi, car
un musulman ne tue pas son frère ? Il serait temps que le Vatican apprît à lire et à mettre
en pratique l’Evangile. L’Opus Dei, dont auraient fait partie le roi des Belges Baudouin Ier
et peut-être le dictateur Habyarimana, est une force d’autant plus redoutable qu’elle est
occulte. M’inspirant de ceux qui poursuivent l’œuvre de Jean-Paul Gouteux, j’ai ouvert sur
www.christophebaroni.info un chapitre sur cet aspect ecclésiastique du génocide – cela en
complément du résumé « Pour comprendre la tragédie du Rwanda », synthèse que je sug-
gère de faire lire à toutes celles et à tous ceux qui désirent y voir clair sans disposer de beau-
coup de temps.
2 Appel reproduit in extenso en appendice de mon livre Solidaires ! (Lueur d’espoir, 2003),
tout comme l’«Appel Rwanda » d’août 1994, qui demandait, arguments à l’appui, que la
France comparût devant le Tribunal international institué par l’ONU – il était signé, entre
autres, du biologiste Albert Jacquard, de Mgr Gaillot, de Jean Ziegler, du chanteur Renaud
et du regretté Jean Ferrat, mais la presse l’ignora également.
JEAN-LUC GALABERT
Kinyamateka et
la propagande génocidaire
Propriété de la Conférence épiscopale du Rwanda, Kinyamateka
est le plus ancien journal publié en kinyarwanda. Le 19 octobre
2008, l’Église Catholique rwandaise célébrait le soixante-quinzième
anniversaire de cette « vénérable institution » en ces termes :
Ce jubilé de diamant est un jubilé d’annonce, de partage évangé-
lique, de défense des droits de l’homme et d’exhortation pour la
promotion intégrale de l’homme. […] Depuis sa fondation, pour-
suit le chantre de l’aîné des publications rwandaises, Kinyamateka
proclame l’Évangile, lutte pour la vérité, la justice ainsi que pour
le développement économique par l’enseignement. Dans sa ligne
éditoriale, Kinyamateka évite de publier des propos diffamatoires à
l’endroit de qui que ce soit. Kinyamateka a été la voix de la popu-
lation démunie et vivant dans les milieux les plus retirés. Dans ses
colonnes, Kinyamateka traite les questions relatives à la religion,
la santé, l’éducation, la politique, la justice, la réconciliation, le
sport, la culture, le développement économique et social.
Ce dithyrambe jubilatoire participe-t-il d’une ignorance de
l’histoire du principal organe de l’Église Catholique au Rwanda ou
d’une amnésie ? Est-elle l’expression d’une mauvaise foi foncière ou
l’expression de l’art du mensonge que Koyré décrit comme la pratique
consistant à « dissimuler ce qu’on est et, pour pouvoir le faire, simuler ce
qu’on n’est pas » (Réflexion sur le mensonge, éd. Allia, p. 26).
Ces questions paraîtront outrancières à ceux qui considèrent
Kinyamateka comme le média d’une vision humaniste chrétienne de
la société rwandaise. Mais l’examen attentif de l’histoire de ce média
et l’analyse de son contenu oblige tout lecteur honnête à réviser une
telle représentation. L’article d’Antoine Mugesera, Abbé Sibomana,
Kinyamateka et idées génocidaires (1990-1994), que nous publions plus
loin révèle que la candide revue catholique, a offert une tribune à
l’idéologie de la haine qui a conduit au génocide. On peut même
ANTOINE MUGESERA
« Il a été dit, et personne ne l’a démenti, qu’une partie des fonds que
les “inyenzi” ont utilisés pour acheter des armes pour nous exterminer
ont été collectés à l’intérieur du Rwanda par le canal des complices.
Notez que le journal lance pour la première fois l’idée de « gut-
semba », ça veut dire commettre le génocide : le journal prête aux
Tutsi l’intention de faire le génocide des Hutu. Ça s’appelle une
accusation en miroir : on prête à l’ennemi les intentions qu’on a et
que l’on veut appliquer sur lui. On veut insinuer que si jamais des
Hutu passe à l’offensive et exterminent les Tutsi, ce sera pour leur
propre auto-défense. Et donc pour une cause juste.
Et pour renforcer cette idée de complicité directe entre les Tutsi
de l’intérieur et les assaillants, le Journal avance une autre idée extrê-
mement dangereuse comme quoi il faut se méfier des femmes et des
filles tutsi même si elle portent sur leur tête des ustensiles aussi
« sacrés » que les barattes à lait : « attention », dit le journal, « on y
transporte des munitions ou cartouches pour fusils de guerre ». La femme
et la fille tutsi deviennent, quoi qu’elles fassent, des objets de
méfiance.
« Ngo batwara amasasu mu bisabo » [Kinyamateka n° 1339].
Trad. « Il paraît qu’elles [les femmes ou filles tutsi] transportent des
munitions dans les barattes. »
Cette idée sera reprise et explicitée plus tard dans Les dix com-
mandements de Kangura. Et pour encore montrer la méchanceté des
Tutsi, le journal prétend que les Tutsi portent des tatouages sur les
bras avec inscription de TIP (Tutsi International Power) et croix
gammée de Hitler. Un journaliste de Kinyamateka affirme avoir vu
lui-même ces tatouages.
« Hahagaritswe abasore umunani bafite imanzi ku maboko... »
[Kinyamateka n°1335]. Trad. « Il a été rapporté que 8 jeunes gens
ayant des tatouages sur les bras ont été arrêtés. »
Le journal compare ici la méchanceté supposée des Tutsi à celle
d’Hitler qui a exterminé les Juifs. Donc, suggère le journal, attention,
les Tutsi avec leurs insignes hitlérien viennent exterminer les Hutu.
Une suggestion pas si anodine que ça. Le mot « Power » est lancé
pour la première fois : il sera récupéré à son tour par l’extrémisme
hutu et aura de l’avenir devant lui.
Kinyamateka invite la population à réagir avant qu’elle ne soit
elle-même exterminée. Il remercie déjà la population qui a combattu
l’ennemi soit en participant à la chasse aux complices-ibyitso soit en
DÉSHUMANISATION ET AVILISSEMENT
DES ASSAILLANTS ET DES TUTSI
allait bientôt s’abattre sur le pays. Et ce n’est pas n’importe qui qui
annonçait cette catastrophe, c’est l’ambassadeur Ildefonse
Munyeshaka lui-même, correspondant occasionnel du journal et
grand dignitaire de MDR-Parmehutu. Il avait ses entées partout : il
savait donc de quoi il parlait. Il annonça aux Rwandais, sur un ton
pathétique, qu’une nuit noire allait bientôt couvrir tout le pays et
qu’un immense flot de sang allait couler. La nuit sera plus longue que
le jour, prophétise-t-il, et les Rwandais se demanderont pourquoi
Dieu les a abandonnés. Une barbarie sans nom, avertit-il, est en pré-
paration et va bientôt exploser comme un volcan en éruption. La
lutte pour le pouvoir va faire couler un immense flot de sang.
Bref, l’ambassadeur disait que le Rwanda allait traverser des
jours extrêmement sombres. Il terminait en demandant aux
Rwandais de bien vouloir le prendre au sérieux pour ces révélations.
« Banyarwanda, ndababurije, igihe kiri imbere giteye ubwoba
ikigembe k’icumu kiza komana n’umuhunda. Ijoro rizasumba
umunsi. Abanyarwanda bazibaza impamvu Imana yabibagiwe.
Ubugome butagira ibara burategurwa kandi buzaturika nk’iki-
runga. Kurwanira ubutegetsi bizavusha amaraso atazakama...
Iminsi iri imbere ni mibi cyane... Ntimukeke ko nkabya »
[n°1408 décembre II 1993]. Trad. « Peuple rwandais, je vous pré-
viens; les jours à venir seront fait de terreur, les pointes des lances se
feront acérées. Les nuits seront plus longues que les jours ; les rwan-
dais vont se demander pour quelle raison Dieu les a abandonnés ; des
atrocités sans pareil se préparent, elles exploseront tel un volcan. La
lutte pour le pouvoir versera des torrents ininterrompus de sang. Les
jours à venir s’annoncent très sombres. Ne croyez pas que j’exagère. »
Le génocide est annoncé en terme clairs. Le pays est en perdi-
tion. D’ailleurs, le journal prétend, en janvier 1994, comme pour jus-
tifier cette apocalypse, que le FPR et le MRND ne veulent pas met-
tre en application les accords de Paix d’Arusha. Pour le FPR, ces
accords seraient « amaburakindi » [« un pis-aller »] d’où les difficul-
tés de les appliquer – amananiza [« parole action, façon ou situation
embarrassante, entreprise impossible »] – [n°1410, janvier II, 1994]. Pas
un mot sur le Hutu Power !
En février 1994, un mois avant le génocide, Kinyamateka rap-
pelle que le seul homme politique vraiment héros fut Grégoire
Kayibanda, le rassembleur des Hutu. Le journal prétend qu’il fut vrai-
ment le seul personnage politique réellement préoccupé par les inté-
rêts et le bien-être du Peuple (hutu).
CONCLUSION
NOTES
[1] Selon le frère joséphite Jean-Damascène Ndayambaje, cité par Yolande Mukagasana, Les
blessures du silence [121, p. 89].
[2] Dialogue n° 137 nov-déc 1989 « La Révolution sociale 30 ans après » justifie ainsi ce numéro
spécial dédié à la commémoration de la fondation sanglante de la révolution sociale.
[3] et [4] Réponse au correspondant de La Ména, Serge Farnel, en 2005 sur la défense de
Theunis Serge Farnel, cf. « Reporters sans frontières et sans bornes » ; voir également, Serge
Farnel « La Ména au pays des Reporters Sans Frontières », www.menapress.com
[5] Jean-Paul Gouteux : L’implication idéologique et politique dans le génocide du père Guy Theunis
de 1990 à 1994.
[6] Père Gérard Chabanon, Supérieur Général des Missionnaires d’Afrique, « Document préparé
par la curie générale des missionnaires d’Afrique concernant le Père Guy Theunis » du 15 sep-
tembre 2005 et « Communiqué des Missionnaires d’Afrique au sujet du Père Guy Theunis ».
AUTRES RÉFÉRENCES
ANNIE FAURE
Lettre à la LDH
Médecin humanitaire au Rwanda en 1994, membre de la
Commission d’Enquête Citoyenne sur la responsabilité de la
France dans le génocide des Tutsi, Annie Faure ne décolère
pas depuis seize ans. Comme elle l’explique dans la lettre ci-
dessous, elle n’a pas franchement apprécié le film D’Arusha
à Arusha. Elle a d’autant moins goûté la critique favorable
qu’a pu en publier le journal de la Ligue des droits de
l’homme...
JUSTICE
Trois plaintes contre l’armée française
pour « crimes contre l’humanité »
L’obstination d’Annie Faure aura permi que trois plaintes de
femmes se plaignant d’abus sexuels de la part de soldats fran-
çais ne soient pas enterrées. Elle lance ci-dessous un appel à
la solidarité financière, pour mener ces procédures à bien.
