Reprinted in 1999)
Maria Valtorta
" L'Evangile tel qu'il m'a été révélé"
Vol 1 La préparation
Vol. 2 La première année de la vie publique
Vol. 3 La deuxième année de la vie
Vol 4 (deuxième partie)
Vol. 5 La troisième année de la vie publique
Vol. 6 (deuxième partie)
Vol 7 (troisième partie)
Vol. 8 La préparation à la Passion
Vol. 9 La Passion
Vol 10 La Glorification
MARIA VALTORTA
…Nous demandons à nos lecteurs de nous excuser pour quelques imperfections de cette première
édition française. »
ÉDITEUR
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Vol. 1° : La préparation
* = 20% EN LIGNE
VOL.1. Chapitres 1-10
1. « On peut appeler Marie la puînée du Père
2. Joachim et Anne font un voeu au Seigneur
3. Anne prie au Temple et Dieu exauce sa prière
4. “Joachim avait épousé la sagesse de Dieu renfermée
5. Anne, avec un cantique annonce sa maternité
6. “La Sans-Tache ne fut jamais privée du souvenir de Dieu”
7. Naissance de la Vierge Marie
8. “Son âme apparaît belle et intacte comme quand Dieu la pensa”
9. “D’ici trois années tu seras là, mon Lys”
10. “Voilà la parfaite Enfant au coeur de colombe”
Vol. 1° : La préparation
MARIA VALTORTA
Vol. 1° : La préparation
Jésus dit :
« Que dit le livre de la Sagesse, en chantant ses louanges ? ‘Dans la Sagesse, se trouve en effet
l’esprit d’intelligence, saint, unique, multiple, subtil’. Il continue en énumérant ses qualités et
termine avec ces paroles : ‘…qu’elle peut tout, qu’elle prévoit tout, qu’elle comprend tous les
esprits, quelle est intelligente, pure, subtile. La sagesse pénètre tout par sa pureté, c’est une
émanation de l’esprit de Dieu… et donc en elle, il n’y a rien d’impur … c’est une image de la bonté
divine. Tout en étant unique, son unité peut tout, immuable comme elle est, elle renouvelle toutes
choses. Elle se communique aux âmes saintes et forme les amis de Dieu et les Prophètes’.
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Tu as vu comment Joseph, non par culture humaine mais par surnaturelle instruction, sait lire
dans le livre scellé de la Vierge sans tache, et comment il frôle par sa ‘vue’ les vérités prophétiques
en voyant un mystère surhumain là où les autres ne voient qu’une grande vertu. Imprégné de cette
sagesse, qui s’exhale de la Vertu de Dieu et qui est une émanation certaine de la Toute Puissance, il
se dirige d’un esprit tranquille et sûr dans la mer de ce mystère de Grâce qu’est Marie, se rencontre
avec Elle en des échanges spirituels où, plutôt que les lèvres, ce sont deux esprits qui se parlent dans
le silence sacré des âmes où ils n’entendent que la voix de Dieu et ne la reçoivent que ceux qui sont
agréables à Dieu, parce qu’ils Le servent fidèlement et sont remplis de Lui.
La Sagesse du Juste, qui s’accroît par l’union de la présence de la Toute Grâce, le prépare à
pénétrer dans les secrets les plus hauts de Dieu pour pouvoir les protéger et les défendre des pièges
humains ou démoniaques. Et tout lui est occasion de renouvellement. D’un juste elle fait un saint, et
d’un saint le gardien de l’Epouse et du Fils de Dieu.
Sans soulever le sceau de Dieu, lui le chaste, qui maintenant porte sa chasteté à un héroïsme
angélique peut lire la parole de feu écrite sur le diamant virginal par le doigt de Dieu et il y lit ce
que dans sa prudence il ne dit pas, mais qui est bien plus grand de ce que Moïse a lu sur les tables
de pierre. Et, pour qu’un œil profane ne déflore pas le mystère, il se place, sceau sur le sceau,
archange de feu sur le seuil du Paradis, dans lequel l’Eternel prend ses délices ‘se promenant à la
brise du soir’ et en parlant avec Celle qui est son amour, Bois de lys en fleur, brise parfumée
d’arômes, Brise fraîche matinière, belle Etoile, Délice de Dieu. La nouvelle Eve est là, devant lui
non pas os de ses os ni chair de sa chair, mais compagne de sa vie. Arche vivante de Dieu dont il en
reçoit la tutelle et qu’il doit rendre à Dieu pure comme il l’a reçue.
‘ Epouse de Dieu’ il était écrit dans ce livre mystique aux pages immaculées … Et quand le
soupçon de l’épreuve lui souffla son tourment, lui, comme homme et comme serviteur de Dieu,
souffrit, comme personne au monde, pour le sacrilège soupçonné. Mais ce fut là l’épreuve future. A
présent, en ce temps de grâce, il voit et il se met au service plus vrai de Dieu. C’est ensuite que
viendra l’orage de l’épreuve, comme pour tous les saints, pour être éprouvés et pour être rendus
coadjuteurs de Dieu.
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Que lit-on dans le Lévitique ? ‘Dis à Aaron, de ne pas entrer en tout temps dans le sanctuaire qui
se trouve derrière le Voile, devant le Propitiatoire qui couvre l’Arche, pour ne pas mourir lorsque
j’apparaîtrai dans la nuée au-dessus de l’oracle, de ne pas entrer sans qu’il n’y aura fait d’abord ces
choses : il offrira un veau, sacrifice pour le péché, et un mouton en holocauste ; il revêtira la tunique
de lin et avec les caleçons de lin couvrira sa nudité’.
Et réellement Joseph entre, quand Dieu le veut et autant que Dieu le veut, dans le sanctuaire de
Dieu, au-delà du voile qui cache l’Arche sur laquelle plane l’Esprit de Dieu, et s’offre et offrira
l’Agneau, holocauste pour le péché du monde et l’expiation de ce péché. Et cela, il le fait, vêtu de
lin avec son corps mortifié par son vœu pour en abolir les instincts qui, un jour, au commencement
des temps ont triomphé, lésant les droits de Dieu sur l’homme, et qui maintenant il sera piétiné dans
le Fils, dans la Mère et dans le père putatif, pour que les hommes retournent à la grâce, et qu’il soit
rendu à Dieu son droit sur l’homme. Il fait cela avec sa chasteté perpètuelle.
Joseph n’était pas au Golgotha ? Il vous semble qu’il ne soit pas parmi les corédempteurs ? En
vérité, je vous dis qu’il en fut le premier et pour cela il est grand aux yeux de Dieu. Grand par le
sacrifice, la patience, la constance, la foi. Quelle foi plus grande que la foi de celui qui a cru sans
avoir vu les miracles du Messie ?
Louange à mon père putatif, exemple pour vous de ce qui vous manque le plus : pureté, fidélité,
amour parfait. A celui qui a merveilleusement lu le Livre scellé, instruit par la Sagesse, pour savoir
comprendre les mystères de la Grâce, à celui que Dieu a choisi pour protéger le Salut du monde
contre les embûches de tous ses ennemis.”
Le ciel le plus azuré d’un tiède mois de février s’étend sur les collines de Galilée. Les douces
collines que dans ce cycle de la Vierge enfant je n’ai jamais vu et dont l’aspect m’est désormais
aussi familier que si j’y étais née.
La route principale, humide par suite d’une pluie récente, tom-
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bée peut-être la dernière nuit, n’est ni poussiéreuse, ni non plus boueuse. Elle est régulière et propre
comme une rue de ville et elle se déroule entre deux haies d’aubépines en fleurs. C’est comme une
surface neigeuse d’où s’exhale un parfum amer et de bois, coupé par d’énormes groupes de cactus
aux feuilles grosses et plates, toutes hérissées d’aiguillons et garnies d’énormes groupes de fruits
bizarres poussé sens ordre à l’extrémité des feuilles. Leur forme et leur couleur évoquent toujours
en moi les profondeurs marines avec les polypiers, les méduses et autres animaux des fonds marins.
Au-delà des haies –qui servent de limites de propriétés, et qui s’allongent en tous sens, en
formant un bizarre dessin géométrique avec des courbes et des angles, des rhombes, des losanges,
des carrés, des demi-cercles, des triangles aux angles aigus ou obtus les plus invraisemblables, c’est
un dessin tout saupoudré de blanc comme un ruban capricieux qu’on aurait ainsi étendu, pour le
plaisir, le long des champs et sur lesquels volent, piaulent, chantent, par centaines, des oiseaux de
toutes espèces, dans la joie de l’amour et de la construction des nids- au-delà des haies, les champs
avec les blés en herbe qui sont déjà plus hauts que ceux de Judée et des prés tout fleuris et sur eux –
en réponse aux légères nuées du ciel auxquelles le crépuscule donne des teintes de rose, de lilas
clairs, de violettes, de pervenches, d’opale azurée, d’orange corail –par centaines et centaines les
nuées des arbres à fruit : blanches, rosés, rouges avec toutes les nuances intermédiaires.
Avec le léger du soir, papillonnent et tombent les premiers pétales des arbres en fleurs. On dirait
des essaims de papillons à la recherche du pollen sur les fleurs de la campagne. Et d’un arbre à
l’autre des festons de vignes encore dénuées, sauf qu’à leur sommet là où le soleil tape davantage,
c’est l’ouverture innocente, étonnée, palpitante des premières petites feuilles.
Le soleil se couche tranquille dans le ciel si doux dans son azur que la lumière rend encore plus
clair et il fait briller au loin les neiges de l’Hermon et d’autres cimes lointaines.
Un char va sur la route. C’est celui qui porte Joseph et Marie avec ses cousins. Le voyage se
termine.
Marie regarde, du regard anxieux de qui veut connaître et même reconnaître ce qu’il voit et dont
il ne se rappelle pas et le sourit quand quelque souvenir imprécis revient et s’arrête sur telle
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et telle chose, sur un point particulier. Elisabeth et avec elle Zacharie et Joseph l’aident à se
souvenir en précisant telle ou telle cime, telle ou telle maison. Maisons, désormais, car Nazareth
déjà se montre, étendue sur l’ondulation de sa colline.
Frappée à gauche par le soleil couchant, la cité montre ses petites maisons blanches, larges et
basses que surmonte une terrasse teintée de rose. Certaines, que le soleil frappe en plein, semblent
éclairées par un incendie tant de leur façade est rougie par le soleil qui fit briller l’eau des canaux et
des puits bas, presque sans parapets, d’où montent les seaux pour la maison et les arrosoirs pour le
potager.
Enfants et femmes se mettent sur le bord de la route jetant un coup d’œil dans le char, et saluent
Joseph, bien connu. Mais après ils restent perplexes et intimidés devant les trois autres.
Mais quand on entre dans la cité proprement dite, il n’y a plus ni perplexité, ni crainte. Beaucoup
et beaucoup de tout âge se trouvent au début du pays sous un arc rustique de fleurs et de feuillage et
à peine le char apparaît de derrière le coude de la dernière maison campagnarde qui échappe à
l’alignement, c’est une roulade de cris aigus ; les gens agitent des rameaux et des bouquets. Ce sont
les femmes, les jeunes filles et les enfants de Nazareth qui saluent l’épouse. Les hommes plus
retenus se tiennent en arrière de la haie remuante et bruyante et saluent avec gravité.
Maintenant le char a été découvert avant d’arriver au pays car le soleil n’est plus gênant et permet
ainsi à marie de bien voir la terre natale. Marie apparaît belle comme une fleur. Blanche et blonde
comme un ange, elle sourit avec bonté aux enfants qui lui jettent des fleurs et lui envoient des
baisers, aux jeunes filles de son âge qui l’appellent par son nom, aux épouses, aux mères, aux
vieilles qui la bénissent avec leur voix chantantes. Elle s’incline devant les hommes et spécialement
devant l’un d’eux qui est peut-être le rabbin ou le principal personnage du pays.
Le char avance au pas par la rue principale suivi d’une grande partie de la foule pour laquelle
l’arrivée est un événement.
« Voici ta maison, Marie » dit Joseph en indiquant avec le fouet une petite maison qui se trouve
exactement au bas d’une ondulation de la colline et qui par derrière un beau et vaste jardin tout en
fleurs qui se termine avec un tout petit olivier. Plus loin l’habituelle d’aubépine et de cactus marque
la limite de
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la propriété. Les champs, autrefois à Joachim, sont plus loin…
« Il t’est resté peu de chose » dit Zacharie. « La maladie de ton père fut longue et coûteuse.
Coûteuses aussi les dépenses pour les réparations, les dégâts faits par Rome. Tu vois, la route a
supprimé les trois principales dépendances, on a utilisé une partie de la colline qui fait la grotte.
Joachim y gardait les provisions et Anne ses métiers. Tu feras ce qui te semblera bon. »
« Oh ! que ce soit peu de chose, n’importe ! Cela me suffira toujours. Je travaillerai… »
« Non, Marie. » C’est Joseph qui parle. « C’est moi qui travaillerai. Tu ne feras que les travaux
de lingerie, de couture de la maison. Je suis jeune et fort et je suis ton époux. Ne me mortifie pas
avec ton travail. »
« Je ferai comme tu veux. »
« Oui, pour cette question, c’est ma volonté. Pour tout le reste tous tes désirs font loi, mais pas
pour cela. »
Ils sont arrivés, le char s’arrête.
Deux femmes et deux hommes, respectivement sur le quarante et cinquante ans, sont près de la
porte, et avec beaucoup de bambins et de jeunes.
« Dieu te donne la paix, Marie » dit l’homme le plus âgé et une femme aborde Marie, l’embrasse
et la baise.
« C’est mon frère Alphée et Marie sa femme et ceux-ci sont leurs fils. Ils sont venus exprès pour
te fêter et te dire que leur maison est la tienne, si tu veux » dit Joseph.
« Oui, viens Marie, s’il t’est pénible de vivre seule. La campagne est belle au printemps et notre
maison est au milieu des champs en fleurs. Là, tu seras la plus belle fleur » dit Marie de Alphée.
« Je te remercie, Marie. Bien volontiers je viendrai. Je viendrai de temps en temps et sans faute
pour les noces. Mais je désire tant de voir, de reconnaître ma maison. J’étais toute petite quand je
l’ai quittée et j’ai oublié son aspect… maintenant je la retrouve… et il me semble de retrouver ma
mère que j’ai perdue, mon père bien aimé, de retrouver l’écho de leurs paroles… et le parfum de
leur dernier soupir. Il me semble n’être plus orpheline puisque autour de moi j’ai l’embrassement
des murs… Comprends-moi, Marie, ». La voix de Marie trahit son émotion et des larmes perlent à
ses cils.
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Marie d’Alphée répond : « Comme tu veux, aimée. Je veux que tu me sentes comme ne sœur et
une amie et un peu aussi une mère parce que je suis de beaucoup plus âgée que toi.”
L’autre femme s’avance : « Marie, je te salue. Je suis Sara, l’amie de ta mère. Je t’ai vu naître. Et
voilà Alphée, petit fils d’Alphée et grand ami de ta mère. Ce que j’ai fait pour ta mère, je le ferai
pour toi, si tu le veux. Vois-tu ? Ma maison est la plus proche de la tienne et tes champs sont
maintenant à nous. Mais, si tu veux venir, tu le peux à toute heure. Nous ferons un passage dans la
haie et nous serons ensemble, tout en restant chacun chez soi. Voilà mon mari. »
« Je vous remercie tous et pour tout. De tout le bien que vous avez voulu faire aux miens et que
vous voulez me faire. Que vous bénisse le Dieu Tout-Puissant. »
Les lourdes caisses sont déchargées et portées à la maison. On entre, et je reconnais la petite
maison de Nazareth, telle qu’elle est plus tard, dans la vie de Jésus.
U Joseph prend Marie par la main –geste habituel- et il entre ainsi. Sur le seuil, il lui dit : « Et à
présent, sur ce seuil, je veux de toi une promesse. Que n’importe quelle chose survienne ou qui
t’arrive tu n’aies pas d’autre ami, d’autre aide vers qui te tourner que vers Joseph et que, pour aucun
motif tu n’aies à t’enfermer dans ta peine. Je suis tout entier à ta disposition, rappelle-toi et ce sera
là ma joie de rendre heureux ton chemin et, puisque le bonheur n’est pas toujours en notre pouvoir,
au moins de te le faire paisible et sûr. »
« Je te le promet, Joseph. »
On ouvre portes et fenêtres. Le soleil couchant entre, curieux. Marie, maintenant a quitté le
manteau et le voile parce que, sauf les fleurs de myrte, Elle a encore le vêtement de noces. Elle sort
dans le jardin en fleurs. Elle regarde et sourit avec toujours sa main dans celle de Joseph, Elle fait le
tour du jardin. Elle semble reprendre possession d’un lieu perdu.
Et Joseph lui montre ses travaux : « Tu vois, ici, j’ai fait ce trou pour recueillir l’eau de pluie,
car ces vignes ont toujours soif. A cet olivier, j’ai coupé les branches les plus vieilles pour le
revigorer. J’ai planté ces pommiers parce que deux étaient morts, et là j’ai mis des figuiers. Quand
ils auront poussé, ils protégeront la maison d’un soleil trop ardent et des regards curieux. Là est
l’ancienne tonnelle, j’ai seulement changé les supports pourris
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et travaillé avec les ciseaux. Elle donnera beaucoup de raisin, j’espère. Et là, regarde » et tout fier, il
la conduit vers la pente qui se dresse au dos de la maison et qui fait la limite du verger, « et là j’ai
creusé une petite grotte et je l’ai étayée, et quand ces petites plantations auront grandi, elle sera à
peu près aussi grande que celle que tu avais. Il n’y a plus la source … mais j’espère amener un filet
d’eau. Je travaillerai pendant les longues soirées d’été quand je viendrai te voir… »
« Mais comment ? » dit Alphée. « Vous ne faites pas les noces cet été ? »
« Non. Marie désire filer les draps de laine, unique chose qui manque au trousseau. Et j’en suis
heureux. Elle est si jeune, Marie, qu’il n’y a pas d’importance qu’Elle attende un an ou plus. En
attendant, Elle s’habitue à la maison. …»
« Ah ! tu as toujours été un peu différent des autres et tu l’es encore maintenant. Je me demande
qui n’aurait pas hâte d’avoir pour femme une fleur comme Marie et toi, tu attends des mois !... »
« Joie longuement attendue, joie plus intensément goûtée » répond Joseph avec un fin sourire.
Le frère hausse les épaules et demande : « Et alors quand penses-tu aux noces ? »
« Quand Marie prendra ses seize ans. Après la fête des Tabernacles. Elles seront douces les
soirées d’hiver pour les nouveaux époux ! …» Et il sourit encore, en regardant Marie. Un sourire
d’entente sécrète et pleine de douceur, d’une consolante chasteté fraternelle. Puis il reprend son
tour : « ici, c’est la pièce dans la butte. Si tu veux, j’en ferai mon atelier quand je viendrai. Elle
communique mais n’est pas dans la maison. Ainsi il n’y aura ni bruit ni désordre. Si pourtant tu
veux autrement … »
« Non, Joseph, ça va très bien ainsi. »
On rentre à la maison et on allume les lampes.
« Marie est fatiguée » dit Joseph. « Laissons-la tranquille avec les cousins. »
Tous saluent et s’en vont. Joseph reste encore quelques minutes et parle à Zacharie à voix basse.
« Ton cousin te laisse Elisabeth quelque temps, es-tu contente ? Moi, oui, parce qu’elle t’aidera à
… devenir une parfaite maîtresse de maison. Avec elle tu pourras disposer toutes choses à ton goût
et ranger le mobilier et je viendrai tous les soirs t’aider. Avec elle tu pourras te procurer la laine et
tout ce qu’il faut. C’est moi qui
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réglerai les dépenses. Souviens-toi que tu as promis de t’adresser à moi pour tout. Adieu, Marie.
Dors ton premier sommeil de dame, dans cette maison qui est à toi, et que l’ange de Dieu te le rende
paisible. Que le Seigneur toit toujours avec toi. »
« Adieu, Joseph, que toi aussi tu sois sous l’aile de l’ange de Dieu. Merci, Joseph. Pour tout.
Autant que je le puis mon amour répondra au tien. «
Joseph salue les cousins et sort.
En même temps la vision cesse.
Jésus dit :
« Le cycle est terminé, et avec lui, si doux et si suave, ton Jésus t’a portée sans secousses hors du
tumulte de ces jours. Comme un petit enfant revêtu d’une douce laine et posé sur des coussins
moelleux, tu as été plongée dans ces visions bienheureuses pour ne pas ressentir, terrorisée, la
férocité des hommes qui se haïssent, au lieu de s’aimer. Tu ne pourras plus supporter certaines
choses et je ne veux pas que tu en meures, parce que j’ai soin de mon ‘porte-voix’. Elle va cesser,
dans le monde, la cause pour laquelle les victimes ont été torturées par tous les désespoirs. Pour toi
aussi, Marie, va cesser le temps de souffrir terriblement pour trop de raisons qui violentent tes
sentiments personnels. Tu ne cesseras pas de souffrir : tu es victime. Mais une partie de tes
souffrances : celle-là va cesser. Puis viendra le jour où je dirai comme à Marie de Magdala
mourante : ‘Repose-toi. Il est temps pour toi de reposer. Donne-moi tes épines. Il est temps de
roses. Repose-toi et attends. Je te bénis, bénie’.
Je t’ai dit cela et c’était une promesse et tu ne l’as pas comprise au moment où arrivait le temps
où tu serais plongée, roulée, enchaînée, couverte par les épines, dans la plus profonde obscurité …
Cela je te le répète maintenant avec une joie telle que seul l’amour que je suis, peut éprouver quand
il peut faire cesser une douleur pour son aimée. Cela, je te le dis maintenant le temps du sacrifice
cesse. Et Moi, qui sais , je te le dis pour le monde qui ne sait pas, pour l’Italie, pour Viareggio, pour
ce petit pays, où tu m’as apporté –médite le sens de ces paroles- le merci réservé aux holocaustes
pour leur sacrifice. Quand je t’ai montré Cécile, vierge épouse, je t’ai dit qu’elle était imprégnée de
mes parfums et qu’à leur odeur elle a entraîné mari, beau-frère, serviteurs, parents, amis. Tu as fait
sans le savoir, mais moi je te le dis, Moi qui sait, le rôle de Cécile dans ce monde devenu fou. Tu es
toute remplie de Moi, de ma parole ; tu as porté mes désirs parmi les personnes et les meilleurs ont
compris et après toi, victime, beaucoup et beaucoup en sont sortis et, si ce n’est pas la ruine
complète de ta patrie et des lieux qui te sont les plus chers, c’est parce que beaucoup d’hosties ont
été consumées à la suite de ton exemple et de ton activité. Merci, bénie. Mais continue encore. J’ai
grand besoin de sauver la terre, de racheter la terre. Vous, les victimes, vous êtes le prix du rachat.
La Sagesse qui a instruit les saints et t’instruit par un enseignement direct, t’élève toujours plus à
l’intelligence de la Science de vie et à sa pratique. Dresse, toi aussi, ta petite tente près de la maison
du seigneur. Enfonce aussi
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les pieux de la tente dans la demeure de la Sagesse et reste-y sans jamais en sortir. Tu reposeras
sous la protection du Seigneur qui t’aime, comme un oiseau au milieu des branches fleuries et Il te
mettra à l’abri de toutes intempéries spirituelles et tu seras dans la lumière de la gloire de dieu d’où
descendront pour toi des paroles de paix et de vérité. Va en paix. Je te Bénis, bénie. »
23. L’ANNONCIATION
Voici ce que je vois: Marie, une très jeune adolescente –quinze ans au plus à la voir- est dans une
petite pièce rectangulaire. Une vraie chambre de jeune fille.
Contre le plus longue des deux murs, se trouve le lit: une couchette basse, sans rebords, couverte
de nattes ou de tapis. On le dirait étendus sur une table ou une claie à roseaux. Ils sont en effet
rigides et ne forment pas de courbes comme il arrive sur nos lits. Sur l’autre mur, une étagère avec
une lampe à huile, des rouleaux de parchemin, un travail de couture soigneusement plié que l’on
dirait de la broderie. A côté, vers la porte qui est ouverte sur le jardin, mais couverte d’un rideau
qu’un vent léger remue, est assise sur un tabouret bas la Vierge.
Elle file du lin très blanc et doux comme de la soie. Ses petites mains, un peu moins claires que le
lin, font tourner agilement le fuseau. Le petit visage, jeune, est si beau, si beau, légèrement courbé,
ave un léger sourire, comme si elle caressait ou suivait quelque douce pensée.
Un profond silence, dans la petite maison et le jardin. Une paix profonde, tant sur le visage de
Marie que dans son environnement. La paix et l’ordre. Tout est propre et en ordre, et le milieu très
humble en son aspect et dans l’ameublement, presque comme une cellule, a quelque chose
d’austère et en même temps de royal cause de la netteté et du soin avec lequel sont disposées les
étoffes sur le lit, les rouleaux, la lumière, le petit broc de cuivre près de la lumière et, avec dedans
un faisceau de branches fleuries, branches de pêchers ou de poiriers, je ne sais, mais ce sont
certainement des arbres à fruit avec des fleurs légèrement rosées.
Marie se met à chanter à voix basse et puis elle élève un peu la voix. Ce n’est pas du grand
‘chant’, mais c’est déjà une voix qui vibre dans la petite pièce et où on sent vibrer son âme. Je ne
comprends pas les paroles, c’est certainement de l’hébreu. Mais comme elle répète
fréquemment:’Jéhovah’ je comprends qu’il s’agit de quelque chant sacré, peut-être un psaume.
Peut-être Marie se rappelle les cantiques du Temple et ce doit être un doux souvenir car elle pose
sur son sein les mains qui tiennent le fil et le fuseau et elle lève la tête en l’appuyant en arrière sur le
mur; son visage brille de vives couleurs et ses yeux, perdus dans je ne sais quelle douce pensée, sont
rendus plus luisants par des pleurs retenus mais qui le font paraître plus grand. Et pourtant ses yeux
rient, sourient à une pensée qu’ils suivent et l’abstraient de ce qui l’entoure. Le visage de Marie
émerge du vêtement blanc et très simple, rosé et encadré par les tresses qu’elle porte comme une
couronne autour de la tête. On dirait une belle fleur.
Le chant se change en une prière: “Seigneur, Dieu Très-Haut, ne tarde pas d’envoyer ton Serviteur
pour rapporter la paix sur la terre. Suscite le temps favorable et la vierge pure et féconde pour
l’avènement de ton Christ. Père, Père Saint, accorde à ta servante d’offrir sa vie dans ce but.
Accorde-moi de mourir après avoir vu ta Lumière et ta Justice sur la terre et d’avoir vu, accomplie,
la Rédemption. O Père Saint, envoie à la terre ce qui a fait soupirer les Prophètes. Envoie à ta
servante le Rédempteur. Qu’à l’heure où se terminera ma journée s’ouvre pour moi ta demeure
parce que ses portes auront déjà été ouvertes par ton Christ, pour tous ceux qui ont espéré en Toi.
Viens, viens, ô Esprit du Seigneur. Viens vers tes fidèles qui t’attendent. Viens, Prince de la Paix!
…” Marie reste ainsi hors d’elle-même…
Le rideau remue plus fort, comme si quelqu’un, par derrière faisait un courant d’air ou le secouait
pour l’écarter. Et une lumière blanche de perle, associé à l’argent pur, rend plus clairs les murs
légèrement jaunes, plus vives les couleurs des étoffes, plus spirituel le visage levé de Marie. Dans la
lumière, et sans que la tenture soit écartée sur le mystère qui s’accomplit –même elle ne remue plus:
elle pend absolument rigide contre les montants, comme si s’était un mur qui isole l’intérieur de
l’extérieur- dans cette lumière se prosterne l’Archange.
Il doit nécessairement prendre un aspect humain. Mais cet aspect transcende l’humain. De quelle
chair est formée cette figure très belle et fulgurante? De quelle substance Dieu l’a-t-elle matérialisée
pour la rendre sensible aux sens de la Vierge? Seul Dieu peut posséder ces substances et s’en servir
si parfaitement. C’est un visage, c’est un corps, ce sont des yeux, une bouche, des cheveux et des
mains comme les nôtres, mais ce n’est pas notre opaque matière. C’est une lumière qui a pris la
couleur de la chair, des yeux, de la chevelure, des lèvres, une lumière qui se meut et sourit et
regarde et parle.
“Salut, Marie, pleine de Grâce, salut!” La voix est un doux accord comme de perles qui tombent
sur un métal précieux.
Marie tressaille et baisse les yeux. Et elle tressaille davantage quand elle voit cette créature de
lumière agenouillée à un mètre environ de distance d’elle, les mains croisées sur la poitrine la
regardant avec un infini respect.
Marie se dresse debout et se serre contre le mur. Elle devient pâle, puis rouge. Son visage exprime
étonnement, effarement. Elle serre inconsciemment les mains sur son sein, en les cachant sous ses
longues manches. Elle se courbe presque pour cacher le plus possible son corps. Une attitude de
suave pudeur.
“Non. Ne crains pas. Le Seigneur est avec Toi! Tu es bénie entre toutes les femmes.”
Mais Marie continue à craindre. D’où est venu cet être extraordinaire? Est-ce un envoyé de Dieu
pu un Trompeur?
“Ne crains pas, Marie!” répète l’Archange. “Je suis Gabriel, l’Ange de Dieu. Le Seigneur m’a
envoyé vers Toi. Ne crains pas parce que tu as trouvé grâce au près de Dieu. Et maintenant, tu vas
concevoir dans ton sein et enfanteras un Fils et tu Lui donneras comme nom ‘Jésus’. Il sera grand.
On l’appellera le Fils du Très-Haut (il le sera en réalité) et le Seigneur Dieu Lui donnera le trône de
David son père et il régnera éternellement sur la maison de Jacob et son Règne n’aura jamais de fin.
Comprends, ô Sainte Vierge, aimée du Seigneur, sa Fille bénie, appelée à être la Mère de son Fils,
quel Fils tu engendreras.”
“Comment cela peut-il se faire si je ne connais pas d’homme? Est ce que le Seigneur Dieu
n’accueille pas l’offrande de sa servante et ne me veut pas vierge par amour pour Lui?”
“Non, ce ne sera pas par oeuvre d’homme que Tu seras Mère, ô Marie. Tu es l’éternelle Vierge, la
Sainte de Dieu. L’Esprit Saint descendra sur Toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son
ombre. Pour cela, on appellera Saint celui qui naîtra de toi, Saint et Fils de Dieu. Tout est possible
au Seigneur notre Dieu. Élisabeth, stérile, a conçu dans sa vieillesse un fils qui sera le Prophète de
ton Fils, celui qui Lui préparera le chemin. Le Seigneur lui a enlevé son opprobre et son souvenir
restera parmi les peuples uni à ton nom, comme le nom de sa créature à celui de ton Saint, et
jusqu’a la fin des siècles les nations vous proclameront bienheureuses pour la grâce du Seigneur
venue jusqu’à vous et jusqu’à toi spécialement, venue aux nations par ton intermédiaire. Élisabeth
est en son sixième mois et le poids qu’elle porte fait monter en elle la joie et la fera monter
davantage quand elle connaîtra ta propre joie. Rien n’est impossible à Dieu, Marie, pleine de Grâce.
Que dois-je dire à mon Seigneur? Ne te laisse pas troubler par aucune pensée. Le Seigneur veillera
sur tes intérêts si tu te fies à Lui. Le monde, le Ciel, l’Eternel attendent ta parole”
Marie, croisant à son tour ses mains sur sa poitrine et se courbant en une profonde inclination, dit:
“Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon sa parole.”
L’Ange étincelle de joie. Il adore, parce que certainement il voit l’Esprit de Dieu s’abaisser sur la
Vierge, toute courbée dans son consentement. Puis il disparaît, sans remuer la tenture qu’il laisse
tirée sur le Mystère saint.
Jésus dit :
« Ne lit-on pas dans la Genèse que Dieu donna à l’homme la domination sur tout, sauf sur Dieu et
les Anges ses ministres ? N’y lit-on pas qu’Il fit la femme pour être la compagne de l’homme pour
partager sa joie et sa maîtrise sur tous les êtres vivants ? N’y lit-on pas qu’ils pouvaient manger de
tout sauf des fruits de l’arbre du Bien et du mal ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui est sous-entendu dans
ces paroles ‘qu’il domine’ ? Qu’est-ce qu’il y avait dans l’arbre de la Science du Bien et du Mal ?
Vous êtes-vous jamais demandé cela, vous qui cherchez tant de choses inutiles et ne savez pas
demander à votre âme les vérités célestes ?
Votre âme si elle était vivante, vous le dirait, elle qui, quand elle est en état de grâce est comme
une fleur entre les mains de votre Ange, elle qui, quand vous êtes en état de grâce rassemble à une
fleur qui reçoit le baiser du soleil, rafraîchie par la rosée, par l’action de l’Esprit Saint qui la
réchauffe et l’éclaire, l’arrose et l’embellit par des lumières célestes. Que de vérités vous dirait
votre âme si vous saviez converser avec elle, si vous l’aimiez comme ce qui vous donne la
ressemblance avec Dieu qui est Esprit, comme votre âme est esprit. Quelle grande amie vous auriez
en votre âme si vous l’aimiez au lieu de la haïr jusqu’à la tuer. Quelle grande et sublime amie avec
laquelle vous pourriez parler des choses du Ciel vous qui êtes si avides de parler et vous vous
dégradez l’un l’autre avec vos amitiés. Ces amitiés, si elles ne sont pas indignes –ce qui arrive
parfois- sont cependant à peu près toujours inutiles ne donnant occasion de s’exprimer qu’à un flot
de paroles vaines et nuisibles, et toujours, toujours terrestres.
N’ai-je pas dit : ‘Qui m’aime gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui, et
nous ferons en lui notre demeure’ ? L’âme en état de grâce possède l’amour, et possédant l’amour,
elle possède Dieu, c'est-à-dire le Père qui la conserve, le Fils qui la gouverne, l’Esprit qui l’éclaire.
Elle possède donc la Connaissance, la Science, la Sagesse. Elle possède la lumière. Pensez donc
quelles conversations sublimes pourrait lier votre âme avec vous. Ce sont elles qui ont rempli le
silence des prisons, le silence des cellules, le silence des ermitages, le silence d’infirmes pieux. Ce
sont elles qui ont réconforté les prisonniers dans l’attente du mar-
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tyre, les cloîtres à la recherche de la Vérité, les solitaires aspirant à une connaissance anticipée de
Dieu, les infirmes à l’acceptation, mais que dis-je, à l’amour de leur croix.
Si vous saviez également interroger votre âme, elle vous dirait la signification vraie, exacte, vaste
comme le monde, de cette parole pour ‘qu’il domine’, et qui est celle-ci : ‘Pour que l’homme
domine sur tout. Sur tous ses trois états. L’état inférieur, animal. L’état intermédiaire, moral. L’état
supérieur, spirituel. Et que tous les trois l’inclinent à une seule fin : posséder Dieu’. Le posséder en
le méritant avec cette domination absolue qui tient assujetties toutes les forces du moi et les faits
servantes de cet unique but : mériter de posséder Dieu. Elle vous dirait que Dieu avait interdit la
connaissance du bien et du mal, parce que le bien, Il l’avait accordé gratuitement à ses créatures, et
le mal Il ne voulait pas que vous le connaissiez, parce que c’est un fruit doux au palais, mais qui
descendu avec son suc dans le sang y apporte une fièvre qui tue et produit une soif ardente, si bien
que plus on ne boit de ce suc mensonger et plus on en a soif.
Vous objecterez : « Et pourquoi l’y a-t-Il mis ? Et pourquoi ? Parce que le mal est une force qui
est née d’elle-même spontanée comme certains maux qui s’attaquent aux corps les plus sains.
Lucifer était un ange, le plus beau des anges. Esprit parfait inférieur à Dieu seulement. Et pourtant
dans son être de lumière naquit une vapeur d’orgueil qu’il ne dissipa pas, mais au contraire il la
condensa en la couvant. De cette incubation est né le mal. Il existait avant que l’homme existât.
Dieu avait précipité hors du Paradis le maudit qui avait couvé le mal qui avait souillé le paradis.
Mais il est resté l’éternel incubateur du mal et, ne pouvant plus souiller le paradis, il a souillé la
terre.
Cette plante symbolique sert à démontrer cette vérité. Dieu avait dit à l’homme et à la femme :
‘Vous connaissez toutes les lois et mystères de la création. Mais n’usurpez pas mon droit d’être le
Créateur de l’homme. Pour propager la race humaine il suffira mon amour qui circulera en vous, et
sans luxure, par le seul mouvement de la charité, il suscitera des nouveaux Adams de la race
humaine. Je vous donne tout. Je ne me réserve que ce mystère de la formation de l’homme.’
Satan a voulu enlever à l’homme cette virginité de l’intelligence, et avec sa langue de serpent a
flatté et caressé les membres et les yeux d’Eve en produisant des réflexes et une excitation que les
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premiers parents ne connaissaient pas parce que la malice ne les avait pas empoisonnés.
Eve ‘vit’. Et en voyant elle voulut essayer. C’était l’éveil de la chair. Oh ! si elle avait appelé
Dieu ! Si elle avait couru Lui dire : ‘Père, je suis malade. Les caresses du serpent ont excité le
trouble en moi’, le Père l’aurait purifiée et guérie de son souffle qui, comme il lui avait infusé la vie
Il pouvait lui infuser une nouvelle innocence en lui faisant oublier le poison du serpent et même en
mettant en elle ‘horreur du serpent, comme ceux qui, attaqués par un mal, en ont été guéris et
conservent envers ce mal une instinctive répugnance. Mais Eve ne va pas au Père. Elle se dirige
vers le Serpent. Cette sensation lui est douce. ‘En voyant que le fruit de l’arbre était bon à manger,
beau pour les yeux, gracieux à voir, elle le cueillit et en mangea.’
Et elle ‘comprit’. Désormais la malice était descendue en ses entrailles avec sa morsure. Elle vit
avec des yeux nouveaux et entendit avec des oreilles nouvelles les mœurs et les voix des brutes. Et
les désira d’un désir fou. Elle commença seule le péché. L’acheva avec son compagnon. Voilà
pourquoi sur la femme pèse une condamnation plus grande.
C’est par elle que l’homme est devenu rebelle à Dieu et qu’il a connu la luxure et la mort. C’est
par elle qu’il n’a plus su dominer ses trois règnes : de l’esprit, parce qu’il a permis que l’esprit
désobéisse à Dieu ; de la conduite morale, parce qu’il a permis que les passions le dominent ; de la
chair, parce qu’il a rabaissé au niveau des lois instinctives des brutes. ‘Le Serpent m’a séduite’, dit
Eve. ‘La femme m’a offert le fruit et j’en ai mangé’ dit Adam. Et la triple concupiscence s’attache
alors aux trois règnes de l’homme.
Il n’y a que la Grâce qui puisse réussir à ralentir l’étreinte de ce monstre impitoyable. Et si elle
est vivante, très vivante, maintenue toujours plus vivante par la volonté du fils fidèle, elle arrive à
étrangler le monstre et à n’avoir plus rien à craindre. Plus de tyrans intérieurs. A savoir, de la chair
et des passions. Plus de tyrans extérieurs : le monde et les puissants du monde. Plus de persécutions.
Plus de mort. C’est comme dit l’Apôtre Paul : ‘Je ne crains aucune de ces choses, et je ne tiens pas à
ma vie plus qu’à moi-même, mais uniquement pour que j’accomplisse ma mission et le ministère
reçu du Seigneur Jésus, pour rendre témoignage à l’Evangile de la grâce de Dieu’.
Marie dit :
« Dans la joie –parce que, lorsque j’ai compris la mission à laquelle Dieu m’appelait, je fus remplie
de joie- mon cœur s’ouvrit comme un lys fermé et il s’en épancha le sang qui fut le terrain pour le
Germe du Seigneur.
