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Travail de recherche sur Joaquin Rodrigo

Dans le cadre du cours de

Littérature musicale 4

Présenté à Sandra Corneau

Par
Olivier Provencher

Le 29 octobre 2010
Joaquin Rodrigo : Un siècle d’inspiration

Au tournant du 20iem siècle, la musique espagnole s’est vu enrichie


de plusieurs grands noms qui sont venus marquer les mémoires. Que ce
soit avec Isaac Albéniz et sa célèbre Suite espagnole ou Manuel de Falla et
son hommage pour le tombeau de Debussy, la musique pour guitare a enfin
pu se frayer une place dans le répertoire classique. Le grand guitariste
Andrés Segovia est d’ailleurs l’instigateur des programmes pour guitare
soliste en concert. Sa contribution à la popularisation de la guitare classique
est sans conteste la plus importante. Sa vie de recherche et d’acharnement
on permit à plusieurs générations après lui de vivre de la pratique de la
guitare. L’un des compositeurs ayant apporté l’une des plus grandes
contributions à son répertoire est Joaquin Rodrigo, connu en grande partie
pour son célébrissime Concerto d’Aranjuez. C’est de lui que traitera la
présente recherche.
Né en en 1901 à Sagunto, il est le plus jeune des dix enfants d’un
riche paysan. Il devient aveugle à l’âge de 3 ans après avoir contracté la
diphtérie qui sévissait alors sous forme d’épidémie en Espagne. À 4 ans, il
débuta ses études à l’école pour les enfants aveugles, il y développa
rapidement un gout prononcé pour la musique et la littérature. À 8 ans, il
entame ses études musicales avec le piano, le solfège et le violon. Âgé de
16 ans il étudie déjà l’harmonie et la composition. À Paris, il recevra les
enseignements de Paul Dukas à l’École Normale de Musique. Après un
cours séjour en Espagne, il revient ensuite à Paris où il étudie la
musicologie. En 1923, il écrit ses premières compositions dont deux essais
pour piano et violon et sa première œuvre pour grand ensemble, la
chansonnette pour violon et orchestre à cordes. Sa première œuvre
orchestrale, Juglares, fut jouée en 1924 par l’orchestre symphonique de
Valencia. Encouragé par son succès, il se présente à un concours de
composition avec ses Cinq pièces pour enfants qui reçurent une mention
d’honneur des juges. En 1927, considérant les succès antérieurs
retentissants des peintres et compositeurs espagnols en France, Rodrigo
décide de suivre la trace de Manuel de Falla et d’Albéniz et de s’installer à
Paris. C’est dans cette période que Rodrigo rencontre celle qui inspirera ses
plus belles œuvres, celle qu’il mariera; la pianiste turque Viktoria Kamhi.
Elle abandonnera sa carrière pour se donner entièrement à son mari pour
qui elle sera d’une aide précieuse. En effet, parlant plusieurs langues et
ayant une connaissance approfondie des différentes cultures européennes,
celle-ci l’accompagnera toujours lors de ses voyages.

En 1938, Joaquin Rodrigo est invité à enseigner à l’université de


Santander qui venait d’ouvrir, ce qui lui permit de renouer avec la vie
culturelle en Espagne dont il était coupé à cause de la guerre civile. C’est à
cette époque qu’il composa le célèbre Concerto d’Aranjuez qui fit sa
renommé. Il reçut de la part de Manuel de Falla lui-même, une lettre lui
proposant un poste dans l’une ou l’autre des universités de Sevilla ou de
Granada. Étant donné la récente cessation de la guerre civile, les Rodrigos
décidèrent de s’installer à Séville où ils seraient moins prêts de la capitale
en cas de conflits militaires. Ils emménagèrent deux jours avant la
déclaration de la Deuxième Guerre Mondiale. Il siègera par la suite au poste
de Manuel De Falla, après la mort de celui-ci, en tant que professeur de
musicologie.