Annie Faure
BRUNO GOUTEUX
menée par l’armée française contre les civils Tutsi voués à l'extermina-
tion, les connaissances accumulées et non contestées à ce jour sur le
rôle de certains de nos concitoyens – hommes politiques, diplomates
et militaires – dans la perpétration du dernier génocide du XXe siècle
peuvent d’ores et déjà nous permettre de les traduire devant les tribu-
naux et de mettre une fin à l’impunité dont ils jouissent aujourd’hui.
Comme l’explique Jacques Morel dans son ouvrage La France au
cœur du génocide des Tutsi, (L’Esprit Frappeur, Izuba Editions, 2010)
« des Français, dirigeants politiques, hauts fonctionnaires, diplomates et
militaires en 1994 peuvent être mis en cause pour complicité de génocide des
Tutsi du Rwanda ». [Lire également à ce sujet Imprescriptible, de Géraud
de la Pradelle, paru aux éditions des Arènes.] Rappelant que « l’incrimi-
nation de génocide et de complicité de génocide est recevable par les juridic-
tions françaises » pour les actes commis au Rwanda entre le 1er janvier
et le 31 décembre 1994 en vertu de la règle de compétence univer-
selle, il livre une liste – non-exhaustive – de trente-six actes dont la
véracité n’est plus à démontrer, ces derniers étant largement docu-
mentés dans les rapports, commissions, enquêtes nationales et inter-
nationales ainsi que par les travaux d’historiens et de journalistes.
On s’arrêtera sur l’un de ces griefs, parmi les plus accablants :
« Pendant le génocide des Tutsi, fourniture d’armes, de munitions
et de matériels aux Forces armées rwandaises par l’entremise du
ministère de la Coopération, alors que celles-ci participent au
génocide et approvisionnent en armes et munitions la gendarme-
rie, la police, les milices et l’organisation de l’autodéfense popu-
laire qui accomplissent le « travail » d’exécution systématique des
Tutsi. Contournement de l’embargo sur les fournitures d’armes
décidé par le Conseil de sécurité de l’ONU. »
La France a donc livré des armes aux génocidaires, avant, pen-
dant, et même après le génocide. Le rapport d’Human Right Watch,
Rwanda/Zaïre, Rearming with impunity, dès 1995, les auditions de la
Mission d’information parlementaire française de 1998, le rapport de
l’OUA, en 2000, la Commission d’Enquête Citoyenne (CEC), en
2004, la Commission Mucyo, en 2007, nous le rappellent, tout
comme les nombreux documents et témoignages rapportés par
Patrick de Saint Exupéry, Colette Braeckman, Gérard Prunier...
Les livraisons d’armes, par l’entremise de la France et en viola-
tion de l’embargo de l’ONU, sont donc largement documentées.
Mais un aspect qui l’est beaucoup moins, c’est la provenance des
fonds ayant servi à l’achat de ces armes et de ces munitions.
Effectivement, j’ai cherché à avoir accès, par deux fois, à mon dossier
auprès des RG. La première fois dès 1997 et la seconde fois en 2003.
En 2003, c’était bien M. Sarkozy qui était ministre de l’Intérieur, or
c’est bien lui, qui, selon le papier de la CNIL en votre possession,
interdit l’accès à mon dossier pour raison de secret défense. En 2003,
j’ai donc fait appel de cette décision devant le Tribunal administratif
comme la loi m’y autorise et par deux fois, en première comme en
seconde instance, cet accès a été refusé en raison de mon implication
dans l’affaire Rochefort Finances/C.C.R et du secret défense qui la
couvrait. Il est pour le moins surprenant qu’une affaire dont la
conclusion judiciaire ne s’avère être (officiellement) qu’un « sim-
ple » abus de confiance, soit au niveau des informations détenues par
les RG (aujourd’hui DGRI) considérée comme « secret défense pou-
vant nuire à la sécurité de l’État » ! C’est l’un ou l’autre, mais pas les
deux ! Bien évidemment, c’est pour M. Sarkozy et ses compagnons,
un moyen très efficace de se protéger. Par contre, la divulgation de
ces faits, notamment des arrêts du Tribunal administratif, constitue
un problème majeur pour eux à l’avenir.
Parmi les personnes que vous aviez désignées comme étant impli-
quées dans ce renflouement – un milliard ! – de la CCR, on a vu
M. Pierre Duquesne, dont vous nous disiez qu’il était le responsa-
ble « assurances » qui siégeait au Conseil d’administration de la
CCR au moment des faits, aux côtés de Bernard Kouchner –
notamment lors de son déplacement dans les territoires palesti-
niens. Quant à Michel Taly, il s’est vu remettre par Alain Lambert,
alors ministre délégué au Budget et à la Réforme budgétaire, la
Légion d’honneur, en janvier 2003. Parlant de Taly, Lambert pré-
cisera qu’il est « rigoureux, d’une éthique exigeante, [qu’]il s’af-
firme comme un grand serviteur de l’État » avant de rappeler « sa
loyauté absolue à l’endroit de tous les gouvernements qu’il a ser-
vis ». Vous avez les comptes-rendus des Conseils d’Administration
où a été ordonné le renflouement. Apparemment la responsabilité
de ces personnes n’a jamais été mise en cause?
En ce qui concerne la proximité de Monsieur Kouchner avec
Monsieur Duquesne qui, lui, était membre du conseil d’administra-
tion de la C.C.R. au moment des faits, vous me l’apprenez.
Concernant les autres personnes que vous citez, notamment
Monsieur Taly, je détiens effectivement copies des conseils d’admi-
nistrations concernés [consultables sur le site Internet de la revue].
D O C U M E N T S
YVES COSSIC
Notes
1. Dominique Franche, Généalogie d’un génocide.
2. Abbé Sibomana, Kinyamateka et idées génocidaires (1990-1994)
3. « Rwanda’s Genocide. The Untold Storie » Anne Jolis, Wall-Street Journal du vendredi, 26
février 2010, et Metula News Agency pour la version française : « Le génocide du Rwanda :
l’histoire qui n’a pas été dite. »
4. Commando de Recherche et d’Action en Profondeur.
5. Expression de la revue RAID n° 97 qui rapporte que des soldats de l’opération Amarilys étaient
restés au Rwanda effectuer des opérations de renseignements : «Trois jours plus tard [après le
15 avril 1994] la quasi totalité des parachutistes français ont rembarqué à destination de la
République Centrafricaine, seuls quelques éléments des Forces spéciales vont rester en sonnettes »,
afin de rendre compte des évènements à l’Etat major de l’armée de terre RAID 97, p. 14.
6. Cf. Wall-Street Journal déjà cité.
7. Nous renvoyons ici au récent film de Marie-Violaine Roux & François-Jérôme Brincard :
Au bord du lac Kivu, les Justes du Rwanda. Les Films du Sud.
8. Voir ici même le témoignage de Bernard Kayumba.
LAURENT BEAUFILS
Shoah-Rwanda :
de la valeur des témoignages
de rescapés de génocides
L’auteur de cet article s’interroge sur les différences qu’il peut
y avoir entre la perception de la Shoah et celle du génocide
des Tutsi. Il insiste pour dire combien elles sont peu fondées,
et comment les témoignages en particulier montrent à quel
point il s’agit de deux phénomènes semblables. Témoignages
sur lesquels se fonde la conscience de ces grandes catastro-
phes humaines.
cide des Tutsi au Rwanda, que ce que sont, aujourd’hui, les possibles
des reconstructions, ces témoignages nous ouvrent tant à l’apprentis-
sage des faits historiques qu’aux questionnements et interrogations
philosophiques dont chaque être humain de la planète est
aujourd’hui responsable.
JEAN-PAUL KIMONYO
La supercherie
du juge Bruguière
L’ordonnance soit-communiqué présentée au parquet de Paris par le
juge Bruguière en vue d’émettre des mandats d’arrêt internationaux
contre neuf responsables militaires rwandais pour leur participation
présumée à l’attentat contre l’avion du président Habyarimana est
basée sur trois types de preuves :
• des éléments contextuels,
• une preuve testimoniale et
• l’évocation d’une preuve matérielle, deux tubes lance –missiles.
retrouvés abandonnés sur les lieux des faits. Des paysans auraient
découvert les deux tubes abandonnés dans les buissons dans le sec-
teur de Masaka non loin du camp Kanombe et les auraient apportés
aux Forces armées rwandaises qui auraient enregistré leurs numéros
d’identification.
Bruguière explique que le 24 ou le 25 avril 1994, le Lieutenant
ingénieur Augustin Munyaneza avait examiné les deux tubes. Il avait
rédigé un rapport manuscrit relevant les numéros d’identification des
tubes lance-missiles, 04-87-04814 pour l’un et 04-87-04835 pour
l’autre. Ce rapport d’une page a été reproduit en photocopie dans les
annexes du rapport de la mission d’information parlementaire fran-
çaise.2
Les lance-missiles ont été photographiés. Sur ces photos on
peut lire clairement le numéro de référence d’un des tubes lance-mis-
siles qui correspond effectivement à l’un des deux numéros rapportés
plus haut. Ces photos sont elles aussi reproduites dans les annexes du
rapport de la mission d’information.3
Le juge Bruguière a réussi à établir que ces photos ont été remi-
ses à Paris, courant mai 1994, au général Huchon, alors affecté au
ministère français de la Coopération, par le Lieutnant-colonel
Ephrem Rwabalinda, accompagné pour la circonstance par le colo-
nel Sebastien Ntahobari, attaché de défense à l’ambassade du
Rwanda à Paris. Ces clichés ont été ensuite remis par le Ministère de
la Coopération à la Direction du Renseignement Militaire (DRM).4
Le juge Bruguière explique qu’en exécution d’une demande
d’entraide judiciaire, le Parquet militaire de Moscou a établi que les
deux missiles portant les références 04-87-04814 pour l’un et 04-87-
04835 pour l’autre, avaient été fabriqués en URSS et faisaient partie
d’une commande de 40 missiles SA 16 IGLA livrés à l’Ouganda dans
le cadre d’un marché inter-étatique.
Pour le juge Bruguière, vu l’origine ougandaise des missiles et
que, selon lui, l’armement du FPR, y compris ses moyens anti-aériens
provenaient de l’arsenal militaire de l’Ouganda, c’est le FPR qui a
abattu l’avion du président Habyarimana.
Dans sa démonstration, le juge Bruguière cite abondamment le
rapport de la mission d’information dont il tire presque toutes ses
informations relatives aux missiles. Il ne sait que faire confirmer cer-
taines de ces informations par certains témoins presque tous des
opposants au FPR ou des militaires français. La seule véritable infor-
CONCLUSION
NOTES
MICHEL SITBON
Balladur,
l’inconscient
En 1993, les élections législatives portaient une majorité de
droite à l’Assemblée nationale. Son leader, Jacques Chirac, ne
souhaitant pas rejouer l’expérience de la cohabitation avec
François Mitterrand qui, de 1986 à 1988, lui avait relative-
ment mal réussi, c’est son adjoint, Édouard Balladur, qui se
retrouva à Matignon.
Seize ans plus tard, en 2009, Balladur aura ressenti le besoin de
revenir sur cette expérience dans un livre au titre paradoxal, Le
pouvoir ne se partage pas, pour rendre compte dans le détail de
comment se négociait, au jour le jour, le partage du pouvoir
entre le Président de la République et « son » Premier ministre,
tout au long des deux années qui auront précédé l’élection pré-
sidentielle de 1995 et la prise du pouvoir par Jacques Chirac.