[Marie : il faut toujours savoir être une marche pour que les autres montent à Dieu. S’ils nous
piétinent, cela ne fait rien. Pourvu qu’ils se réunissent à aller vers la Croix. C’est l’arbre nouveau
qui porte le fruit de la connaissance du Bien et du mal. En effet, il dit à l’homme ce qui est mal et ce
qui est bien pour qu’il sache choisir et vivre. Et il sait, en même temps, devenir une liqueur pour
guérir ceux qui se sont empoisonnés avec le mal qu’ils ont voulu goûter. Notre cœur sous les pieds
des hommes pour qu’augmente le nombre des rachetés et que le Sang de mon Jésus n’ait pas été
versé sans produire le fruit. Voilà la destiné des servantes de Dieu. Mais après, méritons-nous de
recevoir dans notre sein, l’Hostie sainte, et au pied de la Croix, pétrie de son Sang et dans nos
larmes nous pouvons dire : Voici, ô Père, l’Hostie immaculée que nous t’offrons pour le salut du
mande. Garde-nous, ô Père, fondues en Elle et par ses mérites infinis, donne-nous ta bénédiction’.
Et moi, je te donne ma caresse. Repose-toi, ma fille, le Seigneur est avec toi. »]
Jésus dit :
« La parole de ma Mère devrait dissiper toute hésitation même dans la pensée de ceux qui
s’embrouillent le plus dans les formules.
[ Et il y en a tant ! Ils veulent raisonner en matière de choses divines avec leurs mesures
humaines et prétendraient que Dieu même dût raisonner ainsi. Mais, il est si beau au contraire de
penser que Dieu raisonne d’une manière qui est souverainement et infiniment au-dessus de
l’homme. Et il serait tellement beau et à propos de raisonner non pas selon les vues humaines mais
selon l’esprit et de suivre Dieu. Ne pas rester ancrés là où votre pensée humaine s’est accrochée. Là
aussi c’est de l’orgueil parce que c’est supposer la perfection dans l’esprit humain. Au contraire, en
fait de perfection, il n’y a que la Pensée divine. Elle peut, si elle veut, et croit utile de le faire,
descendre et devenir Parole dans la pensée et sur les lèvres d’une de ses créatures mé-
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prisée par le monde parce que aux yeux du monde elle est ignorante, mesquine, bornée, enfantine.
La Sagesse aime à désorienter l’orgueil de l’esprit, à se répandre sur ceux qui sont rejetés par le
monde, qui n’ont pas d’idées personnelles et encore moins une doctrine acquise par la culture, mais
ils sont tous pleins d’amour et de pureté, grands par leur volonté de servir Dieu en le faisant
connaître et aimer, après avoir mérité de le connaître et aimer, et après avoir mérité de le connaître,
en l’aimant de toutes leurs forces. Observez, hommes, à Fatima, à Lourdes, à Guadalupe, à
Caravaggio, à la Salette, donc partout où il y a eu des apparitions vraies et saintes, les voyants, ceux
qui ont été appelés à voir sont des pauvres créatures qui, pour l’âge, culture et condition, sont parmi
les plus humbles de la terre. C’est à ces inconnus, à ces ‘riens’ que la Grâce se révèle pour en faire
ses hérauts.
Que doivent alors faire les hommes ? S’incliner comme le publicain et dire : ‘Seigneur, j’étais
trop pécheur pour mériter de te connaître. Sois béni pour ta bonté qui me console par l’intermédiaire
de ces créatures, me donne un appui céleste, un guide, un enseignement, une espérance de salut’. Et
ne pas dire : ‘Mais non ! Ce sont des préjugés, des hérésies ! Ce n’est pas possible !’ Comment
n’est-il pas possible ? Qu’un être peu doué devienne savant dans la science de Dieu ? Pourquoi
n’est-il pas possible ? N’ai-je pas ressuscité les morts, guéri les fous, soigné les épileptiques, ouvert
la bouche aux muets, les yeux aux aveugles, l’ouie aux sourds, l’intelligence à des diminués ; n’ai-
je pas de même chassé les démons, commandé aux poissons de se jeter dans le filet, aux pains de se
multiplier, à l’eau de devenir du vin, à la tempête de se calmer, à l’eau de devenir solide comme une
surface pavée ? Qu’est-il impossible à Dieu ?
Même avant que Dieu, le Christ, Fils de Dieu, fût parmi vous, est-ce que Dieu n’a pas opéré des
miracles par le moyen de ses serviteur qui agissaient en son nom ? Ne sont-elles pas devenues
fécondes les entrailles stérile Saraï d’Abraham pour qu’elle devienne Sara et s’enfantât dans sa
vieillesse Isaac destiné à être celui avec lequel Je conclurais le pacte ? Ne se sont-elles pas changé
en sang les eaux du Nil et remplies d’animaux immondes au commandement de Moïse ? Et toujours
par sa parole ne sont-ils pas morts de la peste les animaux et tombées ulcérées les chairs des
hommes, et fauchés, hachés les blés par une grêle dévastatrice et dépouillés les arbres par les
sauterelles, et éteinte pendant trois jours la lumière, et frappés de mort les premiers nés, et
entr’ouverte la mer pour le passage d’Israel, et adoucies les eaux amères et tombées en abondance
les cailles et la manne, et l’eau n’est-elle pas jaillie du rocher aride ? Et Josué n’a-t-il pas arrêtée la
course du soleil ? Et le jeune David n’a-t-il pas terrassé le géant ? Est-ce que Elie n’a pas multiplié
la farine et l’huile et ressuscité les fils de la veuve de Sorepta ? Est-ce qu’à son commandement la
pluie n’est-elle pas tombée sur la terre desséchée et le feu du Ciel sur l’holocauste’ Et le Nouveau
Testament n’est-il pas un bosquet fleuri dont chaque fleur est un miracle ? Qui donc a pouvoir sur
le miracle ? Qu’est-ce qui est donc impossible à Dieu ? Qui est comme Dieu ?
Courbez la front et adorez. Le temps arrive de la grande moisson et tout doit être révélé avant que
l’homme cesse d’exister, tout : les prophéties postérieures au Christ et celles d’avant le Christ et le
symbolisme biblique qui a commencé dès les premiers mois de la Genèse, et si Moi je vous instruis
sur
110
un point jusqu’au présent inexpliqué, accueillez ce don et tirez-en le fruit et non la condamnation.
Ne faites pas comme le Juifs du temps de ma vie mortelle qui voulurent fermer leur cœur à mes
enseignements et, ne pouvant m’égaler dans la compréhension des mystères et des vérités
surnaturelles, me traitèrent de possédé et de blasphémateur.]
J’ai dit : ‘Arbre métaphorique’. Je dirai maintenant : ‘Arbre symbolique’. Peut-être vous
comprendrez mieux. Le symbole en est clair : d’après la façon dont les deux fils de Dieu se
comporteraient par rapport à elle, on comprendrait si leurs tendances iraient vers le bien ou vers le
mal. Comme l’eau régale qui est la preuve pour l’or et la balance de l’orfèvre qui en donne le poids
en carats, cette plante, devenue une ‘mission’ pour le commandement de Dieu par rapport à elle, a
donné la mesure de la pureté du métal d’Adam et d’Eve.
J’entend déjà venir l’objection : ‘N’a-t-elle pas été excessive la condamnation et puéril le moyen
employé pour qu’elle se produise ?’
Non. Si vous commettiez actuellement cette désobéissance vous qui avez eu d’eux cette héritage,
ce serait moins grave que cela ne l’a été pour eux. Vous, vous êtes rachetés par moi, mais le venin
de Satan reste toujours prêt à resurgir. C’est comme pour certaines maladies dont l’effet n’est
jamais complètement neutralisé dans le sang. Eux, les deux premiers parents étaient en possession
de la Grâce sans avoir jamais été déflorés par la Disgrâce. Ils étaient donc plus forts, plus soutenus
par la grâce, source en eux d’innocence et d’amour. Infini était le don que Dieu leur avait fait, bien
plus grave par conséquent leur chute en dépit de ce don.
Symbolique aussi le fruit offert et mangé. C’était le fruit d’une expérience qu’ils avaient voulu
faire par instigation satanique contre le commandement de Dieu. Je n’avais pas interdit l’amour
aux hommes. Je voulais uniquement qu’il fût sans malice. Comme je les aimais d’un amour
essentiellement saint, ils devaient a’aimer d’une affection sainte qu’aucune luxure ne vienne
souiller.
Il ne faut pas oublier que la Grâce est lumière et que celui qui la possède sait distinguer ce qu’il
est utile et bon de connaître. La Pleine de Grâce connut tout parce que la Sagesse l’instruisit, la
Sagesse qui est Grâce, et Elle sut se conduire avec sainteté. Eve connaissait donc ce qui lui était bon
de connaître. Rien de plus, parce qu’il est inutile de connaître ce qui n’est pas bon. Elle n’eut pas
foi dans la parole de Dieu et ne fut pas fidèle à sa promesse
111
d’obéissance. Elle a cru à Satan, elle a rompu sa promesse, et a voulu savoir ce qui n’était pas bon,
et elle l’aima sans remords, l’amour que je lui avais donné si saint, elle en fit une chose corrompue,
une chose avilie. Ange tombé, elle s’est roulée dans la boue et dans l’ordure, alors qu’elle pouvait
courir heureuse parmi les fleurs du Paradis terrestre et voir fleurir autour d’elle sa descendance,
comme une plante se couvre de fleurs sans traîner sa frondaison dans le bourbier.
[Ne soyez pas comme ces enfants insensés dont je parle dans l’Evangile. Ils ont entendu chanter
et se sont bouché les oreilles. Ils ont entendu le tambourin et n’ont pas dansé. Ils ont entendu pleurer
et ils ont voulu rire. Ne soyez pas étroits ni négateurs. Recevez, recevez sans malice et docilement
sans ironie, ni incrédulité, la Lumière.. On a assez parlé sur ce sujet. Pour vous faire comprendre à
quel point vous devez être reconnaissants à Celui qui est mort pour vous faire arriver au Ciel et pour
vaincre la concupiscence satanique, j’ai voulu vous parler en ce temps de préparation à la Pâque de
ce qui a été le premier anneau de la chaîne par laquelle le Verbe du Père fut traîné à la mort,
l’Agneau Divin à l’abattoir. J’ai voulu en parler parce que présentement le 90% d’entre vous sont
semblables à Eve, empoisonnés par le souffle et la parole de Satan. Vous ne vivez pas pour vous
aimer mais pour vous rassasier. Vous ne vivez pas pour le Ciel mais pour la boue. Vous n’êtes plus
des créatures douées d’une âme et du sens de raison, mais des chiens sans âme et sans raison. L’âme
vous l’avez tuée et la raison dépravée. En vérité je vous affirme que les brutes vous surpassent dans
l’honnêteté de leur amour. »]
Voici que m’apparaît la petite maison de Nazareth où se trouve Marie. Marie toute jeune comme
lorsque l’Ange de Dieu lui apparut. Rien que de la voir me remplit l’âme du parfum virginal de
cette demeure, du parfum angélique qui persiste encore dans la pièce où l’Ange a ondulé ses ailes
d’or, du parfum divin qui s’est tout concentré sur Marie pour faire d’elle une Mère et qui à présent
se dégage d’elle.
C’est le soir, car les ombres commencement à envahir la pièce où était avant, descendue du Ciel,
une si grande lumière.
Marie, à genoux près de son petit lit prie, les bras en croix sur sa poitrine, le visage tout incliné
vers la terre. Elle est encore
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vêtue comme Elle l’était au moment de l’Annonciation. Tout est pareil : le rameau fleuri dans son
vase, les meubles dans la même ordre. Seulement la quenouille et le fuseau sont placès dans un coin
avec son plumet de filasse pour l’une, et pour l’autre le fil brillant qui y est enroulé.
Marie cesse de prier et se lève, le visage tout enflammé. La bouche sourit, mais une larme fait
briller son œil d’azur. Elle prend la lampe à huile et l’allume avec la pierre à feu. Elle prend garde
que tout soit bien en ordre dans la petite chambre. Elle remet en place la couverture de la couchette
qui s’était déplacée. Elle ajoute de l’eau dans le vase du rameau fleuri et le porte au dehors à la
fraîcheur de la nuit. Puis Elle rentre. Elle prend la broderie placée su le meuble à étagère, et la
lampe allumée. Elle sort en fermant la porte. Elle fait quelque pas dans le jardinet le long de la
maison et puis Elle entre dans la petite pièce où j’ai vu l’adieu de Jésus et Marie. Je la reconnais,
bien qu’il manque quelque objet qui s’y trouvait alors.
Marie disparaît, emportant la lumière dans une autre petite pièce voisine, et je reste là, avec la
seule compagnie de son travail posé sur le coin de la table. J’entends le pas léger de Marie qui va et
vient, je l’entends remuer de l’eau comme pour laver un objet, puis faire du menu bois. Je me rends
compte que c’est du bois par le bruit qu’il a fait. Je m’aperçois qu’Elle allume le feu.
Puis Elle revient. Elle sort dans le jardinet et Elle rentre avec des pommes et des légumes. Elle
met les pommes sur la table, sur un plateau de métal gravé au burin : il me semble de cuivre
bouliné. Elle retourne à la cuisine (cette pièce était bien la cuisine). Maintenant la flamme du foyer
se projette joyeusement par la porte ouverte et fait danser des ombres sur les murs.
Il se passe quelque temps et Marie revient avec un petit pain bis et une tasse de lait chaud. Elle
s’assied et trempe des tranches de pain dans le lait. Elle les mange lentement. Puis, laissant la tasse
à moitié, Elle entre de nouveau dans la cuisine et revient avec des légumes sur lesquels Elle verse
de l’huile et les mange avec le pain. Elle se désaltère avec le lait, puis Elle prend une pomme et la
mange. Un repas de fillette. Marie mange et réfléchit et sourit à une pensée intérieure. Elle se lève
et tourne les yeux vers les murs à qui elle semble communiquer un secret. De temps en temps elle
devient sérieuse, presque triste, mais après, le sourire revient.
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On entend frapper à la porte. Marie se lève et ouvre. Joseph entre. Ils se saluent. Puis Joseph
s’assied sur un tabouret en face de Marie, de l’autre côté de la table.
Joseph est un bel homme, dans toute la force de l’âge. Il aurait trente cinq ans, au plus. Ses
cheveux châtain sombre et sa barbe de même couleur encadrent un visage régulier avec deux yeux
doux, châtains presque noirs. Le front est large et lisse, le nez petit, légèrement arqué, les joues
rondes d’un brun pas olivâtre avec des pommettes rosées. Il n’est pas très grand, mais robuste et
bien fait.
Avant de s’asseoir, il a enlevé son manteau, (c’est le premier que je vois de ce gendre) il est de
forme ronde, fermé à la gorge par un crochet ou quelque chose du même genre, avec un capuchon.
Il est de couleur marron clair et d’une étoffe imperméable en laine grège. Il rassemble à un manteau
de montagnard adapté pour abriter des intempéries. Avant de s’asseoir il offre à Marie deux œufs et
une grappe de raisin, un peu avancé mais bien conservé. Et il sourit en disant : « On me l’a apporté
de Cana. Les œufs c’est le centurion qui me les a donnés pour une réparation que j’ai fait de son
char. Il avait eu une roue abîmée et leur travailleur est malade. Ils sont frais. Il les a pris dans son
poulailler. Bois-le. Ils te feront du bien. »
« Demain, Joseph, maintenant j’ai mangé. »
« Mais le raisin, tu peux le prendre, il est bon, doux comme du miel. Je l’ai porté avec précaution
pour ne pas l’abîmer. Mange-le. Il y en a d’autre. Je t’en apporterai demain un petit panier. Ce soir
je n’ai pas pu parce que je viens directement de la maison du centurion. »
« Oh ! alors, tu n’as pas encore soupé. »
« Non, mais n’importe. »
Marie se lève tout de suite et va à la cuisine. Elle revient avec encore du lait, des olives et du
fromage. « Je n’ai pas d’autre chose » dit-Elle. « Prends un œuf. »
Joseph ne veut pas. Les œufs sont pour Marie. Il mange avec appétit son pain avec le fromage et
boit le lait encore tiède. Puis il accepte une pomme et le repas est terminé.
Marie prend sa broderie après avoir débarrassé la table de la vaisselle. Joseph l’aide et reste lui
aussi dans la cuisine quand Elle en revient. Je l’entends bouger pendant qu’il remet tout en place et
attise le feu car la soirée est fraîche.
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Quand il revient, Marie le remercie. Ils parlent entre eux. Joseph raconte comment il a passé la
journée. Il parle de ses neveux. Il s’intéresse au travail de Marie et à ses fleurs. Il promet d’apporter
des très belles fleurs que le centurion lui a promises. « Ce sont des fleurs que nous n’avons pas. Il
les a apportés de Rome. Il m’en a promis des plants. Maintenant que la lune est favorable, je vais te
le planter. Elles ont une belle couleur et une odeur très agréable. Je les ai vues l’été dernier car elles
fleurissent en été. Elles te parfumeront toute la maison. Je vais pouvoir les planter et les greffer. La
lune est favorable. C’est le moment. »
Marie sourit et remercie. Un silence. Joseph regarde la tête blonde de Marie, penchée sur la
broderie. Un regard d’amour angélique. Certes, si un ange regardait une femme d’un amour
d’époux, c’est ainsi qu’il la regarderait.
Marie, comme si Elle prenait une décision pose sur son sein la broderie et dit : « Joseph, j’ai aussi
quelque chose à te dire. Je n’ai jamais rien à dire car tu sais comme je vis dans la retraite. Mais
aujourd’hui, j’ai une nouvelle. J’ai appris que notre parente Elisabeth, femme de Zacharie, attend un
enfant … »
Joseph écarquille les yeux et dit : « A cet âge ? »
« A cet âge » répond Marie en souriant. « Le Seigneur peut tout et Il a voulu donner cette joie à
notre parente. »
« Comment le sais-tu ? La nouvelle est-elle sûre ? »
« Il est venu un messager, quelqu’un qui ne saurait mentir. Je voudrais aller chez Elisabeth pour
lui rendre service et lui dire que je me réjouis avec elle. Si tu le permets … »
« Marie, tu es mon épouse, et moi je suis ton serviteur. Tout ce que tu fais est bien fait. Quand
veux-tu partir ? »
«Le plus tôt possible, mais je resterai là-bas des mois entiers. »
« Et moi, je compterai les jours en t’attendant. Pars tranquille, je penserai à ta maison et au
jardinet. Tu trouveras tes fleurs belles comme si tu les avais soignées. Seulement … attends. Je dois
aller avant la Pâque à Jérusalem pour acheter quelques objets utiles à mon travail. Si tu attends
quelques jours, je t’accompagnerai jusque là. Pas plus loin parce que je dois revenir promptement.
Mais jusque là nous pouvons aller ensemble. Je suis plus tranquille si je ne te sais pas seule sur les
chemins. Au retour, tu me le feras savoir, je viendrai à ta rencontre. »
115
« Tu es bon, Joseph. Que le Seigneur te récompense par ses bénédictions et tienne loin de toi la
douleur. Je le prie toujours pour cela. »
Les deux chastes époux se sourient angéliquement. Le silence se rétablit quelque temps, puis
Joseph se lève, il remet son manteau, relève le capuchon sur la tête. Il salue Marie qui, Elle aussi,
s’est levée, et sort.
Marie le regarde sortir. Elle pousse un soupir comme si Elle était peinée. Elle lève les yeux au
Ciel et prie certainement.
Elle ferme la porte, plie son ouvrage, va à la cuisine. Elle éteint le feu ou le couvre. Elle regarde si
tout est bien en ordre. Elle prend la lampe et sort en fermant la porte. Elle protège de la main la
flamme qui tremble au vent froid de la nuit. Elle entre dans sa chambre et prie encore.
La vision se termine ainsi.
Marie dit:
“Fille bien chérie, quand cessa l’extase qui m’avait comblée d’une inexprimable joie, mes sens se
rouvrirent aux choses de la terre. La première pensée qui, acérée comme les épines d’une rose,
perça mon coeur enseveli dans les roses du Divin Amour devenu mon Epoux depuis quelques
instants, ce fut la pensée de Joseph.
Je lui avais désormais donné mon amour à mon saint et attentif gardien. Depuis le moment où la
volonté de Dieu, à travers la parole de son Prêtre, m’avait voulue épouse de Joseph, j’avais pu le
connaître et apprécier la sainteté de ce Juste. Unie à lui, j’avis senti disparaître ma solitude
d’orpheline et je n’avais plus pleuré l’asile du Temple que j’avais perdu. Auprès de lui, je me
sentais en sécurité comme Près du Prêtre. Toute hésitation était tombée et non seulement tombée,
mais oubliée tellement elle s’était éloignée de mon coeur de vierge. J’avais compris qu’aucune
hésitation, aucune crainte ne se justifiait à l’égard de Joseph. Plus tranquille qu’un enfant dans les
bras de sa maman était ma virginité confiée à Joseph.
Maintenant comment lui dire que j’allais être Mère? Je cherchais les mots pour le lui annoncer.
Difficile recherche. Je ne voulais pas me flatter du don de Dieu et ne pouvais en aucune façon
justifier ma maternité sans dire: ‘Le Seigneur m’a aimé entre toutes les femmes, et de moi, sa
servante, Il a fait son épouse. Le tromper en lui cachant mon état, je ne le voulais pas non plus.
Mais, pendant que je priais, l’Esprit Saint dont j’étais remplie, ma’avais dit: ‘Tais-toi. Laisse –moi
le soin de te justifier près de ton époux’. Quand? Comment? Je ne l’avais pas demandé. Je m’étais
toujours fiée à Dieu, comme une fleur se fie à l’eau qui la porte. Jamais l’Eternel ne m’avait laissée
sans son aide. Sa main m’avait soutenue, protégée, guidée jusqu’ici. Il le ferait encore maintenant
Ma fille, comme elle était belle et réconfortante, la foi en notre Eternel, Bon Dieu! Il nous
recueille entre ses bras comme un berceau, nous porte comme une barque au lumineux port du Bien,
nous réchauffe le coeur, nous console, nous nourrit. Il nous donne le repos et la joie. Il nous donne
la lumière et nous guide. La confiance en Dieu c’est tout et Dieu donne tout à qui a confiance en
Lui: Il se donnes Lui-même.
Ce soir-là je portai ma confiance de créature à la perfection. Maintenant, je pouvais le faire
puisque Dieu était en moi. J’avais d’abord eu la confiance de la pauvre créature que j’étais: toujours
un rien, même si j’avais été la Tant Aimée que je dusse être la Sans Tache. Mais maintenant j’avais
une confiance divine parce que Dieu était à moi; non Epoux, mon Fils! Oh! Joie! Être Une avec
Dieu. Non pas pour ma gloire, mais pour l’aimer dans une union totale, mais pour pouvoir Lui dire;
“Toi, Toi seul qui es en moi, agis avec ta divine perfection en tout ce que je fais”.
Si Lui ne n’avait pas dit: ‘Tais-toi!’, j’aurais peut-être osé, le visage contre la terre dire à Joseph:
‘L’Esprit est entré en moi et j’ai en moi le Germe de Dieu’; et lui m’aurait cru, parce qu’il
m’estimait et parce que, comme tous ceux qui ne mentent jamais, il ne pouvait croire que les autres
mentent. Oui, pour lui épargner la douleur à venir, j’aurais surmonté ma répugnance à m’attribuer
une telle louange. Mais j’ai obéi au divin commandement et, pendant des mois, à partir de ce
moment, j’ai senti la première blessure qui me faisait saigner le coeur.
La première douleur de ma destinée de Corédemptrice. Je l’ai offerte et supportée pour vous
donner à vous une règle de conduite dans ces moments analogues de souffrance, lorsque vous devez
taire à l’occasion d’un événement qui vous met sous un jour défavorable auprès de quelqu’un qui
vous aime.
Remettez à Dieu la garde de vos réputations et des affections qui vous tiennent à coeur. Méritez
par une vie sainte la protection de Dieu, et puis allez tranquilles. Même si tout le monde était contre
vous, Il vous défendra. Auprès de ceux qui vous aiment et fera ressortir la vérité.
Repose, maintenant, ma fille et sois toujours davantage ma fille.”
J’assiste au départ pour aller chez Sainte Elisabeth. Joseph est venu prendre Marie avec deux ânes
gris : un pour lui, l’autre pour Marie.
Les deux animaux ont - l’un- la selle habituelle augmentée d’un bizarre dispositif dont je
comprends qu’il est fait pour porter la charge. C’est une espèce de porte bagages sur lequel Joseph
dispose un petit coffre de bois : une valise, dirions-nous maintenant, qu’il a apporté à Marie où Elle
peut mettre ses vêtements à l’abri de la pluie. Je sens Marie remercier vivement Joseph pour son
cadeau prévoyant dans lequel Elle dispose tout ce qu’Elle enlève d’un paquet qu’Elle avait préparé
auparavant.
Ils ferment la porte de la maison et se mettent en route. C’est le point du jour, car je vois l’aurore
qui rosit à peine l’Orient.
Nazareth dort encore. Les deux voyageurs matinaux rencontrent seulement un berger qui pousse
devant lui ses brebis qui trottinent, l’une contre l’autre encastrés comme autant de coins les unes
dans les autres, et qui bêlent. Les agneaux bêlent aussi plus que les autres avec leurs petites voix
aigues. Ils voudraient chercher encore la mamelle maternelle. Mais les mères se hâtent vers le
pâturage et les invitent à trotter avec leurs bêlements plus puissants.
Marie regarde et sourit après s’être arrêtée pour laisser passer
118
le troupeau, Elle se penche sur sa selle et caresse les douces bêtes qui passent en frôlant sa monture.
Quand le berger arrive avec un petit agnelet tout nouveau-né dans ses bras et s’arrête pour saluer,
Marie sourit en caressant le petit museau rose de l’agneau qui bêle désespérément. Marie dit : « Il
cherche la maman. La voilà la maman, elle ne t’abandonne pas, non, petit. » De fait, la mère brebis
se frotte au berger et se dresse pour lécher sur le museau son nouveau-né.
Le troupeau passe, faisant un bruit de pluie sur les frondaisons et laisse derrière lui la poussière
soulevée par tous les petits sabots qui se pressent et toute une broderie d’empreintes sur la terre du
chemin.
Joseph et Marie se remettent en route. Joseph a son manteau. Marie est emmitouflée dans une
sorte de châle à rayures car la matinée est très fraîche.
Les voilà désormais en pleine campagne et ils cheminent l’un près de l’autre. Ils parlent
rarement. Joseph pense à ses affaires et Marie suit ses pensées et recueillie comme Elle l’est dans
ses pensées, Elle leur sourit et sourit aux choses qui l’entourent. Parfois Elle regarde Joseph, et un
voile de tristesse lui assombrit le visage. Puis le sourire revient même quand Elle regarde son époux
attentif qui parle peu et n’ouvre la bouche que pour demander à Marie si Elle est bien commode et
si Elle n’a besoin de rien.
Maintenant les routes sont fréquentées par d’autres personnes, spécialement au voisinage de
quelque pays ou dans la traversée. Mais les deux ne s’intéressent pas aux personnes rencontrées. Ils
vont sur leurs montures qui trottent avec un grand bruit de grelots et ne s’arrêtent qu’une fois, à
l’ombre d’un bosquet pour manger un peu de pain avec des olives et boire à une source dont l’eau
descend d’une petite grotte. Ils doivent s’arrêter une seconde fois pour se mettre à l’abri d’une
averse violente qui tombe d’un nuage très obscur.
Ils se sont mis à l’abri de la colline sous la saillie d’un rocher qui les protège du plus gros de la
pluie. Mais Joseph veut absolument que Marie prenne son manteau de laine imperméable sur lequel
l’eau coule sans le mouiller. Marie doit céder à la pressante insistance de son époux qui, pour la
rassurer sur son sort, se met sur la tête et sur les épaules une petite couverture grise qui était sur la
selle, la couverture de l’âne probablement. Maintenant Marie rassemble à un petit frère avec le
capuchon qui lui
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encadre le visage et le manteau marron fermé à la gorge et qui la couvre entièrement.
L’averse se calme mais fait place à une pluie ennuyeuse et fine. Les deux reprennent leur marche
sur le chemin devenu boueux. Mais c’est le printemps, et après un moment, le soleil commence à
rendre le chemin plus facile. Les deux montures courent plus allègrement sur la route.
Je ne vois pas autre chose car la vision s’arrête là.
Nous sommes à Jérusalem. Je la reconnais bien désormais avec ses rues et ses portes. Les deux
époux se dirigent d’abord vers le Temple. Je reconnais l’écurie où Joseph a laissé l’âne, le jour de la
présentation au Temple. Maintenant encore il laisse les deux montures après les avoir soignées et,
avec Marie, va adorer le Seigneur.
Puis, ils sortent, et Marie se rend avec Joseph dans une maison de personnes de connaissance,
semble-t-il. Là ils se restaurent et Marie se repose jusqu’à ce que Joseph revienne avec un petit
vieux. « Cet homme va par le même chemin que toi. Tu auras très peu de chemin à faire seule pour
arriver chez la parente. Aie confiance en lui, je le connais. »
Ils reprennent leurs montures et Joseph accompagne Marie jusqu’à la Porte (c’est une autre Porte
que celle par où ils sont arrivés). Ils se saluent et Marie va seule avec le petit vieux qui parle, autant
que Joseph était silencieux, et s’intéresse à mille choses. Marie répond patiemment.
Maintenant sur le devant de la selle Elle a le petit coffre que portait l’âne de Joseph et Elle n’a
plus le manteau. Elle n’a pas même son châle qui est plié sur le coffre. Elle est toute belle avec son
vêtement d’azur foncé et le voile blanc qui la protège du soleil. Comme Elle est belle !
Le petit vieux doit être un peu sourd car, pour des faire entendre, Marie doit parler très fort, Elle
qui parle toujours à voix basse. Mais maintenant il en a fini, il a épuisé tout son répertoire de
questions et de nouvelles, maintenant il somnole sur la selle,
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se laissant conduire par sa monture qui connaît bien le chemin.
Marie profite de cette trêve pour se recueillir en ses pensées et prier. Ce doit être une prière
qu’Elle chante à voix basse en regardant le ciel azuré et en tenant le bras sur son sein. Son visage
par l’effort d’une émotion de l’âme est lumière et béatitude.
Je ne vois pas autre chose.
[Et maintenant que la vision est suspendue pour moi, comme hier je reste avec la Maman près de
moi, visible pour ma vision intérieure, avec tant de netteté que j’en puis faire le portrait : le rose
clair de la joue, un peu joufflue, mais d’une douceur agréable, le rouge vif de la petite bouche et la
douce splendeur de ses yeux d’azur sous le blond foncé de ses cils.
Et puis dire comment les cheveux qui se séparent au sommet de la tête descendent agréablement
en trois ondulations de chaque côté jusqu’à couvrir à moitié les petits oreilles roses et disparaissent
avec leur or clair et lumineux derrière le voile qui couvre la tête. (Je la vois en effet avec le manteau
sur la tête, avec son vêtement de soie paradisiaque et son manteau léger comme un voile et portant
opaque, de la même étoffe que le vêtement).
Je puis dire que le vêtement est serré à la taille par un cordon plus gros, toujours de soie blanche
qui descend avec deux pompons sur les côtés.
Je puis aller jusqu’à dire que le vêtement serré au cou et à la taille, fait sur la poitrine sept plis
doucement arrondis, unique ornement de son très chaste habit.
Je peux dire l’impression de chasteté qui se dégage de l’aspect de Marie, de ses formes si
délicates et si harmonieuses qui la font angéliquement femme.
Et plus je la regarde et plus je souffre en pensant à quel point on l’a faite souffrir et je me
demande comment on a pu ne pas avoir pitié d’Elle, si douce et gentille, si délicate, même dans on
aspect physique. Je la regarde et j’entends les hurlement du Calvaire, contre Elle aussi, toutes les
railleries et les bouffonneries, toutes les malédictions qu’on lui adresse parce qu’Elle est la Mère
du Condamné. Je la vois belle et tranquille, maintenant, mais son aspect actuel ne peut effacer le
souvenir de son visage tragique à l’heure de l’agonie et de la désolation qu’il exprimait dans la
maison de Jérusalem après la mort de Jésus. Et je voudrais pouvoir la caresser, baiser ses joues si
délicatement rosées pour enlever par mon baiser le souvenir de ses larmes, demeuré en Elle comme
en moi …
Je ne puis croire quelle paix cela me donne de l’avoir tout près de moi. Je pense que mourir en la
voyant serait doux autant et plus que la plus douce heure de la vie. En ces derniers temps que je ne
la voyais pas ainsi toute entière pour moi, j’ai souffert de son absence comme de l’absence d’une
maman. Maintenant je ressens l’ineffable joie qui ne me quitta pas en décembre et dans les premiers
jours de janvier. Et je suis heureuse. Heureuse malgré le voile de douleur dont la vue des
déchirements de la passion assombrit ma félicité.
Il est difficile de dire et de faire comprendre ce que j’ai éprouvé et ce qui
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est arrivé depuis le 11 février le soir où j’ai vu souffrir Jésus dans sa Passion. Ça été une vue qui
m’a radicalement changée. Que je meure maintenant ou dans cent ans, cette vision gardera toute son
intensité et son influence. Avant cela, je pensais aux douleurs du Christ. Maintenant, je les vis, car il
me suffit d’un mot, d’un coup d’œil sur une image pour souffrir de nouveau ce que j’ai souffert ce
soir pour éprouver l’horreur de ces supplices, pour éprouver l’angoisse de sa souffrance désolée et
même si rien ne me le rappelle, son souvenir m’étreint le cœur.
Marie commence à parler et je me tais. ]
31. “NE VOUS DEPOUILLEZ JAMAIS DE LA PROTECTION DE LA PRIERE”
Marie dit :
« Je ne vais pas te parler longuement, parce que tu es bien lasse, ma pauvre fille. J’attire
uniquement ton attention et celle des lecteurs sur l’habitude constante de Joseph et la mienne de
donner toujours la première place à la prière. Sécheresse, hâte, chagrin, occupations c’était des
choses qui n’empêchaient pas la prière, mais au contraire ils la favorisaient. Elle était toujours la
reine de nos occupations, notre réconfort, notre lumière, notre espérance. Si aux heures de tristesse
elle était le réconfort, aux heures heureuses elle devenait un chant. Mais elle était l’amie fidèle de
notre âme. Elle nous détachait de la terre, de l’exil, elle nous tournait vers les hauteurs du Ciel, la
Patrie.
Ce n’était pas seulement moi, qui portais Dieu en moi et qui n’avais qu’à regarder mon sein pour
odorer le Saint des Saints, mais Joseph aussi se sentait uni à Dieu quand il priait, parce que notre
prière était une adoration véritable de tout l’être qui se fondait en Dieu en l’adorant et en recevant
ensuite son embrassement.
Et regardez, moi qui portais l’Eternel, je ne me pensais pas dispensée de la fréquentation
respectueuse du temple. La sainteté la plus élevée ne dispense pas de se sentir un rien devant Dieu,
et d’humilier ce néant, puisque Lui nous le permet, en un continuel hosanna à sa gloire.
Etes-vous faibles, pauvres, pleins de défauts ? Invoquez la sainteté du Seigneur : « Saint, Saint,
Saint ! » Appelez-le, ce Saint béni, au secours de votre misère. Il viendra faire passer en vous sa
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sainteté. Etes-vous saints et riches de mérites à ses yeux ? Invoquez également la sainteté du
Seigneur. Cette sainteté infinie fers croire toujours plus la vôtre. Les anges, qui sont des êtres
supérieurs aux faiblesses de l’humanité, ne cessent pas un instant de chanter leur ‘Sanctus’ et leur
beauté surnaturelle s’accroît à chaque invocation de la Sainteté de notre Dieu. Imitez les anges.
Ne vous dépouillez jamais la protection de la prière, contre laquelle s’émoussent les armes de
Satan, les malices du monde, les désirs de la chair et l’orgueil de l’esprit. Ne déposez jamais ces
armes qui ouvrent le Ciel et en font pleuvoir grâces et bénédictions.
La terre a besoin d’un bain de prières pour se purifier des fautes qui attirent les châtiments de
Dieu. Et, étant donné que les âmes de prière sont peu nombreuses, elles doivent prier beaucoup pour
suppléer à la carence des autres. Il leur faut multiplier leurs prières vivantes pour faire le poids
nécessaire à l’obtention de la grâce. Des prières vivantes elles le seront quand elles auront leur
source dans l’amour et le sacrifice.
[Et que toi, ma fille, tu souffres car c’est une chose excellente que ta souffrance unie à a mienne
et à celle de mon Jésus, elle est agréable à Dieu et méritoire. Il m’est si cher ton amour de
compatissant. Mais veux-tu me donner un baiser ? Baise les plaies de mon Fils. Mets-leur le baume
de ton amour. J’ai ressenti en mon esprit la douleur des fouets et des épines, la torture des clous et
de la croix. Mais je ressens également toutes les caresses données à mon Jésus. Ce sont autant de
baisers qui me sont donné. Et puis, viens. Je suis la Reine du Ciel, mais je suis toujours la
Maman… »
Me voilà heureuse ! ]
Je suis dans un pays montagneux. Ce ne sont pas de hautes montagnes, mais ce ne sont plus des
collines. Elles ont déjà des cimes et des gorges de vraies montagnes comme on en voit sur notre
Apennin tosco-ombrien. La végétation est drue et magnifique. Il y en a en abondance des eaux
fraîches qui conservent vertes les prairies et productifs les vergers peuplés de pommiers, de figuiers
avec, autour des maisons, des vignes. Ce doit être le printemps car les grappes sont déjà grosses
comme des grains de
123
vesce et les pommiers commencent à ouvrir leurs bourgeons qui maintenant paraissent verts, sur les
branches supérieures des figuiers il y a des fruits qui sont déjà bien formés. Ensuite les près ne sont
que tapis moelleux aux mille couleurs. Les troupeaux sont en train d’y paître, ou bien ils se
reposent, taches blanches sur l’émeraude de l’herbe.
Marie gravit, avec sa monture, un chemin en assez bon état qui doit être la principale voie
d’accès. Elle monte, parce que le pays dont l’aspect est assez régulier est situé plus haut. Celui qui
me renseigne habituellement me dit : ‘ Cet endroit c’est Hébron ‘. Vous me parliez de Montana.
Mais je ne suis pas fixée, je ne sais si ‘Hébron’ désigne tout le pays ou l’agglomération. J’en dis
donc que ce j’en sais.
Voilà que Marie entre dans la cité. C’est le soir : des femmes sur les portes observent l’arrivée de
l’étrangère et en parlent entre elles. Elles la suivent de l’œil et ne se rassurent qu’en la voyant
s’arrêter devant une des plus belles maisons située au milieu du pays. Devant se trouve un jardin
puis, en arrière et autour, un verger bien entretenu. Vient ensuite une vaste prairie qui monte et
descend suivant le relief de la montagne pour aboutir à un bois de haute futaie ; ensuite j’ignore ce
qu’il y a. La propriété est entourée d’une haie de ronces et de rosiers sauvages. Je ne distingue pas
bien ce qu’ils portent. La fleur et le feuillage de ces buissons se rassemblent beaucoup et tant que le
fruit n’est pas formé sur les branches, il est facile de se tromper. Sur le devant de la maison, sur le
côté donc qui fait face au pays, la propriété est entourée d’un petit mur blanc sur lequel courent des
branche de vraies roses, pour l’instant sans fleurs, mais déjà garnis de boutons. Au centre, une grille
de fer qui est fermée. On se rend compte que c’est la maison d’un notable du pays ou d’un habitant
assez fortuné. Tout, en effet, indique sinon la richesse, au moins l’aisance certainement. Il y a
beaucoup d’ordre.
Marie descend de sa monture et s’approche de la grille. Elle regarde à travers les barreaux et ne
voit personne. Alors Elle cherche à manifester sa présence. Une petite femme qui, plus curieuse que
les autres l’a suivie, lui indique un bizarre agencement qui sert de clochette. Ce sont deux morceaux
de métal fixés sur un axe. Quand on remue l’axe avec une corde, ils battent l’un contre l’autre en
faisant un bruit qui imite celui d’une cloche ou d’un gong.