Rodrigo reçut par la suite de nombreux prix, récompenses et titres


honorifiques qui font de lui l’un des compositeurs les plus récompensés du
XXe siècle. Il fut nommé officier des arts et des lettres, membre de la Légion
d’honneur Française, Docteur en musique honoris causa. Il reçut la Grande
Croix du mérite civil et la Médaille d’or du mérite en Espagne. Il fut aussi
nommé Premier marquis des jardins d’Aranjuez.

En 1959, à la demande du grand guitariste Andrés Ségovia, Rodrigo


composa la Fantaisie pour un gentilhomme pour guitare et orchestre. La
première fut jouée par maestro Ségovia à San Fransisco en présence du
compositeur.

La musique de Rodrigo est essentiellement néo-classique. Ses genres


de prédilection sont le poème symphonique et le concerto. Outre ses
œuvres orchestrales, Rodrigo a su élever la guitare au rang d’instrument de
concert, même s’il n’a lui-même jamais su en jouer. Il est d’ailleurs, pour
cette raison nécessaire d’être très fort techniquement pour jouer la
moindre pièce pour guitare de Rodrigo. Il serait par contre erroné de croire
que ces pièces sont de simples transcriptions du piano. Le compositeur
avait une connaissance approfondie de l’instrument à six cordes et savait
faire en sorte que ses compositions soient malgré tout, humainement
jouables. Sa contribution au répertoire de la guitare est sans conteste l’une
des plus importantes du XXème siècle. Ses pièces sont caractérisées par
une incroyable recherche au niveau des timbres, des sonorités et des
possibilités rythmiques qu’offre la guitare dite «classique». Il est important
de mentionner que Rodrigo accordait une importance capitale à la place
offerte à cet instrument au sein de son répertoire. On peut facilement
s’imaginer ici que ce fût peut-être une façon pour lui de garder l’Espagne
près de lui lors de longues années hors de son pays d’origine. Certaines
mélodies et phrases musicales typiquement espagnoles, très proches du
flamenco sont d’ailleurs souvent reconnaissables dans ses compositions,
notamment dans le fameux Concerto d’Aranjuez.

Rodrigo est décédé en 1999, il était alors presque centenaire. C’est


dire qu’il a connu tout le renouveau de la pensée, des technologies et de
l’ère industrielle, mais surtout, la révolution de la musique, musique qui fût
énormément changée, brassée, repensée, retravaillée et secouée par les
apports qu’emmenèrent, bien malgré elles, deux guerres d’envergures
mondiales. Il vit donc l’apparition de nouvelles manières de voir la musique;
l’atonalité, le sérialisme, la polytonalité, le jazz, le blues, le rock. Ses yeux
n’auront jamais vu la couleur des instruments qui servaient alors et qui
serviront toujours à cracher les mêmes sept notes et leurs altérations qui
forment la musique telle que nous la connaissons. Il a pourtant su
entendre, écouter et cependant rester intègre et simple dans sa musique,
toujours brillant, toujours grandiose, toujours inspiré, jamais trop loin de ce
qu’il était, tel une statue qui voit les années passer et qui observe
patiemment, continuant d’être ce qu’elle est, tout simplement.