Sous-titré « conversations avec François Mitterrand », le livre
de Balladur se présente comme un journal de bord, rendant
compte jour après jour de ses entretiens avec le Président.
Vraisemblablement retravaillé, il n’en s’agit pas moins manifes-
tement des notes que le premier ministre pouvait prendre quoti-
diennement, comme pour ne rien oublier.
Édouard Balladur était le chef du gouvernement au temps du géno-
cide. Pendant longtemps, il sera parvenu à faire valoir qu’il n’y aurait
été pour rien. Au contraire, il aurait incarné à la tête de l’État une
tendance “raisonnable”, s’opposant en particulier à une opération
Turquoise offensive, à la fin du génocide, dont le mandat aurait pu
être de s’affronter au FPR qui venait de libérer le Rwanda des forces
génocidaires, si l’on avait suivi le projet de Mitterrand. Balladur a fait
savoir aussi largement possible qu’il aurait été farouchement opposé
à une telle stratégie, et le rappelle d’emblée dans son livre : il ne
pouvait accepter qu’« une opération humanitaire, limitée dans le
temps ». Il s’agissait, dit-il, d’éviter de « nous embourber seuls dans une
opération de type colonial ».
particulier que ses troupes puissent entrer à hauteur de 50%, voire 60%,
dans la nouvelle armée unifiée du pays ». Cette disposition d’une
armée à 50/50 sera effectivement retenue – le FPR se voyant attri-
buer 40% des effectifs de la troupe et 50% de l’encadrement – dans
les accords d’Arusha qui seront signés quelques mois plus tard, en
août. On a pu vérifier ultérieurement, en particulier lors des audi-
tions de la Mission d’information parlementaire française, en 1998,
combien les hommes de Mitterrand, aussi bien Hubert Védrine que
le général Quesnot, considéraient cette clause comme inacceptable
– ainsi que cet article pouvait l’annoncer dès avril 1993.
Le document suivant des « archives Mitterrand » fait état d’un
autre « conseil restreint », moins d’une semaine plus tard, en date du
7 avril, un an, jour pour jour, avant le début du génocide. Celui-ci est
à en-tête d’Hubert Védrine, mais comporte à la main le nom de
« F. Carle » – que l’on voit apparaître ailleurs avec son prénom :
Françoise Carle –, et s’inspire de la graphie du deuxième document
du 2 avril, y compris pour son titre : « Situation en Afrique et dans
l’ex-Yougoslavie ». Également tamponné « secret », ce document
succinct comporte deux paragraphes, dont le premier consacré à la
Bosnie. On y voit Balladur comme Mitterrand très opposés à l’éven-
tualité de l’entrée de troupes turques « dans le dispositif de l’OTAN »
qui « serait de nature à entraîner une guerre générale dans les Balkans ».
L’esprit des croisades intact.
Le deuxième paragraphe, consacré au Rwanda, est l’objet d’un
point sommaire.
« Le Président de la République acquiesce à la demande de M.
Roussin qu’une mission légère État-major des armées-
Coopération soit envoyée sur place pour définir les conditions
d’emploi de nos forces. […] Il est d’accord pour que nous nous
bornions, en l’état, à préparer le renforcement de notre détache-
ment à Kigali » [ainsi que cela avait été décidé le 2 avril].
Est évoqué, dans un troisième paragraphe, le Cambodge, où l’ar-
mée française intervenait, comme en Bosnie, pour l’ONU.
« En conclusion, le Président de la République fait part de son sou-
hait de ne pas pérenniser ce conseil restreint hebdomadaire »… Balladur
propose que de telles réunions soient convoquées « en fonction des
résultats de la réunion tenue tous les Mardis, au niveau des collabora-
teurs » – à Matignon. « Par ailleurs, il ressent la nécessité, pour son
information personnelle, de faire le point sur l’engagement des forces fran-
çaises en dehors du territoire national. »
Il est plus probable que l’on ait alors décidé d’équiper les soldats
de Turquoise comme une armada invincible parce qu’il était hors de
question de voir échouer l’autre mission – la récupérations des forces
spéciales. Pour ceci tous les moyens étaient bons. Et l’on ne cachait
pas au FPR que s’il ne relâchait pas aussitôt les hommes qui s’étaient
fait prendre à Butare, par exemple, il en prendrait plein la gueule. Le
colonel Thauzin sera même sanctionné alors pour s’être exprimé en
des termes comparables y compris devant des journalistes, ce qui
pouvait donner une mauvaise image des « considérations morales »
supposées présider à l’opération Turquoise.
« Il ne faut à aucun prix nous embourber seuls, à 8 000 kilomè-
tres de la France, dans une opération qui nous conduirait à être
pris pour cible dans une guerre civile » [concluait Balladur, dans sa
lettre du 21 juin].
Le risque n’était pas moins présent, et c’est pourquoi il fallait
non seulement sécuriser l’opération militaire en lui fournissant tous
les moyens nécessaires, mais habiller celle-ci, à grand renfort de
publicité, du blanc manteau de l’action humanitaire.
Quinze ans plus tard, presqu’impeccable, l’ancien premier
ministre peut dire qu’il remarquait
« que les plus menacées étaient pour l’essentiel des populations
tutsis dans la zone contrôlée par le gouvernement. »
Enfin une « remarque » exacte.
[Toutefois] « en aucun cas nos forces (…) ne prendraient parti
dans les luttes internes au Rwanda », [ajoute-t-il à la phrase sui-
vante]…
« Nous ne pouvions laisser des populations livrées au génocide »,
dit-il, de nouveau impeccable. Voilà qu’il va même oser se faire gran-
diloquent :
« il fallait qu’un pays se lève pour mettre fin à un des drames les
plus insupportables de l’Histoire. »
Pour un peu on applaudirait, les larmes aux yeux…
La chute n’est pas moins bonne :
« Si je songe aux critiques dont notre action a été l’objet plu-
sieurs années plus tard, quand on a tenté de mettre en cause notre
armée et de lui faire grief d’une prétendue complicité avec les
auteurs du génocide, je suis indigné ! »
Fermez le ban. Notre auteur vient de consacrer quatre pages au
sujet, à la date du 15 juin. Il y reviendra le 17 juin, dans la foulée :
Rwanda, c’est surtout pour tout ce qu’elle aura fait avant – en orga-
nisant la machine génocidaire – et pendant – en soutenant cette
entreprise criminelle.
On peut, bien sûr, reprocher à son gouvernement également
l’opération Turquoise dont il se dit si fier, au cours de laquelle ont été
massacrés la plupart des rares rescapés de la furie génocidaire, encore
cachés dans les montagnes de Bisesero après le terrible massacre du 13
mai, auquel l’armée français, dont il partageait la responsabilité avec
François Mitterrand, aurait directement participé.
Mais que l’opération Turquoise ait été plus ou moins comme ci
ou plus ou moins comme ça n’allait rien changer au million de morts
déjà enregistré... Ni aux responsabilités françaises, sinon qu’elles
auraient été probablement plus voyantes dans le contexte d’une opé-
ration Turquoise offensive, aux côtés des forces génocidaires. Ici
comme ailleurs Édouard Balladur ne fait valoir que des arguments
cosmétiques. Pour lui, comme pour ses semblables, la morale et
l’honneur ne sont que des affaires d’apparence, si on comprend bien.
Les « archives Mitterrand » se font très prolixes sur ces débats de
la mi-juin concernant l’opération humanitaire « avouable ».
Ainsi, on dispose d’une note d’Hubert Védrine, daté de ce
même 15 juin, adressée au président :
« Suite à ce que vous avez dit au Conseil restreint sur le Rwanda,
j’ai confirmé au ministère de la Défense, au ministère des Affaires
étrangères et au ministère de la Coopération qu’il fallait vous sou-
mettre très rapidement une liste d’actions ponctuelles que pour-
rait mener la France au Rwanda (protection d’hôpitaux ou
autres).
Quand ce choix aura été effectué, voulez-vous qu’une annonce
soit faite par exemple par un communiqué, d’ici à la fin de la
semaine, pour faire connaître ces actions de la France (et si pos-
sible celles d’autres pays) ?
Il me semble que cela répondrait à une attente de l’opinion. »
En marge, à la main, vient la réponse : « oui ». Et dans le
corps du texte souligné le mot « ponctuelles ». Actions « ponctuel-
les ». Il ne s’agit que de ça. Protéger des hôpitaux ou « sauver des
orphelinats », ainsi qu’on en parlera beaucoup dans ces journées. À
aucun moment, bien sûr, il n’est question de faire cesser le géno-
cide. Il faut simplement donner le change à « l’opinion ». Pour «
l’honneur de la France »…
1994, en infraction avec les règles de l’ONU qui veulent qu’un pays
concerné par une opération internationale ne puisse simultanément
siéger dans cette instance : il fallait l’« approcher confidentiellement
pour lui faire comprendre que nous attendons de lui qu’il n’intervienne pas
dans les discussions à venir au Conseil »… Ainsi qu’on peut s’expliquer
avec les vrais amis, tel le gouvernement génocidaire rwandais.
Le 17 juin, on dispose d’une nouvelle note d’Hubert Védrine
adressé à Mitterrand. Celle-ci concerne un appel de Bernard
Kouchner, de Kigali. Mauvaises nouvelles : Kouchner a rencontré
« le Chef du Front Patriotique Rwandais », Paul Kagamé, qui « est
opposé à l’arrivée des troupes françaises au Rwanda ». Tout comme le
général Dallaire, chef de la Minuar, « ainsi que les autres responsables
des Nations unies à Kigali » qui « sont également hostiles à une interven-
tion ». « Pour sauver quelques vies, on va en mettre de très nombreuses
en péril », aurait-il été dit.
« Notre politique au Rwanda de 1990 à 1994 pèse sur nos relations
avec le FPR », note Védrine. Kouchner dit qu’« il serait bon de faire
une déclaration regrettant le passé »… Seize ans plus tard, on en est
toujours là.
Le même 17 juin, on a de nouveau une note signée Quesnot-
Delaye. On y apprend que « pour tenir compte de l’opposition des lea-
ders tutsis et du chef d’état-major burundais au passage des forces françai-
ses au Burundi », « le concept général de l’opération qui sera présenté cet
après-midi au Premier ministre a dû être modifié ». En conséquence, « le
déploiement devrait être réalisé exclusivement à partir du Zaïre ».
Ainsi, il semble bien que le choix entre une opération
Turquoise « offensive », intervenant directement à Kigali, et l’opé-
ration « humanitaire » à la frontière zaïroise, par-delà tous les impé-
ratifs rhétoriques, aurait surtout été déterminé par la double opposi-
tion des autorités « tutsi » du Burundi, d’une part, et de Kagamé
comme de Dallaire de l’autre. « Nous allons prendre contact avec
Mobutu dès aujourd’hui », concluent les conseillers du Président.
Ce même 17 juin au matin se tenait une autre réunion d’une
« cellule de crise », à laquelle participaient Dominique de Villepin,
pour le compte du ministère des affaires étrangères, le chef d’état-
major des armées, l’amiral Lanxade, et le « monsieur Afrique » de
l’Élysée, Bruno Delaye.
On y relève quelques remarques intéressantes, comme celle de
Lanxade qui suggère que « la participation africaine doit être aussi
symbolique que possible », « car nous les aurons totalement à notre
Le 7 septembre :
Mitterrand lui « donne son accord pour que des décorations excep-
tionnelles soient attribuées aux soldats français ayant participé aux opéra-
tions au Rwanda ».