Marie tire la corde, mais si gentiment que l’appareil tinte légè-
124
rement et personne ne l’entend. Alors, la femme, une petite vieille, tout nez et menton et entre les
deux une langue qui en vaut dix, s’accroche à la corde et tire, tire, tire, tire. Un vacarme à réveiller
un mort : « C’est cela qu’il faut faire. Autrement comment pouvez-vous faire entendre ? Sachez
qu’Elisabeth est vieille et aussi Zacharie. Et à présent il est muet et sourd par-dessus le marché. Les
domestiques sont aussi vieux, le savez-vous ? N’êtes-vous jamais venue ? Connaissez-vous
Zacharie ? Vous êtes… »
Pour délivrer Marie de ce déluge de renseignement et de questions, survient un petit vieux qui
boite. Ce doit être un jardinier ou un agriculteur, car il a en mains un sarcloir et, attachée à la
ceinture, une serpette. Io ouvre et Marie entre en remerciant la petite vieille mais…hélas ! Sans lui
répondre. Quelle déception pour la curieuse !
A peine à l’intérieur, Marie dit : « Je suis Marie de Joachim et d’Anne, de Nazareth. Cousine de
vos maîtres. »
Le petit vieux s’incline et salue et se met à crier : « Sara ! Sara ! » Il ouvre la grille pour faire
entrer l’âne resté dehors parce que Marie, pour se défaire de la petite vieille importune, s’est glissée
vite, vite, à l’intérieur et que le jardinier, aussi rapide qu’Elle, a fermé la grille, au nez de la
commère et, tout en faisant entrer la monture, il dit : « Ah ! Grand bonheur et grande peine en cette
maison ! Le Ciel a donné un fils à la stérile, que le Très-Haut en soit béni ! Mais Zacharie est
revenu, il y a sept mois, muet de Jérusalem. Il se fait comprendre par signes ou en écrivant. Vous
l’avez peut-être appris’ La patronne vous a tant désirée au milieu de cette joie et de cette peine !
Souvent elle parlait de vous avec Sara et disait : ‘ Si j’avais encore ma petite Marie avec moi ! Si
Elle avait encore été au Temple ! J’aurais demandé à Zacharie de l’amener. Mais maintenant le
seigneur l’a voulue comme épouse à Joseph de Nazareth. Elle seule pouvait me donner du réconfort
dans cette peine et m’aider à prier Dieu, car Elle est si bonne, et au Temple tout le monde la pleure.
A la dernière fête, quand je suis allée avec Zacharie la dernière fois à Jérusalem pour remercier
Dieu de m’avoir donné un fils, j’ai entendu ses maîtresses me dire : ‘Le Temple semble avoir perdu
les chérubins de la Gloire depuis que la voix de Marie ne résonne plus en ces murs ’. Sara ! Sara !
Ma femme est un peu sourde, mais viens, viens que je te conduise. »
Au lieu de Sara, voilà, en haut d’un escalier au flanc d’un côté
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de la maison, une femme d’âge plutôt avancé, déjà toute ridée avec des cheveux très grisonnants.
Ses cheveux devaient être très noirs parce qu très noirs sont encore ses cils et ses sourcils et qu’elle
était très brune, le teint de son visage l’indique clairement. Contrastant étrangement avec sa
vieillesse évidente, sa grossesse est déjà très apparente, malgré l’ampleur de ses vêtements. Elle
regarde en faisant signe de la main. Elle a reconnu Marie. Elle lève les bras au ciel avec un : ‘Oh !’
étonné et joyeux et se hâte, autant qu’il lui est possible, à la rencontre de Marie. Marie aussi,
toujours réservée dans sa démarche se mette à courir agile comme un faon et Elle arrive au pied de
l’escalier en même temps qu’Elisabeth. Marie reçoit sur son cœur avec une vive allégresse sa
cousine qui pleure de joie en la voyant.
Elles restent embrassées un instant et puis Elisabeth se détache de l’étreinte avec un ‘Ah !’ où se
mêlent la douleur et la joie et elle porte la main sur son ventre grossi. Elle penche son visage,
pâlissant, et rougissant alternativement. Marie et le serviteur tendent les mains pour la soutenir
parce qu’elle vacille comme si elle se sentait mal. Mais Elisabeth, après être restée une minute
comme recueillie en elle-même, lève un visage tellement radieux qu’il semble rajeuni. Elle regarde
Marie avec vénération en souriant comme si elle voyait un ange et puis elle-même s’incline en un
profond salut en disant : « Bénie es-tu parmi toutes les femmes ! Béni le fruit de ton sein ! (elle
prononce ainsi : deux phrases bien détachées). Comment ai-je mérité que vienne à moi, ta servante,
la Mère de mon Seigneur ? Voilà qu’au son de ta voix l’enfant a bondi de joie dans mon sein, et
lorsque je t’ai embrassée, l’Esprit du Seigneur m’a dit les très hautes vérités dans les profondeurs de
mon cœur. Bienheureuse es-tu d’avoir cru qu’à Dieu serait possible même ce qui ne semble pas
possible à l’esprit humain! Bénie es-tu parce que, grâce à ta foi, tu feras accomplir les choses qui
t’ont été prédites par le Seigneur et les prophéties des Prophètes pour ce temps-ci ! Bénie es-tu pour
le Salut que tu as engendré pour la descendance de Jacob ! Bénie es-tu pour avoir apporté la
Sainteté à mon fils qui, je le sens, bondit comme une jeune chevrette pour la joie qu’il éprouve, en
mon sein ! C’est qu’il se sent délivré du poids de la faute, appelé à être le précurseur, sanctifié avant
la Rédemption par le Saint qui croit en toi ! »
Marie, avec deux larmes, qui comme des perles descendent de
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ses yeux qui rient vers sa bouche qui sourit, le visage levé vers le ciel et les bras levés aussi, dans la
pose que plus tard, tant de fois aura son Jésus, s’écrie : « Mon âme magnifie son Seigneur » et Elle
continue le cantique comme il nous a été transmis. A la fin, au verset : ‘Il a secouru Israel son
serviteur … etc.… », Elle croise les mains sur sa poitrine, s’agenouille, prosternée jusqu’à terre en
adorant Dieu. »
Le serviteur s’était respectueusement éclipsé quand il avait vu qu’Elisabeth ne se sentait plus mal
et qu’elle confiait ses pensées à Marie. Il revient du verger avec un vieillard imposant aux cheveux
blancs et à la barbe blanche, qui de loin, avec de grands gestes et des sons gutturaux, salue Marie.
« Zacharie arrive » dit Elisabeth en touchant à l’épaule la Vierge absorbée dans sa prière. « Mon
Zacharie est muet. Dieu l’a puni de n’avoir pas cru. Je t’en parlerai plus tard, mais maintenant,
j’espère le pardon de Dieu puisque tu es venue, toi, la Pleine de Grâce. »
Marie se lève et va à la rencontre de Zacharie et s’incline devant lui jusqu’à terre. Elle baise le
bord de son vêtement blanc qui le couvre jusqu’à terre. Il est très ample ce vêtement et attaché à la
taille par un large galon brodé.
Zacharie par gestes souhaite la bienvenue, et ensemble ils rejoignent Elisabeth. Ils entrent tous
dans une vaste pièce très bien disposée. Ils y font asseoir Marie et lui font servir une tasse de lait
qu’on vient de traire –il écume encore- avec des petites galettes.
Elisabeth donne des ordres à la servante, finalement apparue avec les mains enfarinées et des
cheveux encore plus blancs, qu’ils ne le sont pas en réalité à cause de la farine dont ils sont
saupoudrés. Peut-être elle était en train de faire le pain. Elle donne aussi à un serviteur, qu j’entends
appeler Samuel, l’ordre de porter le coffre de Marie dans une chambre qu’elle lui indique. Tous les
devoirs d’une maîtresse sa maison à l’égard de son hôte.
Marie répond entre temps aux questions que lui fait Zacharie en écrivant avec un stylet sur une
tablette enduite de cire. Je comprends, par les réponses, qu’il lui parle de Joseph, et qu’il lui
demande comment Elle se trouve épousée. Mais je comprends aussi que Zacharie n’a aucune
lumière surnaturelle sur l’état de Marie et sa condition de Mère du Messie. C’es Elisabeth qui,
approchant de son mari et lui mettant affectueusement une main sur
127
l’épaule comme pour une chaste caresse, lui dit : « Marie est mère, Elle aussi. Réjouis-toi de son
bonheur. » Mais elle n’ajoute rien. Elle regarde Marie et Marie la regarde mais ne l’invite pas à en
dire plus, et Elle se tait.
[Douce, très douce vision ! Elle m’enlève l’horreur que j’avais ressentie à la vue du suicide de
Judas.
Hier soir, avant de m’endormir, j’ai vu les pleurs de Marie penchée sur la pierre de l’onction, sur
le corps inanimé du Rédempteur. Elle était à sa droite, tournant le dos à l’entrée de la grotte
sépulcrale. La lumière des torches éclairait son visage et me faisait voir son pauvre visage dévasté
par la douleur, inondé de larmes. Elle prenait la main de Jésus, la caressait, la réchauffait sur ses
joues, la baisait, en étendait les doigts… un par un le baisait ces doigts désormais inertes. Puis Elle
Lui caressait le visage, se penchait pour baiser la bouche ouverte, les yeux à demi fermés, le front
blessé. La lumière rougeâtre des torches fait paraître encore plus vives les plaies de tout ce corps
torturé et plus visible la cruauté de la torture qu’Il a subie et la réalité de sa mort.
Je suis ainsi restée en contemplation tant que mon intelligence est restée lucide. Puis, réveillée de
ma somnolence, j’ai prié et me suis mise en position pour un vrai sommeil. C’est alors qu’a
commencé la vision ci-dessus. Mais la maman m’a dit : « Ne remue pas, regarde seulement, tu
écriras demain. » Pendant le sommeil, j’ai de nouveau tout revu en songe. Réveillée à 6h30, j’ai
revu tout ce que j’avais vu la veille et en rêve. J’ai écrit, tout en voyant. Puis, vous êtes venu [NDR
c’est à son Père spirituel P.Migliorini qu’elle se réfère] et j’ai pu demander si je devais mettre tout
ce qui suit. Ce sont de petits tableaux séparés sur le séjour de Marie dans la maison de Zacharie. (2
avril 19444). ]
Je vois, il me semble que c’est matin, Marie qui coud dans le vestibule. Elisabeth va et vient,
s’occupant de la maison. Quand elle entre, elle ne manque jamais d’aller faire une caresse sur la tête
blonde de Marie, encore plus blonde sur les murs plutôt sombres et sous un beau rayon de soleil qui
entre par la porte ouverte sur le jardin.
Elisabeth se penche pour regarder le travail de Marie –c’est la broderie qu’Elle avait à Nazareth-
et elle en lue la beauté.
« J’ai encore du lin à filer » dit Marie.
« Pour ton Enfant ? »
« Non, je l’avais déjà quand je ne pensais pas … » Marie n’achève pas, mais je comprends :
‘quand je ne pensais pas devoir être la
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Mère de Dieu.’
« Mais maintenant tu devras t’en servir pour lui. Est-il beau ? Fin ? Les enfants, tu sais, ont besoin
de linge très délicat. »
« Je le sais. »
« Moi, j’avais commencé… Tard, parce que j’ai voulu être sûre que ce n’était pas une tromperie
du Malin. Malgré … j’avais ressenti une telle joie que cela ne pouvait venir de Satan. Puis …j’ai
souffert tellement. Je suis vieille, Marie, pour être dans cet état. J’ai beaucoup souffert. Toi, tu ne
soufres pas ?... »
« Moi, non. Je ne me suis jamais sentie si bien. »
« Eh ! Oui ! Toi .. en Toi il n’y a pas de tache si Dieu t’a choisie pour être sa Mère. Alors tu n’es
pas sujette aux souffrances d’Eve. Celui que tu portes est saint. »
« Il me semble avoir des ailes au cœur, et non un poids. Il me semble avoir en moi toutes les
fleurs, et tous les oiseaux qui chantent au printemps, la douceur du miel et tout le soleil … Oh ! je
suis heureuse ! »
« Bénie ! moi aussi, dès l’instant où je t’ai vue, je n’ai plus senti de poids, de fatigue et de
douleur. Il me semble être neuve, jeune, délivrée des misères de ma chair de femme. Mon enfant,
après avoir bondi de joie au son de ta voix, s’est installé tranquille dans sa joie. Il me semble l’avoir
en moi comme un berceau vivant et le voir dormir rassasié et heureux, respirer comme un oiseau
qui repose tranquille sous l’aile de sa maman… maintenant, je vais me mettre au travail, il ne me
pèsera plus. Je ne vois pas bien clair, mais … »
« Laisse, Elisabeth ! J’y penserai, moi à filer et à tisser pour toi et pour ton enfant. Je suis svelte
et j’y vois clair. »
« Mais tu devras penser au tien… »
« Oh ! J’aurai bien le temps !.. Je pense d’abord à toi et à ton petit, et puis, je penserai à mon
Jésus. »
Dire comme elle est douce l’expression et la voix de marie et comme Elle s’épanouit, en le disant,
ce Nom, comme ses yeux s’emperlent de douces larmes de joie, pendant qu’Elle regarde le ciel
lumineux et azuré, cela dépasse les possibilités humaines. Il semble que l’extase s’empare d’Elle
rien qu’à dire : ‘Jésus’.
Elisabeth dit : « Quel beau nom ! Le Nom du Fils de Dieu, notre Sauveur ! »
« Oh ! Elisabeth ! » Marie devient triste, triste et Elle saisit les mains que sa parente tient croisées
sur son sein gonflé. « Dis-
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moi, toi qui à mon arrivée as été remplie de l’Esprit du Seigneur et qui a prophétisé ce que le monde
ignore. Dis-moi : que devra faire pour sauver le monde, ma Créature ? Les Prophéties … Oh ! les
Prophètes qui parlent du Sauveur ! Isaïe … tu te rappelles Isaïe ? C’est l’Homme des douleurs.
C’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Il a été percé et blessé à cause de nos crimes…
Le Seigneur veut le consumer dans les souffrances… Après la condamnation on l’a enlevé…’ De
quelle élévation parle-t-il’ On l’appelle Agneau et moi, je pense… à l’agneau pascal, à l’agneau de
Moïse et je le rapproche du serpent que Moïse éleva sur une croix. Elisabeth !... Elisabeth !.... Que
feront-ils à ma Créature ? Que devra-t-il souffrir pour sauver le monde ? » Marie pleure.
Elisabeth la console. « Marie, ne pleure pas. C’est ton Fils, mais c’est aussi le Fils de Dieu. Dieu
pensera à son Fils et à toi qui es sa Mère. Et s’il y en a tant qui se montreront cruels envers Lui, il y
en aura tant qui l’aimeront. Tant !... Pendant des siècles et des siècles. Le monde regardera vers ton
Enfant et te bénira avec lui. Toi : Source d’où jaillit la rédemption. Le sort de ton Fils ! Elevé à la
royauté sur toute la création. Penses-y Marie : Roi, parce qu’Il aura racheté tout ce qui a été crée, et
comme tel, il en sera aimé. Mon fils précédera le tien et l’aimera. L’ange l’a dit à Zacharie, et lui
me l’a écrit … Ah ! quelle douleur de le voir muet mon Zacharie ! mais j’espère que, quand l’enfant
sera né, le père aussi sera libéré du châtiment qui l’a frappé. Prie, toi qui es le Siège de la puissance
de Dieu et la Cause de la joie du monde. Pour l’obtenir, j’offre, comme je puis, ma créature au
Seigneur. Elle est à Lui, en effet, Il l’a prêtée à sa servante pour lui donner la joie de s’entendre
appeler ‘mère’. C’est le témoignage de ce que Dieu a fait pour moi. Je veux qu’il s’appelle ‘Jean’.
Est-ce que par hasard ce n’est pas une grâce, mon petit ? Et n’est-ce pas Dieu qui me l’a faite ? »
« Et Dieu, j’en suis bien convaincue, te fera cette grâce. Je prierai … avec toi. »
« J’ai tant de peine de le voir muet !... » Elisabeth pleure. « Quand il écrit, puisqu’il ne peut
parler, il me semble qu’il y ait des monts et mers entre moi et mon Zacharie. Après tant d’années de
douces paroles, maintenant sa bouche reste silencieuse. Et maintenant spécialement, où il serait si
beau de parler de ce qui va arriver. Je me retiens même de parler pour
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ne pas le voir se fatiguer à faire des gestes pour me répondre. J’ai tant pleuré ! Je t’ai tant attendue !
Le pays regarde, bavarde et critique. Le monde est fait ainsi. Et quand on a une peine ou une joie,
on a besoin de compréhension et pas de critique. Maintenant, il me semble que la vie soit tout à fait
meilleure. Je sens la joie en moi depuis que tu es avec moi. Je sens que mon épreuve va passer et
que je serai bientôt tout à fait heureuse. Il en sera ainsi, n’est-ce pas’ Je me résigne à tout. Mais, si
Dieu pardonnait à mon époux ! Pouvoir l’entendre prier comme avant ! »
Marie la caresse, la réconforte et pour la distraire, l’invite à faire un tour dans le jardin ensoleillé.
Elles se rendent sous une tonnelle bien entretenue jusqu’à une petite tour rustique dans les trous
de laquelle les colombes font leurs nids.
Marie répand des graines, en riant. Les colombes se précipitent sur Elle avec des roucoulements et
des vols qui décrivent tout autour des cercles iridescents. Sur la tête, sur les épaules, sur les bras et
sur les mains, elles se posent, allongeant leurs becs roses pour saisir les grains dans les creux des
mains, becquetant gracieusement les lèvres roses de la Vierge et ses dents qui brillent au soleil.
Marie tire d’un sac les grains blonds et rit au milieu de cette joute d’avidité envahissante.
« Comme elles t’aiment ! » dit Elisabeth. « Il n’y a que quelques jours que tu es avec nous et elles
t’aiment plus que moi qui les ai toujours soignées ! »
La promenade se poursuit jusqu’à un enclos fermé, au fond du verger, où se trouvent une
vingtaine de chèvres avec leurs cheveux.
« Tu es revenu du pâturage « dit marie à un jeune berger qu’elle caresse.
« Oui, car mon père m’a dit : ‘Va à la maison parce que bientôt il va pleuvoir et il y a des bêtes
qui vont avoir les petits. Aie soin qu’elles aient de l’herbe sèche et une litière toute prête’. Le voilà
qui vient. » Et il fait signe au-delà du bois d’où vient un bêlement tremblotant.
Marie caresse un chevreau blond comme un enfant, qui la frôle et avec Elisabeth boit du lait tout
frais que le petit berger lui offre.
Le troupeau arrive avec un berger hirsute comme un ours. Mais
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ce doit être un brave homme car il porte sur ses épaules une brebis toute plaintive. Il la pose
doucement par terre et il explique : « Elle va avoir un agneau et elle ne pouvait plus marcher que
difficilement. Je l’ai chargée sur mes épaules et j’ai fait très vite pour arriver à temps ». La brebis,
qui boite douloureusement, est conduite au bercail par l’enfant.
Marie s’est assise sur un rocher et joue avec les chevreaux et les agneaux, présentant des fleurs de
trèfle à leurs museaux roses. Un chevreau blanc et noir lui met les pattes sur les épaules et flaire ses
cheveux. « Ce n’est pas du pain » dit Marie en riant. « Demain je t’en apporterai une croûte. Sois
tranquille, maintenant. »
Elisabeth aussi, rassérénée, se met à rire.
Je vois Marie qui file, vite, vite, sous la tonnelle où le raisin grossit. Il a dû passer un certain
temps parce que les pommes commencent à rougir sur les arbres et les abeilles ronronnent près des
fleurs du figuier déjà mûres.
Elisabeth est tout à fait grosse et marche lourdement. Marie la regarde avec une attention
affectueuse. Marie, elle-même quand elle se lève pour ramasser le fuseau tombé trop loin, parait
s’arrondir sur les côtés et l’expression du visage est changée. Elle est plus mûre. C’était une jeune
fille. Maintenant c’est une femme.
Les femmes entrent dans la maison parce que le jour baisse et à l’intérieur on allume les lampes.
En attendant le souper, Marie tisse.
« Mais ne te fatigue-t-il pas réellement ? » demande Elisabeth en montrant du doigt le métier à
tisser.
« Non, sois tranquille. »
« Pour moi, cette chaleur me fatigue. J’ai été sans souffrir, mais maintenant le poids est lourd pour
mes reines vieillies. »
« Prends courage, tu seras bientôt libérée. Comme tu seras heureuse alors ! Pour moi, je ne vois
pas l’heure de ma maternité. Mon Enfant ! Mon Jésus ! Comment sera-t-Il ? »
« Beau comme toi, Marie. »
« Oh ! non ! Plus beau ! Lui est Dieu, je suis sa servante. Mais j’ai
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voulu dire : sera-t-Il blond ou brun ? Aura-t-il les yeux comme un ciel tranquille ou comme les cerfs
de montagnes ? Moi, je me le représente plus beau qu’un chérubin, avec une chevelure couleur d’or,
avec les yeux de la couleur de notre mer de Galilée quand les étoiles commencent à se lever sur
l’horizon du ciel, une bouche petite et rouge comme une tranche de grenade quand elle s’ouvre à
maturité, et les joues, et bien voilà comme le teint rosé de cette rose pâle, et deux petites mains qui
tiendraient le calice d’un lys, tant elles sont petites et belles, et deux pieds petits au point de remplir
le creux de la main et gracieux et veloutés plus qu’un pétale de fleur. Vois. J’emprunte l’idée que je
me fais de Lui à toutes les beautés que me suggère la terre. Et j’entends sa voix. En pleurant – il
pleurera un peu, de faim ou de lassitude, mon Petit et ce sera toujours grande douleur pour sa
maman qui ne pourra… oh ! non, elle ne pourra le voir pleurer sans avoir le cœur transpercé- son cri
sera comme le bêlement qui nous arrive de ce petit agneau qui vient de naître et qui cherche la
mamelle de sa mère et pour dormir la chaleur de sa toison. Son rire emplira de ciel mon cœur épris
de ma Créature. Je puis être enamourée de Lui, parce qu’Il est mon Dieu et mon amour d’amante ne
s’oppose pas à ma consécration virginale. Son rire sera comme le roucoulement joyeux d’une petite
colombe rassasiée et satisfaite dans la tiédeur de son nid. Je pense à ses premiers pas … un oiseau
sautillant sur un pré fleuri. Le pré sera le cœur de sa maman qui soutiendra ses petits pieds roses
avec tout son amour pour qu’Il ne rencontre rien qui le fasse souffrir. Comme je l’aimerai mon
Enfant ! Mon Fils ! Joseph aussi l’aimera ! »
« Mais tu devras le lui dire à Joseph ! »
Marie s’assombrit et soupire. « Je devrais pourtant le lui dire… J’aurais voulu que le Ciel le lui
fasse savoir car c’est très difficile d’en parler. »
« Veux-tu que je lui en parle ? Que je le fasse venir pour la circoncision de Jean ? »
« Non. J’ai remis à Dieu le soin de l’instruire de son heureux sort de nourricier du Fils de Dieu. Il
s’en chargera. L’Esprit m’a dit ce soir : ‘Tais-toi, laisse-Moi le soin, je te justifierai’. Et Il le fera.
Dieu ne ment jamais. C’est une grande épreuve, mais avec l’aide de l’Eternel, elle sera surmontée.
En dehors de toi à qui l’Esprit l’a révélé, personne ne doit connaître par ma bouche la bienveillance
du Seigneur à l’égard de sa servante. »
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« J’ai toujours gardé le silence, moi aussi avec Zacharie qui en aurait éprouvé une grande joie. Il
croit à la maternité naturelle. »
« Je le sais et je l’ai aussi voulu par prudence. Les secrets de Dieu sont saints. L’Ange du
Seigneur n’avait pas révélé à Zacharie ma maternité divine. Il aurait pu le faire, si Dieu l’avait
voulu car Dieu savait qu’il était imminente l’époque de l’Incarnation de son Verbe en Moi. Mais
Dieu a tenu cachée cette joie lumineuse à Zacharie qui refusait comme impossible votre fécondité
tardive. Je me suis conformée à la volonté de Dieu. Et, tu le vois, tu as su ce secret vivant en moi…
Lui, n’a rien remarqué. Tant que ne tombera pas le voile de son incrédulité à l’égard de la puissance
de Dieu, il vivra à l’écart de la lumière surnaturelle.
Elisabeth soupire et garde le silence.
Zacharie entre. Il présente des rouleaux à Marie. C’est l’heure de la prière avant le souper. C’est
Marie qui prie à haute voix à la place de Zacharie. Puis ils prennent place à la table.
« Quand tu ne seras plus ici, comme nous pleurerons de n’avoir personne qui nous lise les
prières » dit Elisabeth en regardant son mari muet.
« Tu prieras alors, Zacharie » dit Marie.
Il secoue la tête et écrit : « Je ne pourrai plus jamais prier pour les autres. J’en suis devenu
indigne, du moment où j’ai douté de Dieu. »
« Zacharie : tu prieras. Dieu pardonne.
Le vieillard essuie une larme et soupire.
Après le repas, Marie retourne au métier à tisser. « C’est assez ! » dit Elisabeth. « Tu te fatigue
trop. »
« Le temps est très proche, Elisabeth. Je veux faire à ton enfant un trousseau digne de celui qui
précède le Roi de la race de David. »
Zacharie écrit : « De qui naîtra-t-Il ? Et où ? »
Marie répond : « Là où les Prophètes l’ont dit et de qui l’Eternel fera choix. Tout est bien fait de
ce que fait notre Seigneur, le Très-Haut. »
Zacharie écrit : « A Bethléem, donc ! En Judée. Nous irons le vénérer, femme. Toi aussi tu
viendras à Bethlehem avec Joseph. »
« Et Marie baissant la tête sur son métier : « Je viendrai. »
C’est la fin de la vision.
Marie dit :
« La première manifestation de l’amour du prochain s’exerce envers le prochain. Que cela ne te
semble pas un jeu de mots.
La charité a un double objet : Dieu et le prochain. Dans la charité à l’égard du prochain est
comprise celle qui s’exerce envers nous-mêmes. Mais si nous nous aimons plus que les autres, nous
ne sommes plus charitables, nous sommes égoïstes.
Et même, dans les choses permises, il faut être assez saint pour faire passer en premier lieu les
besoins du prochain. Soyez tranquilles, mes enfants : Dieu, pour les âmes généreuses supplée avec
les moyens de sa toute puissant Bonté. Cette certitude m’a fait venir à Hébron pour aider ma parente
dans la situation où elle se trouvait. Et à mon dessein de secours humain, en donnant au-delà de
toute mesure, comme c’est son habitude, Dieu a ajoutée le don d’un secours surnaturel auquel je ne
pensais pas.
Je vais pour porter un secours matériel, et Dieu sanctifie la droiture de ma démarche opérant la
sanctification du fruit du sein d’Elisabeth et, avec cette sanctification qui pré sanctifia le Baptiste,
soulage la souffrance physique d’une fille d’Eve âgée et concevant à une âge inhabituel.
Elisabeth, femme de foi intrépide et abandonnée avec confiance à la volonté de Dieu, mérita de
comprendre le mystère renfermé en moi. L’ Esprit lui parla par le bondissement de l’enfant en son
sein. Le Baptiste a prononcé son premier discours d’Annonciateur du Verbe à travers les voiles des
veines et de la chair qui à la fois le séparent de sa sainte mère et en même temps l’unissaient à elle.
Et je ne refuse pas de dire, à elle qui en est digne et à qui la Lumière se révèle, ma qualité de Mère
du Seigneur. Le refus de ma part aurait eu pour effet de refuser à Dieu la louange qui lui était dûe,
la louanger que je portais en moi et que ne pouvant dire à personne, je confiais aux plantes, aux
fleurs, aux étoiles, au soleil, au chant mélodieux des oiseaux, aux brebis patientes et à la lumière
d’or qui me donnait un baiser en descendant du ciel et au murmure des ruisseaux. Mais prier à deux
est plus doux que de dire seules notre prière. J’aurais voulu que le monde entier
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connaissance ma destinée, pas pour moi, mais pour qu’il s’unisse à moi pour la louange de mon
Seigneur.
La prudence m’a défendu de révéler à Zacharie la vérité. Ç’aurait été outrepasser l’œuvre de Dieu.
Si j’étais pour Lui épouse et Mère, je serai toujours sa servante et je ne devais pas, à cause de son
grand amour pour moi, me permettre de me substituer à Lui et de prendre une décision qui m’aurait
mise au-dessus de Lui. Elisabeth, en sa sainteté se rend compte et se tait, car qui est saint est
toujours soumis et humble.
Un don de Dieu doit toujours nous rendre meilleurs. Plus nous recevons de Lui, et plus nous
devons donner, car plus nous nous recevons et plus Il est en nous et avec nous, et plus nous devons
nous efforcer de nous rapprocher de sa perfection. Voilà pourquoi en faisant passer au second plan
mon travail personnel, je travaille pour Elisabeth.
Je ne me laisse pas dominer par la crainte de n’avoir pas le temps. Dieu est le Maître du temps.
Quand on espère en Lui, on profite de sa providence même pour les choses matérielles. L’égoïsme
n’avance à rien : il retarde tout. La charité ne retarde rien : elle avance les réalisations. Retenez bien
toujours cela..
Quelle paix dans la maison de Elisabeth ! Si je n’avais pas eu la pensée de Joseph et celle, celle,
celle de mon Enfant, qui devait racheter le monde, j’aurais été heureuse. Mais déjà la croix projetait
son ombre sur ma vie comme une sonnerie funèbre ; j’entendais la voix des Prophètes… Je
m’appelais : Marie. L’amertume se mélangeait toujours aux douceurs que Dieu versait en mon
cœur. Et elle a toujours été, en augmentant jusqu’à la mort de mon Fils.
[ Mais quand Dieu nous appelle, Marie, à la destinée de victimes pour son honneur, oh ! il est
doux d’être moulues comme le grain sous la meule pour faire de notre douleur le pain qui fortifie
les faibles et les rend capables de gagner le Ciel !
Maintenant c’est assez. Tu es fatiguée et heureuse. Repose avec ma bénédiction. »
Marie dit :
« Si ma présence avait sanctifié de Baptiste, elle n’avait pas enlevé pour Elisabeth la
condamnation venue d’Eve. «Tu auras des fils dans la douleur » avait dit l’Eternel. Moi seule,
Sans Tache et sans union humaine, ai été exempte de la douleur de l’enfantement. La tristesse et la
douleur sont les fruits de la faute. Moi qui étais la ‘Sans faute’, je devais connaître pourtant la
douleur et la tristesse parce que j’étais la Corédemptrice. Mais je ne connus pas le déchirement de
l’enfantement. Non. Je n’ai pas connu cette souffrance.
Mais, crois-moi, ma fille, qu’il n’y a jamais et qu’il n’y aura jamais tourment d’enfantement
semblable à mon enfantement de Martyre d’une Maternité spirituelle accomplie sur le plus dur des
lits : celui de ma croix, au pied du gibet de mon Fils qui mourait. Quelle est la mère qui est
contrainte à générer de telle façon, et à mêler le tourment de ses entrailles qui se déchiraient en
entendant le râle de sa Créature agonisante au déchirement intérieur pour avoir à surmonter
l’horreur de devoir dire : ‘Je vous aime,
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Venez à moi qui suis votre Mère’ aux assassins de son Fils, qui était né du plus sublime amour
qu’ait jamais vu le ciel, de l’union d’amour d’un Dieu avec une vierge, d’un baiser de Feu, de
l’embrassement de la lumière, qui se firent Chair et du sein d’une femme firent le Tabernacle de
Dieu ?
« Que de douleur, pour être mère ! » disait Elisabeth. Si grande, mais un rien en comparaison de
la mienne..
« Laisse-moi mettre les mains sur ton sein ! ». Oh ! si dans votre souffrance vous me demandiez
toujours cela !
Je suis l’Eternelle Porteuse de Jésus. Il réside en mon sein, comme tu l’as vu l’an passé, comme
une Hostie en l’ostensoir. Qui vient à moi, le trouve. Qui s’appuie sur moi, le touche. Qui s’adresse
à moi, Lui parle. Je suis son Vêtement. Il est mon Ame. Encore plus, plus uni maintenant qu’il ne le
fut pendant les neuf mois qu’il se développait en mon sein, mon Fils est uni à moi, sa Maman. Et
toute douleur se calme et toute espérance fleurit et toute grâce coule pour qu’il vient à moi et pose
sa tête sur mon sein.
Je prie pour vous. Rappelez-le. La béatitude d’être au ciel, vivant dans le rayonnement de Dieu,
ne me fait pas oublier mes fils qui souffrent sur la terre. Et je prie. Le Ciel entier prie, car le Ciel
aime. Le Ciel c’est la charité vivante. Et la Charité a pitié de vous. Mais, s’il n’y avait que moi, ce
serait déjà une prière suffisante pour les besoins de qui espère en Dieu, puisque je ne cesse de prier
pour vous tous : saints et dépravés, pour donner aux saints la joie, pour donner aux méchants le
repentir qui sauve.
Venez, venez, ô fils de ma douleur. Je vous attends au pied de la Croix pour vous faire grâce. »
38. LA CIRCONCISION DU BAPTISTE.
Je vois la maison en fête. C’est le jour de la circoncision. Marie a pris soin que tout soit beau et en
ordre. Les pièces brillent de lumière et aussi les plus belles étoffes, les plus beaux meubles, c’est
une splendeur. Il y a beaucoup de monde.
Marie se déplace, agile parmi les groupes, toute belle dans son plus beau vêtement blanc.
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Elisabeth, révérée comme une matrone, jouit délicieusement de la fête. Le bébé est sur son sein,
repu de lait.
Vient le moment de la circoncision.
« Nous l’appellerons Zacharie. Tu te fais vieux et il convient que ton nom soit donné à l’enfant »
disent les hommes.
« Certainement non » s’écrie la mère. « Son nom est Jean. Son nom doit être un témoignage de la
puissance de Dieu. »
« Mais quand donc il y a eu-t-il un Jean dans notre parenté ? »
« N’importe. Il doit s’appeler Jean. »
« Que dis-tu, Zacharie ? Tu veux qu’il ait ton nom, n’est-ce pas ? »
Zacharie fait signe que non. Il prend la tablette et écrit : « Jean est son nom », et il a à peine fini
d’écrire qu’il ajoute avec sa langue libérée : « Puisque Dieu a fait une grande grâce à moi son père
et à sa mère, et à ce petit, son nouveau serviteur, qui passera en effet sa vie à glorifier le Seigneur, et
il sera appelé grand dans la suite des siècles et aux yeux de Dieu, parce qu’il s’emploiera à convertir
les cœurs au Seigneur Très-Haut. L’ange l’a dit, et moi je ne l’ai pas cru. Mais maintenant je crois
et la Lumière se fait en moi. Elle est parmi nous et vous ne la voyez pas. Son sort sera d’être
ignorée parce que les hommes ont l’esprit encombré, endormi. Mais mon fils la verra et parlera
d’Elle et tournera vers Elle les cœurs des justes d’Israel. Oh ! bienheureux ceux qui croiront en Elle
et croiront toujours à la parole du Seigneur. Et Toi, sois béni, Seigneur Eternel, Dieu d’Israel parce
que tu as visité et racheté ton peuple en lui suscitant un puissant Sauveur dans la maison de David,
son serviteur. Comme tu as promis par la bouche des saints prophètes, depuis les temps anciens de
nous délivrer de nos ennemis et des mains de ceux qui nous haïssent, pour exercer ta miséricorde
envers nos pères et montrer que tu n’oublies pas ta sainte alliance. Tel est le serment que tu as fait à
Abraham notre père : de nous accorder que sans crainte, délivrés de la main de nos ennemis, nous te
servions, dans la sainteté et la justice, en ta présence, pendant toute la vie » et ainsi jusqu’à la fin.
Les personnes présentes sont dans la stupeur : pour le nom, pour le miracle et pour les paroles de
Zacharie.
Elisabeth à la première parole de Zacharie, avait hurlé de joie. Maintenant elle pleure pendant que
marie la tient embrassée et la caresse joyeusement.
On porte ailleurs le nouveau-né pour la circoncision. Quand
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on le rapporte, le petit Jean crie de toute sa voix. Même le lait de sa maman ne le calme pas. Il se
débat comme un jeune poulain. Mais Marie le prend et le berce, et lui se tait et se calme.
« Mais regardez ! » dit Sara. « Il ne se tait que lorsqu’Elle le prend ! »
Les gens s’en vont lentement. Dans la pièce, il ne reste que Marie avec le bébé dans les bras et
Elisabeth toute heureuse.
Zacharie entre et ferme la porte. Il regarde Marie avec les larmes aux yeux. Il veut parler, puis se
tait. Il s’avance. Il s’agenouille devant Marie. « Bénis le misérable serviteur du Seigneur » lui dit-il.
« Bénis-le, puisque tu peux le faire, toi qui le portes en ton sein. La parole de Dieu m’a parlé quand
j’ai reconnu mon erreur et que j’ai cru à tout ce qui m’avait été dit. Je te vois, et aussi ton heureuse
destinée. J’adore en toi le Dieu de Jacob. Toi, mon premier Temple, où le premier prêtre devenu
conscient peut à présent prier l’Eternel. Tu es bénie, toi qui as obtenu grâce pour le monde et lui
portes le Sauveur. Pardonne à ton serviteur, s’il n’y a pas vu au premier abord ta majesté. C’est
toutes les grâces que tu nous as apportées avec ta venue, parce que où tu vas, ô Pleine de Grâce,
Dieu opère ses miracles et saints sont les murs où tu entres, sainte deviennent les oreilles qui
entendent ta voix et les chairs que tu touches. Saints les cœurs parce que tu donnes les grâces, Mère
du Très-haut, Vierge annoncée par les prophètes et attendue pour donner au peuple de Dieu le
Sauveur. »
Marie sourit, allumée par l’humilité, et Elle parle : « Louange au Seigneur. A Lui seul. C’est de
Lui, pas de moi que vient toute grâce. Et Lui t’a accordé sa grâce pour que tu l’aimes et le serves à
la perfection le reste de ta vie, pour mériter son Royaume que mon Fils ouvrira aux patriarches, aux
Prophètes, aux justes du Seigneur. Et toi, maintenant qui peux prier devant le Saint, prie pour la
Servante du Très-Haut, parce que être la Mère du Fils de Dieu, c’est une bienheureuse destinée, être
Mère du Rédempteur c’est une destinée d’atroce douleur. Prie pour moi, qui heure après heure sens
grandir le poids de ma souffrance. Et c’est toute une vie qu’il me faudra le porter. Et si je n’en vois
pas les détails, je sens que ce sera un poids plus lourd que si sur mes épaules de femme se posait le
monde et que je dusse l’offrir au ciel ! moi, moi seule, pauvre femme ! mon enfant ! mon Fils ! Ah !
qu’à présent le tien ne pleure pas si je le berce. Mais pourrai-je moi bercer le mien pour calmer sa
douleur’ … Prie pour moi, Prê
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tre du Seigneur. Mon cœur tremble comme une fleur sous la bourrasque. Je regarde les hommes et
je les aime, mais derrière leurs visages, je vois apparaître l’Ennemi qui en fait des ennemis de Dieu,
de Jésus, mon Fils… »
La vision s’évanouit avec la vue de la pâleur de Marie, de ses larmes où brille son regard.
Marie dit :
« A qui reconnaît sa faute et s’en repent et s’accuse humblement d’un cœur sincère, Dieu pardonne.
Il ne pardonne pas seulement : Il récompense. Oh ! mon Seigneur, comme Il est bon envers qui est
humble et sincère ! Envers celui qui croit en Lui et se fie à Lui ! Désencombrez votre esprit de tout
ce qui l’encombre et le rend inerte. Disposez-le à accueillir la Lumière. Comme un phare dans les
ténèbres, Elle vous est une guide et un saint réconfort.
Amitié avec Dieu, béatitude de ceux qui lui sont fidèles, richesse que rien n’égale, qui te possède
n’est jamais seul et ne ressent pas l’amertume de le désespoir. Tu ne supprime pas la douleur, ô
sainte amitié, car la douleur a été le destin d’un Dieu incarné et elle peut être le destin de l’homme.
Mais tu rends cette douleur douce en son amertume, tu y mélanges une clarté et une caresse qui,
comme un touche céleste, soulèvent la croix.
Et, quand la Bonté Divine vous donne une grâce, usez du bienfait reçu pour rendre gloire à Dieu.
Ne soyez pas des fous qui, d’un objet utile se font une arme nuisible ou comme des prodigues qui
transforment leur richesse en misère.