Aranjuez, mon amour

Le Concerto d’Aranjuez est le parfait exemple de la modestie et de


l’inspiration dont Rodrigo a su faire preuve tout au long de sa vie. Son
célèbre Adagio est littéralement un cri du cœur, une plainte et une
supplication à Dieu. Le grand maître de la guitare Pépé Romero dit
d’ailleurs de ce mouvement que c’est probablement l’une des plus
importantes analyses musicales réalisables. «Non pas du coté technique de
la pièce, mais au niveau spirituel et émotionnel ». En effet, le premier
mouvement du concerto évoque la paix des jardins, la beauté du palais
d’Aranjuez et la splendeur de l’Espagne d’alors. Cependant, derrière cette
apparente magnificence se cache une tragédie qui est étalée dans toute sa
tristesse dans l’Adagio. Celui-ci commence avec la guitare qui roule
doucement et régulièrement l’accord de Si mineur, tonalité dans laquelle la
pièce est écrite. Ce rythme régulier et lent représente les battements d’un
cœur, celui de la femme de Rodrigo qui était alors gravement malade. Le
couple venait alors de perdre leur premier enfant qui mourut à la
naissance. Comme le dit Pépé Romero, ce mouvement est teinté
d’innocence et d’amour, ces fortes émotions que ressentent les parents
envers leurs enfants nouvellement nés. En même temps, on peut ressentir
la colère qui grondait férocement dans l’âme de Rodrigo à travers la
cadence jouée par la guitare accompagnée par la contrebasse lointaine.
Comme si Rodrigo demandait à Dieu : «Pourquoi l’as-tu pris?». Le thème
est un chant continuel, une demande directe, pleine de beauté et de
sincérité, comme s’il suppliait de tout son cœur que sa femme, sa
compagne de toujours, ne meurt pas. Le climax subvient lorsque la guitare
entame de puissants «rasguedos» et que la tension engendrée par ceux-ci
se relâche lors d’un ultime «Tutti» chanté, voir hurlé par les cordes qui
sont, en fait, les témoins de la résignation, de l’acceptation du destin que
Dieu aurait choisi pour Joaquin Rodrigo et sa femme. Les cordes se calment
alors et le rang des flutes traversières emmène alors la paix et la tranquillité
et l’espoir renait dans un sublime et final accord majeur alors que la guitare
vient chanter les dernières notes et conclure sur de délicates harmoniques.

3 Piezas españolas

Voici donc une suite de trois pièces pour guitare seule tirée du
répertoire de Rodrigo. Ces trois pièces sont parmi les plus difficiles à
interpréter de tout le répertoire de la guitare classique et sont de plus en
plus fréquemment interprétées lors de concours. Le guitariste québécois
Jérome Ducharme en a d’ailleurs fait une interprétation spectaculaire lors
du prestigieux concours de la Guitar Foundation of America en 2005, ce qui
lui a valu la première place. Celle de ces trois pièces qui sert d’ouverture à la
suite est un Fandango agréablement teinté d’ironie. Les premiers accords
en sont volontairement dissonants et désagréables à l’écoute. Il appartient
donc à l’interprète de leur donner le sens qui leur est du. La deuxième pièce
est une Passacaille, un thème et variation. Le thème, très sombre et
introspectif est en ostinato à la basse. Les trois autres doigts viennent
remplir l’espace de folles arabesques presque impossible techniquement,
passant d’arpèges en triolets à l’harmonie à trois voix et au tremolo. Vient
ensuite le Zapateado, qui conclu cette suite de manière tragique et
romanesque. Cette pièce tient carrément du poème symphonique, on
croirait voir les cavaliers espagnols foncer sur leurs ennemis. Bien qu’étant
dans l’ensemble (et à mon humble avis) un brin plus simple (mais pas trop)
d’exécution que les deux pièces la précédant, Rodrigo a du prendre un
malin plaisir à y incruster deux traits de gamme qui feraient tomber la
mâchoire et s’enflammer les doigts de plusieurs. Ces pièces sont sans
conteste des chefs d’œuvre, comme toute les œuvres de Rodrigo selon-moi.

Voilà ce qui conclu cette petite recherche sur un homme qui


mériterait un livre à lui. Je souhaite sincèrement vous avoir transmit, cher
lecteur(s)/lectrice(s) et ce le plus fidèlement possible, la passion que je me
suis découvert pour la musique (qui, soit-dit en passant, fut dans son
entièreté écrite en brail) de cet homme, l’un des compositeurs les plus
récompensés de l’histoire, qui a réellement été le fils du XXème siècle.

Jo
aquin Rodrigo et sa femme «Vicky»

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