Le 19 octobre :
Le Président lui demande s’il a « lu le livre intitulé Faut-il juger
les Mitterrand ? », parlant du livre de Pascal Krop qui s’intitule en
fait Le génocide franco-africain. C’est le bandeau de couverture qui
demande s’il faut juger « les » Mitterrand, en raison des prestations
scandaleuses de Jean-Christophe Mitterrand, surnommé
« Papamadit », fameux pour ses amitiés avec la clique d’Habyarimana
lorsqu’il était le « monsieur Afrique » de l’Élysée, jusqu’en 1993, son
père l’ayant écarté l’année d’exécution du génocide où Édouard
Balladur entrait en scène.
« – Non, mais j’en ai entendu parler [répond le premier ministre].
Il est question de votre action au Rwanda, je crois ? »
« Votre action » ? Et où était-il, lui, pendant ce temps-là ?
« – Oh, non, pas seulement au Rwanda. Ailleurs aussi. On me
reproche des génocides multiples… Je suis, comment dirait-on…
– Un génocideur… ?
– Oui, c’est ça ! (Il rit.) Un génocideur universel ! »
Le rire de Mitterrand résonnera longtemps par-dessus les char-
niers du Rwanda. Quant à Édouard Balladur, il n’est pas sûr qu’il
puisse tirer argument de son inconscience pour sa défense – devant
les Nuremberg de l’avenir. n
BRUNO BOUDIGUET
André Guichaoua,
le retardateur des
consciences
La bibliographie sur le génocide des Tutsi du Rwanda s’est
enrichie cette année d’un livre d’André Guichaoua, “Rwanda,
de la guerre au génocide”, récemment paru chez La
Découverte. Libération, Politis – avec Ronny Brauman –,
Le Monde et Rue 89 : les médias se sont laissés attraper les uns
après les autres par les prétentions “scientifiques” de ce pam-
phlet génocidaire, manifestement sans prendre la peine de le
lire... Bruno Boudiguet a eu le courage de regarder de près
cette longue dissertation, ce “pensum”, dit-il. Et nous ajoutons
en dernière heure son article, dans l’espoir que ces thèses
négationnistes, plus ou moins habilement camouflées, ne fas-
sent pas plus de dégâts.
L’ATTENTAT
moyen terme d’une assise populaire significative, qui lui assurerait un ave-
nir politique par la voie des urnes ».
[Il est totalement faux de dire que le FPR est construit sur une base ethni-
que. C’est Guichaoua lui-même qui est un inconditionnel de l’ethnisme
puisqu’il indique au lecteur l’ethnie prétendue de chaque personne. Note JM]
Parler de « l’opposition insurmontable entre deux légitimités, la
légitimé démocratique de la majorité et le droit au retour d’une minorité »,
c’est nier aux Rwandais la capacité de penser la politique, la vraie, au
delà des appartenances dites ethniques... et donner du crédit à l’idéo-
logie mortifère de la “démocratie ethnique” voire raciale ! Sans oublier
le fait que le FPR n’a jamais revendiqué le moindre ethnisme dans ses
discours, allant jusqu’à prendre le risque de travailler avec des mem-
bres de l’élite “hutu” au passé douteux (Kanyarengwe, Lizinde...).
Animé d’un « mépris profond (...) pour les “démocrates”, ainsi que
[par] son rejet du processus électoral prévu par les accords de paix »,
alternant combats et campagnes d’attentats ayant pour « intention de
faire le maximum de victimes civiles », le FPR, selon Guichaoua, visait
à accroître les tensions au sein du gouvernement pluripartite et de la
mouvance présidentielle, et à tuer des Tutsi pour « susciter des voca-
tions en faveur du FPR ». Dans le dossier Politis/Guichaoua du 12
février 2010, on lit :
Depuis son échec aux élections municipales de septembre 1993,
le FPR savait qu’il ne pourrait conquérir le pouvoir par les urnes.
Sa réaction a été une campagne d’attentats. Le plus important, en
novembre 1993, contre des élus du MRND (le parti au pouvoir),
vainqueur des élections, et leurs familles, fit 55 morts.
Auparavant, entre juillet 1991 et septembre 1992 (45 attentats),
puis de mars à mai 1993, deux vagues d’attentats dans lesquels la
responsabilité du FPR a été clairement établie. Les cibles – des
marchés, la gare routière, la Poste centrale de Kigali – témoi-
gnaient d’une volonté de créer un régime de terreur et un climat
propice à une intervention militaire.
On cherchera alors les sources de ces affirmations dans De la
guerre au génocide :
Les attentats contre les populations civiles commis par le FPR
n’ont été formellement élucidés que tardivement. (…) Entre
juillet 1991 et septembre 1992, 45 attentats commis avec des
mines antichar et des mines antipersonnel furent recensés et
documentés par la gendarmerie nationale rwandaise, qui, bien
que peu performante en matière d’investigation, avait établi
(stades, marchés, etc.) les populations hutu qui n’avaient pas fui, à des
fins de massacres de masse », puis au soubresauts post-génocide des
années 95-97 autour des réfugiés hutu, on n’est pas loin du décompte
d’un million de morts hutus. Soit un équilibrisme mathématique par-
fait, sans évoquer le “double génocide”, mais le cœur y est presque.
Dernière précision d’André Guichaoua : « Comme généralement, les
cadavres furent ajoutés aux fosses communes existantes, ils furent ulté-
rieurement recensés avec l’ensemble des victimes du génocide. »
Au final, chaque thème de propagande du camp du génocide est
repris par l’auteur : les infiltrés du FPR, l’État totalitaire de type
“Khmers Noirs”, le terrorisme, les escadrons de la mort, la stratégie
perfide et planifiée, les accusations en miroir, l’ethnisme défensif, les
charniers du FPR faussement attribués au GIR, le nombre de victi-
mes hutu supérieur ou égal aux victimes tutsi... Les accusations sont
à la fois très lourdes et traitées à la légère. Le livre en est méthodi-
quement parsemé, avec un renvoi à des annexes dont le contenu
laisse bien souvent perplexe.
« UN GÉNOCIDE POUR ARBITRER LE DÉPARTAGE ! »
Faire le bilan de la IIème République, créée par Habyarimana,
n’est pas chose aisée pour tout le monde : nombre de journalistes,
universitaires, coopérants tel André Guichaoua qui y ont travaillé
avant le génocide portent une certaine honte de ne pas avoir sonné
l’alarme au bon moment. Une sorte de Corée du Nord maquillée en
Suisse de l’Afrique... On trouvera donc une certaine tendance à
minimiser les inquiétudes que pouvaient susciter ce « totalitarisme
éducatif » bénéficiant de « l’absence d’adversaires et de lignes politiques
alternatives »... puisqu’ils avaient été chassés du pays.
Néanmoins, Guichaoua décrit assez bien l’osmose entre une
myriade d’ONG de développement et le régime, ce dernier ayant
habilement jonglé pour faire avaler la pilule du parti unique en l’in-
titulant Mouvement républicain national pour le développement
(MRND), le « système clientéliste » n’interférant pas avec l’écono-
mie de l’assistanat occidental. Plus problématiques sont les impasses
de l’auteur sur la montée en puissance des mécanismes d’État qui
seront les piliers du génocide. L’invention des milices est par exem-
ple décrite comme une « initiative originale » d’un illustre inconnu,
Désiré Murenzi. « Les apprentis-sorciers qui avaient donné naissance
aux milices, les avaient couvées et en avaient aiguisé la puissance furent
assurément surpris de leur efficience. »
Les milices n’ont pas été créées par hasard, elles font partie,
dans le monde entier, de l’arsenal technique des régimes aux abois.
Que certains aient pu être surpris de leur efficacité, quoi de plus logi-
que quand on sait que la doctrine française de guerre révolutionnaire
a été exportée dans le monde entier. Mis en place par émules belges
de Trinquier et Lacheroy, le régime fonctionnait déjà sur le mode de
la “guerre révolutionnaire” permanente, préparé à répondre de
manière adéquate à la moindre anomalie. À l’arrivée des Français,
l’alerte anti-subversive a été placée au niveau maximum, les FAR ont
décuplé de volume, les milices sont passées de 0 à 50 000 unités.
Guichaoua entend « dénouer les fils et les enjeux d’intrigues poli-
ticiennes toujours complexes. Intrigues croisées qui désespéraient juste-
ment les observateurs et les diplomates, dont la plupart ne percevaient que
les apparences ». On ne souscrira pas à la théorie de l’aveuglement
français, qui est battue en brèche par les faits, mais c’est utile pour un
tribunal : déterminer les degrés de responsabilité des uns et des
autres. Ça l’est beaucoup moins quand l’objectif est carrément de
réviser l’histoire du génocide :
À cette date et jusqu’au 12 avril, le jour du départ du gouverne-
ment pour Murambi (Gitarama), les massacres étaient encore
limités à la ville de Kigali, à Kigali rural et à quelques communes
de Gisenyi (celle du président), de Gikongoro, de Kibungo. Et ce
n’est que les 18-19 avril que “basculèrent” les préfectures du Sud
(Gitarama, Butare), après les visites des nouvelles autorités inté-
rimaires.
Avant le 12 avril, il ne s’agirait qu’une somme d’« actes de vio-
lence individuels ou collectifs », d’une « vengeance envers des victimes
expiatoires », de « crimes de guerre et (…) crimes contre l’humanité
accompagnant des stratégies de recomposition » du pouvoir, de « règle-
ments de comptes pour le contrôle du pouvoir ». Pourtant, d’une part,
les massacres préliminaires au génocide n’étaient utiles que pour libé-
rer définitivement la voie aux extrémistes et exécuter le génocide
sans obstacles. D’autre part, l’auteur ne parle pas des massacres géno-
cidaires qui ont lieu dès le 7 avril dans les régions de Ruhengeri12,
Kibuye13, Bugesera14, Cyangugu. Ce qui fait un total de huit régions,
soit quasiment tout le Rwanda !
L’embrasement du pays est dû à de multiples foyers, mais ces
foyers du génocide furent sans témoins journalistiques, la presse ter-
rorisée ne sortant pas de Kigali. Au bout de quelques jours seulement,
Jean-Philippe Ceppi, du quotidien Libération, décrivant ce qu’il
« Il n’y eut pas de complot d’État pas plus que de régime ayant
inscrit le génocide au cœur de sa politique de développement
[Guichaoua ajoute, en note de bas de page : Ou, comme cela a été
exprimé plus brutalement, de régime “de type nazi”, comme l’ont
estimé de nombreux dirigeants actuels.] : ni en 1990, lorsqu’il
procéda après l’attaque du FPR à des milliers d’arrestations d’op-
posants tutsi et hutu, ni entre 1990 et avril 1994, au cours de la
guerre civile ou au moment de son déclenchement effectif. »
« La signification et la portée des actes et des objectifs ne peuvent
donc d’aucune façon être globalisées. »
Guichaoua s’inscrit donc en faux contre la « thèse d’un projet
fondateur de mise en œuvre d’un génocide qu’aurait consacré idéologique-
ment la révolution de 1959 ».