C’est trop le douleur que vous me donnez, ô fils, derrière le visage de qui je vois apparaître
l’Ennemi, celui qui se rue contre mon Jésus. Trop de douleur ! Je voudrais être pour tous la Source
de la Grâce. Mais trop d’entre vous ne veulent pas de la grâce. Vous demandez ‘grâces’ mais avec
une âme qui ne possède pas la Grâce. Et comment la Grâce peut-elle vous secourir si vous en êtes
les ennemis ?
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Le grand mystère du vendredi Saint approche. Tout, dans les temples, le rappelle et le célèbre.
Mais il faut célébrer et en rappeler le souvenir dans vos cœurs, en vous battant la poitrine, comme
ceux qui descendaient du Golgotha, et dire : « Celui-là est vraiment le fils de Dieu le Sauveur » et
dire : « Jésus par ton Nom, sauve-nous » et dire : « Père, pardonne-nous ». Et finalement :
« Seigneur, je ne suis pas digne, mais si tu me pardonnes et viens vers moi, mon âme sera guérie et
je ne veux pas, non, je ne veux plus pécher pour retourner à mon mal et haine envers Toi. »
Oh ! si humblement et d’un cœur affectueux, vous remettez votre esprit à Dieu, Lui vous conduit,
comme un père son petit, et ne permet pas que rien ne lui fasse tort. Jésus, en ses agonies, a prié
pour vous enseigner à prier.
Je vous le rappelle en ces jours de la passion. Et toi, Marie, toi qui vois ma joie de Mère et en es
extasiée, ramène à ta mémoire cette pensée : Que j’ai possédé Dieu à travers une douleur sans cesse
grandissante. Il est descendu en moi avec le germe de Dieu et comme un arbre gigantesque a grandi
jusqu’à toucher le ciel de sa cime et aussi l’Enfer par ses racines, quand j’ai reçu sur mon sein la
dépouille inanimé de la Chair de ma chair, quand j’en ai vu et compté les déchirures atroces. Quand
j’ai touché son cœur qui avait été lacéré pour consommer la douleur jusqu’à la dernière goutte de
son sang. »
D’un char confortable auquel est attaché aussi la monture de Marie, je vois descendre Zacharie,
Élisabeth et Marie qui tient le petit Jean, et Samuel avec un agneau et, dans une cage, une colombe.
Ils descendent l’écurie habituelle où doivent s’arrêter tous les pèlerins qui se rendent au Temple,
pour remiser leurs montures.
Marie appelle le petit homme qui en est propriétaire et lui demande si aucun Nazaréen n’est venu
le jour précédent ou aux premières heures de la matinée. “Personne, femme” répond le petit vieux.
Marie demeure étonnée, mais n’ajoute rien d’autre.
Elle fait détacher son âne par Samuel et puis rejoint Zacharie et Élisabeth. Elle explique le retard
de Joseph: “Il aura été retenu par quelque chose, mais il viendra certainement aujourd’hui.” Elle
reprend le bébé qu’elle avait donné à Élisabeth, et ils se dirigent vers le Temple.
Zacharie reçoit les honneurs des gardes, les saluts et les compliments des autres prêtres. Il est
splendide, aujourd’hui Zacharie avec des vêtements sacerdotaux et sa joie de père heureux. On
dirait un Patriarche. Je pense qu’Abraham devait lui rassembler quand il se réjouissait d’offrir Isaac
au Seigneur.
Je vois la cérémonie de la présentation du nouvel Israélite et la purification de la mère. Elle est
encore plus pompeuse que pour la présentation de Marie, parce que Jean est le fils d’un prêtre et les
prêtres font grande fête. Ils accourent en nombre et s’affairent autour du petit groupe des femmes et
du nouveau-né.
Des gens aussi se sont approchés par curiosité et j’entends les commentaires. Comme Marie a
l’enfant sur le bras pendant qu’on se dirige vers l’endroit coutumier les gens croient que c’est la
mère. Mais un femme dit: “Ce n’est pas possible. Ne voyez-vous pas qu’elle est enceinte? Le
bambin n’a que quelques jours et elle, elle est déjà grosse.”
“Pourtant” dit un autre “il n’y a qu’elle qui puisse être la mère. L’autre est vieille. Ce doit être une
parente, mais elle ne peut être mère à l’age qu’elle a.”
“Suivons-les, et nous verrons qui a raison.”
Et la stupeur augmente quand on voit que celle qui accomplit le rite de la purification, c’est
Élisabeth. Elle offre son agneau bêlant pour l’holocauste et la colombe pour le péché.
“C’est elle la mère, tu as vu?”
“Non!”
“Oui”
Les gens chuchotent, incrédules encore. Ils font tant de bruit qu’un “Pschitt!” impérieux part du
groupe des prêtres qui assistent à la cérémonie. Les gens se taisent un moment, mais les
chuchotements se font plus fort quand Élisabeth rayonnante d’une sainte fierté prend le bambin et
pénètre dans le Temple pour en faire la présentation au Seigneur.
“C’est bien elle.”
“C’est toujours la mère qui fait l’offrande.”
“Quel miracle est-ce donc jamais?”
“Que sera cet enfant accordé à un âge si avancé à cette femme?”
“Qu’est-ce que cela présage?”
“Vous ne savez pas?” dit quelqu’un qui arrive tout essoufflé.
“C’est le fils du prêtre Zacharie, de la descendance d’Aaron, celui-là qui devint muet pendant
qu’il offrait l’encens au Sanctuaire.”
“Mystère! Mystère! Et maintenant il parle de nouveau! La naissance de son fils lui a délié la
langue.”
“Quel esprit lui aura parlé et rendue morte sa langue pour l’habituer à garder le silence sur les
secrets de Dieu?”
“Mystère! Quelle vérité se sera révélée à Zacharie?”
“Son fils serait-il le Messie qu’attend Israël?”
“Il est né en Judée, mais pas à Bethlehem et pas par une vierge. Il ne peut être le Messie.”
“Qui donc est-il?”
Mais la réponse reste dans le secret de Dieu et les gens restent avec leur curiosité.
La cérémonie est achevée. Les prêtres font fête, maintenant à la mère aussi et au bébé. La seule à
qui on ne fait pas attention, qu’on évite mâle dédaigneusement, quand on s’aperçoit de son état,
c’est Marie.
Une fois les félicitations finies, la plupart se remettent en route et Marie veut retourner à
l’hôtellerie pour voir si Joseph est arrivé. Il n’est pas arrivé. Marie reste déçue et pensive.
Elisabeth se préoccupe de sa situation. “Nous pouvons rester jusqu’à la sixième heure, mais
ensuite, nous devons partir pour être à la maison avant la première veille. Il est encore trop petit
pour rester la nuit à la tombée.”
Et Marie calme et triste: “Je resterai dans une cour du Temple. J’irai trouver mes maîtresses… Je
ne sais. Mais je ferai quelque chose.”
Zacharie intervient avec un projet immédiatement accepté, comme une bonne solution. “Allons
chez les parents de Zébédée, c’est sûrement là que Joseph va te chercher, et s’il ne venait pas, il te
sera facile de trouer quelqu’un pour t’accompagner vers la Galilée. Dans cette maison il y a un va-
et-vient continuel de pêcheurs de Génésareth”
Ils prennent la monture de Marie et vont chez les parents de Zébédée, qui au fond ne sont que
ceux qui ont donné l’hospitalité à Marie et Joseph quatre mois auparavant.
Les heures passent vite et Joseph ne paraît point. Marie maîtrise sa peine en berçant le petit, mais
on voit qu’elle est pensive. Comme pour cacher son état, elle n’a pas enlevé son manteau bien qu’il
fasse une chaleur qui fait transpirer tout le monde.
Finalement un grand coup à la porte annonce Joseph. Le visage de Marie resplendit rasséréné.
Joseph la salue, après qu’elle s’est présentée tout d’abord le saluant avec respect: “La Bénédiction
de Dieu sur toi, Marie!”
“Et sur toi, Joseph! Et louange au Seigneur que tu sois venu! C’est que Zacharie et Élisabeth
allant partir pour être à la maison avant la nuit.”
“Ton messager est arrivé à Nazareth pendant que j’étais à Cana pour des travaux. J’ai été informé
hier soir et je suis parti tout de suite. Mais ayant marché sans arrêt, je suis en retard parce que l’âne
avait perdu un fer. Pardonne-moi.”
“C’est à toi de me pardonner d’être restée si longtemps loin de Nazareth! Mais regarde: ils étaient
si heureux de m’avoir avec eux, c’est pourquoi j’ai voulu leur faire plaisir jusqu’à maintenant.”
“Tu as bien fait, Femme. Et le bambin où est-il?”
Ils entrent dans la pièce où se trouve Élisabeth qui donne son lait à Jean avant de partir. Joseph
compliment les parents pour la robustesse de l’enfant. Élisabeth l’enlève de son sein pour le montrer
à Joseph, mais il crie et se débat comme si on l’écorchait. Tout le monde rit de ses protestations,
même les parents de Zébédée qui ont accourus apportant des fruits frais pour tout le monde, du lait,
du pain et un grand plat de poisson, ils rient et s’unissent à la conversation des autres.
Marie parle peu. Elle reste tranquille et silencieuse assise dans son coin, les mains sur son sein,
sous un manteau. Et même quand elle boit une tasse de lait et mage une grappe de raisin doré avec
un peu de pain, elle parle peu et ne bouge guère. Elle regarde Joseph avec un mélange de peine et
d’inquiétude.
Lui aussi la regarde et après quelque temps, se penchant sur son épaule, lui demande: “ Es tu
fatiguée? Souffres tu? Tu es pâle et triste.”
“J’ai de la peine de me séparer du petit Jean. Je l’aime bien. Je l’ai porté sur mon coeur presque
dès sa naissance…”
Joseph ne pose pas d’autre question.
L’heure du départ est venue pour Zacharie. Le char s’arrête à la porte et tout le monde s’approche.
Les deux cousines s’embrassent affectueusement. Marie baise plusieurs fois le bébé avant de le
reporter sur le sein de sa mère déjà assise dans son char. Puis elle salue Zacharie et lui demande sa
bénédiction. Quand elle s’agenouille devant le prêtre, le manteau glisse de ses épaules et ses formes
apparaissent dans la lumière intense d’un après midi d’été. Je ne sais pas si Joseph le remarque à ce
moment, occupé qu’il est à saluer Élisabeth. Le char s’éloigne.
Joseph rentre avec Marie qui reprend sa place dans un coin à moitié éclairé. “S’il ne te déplaisait
pas de voyager de nuit, je proposerais de partir au crépuscule. La chaleur est forte dans la journée.
La nuit, au contraire, est fraîche et tranquille. C’est pour toi que je dis pour ne pas t’exposer trop au
soleil. Pour moi, ce n’est rien d’être exposé à la canicule. Mais toi…”
“Comme tu veux, Joseph. Oui, je crois que ce serait bien de voyager de nuit.”
“La maison est bien en ordre, et aussi le jardinet. Tu verras quelles belles fleurs! Tu arrives à
temps pour voir tout fleuri. Le pommier, le figuier et la vigne sont chargées de fruit comme jamais
et le grenadier, j’ai dû lui mettre des tuteurs tant ses branches sont chargées de fruit déjà bien
formés qu’on n’a jamais vu chose pareille en ce temps-ci. Et puis l’olivier… Tu auras de l’huile en
abondance. Il a eu une floraison miraculeuse et pas une fleur ne s’est perdue; toutes ont déjà donné
une petite olive. Quand elles seront mûres, l’arbre sera couvert de perles moires. Il n’y a que toi
pour avoir un si beau jardin dans toute Nazareth. Même les parents en sont étonnés. Et Alphée dit
que c’est un miracle.”
“Te soins l’ont créé!”
“Oh! Non! Pauvre homme que je suis! Qu’ai-je donc fait, moi? Un peu de soins aux arbres et un
peu aux fleurs…Sais-tu? Je t’ai fait une fontaine, tu n’auras pas besoin de sortir pour avoir de l’eau.
Je l’ai amenée au fond, près de la grotte, et j’Y ai mis une vasque. Je l’ai conduite de la source qui
se trouve au dessus de l’olivier de Mathias. Elle est pure et abondante. C’est par un petit ruisseau
que je te l’ai amenée. J’ai fait un petit canal bien couvert et maintenant l’eau arrive et chante
comme une harpe. Ça me faisait de la peine de te voir aller à la fontaine du pays et en revenir
chargée d’amphores remplies d’eau.”
“Merci Joseph. Tu es bon!”
Les deux époux se taisent maintenant comme fatigués. Joseph sommeille même. Marie prie.
Le soir arrive. Les hôtes insistent pour qu’ils mangent encore avant de se mettre en route. Joseph
mange du pain et du poisson. Marie seulement des fruits et du lait.
Puis c’est le départ. Ils montent sur leurs ânes. Comme à l’aller, Joseph a installé sur le sien le
coffre de Marie et avant que Marie ne monte il regarde si la selle est bien en place. Je remarque que
Joseph regarde Marie quand elle monte en selle; mais il ne dit rien. Le voyage a commencé au
moment où les étoiles, les premières se mettent à clignoter dans le ciel.
Ils se hâtent vers les portes pour attendre avant qu’elles ne soient fermées, peut-être. Quand ils
sortent de Jérusalem et ils prennent la grande route qui va vers la Galilée, déjà les étoiles
fourmillent dans toute l’étendue du ciel. Il y a grand silence dans la campagne. On n’entend que le
chant d’un rossignol et les pieds des deux ânes qui battent en cadence le terrain de la route durci par
la sécheresse de l’été.
L’ÉVANGILE TEL QU’IL M’A ÉTÉ RÉVÉLÉ
Volume 2° * en ligne *
La première année de la vie publique
Je vois l’intérieur de la maison de Nazareth. Je vois une pièce qui semble une salle de séjour où la
Famille prend ses repas et de délassement aux heures de repos. C’est une toute petite pièce avec
simplement une table rectangulaire et une sorte de coffre rangé contre un mur. Il sert de siège d’un
côté à la table. Contre les autres murs il y a un métier à tisser et un tabouret, puis deux autres
tabourets et une étagère avec des lampes à huile et d’autres objets. Une porte est ouverte sur le petit
jardin. Ce doit être vers le soir car il n’y a plus qu’un dernier rayon de soleil sur la cime d’un arbre
élevé qui commence à peine à verdir avec les premières feuilles.
À table est assis Jésus. Il mange et Marie le sert allant et venant par une petite porte qui, je
suppose, donne sur l’endroit où se trouve le foyer dont on aperçoit la lueur par la porte entr’ouverte.
Jésus dit deux ou trois fois à Marie de s’asseoir et de manger, Elle aussi. Mais Elle ne veut pas et
secoue la tête en souriant tristement. Elle apporte ensuite des légumes cuits à ‘eau, qui semblent
tenir lieu de soupe, des poissons grillés et puis un fromage plutôt mou en fore de boue qui rappelle
les pierres roulées d’un torrent, et puis des petites olives noires. Le pain, de forme ronde et large
comme un plat ordinaire, peu épais, est déjà sur la table. Il est plutôt noir, contenant des repasses.
Jésus a devant lui une amphore avec de l’eau et une coupe. Il mange silencieusement, en regardant
sa Maman avec un douloureux amour.
Marie, c’est bien visible, a de la peine. Elle va et vient pour se donner une contenance. Bien qu’il
fasse encore assez jour, elle allume une lampe, la met près de Jésus et en allongeant le bras, caresse
à la dérobée sa tête. Elle ouvre une besace qui me semble de laine vierge, tissée à la main et donc
imperméable, de couleur noisette, fouille à l’intérieur, sort dans son petit jardin, va au fond dans un
sort de débarras, en sort avec des pommes plutôt ratatinées, certainement conservées depuis l’été et
les met dans la besace, Ensuite elle prend un pain et un petit fromage qu’elle ajoute, bien que Jésus
n’en veuille pas et dise que le reste suffit.
Puis Marie, de nouveau s’approche de la table du côté le plus étroit, à la gauche de Jésus et le
regarde manger. Elle le regarde avec tristesse, avec adoration, avec n visage encore plus pâle qu’à
l’ordinaire et que la peine semble vieillir, avec des yeux plus grands à cause d’un cerne qui les
entoure, indice de larmes déjà versées. Ils semblent plus brillants que d’habitude, lavés qu’ils sont
par les larmes qui les remplissent, prêtes à tomber. Deux yeux douloureux et fatigués.
Jésus mange lentement et visiblement à contrecœur, seulement pour faire plaisir à sa Mère. Il est
pensif, plus qu’habituellement, lève le tête et regard Marie. Il rencontre un regard plein de larmes et
baisse la tête pour respecter son émotion. Il se borne à prendre la main délicate qu’Elle tient
appuyée au rebord de la table. Il la prend de sa main gauche et la porte à sa joue. Il l’appuie sur sa
joue dont il l’effleure pour sentir la caresse de cette pauvre main qui tremble et puis la baise à dos,
avec tant d’amour et de respect.
Je vois Marie qui porte la main libre, la gauche, à sa bouche comme pour étouffer un sanglot.
Ensuite Elle essuye avec les doigts une larme qui a débordé des cils et coule sur sa joue. Jésus
recommence à manger et Marie sort, vive, vive dans le petit jardin, désormais peu éclairé, et
disparaît.
Jésus appuie le coude gauche sur la table, appuie son front sur la main et se plonge dans ses
pensées, oubliant de manger. Il tend l’oreille et se lève.
Il sort lui aussi dans le jardin et après avoir regardé autour de lui, se dirige à droite de la maison et
entre dans une grotte, à l’intérieur de laquelle e reconnais l’atelier de menuisier, cette fois bien
rangé, sans planches, sans freluches de bois, sans feu allumé. Il y a l’établi avec les outils, chacun à
sa pièce. C’est tout.
Penchée sur l’établi, Marie pleure. One dirait une enfant. Sa tête s’appuie sur son bras gauche
replié. Elle pleure sans bruit, mais douloureusement. Jésus entre doucement et s’approche si
légèrement qu’Elle ne se rend compte que lorsque le Fils lui met la main sur la tête en l’appelant
‘Maman!’ d’un ton d’amoureux reproche.
Marie lève la tête et regarde Jésus à travers un voile de larmes. Elle s’appuie à Lui, les deux mains
jointes contre son bras droit. Jésus lui essuie le visage avec un coin de sa large manche et l’attire en
ses bras, sur son coeur lui déposant un baiser sur le front. Jésus est majestueux, il semble plus viril
qu’à l’ordinaire et Marie paraît plus jeune sauf en son visage marqué par la douleur.
“Viens, Maman” lui dit Jésus, et la serrant étroitement de son bras droit contre Lui, il marche en
revenant dans le jardin où il s’assied sur un banc contre le mur de la maison.
Le jardin est silencieux maintenant dans la nuit. Il y a seulement un beau clair de lune, et une
lueur qui sort de la salle à manger. La nuit est tranquille. Jésus parle à Marie. Au début je ne
comprends pas les paroles à peine mourmourées et auxquelles Marie acquiesce en inclinant la tête.
Puis j’entends: “Fais venir les parents. Ne reste pas seule. Je serai plus tranquille pour accomplir
ma mission. Mon amour ne te fera pas défaut. Je viendrai souvent et te ferai prévenir quand je serai
en Galilée sans pouvoir revenir à la maison. Tu viendras me voir, alors. Maman, cette heure devait
venir… Elle a commencé ici quand l’Ange t’apparut; maintenant, elle sonne et nous devons la
vivre, n’est-ce-pas, Maman? Après viendra la paix de l’épreuve surmontée et la joie. Il nous faut
d’abord franchir ce désert comme les anciens Pères, pour entrer dans la Terre Promise. Mais le
Seigneur nous aidera comme il les a aidés. Il nous donnera son aide comme une manne spirituelle
pour nourrir notre esprit au plus fort de l’épreuve. Disons ensemble à notre Père…”
Jésus se lève et Marie avec Lui. Ils tournent leurs regards vers le ciel. Deux hosties vivantes qui
resplendissent dans la nuit. Jésus dit lentement, mais d’une voix claire, en détachant les mots, la
prière dominicale. Il appuie sur les deux phrases: ‘Que ton règne arrive, que ta volonté soit faite’ en
détachant bien ces deux phrases des autres. Il prie, les bras étendus, pas en croix précisément, mais
comme le prêtre quand il dit: ‘Le Seigneur soit avec vous’. Marie garde les mains jointes.
Puis, ils reviennent à la maison, et Jésus, que je n’ai jamais vu boire de vin, vers dans une coupe,
d’une amphore qui est sur l’étagère, un peu de vin blanc et la porte sur la table. Il prend Marie par la
main et l’oblige à s’asseoir près de Lui et à boire ce vin où il trempe une mie de pain qu’il Lui fait
manger. L’insistance est telle que Marie doit céder. Jésus boit le reste de vin.
Et puis il serre la Maman contre Lui, contre son Coeur. Jésus et Marie ne sont pas allongés, mais
assis comme nous pour le repas. Ils ne parlent plus, ils attendent. Marie caresse la main droite de
Jésus et ses genoux. Jésus caresse Marie à son bras et sur la tête.
Puis Jésus se lève, et Marie avec Lui. Ils s’embrassent et se baisent tendrement plusieurs,
plusieurs fois. Il semble à chaque instant qu’ils veuillent se séparer, mais Marie se reprend à serrer
contre elle sa créature. C’est la Madone … mais une Maman, enfin, une Maman qui doit se séparer
de son Fils et qui sait où aboutira cette séparation; que l’on ne me dise plus que Marie n’a pas
souffert. Je le croyais auparavant, maintenant plus.
Jésus prend son manteau bleu foncé. Il s’en drape les épaules et se couvre la tête avec le
capuchon. Puis il passe la besace en bandoulière pour qu’elle ne gêne pas sa marche. Marie l’aide et
n’en finit pas d’arranger son vêtement, le manteau et le capuchon et entre temps le caresse encore.
Jésus va vers la sortie après avoir tracé un geste de bénédiction sur la maison. Marie le suit, et sur
le seuil ils se donnent un dernier baiser.
La route est silencieuse et solitaire, éclairée par la lune. Jésus se met en route. Il se retourne
encore pour deux fois pour regarder la Maman qui reste appuyée sur le chambranle de la porte, plus
blanche que la lune et toute lumineuse sous ses pleurs silencieux. Jésus s’éloigne toujours plus sur
la route blanche. Marie pleure toujours contre la porte. Puis Jésus disparaît à un détour du chemin.
Il est commencé, son chemin d’Evangelisateur qui finira au Golgotha. Marie rentre en larmes et
ferme la porte. Pour elle aussi est commencé le chemin qui la conduira au Golgotha.
Et pour nous…
2. « ELLE A PLEURÉ PARCE QU’ELLE ÉTAIT LA CORÉDEMPTRICE »
Paroles de Jésus :
« C’est la quatrième douleur de Marie, Mère de Dieu. La première, la présentation au Temple ;
la seconde, la fuite en Egypte ; la troisième la mort de Joseph ; la quatrième ma séparation d’avec
Elle.
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Connaissant le désir du Père, je t’ai dit hier soir que je hâterais la description de ‘nos’ souffrances
pour qu’on les fasse connaître. Mais, comme tu le vois, elles avaient déjà été mises en lumière par
celles de ma Mère. J’ai expliqué la fuite en Egypte avant la Présentation parce qu’il fallait que je le
fasse ce jour-là. J’en sais la raison et tu la comprends et tu l’appliqueras au Père, de vive voix.
J’ai le dessein d’alterner tes contemplations avec les explications que je te donnerai ensuite, avec
des ‘dictés’ proprement dites pour t’élever avec ton esprit en te donnant la béatitude de la vision et
aussi parce que, de cette manière, est rendue évidente la différence de style entre ton exposé et le
mien. En outre, en présence de tant de livres qui parlent de moi, et qui, touche et retouche,
changements et embellissements sont devenus irréels, je désire donner à qui croit en moi une vision
ramenée à la vérité de mon séjour sur la terre. Je n’en sors pas diminué, mais au contraire je deviens
plus grand dans mon humilité qui pour vous se fait pain, pour vous apprendre à être humbles et à
rassembler à moi, qui ai été un homme comme vous et qui ai porté sous mon vêtement humain la
perfection d’un Dieu. Je dois être votre Modèle et les modèles doivent toujours être parfaits.
Je ne suivrai pas dans les contemplations un ordre chronologique correspondant à celui des
Evangiles. Je prendrai les points que je trouverai plus utiles et un jour déterminé pour toi ou pour
d’autres, en suivant mon ordre d’enseignement et de bonté.
L’enseignement qui ressort de la contemplation de mon départ concerne spécialement les parents
et les enfants que la volonté de Dieu appelle à un renoncement réciproque en vue d’un plus haut
amour. En second lieu il concerne tous ceux qui doivent affronter un renoncement pénible.
Combien vous en trouvez dans la vie ! Ce sont les épines de votre séjour terrestre, et qui
transpercent le cœur : je le sais. Mais à qui les accueille avec résignation –attention, je ne dis pas :
‘à qui les désire et les accueille avec joie’, cela est déjà perfection ; je dis ‘avec résignation’- elles se
changent en roses éternellement épanouies. Mais, ceux qui l’accueillent avec résignation sont peu
nombreux. Comme des ânes rétifs,vous regimbez et vous vous butez contre la volonté du Père
quand encore vous ne cherchez pas à le blesser avec des ruades et des morsures spirituelles, c’est-à-
dire en vous révoltant et en blasphémant contre Dieu.
Ne dites pas : ‘Je n’avais que ce bien, et Dieu me l’a enlevé. Mais moi, je n’avais que cette
affection, et Dieu me l’a arrachée’. Marie aussi, femme aimable, parfaitement affectueuse car dans
la ‘Toute Grâce’, même les formes affectives et sensibles étaient parfaites, n’avait qu’un seul bien,
un seul amour sur la terre :
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son Fils. Il ne lui restait que cette affection. Ses parents étaient morts depuis longtemps et Joseph
depuis quelques années. Il n’y avait que moi pour l’aimer et lui faire sentir qu’Elle n’était pas seule.
Les parents, à cause de moi, ignorant mon origine divine, lui étaient un peu hostiles. Pour eux, Elle
était une maman qui ne sait pas s’imposer à son fils qui fait fi du bon sens commun, qui refuse les
projets de mariage qui auraient pu donner du lustre à la famille et même une aide matérielle.
Les parents, voix du sens commun, du sens humain –vous l’appelez le bon sens, mais ce n’est
que sens humain, c’est-à-dire égoïsme- les parents auraient voulu des changements pratiques dans
ma vie. Au fond, c’était la peur d’avoir, un jour, des ennuies à cause de moi qui déjà osais exprimer
des idées trop idéalistes, selon eux, et qui pouvaient offusquer la synagogue. L’histoire Hébraïque
était pleine d’enseignements sur le sort des prophètes. Ce n’étai pas une mission facile que celle de
prophète. Elle entraînait souvent la mort pour le prophète et des ennuies pour sa parenté. Au fond, il
y avait toujours la pensée de devoir, un jour, prendre ma Mère en charge.
Ils étaient donc indisposés de voir qu’Elle ne me contrariait en rien et paraissait être en
continuelle adoration devant son fils. Cette opposition devrait croître ensuite au cours des trois
années de mon ministère jusqu’au point d’arriver à des reproches publics quand ils venaient me
trouver au milieu de la foule et rougissaient de ma manie, selon eux, de heurter les castes
puissantes. Reproches à mon adresse et à la sienne, pauvre Maman !
Marie savait l’humeur des parents car tous n’étaient pas comme jacques, Jude et Simon ni comme
leur mère, marie de Cléophas et Elle prévoyait ce que ces dispositions deviendraient. Elle savait
quel sort serait le sien au cours de ces trois années et de ce qui l’attendait ensuite, et mon sort à
moi ; pourtant Elle ne regimba pas comme vous faites. Elle pleura. Qui n’aurait pas pleuré à la
séparation d’un fils qui l’aimait comme je l’aimais, à la pensée des longs jours où je ne serais plus
là, dans sa maison solitaire, devant l’avenir d’un Fils destiné à heurter la méchanceté de gens qui se
sentaient coupables et que leur culpabilité poussait à attaquer l’Innocent jusqu’à vouloir le tuer.
Elle a pleuré parce qu’Elle était le Corédemptrice et la mère du genre humain qui a reçu de dieu
une vie nouvelle. Elle devait pleurer pour toutes les mamans qui ne savent pas faire de leur
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douleur de mère une couronne de gloire éternelle.
Combien de mères, dans le monde, auxquelles la mort arrache des bras une créature ! Combien de
mères auxquelles une volonté surnaturelle enlève un fils à leurs côtés ! Pour toutes ses filles,
comme Mères des chrétiens, pour toutes ses sœurs, dans leur douleur de mères esseulées, Marie a
pleuré. Et aussi pour tous ses fils qui, nées de la femme, sont destinés à devenir des apôtres de Dieu
et martyrs pour l’amour de dieu, par fidélité à Dieu ou par la férocité des hommes.
Mon Sang et les pleurs de Marie sont le mélange qui fortifie ceux qui sont appelés à une destinée
héroïque, qui efface leurs imperfections ou même les fautes qui ont échappé à leur faiblesse, en leur
donnant outre le martyre, quelqu’il soit, la paix de Dieu, et s’ils l’ont souffert pour Dieu, la gloire
du Ciel.
Ils le trouvent les missionnaires comme une flamme qui les réchauffe dans les pays où la neige est
maîtresse. Ils le trouvent comme une rosée là où règne un soleil brûlant. Les larmes de Marie
naissent de sa charité et jaillissent d’un cœur lilial. Ils possèdent donc, de la Charité Virginale unie à
l’Amour, le feu, et de la Virginale Pureté, la fraîcheur parfumée qui rassemble à celle de l’eau
recueillie dans le calice d’un lys après une nuit baignée de rosée.
Elles le trouvent les âmes consacrées dans ce désert qu’est la vie monastique bien comprise:
Désert parce qu’il n’y a de vivant que l’union avec Dieu et que toute autre affection s’évanouit en
devenant uniquement charité surnaturelle : pour les parents, les amis, les supérieurs, les inférieurs.
Ils trouvent ce divin mélange ceux qui sont consacré à Dieu au milieu du monde, qui ne les
comprend ni les aime, désert aussi pour ceux-là où ils vivent comme s’ils étaient seuls tant ils sont
incompris et ridiculisés à cause de l’amour qu’ils me portent.
Elles le trouvent, mes chères ‘victimes’ parce que Marie est la première qui fut victime pour
l’amour de Jésus et celles qui la suivent. Elle donne de sa main de Mère et de Médecin ses larmes
qui fortifient et enivrent pour un plus grand sacrifice. Larmes saintes de ma Mère !
Marie prie. Elle ne se refuse pas à la prière parce que Dieu lui donne une souffrance. Gardez-en le
souvenir. Elle prie avec Jésus. Elle prie le Père, le Nôtre et le Vôtre.
Le premier ‘Pater noster’ a été dit dans le jardin de Nazareth,
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pour consoler la peine de Marie, pour offrir nos volontés à l’Eternel au moment où commençait
pour ces volontés la période d’un renoncement toujours croissant qui eut son sommet pour moi dans
le renoncement à la vie et pour Marie dans la mort d’un fils.
Nous n’avions rien à nous faire pardonner par le Père, cependant, nous les ‘Sans Faute’ nous
avons demandé le pardon du Père pour être pardonnés, absous ne fut-ce que d’un soupir à
l’encontre de la dignité de notre mission. Pour vous apprendre que plus on est en grâce avec Dieu et
plus la mission est bénie et fructueuse. Pour vous enseigner le respect de Dieu et l’humilité. En
présence du Dieu Père, même nos deux perfections d’Homme et de Femme se sont senties comme
un néant et ont demandé pardon comme elles ont demandé le ‘pain quotidien’.
Quel était notre pain ? Oh ! pas celui qui pétrissait les mains pures de Marie et cuit au petit four
pour lequel tant de fois j’avais lié des fagots et des bourrées. Celui-là aussi est nécessaire tant qu’on
est sur la terre. Mais ‘notre’ pain quotidien c’était d’accomplir jour après jour notre tâche de
mission. Que Dieu nous le donne chaque jour parce que l’accomplissement de la mission que dieu
nous donne est la joie de notre journée, n’est-ce pas, petit Jean ? Ne dis-tu pas toi aussi, qu’il te
parait vide le jour, qu’il te parait inexistant, si la bonté du seigneur te laisse un jour sans ta mission
de souffrance ?
Marie prie avec Jésus. C’est Jésus qui vous justifie, fils. C’est Moi qui rends acceptables et
profitables vos prières auprès du Père. Je l’ai dit : ‘Tout ce que vous demanderez au Père en mon
nom, Il vous l’accordera’, et l’Eglise valorise ses prières en disant : ‘Par Jésus Christ notre
Seigneur’.
Quand vous priez, unissez-vous toujours, toujours, toujours à Moi. Je prierai à haute voix pour
vous, couvrant votre voix d’hommes avec ma voix d’Homme-Dieu. Je mettrai votre prière sur mes
mains transpercées et l’élèverai vers le Père. Elle deviendra hostie d’un prix infini. Ma voix fondue
avec la vôtre montera comme un baiser filial vers le Père et la pourpre de mes blessures rendra
précieuse votre prière. Soyez en Moi, si vous voulez avoir le Père en vous, avec vous, pour vous.
Tu as fini le récit en disant : ‘Et pour nous …’ et tu as voulu dire : ‘pour nous qui sommes si
ingrats à l’égard des Dieux qui ont gravi le Calvaire pour nous’. Tu as bien fait de mettre ces mots.
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Mets-le chaque fois que je ferai voir une de nos souffrances. Qu’ils soient comme la cloche qui
sonne et qui appelle à la méditation et au repentir.
C’est assez, pour l’heure. Repose-toi. La paix soit avec toi. »
Paroles de Jésus :
« Ce que tu as écrit le 30 janvier pourrait donner occasion à ceux qui doutent, d’avancer leurs
‘mais’ et leurs ‘si’. C’est Moi qui va répondre à ta place. Tu as écrit : ‘… quand je vois ainsi, mes
forces physiques et particulièrement cardiaques subissent une grande dispersion’. Il y aura
certainement des ‘docteurs de l’impossible’ qui diront : ‘C’est la preuve que ce que lui arrive est
humain, parce que le surnaturel procure toujours force et jamais faiblesse.’ Qu’ils m’expliquent
alors pourquoi les grands extatiques, après une extase au cours de laquelle ils ont dépassé les
possibilités humaines en supprimant la douleur, le poids de la matière conséquences des blessures
internes et d’importantes hémorragies, jouissant d’une félicité qui les fait paraître beaux, même
physiquement restent, dès que l’extase cesse, évanouis par terre, de façon à faire penser que leur
âme s’est séparée d’eux. Qu’ils m’expliquent aussi pourquoi après quelques heures de la plus atroce
agonie qui répète la mienne, telle que celle de ma servante Thérèse, telles furent les agonies da ma
sainte Gemma et beaucoup d’autres âmes que mon et leur amour a rendu dignes de vivre ma
Passion ces personnes reprennent ou reprenaient une force et un équilibre physique que les
personnes les plus saines ne possèdent pas.
Je suis le maître de la vie et de la mort, de la santé et de la maladie. J’use de mes serviteurs à mon
gré, comme d’un joli fil qui serait entre mes mains. Le miracle en toi, un des miracles réside en
ceci. Dans l’état physique où te trouves, état qui se prolonge miraculeusement, c’est que tu puisses
arriver à cette béatitude sans en mourir, éprouvant ces transports alors que tu te trouves dans un état
de prostration qui pour d’autres empêcherait même les pensées le plus rudimentaires. Le miracle
réside dans cette vitalité qui reflue en toi en ces heures comme elle a reflué dans les heures où tu as
écrit mes dictées ou celles d’autres Esprit qui t’apportent leur céleste parole. Le miracle réside dans
cette réacquisition subite de la force, après que la joie a consumé en toi ce reste de vitalité qui te
reste pour écrire. Mais cette vitalité c’est Moi qui te la transfuse. C’est comme du sang qui de Moi
passe en tes veines épuisées, comme un flot qui se déverse sur une rive et l’arrose. La rive reste
arrosée tant que le flot la baigne puis de nouveau reste aride jusqu’à un nouveau flot. C’est comme
une opération qui te vide de mon Sang jusqu’à une nouvelle transfusion.
Toi, pour ton compte, tu n’es qu’un rien. Tu es un pauvre être en agonie, qui travailles parce que
je le veux, pour ce que j’ai en vue. Tu es une pauvre
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créature qui ne vaut que par ton amour. Tu n’as pas d’autres mérites. Amour et désir d’être pour
d’autres, cause d’amour pour ton dieu. C’est cela qui justifie ton être et ma bienveillance de te
conserver en vie alors que, humainement parlent, depuis longtemps ton être aurait dû se désagréger
dans la mort. Le sentiment d’être redevenue un ‘loque’, comme tu le dis, lorsque j’ai cessé de te
porter avec moi dans les champs de la contemplation et de te parler est pour toi et pour les autres la
preuve que tout ce qui arrive, arrive par mon unique vouloir. Si quelqu’un pense humainement
qu’avec le même vouloir et le même amour et ma bienveillance, je réponds que j’ai toujours
conservé la vie à mes serviteurs, tant que j’ai jugé que leur mission devait continuer, mais je ne leur
ai jamais procuré une vie humainement heureuse parce que mes missions se réalisent dans et par la
souffrance et que d’autre part mes serviteurs n’ont qu’un désir semblable au mien : souffrir pour
racheter. Il ne faut donc pas parler de ‘dispersion de forces’, mais dire : ‘Après que la bonté de
Jésus fait disparaître mon état d’infirmité pour ses intentions et pour me joie, je reviens à ce que sa
bonté m’a accordé d’être : crucifiée par son amour et pour son amour ».
Et maintenant vas de l’avant avec une obéissance pleine d’amour. »
A la même date le 3-2-1944, au soir :
Je vois une plaine inhabitée et sans végétation. Il n’y a pas de champs cultivés, quelques rares
plantes formant çà et là des touffes, comme des familles de végétaux là où le sol a un peu de
profondeur et se trouve moins aride. Remarquez que ce terrain aride et inculte est à ma droite alors
que le Nord se trouve derrière moi, et se prolonge pour moi dans la direction du Sud.
A gauche, en revanche, je vois un fleuve aux berges plutôt basses qui coule lentement lui aussi du
Nord au sud. D’après le mouvement très lente de l’eau, je comprends que son lit n’a pas une pente
très forte et que ce fleuve coule dans une sorte de dépression de la plaine. Le courant est à peine
suffisant pour empêcher la stagnation de l’eau et la formation d’un marécage. L’eau n’a pas de
profondeur ; c’est un point où l’on aperçoit le fond. J’estime qu’il n’y a pas plus d’un mètre de
profondeur, un mètre et demi au maximum. Large comme l’Arno vers S. Miniato-Empoli: je dirais
vingt mètres. Mais je n’ai pas trop le coup d’œil et mes estimations sont approximatives. Pourtant
l’eau est d’un azur légèrement vert à proximité des berges où l’humidité du sol entretient une bande
verte touffue qui réjouit l’œil fatigué de cette morne étendue de pierres et de sable qui s’étend
indéfiniment en avant.
Cette voix intérieure dont je vous ai expliqué que j’entends m’expliquer ce que je dois remarquer
et savoir, m’avertit que je
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vois la vallée du Jourdain. Je l’appelle vallée, parce que c’est l’appellation habituelle de la place où
coule un fleuve, mais ici, il me parait inexact de lui donner ce nom parce que une vallée suppose
des collines et dans le voisinage je n’en vois pas trace. En résumé, je me trouve près du Jourdain, et
l’espace désolé que j’aperçois sur ma droite est le désert de Juda.
Si parler de désert est juste pour désigner ce lieu inhabité et sans trace du travail de l’homme, il
convient moins à l’idée que nous nous faisons du désert. Ici, pas de dunes du désert comme nous le
concevons, mais seulement une terre dénudée parsemée de pierres et de débris, comme sont les
terrains d’alluvion après une crue.
Dans le lointain, des collines. Et puis, près du Jourdain une grande paix, une ambiance spéciale
qui dépasse celle d’un paysage ordinaire, quelque chose qui rappelle ce qu’on ressent sur les bord
du lac trasimène. C’est un lieu qui évoque des vois angéliques et des voix célestes. Je ne sais pas
bien exprimer ce que j’éprouve, mais j’ai le sentiment de me trouver dans un lieu qui parle à
l’esprit.
Pendant ses observations, je vois la scène envahie par les gens le long –par rapport à moi- de la
rive droite du Jourdain. Il y a beaucoup d’hommes et une grande variété d’habillements. Quelques
uns semblent de gens du peuple, d’autres des riches, il y en a assez, plusieurs paraissent des
pharisiens, avec leurs vêtements ornés de franges et de galons.
Au milieu, debout sur un rocher un homme que je reconnais du premier coup pour le baptiste bien
que ce soit la première fois que je le vois. Il parle à la foule et je vous assure que sa prédication
manque plutôt de douceur. Jésus a appelé Jacques et Jean ‘les fils du tonnerre’. Mais alors quel nom
donner à ce fougueux orateur ? On pourrait pour Jean Baptiste parler de coup de foudre,
d’avalanche, de tremblement de terre, tant il est impétueux et sévère dans son discours et ses gestes.
Il parle de la venue du Messie et exhorte les auditeurs à préparer leurs cœurs en les débarrassant
de ce qui les encombre et en redressant leurs pensées. Mais c’est un parler frénétique et rude. Le
Précurseur n’a pas la main légère de Jésus pour soigner les blessures des cœurs. C’est un médecin
qui les met à nu, fouille et taille sans pitié.
Pendant que je l’écoute –je ne rapporte pas ses paroles, parce
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que ce sont celles des Evangélistes mais qu dévalent en un discours torrentiel- je vois s’avancer le
long d’un sentier le long de la courbure herbeuse et ombragée qui côtoie le Jourdain, mon Jésus. Ce
chemin de campagne, plutôt sentier que chemin, semble dessiné par les caravanes et les voyageurs
qui pendant des années et des siècles l’ont parcouru pour arriver à un point où le fond du lit se
relève et permet de passer à gué. Le sentier continue sur l’autre rive du fleuve et se perd dans la
verdure de l’autre berge.
Jésus est seul. Il marche lentement et en avançant Il arrive derrière jean. Il avance sans bruit, tout
en écoutant la voix tonnante du Pénitent du désert, comme si Jésus était aussi une des nombreuses
personnes qui venaient vers Jean pour se faire baptiser et se préparer à la purification pour la venue
du messie. Rien ne distingue Jésus des autres gens. Il semble un homme du peuple pour son
vêtement, un seigneur pour la beauté des traits, mais aucun signe divin ne le distingue de la foule.
Cependant on dirait que Jean sent une particulière émanation spirituelle. Il se retourne et identifie
tout de suite la source de cette émanation. Il descend vivement du rocher qui lui servait de chaire et
s’en va d’une air dégagé vers Jésus qui est arrêté à quelques mètres d’un groupe et s’appuie au tronc
d’un arbre.
Jésus et Jean se fixent un moment. Jésus, avec son regard d’azur, si doux. Jean avec son œil
sévère, très noir, plein d’éclairs. Les deux, vus rapprochés sont l’antithèse l’un de l’autre. Tous les
deux grands –c’est leur unique ressemblance- ils sont différents pour tout le reste. Jésus blond, aux
longs cheveux peignés, au teint blanc ivoire, aux jeux d’azur, au vêtement simple, mais majestueux.
Jean hirsute aux cheveux noirs qui retombent à plat sur les épaules et taillés en escalier, avec une
barbe noire coupée à ras qui lui couvre presque tout le visage qui n’empêche pas de découvrir ses
joues creusées par le jeûne, des yeux noirs fiévreux, la peau bronzée par le soleil et les intempéries
et le poil épais qui la couvre, demi-nu avec son vêtement de peau de chameau retenu à la taille par
une ceinture de peau et qui couvre le torse, descendant à peine au dessous de ses flancs amaigris et
laissant à droite les côtes découvertes, les côtes sur lesquelles se trouve, unique tissu, la peau tannée
par l’air. En vis-à-vis, on dirait un sauvage et un ange.
Jean, après avoir fixé sur Lui son regard pénétrant, s’écrie : « Voici l’Agneau de Dieu. Comment
peut-il se faire que mon Seigneur
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vienne à moi ? »
Jésus répond tranquillement : « C’est pour accomplir le rite de pénitence. »
« Jamais, Seigneur. C’est moi qui dois venir à Toi pour être sanctifié, et c’est Toi qui viens vers
moi ? »
Et Jésus, en lui mettant une main sur la tête, parce que Jean s’était incliné devant Jésus, lui
répond : « Permets que tout se fasse comme je veux, pour que s’accomplisse toute justice et que ton
rite achemine les hommes vers un plus haut mystère et qu’il leur soit annoncé que la Victime est
dans ce monde. »
Jean l’observe avec un œil dont une larme adoucit le regard. Et le précède vers la rive. Jésus
enlève son manteau et sa tunique, gardant une sorte de caleçon court et descend dans l’eau où se
trouve déjà Jean. Jean le baptise en Lui versant sur la tête de l’eau du fleuve, avec une sorte de tasse
suspendue à sa ceinture et qui semble être une coquille ou une demie-calebasse séchée et vidée.
Jésus est proprement l’Agneau, l’Agneau dans la blancheur de s chair, la modestie de ses traits, la
douceur de son regard.
Pendant que Jésus remonte sur la rive e qu’après s’être vêtu il se recueille en prière,;Jean le
montre à la foule et témoigne de l’avoir reconnu au signe que l’Esprit de Dieu lui avait indiqué, et
qui désignait infailliblement le Rédempteur.
Mais je suis polarisé par le spectacle de Jésus qui prie et je ne vois plus que cette figure lumineuse
qui se détache sur le fond vert de la rive.
Paroles de Jésus :
« Jean n’avait pas besoin de signe pour lui-même. Son esprit, présanctifié dès le sein de sa mère
était en possession de cette vue de l’intelligence surnaturelle qui aurait été le lot de tous les hommes
sans la faute d’Adam.
Si l’homme était resté en état de grâce, dans l’innocence et la fidélité à son Créateur, il aurait vu
Dieu à travers les apparences extérieures. On dit dans la Genèse que le Seigneur Dieu parlait
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Familièrement avec l’homme innocent et que l’homme ne s’évanouissait pas en entendant cette
voix et la discernait sans se tromper. Tel était le sort de l’homme : voir et comprendre Dieu, comme
un fils à l’égard de son père. Puis la faute est venue et l’homme n’a plus osé regarder Dieu, n’a pu
savoir découvrir et comprendre Dieu. Et il le sait de moins en moins.
Mais Jean, mon cousin, avait été purifié de la faute quand la Pleine de Grâce s’était penchée avec
amour pour embrasser celle qui autrefois stérile était devenue féconde, Elisabeth. Le bébé avait
sauté de joie dans son sein en sentant les écailles de la faute tomber de son âme comme une croûte
qui tombe d’une plaie au moment de la guérison. L’Esprit Saint qui avait fait de marie la Mère du
Sauveur, commença son œuvre de salut à travers Marie, Ciboire Vivant du Salut Incarné pour cet
enfant qui allait naître, destiné à m’être uni, non pas tant par le sang que par la mission qui fit de
nous comme les lèvres qui forment la parole. Jean c’était les lèvres et Moi la Parole. Lui le
Précurseur dans l’Evangile et sa destinée de martyr. Moi, Celui qui donne ma divine perfection à
l’Evangile inauguré par Jean et son martyre pour la défense de la Loi de Dieu.
Jean n’avait besoin d’aucun signe, mais pour l’épaisseur de l’esprit des autres, un signe était
nécessaire. Sur quoi Jean aurait-il fondé son affirmation sinon sur une preuve irrécusable que les
yeux des hommes lents à voir et les oreilles paresseuses auraient perçue ?
Moi, également, je n’avais pas besoin de baptême. Mais la Sagesse du Seigneur avait jugé que ce
devait être l’instant et la façon de le rencontrer. En faisant sortir Jean de sa grotte dans le désert et
Moi de ma maison il nous unit en ce moment pour ouvrir sur moi le Ciel et en faire descendre Soi-
Même, Colombe Divine, sur Celui qui aurait à baptiser les hommes avec cette Colombe et faire
descendre du Ciel l’annonce encore plus puissante de cette angélique pensée de mon Père : « Voici
mon Fils Bien Aimé, en qui je me suis complu ». C’est pour que les hommes n’eussent pas d’excuse
ou de doute pour savoir s’ils devraient me suivre ou non.
Les manifestations du Christ ont été nombreuses. La première, après la naissance fut celle des
mages, la seconde au Temple, la troisième sur les rives du Jourdain. Puis vinrent les autres
manifestations innombrables que je te ferai connaître, parce que mes
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miracles sont des manifestations de ma nature divine jusqu’aux derniers, de ma Résurrections et de
mon Ascension au ciel. Ma patrie fut comblée de mes manifestations. Comme des semences jetées
aux quatre points cardinaux, elles arrivèrent en toute couche et tout endroit de la vie : aux bergers,
aux puissants, aux savants, aux incrédules, aux pécheurs, aux prêtres, aux dominateurs, aux enfants,
aux soldats, aux Hébreux, aux Gentils.
Maintenant encore, elles se répètent, mais comme alors le monde ne les accepte pas ou plutôt il
n’accueille pas les miracles actuels et il oublie ceux du passé. Eh bien, je ne renonce pas. Je me
répète pour vous sauver, pour vous amener à la foi en moi.
Sais-tu, Marie, ce que tu fais ? Ce que je fais, plutôt, en te faisant voir l’Evangile ? C’est une
tentative plus forte pour amener les hommes vers Moi. Tu l’as désiré par tes prières ardentes. Je ne
me borne plus à la parole. Elle fatigue et les éloigne. C’est un péché, mais c’est ainsi. J’ai recours à
la vision, à la vision de mon Evangile et je l’explique pour la rendre plus claire et plus attrayante.
A toi, je donne le réconfort de la vision. A tous je donne le moyen de me désirer et de me
connaître. Et si encore elle ne sert pas et si comme de cruels enfants ils rejettent le don sans en
comprendre la valeur, à toi, le don restera et à eux ira mon indignation. Je pourrai, une fois encore,
faire l’antique reproche : ‘Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. Nous avons entonné
des lamentations et vous n’avez pas pleuré. »
Mais, n’importe. Laissons-les, les ‘incorvertissables’ accumuler sur leurs têtes des charbons
ardents et tournons-nous vers les brebis qui cherchent à connaître le Pasteur. Le Pasteur, c’est moi
et tu es la houlette qui me les amène. »
Comme vous voyez, je me suis hâtée de mettre ces détails qui à cause de leur petitesse m’avaient
échappé et que vous avez désiré avoir.
Puis, aujourd’hui, en lisant le fascicule je remarque une phrase de Jésus qui peut vous servir de
règle. Ce matin vous disiez que vous ne pourriez faire connaître les descriptions faites en mon style
personnel et moi qui ai une véritable phobie d’être connue, j’en étais bien contente. Mais ne vous
semble-t-il pas que cela soit contraire à ce que dit le maître dans la dernière dictée du fascicule ? »
« Plus tu seras attentive et précise (dans la description de ce que je vois) et plus important sera le
nombre de ceux qui viennent à Moi. » Ceci implique que les description doivent être connues.
Autrement, comment pourrait-il se faire que grâce à elles, nombre d’âmes vont vers Jésus ? Je vous
soumets ce point et puis faites ce qui vous parait préférable. Et même, humainement, je suis de votre
avis. Mais ici, nous ne sommes pas dans le domaine de l’humain et même l’humain des porte-voix
doit disparaître. Même dans la dictée d’aujourd’hui, Jésus dit : « … en te faisant voir l’Evangile, je
fais un essai plus fort pour m’attirer les hommes. Je ne me borne plus à la parole… J’ai recours à la
vision et je l’explique pour la rendre plus claire et plus attrayante. » Et alors ?
Cependant, puisque je suis un pauvre rien et que de moi-même, je me replie
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tout de suite sur moi, je vous dis que votre remarque m’a troublée, et l’Envieux s’en réjouit,
troublée au point de me faire penser de ne plus écrire ce que je vois, mais uniquement les dictées. Il
me souffle au cœur : « Ne le vois-tu pas ? Elles ne servent absolument à rien tes fameuses visions !
Uniquement à te faire passer pour une folle. Comme tu l’es, en vérité. Qu’est ce que tu voies ? Les
larves de ton cerveau troublé. Il faut bien autre chose pour mériter de voir le Ciel ! » Et toute la
journée, il me tient sous le jet corrosif de sa tentation. Je vous assure que je n’ai pas autant souffert
de ma grande douleur physique ce que j’ai souffert de cela. Il veut m’amener à désespérer. Mon
Vendredi est toujours un vendredi te tentations spirituelles. Je pense à Jésus au désert, à Jésus à
Gethsémani.
Mais je ne m’avoue pas vaincue pour ne pas le faire rire, ce démon astucieux et en luttant contre
lui et contre ce qu’il y a en moi de moins spirituel, je vous écris ma joie d’aujourd’hui, vous
assurant en même temps, que pour mon compte je serais bien aise si Jésus m’enlevait de don de
vision qui est ma plus haute joie. Pourvu qu’Il me conserve son amour et sa miséricorde.
5. JÉSUS TENTÉ PAR LE DIABLE AU DÉSERT
Je vois la solitude pierreuse déjà vue à ma gauche dans la vision du Baptême de Jésus au Jourdain.
Cependant, je dois y avoir pénétré profondément, parce que, en fait, je ne vois plus le beau fleuve
aux eaux lentes et azurées ni la veine verte qui le côtoie sur les deux rives, alimentée par cette artère
aquatique. Ici, rien que la solitude, des pierres, une terre brûlée, réduite à l’état da poussière jaunâtre
qu’à chaque instant le vent soulève en petits tourbillons. On dirait le souffle d’une bouche fiévreuse
tant ils sont secs et brûlants, torturants aussi pour la poussière qu’ils entraînent avec eux dans le nez
et la gorge. Cà et là, très rares, des petits buissons épineux dont on ne sait comment ils peuvent
résister dans cette désolation. On dirait quelques rares touffes de cheveux sur le crâne d’un homme
chauve. Au-dessus, un ciel impitoyablement azuré; en bas le sol aride, autour, des rochers et le
silence. C’est tout ce que je vois comme nature.
Un énorme rocher forme un embryon de grotte. Assis sur une roche traînée à l’intérieur, Jésus se
tient adossé à la paroi. Il s’y repose du soleil brûlant. Celui qui m’avertit intérieurement m’indique
que cette roche sur laquelle il est assis lui set aussi d’agenouilloir et d’oreiller quand il prend
quelques heures de repos, enroulé dans son manteau. À la lueur des étoiles et dans l’air froid de la
nuit. De fait, là tout près, se trouve la besace que je lui ai vue prendre à son départ de nazareth.
C’est tout son avoir et comme elle est flasque, je comprends quelle est vide du peu de nourriture
qu’y avait mise Marie.
Jésus est très maigre et pâle. Il est assis avec les coudes appuyés sur les genoux et les avant-bras
portés en avant, les mains jointes avec les doigts entrelacés. Il médite. De temps à autre il lève son
regard et le promène alentour et regarde le soleil presque au zénith dans le ciel azuré. De temps en
temps et en particulier après avoir regardé les alentours et levé les yeux vers la lumière du soleil, il
ferme les yeux et s’appuie sur le rocher qui lui sert d’abri, comme pris de vertige.
Je vois apparaître l’horrible gueule de Satan. Il ne se présente pas sous la forme où nous nous le
représentons avec cornes, queue, etc. etc. On dirait un Bédouin enveloppé dans son habit et son
manteau qui semble un domino de mascarade. Sur la tête, le turban dont les pans lui descendent
jusqu'aux épaules pour les abriter, et sur les côtés du visage, de sorte que de ce dernier on ne voit
qu’un triangle étroit, très brun avec des lèvres minces et tordues, des yeux noirs et renfoncés, d’ou
sortent des éclairs magnétiques. Deux pupilles qui te pénètrent jusqu’au fond du coeur, et où on ne
lit rien, ou une seule parole: mystère. Le contraire de l’oeil de Jésus qui vous fascine lui aussi par
ses effluves magnétiques qui vous pénètrent jusqu’au coeur, mais où on lit aussi que dans son coeur
il n’y a que bonté et amour pour toi. L’oeil de Jésus est pour l’âme une caresse. L’oeil da Satan est
un double poignard qui vous perce et vous brûle.
Il s’approche de Jésus: “Tu es seul?”
Jésus le regarde sans répondre.
“Comment tu es arrivé ici? Tu t’es perdu?”
Jésus regarde le nouveau et se tait.
“Si j’avais de l’eau dans ma gourde, je t’en donnerais. Mais je n’en ai pas. Mon cheval est crevé
et je me dirige à pied vers le gué. Là je boirai et je trouverai quelqu’un qui me donne un pain. Je
connais la route. Viens avec moi, je te conduirai.”
Jésus ne lève plus les yeux.
“Tu ne réponds pas? Sais-tu que si tu restes ici tu vas mourir? Déjà le vent se lève. Il va y avoir la
tempête. Viens.”
Jésus serre les mains dans une muette prière.
“Ah!” C’est donc bien pour toi? Depuis le temps que je te cherche! Et maintenant, cela fait si
longtemps que je t’observe. Depuis le moment où tu as été baptisé. Tu t’appelles l’Eternel? Il est
bien loin. Maintenant tu es sur la terre et au milieu des hommes. Et chez les hommes, c’est moi qui
suis roi. Pourtant, tu me fais pitié et je veux t’aider parce que Tu es bon et que tu es venu te
sacrifier, pour rien. Les hommes te haïront à cause de ta bonté. Ils ne comprennent que or et
mangeaille et jouissance. Sacrifice, souffrance, obéissance sont pour eux des paroles mortes, plus
mortes que cette terre-ci et ses alentours. Ils sont plus arides encore que cette poussière. Il n’est que
le serpent pour se cacher ici en attendant de mordre et aussi le chacal pour te mettre en pièces.
Allons, viens. Ils ne méritent pas que l’on souffre pour eux. Je le connais mieux que toi.”
Satan s’est assis en face de Jésus. Il le fouille de son regard terrible, et sourit de sa bouche de
serpent. Jésus se tait toujours et prie mentalement.
“Tu te défies de moi. Tu as tort. Je suis la sagesse de la terre. Je puis te servir de maître pour
t’aider à triompher. Puis, quand on s’est imposé au monde et quand on l’a séduit, alors on le mène
où l’on veut. Mais d’abord, il faut être comme il leur plaît, comme eux, les séduire en leur faisant
croire que nous les admirons et que nous les suivons dans leurs pensées.
Tu es jeune et beau. Commence par la femme. C’est toujours par elle qu’on doit commencer: Je
me suis trompé en amenant la femme à la désobéissance. J’aurais dû la conseiller d’une autre
manière. J‘en aurai fait un meilleur instrument et j’aurai vaincu Dieu. J’ai été trop pressé. Mais Toi!
Je t’enseigne car il y a eu un jour où je t’ai regardé avec une Joie angélique et un reste de cet amour
est demeuré en moi. Mais Toi, écoute-moi et profite de mon expérience. Donne –toi une compagne.
Où Toi, tu ne réussiras pas, elle réussira. Tu es le nouvel Adam: Tu dois avoir ton Eve.
Et puis, comment peux-tu comprendre et guérir les maladies des sens, si tu ne sais pas ce que
c’est. Ne sais-tu pas que la femme est le noyau d’où naît la plante de la passion et de l’orgueil?
Pourquoi l’homme veut-il régner? Pourquoi veut-il être riche, puissant? Pour posséder la femme.
Elle est comme l’alouette. Elle a besoin d’un scintillement qui l’attire. L’or et la domination sont les
deux faces du miroir qui attire les femmes et la cause des maux du monde. Regarde: derrière mille
et mille délits d’apparences diverses il y en a neuf cents, au moins, qui ont leur racine dans la faim
de la possession de la femme où dans la volonté d’une femme brûlée d’un désir que l’homme ne
satisfait pas encore ou ne satisfait plus. Va vers la femme si tu veux savoir ce qu’est la vie et après,
seulement tu sauras soigner et guérir les maux de l’humanité.
Elle est belle, tu sais, la femme! Il n’est rien de plus beau au monde. L’homme possède la pensée
et la force. Mais la femme! Sa pensée est un parfum, son contact est caresse de fleurs. Sa grâce est
un vin enivrant, sa faiblesse est comme un écheveau de soie ou les boucles frisées d’un bébé entre
les mains de l’homme. Sa caresse est une force qui se communique à la nôtre et l’enflamme. La
souffrance disparaît, et la fatigue, et les soucis quand il se pose auprès d’une femme. Elle est entre
nos bras comme un bouquet de fleurs.
Mais, imbécile que je suis! Tu as faim et je te parle de femme. Ta vigueur est épuisée. Pour cette
raison, ce parfume de la terre, cette fleur de la création, ce fruit qui donne et suscite l’amour, te
paraît sans valeur. Mais regarde ces pierres, comme elles sont rondes et polies, dorées sous les
rayons du soleil couchant: Ne dirait-on pas des pains? Toi, Fils de Dieu, Tu n’as que à dire: ‘Je le
veux’, pour qu’elles deviennent un pain odorant, comme celui qu’à cette heure les ménagères tirent
du four pour le repas de la famille. Et ces acacias si arides, si Tu le veux, ne peuvent-ils pas se
couvrir de fruits délicieux, de dattes sucrées comme le miel? Rassasie-toi, Fils de Dieu. Tu es le
Maître de la terre. Elle se penche pour se mettre à tes pieds et apaiser ta faim.
Tu vois comme tu pâlis et chancelles, rien qu’entendre parler de pain. Pauvre Jésus! Es-tu affaibli
au point de ne plus pouvoir commander au miracle? Veux-tu que je le fasse pour Toi? Je ne suis pas
à ton niveau, mais je puis faire quelque chose. Je me priverai pendant un an de ma force, et la
rassemblerai toute, mais je veux te servir parce que Tu es bon et que je me souviens toujours que Tu
es mon Dieu, même si maintenant j’ai démérité de te donner ce nom. Aide-moi de ta prière pour que
je puisse…”
“Tais-toi. ‘Ce n’est pas seulement de pain que vit l’homme, mais de toute parole qui vient de
Dieu’.”
Le démon a un sursaut de rage. Il grince des dents et serre les poings, mais il se maîtrise et ses
dents se desserrent pour ébaucher un sourire.
“Je comprends. Tu es au-dessus des nécessités de la terre et cela te dégoûte de te servir de moi. Je
l’ai mérité. Mais, viens alors et vois ce qui se passe dans la maison de Dieu. Vois comme les prêtres
aussi ne se refusent pas à composer entre l’esprit et la chair, parce que, enfin ce sont des hommes et
pas des anges. Accomplis un miracle spirituel. Je te porte sur le pinacle du Temple et là-haut, Tu te
transfigures en une merveilleuse beauté. Ensuite, appelle les cohortes angéliques et dis leur de te
faire descendre de leurs ailes entrelacées une estrade pour tes pieds et de te faire descendre ainsi
dans la cour principale. Qu’ils te voient et se rappellent qu’il y a un Dieu. De temps à autre, ces
manifestations sont nécessaires parce que l’homme a une mémoire si courte spécialement pour ce
qui est spirituel. Tu sais comme les anges seront heureux de te donner où poser ton pied et une
échelle pour que tu descendes!”
“ ‘Ne mets pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu’ a-t-il été dit.”
“Tu comprends que même ton apparition ne changerait pas les choses et que le Temple
continuerait d’être marché et corruption. Ta divine sagesse le sait, que les coeurs des ministres du
Temple sont un nid de vipères qui s’entre dévorent pour arriver au pouvoir. Il n’y a pour les
dompter que la puissance humaine.”
Alors, viens. Adore-moi. Je te donnerai la terre. Alexandre, Cyrus, Caesar, tous les plus grands
conquérants du passé, ou encore vivants, seront semblables à de vulgaires chefs de caravanes par
rapport à Toi qui auras tous les royaumes de la terre sous ton sceptre et avec les royaumes, toutes
les richesses, toutes les splendeurs de la terre, et femmes, et chevaux et soldats et temples. Tu
pourras élever partout ton Signe quand Tu seras le Roi des Rois et le Seigneur du monde. Alors Tu
seras obéi et respecté par le peuple et les sacerdoces. Toutes les castes t’honoreront et Te serviront
parce que Tu seras le Puissant, l’Unique, le Seigneur.
Adore- moi un seul instant! Enlève-moi la soif que j’ai d’être adoré! C’est elle qui m’a perdu.
Mais elle est restée en moi et me brûle. Les flammes de l’enfer sont fraîcheur de l’air au matin, en
comparaison de cette ardeur qui me brûle au dedans. C’est mon enfer, cette soif. Un instant, un seul
instant, ô Christ! Toi qui es bon! Un instant de joie pour l’Eternel Torturé! Fais-moi éprouver ce
que veut dire être Dieu et je te serai dévoué, obéissant comme un esclave pour toute la vie, pour
toutes les entreprises. Un instant! Un seul instant, et je ne te tourmenterai plus!” Et Satan se mette à
genoux, suppliant.
Jésus s’est mis debout, au contraire. Plus amaigri après ces jours de jeûne, il semble encore plus
grand. Son visage est terrible de sévérité et de puissance. Ses yeux sont deux saphirs qui jettent des
flammes. Sa voix est un tonnerre qui se répercute dans la cavité du rocher et se répand sur les
roches et la terre désolée, quand il dit: “Va-t-en Satan. Il est écrit: ‘Tu adoreras le Seigneur ton Dieu
et serviras Lui seul’.”
Satan avec un cri déchirant de damné et de haine inexprimable, saute debout, terrible à voir dans
sa fureur, dans sa personnalité toute fumante. Et puis il disparaît avec un nouveau hurlement de
malédiction.
Jésus s’assied, fatigué, en appuyant sa tête en arrière contre le rocher. Il paraît à bout. Il sue. Mais
des êtres angéliques viennent de leurs ailes renouveler l’air dans la chaleur étouffante de la grotte, la
purifiant et la rafraîchissant. Jésus ouvre les yeux et sourit. Je ne le vois pas manger. On dirait qu’il
se nourrit du parfum du Paradis et en sort revigoré.
Le soleil disparaît au couchant. Jésus prend la besace vide et, accompagné par les anges qui volant
au-dessus de Lui font une douce lumière, pendant que la nuit tombe très rapidement, il se dirige
vers l’Est ou plutôt vers le Nord-Est. Il a repris son expression habituelle, sa démarche assurée. Il
lui reste seulement comme souvenir de son jeûne prolongé un aspect plus ascétique avec son visage
amaigri et pâle et ses yeux ravis dans une joie qui n’est pas de cette terre.
Paroles de Jésus:
“ Hier, tu n’avais pas la force que te donne ma volonté et tu n’étais en conséquence qu’un être à
moitié vivant. Je t’ai fait reposer tes membres et je t’ai fait faire l’unique jeûne qui te pèse: celui de
ma parole. Pauvre Marie! Tu as fait le mercredi des Cendres. En tout tu as senti le goût de la cendre,
parce que tu étais sans ton Maître. Je ne manifestais pas ma présence, mais j’étais là.
Ce matin, puisque l’angoisse es réciproque, je t’ai murmuré dans ton demi-sommeil: ‘Agneau de
Dieu qui portes les péchés du monde, donne-nous la paix’. Je te l’ai fait répéter plusieurs fois et je
te l’ai répété en même temps. Tu as cru que j’aurais parlé de ce sujet. Non. C’était d’abord le sujet
que j t’ai montré et que je t’expliquerai, ensuite, ce soir je t’expliquerai cet autre.
Satan, tu l’as vu, se présente toujours avec un extérieur sympathique, sous un aspect ordinaire. Si
les âmes sont attentives et surtout en contact spirituel avec Dieu, elles se rendent compte de cette
observation qui les rend circonspectes et promptes pour combattre les embûches du démon. Mais si
les âmes sont inattentives au divin, séparées de lui par des tendances charnelles qui les envahissent
et les rendent sourdes n’utilisant pas le secours de la prière qui les unit à Dieu et fait couler sa force
comme par un canal dams le coeur de l’homme, alors elles s’aperçoivent difficilement du piège
dissimulé sous une apparence inoffensive et y tombent. S’en dégager après cela est très difficile.
Les deux chemins que prend plus communément Satan pur arriver aux âmes sont l’attrait
charnel et la gourmandise. Il commence toujours par le côté matériel de la nature. Après l’avoir
démantelé et asservi, il dirige l’attaque vers la partie supérieure.
D’abord le côté moral: la pensée avec son orgueil et ses convoitises; puis l’esprit,en lui enlevant
non seulement l’amour, mais aussi la crainte de Dieu. L’amour divin n’existe déjà plus quand
l’homme l’a remplacé par d’autres amours humains. C’est alors que l’homme s’abandonne corps et
âme à Satan pour arriver aux jouissances qu’il poursuit, pour s’y attacher toujours plus.
Comment je me suis comporté, tu l’as vu. Silence et prière. Silence. Car si Satan exerce son
entreprise de séduction et cherche à nous circonvenir, on doit le supporter sans sottes impatiences et
sans peur déprimante, mais réagir avec fermeté à sa présence et par la prière à ses séductions.
Inutile de discuter avec Satan. Lui serait victorieux car il est fort dans sa dialectique. Il n’y a que
Dieu pour le vaincre, et alors recourir à Dieu qui parle pour nous, à travers nous, montre à Satan ce
nom et ce Signe, non pas écrits sur un papier ou gravés sur le bois, mais inscrits et gravés dans le
coeur. Mon Nom, mon Signe. Répliquer à Satan uniquement quand il insinue qu’il est comme Dieu
en utilisant la parole de Dieu. Il ne la supporte pas.
Puis après la lutte, vient la victoire et les Anges servent le vainqueur et le protègent contre la
haine de Satan. Ils le réconfortent avec une rosée céleste, avec la Grâce qu’ils déversent à pleines
mains dans le coeur du fils fidèle, avec une bénédiction qui est une caresse pour l’esprit.
Il faut avoir la volonté de vaincre Satan, la foi en Dieu et en son aide, la foi dans la puissance de
la prière et la bonté du Seigneur. Alors Satan ne peut nous faire du mal.
Je vois Jésus qui chemine le long de la bande verte en bordure du Jourdain. Il est revenu
sensiblement à l’endroit où je l’ai vu pour le Baptême, près du gué qui paraît être très connu et
fréquenté pour passer sur l’autre rive la Pérée. Mais l’endroit où il y avait des gens, en foule,
maintenant parait désert. Seul quelque voyageur, à pied, à cheval à âne le parcourt.
Jésus paraît ne leur prêter aucune attention. Il avance sur sa route en remontant vers le Nord
comme absorbé dans ses pensées. Quand il arrive à la hauteur du gué, il croise un groupe
d’hommes, d’âges variables qui discutent avec animation entre eux et se séparent, une partie allant
vers le Sud, l’autre remontant vers le Nord. Parmi ceux qui se dirigent vers le Nord, je vois qu’il y a
Jean et Jacques.
Jean, le premier, voit Jésus, le montre à son frère et à ses compagnons. Ils parlent un peu entre eux
et puis Jean se met à marcher rapidement pour rejoindre Jésus. Jacques le suit plus lentement en
discutant.
Quand Jean est près de Jésus, à sa hauteur, à peine à deux ou trois mètres de Lui, il crie :
« Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés du monde ! »
Jésus se retourne et le regarde. Les deux sont à quelques pas l’un de l’autre. Ils s’observent. Jésus
avec son regard sérieux et pénétrant, jean avec son regard pur et rieur dans son charmant
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visage juvénile qui paraît celui d’une jeune fille. On lui donne, plus ou moins, vingt ans et sur ses
joues rosées, on ne remarque rien qu’un duvet blond qui parait un voile d’or.
« Qui cherches-tu » demande Jésus.
« Toi, Maître. »
« Comment sais-tu que je suis maître ? »
« C’est le baptiste qui me l’a dit. »
« Et alors pourquoi m’appelles-tu Agneau ? »
« Parce que je t’ai entendu nommer ainsi, un jour que tu passais, il y a plus d’un mois. »
« Que veux-tu de Moi ? »
« Que tu nous dises les paroles de vie éternelle et que tu nous consoles. »
« Mais qui es-tu ? »
« Je suis Jean, de Zébédée et celui-ci, c’est mon frère Jacques. Nous sommes de Galilée, nous
sommes pêcheurs et nous sommes aussi disciples de Jean. Lui nous disait des paroles de vie et nous
l’écoutions, car nous voulons suivre Dieu, et par la pénitence mériter son pardon en préparant les
chemins du cœur à la venue du Messie. C’est Toi. Jean l’a dit, car il a vu le signe de la Colombe se
poser sur Toi, et nous a dit : ‘Voici l’Agneau de Dieu’. Moi, je te dis : Agneau de Dieu, qui enlèves
les péchés du monde, donne-nous la paix, parce que nous n’avons plus de guide, et notre âme est
troublée »
« Où est Jean ? »
« Hérode l’a fait arrêter. Il est en prison à Machéronte. Ses plus fidèles parmi nous ont essayé de
le délivrer, mais impossible. Nous revenons de là. Laissez-nous venir avec Toi, maître. Montre-nous
où tu habites. »
« Venez, mais savez-vous ce que vous cherchez ? Qui me suit devra tout abandonner : maison,
parents, façon de penser, et même la vie. Je vous ferai mes disciples et mes amis si vous le voulez.
Mais Moi, je n’ai ni richesses ni protections. Je suis et le serai davantage pauvre au point de ne pas
avoir où reposer ma tête et persécuté plus qu’une brebis perdue n’est poursuivie par les loups. Ma
doctrine est encore plus sévère que celle de Jean, car elle interdit le ressentiment. Elle ne concerne
pas tant l’extérieur que l’esprit. Vous devrez renaître si vous voulez être miens. Le voulez-vous ? »
« Oui, Maître. Toi seul as les paroles qui nous donnent la lu-
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mière. Elles descendent, et où étaient les ténèbres de la désolation par l’absence de guide, elles
apportent la clarté du soleil. »
« Venez donc et marchons. Le long du chemin je vous instruirai. »
Paroles de Jésus :
« Le groupe qui m’avait rencontré était nombreux, mais un seul me reconnut. Celui qui avait
l’âme, la pensée et la chair pures de toute luxure.
J’insiste sur la valeur de la pureté. La chasteté est toujours source de lucidité pour la pensée. La
virginité affine et puis maintient la sensibilité de l’intelligence et des affections à un degré de
perfection que seul celui qui est vierge expérimente.
Vierge, on l’est de différentes manières. Forcément et ceci spécialement pour les femmes, quand
personne ne vous a choisi en vue du mariage. Cela devrait être pour les hommes aussi, mais cela ne
l’est pas. Et cela est mal parce que d’une jeunesse prématurément souillée par la passion ne pourra
venir qu’un chef de famille malade dans ses sentiments et souvent dans sa chair.
Il y a la virginité voulue, celle des âmes consacrées au Seigneur dans un élan de fidélité. Belle
virginité ! Sacrifice agréable à Dieu ! Mais tous ne savent pas garder cette blancheur du lys qui reste
droit sur sa tige tourné vers le ciel, ignorant la boue de la terre, ouvert seulement aux baisers du
soleil de dieu et des ses rosées.
Il y en a tant qui ne gardent qu’une fidélité matérielle, mais sont infidèles par leur pensée qui
regrette et désire ce qu’elle a sacrifié. Ceux-là ne sont vierges qu’à moitié. Si la chair est intacte, le
cœur ne l’est pas. Il fermente, ce cœur, il bouillonne ; il émet des fumées sensuelles d’autant plus
raffinées et condamnables qu’elles sont des créations de la pensée qui caresse, plait et fait fourmiller
les imaginations d’assouvissement illicites pour ceux qui sont libres et plus qu’illicites pour ceux
qui ont fait un voue.
C’est alors l’hypocrisie du vœu. Il y a l’apparence mais il manque la réalité. En vérité je vous dis
que si quelqu’un vient à moi avec un lys abîmé par la volonté d’un brutal et qu’un autre vient
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avec un lys intact matériellement mais souillé par le débordement d’une sensualité caressée et
cultivée pour en remplir les heures de solitude, le premier, je l’appelle ‘vierge’ et je dénie cette
qualité au second. Et, au premier je donne la double couronne de la virginité et du martyre à cause
de sa chair blessée et de son cœur couvert de plaies par une mutilation qu’il n’a pas voulue’.
La valeur de la pureté est telle que, comme tu l’as vu, Satan s’est préoccupé d’abord de m’amener
à l’impureté. Lui sait bien qu’une faute de sensualité démantèle l’âme et en fait une proie facile
pour les autres fautes. Le souci de Satan s’est appliqué à l’objectif principal pour me vaincre.
Le pain, la faim sont les formes matérielles pour symboliser l’appétit, les appétits, que Satan
exploite pour arriver à ses fins. Bien différente est la nourriture, qu’il m’offrait pour me faire
tomber, comme ivre, à ses pieds ! Après serait venue la gourmandise, l’argent, la puissance,
l’idolâtrie, le blasphème, l’abjuration de la Loi divine. Mais, le premier pas, pour me posséder,
c’était cela. C’est le même procédé qu’il utilisa pour blesser Adam.
Le monde se moque de ceux qui sont purs. Ceux qui sont souillés par l’impureté s’attaquent à
ceux qui sont purs. Jean Baptiste est une victime de la luxure de deux dépravés. Mais si le monde
possède encore un peu de lumière, il le doit à ceux qui restent purs au milieu du monde. Ils sont les
serviteurs de Dieu et savent comprendre Dieu et répéter les paroles de Dieu. Je l’ai dit :
‘Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car il verront Dieu’. Même sur la terre. Ceux dont les
fumées des sens ne troublent pas la pensée, ‘voient’ Dieu et l’entendent et le suivent et le montrent
aux autres.
Jean de Zébédée est un être pur. Il est ‘le Pur’ au milieu de mes disciples. Son âme est une fleur
dans un corps angélique. Lui m’appelle avec les paroles de son premier maître et me demande de lui
donner la paix. Mais la paix, il la possède en lui-même par la pureté de sa vie et je l’ai aimé à cause
de la pureté qui resplendit en lui. C’est à elle que j’ai confié mes enseignements, mes secrets, la
Créature qui m’était la plus chère.
Il a été mon premier disciple, il m’a aimé dès le premier instant qu’il m’a vu. Son âme s’était
fondue avec la mienne du jour où il m’avait vu passer le long du Jourdain et qu’il avait vu le
baptiste me montrer. Même s’il ne m’avait pas rencontré ensuite à mon
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retour du désert, il m’aurait cherché jusqu’à ce qu’il me trouve- En effet, celui qui est pur est
humble et désireux de s’instruire dans la science de dieu et il va, comme l’eau vers la mer, vers
ceux en qui il voit des maîtres de la doctrine céleste. »
Une aurore de sérénité parfaite sur la mer de Galilée. Ciel et eau ont des reflets roses peu
différents de ceux dont la douceur éclaire les murs des jardinets d’un petit village lacustre d’où
s’élèvent et se détachent en se penchant sur les ruelles des chevelures ébouriffées et vaporeuses
d’arbres à fruit.
Le petit pays se réveille à peine, avec une femme qui s’en va à la fontaine ou à un lavoir et des
pêcheurs qui chargent des paniers
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de poissons et discutent à haute voix avec des marchands venus d’ailleurs, ou qui portent des
paniers de poissons à leur domicile. J’ai dit un petit pays, mais il n’est pas tellement petit. Il est
plutôt humble, au moins du côté où je le vois, mais vaste, s’étirant en plus grande partie le long du
lac.
Jean débouche d’une ruelle et se hâte vers le lac. Jacques le suit déjà accostées mais ne trouve pas
celle qu’il cherche. Il l’aperçoit alors qu’elle est encore à quelques centaines de mètres de la rive,
occupée aux manœuvres d’accostage. Il lance très fort, avec les mains en porte-voix un : ‘Oh ! hé !’
prolongé qui doit être l’appel habituel. Et puis, quand il voit qu’on l’a entendu il fait avec les bras
de grands gestes qui signifient : « Venez, venez.»