Le cas du frère d’Agathe Kanziga, Protais Zigiranyirazo est
emblématique. Il a été acquitté par le TPIR :
« Faute de preuves tangibles, la poursuite reposa comme souvent
sur des incriminations établies sur la base des dépositions de faux
témoins, suscités en nombre par les autorités judiciaires rwandai-
ses, alors même qu’elle disposait d’éléments attestant l’absence de
l’accusé sur les lieux des crimes présumés. Une défense pugnace
et la vigilance des juges de La Haye ont ainsi permis à l’accusé de
recouvrer la liberté. »
Il faudrait faire preuve d’honnêteté en disant que ces « élé-
ments attestant l’absence de l’accusé » sont aussi des témoignages, non
pas de victimes, mais de la propre famille Habyarimana.16 Il y a plus
crédible comme témoignages...
Le TPIR aurait-il attrapé la guichaouïte, du nom d’un de ses
plus gros contributeurs en documents ? Quoi qu’il en soit, Guichaoua
se félicite logiquement des conclusions du procès Bagosora au TPIR,
qui ne retiennent pas l’entente en vue de commettre un génocide :
« la fragilité de leurs arguments, la faible crédibilité de leurs informateurs
et les libertés qu’ils ont ouvertement prises avec la réalité des faits », « les
juges considèrent que la plupart de ces allégations sont aléatoires ou insuf-
fisamment fondées ».
Une raison « à la fois simple et monstrueuse : le massacre de masse
allait de soi et il n’était pas nécessaire de mettre en œuvre une planifica-
tion élaborée, pour peu que l’administration territoriale soit épurée et
contrainte de se mobiliser pour la mise en œuvre de mots d’ordre bien par-
ticuliers ». Un génocide qui « va de soi »...
[Ce détail mérite d’être souligné : si les chefs présumés du génocide ont
pris soin de prendre un avion – français – pour s’en aller bruyamment et
sont revenus, discrètement, par la route, le lendemain, cela atteste de la
préméditation, avec y compris organisation d’alibis. Note MS]
Pour finir sur ce thème, « la focalisation sur le génocide », mati-
née de « censure idéologique et intellectuelle » ferait le lit du négation-
nisme… On savait l’auteur capable de manier l’oxymore, mais à ce
point-là ! En plus, il faudrait plaindre André Guichaoua d’être vic-
time d’un stalinisme médiatique, lui qui est abonné aux interviews et
tribunes dans Le Monde et Libération, les deux plus grands quotidiens
nationaux.
évacuées est draconienne pour les gens en danger, tandis que le gotha
du régime va bénéficier de passe-droits.
L’ambassade de France va faire vivre une semaine d’enfer aux
candidats à l’évacuation ainsi que ceux qui les soutiennent, tel
André Guichaoua, tout en accueillant à bras ouverts les durs du
régime qui y formeront tranquillement le gouvernement du génocide
sous la houlette de l’ambassadeur Marlaud. Faisant jouer ses rela-
tions, Guichaoua va finalement trouver une issue, mais uniquement
pour les enfants :
« Dans la nuit, j’avais téléphoné à Pierre Péan pour lui exposer
la situation dans laquelle nous nous trouvions du fait du refus de
l’ambassade de France et pour lui demander de saisir personnelle-
ment Bruno Delaye, le responsable de la Cellule Afrique de l’Ély-
sée. Il m’avait ensuite rappelé pour confirmer que ce dernier avait
donné son accord pour l’évacuation. Vis-à-vis de l’ambassade, je
refusai donc catégoriquement de revenir sur le cas des enfants.
Après plusieurs échanges fermes (dont l’un avec Jean-Michel
Marlaud), elle finit par céder, mais maintint un refus formel aussi
bien pour la nourrice des enfants que pour le procureur de la
République et son épouse. »
« LA CAUTION DE L’AMBASSADE DE FRANCE À LA MISE EN
PLACE DU GOUVERNEMENT INTÉRIMAIRE »
De l’autre côté, Guichaoua déplore
« la forte implication de l’ambassade de France dans la transition
politique ouverte par l’assassinat du président Habyarimana et la
portée d’un choix politique explicite. En effet, dès le 7 avril, l’am-
bassade de France afficha ouvertement ses affinités avec l’une des
composantes politiques du gouvernement qu’avait dirigé Agathe
Uwilingyimana en accueillant dans ses locaux, escortés par un
véhicule de la Garde présidentielle, tous les ministres du MRND.
Ces derniers furent rejoints le lendemain par plusieurs représen-
tants des tendances hutu “Power” des partis représentés au gouver-
nement, alors même que leurs collègues “modérés” venaient d’être
assassinés par d’autres commandos de la Garde présidentielle. »
Un document intéressant est publié dans le livre : des extraits
de la déposition de Justin Mugenzi, un ministre du GIR génocidaire :
« Q. Est-ce que vous avez vu l’Ambassadeur à un moment donné
pendant que vous vous trouviez à l’ambassade ?
R. Oui, nous avons eu l’occasion de rencontrer l’Ambassadeur le
matin.
CONCLUSION
mots au sens tout à fait opposé. Pourtant, un génocide est par essence
le produit d’un État, d’une machine administrative. Un rouleau com-
presseur étatique mû par la conspiration de ses dirigeants.
À l’échelle de la France, cela équivaudrait à l’extermination
d’un groupe de 10 millions de personnes en l’espace de trois semai-
nes. Et il faudrait recourir aux techniques d’hypnose les plus raffinées
pour faire croire qu’un crime d’une dimension aussi gigantesque
qu’instantanée ne soit pas préparé à l’avance. Sauf à vouloir inno-
center son parrain, la France, dont les troupes ne seraient officielle-
ment pas présentes pendant la phase finale du projet, c’est-à-dire son
accomplissement.
L’obsession d’André Guichaoua de vouloir attribuer au FPR
l’attentat contre Habyarimana, s’explique alors par le fait qu’il lui
faut échafauder un scénario alternatif qui colle avec la théorie de
l’improvisation, de l’engrenage post-attentat, de la “boule de neige”.
Un attentat est communément perçu par le public comme le fruit
d’un groupe en rébellion contre un ordre établi. Le fait qu’il soit sou-
vent revendiqué entre aussi dans la logique des choses. Dans le cas
du Rwanda, il est par contre le prétexte au lancement de la phase
finale par l’État franco-rwandais. Un attentat négationniste, en
somme.
Au final, il n’est pas étonnant que l’ouvrage de Guichaoua fasse
des impasses aussi caractérisées sur le rôle déterminant de la Vème
République française. C’est même tout à fait cohérent avec les autres
thèmes traités. Dans le cas d’un génocide avéré – et donc d’une pla-
nification –, les Français, de part leur tutelle exercée au plus haut
niveau de l’appareil d’État avant la perpétuation du génocide,
devraient logiquement être reconnus, selon l’estimation la plus
basse, comme co-initiateurs du projet. Et voilà ce que les dirigeants
de Politis appellent une « approche indépendante »...
On se demande si les journalistes ont lu De la guerre au génocide.
Quoique... David Servenay, de Rue 89, un “collègue” de Guichaoua,
puisqu’ils sont édités tous les deux chez le même éditeur, titrait dans
son article : « Le jour où le Rwanda a basculé, le récit minutieux de
Guichaoua ». A-t-il compris de cet « extraordinaire travail de docu-
mentation » qu’il s’agissait là de la théorie d’un génocide improvisé,
non planifié, dont le commencement se situerait le 12 avril (!), une
sorte de théorie de la boule de neige, dans laquelle « les extrémistes
des deux camps » jouent chacun leur partition ?
NOTES
1. Éditions La Découverte.
2. 12 février 2010.
3. Philippe Bernard, Le Monde des Livres, 18 mars 2010
4. André Guichaoua et Stephen Smith, Rwanda une difficile vérité, Rebonds, Libération, 13 jan-
vier 2006.
5. Pierre Jamagne, « Rwanda, l’histoire secrète » de Abdul Joshua Ruzibiza ou Mensonges made
in France ?, La nuit rwandaise, n° 2, 7 avril 2008, pp. 31-54.
6. Pierre Jamagne, op. cit., p. 44;
7. Il est peu probable que ces agents secrets français aient fourni leur identité, et ils n’ont pas
forcément fait Saint-Cyr et pourraient avoir été des civils.
8. Libération, 27 février 1996.
9. Le Monde, Propos recueillis par Stephen Smith, Rwanda : révélations d’un expert de la jus-
tice internationale, 7 mai 2004.
10. Éditions Karthala, 2010.
11. Services du Premier ministre, Service de renseignement, note sur l’état actuel de la sécu-
rité au Rwanda du 23 septembre 1993, cité dans le rapport Mucyo, p. 84.
12. TPIR, Jugement Kajelijeli.
13. Le Figaro, Patrick de Saint-Exupéry, 29 juin 1994.
14. Le Monde, Jean Hélène, 8 juin 1994.
15. Le Monde, André Guichaoua : critiquer Kigali, ce n’est pas rendre “une justice de Blancs”,
30 mai 2008.
16. www.fairtrialsforrwanda.org
17. Rwanda, une difficile vérité, op. cit.
18. Libération, L’État français doit des excuses aux Rwandais», Christophe Ayad, 25 février
2010.
19. http://cec.rwanda.free.fr/documents/GKbb.pdf
20. L’État français doit des excuses aux Rwandais, op. cit.
21. Déposition de Justin Mugenzi, procès Bizimungu et alii, TPIR, 8 novembre 2005, pp. 51-
52 et 69.
22. http://pagesperso-orange.fr/jacques.morel67/ccfo/crimcol/node41.html
23. idem
24. Déposition de Joseph Ngarambe, TPIR, cote KO133228, 9 avril 2000, p. 4
25. Africa international, Briser les tabous, le juste combat de Pierre Péan, février 2006.
26. Lire, à ce propos, le livre de Vénuste Kayimahe, qui constitue bien plus qu’un témoignage
sur cette histoire tragique dans l’opération Amaryllis : France-Rwanda, les coulisses du géno-
cide, L’Esprit frappeur, 2001.
JUSTIN GAHIGI
Notes
1. Denis Sieffert, Gare à l’illusion d’une toute-puissance française !, Politis n° 1089, p. 19-20
2. Raphaël Doridant, Le génocide des Tutsi fait partie de notre histoire, Politis n°1089, p. 20-21
3. Emmanuel Cattier, Le « chiffon de papier », La Nuit rwandaise n°3, 7 avril 2009, p. 337-396
INTERVIEW
des rescapés que j’interrogeais alors, ou bien encore sur leur possible
difficulté à se référencer proprement dans le temps. J’ai bien ainsi
moi-même failli rejeter définitivement cette piste qui m’était alors
pourtant ouverte.
Autrement dit, je me vois mal aujourd’hui faire la leçon à ceux qui,
face à une telle information, seraient dans un premier temps saisi
d’une certaine incrédulité. On a pendant des années surfé sur la ques-
tion consistant à mesurer le degré de conscience de la France offi-
cielle au moment où cette dernière formait les milices qui allaient
commettre le génocide des Tutsi, au moment également où celle-ci
livrait des armes à ceux qui étaient en train de le commettre.
La question de la complicité de cette France officielle dans ledit
génocide était déjà énorme et ô combien suffisante pour susciter
indignation, excuses et réparation. Et puis, voilà qu’une enquête se
propose subitement de déplacer le centre de gravité de la question,
posant aujourd’hui celle de la participation directe et massive de sol-
dats français à l’extermination de milliers de civils tutsi, hommes,
femmes et enfants sans défense !