Les hommes de la barque, s’imaginant je ne sais quoi, foncent à coups de rames, et la barque
avance plus rapidement qu’avec la voile, qu’ils amènent, peut-être pour faire plus vite. Quand ils
sont à une dizaine de mètres du rivage, jean n’attend plus. Il enlève son manteau et son long
vêtement et les jette sur la grève. Il quitte ses sandales, il lève son vêtement de dessous en le
ramenant d’une main jusqu’à l’aine et descend dans l’eau, à la rencontre de ceux qui arrivent.
« Pourquoi n’êtes-vous pas venus tous deux ? » demande André. Pierre, boudeur, ne dit rien.
« Et toi, pourquoi n’es pas venu avec moi et Jacques » répond Jean à André.
« Je suis allé pécher. Je n’ai pas de temps à perdre. Tu as disparu avec cet homme… »
« Je t’avais fait signe de venir. C’est bien Lui. Si tu entendais ces paroles ! … Nous sommes
restés avec Lui toute la journée et jusque tard dans la nuit. Maintenant, nous sommes venus vous
dire : « Venez ».
« C’est bien Lui ? Tu en es certain ? Nous l’avons à peine vu alors, quand le Baptiste le
montra. »
« C’est Lui. Il ne l’a pas nié. »
« N’importe qui peut dire ce qui l’arrange pour s’imposer aux gens crédules. Ce n’est pas la
première fois… » bougonne Pierre mécontent.
« Oh ! Simon ! ne parle pas comme çà ! C’est le Messie ! Il sait tout ! Il t’entend ! » Jean est
affligé, consterné par les paroles de Simon Pierre.
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« Allons ! Le messie ! Et c’est justement à toi qu’il se montre et à jacques et à André ! Trois
pauvres ignorants ! Il viendra bien autrement le messie ! Et il m’entend ! mais viens, pauvre gosse !
Les premiers soleils printaniers t’ont donné sur la tête Allons, viens travailler ! Ça vaudra mieux.
Laisse-là tous ces boniments. »
« C’est le messie, je te le dis. Jean disait des choses saintes, mais celui-là parle de Dieu. Qui n’est
pas le christ ne peut dire de semblables paroles. »
« Simon, moi je ne suis pas un enfant. J’ai mon âge et je suis calme et réfléchi. Tu le sais. J’ai peu
parlé, mais j’ai beaucoup écouté pendant ces heures où nous sommes restés avec l’Agneau de Dieu.
Et je te dis que vraiment Il ne peut être que le Messie. Pourquoi ne pas croire ? Pourquoi ne pas
vouloir croire ? C’est possible pour toi parce que tu ne l’as pas entendu, mais moi je crois. Nous
sommes pauvres et ignorants ? Lui dit justement qu’il est venu annoncer la Bonne Nouvelle du
Royaume de Dieu, du Royaume de la paix, aux pauvres, aux humbles, aux petits avant d’en parler
aux grands. Il a dit : ‘Les grands ont déjà leurs jouissances. Elles ne sont pas enviables comparées à
celles que je viens apporter. Les grands ont déjà la possibilité d’arriver à comprendre par les
ressources de la culture. Mais, Moi je viens vers les petits ‘petits d’Israel’ et du monde, vers ceux
qui pleurent et espèrent, vers ceux qui cherchent la Lumière et ont faim de la vraie manne. Il ne leur
vient, des savants ni lumière ni nourriture, mais seulement fardeaux, obscurité, chaînes et mépris.
J’appelle ‘les petits’. Je suis venu retourner le monde. Car j’abaisserai ce qui maintenant est élevé et
j’élèverai ce qui maintenant est méprisé. Que celui qui veut la vérité et paix, qui veut la vie éternelle
vienne à moi. Qui aime la Lumière, qu’il vienne. Je suis la Lumière du monde’. N’est-ce pas
comme cela qu’Il a parlé, Jean ? » Jacques a parlé tranquillement, mais avec émotion.
« Oui. Et il a dit : ‘Le monde ne m’aimera pas. Le grand monde parce qu’il est corrompu par les
vices et les relations idolâtriques. Le monde ne voudra pas de Moi, car fils de Ténèbre il n’aime pas
la Lumière. Mais la terre n’est pas faite seulement du grand monde. Il y en a qui, bien que mêlés au
monde ne sont pas du monde. Il y en a qui sont du monde parce qu’ils sont emprisonnés comme les
poissons pris au filet’, c’est exactement ce qu’il a dit parce qu’il parlait sur la rive du lac et il
montrait des filets qu’on amenait à la rive avec leurs poissons. Il a dit aussi : ‘Aucun de
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ces poissons ne voudrait tomber dans le filet. Les hommes aussi ne voudraient pas, de propos
délibéré, être la proie de Mammon. Pas même les plus mauvais, car ceux-ci, à cause de l’orgueil qui
les aveugle ne croient pas qu’ils n’ont pas le droit de faire ce qu’ils font. Leur vrai péché, c’est
l’orgueil. De lui naissent tous les autres. Mais ceux, ensuite, qui ne sont pas complètement mauvais
voudraient encore moins appartenir à mammon. Mais ils y tombent par légèreté, par un poids qui les
entraîne au fond et qui est la faute d’Adam. Je suis venu enlever cette faute et donner en attendant
l’heure de la Rédemption, à qui croira en moi, une force capable de les libérer des lacets qui les
retiennent et de leur rendre la liberté de me suivre, moi, la Lumière du monde’. »
« Mais alors, s’il a exactement parlé ainsi, il faut aller à lui tout de suite. Pierre, avec ses
impulsions si franches et qui me plaisent tant, a pris une décision subite. Déjà il la réalise en se
pressant de terminer les opérations de débarquement, car, entre temps la barque est arrivée à la rive
et les garçons finissent de l’échouer en déchargeant les filets, les cordages et les voiles. « Et toi,
imbécile d’André, pourquoi n’es-tu pas allé avec eux ? »
« Mais,..Simon ! Tu m’as reproché de ne pas les avoir persuadés de venir avec moi.. Toute la nuit
tu as bougonné, et maintenant tu me reproches de n’y pas être allé ? ! … »
« Tu as raison… mais moi, je ne l’avais pas vu… toi, oui… et tu devais avoir vu qu’il n’est pas
comme nous … Il aura quelque chose de plus beau !... »
« Oh ! oui » dit Jean. « Il a un visage ! Et des yeux ! pas vrai, Jacques, quel regard !? Et une
voix !... Ah ! quel voix ! Quand il parle, il semble qu’on rêve au Paradis. »
« Vite, vite, allons le trouver. Vous (il parle aux manœuvres) portez tout à Zébédée et dites-lui
qu’il s’en débrouille. Nous reviendrons ce soir pour la pêche. »
Ils remettent tous, leurs habits, et s’en vont. Mais Pierre, après quelques mètres s’arrête, il prend
Jean par le bras et lui demande : « Tu as dit qu’il sait tout et se rend compte de tout… »
« Oui. Pense que quand nous avons vu la lune haute sur l’horizon nous avons dit : ‘Qui sait ce que
fait Simon ? ‘, Lui a dit : ‘Il est en train de jeter le filet et s’impatiente de devoir le faire seul car
vous n’êtes pas sortis avec la barque jumelle un soir où la pêche est si bonne…. Il ne sait pas que
d’ici peu il ne pêchera plus qu’avec des filets tout autres pour prendre de toutes autres proies’.
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« Miséricorde divine ! C’est tout à fait cela ! Alors, il se sera rendu compte aussi…, que je l’ai
presque traité de menteur … Je ne peux aller vers Lui. »
« Oh ! il est si bon. Il sait certainement que tu as eu cette pensée. Il le savait déjà. En effet, quand
nous l’avons quitté, en disant que nous allions te trouver, il a dit : ‘Allez, mais ne vous laissez pas
vaincre par les premières paroles de mépris. Qui veut venir avec moi doit savoir tenir tête aux
moqueries du monde et aux défenses des parents, car je suis au-dessus du sang et de la société et
j’en triompherai. Et qui est avec Moi, triomphera éternellement’. Et, il a dit encore : ‘Sachez parler
sans peur. En vous entendant, il viendra, car c’est un homme de bonne volonté.’. »
« C’est cela qu’il a dit ? Alors je viens. Parle, parle encore de Lui tout en marchant. Où est-il ? »
« Dans une pauvre maison. Ce doit être chez des amis. »
« Mais, il est pauvre ? »
« Un artisan de Nazareth, nous a-t-il dit. »
« Et de quoi vit-il maintenant, s’il ne travaille pas ? »
« Nous ne lui avons pas demandé. Peut-être les parents l’aident. »
« Il aurait mieux valu porter des poissons, du pain, des fruits…, quelque chose. Nous allons
interroger un rabbi car il est tout comme un rabbi, et plus encore, et nous venons les mains vides !...
Ce n’es pas ce qu’attendent nos rabbi…. »
« Mais Lui n’est pas de leur avis. Nous n’avions que vingt deniers entre jacques et moi. Mais Lui
n’en voulait pas, et comme nous insistions, il a dit : ‘Dieu vous le rende avec les bénédictions des
pauvres. Venez avec moi’ et tout de suite il les a distribués à des pauvres gens dont il connaissait le
domicile. Nous lui avons demandé : ‘Et pour Toi, Maître, tu ne gardes rien ? ‘ Il a répondu : ‘La
joie de faire la volonté de Dieu et d’être utile à sa gloire’. Nous avons encore ajouté : ‘Tu nous
appelles, Maître. Mais nous, nous sommes tout à fait pauvres. Que devons-nous apporter ? ‘.
Il nous a répondu avec un sourire qui nous fait vraiment goûter le paradis : ‘C’est un grand trésor
que je vous demande’ ; et nous : ‘ Mais, si nous n’avons rien ?’ ; et Lui : ‘Un trésor qui a sept noms,
et que même le plus humble peut avoir, et que le roi plus riche peut ne pas posséder, vous l’avez et
je le veux. Ecoutez-en les noms : charité, foi, bonne volonté, droiture d’intention, conscience,
sincérité, esprit de sacrifices. Cela, je le
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veux de celui qui me suit, cela seulement, et vous l’avez en vous. Il dort comme les semences, dans
le sillon, l’hiver, mais le soleil de mon printemps en fera naître les sept épis. C’est ainsi qu’Il a
parlé. »
« Ah ! cela me donne la certitude que c’est le vrai Rabbi, le Messie promis. Il n’est pas dur pour
les pauvres, il ne demande pas d’argent…. Cela suffit pour dire qu’il est le Saint de Dieu. Allons en
toute sécurité. »
Et tout se termine.
10. PREMIERE RENCONTRE DE PIERRE AVEC LE MESSIE
Avec l’âme accablée par trop de choses, je prie pour avoir une lumière. Et je tombe au chapitre
XII de l’Epitre aux Ebreux et réellement, elle refait les forces de mon esprit et me donne l’énergie
pour ‘écouter’ parce que sous la pression de tant de choses, j’en suis venue penser : ‘Je ne veux plus
rien faire. La vie commune, la vie commune à tout prix’. Mais ‘Celui qui parle’ je sais qui Il est, et
je vois qu’il me regarde avec deux yeux affectueux qui me sollicitent. Et je ne sais plus dire : ‘Je ne
veux pas.’
Vraiment Dieu est un feu qui dévore, même les tendances de notre humanité, quand elle se voit
abandonnée à Lui. A Celui qui me parle et me dit : ‘Moi, je ne te laisserai pas, je ne t’abandonne
pas’, je veux encore redire avec une pleine confiance : ‘Tu es mon secours, je ne crains pas
l’homme. Ne trompe pas, ô Dieu, mon espérance.’
A 14 h je vois ceci :
Jésus s’avance par un petit chemin, un sentier entre deux champs. Il est seul. Jean s’avance vers
Lui par une petite route à travers les champs et le rejoint finalement en passant par une brèche au
milieu de la haie.
Jean, dans la vision d’hier, comme dans celle d’aujourd’hui est tout à fait jeunet. Un visage rose et
imberbe d’homme à peine formé et blond par-dessus le marché. Aussi, pas trace de moustache ou
de barbe, mais seulement le teint rose des joues lisses et des lèvres rouges et la joyeuse lumière de
son beau sourire et de son regard pur, non pas tant pour la couleur de turquoise foncée de ses yeux
que pour la limpidité de l’âme vierge qui y transparaît. Ses cheveux, blonds châtains, longs et
soyeux ondoient à ce moment où il marche d’un pas rapide, presque au pas de course. Il crie, quand
il va passer la haie : « Maître ! »
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Jésus s’arrête et se retourne avec un sourire.
« Maître, je t’ai tant désiré ! On m’a dit, dans la maison où tu séjournes que tu étais parti vers la
campagne… mais pas plus. Et je craignais de ne pas te voir. » Jean parle, légèrement penché par
respect. Cependant il est plein d’une affectueuse confiance, dan son attitude et dans le regard que,
en restant la tête légèrement penchée sur l’épaule, il élève vers Jésus.
« J’ai vu que tu me cherchais et je suis venu vers toi. »
« Tu m’as vu ? Où étais-tu, maître ? »
« J’étais là » et Jésus lui indique un bosquet d’arbres éloignés qu’à cause de la couleur de leur
frondaison j’appellerais des oliviers. « J’étais là. Je priais et je pensais à ce que je dise ce soir à la
synagogue. Mais j’ai de suite tout interrompu quand je t’ai vu. »
«Mais comment, as-tu fait pour me voir, puisqu’à peine je distingue l’endroit, caché comme il est,
derrière cet escarpement ? »
« Et pourtant tu le vois’ Je suis venu à ta rencontre parce que je t’ai vu. Ce que ne peut faire l’œil,
l’amour le réalise. »
« Oui, l’amour le fait. Tu m’aimes donc, Maître ? »
« Et toi, tu m’aimes, Jean, fils de Zébédée ? »
« Tellement, Maître. Il me semble que je t’ai toujours aimé. Avant de te connaître, avant déjà,
mon âme te cherchait et quand je t’ai vu, elle m’a dit : ‘Voilà Celui que tu cherches’. A ma
rencontre avec Toi, c’était mon âme qui te reconnaissait, »
« Tu le dis, Jean et c’est exact. Moi aussi je suis venu à ta rencontre parce que mon âme t’a senti.
Combien de temps m’aimeras-tu ? »
« Toujours, Maître. Je ne veux plus aimer d’autres que toi. »
« Tu as père, mère, des frères, des sœurs, tu as la vie et, avec la vie, la femme et l’amour.
Comment feras-tu pour quitter tout pour Moi ? »
« Maître… je ne sais … il me semble, si ce n’est pas de l’orgueil de le dire, que ton amour de
prédilection me tiendra lieu de père et mère, de frères et sœur, et aussi de femme. De tout, oui, de
tout je resterai rassasié, si tu m’aimes. »
« Et le jour qu’il me faudra mourir… »
« Non ! Tu es jeune, Maître, … pourquoi mourir ? »
« Parce que le messie est venu prêcher la Loi dans sa vérité
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et pour accomplir la Rédemption. Et le monde sa horreur de la Loi et ne veut pas de rédemption.
C’est pour cela qu’il persécute les envoyés de Dieu. »
« Oh ! qu’il n’en soit ainsi ! Ne le dis pas à celui qui t’aime ce pronostic de mort ! … Mais si Tu
devais mourir, je t’aimerais encore, Toi. Permets-moi de t’aimer. » Jean a un regard suppliant. Plus
penché que jamais, il marche à côté de Jésus et semble lui mendier son amour.
Jésus s’arrête. Il le regarde. Il le pénètre de son regard profond et puis lui pose la main sur sa tête
inclinée. « Je veux que tu m’aimes. »
« Oh ! Maître ! » Jean est heureux. Bien qu’une larme fasse briller sa pupille, il rit, de sa bouche
jeune, bien dessinée. Il prend la main divine, la baise au dos et la serre contre son cœur. Ils
reprennent la marche.
« Tu as dit que tu me cherchais… »
« Oui. Pour te dire que mes amis veulent te connaître… et parce que, oh ! Comme je désirais être
encore avec Toi ! Je t’ai quitté depuis quelques heures … mais je ne pourrais déjà plus rester sans
Toi ! »
« Tu as donc été un bon annonciateur du Verbe ? »
« Mais Jacques aussi, Maître, a parlé de Toi de façon … à les convaincre. »
« De manière, que, qui était encore défiant a été persuadé. Il n’était d’ailleurs pas coupable car
c’était la prudence qui était la cause de sa réserve. Allons le rassurer complètement. »
« Il avait un peu peur.. »
« Non ! il ne faut pas avoir peur de moi ! Je suis venu pour les bons et surtout pour ceux qui sont
dans l’erreur. Je veux sauver, non pas condamner. Avec les gens honnêtes je serai tout
miséricorde. »
« Et avec les pécheurs ? »
« Aussi. Par malhonnêtes, j’entend parler de ceux qui sont spirituellement malhonnêtes, et qui
hypocritement se font passer pour bons, alors qu’il sont mauvais, des gens qui ne cherchent que leur
propre intérêt, même aux dépenses du prochain. Avec eux, je serai sévère. »
« Oh ! Simon alors peut être tranquille, il est franc comme nul autre. »
« C’est ainsi qu’il me plait et que je veux voir tout le monde. »
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« Il a tant de choses à te dire, Simon ! »
« Je l’entendrai après avoir parlé à la Synagogue. J’ai fit prévenir les pauvres et les malades en
plus des riches et des gens en bonne santé. Tous ont besoin de la Bonne Nouvelle. »
On approche du pays. Des enfants jouent sur la route et l’un d’eux, en courant viendrait s’abattre
entre les jambes de Jésus si Lui n’avait pas été attentif à le saisir. Le bambin pleure tout de même,
comme s’il s’était fait mal et Jésus lui dit, en le tenant par les bras : « Un israélite qui pleure ?
Qu’auraient dû faire des milliers et milliers de bambins qui sont devenus des hommes en
franchissant le désert derrière Moïse ? Et pourtant, c’est plus pour eux que pour les autres que le
Très-Haut a fait pleuvoir la manne si douce. Il aime en effet les innocents et veille sur ces petits
anges de la terre, ces oiseaux sans ailes, comme il le fait pour les passereaux qui volent dans les
bosquets et sur les toits. Tu aimes le miel ? Oui ? Et bien ! si tu es bon, tu mangeras un miel plus
doux que celui des abeilles. »
« Où donc, quand ? »
« Quand, après une vie de fidélité à Dieu, tu iras vers Lui. »
« Je sais que je n’y irai pas, si le messie ne vient. La maman nous dit que pour l’heure, nous les
gens d’Israel nous sommes comme autant de Moises et mourrons en vue de la Terre promise. Elle
dit que nous devrons attendre pour y entrer et que seul le messie nous permettra d’y entrer. »
« Mais, quel brave petit israélite ! Et bien, Moi, je te dis que quand tu mourras tu entreras tout de
suite au Paradis, parce que le Messie aura déjà ouvert la porte du ciel. Il faut donc que tu sois bon. »
« Maman, maman ! » Le bambin s’échappe des bras de Jésus et court à la rencontre d’une jeune
épouse qui rentre, avec une amphore de cuivre. « Maman, le nouveau Rabbi m’a dit que j’irai tout
de suite au Ciel quand je mourrai, et que je mangerai tant de miel… mais à condition d’être bon. Je
serai bon ! »
« Dieu le veuille ! Excuse, Maître, s’il t’a ennuyé. Il est si remuant ! »
« L’innocence ne me cause pas d’ennui, femme. Dieu te bénisse parce que tu es une mère qui
élève ses enfants dans la connaissance de la loi. »
La femme rougit à ce compliment et répond : « A Toi aussi la bénédiction de Dieu » et elle
disparaît avec son petit.
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« Les enfants te plaisent, Maître ? »
« Oui, parce qu’ils sont purs, sincères et aimants. »
« Tu as des enfants, Maître ? »
« Non. J’ai seulement une Mère, et en Elle il y a la pureté, la franchise, l’amour des petits les plus
saints, et en même temps la sagesse, la justice et la force des adultes. J’ai tout en ma Mère, Jean. »
« Et tu l’as quittée ? »
« Dieu est au-dessus, même de la plus sainte des mères. »
« Est-ce que je la connaîtrai ? »
« Tu la connaîtras. »
« Et Elle m’aimera ? »
« Elle t’aimera parce qu’Elle aime ceux qui aiment son Jésus. »
« Alors tu n’as pas des frères ? »
« J’ai des cousins du côté du mari de ma Mère. Mais tout homme est pour moi un frère, et c’est
pour tous que je suis venu. Nous voici devant la synagogue. J’entre et tu me rejoindras avec tes
amis. »
Jean s’en va et Jésus entre dans une pièce carrée avec la garniture habituelle de lampes disposées
en triangle et des pupitres avec des rouleaux de parchemin. Il y a déjà une foule qui attend et prie.
Jésus prie aussi. La foule bavarde à son sujet, en arrière. Lui s’incline pour saluer le chef de la
Synagogue et puis se fait donner, au hasard, un rouleau.
Jésus commence la lecture.
Il dit : « Ces choses, l’Esprit me les fait lire pour vous. Au chapitre sept du livre de Jérémie, on
lit : ‘Voilà ce que dit le Seigneur des armées, le Dieu d’Israel : , Corrigez vos mœurs et vos
affections et alors, je viendrai habiter avec vous en ce lieu. Ne vous bercez pas de paroles vaines
que vous répétez : c’est ici le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur, le temple du Seigneur.
Parce que, si vous améliorez vos mœurs et vos affections, si vous rendez justice entre l’homme et
son prochain, si vous n’opprimez pas l’étranger, l’orphelin, la veuve, si vous ne répandez pas en ce
lieu le sang innocent, si vous n’allez pas, pour votre malheur, vers les dieux étrangers, alors, Moi,
j’habiterai avec vous en ce lieu, dans la terre que je vous ai donnée à vos pères pour les siècles des
siècles’.’
Ecoutez, ô vous israélites. Voici que je viens faire resplendir les paroles de lumière que votre âme
aveuglée ne sait plus voir
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ni comprendre. Ecoutez. Beaucoup de larmes se répandent sur la terre du Peuple de Dieu ; ils
pleurent les anciens qui se rappellent les antiques gloires ; ils pleurent les adultes, courbés sous le
joug ; ils pleurent les enfants sans espoir d’une future gloire. Mais la gloire de la terre n’est rien en
comparaison d’une gloire qu’aucun oppresseur, sinon Mammon et la mauvaise volonté ne peut
arracher.
Pourquoi pleurez-vous ? Est-ce que le Très-Haut qui fut toujours bon pour son peuple a tourné
maintenant son regard autre part et lui refuse-t-il la vue de son Visage ? N’est-il plus le dieu qui
entrouvrit la mer et y fit passer Israel, qui le conduisit à travers les sables du désert et le nourrit, qui
le défendit contre ses ennemis ; n’est-ce pas Lui qui pour empêcher de perdre le chemin du ciel
donna à leurs âmes la Loi, comme il donnait à leurs corps la colonne de la nouée ? N’est-il plus le
dieu qui adoucit les eaux amères et fit tomber la manne alors qu’ils étaient épuisés ? N’est-il pas le
Dieu qui voulut vous établir sur cette terre et faire alliance avec vous ? N’est-il pas votre Père et
vous ses fils ? Et pourquoi l’étranger vous a frappé ? Beaucoup, parmi vous, murmurent : ‘Et
pourtant nous avons ici le temple !’ Il ne suffit pas d’avoir le Temple et d’aller y prier Dieu.
Le premier temple est dans le cœur de tout homme et c’est là que se fait la prière sainte. Mais,
sainte, elle ne peut l’être si le cœur ne s’amende pas, si ne s’amendent pas les mœurs, les affections,
les principes de la justice à l’égard des pauvres, à l’égard des serviteurs, des parents, à l’égard de
Dieu.
Regardez maintenant. Je vois des riches au cœur dur qui font de riches offrandes au temple, mais
ne savent pas dire au pauvre : « Frère, voici un pain et un denier, accepte-les. De cœur à cœur, que
mon aide ne t’humilie pas et que le don que je t’en fais ne me donne pas d’orgueil’. Voilà : je vois
des gens qui prient et qui se plaignent à Dieu de ce qu’il ne les écoute pas promptement, mais qui,
ensuite, au malheureux, parfois du même sang qu’eux, alors qu’il leur dit : ‘Ecoute-moi’, répondent
avec un cœur dur comme la pierre : ‘Non’ . Voilà, je vous vois pleurer parce que le dominateur vide
votre bourse. Mais vous pressurez ensuite le sang de qui vous haïssez et n’avez pas horreur de faire
un vœu sanguinaire contre la vie.
O vous d’Israel ! Le temps de la Rédemption est arrivé mais préparez-en les voies en vous, par la
bonne volonté. Soyez honnê-
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tes, bons, aimez-vous entre vous. Riches, soyez sans mépris; marchands, ne fraudez pas; pauvres,
n’enviez pas. Vous êtes tous d’un seul sang, d’un seul Dieu. Vous êtes tous appelés à une même
destinée. Ne vous fermez pas, avec vos péchés, le ciel que le Messie vous ouvrira. Vous avez,
jusqu’alors erré ? Maintenant plus. Que toute erreur disparaisse. Simple, bonne, facile est la loi qui
se ramène aux dix commandements primitifs mais imprégnés d’une lumière d’amour.
Venez. Je vous les montrerai tels qu’ils sont : amour, amour, amour. Amour de Dieu pour vous,
de vous pour Dieu. Amour pour le prochain. Toujours amour parce que Dieu est Amour et que les
fils du Père sont ceux qui savent vivre l’amour. Je suis ici pour tous, et pour donner à tous la
lumière de Dieu. Voici la Parole du Père, qui se fait nourriture en vous. Venez, goûtez, renouvelez
le sang de votre esprit avec cette nourriture. Que tout poison disparaisse, que tout désir charnel
meure.
Une gloire nouvelle vous est apportée : la gloire éternelle et à elle viendront ceux qui feront dans
leur cœur une véritable étude de la loi de dieu. Commencez par l’amour. Il n’y en a rien de plus
grand. Mais quand vous saurez aimer, vous saurez déjà tout et dieu vous aimera et l’amour de dieu
signifie le secours de dieu contre toute tentation.
Que la bénédiction de Dieu repose sur qui se tourne vers Lui d’un cœur plein de bonne volonté. »
Jésus se tait. Les gens parlottent. L’assemblée se sépare après le chant psalmodié de plusieurs
hymnes.
Jésus sort sur la petite place. Au seuil de la porte se trouvent Jean et jacques avec Pierre et André.
« La paix soit avec vous » dit Jésus et il ajoute : « Voici l’homme qui pour être juste a besoin de
s’abstenir de juger sans s’être d’abord informé, mais qui cependant sait reconnaître honnêtement ses
torts. Simon, tu as voulu me voir ? Me voici. Et toi, André, pourquoi n’es-tu venu plus tôt ? »
Les deux frères se regardent, embarrassés. André murmure : « Je n’osais pas… »
Pierre, tout rouge ne dit rien. Mais quand il entend Jésus dire à son frère : « Etait-ce un mal de
venir ? Il n’y a que le mal que l’on ne doit pas oser de faire », intervient franchement : « C’est à
cause de moi qu’il est resté. Lui voulait me conduire tout de suite vers Toi. Mais moi … J’ai dit …
Oui, j’ai dit : ‘Je n’y crois pas’, et je n’ai
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pas voulu. Oh ! maintenant, cela va mieux !... »
Jésus sourit, puis il dit : « Et, pour ta sincérité, je te dis que je t’aime. »
« Mais moi … moi, je ne suis pas bon. Je ne suis pas capable de faire ce que tu as dit à la
synagogue. Je suis irascible et, si quelqu’un m’offense… Eh ! Je suis avide et j’aime avoir de
l’argent… et dans ma vente de poissons… eh ! pas toujours … je ne suis pas toujours sans frauder.
Et je suis ignorant. Et j’ai peu de temps à te suivre pour avoir la lumière. Comment faire ? Je
voudrais devenir comme tu dis … mais… »
« Ce n’est pas difficile, Simon. Tu connais un peu l’Ecriture ? Oui ? Et bien pense au prophète
Michée. Dieu veut de toi ce que dit Michée. Il ne te demande pas de t’arracher le cœur ni de
sacrifier les affections les plus saintes. Non. Il ne te le demande pas pour l’instant. Un jour, sans
que Dieu te le demande, tu te donneras aussi toi-même à Dieu. Mais Lui attend qu’un soleil et une
ondée ait fait de toi, qui n’es qu’une frêle pousse, un palmier robuste et splendide. Pour l’heure, Il te
demande ceci : pratiquer la justice, aimer la miséricorde, t’appliquer totalement à suivre ton Dieu.
Efforce-toi de faire cela et le passé Simon sera effacé, et tu deviendras l’homme nouveau, l’ami de
Dieu et de son Christ. Non plus Simon mais Céphas, la Pierre solide sur laquelle je m’appuie. »
« Ceci me plait ! Je le comprends. La Loi, c’est cela… c’est cela… voilà je ne sais plus l’observer
comme l’ont faite les rabbi ! … Mais comme tu l’expliques, oui. Il me semble que j’y arriverai. Et
tu m’aideras. Tu restes dans cette maison ? J’en connais le propriétaire. »
« Je reste ici, mais je vais aller à Jérusalem et après, je prêcherai à travers la Palestine. Je suis
venu pour cela. Mais je viendrai ici souvent. »
« Je viendra t’écouter. Je veux être ton disciple: Un peu de lumière m’entrera dans la tête »
« Dans le cœur, Simon, surtout, dans le cœur. Et toi, André, tu ne parles pas ?
« J’écoute, Maître. »
« Mon frère est timide. »
« Il deviendra un lion. La nuit tombe. Que Dieu vous bénisse et vous donne bonne pêche. Allez. »
« Paix à Toi. » Ils s’en vont.
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A peine sorti, Pierre dit : « Mais qu’est-ce qu’il aura voulu dire d’abord, quand il parlait que je
pêcherai avec d’autres filets et que je ferais d’autres pêches ? »
« Pourquoi ne le Lui as-tu pas demandé ? Tu voulais dire tant de choses, et puis, tu n’as rien dit. »
« Moi … j’avais honte. Il est si différent de tous les rabbis ! »
« Maintenant, il va à Jérusalem … »
Jean dit cela avec un tel désir, une telle nostalgie… « Je voulais Lui demander s’il me laissait aller
avec Lui… , et je n’ai pas osé. »
« Va le Lui dire, garçon » dit Pierre. « Nous l’avons quitté comme çà… sans une parole
d’affection… Qu’il sache, au moins que nous l’admirons. Va, va. Je vais le dire à ton père. »
« J’y vais, Jacques ? »
« Va. »
Jean part au pas de course … et au pas de course il revient, jubilant : « Je lui ai dit : ‘Tu veux de
moi, à Jérusalem ? » Il m’a répondu : « Viens, ami !’ Il m’a dit ‘ami’ ! Demain à cette heure, je
viendrai ici. Oh ! A Jérusalem, avec Lui … »
…. c’est la fin de la vision.
Je vois la cuisine de Pierre. En plus de Jésus, il y a Pierre et sa femme et Jacques et Jean. Ils
semblent avoir terminé le souper et s’entretiennent entre eux. Jésus s’intéresse à la pêche.
André entre et dit: “Maître, il y a ici l’homme auprès duquel tu habites, avec quelqu’un qui se dit
ton cousin.”
Jésus se lève et va vers la porte en disant: “Qu’ils viennent.” Et quand, à la lumière de la lampe à
huile et à la clarté du foyer il voit entrer Jude Thaddée, il s’écrie: “Toi, Jude?!”
“Moi, Jésus” et ils se baisent.
Jude Thaddée est un bel homme, dans la plénitude de la beauté virile. Grand, bien que pas autant
que Jésus, fort et bien proportionné, brun, comme l’était saint Joseph lorsqu’il était jeune, le teint
olivâtre sans être terreux, des yeux qui ont quelque chose de commun avec ceux de Jésus, car ils
sont d’une teinte azurée, mais presque pervenche. Sa barbe, de forme carrée est brune, les cheveux
ondulés, moins bouclés que ceux de Jésus, et bruns comme la barbe.
“Je viens de Capharnaüm. J’ai pris une barque et je suis venu aussi jusqu’ici, pour faire plus vite.
Ta Mère m’envoie Te dire: ‘Suzanne se Marie demain. Je te prie, Fils, d’assister à cette noce’.
Marie vous invite, et avec Elle ma mère et les frères. Tous les parents sont invités, tu serais le seul
absent et eux les
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parents te demandent de faire plaisir aux époux.”
Jésus s’incline légèrement en ouvrant un peu les bras. “Le désir de ma Mère est pour Moi une loi,
mais aussi pour Suzanne et les parents, je viendrai. Seulement… cela m’ennuie pour vous…” Et il
regarde Pierre et les autres. “Ce sont mes amis” Explique-t-il au cousin. Et il les nomme en
commençant par Pierre. Pour finir, il dit: “Et celui-là, c’est Jean” et il le dit avec un ton particulier
qui attire le regard plus attentif de Jude Thaddée et fait rougir le préféré. Il termine la présentation
en disant: “Amos, celui-ci est Jude, fils d’Alphée mon frère cousin selon la façon de parler du
monde, car il est le fils du frère de l’époux de ma Mère. C’est pour Moi un ami, un bon compagnon
de travail et de vie.”
“Ma maison t’est ouverte, comme au Maître. Assied-toi” et puis se tournant vers Jésus, Pierre dit:
“Alors nous ne viendrons plus avec Toi à Jérusalem?”
“Bien sur que si, vous viendrez. J’irai après les noces. Seulement je n’arrêterai plus à Nazareth.”
“Tu fais bien, Jésus, parce que ta Mère est mon hôte pour quelques jours. Entendu comme cela, et
Elle aussi viendra après les noces. “ Ainsi parle l’homme de Capharnaüm.
“Voici ce que nous ferons, alors. Maintenant, avec la barque de Jude, j’irai à Tibériade et de là à
Cana et avec la même, je reviendrai à Capharnaüm avec ma Mère et avec toi, Le jour qui suivra le
prochain sabbat, tu viendras, Simon, si tu es toujours décidé et nous irons à Jérusalem pour la
Pâque.”
“Bien sur que je viendrai. Et je viendrai aussi le sabbat pour t’entendre à la synagogue.”
“Tu enseigne déjà, Jésus?” demande Thaddée.
“Oui, cousin.”
“Et quelles paroles! Ah! On ne les entend pas dans une autre bouche!” explique Simon.
Jude soupire. La tête appuyée sur la main, et le coude sur les genoux, il regarde Jésus et soupire. Il
semble vouloir parler et n’ose pas.
Jésus l’interpelle: “Qu’as-tu, Jude? Pourquoi me regards-tu en soupirant?”
“Rien.”
“Non, il y a quelque chose. Je ne suis plus le Jésus que tu aimais, celui pour qui tu n’avais pas des
secrets?”
“Oh! Oui, que tu l’es, et comme tu me manques, Toi, Maître
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de ton cousin plus âgé…”
“Et alors, parle.”
“Je voulais te dire … Jésus … sois prudent… tu as une Mère … qui n’a que Toi… Tu veux être
un ‘rabbi’, mais pas comme les autres et Tu sais, mieux que moi que … que les castes puissantes ne
permettent pas des choses contraires au coutumes qu’elles ont établies. Je connais ta façon de
penser … elle est sainte… Jésus … Tu sais le sort de ton cousin le Baptiste … Il est en prison, et
s’il n’est pas encore mort c’est parce que ce sale de Tétrarque a peur de la foule et des foudres de
Dieu. Sale et superstitieux et en même temps cruel et libertin… Toi… Que feras-tu? Au devant de
quelle sort veux-tu aller?”
“Jude, il n’y a qu’Elle qui aurait le droit de me rappeler à mes devoirs de fils, selon les lumières
terrestres: c’est à dire à mon devoir de travailler pour Elle pour subvenir à ses besoins matériels, à
mon devoir d’assistance et de réconfort, en restant auprès d’Elle. Et Elle ne me demande rien du
tout cela. Depuis le moment où Elle m’a eu, Elle sait qu’Elle devait me perdre, pur me retrouver
dans une dimension plus large que celle du milieu familial et dès ce moment Elle y est préparée.
Ce n’est pas une nouveauté, dans son sang, cette volonté absolue
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de donation à Dieu. Sa mère l’a offerte au Temple avant qu’Elle ne sourit à la lumière. Elle m’a
parlé une quantité innombrable de fois, quand Elle me serrait sur son coeur dans les longues soirées
d’hiver ou dans les claires nuits d’été où fourmillaient les étoiles, de son enfance sainte. Elle s’est
donnée à Dieu dès les premières lueurs de l’aube de sa venue au monde. Et plus encore Elle s’est
donnée quand Elle n’eut, pour être où je suis, sur le chemin de la mission qui me vient de Dieu. Il y
aura une heure où tous m’abandonneront. Ce sera pour peu de minutes, mais la lâcheté sera
maîtresse de tous et vous penserez qu’il y aurait mieux valu pour votre sécurité de ne m’avoir
jamais connu. Mais Elle, qui a compris et qui sait, sera toujours avec Moi. Et vous, vous
redeviendrez à Moi par Elle. Avec la force de sa foi assurée et aimante, Elle vous attirera en Elle, et
ainsi vous ramènera en Moi, parce que Je suis en ma Mère et Elle en Moi, et Nous en Dieu.
Cela, je voudrais que vous le compreniez, vous tous, parents selon le monde, amis et fils au point
de vue surnaturel. Toi, et avec toi les autres, vous ne savez pas qui est ma Mère. Si vous le saviez,
vous ne la critiqueriez pas en votre coeur de ne pas m’avoir tenu assujetti à Elle, mais vous la
vénéreriez comme l’Amie la plus intime de Dieu, la Puissante qui peut tout sur le coeur du Père
éternel et sur le Fils de son coeur. Je viendrai certainement à Cana. Je veux Lui faire plaisir. Vous
comprendrez mieux après cette heure là.” Jésus est imposant et persuasif.
Jude le regarde attentivement. Il réfléchit. Il dit: “Et moi aussi, certainement je viendrai avec Toi
en leur compagnie, si tu veux de moi… car je pense que tu dis des choses justes. Pardonne mon
aveuglement et celui de mes frères. Tu es tellement plus saint que nous…”
“Je n’ai pas de rancoeur pour qui ne me connaît pas, Je n’en ai pas non plus pour qui me hait.
Mais j’en souffre pour le mal qu’ils se font à eux mêmes, Qu’est-ce que tu as dans ce sac?”
“L’habit que ta Mère t’envoie. Grand fête, demain. Elle pense que son Jésus en a besoin, pour ne
pas détonner parmi les invités. Elle a filé sans relâche depuis le point du jour jusqu’à tard le soir,
chaque jour pour te préparer ce vêtement. Mais Elle n’a pas fini le manteau. Il manque encore les
franges. Elle en est toute désolée."
"Ce n’est pas la peine. J’irai avec celui que j’ai et je garderai l’autre pour Jérusalem. Le Temple
est encore plus que la noce.”
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“Elle en sera heureuse.”
“Si vous voulez être à l’aube sur la route de Cana –dit Pierre- il vous faut partir tout de suite. La
lune se lève et la traversée sera bonne.”
“Allons, alors. Viens, Jean. Je t’emmène avec Moi. Simon Pierre, Jacques, André, adieu. Je vous
attends le soir du sabbat à Capharnaüm. Adieu, femme. Paix à toi et à toute la maison.”
Jésus sort avec Jude et Jean. Pierre les suit jusqu’à la rive et aide à la manœuvre et au départ de la
barque.
Et la vision prend fin.
[Paroles de Jésus:
“Quand ce sera l’heure de faire un travail ordonné, la vision de la noce de Cana sera insérée ici.
Mets la date (16-1-44)
23 octobre. Commandement reçu avec insistance à l’aube et répété plusieurs et plusieurs fois pour
que je ne l’oublie pas en attendant de pouvoir l’écrire: chose que je fais dès que je vois clair.
Jésus dit: “Ecris et tout ce qui t’es dit sera mis en tête de tout travail à communiquer aux gens
honnêtes, qu’il soit imprimé ou dactylographié selon ce que en ai déjà dit:
‘C’est la voix du Maître. Rugissement et caresse. Rugissement quand elle s’adresse à ceux
qui ne veulent pas se convertir, Caresse quand elle parle à ceux qui, bien qu’imparfaits ont ‘la
bonne volonté’ de trouver Dieu et sa Parole et les ayant trouvés, de se sanctifier. Pour ceux-là la
Parole devient caresse d’Ami et bénédiction de Jésus’.
Ces paroles en tête de tout travail. Puis pour les oeuvres plus complètes et approuvées
toujours approuvées pour qu’elles ne soient pas rendues inopérantes par le mauvais vouloir des
pharisiens, sadducéens, scribes et docteurs, il serait bien de mettre la prière à la Parole que je t’ai
donnée le 7 décembre 1943. Pour l’heure, cela suffit. Et puis je reviendrai encore.”]
Je vois une maison, une vraie maison orientale: un cube blanc plus large que haut, avec des rares
ouvertures, surmontée d’une terrasse qui sert de toit et est entourée d’un muret de un mètre environ
et ombragée par une tonnelle de vigne qui grimpe jusque là et étend ses rameaux au delà du milieu
de cette terrasse ensoleillée.
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Un escalier extérieur monte le long de la façade au niveau d’une porte qui s’ouvre à mi-hauteur
de la façade. Au dessous, il y a au niveau du sol des portes basses et rares, pas plus que deux de
chaque coté, qui donnent accès dans des pièces basses et sombres. La maison s’élève au milieu
d’une espèce de cour plutôt une pelouse, au centre de laquelle se trouve un puits. Il y a des figuiers
et des pommiers. La maison donne sur la route sans être à bord de route. Elle est un peu en retrait et
un sentier traverse la pelouse jusqu’à la route qui semble être une maîtresse route.
On dirait que la maison est à la périphérie de Cana: maison de paysans propriétaires qui vivent au
milieu de leur petit domaine. La campagne s’étend au delà de la maison avec ses lointaines de
tranquille verdure. Il fait un beau soleil et l’azur du ciel est très pur. Au débout, je ne voie rien
d’autre. La maison est solitaire.
Puis je vois deux femmes avec des longs vêtements et un manteau qui sert aussi de voile. Elles
avancent sur la route et puis sur le sentier. L’une, plus âgée, sur les cinquante ans, en habits foncés
de couleur fauve marron, comme de la laine naturelle. L’autre est en vêtements plus clairs, avec un
habit d’un jaune pâle et un manteau azur. Elle semble avoir à peu près trente cinq ans. Elle est très
belle, svelte et elle a une contenance pleine de dignité bien que toute gentillesse et humilité. Quand
elle est plus proche, je remarque la couleur pâle du visage, les yeux azurés et les cheveux blonds qui
apparaissent sur la front, sous le voile. Je reconnais Marie la Très Sainte. Qui est l’autre, brune et
plus âgée, je ne sais. Elles parlent entre elles et la madone sourit. Quand elles sont tout à côté de la
maison, quelque’ un sûrement chargé de guetter les arrivées, avertit et à leur rencontre arrivent des
hommes et des femmes, tous en habits de fête. Tout le monde leur fait fête et surtout à Marie la Très
Sainte.
L’heure semble matinale, je dirais vers les neuf heures peut-être plus tôt, car la campagne a
encore cet aspect de fraîcheur des premières heures du jour avec la rosée qui rend l’herbe plus verte
et la pelouse qui n’est pas empoussiérée. La saison me parait printanière car l’herbe des près n’est
pas brûlée par le soleil d’été et dans les champs, les blés sont en herbe, sans épis, tout verts. Les
feuilles du figuier et du pommier sont vertes et encore tendres mais je ne vois pas de fleurs sur le
pommier et je ne vois pas de fruits, ni sur le pommier ni sur le figuier ni sur la vigne. C’est que le
pommier a déjà fleuri depuis peu, mais les petits fruits ne
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se voient pas encore.
Marie, très fêtée et accompagnée par un homme âgé qui doit être le propriétaire, monte l’escalier
extérieur et entre dans une grande salle qui parait occuper tout ou en grande partie, l’étage. Je crois
comprendre que les pièces du rez-de-chaussée sont les vraies pièces d’habitation, les dépenses, les
débarras et les celliers et qui l’étage est réservé à des usages spéciaux: fêtes exceptionnelles ou à
des produits agricoles. Pour les fêtes on la débarrasse et on l’orne, comme aujourd’hui de branches
vertes, de nattes, de tables garnies.
Au centre, il y en a une très riche, avec dessus déjà des amphores et des plats garnis de fruits. Le
long du mur, à ma droite une autre table garnie mais moins richement. A ma gauche une sorte de
longue crédence avec dessus des plats de fromages et d’autres aliments qui me semblent des
galettes couvertes de miel et de friandises. Par terre, toujours à ma gauche d’autres amphores et six
grands vases en forme de brocs de cuivre, plus ou moins. Pour moi ce serait des jarres.
Marie écoute avec bienveillance ce que tous lui disent puis gentiment quitte son manteau et aide à
terminer les préparatifs pour la table. Je la vois aller et venir rangeant les lits de table, redressant les
guirlandes de fleurs, donnant meilleur aspect aux coupes de fruits, veillant à ce que les lampes
soient garnies d’huile. Elle sourit, et parle très peu et à voix très basse. Par contre, Elle écoute
beaucoup et avec combien de patience.
Un grand bruit d’instruments de musique (peu harmonieux, en vérité) se fait entendre sur la route.
Tout le monde, à l’exception de Marie, court dehors. Je vois entrer l’épouse toute parée et heureuse,
entourée des parents et des amis, à côté de l’époux qui est accouru à sa rencontre le premier.
Ici ce produit un changement dans la vision. Je vois, au lieu de la maison, un pays. Je ne sais si
c’est Cana ou une autre bourgade voisine. Je vois Jésus avec Jean et un autre qui pourrait être Jude
Thaddée, mais pour ce second, je pourrais me tromper. Pour Jean, je ne me trompe pas. Jésus est
vêtu de blanc et a un manteau azur foncé. En entendant le bruit de la musique, le compagnon de
Jésus demande un renseignement à un homme du peuple et en fait part à Jésus. “Allons faire plaisir
à ma Mère” dit Jésus en souriant et il se met en route à travers les champs avec ses deux
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compagnons dans la direction de la maison.
J’ai oublié de dire que mon impression que Marie est ou parente ou très amie des parents de
l’époux car je les vois en grandes confidences.
Quand Jésus arrive, le veilleur habituel prévient les autres. Le maître de maison, en même temps
que son fils, l’époux, et que Marie, descend à la rencontre de Jésus et le salue respectueusement. Il
salue aussi les deux autres et l’époux fait la même chose. Mais, ce qui me plait, c’est le salut plein
d’amoureux respect de Marie à son Fils et réciproquement. Pas d’épanchements, mais un tel regard
accompagne les paroles de la salutation: “La paix avec Toi”, et un tel sourire qui vaut cent baiser et
cent embrassements. Le baiser tremble sur les lèvres de Marie, mais Elle ne le donne pas. Elle pose
seulement sa petite main blanche sur l’épaule de Jésus et effleure une boule de sa longue chevelure.
Une caresse d’une pudique énamourée.
Jésus monte à côté de sa Mère, suivi des deux disciples et du propriétaire et il entre dans la salle
de réception où les femmes s’occupent à ajouter des sièges et des couverts pour les trois hôtes qu’on
n’attendait pas, me semble-t-il. Je dirais que la venue de Jésus était incertaine et celle de ses deux
compagnons absolument imprévue.
J’entends distinctement la voix pleine, virile, très douce du Maître, dire en entrant dans la salle:
“La paix soit dans cette maison, et la bénédiction de Dieu sur vous tous.” Salut cumulatif à toutes
les personnes présentes et plein de majesté. Jésus domine tout le monde par sa stature et son aspect.
C’est l’hôte et inattendu, mais il semble le roi de la fête, plus que l’époux, plus que le maître de
maison. Tout en restant humble et condescendant, c’est Lui qui en impose.
Jésus prend place à la table centrale, avec l’époux, l’épouse, les parents des époux et les amis les
plus influents. Aux deux disciples, par respect pour le Maître, on donne des sièges à la même table.
Jésus tourne le dos au mur où sont les jarres. Il ne le voit donc pas, ni non plus l’affairement du
majordome autour des crédences.
J’observe une chose. Sauf les mères des époux et Marie, aucune femme ne siège à cette table.
Toutes les femmes se trouvent, et elles font un grand bruit, à la table le long du mur. On les sert
après les époux et les hôtes de marque. Jésus est près du maître
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de maison et a en vis-à-vis Marie qui est à côté de l’épouse.
Le repas commence, et je vous assure que l’appétit ne manque pas et encore moins la soif. Deux
mangent et boivent peu, ce sont Jésus et sa Mère, qui aussi parle très peu. Jésus parle un peu plus.
Mais tout en parlant peu, il n’est dans sa conversation ni renfrogné ni dédaigneux. C’est un homme
courtois, mais pas bavard. Quand on l’interroge, il répond, s’intéresse à ce qu’on Lui dit et donne
son avis, mais ensuite se recueille en Lui-même comme quelqu’un habitué à la méditation. Il sourit,
mais ne rit jamais. S’il entend quelque plaisanterie trop aventurée, il fait celui qui n’entend pas.
Marie se nourrit de la contemplation de son Jésus et aussi Jean qui est au bout de la table et reste
suspendu aux lèvres de son Maître.
Marie s’aperçoit que les serviteurs parlottent avec le majordome et que celui-ci est gêné et Elle
comprend qu’il y a quelque chose de désagréable. “Fils” dit-Elle doucement en attirant l’attention
de Jésus avec cette parole: “Fils, ils n’ont plus de vin.”
“ Femme, qu’y a-t-il, désormais entre Moi et Toi?” Jésus en disant cette phrase sourit encore plus
doucement et Marie sourit, comme deux qui savent une vérité qui est leur joyeux secret que tous les
autres ignorent.
Marie ordonne aux serviteurs: “Faites ce que Lui vous dira.”
Marie a lu dans les yeux souriants de son Fils l’assentissement, voilé d’un grand enseignement
pour tous les ‘appelés’.
Et Jésus ordonne aux serviteurs: “Emplissez d’eau les cruches.”
Je vois les serviteurs emplir les jarres de l’eau apportée du puits. (J’entends le grincement de la
poulie qui monte et descend, le seau qui déborde) Je vois le majordome qui se verse un peu de ce
liquide avec un regard de stupeur, qui essaie avec une mimique d’un plu grand étonnement et le
goûte. Il parle au maître le la maison et à l’époux son voisin.
Marie regarde encore son Fils et sourit; puis recevant un sourire de Lui, incline la tête en
rougissant légèrement. Elle est heureuse.
Dans la salle passe un murmure. Les têtes se tournent vers Jésus et Marie. On se lève pour mieux
voir. On va vers les jarres. Un silence, puis un coeur de louanges à Jésus.
Mais Lui se lève et dit une seule parole: “Remerciez Marie” et puis il quitte le repas. Su le seuil il
répète: “La paix à cette
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maison et la bénédiction de Dieu sur vous” et il ajoute: “Mère, je te salue.”
La vision s’arrête.
Je vois Jésus qui entre avec Pierre, André et Jacques, Philippe et Barthélemy dans l’enceinte du
Temple. Il y a une très grande foule qui y rentre et qui en sort. Pèlerins qui arrivent par bandes de
tous les coins de la ville.
Du haut de la colline sur laquelle le Temple est construit, on voit les rues de la ville, étroites et
sinueuses, qui fourmillent de passants. Il semble qu’entre le blanc cru des maisons se soit étendu un
ruban mouvant de mille couleurs. Oui, la cité a l’aspect d’un bizarre jouet fait de rubans multi
couleurs entre deux alignements de maisons blanches et qui convergent tous vers le point où
resplendissent les coupoles de la Maison du Seigneur.
Puis, à l’intérieur, c’est une vraie foire. Plus aucun recueillement dans le lieu saint. On court, on
appelle, on achète des agneaux, on crie et on maudit à cause du prix exagéré, on pousse les pauvres
Bêtes bêlantes dans des parcs. Ce sont de rudimentaires enclos délimités par des cordes et des
pieux, aux entrées desquelles se tient le marchand ou éventuellement le propriétaire qui attend des
acheteurs. Coups de bâton, bêlements, jurons, réclamations, insultes pour les valets peu pressés de
rassembler et d’enclore les animaux ou pour les acheteurs qui lésinent sur le prix, ou qui
s’éloignent, insultes plus fort pour les gens prévoyants qui ont amené l’agneau de chez eux..
Autour des comptoirs de change, autre vacarme. Je ne sais si c’est toujours ainsi où à l’occasion
de la Pâque; on se rend compte que le Temple fonctionnait comme la Bourse, ou le marché noir. La
valeur des monnaies n’était pas fixée. Il y avait le cours légal qui était certainement déterminé, mais
les changeurs en imposaient un autre, en s’appropriant un pourcentage arbitraire pour le change. Et
je vous assure qu’ils s’y entendaient pour étrangler les clients!… Plus un client était pauvre, plus il
venait de loin, plus on le dépouillait. Les vieux plus que les jeunes, ceux qui arrivaient d’au delà de
la Palestine plus que les vieux.
De pauvres petits vieux regardaient et regardaient encore leur pécule mis de côté, avec combien
de peine, tout le long de l’année, l’enlevaient de leur sein et l’y remettaient cent fois en tournant
autour des changeurs et finissaient enfin par revenir au premier qui se vengeait de leur éloignement
temporaire en augmentant l’agio du change…. Et les grosses pièces quittaient, au milieu
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des soupirs, les mains du propriétaire pour passer dans les griffes de l’usurier en échange de
monnaie plus légère. Puis, pour le choix, une nouvelle tragédie de comptes et de soupirs devant les
marchands d’agneaux qui aux petits vieux, à moitié aveugles, colloquaient les agneaux les plus
chétifs.
Je vois revenir deux petits vieux, lui et elle, qui poussent un pauvre agnelet que les sacrificateurs
ont dû trouver défectueux. Plaintes, supplications, impolitesses, grossièretés se croisent sans que le
vendeur s’en émeuve.
“Pour ce que vous voulez payer, galiléens, c’est déjà trop beau ce que je vous ai donné. Allez-
vous en! Ou ajoutez cinq autres deniers pour en avoir un plus beau!”
“Au nom de Dieu! Nous sommes pauvres et vieux! Veux-tu nous empêcher de faire la Pâque, la
dernière, peut-être? Est-ce que ce que tu nous a pris ne suffit pas pour une petite bête?”
“Faite place, crasseux. Voici que vient à moi Joseph l’Ancien. Il m’honore de sa préférence. Dieu
soit avec toi! Viens, choisis!”
Il entre dans l’enclos et prend un magnifique agneau, celui qu’on appelle Joseph l’Ancien ou
Joseph d’Arimathie. Il passe avec un riche habit, tout fier, sans un coup d’oeil aux pauvres qui
gémissent à la porte et même à l’entrée de l’enclos. Il les bouscule, pour ainsi dire, en sortant avec
l’agneau gras qui bêle.
Mais Jésus aussi est maintenant tout près. Lui aussi a fait son achat, et Pierre, qui probablement a
payé pour Lui, tire derrière lui un agneau convenable. Pierre voudrait aller tout de suite vers le lieu
où l’on sacrifie. Mais Jésus tourne à droite vers les deux petits vieux effarés, en larmes, indécis que
la foule bouscule et que le vendeur insulte.
Jésus, si grand que la tête des deux vieux Lui arrive à la hauteur du coeur, met une main sur
l’épaule de la femme et demande: “Pourquoi pleures-tu, femme?”
La petite vieille se retourne et voit cet homme grand et jeune, solennel en son el habit blanc et son
manteau couleur de la neige tout neuf et propre. Elle doit le prendre pour un docteur à cause de son
habit et de son aspect et, stupéfaite, car les docteurs et les prêtres ne fon aucun cas des gens et ne
protégent pas les pauvres contre la rapacité des marchands, elle dit les raisons de leur chagrin.
Jésus se retourne vers l’homme aux agneaux: “Change cet agneau à ces fidèles. Il n’est pas digne
de l’autel comme il n’est
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pas digne que tu profites de deux pauvres vieux parce que faibles et sans défense.”
“Et Toi, qui es-tu?”
“Un juste,”
“ Ton parler et celui de tes compagnons indiquent que tu es galiléen. Peut-il jamais y avoir un
juste en Galilée?”
“Fais ce que je te dis et sois juste, toi.”
“Ecoutez, écoutez le galiléen défenseur des ses pairs! Il veut nous faire la leçon, à nous qui
sommes du Temple” L’homme rit et se moque contrefaisant l’accent galiléen qui est plus chantant
et plus doux que celui de la Judée, au moins à ce qu’il me semble.
Des gens font cercle et d’autres marchands et changeurs prennent la défense de leur complice
contre Jésus. Parmi les assistants deux ou trois rabbins ironiques. L’un d’eux demande: “Es-tu
docteur?” sur un ton qui aurait fait perdre la patience à Job.
“Tu l’as dit.”
“Qu’enseignes-tu?”
“Voici ce que j’enseigne: rendre la Maison de Dieu, maison de prière et non pas place d’usuriers
et de marchands. Voilà mon enseignement.” Jésus est terrible. Il semble l’Archange mis sur le seuil
du Paradis perdu. Il n’a pas aux mains l’épée flamboyante mais ses yeux irradient la lumière et
foudroient les moqueurs et les sacrilèges.
A la main, il n’a rien. Seule sa sainte colère. Et avec elle, cheminant rapide et imposant au milieu
des comptoirs, il éparpille les monnaies méticuleusement rangées selon leur valeur, renverse tables
petites et grandes et tout tombe avec fracas sur le sol avec grand bruit de métaux qui rebondissent et
de bois bousculé avec cris de colère, d’effarement et d’approbations. Puis il arrache des mains des
gardiens de bestiaux des cordages qui attachent boeufs, brebis et agneaux il en fait un martinet très
dur dont les noeuds coulants assemblent les lanières. Il se lève, le fait tournoyer et l’abaisse sans
pitié. Oui, je vous l’assure, sans pitié-
La grêle imprévu s’abat sur les têtes et es échines. Les fidèles s’esquivent, admirant la scène. Les
coupables, poursuivis jusqu’en dehors de l’enceinte se savent à toutes jambes, laissant par terre
l’argent et en arrière les bêtes de toutes les tailles, dans une grande confusion de jambes, de cornes,
d’ailes. C’est à qui court, s’échap-
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pe en volant. Las mugissement, les bêlements, les roucoulements des colombes et des tourterelles
en même temps que les rires et les cris des fidèles derrière les usuriers en fuite dépassent jusqu’au
lamentable choeur des animaux qu’on égorge certainement dans une autre cour.
Des prêtres accourent, en même temps que des rabbins et des pharisiens. Jésus est encore au
milieu de la cour, revenant de sa poursuite. Il a encore en mains le martinet.
“Qui es-tu? Comment te permets-tu de faire cela, en troublant les cérémonies prescrites? De
quelle école proviens-tu? Pour nous, nous ne te connaissons pas. Nous ne savons pas qui tu es.”
“Je suis Celui qui peut. Je peux tout. Détruisez seulement ce Temple vrai, et Je le ressusciterai
pour donner louange à Dieu. Je ne trouble pas, Moi, la sainteté de la Maison de Dieu, ni les
cérémonies. Mais c’est vous qui la troublez en permettant que dans sa demeure s’installent les
usuriers et les mercantis. On école, c’est l’école de Dieu, la même école qui fut celle de tout Israël,
par la bouche de l’Eternel qui parlait à Moïse. Vous ne me connaissez pas? Vous me connaîtrez.
Vous ne savez pas d’où Je viens? Vous le saurez.”
Et se tournant vers le peuple sans plus s’occuper des prêtres dominant l’entourage par sa taille,
revêtu de son habit blanc, le manteau ouvert et flottant en arrière des épaules, les bras étendus
comme un orateur au moment le plus pathétique de son discours, il dit:
Ecoutez, vous d’Israël! Dans le Deutéronome il est dit: ‘Etabliras des juges et des magistrats à
toutes les portes… et ils jugeront le peuple avec justice, sans partialité à l’égard de personne. Tu
n’auras pas d’égards particuliers pour quiconque. Tu n’accepteras pas de cadeaux, car les cadeaux
aveuglent les sages et troublent les paroles des justes. Tu suivras avec justice le juste sentier pour
vivre et posséder la terre que le Seigneur ton Dieu t’aura donné.’
Ecoutez, vous d’Israël Dans le Deutéronome il est dit: ‘Les prêtres et les lévites et tous ceux de la
tribu de Lévi n’auront aucun partage ni hérédité avec le reste d’Israël, parce qu’ils doivent vivre
avec le sacrifice du Seigneur et avec les offrandes que l’on fait à Lui; ils n’auront aucune part avec
ce que leurs frères possèdent, parce que le Seigneur est leur héritage’.
Ecoutez, vous d’Israël! Dans le Deutéronome il est dit:’ Tu ne
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prêteras à intérêt à ton frère, ni argent, ni grain, ni quelqu’autre chose. Tu pourras prêter à intérêt à
l’étranger, au contraire, à ton frère tu prêteras sans intérêt ce dont il a besoin.’
C’est cela que dit le Seigneur.
Maintenant vous voyez que c’est sans justice à l’égard du pauvre que les juges siègent en Israël.
Ce n’est pas en faveur du juste mais de celui qui est fort que l’on penche. Etre pauvre, être peuple,
cela veut dire subir l’oppression. Comment le peuple peut-il dire: ‘Celui qui nous juge est juste’ s’il
voit que seuls les puissants sont respectés et écoutés, tandis que le pauvre ne trouve personne qui
veuille l’entendre? Comment le peuple peut-il respecter le Seigneur s’il voit que ne le respectent pas
ceux qui en ont plus que d’autres le devoir? Est-ce respecter le Seigneur que de violer son
commandement? Et pourquoi, alors, en Israël ont-ils des propriétés et reçoivent des cadeaux des
publicains et des pécheurs, qui agissent ainsi pour avoir la bienveillance des prêtres, et ceux-ci
l’acceptent pour avoir un coffret bien garni?
C’est Dieu qui est l’héritage de ses prêtres. Pour eux, Lui, le Père d’Israël est plus père qu’aucun
autre père ne l’a jamais été, et Il pourvoit à leur nourriture comme il est juste. Mais, pas plus qu’il
ne soit juste. Il n’a promis aux serviteurs de son Sanctuaire ni richesses ni propriétés. Pendant
l’éternité, ils auront le Ciel pour récompenser leur justice, comme l’ont Moïse et Elie, et Jacob et
Abraham: mais sur cette terre ils ne doivent avoir qu’un vêtement de lin et un diadème d’or
incorruptible: pureté et charité. Le corps doit être le serviteur de l’esprit qui est serviteurs de Dieu
et permettent-ils, à l’ombre des murs sacrées, l’usure au détriment des frères d’Israël venus pour
obéir au commandement de Dieu? On m’a demandé de quelle école Je viens, et J’ai répondu: ‘De
l’école de Dieu’. Oui, Israël. Je viens te ramener à cette école sainte et immuable.
Qui veut connaître la Lumière, la Vérité, la vie, qui veut entendre la voix de Dieu parlant à son
peuple, qu’il vienne à Moi. Vous avez suivi Moïse à travers les déserts, ô vous d’Israël suivez-Moi
que Je vous conduise, à travers un désert bien plus triste, vers la vraie Terre bienheureuse. A travers
la mer qui s’ouvre au
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commandement de Dieu, c’est vers elle que Je vous entraîne. En levant mon Signe, Je vous guéris
de tout mal.
L’heure de la Grâce est venue. Ils l’ont attendue, les Patriarches, et ils sont morts en l’attendant.
Ils l’ont prédite, les Prophètes, et ils sont morts réconfortés par ce rêve. Maintenant, elle s’est levée.
Venez. ‘Le Seigneur va juger son peuple et faire miséricorde à ceux qui le servent’ comme Il a
promis par la bouche de Moïse.”
Les gens qui font cercle autour de Jésus sont restés, bouche bée à l’écouter. Puis, ils commentent
la parole du nouveau Rabbi et interrogent ses compagnons.
Jésus se dirige vers une autre cour séparée de celle-ci par un portique. Ses amis le suivent, et la
vision prend fin.
Jésus se trouve avec ses six disciples. Aussi bien la veille qu’aujourd’hui je ne vois plus Jude
Thaddée qui avait dit qu’il voulait venir à Jérusalem avec Jésus.
Ce doit être encore les fêtes pascales parce qu’il y a toujours grande affluence dans la Cité.
C’est vers le soir et beaucoup reviennent en hâte vers les maisons. Jésus aussi se dirige vers la
maison dont il est hôte. Ce n’est pas la maison du Cénacle. Elle se trouve à l’intérieur de la ville,
tout en étant à ses confins. Celle-ci est déjà une vraie maison rustique au milieu d’une oliveraie. De
la petite cour qui la précède, on voit les arbres qui descendent en rangées qui se suivent jusque vers
le bas de la colline. Ils s’arrêtent là où un petit torrent qui charries très peu d’eau s’en va à travers la
faille qui se trouve entre deux collines peu élevées. Le Temple est au sommet de l’une des deux; sur
l’autre, des oliviers à perte de vue. Jésus est tout en bas de cette agréable colline, qui s’élève en
pente douce avec tout l’agrément de ces arbres paisibles.
“Jean il y a deux hommes qui attendent ton ami” dit un hom
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me âgé qui doit être le fermier ou le propriétaire de l’oliveraie. On dirait que Jean le connaît.
“Où sont-ils? Qui sont ils?”
“Je ne sais, l’un est sûrement Juif. L’autre … je ne saurais … Je ne le lui ai pas demandé.”
“Où sont-ils?”
“Ils attendent dans la cuisine et … et … oui, voilà, il y en a encore un qui est couvert de plaies …
Je l’ai fait s’arrêter parce que … je ne voudrais pas qu’il soit lépreux… Il dit qu’il veut voir le
Prophète qui a parlé au Temple.”
Jésus, qui jusqu’à ce moment s’était tu, dit: “Allons d’abord trouver ce dernier. Dis aux autres de
venir s’ils veulent, je leur parlerai ici, dans l’oliveraie. “ Et il se tourne vers l’endroit indiqué par
l’homme.
“Et nous, que faisons-nous?” demande Pierre.
“Venez si vous voulez.”
Un homme, tout emmitouflé est adossé au muret rustique qui soutient une corniche, tout à coté de
la limite du domaine. Il a dû monter par un sentier qui le borde, en côtoyant le petit torrent. Quand il
voit Jésus qui vient vers lui, il crie: “Arrière, arrière! Mais aussi, pitié!” Et il se découvre le tronc en
laissant tomber son vêtement.
Si le visage est déjà couvert de crûtes, le tronc n’est qu’une mosaïque de plaies. Il y en a qui se
creusent profondément, d’autres comme des brûlures rouges, d’autres blanchâtres et translucides,
comme s’il y avait dessus du verre blanc.
“Tu es lépreux! Que veux-tu de Moi?”
“Ne me maudit pas! Ne me lapide pas! On m’a dit que hier soir tu t’es manifesté comme la voix
de Dieu et le Porteur de la Grâce. On m’a dit que tu as certifié qu’en élevant ton Signe, tu guéris
tout mal. Lève le sur moi. Je viens des tombeaux … là… J’ai rampé comme un serpent parmi les
ronces du torrent pour arriver ici sans être vu. J’ai attendu le soir pour le faire, parce que dans la
pénombre on voit moins bien ce que je suis. J’ai osé… j’ai trouvé cet homme de la maison, qui est
assez bon. I ne m’a pas tué. Il m’a dit seulement: ‘Attends contre le muret!’. Toi aussi, aie pitié” .
Jésus s’avance, Lui seul, car les six disciples et le propriétaire avec les deux inconnus restent loin en
manifestant clairement leur dégoût. Le lépreux dit encore: “ N’avance plus davantage! Pas plus! Je
suis souillé”
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Mais Jésus s’avance. Il le regarde avec une telle pitié que l’homme se met à pleurer. Il
s’agenouille, le visage presque à terre. Il gémit: “Ton Signe! Ton Signe!”
“Il s’élèvera à son heure. Mais à toi je dis: ‘Rélève-toi. Sois guéri. Je le veux. Et sois pour Moi un
signe dans cette cité qui doit me connaître. Lève-toi, je te le dis! Et ne pèche plus, par
reconnaissance pour Dieu!”
L’homme se lève, lentement, lentement. Il semble qu’il émerge du milieu des herbes hautes et
fleuries comme s’il se dégageait d’un linceul… Il est guéri. Il se regarde aux derrières clartés du
jour. Il est guéri. Il crie: “ Je suis guéri! Oh! Que dois-je faire maintenant pour Toi?”
“Obéir à la Loi. Va trouver le prêtre. Sois bon désormais. Va.”
L’homme esquisse un mouvement pour se jeter aux pieds de Jésus, mais il se rappelle qu’il est
encore impur aux yeux de la Loi; il se retient. Mais il se baise les mains et envoie le baiser à Jésus.
Il pleure de joie.
Les autres sont pétrifiés. Jésus tourne le dos au lépreux guéri et en souriant les secoue: “Amis, ce
n’était qu’une lèpre de la chair, mais vous verrez s’effacer la lèpre des coeurs. C’est vous qui voulez
me voir?” dit-il aux deux inconnus. “Me voici. Qui êtes-vous?”
“Nous t’avons entendu, l’autre soir…. Au Temple. Nous t’avons cherché par la ville. Quelqu’un
qui se dit ton parent nous a dit que tu étais ici.”
“Pourquoi me cherchez-vous?”
“Pour te suivre, si tu veux de nous, parce que Tu as des paroles de vérité.”
“Me suivre? Mais savez-vous où Je me dirige?”
“Non, Maître, mais certainement vers la gloire.”
“Oui, mais vers une gloire qui n’est pas de cette terre, vers ne gloire qui réside au Ciel et qui se
conquiert par la vertu et le sacrifice. Pourquoi voulez-vous me suivre?” demande-t-il de nouveau.
“Pour avoir part de ta gloire.”
“Selon le Ciel?”
“Oui, selon le Ciel.”
“ Ce n’est pas tout le monde qui peut y arriver. Parce que Mammon tend des pièges, et à ceux qui
désirent le Ciel, plus qu’aux autres. Celui-là seul résiste dont la volonté est forte. Pourquoi me
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suivre, si me suivre implique une lutte continuelle avec l’ennemi qui est en nous, avec le monde
ennemi, avec l’Ennemi qui est Satan?”
“Parce que, c’est notre esprit qui nous y porte, notre esprit qui est resté ta conquête. Tu es saint et
puissant, nous voulons être tes amis.”
“Amis!!!” Jésus se tait et soupire. Puis il regarde fixement celui qui à toujours parlé et qui
maintenant a laissé tomber le manteau qui lui couvrait la tête, la laissant maintenant découverte.
C’est Jude de Kériot. “Qui es-tu qui parles mieux qu’un homme du peuple?”
“Je suis Jude de Simon. Je suis de Kériot, mais je suis du Temple, J’attends le Roi des Juifs, c’est
mon rêve. Roi, j’ai reconnu à ta parole que tu l’étais. Roi, je t’ai reconnu à ton geste. Prends-moi
avec Toi!”
“ Te prendre? Maintenant? Tout de suite? Non.”
“Pourquoi, Maître?”
“Parce qu’il vaut mieux se jauger soi-même, avant de prendre une route très escarpée.”
“Tu ne crois pas à ma sincérité?”
“Tu l’as dit. De ta part, je crois à une impulsion, mais je ne crois pas à ta constance. Réfléchis,
Judas. Maintenant je pars et je reviendrai pour la Pentecôte. Si tu es du Temple, tu me verras. Rend-
moi compte de ce dont tu es capable…. Et toi, qui es tu?” demande-t-il ai second inconnu.
“Un autre qui t’a vu. Je voudrais être avec Toi. Mais maintenant cela m’effraye.”
“ Non, la présomption, c’est la ruine. La crainte peut être un obstacle, mais si elle vient de
l’humilité, elle est un aide. Ne crains pas. Toi aussi, réfléchis et quand je viendrai…”
“Maître, tu es tellement saint! J’ai peur de n’être pas digne. Rien d’autre. Parce que, pour ce qui
est de mon amour, je n’ai pas de crainte…”
“Comment t’appelles-tu?”
“Thomas, surnommé Didyme.”
“Je me rappellerai ton nom. Va en paix.”
Jésus les congédie et rentre dans la maison hospitalière pour le souper. Les six qui sont avec Lui
veulent lui poser beaucoup de questions.
“Pourquoi, Maître, as-tu fait une différence entre les deux?… Par-
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ce que il y a eu une différence. Tous deux obéissent à une même impulsion…” demande Jean.
Mon ami, parce que la même impulsion peut n’avoir pas la même saveur. Bien sûr que les deux
ont eu la même impulsion, mais elle ne tend pas au même but. C’est celui qui a paru moins parfait
qui l’est davantage car il n’a pas en lui le désir fiévreux de la gloire humaine. Il m’aime parce qu’il
m’aime.”
“Moi aussi!”
“Et moi de même.”
“Et moi.”
“Et moi. “
“Et moi.”
“Et moi.”
“Je le sais. Je vous connais pour ce que vous êtes.”
“Nous sommes donc parfaits?”
“Oh! Non! Mais, comme Thomas, vous le deviendrez si vous persistez dans votre volonté
d’amour. Parfaits!? Oh! Amis! Et qui est parfait hormis Dieu?”
“Toi tu l’es!”
“ En vérité, je vous dis que pour Moi, je ne suis pas parfait si vous ne voyez en Moi qu’un
prophète. Aucun homme n’est parfait. Mais je suis parfait, Moi, car Celui qui vous parle est le
Verbe du Père. Elle est en Dieu, sa Pensée, qui se fait Parole. J’ai la Perfection en Moi et c’est cela
que vous devez croire si vous croyez que je suis le Verbe du Père. Et pourtant, vous le voyez, amis,
je veux qu’on m’appelle le Fils de l’homme, car je m’anéantis Moi-même, en prenant sur Moi
toutes les misères de l’homme, pour les porter –c’est ma première croix- et les supprimer après les
avoir portées, mais sans qu’elles m’aient atteint. Quel poids, mes amis! Mais je l’apporte avec joie,
C’est ma joie
Jésus parle doucement, assis à la pauvre table avec ses mains qui font des gestes paisible, la figure
un peu penchée, éclairée en dessous par la petite lampe à huile posée sur la table. Il sourit
légèrement. C’est déjà le Maître qui s’impose et dont les traits respirent tant d’amitié. Les disciples
l’écoutent, attentifs.
“Maître… pourquoi ton cousin qui savait où tu habites n’est-il pas venu?”
“ Mon Pierre…! Tu seras une de mes pierres, la première,. Mais
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toutes les pierres ne se prêtent pas facilement à l’emploi. Tu as vu les marbres du palais du
prétoire? Arrachés péniblement aux flancs de la montagne, ils font maintenant partie du Prétoire.
Regarde, par contre, ces cailloux qui brillent là aux rayons de la lune au fond des eaux du Cédron.
Ils sont arrivés d’eux-mêmes dans le lit du torrent et si on le veut, voilà qu’ils se laissent tout de
suite prendre. Mon cousin est comme les premières pierres dont je parle… Le flanc de la montagne:
la famille me le dispute.”
“Mais moi, je veux être tout à fait comme les pierres du torrent. Pour Toi, je suis prêt à tout laisser,
la maison, l’épouse, la pêche, les frères. Tout, mon Maître, pour Toi.”
“Je le sais, Pierre, c’est pour cela que je t’aime, mais Judas aussi viendra.”
“Qui? Judas de Kériot? Je n’y tiens pas, c’est un beau monsieur mais … Je préfère … Oui, je
préfère moi-même…”
Tout le monde rit de la sortie de Pierre.
“Il n’y a pas de quoi rire. Je veux dire que je préfère un simple galiléen, un pêcheur nature mais
franc à … aux citadins qui … Je ne sais pas. Voilà, mais le Maître comprend ce que je veux dire.”
“Oui, je comprends, mais ne juge pas. Nous avons besoin l’un de l’autre, sur la terre, et les bons
sont mélangés aux mauvais comme les fleurs dans un champ: la ciguë est à coté de la mauve
bienfaisante.”
“Je voudrai demander une chose…”
“Quoi, André?”
“Jean m’a raconté le miracle que Tu as fait à Cana… Nous espérons tant que Tu en fasses un à
Capharnaüm… Et Toi Tu nous a dit que Tu ne faisais pas de miracles sans avoir auparavant
accompli la Loi. Pourquoi alors à Cana? Pourquoi là et pas dans ta patrie?”
“Toute obéissance à la Loi est union à Dieu et donc accroissement de notre pouvoir. Le miracle
est la preuve de l’union à Dieu, de la présence bienveillante de Dieu et de son accord avec nous.
C’est pour cela que j’ai voulu remplir mon devoir d’israélite avant de commencer la série des
prodiges.”
“Mais Tu n’étais pas tenu à observer la Loi.”
“Pourquoi? Comme Fils de Dieu, non, Mais comme fils de la Loi, si. Israël, pour l’heure, ne me
connaît pas comme tel… Et même après, presque tout Israël me connaîtra comme tel, comme
moins, encore. Mais je ne veux pas donner de scandale à Israël
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et j’obéis à la Loi.”
“Tu es saint.”
“La sainteté n’exclut pas l’obéissance, mais au contraire la perfectionne. Il y a l’exemple à
donner, en plus du reste. Que dirais-tu, d’un père, d’un frère aîné, d’un maître, d’un prêtre qui ne
donneraient pas le bon exemple?”
“Et Cana alors?”
“ Cana c’était la joie qu’il fallait donner à ma Mère. Cana c’est un acompte de ce qui est dû à ma
Mère. C’est Elle qui la première à apporté la Grâce. Ici, j’honore la Coté Sainte en y inaugurant
publiquement ma puissance de Messie, mais là-bas, à Cana, je devais l’honneur à la Sainte de Dieu,
à la Toute Sainte. C’est par Elle que le monde m’a eu. Il est juste que ce soit Elle qu’aille mon
premier prodige en ce monde.”
On frappe à la porte.
C’est Thomas, de nouveau. Il entre et se jette aux pieds de Jésus. “Maître, je ne peux attendre ton
retour. Laisse-moi avec Toi. Je suis plein de défauts, mais j’ai cet amour, seul, grand, vrai, mon
trésor. Il est à Toi. Il est pour Toi. Et garde-moi, Maître…”
Jésus lui met la main sur la tête. “Reste, Didyme. Suis-moi. Bienheureux ceux qui sont sincères et
ont une volonté tenace. Vous êtes bénis. Vous m’êtes plus que les parents car vous êtes pour Moi
des fils et des frères non selon le sang qui est mortel, mais selon la volonté de Dieu et la volonté de
votre esprit. Maintenant Je vous dis qu’il n’y a pas de parenté plus étroite que celle de celui qui fait
la volonté de mon Père et vous la faites, parce que vous voulez le bien.”
Ainsi se termine la vision.
[…]
79
18. THOMAS DEVIENT DISCIPLE
[Ce matin, revenant d’un très lourd sommeil de plusieurs heures, pendant que je prie en attendant
le jour, j’ai la reprise de la vision. Je dis la reprise car ]
… nous sommes encore dans le même endroit: la cuisine, large et basse aux murs enfumés, à
peine éclairée par une petite lampe à huile posée sur la table rustique, longue et étroite à laquelle
sont assis huit personnes: Jésus et ses disciples, et en plus le maître de la maison, quatre de chaque
coté.
Jésus est encore tourné sur son tabouret à trois pieds et sans dossier, vrai mobilier rustique. Jésus
parle encore avec Thomas. La main de Jésus est descendue sur l’épaule du nouveau venu. Jésus dit:
“Lève-toi, ami. As-tu soupé?”