Sont ainsi bousculés les schémas historiques que le temps avait soi-
gneusement fini par mettre en place, ce que je rapporte du Rwanda
ne pouvant à terme que conduire à leur déconstruction au moins par-
tielle. Aussi faut-il maintenant laisser le temps – je dirais un temps
psychologique – permettant aux dirigeants politiques et médiatiques
de digérer la mauvaise nouvelle. Je ne vois pas d’ailleurs pourquoi je
ne serais pas en mesure de le comprendre quand je me le suis moi-
même accordé.
C’est la raison pour laquelle je me suis mis en relation avec nombre
de médias, aux fins de leur faire savoir que je me tenais désormais à
leur disposition pour répondre aux questions qu’ils souhaiteraient me
poser sur mon enquête, leur permettant par ailleurs d’accéder à des
informations complémentaires, sachant que l’article d’une page du
Wall Street Journal n’a pas la prétention de faire plus qu’effleurer le
sujet. Et j’ai une infinie patience. Mais, entendons-nous bien sur ce
temps nécessaire à accepter cette réalité. Pour ce qui me concerne
par exemple, cela ne m’aura en définitive pris que… quelques jours.
les soldats français n’empêchaient pas les massacres dont ils étaient
alors les témoins proches, et quand on garde à l’esprit que ceux qui
lui donnèrent cette directive savaient alors pertinemment que ces
massacres n’étaient autre que la mise en œuvre du génocide des Tutsi,
qu’est-ce que cela change, quant à leur responsabilité, que ce soient
des soldats français qui aient ou non directement massacré ces civils ?
Si l’accusation nous fait passer à autre chose, c’est qu’elle met l’ac-
cent sur le fait que les soldats français n’auront pas gardé le rôle qui
leur avait sans doute été assigné dans le déroulement du scénario
génocidaire. Pour mettre en œuvre un génocide, tout le monde se
doit en effet d’être à sa place. Or, ce qui me surprend dans la décou-
verte que j’ai faite, c’est que les soldats français soient donc allés
jusqu’à occuper une place de choix parmi les tueurs au moment où
ces derniers œuvraient au massacre de masse de ces hommes, de ces
femmes et de ces enfants, ce alors que tout avait pourtant été conçu
pour que le génocide des Tutsi ne nous apparaisse que comme une
nouvelle lutte tribale des plus africaines, autrement dit… entre eux
seulement.
Mon enquête atteste que c’est précisément parce que le génocide des
Tutsi ne s’est pas déroulé comme prévu, comme il avait probable-
ment été conçu, que les soldats français durent finalement mettre la
main à la patte aux fins de venir en aide aux miliciens génocidaires
qui, seuls, n’étaient pas en mesure de venir à bout de la résistance que
leur opposaient alors les habitants de Bisesero ainsi que ceux qui les
avaient rejoints pour tenter d’échapper à leur mort programmée dans
les stades et autres églises de la préfecture de Kibuye. La participation
des soldats français au massacre de masse des Tutsi n’était donc pro-
bablement pas au programme initial. Ce sont, selon moi, les circons-
tances qui auront nécessité une telle improvisation.
Pour résumer, l’accusation semblera certes plus grave à ceux qui
n’avaient jusqu’alors pas encore mesuré la terrible réalité de la com-
plicité de la France officielle dans le génocide des Tutsi, à ceux qui
avaient, jusqu’à présent et à leur insu, été mis à distance de la réa-
lité de cette ignominie par des propos tels que ceux tenus par
Charles Josselin ou Jacques Lanxade selon qui « ce ne sont pas des
soldats français qui tenaient les machettes qui ont tué plusieurs centaines
ceux que j’avais déjà entendus deux ans plus tôt, à Kigali, au cours
des auditions de la commission rwandaise sur l’implication de la
France dans le génocide des Tutsi. Je m’étais dit en effet que la seule
manière de sensibiliser le public à la réalité du comportement des sol-
dats français pendant ce génocide était tout simplement de le mettre
dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles j’avais moi-
même été placé lorsque j’avais fait face à des personnes venues détail-
ler comment elles avaient été violées par des soldats français ou bien
encore été larguées d’un hélicoptère français pendant l’opération
Turquoise. Autrement dit, je préjugeais du contenu des témoignages
que j’allais récolter, allant même jusqu’à me mettre à la recherche
d’une femme violée ou d’un homme largué par hélicoptère, un peu
comme on va au marché.
C’est alors que des témoins m’ont dit des choses que je n’avais aupara-
vant jamais entendues. C’est à cet instant que j’ai considéré qu’il fallait
tout filmer : mes doutes, mes hésitations, mes colères face à un témoin
que je considérais alors me mener en bateau tandis que je ne faisais en
fait moi-même que m’accrocher à l’histoire connue, mes discussions
sans fin avec les membres de l’équipe de tournage au sujet de ce que
nous étions en train de découvrir. Car, oui, nous étions en train de
vivre une découverte en directe. Cela en soi faisant partie de l’Histoire,
il fallait en garder la mémoire. Donc : interdiction de couper !
De plus, je ne voulais pas qu’on puisse dire un jour que je me serais
un tant soit peu arrangé avec les témoins que je filmais. Ceci me per-
met de revenir à votre question. Vous avez maintenant compris que
le cœur même des rushes consigne la rigueur avec laquelle a été mise
en questionnement, tout au long de l’enquête, la fiabilité des témoi-
gnages. Car, avant que je ne considère un témoignage comme fiable,
il aura en effet fallu que ce dernier passe à travers de très nombreuses
étapes souvent éprouvantes pour mes témoins – aussi bien que pour
mon équipe d’ailleurs –, ce que les chercheurs et historiens ne man-
queront pas de découvrir eux-mêmes. Je m’explique.
Un témoignage a de nombreuses raisons de ne pas être considéré a
priori comme fiable. Prenons un exemple si vous le voulez bien. Un
témoin peut très bien se tromper de date et dire qu’il a vu quelque
chose au mois de mai alors que cette chose s’est en réalité passée,
de complicité dans le génocide des Tutsi, c’est que ces Blancs aperçus
par des rescapés et des miliciens pendant le génocide n’étaient en fait
que… des mercenaires ! Après la « révélation » de cette malheu-
reuse confusion, la France officielle considérera dès lors avoir lavé
son honneur sur l’autel du sacrifice de Barril, le dernier étage lancé
par la « fusée France officielle ». Ça, c’est le chemin prévisible que
ne va pas manquer d’emprunter cette France qui n’a, de ce point de
vue, rien à envier à celle de Vichy.
Et puis il y a une autre partition, celle que joue en ce moment
même le fleuve tranquille de l’Histoire. Une mélodie qui n’a elle
que faire des gesticulations néo-négationnistes. Son rôle, c’est
d’avancer, et nous de l’accompagner. Elle sait où elle va. Et elle y
va. Alors, l’accompagner comment ? Et bien en racontant, patiem-
ment, à qui voudra lire ou écouter, à qui voudra ne pas être laissé
au bord de la rive de ce fleuve.
Je rencontre tout à l’heure une trentaine d’élèves d’une classe de
Bagnolet. Ce n’est rien et c’est beaucoup. Patience et détermination.
Accompagnement de l’Histoire, voilà ce qu’il nous reste à faire.
Mais le devoir est aussi judiciaire et c’est urgent. Mes témoins ont
tous fait connaître leur désir de répéter ce qu’ils m’ont dit devant une
Cour de Justice nationale ou internationale. Il y a deux jours, le
9 mars 2010, j’ai ainsi envoyé un courrier au Procureur du Tribunal
Pénal International pour le Rwanda aux fins de le lui faire savoir.
Il se trouve qu’un témoin à charge a en effet récemment parlé de la
présence d’une soixantaine de soldats français entre avril et juillet
1994 en plein centre du Rwanda. Or, cette information vient corro-
borer celle qui a été révélée par le Wall Street Journal le 26 février der-
nier au terme de mon enquête. L’avocat du prévenu a demandé à
Paris des précisions sur cette présence et pourrait conclure de l’ab-
sence prévisible de réponse en la non-fiabilité du témoin à charge.
Raisonnement absurde si l’en est !
Par ailleurs, pour le volet judiciaire, il va bien falloir enfin que des
poursuites soient lancées. Or je ne suis pas juriste, mais les éléments
que j’ai en ma possession sont évidemment à la disposition de toute
procédure visant à punir ceux, tous ceux, qui ont activement parti-
cipé au « ça » du « Plus jamais ça ». n
Témoignage de
Samuel Musabyimana,
habitant rescapé de
Bisesero
Chers invités,
C’est un plaisir et un honneur pour moi de pouvoir vous don-
ner mon témoignage, mais je ne vous cache pas que cela me fait
énormément de peine, parce que ça réveille en moi des souvenirs
trop douloureux. Néanmoins, j’ai accepté de le faire pour rendre
hommage à tous les Tutsi qui ont été massacrés pour ce qu’ils sont, je
le fais pour tous les rescapés, qui, comme moi, ont connu l’enfer pen-
dant les longs cent jours qu’a duré le génocide.
Les tueries dans la région de Kibuye, surtout de Bisesero, occu-
pent une place unique dans l’histoire du génocide des Tutsi au
Rwanda. Les Tutsi de cette fameuse région ont beaucoup souffert,
mais ils ont longtemps essayé de résister aux génocidaires hutu. Avec
des pierres comme seules armes à leur disposition, ils se sont battus
contre les soldats de l’armée nationale (FAR), contre les gendarmes,
contre les milices interahamwe, contre les autorités locales qui, eux,
disposaient d’armes à feu, de grenades, et surtout de villageois armés
de machettes, de gourdins, etc.
Comme vous l’avez vu dans le film [le documentaire de Cécile
Grenier, projeté en ouverture du colloque], cette région est consti-
tuée de nombreuses collines, les Tutsi de chaque colline essayèrent
de se défendre jusqu’au dernier. C’était notre objectif, en avril 1994.
J’étais sur la colline Kizenga, un peu loin du sommet de la colline de
Bisesero.
nous lui avons ravi. Nous n’avions pas de chance, car, les deux boîtes
de cartouches que nous avons trouvées dans les poches du soldat
blessé, ne correspondaient pas avec le fusil du policier !!!! Donc,
cela ne nous a pas servi parce que nous n’avons pas pu les utiliser !
Souvent nous repoussions l’ennemi assez loin mais avec les
consignes de la limite que nous ne devions pas dépasser, car, sinon
nous risquions de nous disperser et tomber dans la zone de l’ennemi.
Arrivant au pied de la colline, l’ennemi se réorganisait pour remon-
ter. De notre côté, c’était la routine de regrouper les pierres et de
prendre encore position comme avant.
Les femmes et les enfants hutu faisaient l’animation et jouaient
des tambours avant de recommencer le combat. La majorité des fem-
mes et des enfants hutu couraient aussi dans les champs et dans les
maisons des Tutsi pour les piller. Mais c’était terrible de voir les nom-
breux tueurs avant qu’ils ne montent la colline.
À part leurs armes à feu, notre positon était efficace. Les assail-
lants avaient peine à monter la pente peu praticable, et pour nous,
la position était avantageuse pour jeter une pierre ou une lance !
Durant les premiers jours, je dirais que le bilan du combat était
positif pour nous, car, il y eut beaucoup plus de morts du côté des
assaillants que du nôtre.
Mais, comme nous devions faire face à une succession quoti-
dienne de batailles, qui duraient souvent de 9 heures du matin à la
tombée de la nuit, nous avions élaboré une routine pour gérer les
combats, comme pour lutter contre la faim. Le soir quand l’ennemi
se retirait, nous nous rassemblions sur la colline pour faire le bilan de
la journée. Nous nous réunissions et nous nous partagions diverses
tâches.
Des groupes d’hommes forts et de jeunes gens allaient piller les
bananes et les maniocs dans les champs des Hutu parce que, dans les
champs des Tutsi, il n’y avait plus rien, tout avait été pillé dès le pre-
mier jour.
Un autre groupe allait puiser de l’eau dans les ruisseaux au pied
de la colline, ce qui était très risqué (une fois nous sommes tombés
dans une embuscade qui a emporté nos quatre jeunes garçons). Tandis
qu’un autre groupe veillait pour éviter que l’ennemi ne nous sur-
prenne. D’autres personnes enterraient nos gens qui étaient tombés
sur le champ de bataille et ramassaient aussi de nouveau des pierres.
L’IMPITOYABLE MASSACRE
Témoignages, débat
Jean-Luc Galabert : Je te remercie, Samuel, pour toutes ces paroles.
Je te remercie profondément parce que ce n’est pas évident de pen-
ser de nouveau aux lieux de sa souffrance. Je ne sais pas s’il y a un
devoir de témoigner. Cela, je ne m’autoriserais pas à le dire. Mais
pour nous, il y a un devoir d’entendre ces paroles et de permettre
qu’elles soient entendues. Nous avons le devoir de les rendre acces-
sibles, c’est-à-dire de créer les conditions de possibilité du témoi-
gnage, afin que ceux et celles qui veulent, ceux et celles qui peuvent
témoigner, puisse le faire, pour que cette parole soit reconnue et que
l’humanité puisse en tirer toutes les conséquences.
Il était important que cette parole puisse se déployer et prendre tou-
tes ses dimensions. Nous avons la chance de bénéficier de la présence
de personnes qui viennent d’Allemagne. Elle n’étaient pas à Bisesero
même. Elles étaient plus bas, à Kibuye. Elles peuvent apporter leur
regard et leur témoignage propres. Il s’agit de Jacqueline
Mukandanga et de Wolfgang Blam. Je les invite de manière
impromptue à venir à la tribune pour dire ce qu’ils souhaitent. Ils
n’ont pas préparé de témoignage à proprement parler, mais je leur
cède maintenant la place pour nous communiquer ce qu’ils veulent.
Après ces deux interventions, nous ouvrirons le débat avec la salle.
TÉMOIGNAGES
DE WOLFGANG BLAM,
MÉDECIN À KIBUYE EN 1994,
ET DE JACQUELINE MUKANDANGA, RESCAPÉE DE KIBUYE.
Wolfgang Blam : Je suis médecin, et je travaillais au Rwanda de 1984
jusqu’en 1998. J’étais à Kibuye au moment du génocide, ou plutôt à
Gikongoro. Je suis arrivé à Kibuye deux jours après où j’ai passé six
semaines, pendant le génocide, jusqu’à ce que le consul honoraire à
Bukavu ne nous sauve par la voie du lac Kivu. Nous n’avons pas pré-
paré un témoignage ici parce que nous ne sommes pas de Bisesero
même. J’étais médecin à l’hôpital. J’ai travaillé et vécu à deux cent
anciennes maisons pour les remplacer par des neuves. NDLR] Pourtant,
nos maisons n’étaient pas les pires du voisinage. On n’a pas été tués
là. Ma grand-mère a reçu un coup de machette. Après, nous avons
été logés dans une famille hutu dont le père de la famille avait grandi
chez mon grand-père. Il nous a logés et, ensuite, nous sommes ren-
trés, nous avons reconstruit la maison – encore – et nous y sommes
retournés avec mes grands-parents, parce que je vivais à ce moment-
là chez eux. Bref, en 1973, on a brûlé les maisons de Bisesero. On
voyait – ceux qui connaissent Gishyita le savent – tout ce qui se pas-
sait à Bisesero, surtout les gens qui couraient ou qui criaient. Nous-
mêmes, on courait.
Ça s’est calmé quand le président Habyarimana a pris le pouvoir,
alors, on est restés. Et il y a eu des problèmes dans les années 1980.
Il y a eu encore des problèmes quand il y a eu le multipartisme et
quand on a voulu élire les bourgmestres des autres partis. Là, il y a eu
des menaces. Après, j’ai travaillé à Cyangugu. Je revenais de temps
en temps aussi à la maison pour les vacances, pour les congés.
En 1990, quand a commencé l’attaque du FPR, on avait toujours des
problèmes, des insultes partout où on passait. On nous insultait. On
nous disait carrément : « vos jours sont comptés ». On faisait toujours
des remarques comme ça, mais on était habitués. C’était vraiment
une habitude. Tous les jours ont rencontrait des choses comme ça.
En 1992, j’étais en congé chez moi à Gishyita, et, cette nuit-là, il y a
eu une attaque qui est montée à partir du lac, et on disait que
c’étaient des bandits qui venaient du lac Kivu. Et là, ça c’est terminé
par... on a brûlé les maisons des Tutsi. On a tué des vaches aussi. Ce
qui était bizarre, je dirais, c’est qu’on volait des vaches d’une famille,
et les vaches d’une autre famille hutu à coté, on n’y touchait pas. Il
y avait deux petits magasins côte à côte appartenant à deux jeunes
gens, celui du Tutsi a été pillé et l’autre ne l’a pas été. Et, comme ça,
tous, nous nous sommes rassemblés dans le bureau communal.
Beaucoup de gens avaient peur parce qu’il y avait des gens qui étaient
dans le MDR et les autres n’avaient pas de parti. Donc, des Hutu, des
Tutsi, nous nous sommes tous rencontrés dans le bureau communal.
Des jeunes gens et des hommes ont décidé d’aller contre-attaquer les
soi-disant voleurs qui venaient du lac. Et là, je me rappelle, à un cer-
tain moment il y en a un qui est venu et qui a sélectionné les Hutu.
Il a dit : « Venez, rentrez, vous ça ne vous regarde pas. » Nous, nous
sommes restés dans le bureau communal, et les autres sont rentrés à
la maison. À ce moment là, des jeunes gens et des hommes ont
morte, et moi, je les voyais, j’avais même envie de leur dire… « Vous
êtes dingues… C’est quoi ça, hein ? »
Et après, ils se sont occupés de chez Samuel, parce qu’ils avaient une
base là, chez Ruzindana. Ils revenaient prendre des munitions. Ils
étaient habillés en militaires, les autres, c’étaient des miliciens. Ils
revenaient pour prendre des munitions, pour prendre des bières. Ils
remontaient, ils redescendaient, jusqu’à ce que Ruzindana lui-même
ne descende. Il a dit : « Bon, moi, je ne veux pas voir un cadavre d’une
femme de Blanc. Vous auriez pu la tuer avant. Et si vous ne l’avez pas fait
avant, alors faites-la retourner à Kibuye, c’est votre affaire. Et en plus,
on n’avait pas à se faire des problèmes avec les Allemands parce que si
vous tuez un Allemand, gare à vous ! »
C’étaient des discussions qui étaient à côté de nous alors. « Tous les
pays du monde entier nous ont lâché. Il ne nous reste que la France. Et si
l’Allemagne nous lâche, la France va lâcher aussi, parce que ce sont des
amis. Alors pour conserver cette bonne entente avec la France, il ne faut
pas toucher à l’Allemand. » Et c’est ça qui m’a fait retourner à Kibuye
jusqu’à maintenant. n
Au moins, c’est ça que je peux dire pour les pays riches qui peuvent
nous aider, ou bien de faire d’autres formations pour aller aussi aider
les autres qui n’arrivent pas à suivre le monde actuel... Je ne sais pas
si j’ai répondu comme ça.
Justin Gahigi : Je m’appelle Gahigi Justin. J’habite ici à Genève. Ma
question s’adresse au docteur Wolfgang. Vous avez vu des soldats et
des miliciens qui venaient à Bisesero. Est-ce ça confirme la question
qu’avait posée Cécile Grenier dans son film à propos de l’attaque du
13 au 15 mai ? Elle cherchait à recouper différents témoignages pour
être sûre. La deuxième chose, c’est sur les procès des génocidaires de
Kibuye. Avez-vous témoigné, ou avez-vous quelque chose à nous
dire, entre autres sur le procès de Ruzindana Obed ? Nous avons suivi
ces procès, vous avez été témoin, est-ce vous avez quelque chose à
nous dire là-dessus ?
Wolfgang Blam : Pour l’observation des transports, je n’ai pas fait un
procès verbal ou une étude sur les véhicules et les transports qui pas-
saient sur la route vers Cyangugu, mais de là où j’habitais, je pouvais
voir la route qui descend vers Cyangugu. Alors, nous avons vu aussi
des véhicules des Nations Unies passer les premiers jours. C’était à
peu près une semaine après l’attentat contre l’avion, et c’était en
parallèle avec la coupure du réseau de téléphone, alors c’était mau-
vais signe. On voyait qu’on était délaissés par le monde. Nous avons
vu souvent des véhicules, non seulement commerciaux mais aussi
individuels, il y avait tout de même toujours encore de la circulation,
et nous avons vu des camionnettes chargées de miliciens qui allaient
dans le sud et revenaient après.
Je ne me rappelle pas les dates, mais c’était après le « grand travail »
à Kibuye, après le massacre au stade de Gatwero et à l’église, le 18
avril. C’était plus ou moins régulier, alors je peux confirmer ce que
j’ai déjà écrit dans mon petit texte, que, pour moi, il y avait une orga-
nisation derrière. Ce n’était pas un soulèvement populaire comme
cela a été essayé d’être présenté par les organisateurs. C’était bien
organisé, et c’est ça qui m’a frappé dès le premier jour, parce que,
dans mon école – j’avais fait heureusement des études détaillées sur
l’holocauste –, et je voyais que c’était une structure et une organisa-
tion parallèles.
Par contre, je ne peux pas – parce que j’étais un témoin au loin – je
ne peux pas confirmer qui organisait et qui circulait. Je n’ai pas vu
d’autres Blancs pendant toutes les six semaines, alors je n’ai pas vu de
Français, et je n’étais pas sur la route même. Mais ce qui est clair, et
ce que ma femme a aussi décrit, c’est que les attaques contre les vic-
times, contre la population tutsi et ceux qui les protégeaient, qui
aidaient, c’était organisé, orchestré, cela se déroulait selon une
concertation et un plan à établir encore par les recherches.
Le deuxième point que vous avez posé, c’est la question du jugement
de la justice, et là aussi j’aimerais compléter la réponse de Samuel. La
responsabilité de la communauté internationale – comme cela a été
demandé – c’est d’abord de reconnaître le génocide. Ça s’est fait pour
le Rwanda, au moins en grande partie, et là, nous sommes, en tant
que victimes déjà plus avancés que les Arméniens, ou les gens au
Darfour qui subissent encore pour le moment.
La deuxième phase, c’est l’aide aux victimes, la réhabilitation. Mais
je crois que ce qui pourrait finalement arriver après un « jamais
plus », c’est de faire des poursuites et des jugements effectifs. C’est ça
qui a manqué au Rwanda. L’impunité a facilité et encouragé – et l’im-
punité pendant le génocide, pendant les trois mois – le monde entier
à fermer les yeux. Cela a permis de vraiment engendrer une grande
catastrophe. Alors, il y a bien quelques poursuites judiciaires qui, à
notre étonnement, se sont formées.
Nous avons été appelés comme témoins pour une accusation aux
Pays-Bas contre le frère d’Obed Ruzindana. Il s’appelle Joseph
Ruzindana alias Mpambara-Murakaza. Dans le temps, il était connu
par nous sous cet autre nom. Nous avons été intégrés dans ce procès
comme témoins, après, nous avons compris que nous étions des vic-
times parce que nous avons été arrêtés pendant toute une journée,
avec une décharge contre lui. Une journée de torture contre moi,
mon épouse et notre fils alors qu’il l’a passée indemne comparé à
nous. Je ne sais pas si vous avez bien suivi ici mais il a été jugé en pre-
mière instance, mais lui, et aussi le procureur, ont tous deux fait
appel, donc c’est en deuxième instance maintenant. Et on va voir ce
qui va arriver.
Nous sommes, d’un côté, fiers que la justice néerlandaise ait fait ces
démarches, et nous sommes quand même arrivés loin. Mais, d’un
autre côté, la justice, la police et le procureur néerlandais reconnais-
sent que leurs instruments pour poursuivre ne sont pas adaptés à ce
type de crime. Parmi les sept charges, plusieurs ont été omises parce
qu’il n’y avait qu’un seul témoin, et, dans la justice néerlandaise, un
témoignage d’une seule personne n’est pas suffisant. Il faut au moins
deux témoignages qui disent la même chose. Imaginez-vous pour le
Rwanda. C’est en voie d’évolution. Les lois aux Pays-Bas ont été
changées, on pourrait même, dans le futur, porter plainte pour crimes
de génocide. C’est un projet de loi, mais j’espère que ça va aller dans
ce sens.
Par contre, nous avons été interviewés, quand nous étions encore au
Rwanda après le génocide, par les interrogateurs et les chercheurs du
tribunal international, mais je n’étais pas impliqué dans un procès à
Arusha ou contre Obed parce que là, je n’avais pas de contact direct.
On l’a vu une fois ce jour où nous étions à Mugonero, le soir, quand
il revenait avec sa camionnette et les miliciens. Mon épouse a
raconté quelques citations, mais je crois qu’il y a d’autres charges plus
lourdes contre lui que cette observation simple.
Yves Cossic : Je vais me présenter : j’ai participé aux différents
numéros de la revue La nuit rwandaise, Yves Cossic. D’abord, pour
être tenté de préciser la question qui a été posée là-bas, je vais pren-
dre le problème du côté français d’abord. Parce que, comme nous
l’avons souvent écrit, s’il n’y avait pas eu l’intervention Noroît en
1990, suivi d’un triplement de la coopération militaire française, y
compris certains corps d’élite, il est évident que l’organisation, la pla-
nification du génocide, auraient été beaucoup plus difficiles. Donc,
la responsabilité de l’État français est énorme dans la préparation et
l’exécution du génocide.
S’il y a un espoir, ce serait du côté français que, à chaque fois qu’il y
a intervention des militaires français à l’étranger, ce soit porté devant
le Parlement pour prendre une décision. Or, ce n’est jamais fait.
Récemment encore, la France intervient aveuglément en
Afghanistan. Aucune consultation du Parlement. Il est évident que
ça laisse très mal à l’aise par rapport à ce qu’on appelle la représenta-
tion parlementaire chez nous. Donc, il y a peut- être une démarche
à faire : arrêter le mode d’intervention de l’État français dans un sens
qui peut devenir très facilement génocidaire, comme cela a été le cas
au Rwanda, comme ce pourrait être le cas au Tchad, comme ce pour-
rait être le cas dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest très instables
en ce moment comme le Gabon, la Côte d’Ivoire, le Togo, etc.
Il y a une deuxième chose, mais qui a été dite discrètement. Il y a eu
quand même, et il y en a même dans ma famille, des Hutu qui ont été
des justes, comme disait Cécile Grenier. Il ne faut pas l’oublier. Il faut
le dire avec précision pour tenter de sortir de l’engrenage qui a servi
de « prétexte légal » pour mettre en route le déclenchement du
génocide. Quand M. Védrine parle des raisons d’être du soutien de la
Mot de circonstance
prononcé par
Michel Gakuba
Chers invités,
furent mobilisés par une propagande de haine relayée par les moyens
de communication modernes, notamment la tristement célèbre radio
RTLM (Radio Télévision Libre des Milles collines). Le génocide a
été perpétré sur l’ensemble du territoire national. Du Nord au Sud,
de l’Ouest à l’Est, les Tutsi ont été exécutés de façon plutôt uniforme.
On a tué sur les collines, dans les églises et les temples, comme je
viens de le dire plus haut, dans les maisons d’habitation, dans les
bureaux et les services administratifs, dans les écoles, sur les barrières
érigées sur les routes et les sentiers, dans les hôpitaux, partout !
À quelques rares exceptions près, les média présentaient le géno-
cide des Tutsi comme une guerre tribale, issue d’une haine séculaire
entre Hutu et Tutsi, un problème «typiquement africain», disaient-ils.
Les instigateurs hypocrites du génocide des Tutsi au Rwanda
racontent que la mort de l’ex-président du Rwanda, Juvénal
Habyarimana, a été comme une étincelle qui a mis le feu aux pou-
dres. D’autres croient que ce génocide était motivé par une haine
ancestrale entre Hutu et Tutsi du Rwanda.
Il ne s’agit pas d’une haine, mais d’une logique génocidaire.
L’idéologie du Parmehutu, instaurée dans les années 50, avait
fini par imposer le sentiment selon lequel le Rwanda appartient aux
Hutu « majoritaires» considérés exclusivement comme étant «le peuple
», à qui appartiennent collectivement et génétiquement la souverai-
neté, le pouvoir, les privilèges et les droits, même celui de disposer de
la vie et des biens des autres, cela au point de commettre un génocide.
Et tout cela au nom de la «démocratie », un terme prisé par les élites
politiques Hutu, pour qui il signifie simplement et dérisoirement : «
pouvoir héréditaire et exclusif de l’ethnie majoritaire, donc Hutu ».
« Exterminer les Tutsi de telle sorte que nos enfants aillent voir au
musée de quoi ils avaient l’air», tels étaient les propos des autorités de
la première République. Les Hutu et les pseudo-historiens préten-
dant que les Tutsi étaient venus de l’Ethiopie, où ils devaient retour-
ner par le Nil, voici ce qu’a dit un ancien journaliste de la Radio
Libre des Mille collines : « Renvoyez-les d’où ils sont venus par les voies
les plus rapides » disait Léon Mugesera, à Kabaya, en 1992. La suite est
connue : des milliers de corps que les rivières Akanyaru, Akagera et
Nyabarongo charriaient et exposaient aux écrans de télévision du
monde entier. Les pêcheurs du Lac Victoria ont été les seuls à crier
au secours parce qu’ils étaient privés de poissons pendant plusieurs
jours. Personne d’autre ne s’est inquiété de la catastrophe.
Comme pendant les autres génocides qui ont précédé celui des
Tutsi au Rwanda, le pouvoir en place tenaient des discours politiques
qui diabolisaient la minorité tutsi en la qualifiant d’étrangers usurpa-
teurs et ingrats et des discours qui déshumanisaient et chosifiaient les
Tutsi aux yeux des Hutu en employant des termes tels que « serpents»,
«ennemis», « cancrelats », etc.
Le génocide des Tutsi au Rwanda a été annoncé et planifié de
longue date. En 1959, une idéologie ethniste, fasciste et génocidaire
a vu le jour au Rwanda. Ses victimes – essentiellement des Tutsi mas-
sacrés ou exilés – furent alors considérés comme le prix à payer pour
une « révolution sociale hutue». Durant plus de trente ans, ce drame a
été recouvert d’un voile de silence et de propagande intensive. Le
monde occidental et les missionnaires Pères blancs – créateurs de la
soi-disant « révolution rwandaise de 1959 » – se félicitaient de la tran-
quillité, de la stabilité et de la prospérité de la « République hutu ».
Les massacres qui ont ciblé exclusivement la population tutsi
depuis 1959 n’ont jamais fait l’objet d’une enquête et aucun de leurs
auteurs n’a été inquiété par la justice. Au contraire, ceux qui
s’étaient illustrés le plus dans ces assassinats massifs des Tutsi, se
voyaient octroyer des postes politiques, administratifs, etc., le pou-
voir en place les qualifiant de héros de la révolution hutu.
Au fil des décennies, l’exclusion systématique et les pogroms
cycliques des Tutsi furent érigés en principe de gouvernement par les
régimes de la première et de la deuxième République. Des massacres
de 1959 au génocide de 1994, en passant par les pogroms répétitifs de
1963, 1964, 1966, 1967, 1973, de 1990 à 1993, le drame des Tutsi du
Rwanda fut soigneusement étouffé par de puissants lobbies missionnai-
res et coloniaux de désinformation. Le génocide de 1994 fut le sommet
de l’horreur quant à l’aboutissement de cette idéologie ethniste.
Qu’a fait le monde face à cette situation ?
Alors que les gens sont gonflés à bloc par un bourrage de crâne
diabolique et que les massacres ont commencé, les principaux insti-
gateurs du génocide se réfugient en Europe sous bonne protection.
Où sont les armes de l’ONU ? Que font les militaires de la paix ? Au
lieu d’augmenter le nombre de militaires de l’ONU qui station-
naient au Rwanda, dès le début du génocide, l’ONU rappelle ses
militaires laissant ainsi mains libres aux génocidaires qui pouvaient
accomplir leur sale besogne sans être dérangés par personne. Que
fait la communauté internationale pour condamner cette barbarie ?
JACQUES MOREL
1. RÉSUMÉ
MINISTERE DE L’INTERIEUR ET
DU DEVELOPPEMENT COMMUNAL
KIGALI
Gisenyi, le 18 juin 1994.
Monsieur le lieutenant-colonel
Anatole Nsengiyumva
Commandant du secteur
Opérationnel de Gisenyi
GISENYI
Objet: Opération de ratissage à Kibuye
Monsieur le Commandant de secteur,
J’ai l’honneur de vous informer que lors du conseil des minis-
tres de ce vendredi 17 juin 1994, le Gouvernement a décidé de
demander au Commandement du Secteur opérationnel de
Gisenyi d’appuyer le Groupement de la Gendarmerie à Kibuye
pour mener, avec l’appui de la population, l’opération de ratis-
sage dans le secteur Bisesero de la commune de Gishyita, qui est
devenu un sanctuaire du FPR.
Le gouvernement demande que cette opération soit définitive-
ment terminée au plus tard le 20 juin 1994.
En l’absence du Ministre de la Défense qui est en mission à
l’étranger, le Ministre de l’Intérieur et du Développement
Communal a été mandaté pour vous communiquer cette déci-
sion et en assurer le suivi.
Le Préfet de la Préfecture de Kibuye ainsi que le commandant