“Non, Maître. J’ai fait quelques mètres avec l’autre qui m’accompagnait et puis je l’ai laissé,
revenant sur mes pas, lui disant que je voulais parler au lépreux guéri… J’ai lui dit cela car je
pensais qu’il aurait dédaigné de s’approcher d’un homme impur. J’avais deviné. Mais moi, c’était
Toi que je cherchais, pas le lépreux… Je voulais Te dire: ‘Prend-moi” … J’ai tourné autour de
l’oliveraie jusqu’à ce qu’un jeune homme m’a demandé ce que je faisais. Il a dû me prendre pour
un individu mal intentionné.. Il était près d’une borne, là où commence la propriété.”
Le maître delà maison sourit. “C’est mon fils” explique-t-il ensuite, et il ajoute: “Il monte la
garde au pressoir. Nous avons dans des caves, sous le pressoir presque toute la récolte de l’année.
Elle a été excellente. Elle a produit beaucoup d’huile. Quand il y a foule, il s’y mêle des malandrins
qui cambriolent les endroits qui ne sont pas gardés. Il y a huit ans exactement à la Parascève, ils
nous ont tout volé. Depuis lors, chacun à notre tour nous prenons la garde de nuit. La mère est allée
lui porter le souper.”
“Eh bien, il m’a dit: ‘Que veux tu?’, il me l’a dit sur un ton que, pour me garantir les épaules des
coups de bâton, je me suis vite expliqué: ‘Je cherche le Maître qui habite ici’. Il m’a alors répondu:
‘Si c’est vrai ce que tu dis, viens à la maison’. Et il m’a accompagné jusqu’ici. C’est lui qui a frappé
à la porte et il s’en est allé quand il a entendu mes premières paroles.”
“Tu habites loin?”
“Je loge de l’autre côté de la ville, tout près de la Porte Orientale.”
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“Tu es seul?”
“J’étais avec les parents. Mais ils sont allés chez d’autres parents sur la route de Bethléem. Je suis
resté pour te chercher nuit et jour, jusqu’à ce que je te trouve.”
Jésus sourit et dit: “Alors, personne ne t’attend?”
“ Non, Maître.”
“La route est longue, la nuit est noire. Les patrouilles romaines sillonnent la ville. Je te dis: si tu
veux, reste avec nous.”
“Oh! Maître!” Thomas est heureux.
“Faites-lui place, vous. Et donnez tous quelque chose au frère.”
Sur sa part, Jésus prélève la portion de fromage qui était devant lui. Il explique à Thomas: “Nous
sommes pauvres, et le repas est presque fini, mais c’est de tout coeur que tout le monde t’offre.”
A Jean, assis a côté de Lui, il dit: “Cède ta place à l’ami.”
Jean se lève tout de suite et va s’asseoir au coin de la table, à coté du patron.
“Assieds-toi, Thomas, mange. Puis à tous: “C’est ainsi que toujours vous ferez, amis, pour
pratiquer la loi de la charité. Le pèlerin est déjà protégé par la Loi de Dieu. Mais maintenant en mon
nom, vous devrez l’aimer encore davantage. Quand quelqu’un vient vous demander un pain, un
abri, une gorgée d’eau, au nom de Dieu, donnez-le, au nom de Dieu aussi. Et Dieu vous en
récompensera. Cela, vous devez le faire avec tous, même avec les ennemis. C’est la Loi nouvelle.
Jusqu’à maintenant, il vous était dit: ‘Aimez ceux qui vous aiment et haïssez vos ennemis.’ Mais
Moi je vous dis: ‘Aimez même ceux qui vous haïssent’. Oh! Si vous saviez comme vous serez
aimés de Dieu si vous aimez comme je vous dis! Quand quelqu’un peut dire: ‘Je veux être votre
compagnon dans le service du Seigneur, le Dieu Véritable et suivre son Agneau’ alors, il doit vous
être plus cher qu’un frère de même sang, parce que vous serez uni par un lien éternel: celui du
Christ.”
“Mais si ensuite on s’aperçoit que quelqu’un n’est pas sincère? Dire: ‘Je veux faire ceci et cela’
c’est facile. Mais la parole ne correspond pas toujours à la vérité” dit Pierre plutôt fâché. Je ne sais
pas, il n’a pas son humeur, à l’ordinaire joviale.
“Pierre, écoute. Tu parles avec bon sens et justice. Mais, vois: il vaut mieux pécher par bonté
d’âme et par confiance, que par défiance et dureté. Si tu fais du bien à un indigne, quel mal en
résultera pour toi? Aucun. Mais, au contraire, la récompense de
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Dieu sera pour toi toujours fidèle, pendant que l’autre aura le démérite d’avoir trahi la confiance.”
“Aucun mal? Eh! Il arrive, des fois qu’un indigne ne s’arrête pas à l’ingratitude, mai il va plus
loin et arrive aussi à nuire à la réputation, au patrimoine, à la vie elle même.”
“C’est vrai. Mais cela diminuerait-t-il ton mérite? Non. Même si tout le monde ajoutait foi aux
calomnies, même si le cruel t’enlevait la vie, qu’est ce qui serait changé aux eux de Dieu? Rien. L y
aurait pour toi un changement, mais en mieux, au mérite de la bonté s’ajouteraient les mérites d’un
martyre de l’esprit, de la perte de ton bien, de la perte de la vie.”
“Bien, bien! Ce sera comme ça.” Pierre ne parle plus. Boudeur, il reste la tête appuyée sur la
main.
Jésus se tourne vers Thomas: “Ami, je t’ai dit d’abord dans l’oliveraie: ‘Quand je reviendrai de
ma tournée, si tu veux encore, tu seras mien’. Maintenant je te dis: ‘Es tu disposé faire plaisir à
Jésus?”
“Sans aucun doute.”
“Mais si ce plaisir peut te demander un sacrifice?”
“Rien ne me coûtera pour te servir. Que veux Tu?”
“Je voulais te dire… mais si tu as des relations, des affections…”
“Rien! Rien! J’ai Toi, parle.”
“Ecoute. Demain dès l’aube, le lépreux quittera les tombeaux pour trouver quelqu’un qui avertisse
le prêtre. Tu commenceras par aller aux tombeaux. C’est charité, et puis tu dira à haute voix: ‘Toi,
qui hier as été purifié, viens dehors. Celui qui m’envoie chez toi, c’est Jésus de Nazareth, le Messie
d’Israël. Celui qui t’a guéri.” Fais en sorte que le monde des ‘morts vivants’ connaisse mon Nom
et frémisse d’espérance. Que celui qui a l’espérance jointe à la Foi, vienne à Moi, pour que je le
guérisse. C’est la première manifestation de la pureté que j’apporte, de la résurrection dont j’ai la
maîtrise. Un jour, je donnerai une pureté plus profonde… Un jour les tombeaux scellés vomiront
les vrais morts qui apparaîtrons pour rire, de leurs yeux vides, de leur mâchoires décharnées pour la
joie lointaine, et pourtant ressentie par les squelettes, des esprits libérés de l’attente des Limbes. Ils
apparaîtront pour rire de cette libération et pour frémir en sachant à quoi ils doivent … Toi, va. Il
viendra vers toi. Tu feras ce que lui te demandera de faire, tu l’aideras en tout comme si c’était
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ton frère. Et tu lui diras: ‘Quand tu seras totalement purifié, nous irons ensemble sur la route du
fleuve au delà de Doco et Efraïm. Là le Maître t’attend et m’attend pour nous dire en quoi nous
devons le servir’.”
“Je ferai cela. Et l’autre?”
“Qui? L’Iscariote?”
“Oui, Maître.”
“ Pour lui, dure mon conseil. Laisse-le se décider de lui-même et réfléchir longtemps. Evite même
de le rencontrer.”
“Je resterai près du lépreux. Dans la vallée des tombeaux, il n’y a que les impurs qui se déplacent
ou ceux qui s’en approchent par pitié.”
Pierre bougonne quelque chose. Jésus l’entend.
“Pierre, qu’est ce que tu as? Tu te tais ou murmures. Tu sembles mécontent. Pourquoi?”
“Je le suis. Nous sommes les premiers et Toi, tu ne nous fais pas cadeau d’un miracle. Nous
sommes les premiers et Toi, tu fais asseoir près de Toi, un étranger. Nous sommes les premiers et
Toi, à lui Tu confies des charges, mais pas à nous. Nous sommes les premiers et … oui, voilà
exactement, il semble que l’on soit les derniers. Pourquoi les attends-tu sur le chemin du fleuve?
Sûrement pour leur donner quelque mission. Pourquoi à eux et pas à nous?”
Jésus le regarde. Il n’est pas fâché. Il lui sourit même, comme on sourit à un enfant. Il se lève, va
lentement vers Pierre, lui met la main sur l’épaule et lui dit en souriant: “Pierre, Pierre! Tu es un
grand vieux bambin!” et à André, assis près de son frère, il lui dit: “Va à ma place.” Et s’assied à
côté de Pierre, lui met un bras sur les épaules et lui parle en le tenant ainsi contre son épaule:
“Pierre, il te semble que je commet une injustice, mais ce n’est pas une injustice, mais ce n’est pas
une injustice que je fais. C’est au contraire la preuve que je sais ce que vous valez. Regarde. Qui a
besoin d’être mis à l’épreuve? Celui qui encore n’est pas sûr. Eh! Bien! Je vous savais si sûrs de
Moi, que je n’ai pas éprouvé le besoin de vous donner des preuves de ma puissance. Ici, à
Jérusalem, il faut des preuves là où le vice, l’irréligion, la politique, tant de choses du monde
obscurcissent les esprits au point qu’ils ne peuvent voir la Lumière qui passe. Mais là-bas, sur notre
lac, si pur, sous un ciel si pur aussi, là parmi des gens honnêtes et désireux de bien, les preuves ne
sont pas nécessaires. Vous les aurez, les miracles. A pleins fleuves,
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je verserai sur vous les grâces. Mais, regarde comme je vous ai estimés. Je vous en pris sans exiger
de preuves et sans éprouver le besoin de vous en donner, parce que je sais qui vous êtes: chers,
tellement chers, pour Moi et tellement fidèles.”
Pierre retrouve sa sérénité: “Pardonne-moi, Jésus.”
“ Oui, je te pardonne, car ta bouderie, c’est de l’amour. Mais, n’ais plus d’envie, Simon fils de
Jonas. Sais-tu que ce qu’est le coeur de ton Jésus? Tu n’as jamais vu la mer, la vraie mer? Si? Eh
bien, mon coeur est bien plus vaste que son étendue. Il y a de la place pour tous. Pour toute
l’humanité. Et le plus petit y a place comme le plus grand. Et le pécheur y trouve l’amour comme
l’innocent. A ceux-ci je donne une mission. Bien sûr. Veux-tu m’empêcher de la leur donner? Je
vous ai choisis, et non pas vous Moi. Je suis donc libre de jouer comment je dois vous employer. Et
si ceux-ci je les laisse ici avec une mission –qui peut être aussi une épreuve comme peut être une
miséricorde le laps de tempe laissé à l’Iscariote- peux-tu m’en faire reproche? Sais-tu si à toi je n’en
réserve pas une plus importante? Et n’est-ce pas la plus belle preuve d’amour que t’entendre dire
‘Tu viendras avec Moi’”
“C’est vrai, c’est vrai. Je suis une bête. Pardon!”
“Oui. Je pardonne tout et chaque chose. Oh! Pierre… mais, je vous en prie tous: ne discutez
jamais sur les mérites et sur les places. J’aurais pu naître roi. Je suis né pauvre, dans une étable.
J’aurais pu être riche. J’ai vécu de mon travail et maintenant de charité. Et pourtant, croyez-le, amis,
personne n’est plus grand aux yeux de Dieu que Moi. De Moi-même, qui suis ici: serviteur de
l’homme.”
“Toi serviteur? Non, jamais!”
“Pourquoi, Pierre?”
“Parce que c’est moi qui te servirai.”
“Même si tu me servais comme une mère soigne son enfant, je suis venu pour servir l’homme.
Pour lui je serai Sauveur. Quel service comparable à celui-là?”
“Oh! Maître! Tu expliques tout. Et ce qui était obscur se fait tout à coup lumineux!”
“Content, maintenant, Pierre? Alors laisse-moi finir de parler à Thomas. Es-tu certain de
reconnaître le lépreux? Il n’y a que lui de guéri. Mais il pourrait bien être déjà parti à la lueur des
étoiles pour trouver un voyageur complaisant. Et un autre, désirant entrer dans la ville pour voir des
parents, peut-être qu’il pour-
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rait se substituer à lui. Voici son portrait. J’étais tout à côté de lui, et au crépuscule, je l’ai bien
observé. Il est grand et maigre. Il a le teint foncé d’un sang mêlé, des yeux profonds et très noirs
sous de sourcils blancs comme la neige, des cheveux couleur de lin et putôt frisés, un nez long épaté
à l’extrémité, comme les Libyens, des lèvres épaisses surtout l’inférieure et proéminentes. Au front,
une vieille cicatrice est restée et ce sera l’unique tache, maintenant qu’il est purifié des croûtes et
des crasses.”
“C’est un vieux, il est tout blanc.”
“Non, Philippe, il semble, mais il ne l’est pas. C’est la lèpre qui l’a blanchi.”
“Qu’est-ce qu’un sang mêlé?”
“Peut-être, Pierre. Il rassemble aux populations d’Afrique.”
“Sera-t-il Israélite, alors?”
“Nous le saurons, mais s’il ne l’était pas?”
“Eh! S’il ne l’était pas, il pourrait s’en aller. C’est déjà beaucoup d’avoir eu la chance d’être
guéri.”
“Non, Pierre. Même s’il était idolâtre, Moi, je ne le chasserais pas. Jésus est venu pour tout le
monde. Et en vérité je te le dis que les peuples des ténèbres surpasseront les fols du peuple de la
Lumière…”
Jésus soupire. Puis il se lève. Il rend grâce au Père en récitant une hymne et il bénit.
La vision cesse ainsi.
[Je fais remarquer en passant que celui qui m’avertit intérieurement m’a dit, dès hier soir, quand je
regardais le lépreux: ‘C’est Simon, l’apôtre. Tu verras son arrivée et celle de Thaddée auprès du
Maître.” Ce matin, après la Communion (c’est vendredi) j’ouvre le missel et je vois que c’est
exactement aujourd’hui la vigile de la fête des saints Simon et Jude, et l’Evangile de demain parle
justement de la charité en répétant presque les paroles que j’ai entendues à la première vision. Jude
Thaddée, cependant, pour l’instant je ne l’ai pas vu.]
Vous êtes vraiment belles, rives du Jourdain, comme vous l’étiez au temps de Jésus! Je vous
regarde et je me délecte de la majestueuse paix de vos flots vert azur où le bruit des eaux et
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la fraîcheur des frondaisons chante comme une douce mélodie.
Je suis sur une route assez large et bien entretenue. Ce doit être un chemin de grande
communication, ou mieux, une route militaire, que les romains ont ouverte pour relier les
différentes régions à la capitale. Elle court près du fleuve, mais pas exactement le long du fleuve.
Elle en est séparée par une bande boisée qui, je crois, sert à consolider les berges et résister aux
eaux en période de crues. Sur l’autre côté de la route, le bois continu en sorte que le chemin parait
une galerie naturelle au-dessus de laquelle s’entrelacent les branches touffues. Repos agréable pour
les voyageurs dans ce pays de grand soleil!
Le fleuve, et conséquemment la route, au point où je me trouve, forme un arc de faible courbure
en sorte que je vois la suite de la berge couverte de frondaisons qui forment comme un mur de
verdure qui enclôt un bassin d’eaux tranquilles. On dirait un lac de parc seigneurial. Mais l’eau
n’est pas l’eau immobile d’un lac. Elle coule, bien que lentement, ce que montre le bruissement de
l’eau en bas sur la grève et les longs rubans ondulants des feuilles qui pendent à la surface de l’eau
et que le courant met en mouvement. Il y a aussi un groupe de saules pleureurs qui laissent aller
dans le fleuve l’extrémité de leur verte chevelure. Il semble la peigner en la caressant
gracieusement, l’étirant doucement au fil du courant.
Silence et paix à cette heure matinale. Seuls les chants et les appels des oiseaux, le bruissement de
l’eau sur les feuillages et l’éclat des gouttes de rosée sur l’herbe verte et longue qui pousse entre les
arbres que le soleil d’été n’a pas durcie ni jaunie, mais qui est tendre et toute nouvelle. Elle est née
après les premières pluies printanières qui ont nourri la terre, jusqu’au plus profond, de fraîcheur et
de principes fertilisants.
Trois voyageurs sont arrêtés à ce tournant de la route, exactement au sommet de l’arc. Ils
regardent en haut et en bas, au sud vers Jérusalem et au nord vers SaMarie. Ils cherchent entre les
troncs d’arbres pour voir s’il arrive quelqu’un qu’ils attendent.
Ce sont Thomas, Jude Thaddée, et le lépreux guéri. Ils parlent.
“Tu ne vois rien?”
“Moi? Non!”
“Ni moi non plus.”
“Et pourtant, c’est bien l’endroit convenu.”
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“ En es-tu sûr?”
“Sûr, Simon. Un des six m’a dit pendant que le Maître s’éloignait au milieu des acclamations de
la foule après le miracle d’un mendiant estropié guéri à la porte des Poissons: ‘Maintenant nous
sortons de Jérusalem. Attend-nous à cinq milles entre Jéricho et Doco, à la courbe du fleuve, le long
de l’avenue’. Celle-ci. Il dit aussi: ‘Nous y serons d’ici trois jours, à l’aurore’. C’est le troisième
jour, et la quatrième veille nous a trouvé ici.”
“Il viendra? Peut-être aurait-il mieux valu le suivre depuis Jérusalem.”
“Tu ne pouvais encore venir à travers la foule, Simon.”
“Si mon cousin a dit de venir ici, il y viendra. Il tient toujours ses promesses. Il n’y a que
attendre.”
“As-tu été toujours avec Lui?”
“Toujours. Depuis son retour à Nazareth, il y a toujours été pour moi un bon compagnon.
Toujours ensemble. Nous sommes du même âge, moi un peu plus vieux. Et puis, j’etais le préféré
de son père, frère de mon père. Et puis aussi sa Mère m’aimait bien. J’ai grandi plus avec Elle
qu’avec ma mère.”
“Elle t’aimait … Est ce que maintenant Elle ne t’aime plus autant?”
“Oh! Si! Mais nous sommes un peu divisés du moment où Lui s’est fait prophète. Cela n’a pas
fait plaisir à mes parents.”
“Quels parents?”
“Mon père et les deux aînés. L’autre est hésitant… Mon père est très vieux, et je n’ai pas eu le
coeur de le mécontenter. Mais maintenant… maintenant, ce n’est plus la même chose. Maintenant,
je vais là où mon coeur et mon esprit se trouvent attirés. Je vais vers Jésus. Je ne crois pas offenser
la Loi en agissant ainsi. Mais, déjà… ci ce n’était pas juste, ce que je venu faire, Jésus me le dirait.
Je ferai ce qu’il me dit. Un père a-t-il le droit de s’opposer à un fils qui cherche le bien? Si j’ai
conscience que là c’est mon salut, pourquoi m’empêcher d’y arriver? Pourquoi les pères sont-ils
alors pour nous des ennemis?”
Simon soupire comme si on lui rappelait de tristes souvenir. Il baisse la tête, mais ne parle pas.
Thomas, au contraire, répond: “J’ai déjà franchit l’obstacle. Mon père m’a écouté et m’a compris.
Il m’a béni en disant: ‘Va! Que cette Pâque soit pour toi la libération de l’esclavage de l’attente.
Heureux, toi, qui peux croire. Pour moi, j’attends. Mais si c’est
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bien ‘Lui’ et tu t’en apercevras en le suivant, viens vers ton vieux père pour lui dire: ,Viens! Israël
possède l’Attendu’.”
“ Tu as plus de chance que moi! Et dire que nous avons vécu à ses côtés!… et que nous ne
croyons pas, nous qui sommes de sa famille!… Et que nous disons ou plutôt qu’ils disent: Il a perdu
la tête!”
“Voilà, voilà un groupe de personnes” crie Simon. “C’est Lui, c’est Lui! Je reconnais sa tête
blonde. Oh! Venez! Courons!”
Ils se mettent à marcher rapidement vers le sud. Les arbres, maintenant qu’ils ont rejoint le
sommet de l’arc cachent la suite de la route, de façon que les deux groupes se trouvent en face l’un
de l’autre, au moment où ils s’y attendaient le moins. On dirait que Jésus sorte du fleuve parce qu’il
se trouve entre les arbres de la berge.”
“Maître!”
“Jésus!”
“Seigneur!”
Les trois cris du disciple, du cousin, du miraculé retentissent exprimant l’adoration et la joie.
“Paix à vous” Voilà la belle voix, qui ne peut se confondre avec une autre, pleine, sonore,
paisible, expressive, nette, virile, douce et pénétrante. “Toi aussi, Jude mon cousin?”
Ils s’embrassent. Jude pleure.
“Pourquoi ces larmes?”
“O! Jésus! Je veux rester avec Toi!”
“Je t’ai toujours attendu. Pourquoi n’es-tu pas venu?”
Jude baisse la tête et se tait.
“Ils n’ont pas voulu! Et maintenant?”
“ Jésus, moi … moi, je ne peux leur obéir. Je ne veux obéir qu’à Toi seul.”
“Mais Moi, je ne t’ai pas donné d’ordre.”
“Non. Toi non; mais c’est ta mission qui commande. C’est Celui qui t’a envoyé qui parle ici, au
milieu de mon coeur et qui me dit: ‘Va vers Lui’. C’est Celle qui t’a engendré et qui m’a été une
douce maîtresse, qui de son regard de colombe me dit, sans paroles: ‘Sois à Jésus’. Puis-je, moi, ne
pas tenir compte de cette voix que d’en Haut qui me pénètre le coeur? De cette prière d’une Sainte
qui, sûrement, me supplie pour mon bien? Alors, que je suis ton cousin, par Joseph, ne dois pas te
connaître pour ce que Tu es alors que le Baptiste t’a reconnu, lui qui ne t’avait ja-
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mais vu, ici, sur les rives de ce fleuve et t’a salué ‘Agneau de Dieu’? Et moi, moi qui ai grandi avec
Toi, qui me suis rendu bon en te suivant, moi qui suis devenu fils de la Loi grâce à ta Mère et qui ai
aspiré en moi, non seulement les 613 préceptes des rabbins, en plus de l’Ecriture et des prières, mais
leur âme à eux tous, je ne devrais être capable de rien?”
“Et ton père?”
“Mon père? Il ne lui manque pas le pain, ni l’assurance… et puis, Tu m’as donné l’exemple. Tu as
pensé au bien du peuple plutôt qu’au bien particulier de Marie. Et Elle est seule. Dis-moi, Toi, mon
Maître, n’est-il pas permis, sans manquer de respect à un père lui dire: ‘Père, je t’aime. Mais au-
dessus de toi, il y a Dieu, et je Le suis’?”
“Jude, parent et ami, je te le dis: tu es très avancé sur le chemin de la Lumière. Viens. Il est permis
de parler ainsi à son père quand c’est Dieu qui appelle. Il ni a rien au dessus de Dieu. Même les lois
du sang disparaissent, ou plutôt se subliment parce que, avec nos larmes, nous donnons à nos
parents, aux mères un plus grand secours, et pour un but éternel auprès duquel ne compte pas la
journée du monde. Avec nous, nous les attirons vers le Ciel et, par la même voie du sacrifice des
affections, vers Dieu. Reste donc, Jude, je t’ai attendu et je suis heureux de t’avoir de nouveau, ami
de ma vie de Nazareth.”
Jude est profondément ému.
Jésus se retourne vers Thomas: “Tu as obéi fidèlement. Première vertu du disciple.
“Je suis venu pour être fidèle.”
“Et tu le seras. Je te le dis. Viens, toi qui reste tout honteux dans l’ombre. Ne crains pas.”
“Mon Seigneur!” L’ancien lépreux est aux pieds de Jésus.
“Lève-toi. Ton nom?”
Simon.”
“Ta famille?”
“Seigneur… elle était puissante… moi aussi j’étais considéré… Mais rancoeur de sectes et …
erreurs de jeunesse, ont blessé sa puissance. Mon père … Oh! Je dois parler contre lui qui m’a coûté
des larmes qui ne venaient pas du ciel! Tu le vois, tu as vu quel cadeau il m’a fait!”
“Il était lépreux?”
“Pas lépreux, moi non plus, mais atteint d’une maladie qui porte
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un autre nom et que nous, d’Israël nous classons avec les diverses lèpres…. Lui … alors sa maison
était encore puissante, il a vécu et il est mort, considéré dans sa maison. Moi … si tu ne m’avais pas
sauvé, je serais mort au milieu des tombeaux.”
“Tu es seul?”
“Seul. J’ai un serviteur fidèle qui prend soin de ce qui me reste. Je l’ai fait prévenir.”
“Ta mère?”
“Elle … est morte.” L’homme paraît gêné.
Jésus l’observe attentivement. “Simon, tu m’as dit: ‘Que dois-je faire pour Toi?’ Maintenant, Je te
dis: ‘Suis-Moi.”
“Tout de suite, Seigneur! … mais … mais moi … Laisse-moi te dire une chose. Je suis, on
m’appelait ‘Zélote’ à cause de la caste à laquelle j’appartenais et ‘Cananéen’ à cause de ma mère.
Tu vois. Je suis de baisse condition. En moi, j’ai du sang d’esclave. Mon père n’avait pas de fils de
sa femme légitime, et il m’eut d’une esclave. Son épouse, une brave femme m’éleva comme son fils
et eut soin de moi au milieu de mes innombrables maladies, jusqu’à la mort.”
“Il n’y a pas aux yeux de Dieu d’esclaves ni d’affranchis. Il n’y a, à ses yeux, qu’un seul
esclavage: le péché. Et Je suis venu le supprimer. Je vous appelle tous, parce que le Royaume
appartient à tous. Es-tu cultivé?”
“Je suis cultivé. Je tenais aussi mon rang parmi les grands. Tant que le mal fut caché sous les
vêtements. Mais quand il parut à la vue… Mes ennemis furent heureux à l’utiliser pour me confiner
parmi les ‘morts’. En effet comme le dit un médecin romain de Césarée, que je consultai, mon mal
n’était pas la vrai lèpre, mais un serpigo héréditaire, il me suffisait donc de ne me pas procréer pour
ne pas le propager. Puis-je, moi, ne pas maudire mon père?”
“Tu ne dois pas le maudire. Il t’a causé toutes sortes de maux..”
“Oh! Oui! Il a dilapidé le patrimoine. Il était vicieux, cruel, sans coeur, sans affection. Il m’a
refusé la santé, les caresses, la paix. Il m’a marqué d’un nom qui me fait mépriser et m’a transmis
une maladie déshonorante…. Il s’est rendu maître de tout, même de l’avenir de son fils. Il m’a tout
enlevé, même la joie d’être père.”
“Pour cette raison, Je te dis: ‘Suis-Moi’. A mes côtés. À ma suite, tu trouveras un père et des fils.
Elève ton regard, Simon.
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Là, le vrai Père te sourit. Porte ton regard sur l’étendue de a terre, sur les continents, à travers les
pays. Il y a là des fils et des fils; fils spirituels pour tous ceux qui n’ont pas d’enfants. Ils t’attendent
et en attendent beaucoup comme toi. Sous mon Signe, il n’y a plus d’abandons. En mon Signe, il
n’y a plus de solitude, ni de différences. C’est le Signe d’amour. Et il donne l’amour. Viens, Simon,
qui n’as pas eu de fils. Viens Jude, qui perd ton père pour mon amour. Je vous unis dans un même
sort.”
Jésus les approches tous les deux. Il tient les mains sur leurs épaules, comme pour en prendre
possession, comme pour leur imposer un joug commun. Puis il dit: “Je vous unis, mais pour
l’instant je vous sépare. Toi, Simon, tu resteras ici avec Thomas. Avec lui tu prépareras les voies
pour mon retour. D’ici peu je reviendrai et Je veux qu’il y ait beaucoup de peuple pour m’attendre.
Dites aux malades, toi tu peux le dire, que Celui qui guérit vient. Dites à ceux qui attendent que le
Messie est parmi son peuple. Dites aux pécheurs qu’il y a quelqu’un qui pardonne pour donner la
force de s’élever…”
“Mais, serons-nous capables?”
“Oui. Vous n’avez qu’à dire: ‘Lui est arrivé, Il vous appelle, Il vous attend. Il vient pour nous
faire grâce. Soyez empressés pour le voir’ et à ces paroles ajoutez le récit de ce que vous savez. Et
toi, Jude, cousin, viens avec Moi et avec ceux-ci. Mais toi, tu resteras à Nazareth.”
“Pourquoi, Jésus?”
“Parce que tu dois me préparer le chemin dans notre patrie. Tu crois que c’est une petite mission?
En vérité, il n’y en a pas de plus importante… “ Jésus soupire.
“Et est-ce que je réussirai?”
“Oui et non, mais tout sera suffisant pour que nous soyons justifiés.”
“De quoi? Et auprès de qui?”
“Auprès de Dieu. Auprès de la patrie. Auprès de la famille. Ils ne pourront nous reprocher de ne
pas leur avoir offert ce qui est bien. Et si la patrie et la famille le dédaignent, nous n’aurons pas la
responsabilité de leur perte.”
“Et nous?”
“Vous, Pierre. Vous retournerez à vos filets.”
“Pourquoi?”
“Parce que je vous instruirai lentement et je vous prendrai
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quand vous serez prêts.”
“Mais, nous te verrons, alors?”
“Bien sûr, je viendrai souvent vous trouver et Je vous ferai appeler quand Je serai à Capharnaüm.
Maintenant, saluez-vous, amis, et nous partons. Je vous bénis, vous qui restez. Ma paix soit avec
vous.”
Et la vision se termine.
Jésus arrive avec le cousin et les six disciples à proximité de Nazareth. Du haut du coteau où ils se
trouvent, on voit la petite cité, blanche parmi la verdure, qui monte et descend suivant les pentes sur
lesquelles elle est construite. Le terrain ondule doucement. Ici, c’est à peine visible, là plus
accentuée.
“Nous sommes arrivés, amis. Voici ma maison. Ma Mère est à l’intérieur, car je vois la fumée qui
s’élève de la maison. Peut-être Elle fait le pain. Je ne vous dis pas ‘restez’, parce que je pense que
vous avez hâte de regagner votre demeure, mais, si vous voulez rompre le pain avec Moi et
connaître Celle que Jean connaît déjà, je vous dis: ‘Venez’.” Les six, qui étaient déjà tous tristes à
cause de l’imminente séparation, redeviennent tout joyeux et acceptent de bon coeur.
“Eh bien, allons.”
Ils descendent vivement la petite colline et prennent la grande route. C’est vers le soir. Il fait
encore chaud, mais déjà l’obscurité s’étend sur la campagne où les blés commencent à mûrir. Ils
entrent dans le pays. Des femmes qui vont à la fontaine ou en reviennent, des hommes, sur le seuil
des ateliers, ou dans les jardins, saluent Jésus et Jude. Les enfants se pressent en foule autour de
Jésus.
“Tu es revenu?”
“Tu restes ici, maintenant?”
“J’ai de nouveau cassé la roue de mon charreton.”
“Sais-tu, Jésus. J’ai une petite soeur, et on l’a appelée Marie.”
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“Le maître m’a dit que je sais tout et que je suis un vrai fils de la Loi.”
“Sara n’est pas là, car sa maman est très malade. Elle pleure car elle a peur.”
“Mon frère Isaac a pris femme, il y a eu une grande fête.”
Jésus écoute, caresse, félicite, promet de l’aide. Ils arrivent ainsi à la maison. Marie est déjà sur le
seuil, avertie par un petit garçon empressé:
“Mon Fils!”
“Maman!”
Les deux sont dans les bras l’un de l’autre. Marie beaucoup moins grande que Jésus a la tête
appuyée en haut de la poitrine de son Fils, blottie dans le cercle de ses bras. Lui baise ses cheveux
blonds.. Ils entrent dans la maison.
Les disciples, y compris Jude, restent dehors pour leur laisser la liberté de leurs premiers
épanchements.
“Jésus, mon fils!” La voix de Marie tremble, comme si Elle allait pleurer.
“Pourquoi, Maman, cette émotion?”
“Oh, mon Fils! On m’a dit … Au Temple, il y avait des gens de Galilée, de Nazareth, ce jour-là..
Ils sont revenus,,, et ils ont raconté… Oh! Fils!”
“Mais, tu le vois, Maman, je vais bien. Aucun mal ne m’est arrivé, et la gloire de Dieu est venue
dans sa Maison.”
“Oui, je le sais, Fils de mon coeur. Je sais que ç’a a été comme la cloche qui éveille les gens qui
dorment. Et, pour la gloire de Dieu, j’en suis heureuse… heureuse que ce peuple qui est mon peuple
s’éveille à Dieu… Je ne te ferai pas de reproche… je ne t’empêcherai pas… je te comprends.. et.. et
je suis heureuse… mais je t’ai donné la vie, moi, mon Fils!…” Marie est encore entourée par les
bras de Jésus. Elle a parlé en tenant ses petites mains ouvertes et appuyées sur la poitrine du Fils, la
tête levée vers Lui, l’oeil plus brillant à cause d’une larme qui est sur le point de descendre.
Maintenant, Elle se tait appuyant de nouveau sa tête sur la poitrine de Jésus. On dirait une
tourterelle grise, ainsi vêtue de toile bise, à l’abri de deux grandes ailes blanches car Jésus a encore
son habit et son manteau blancs.
“Maman, pauvre Maman chérie!… “ Jésus la baise encore. Puis il dit: “Eh, bien, tu vois, je suis
ici, et pas tout seul. J’ai avec Moi mes premiers disciples; j’en ai d’autres en Judée. Et
93
le cousin Jude aussi, est avec Moi et me suit..”
“Jude?”
“ Oui, Jude. Je sais pourquoi tu es étonné. Sûrement, parmi ceux qui ont parlé du fait, il y avait
Alphée et ses fils… et je ne me trompe pas en disant qu’ils m’ont critiqué. Mais je n’ai pas peur.
Aujourd’hui, c’est ainsi, demain autrement. L’homme c’est comme la terre, là où il y avait des
épines s’épanouissent des roses. Jude, que tu aimes bien, est déjà avec Moi.”
“Où est-il à présent?”
“Là dehors, avec les autres. As-tu du pain pour tous?”
“Oui, Fils. Marie d’Alphée est au four, en train de défourner. Elle est très bonne, Marie, avec moi.
Maintenant particulièrement.”
“Dieu lui donnera la gloire.” Il va à la porte et dit: “Jude, ta mère est ici. Amis, venez!.”
Ils rentrent et saluent. Mais Jude baise Marie et court chercher sa mère.
Jésus nomme les cinq: Pierre, André, Jacques, Nathanaël, Philippe. Pour Jean Marie le connaît
déjà. Il l’a salué tout de suite après Jude, s’et incliné et a reçu sa bénédiction.
Marie les salue et les invite à s’asseoir. C’est la maîtresse de maison et Elle s’occupe des hôtes.
Pourtant Elle a aussi pour son Jésus un regard d’adoration. Son âme semble avec ses yeux continuer
avec son Fils un muet entretien. Elle voudrait apporter l’eau pour le rafraîchir, mais Pierre
s’emporte: “Non, Femme, je ne puis pas te le permettre. Toi, reste près de ton Fils, Mère Sainte.
Moi j'irai, nous irons au jardin pour nous rafraîchir."” Voici qu'accourt Marie d'Alphée, rouge et
enfarinée. Elle salue Jésus qui la bénit et puis conduit les six au jardin vers la vasque. Elle revient
heureuse. “Oh! Marie!” dit elle à la Vierge. “Jude m’a dit. Comme je suis contente! Pour Jude, et
pour Toi, ma belle-soeur. Je sais que les autres me gronderont. Mais n’importe. Je serai heureuse le
jour où ils seront tous ò Jésus. Nous, mamans, nous savons… nous sentons ce qui est bien pour nos
créatures. Et moi, je sens que le bien de mes créatures c’est Toi, Jésus.”
Jésus lui caresse la tête en souriant.
Les disciples reviennent, et Marie d’Alphée sert le pain tout chaud, les olives, le fromage. Elle
apporte une amphore de piquette rouge que Jésus vers à ses amis. C’est toujours Jésus qui offre et
puis distribue.
Un peu embarrassés, au début, les disciples prennent ensuite de
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l’assurance. Ils parlent de leurs maisons, du voyage à Jérusalem. Des miracles que Jésus a faits. Ils
sont zélés et affectueux et Pierre essaye de se faire une alliée de Marie pour obtenir d’être tout de
suite près de Jésus, sans attendre à Bethsaïda.
“Faites ce qu’il vous dit” lui conseille Marie avec un doux sourire. “Cette attente vous sera plus
utile qu’une union immédiate. Mon Jésus fait bien tout ce qu’Il fait.”
L’espoir de Pierre meurt, mais lui se résigne de bonne grâce. Il demande seulement: “Est-ce que
l’attente durera longtemps?”
Jésus regarde avec un sourire, mais ne dit rien d’autre. Marie interprète ce sourire comme un
signe de bienveillance: "Simon de Jean, Lui sourit… aussi, je te dis: rapide comme le vol de
l’hirondelle sur le lac sera le temps de ton attente obéissante.”
“Merci, Femme.”
“Tu ne parles pas, Jude? Et toi, Jean?”
“Je te regarde, Marie.”
“Et moi aussi.”
“Moi aussi, je vous regarde.. et, savez-vous? Il me revient à l’esprit une heure lointaine. Alors
aussi, j’avais trois paires d’yeux qui s’attachaient à mon visage avec amour. Tu te rappelles, Marie,
mes trois écoliers?”
”Oh! Si je me le rappelle! C’est vrai! Maintenant aussi, ils sont trois, d’âge sensiblement égal. Ils
te regardent avec tout leur amour. Et celui-ci, Jean, je crois, me parait les Jésus d’alors, cheveux
blonds et joue roses, et plus jeune de tous.”
Les autres veulent savoir. On raconte des souvenirs et des anecdotes. Le temps passe et le soir
arrive.
“Amis, je n’ai pas de pièces meublées. Mais là se trouve l’atelier où je travaillais. Vous pourrez, si
vous voulez y trouver un refuge… Mais il n’y a que des bancs.”
“Lit commode pour des pêcheurs habitués à dormir sur des planches étroites. Merci, Maître.
Dormir sous ton toit est honneur et sanctification.”
Ils se retirent après maintes de salutations. Jude aussi s’éloigne avec sa mère. Ils vont à leur
maison.
Dans la pièce restent Jésus et Marie, assis sur le coffre, à la lueur d’une petite lampe, le bras
chacun autour des épaules de l’autre. Jésus raconte et Marie écoute, ravie, tremblante, heureuse…
La vision cesse ainsi.
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" Seigneur, qu'allons-nous faire de celui-là " demande Pierre à Jésus en montrant l'homme nommé
Joseph qui les suit depuis qu'ils ont quitté Emmaüs et qui maintenant écoute les deux fils d'Alphée
et Simon, qui s'occupent particulièrement de lui.
" Je l'ai dit. Il vient avec nous jusqu'en Galilée. "
" Et ensuite ? ... "
" Ensuite ... il reste avec nous. Tu verras qu'il en sera ainsi. "
" Disciple lui aussi ? Avec cette affaire sur son compte ? "
" Es-tu pharisien, toi aussi ? "
" Moi non ! Mais ... il me semble que les pharisiens ne nous tiennent que trop à l'œil ... "
" Et s'ils le voient avec nous, ils nous donneront des ennuis. C'est cela que tu veux dire. Et alors,
par peur d'être troublés, on devrait laisser un fils d'Abraham aux prises avec la désolation ? Non,
Simon Pierre. C'est une âme qui peut se perdre ou se sauver selon la manière dont est soignée sa
grande blessure. "
" Mais nous, ne sommes-nous pas déjà tes disciples ? ... "
Jésus regarde Pierre et sourit finement. Puis il dit/ " Un jour, il y a plusieurs mois, Moi, je t'ai dit
: 'Il en viendra beaucoup d'autres'. Le champ est vaste, très vaste. Les travailleurs seront toujours
insuffisants pour son étendue ... parce qu'aussi beaucoup feront comme Jonas : ils mourront à la
peine. Mais vous serez toujours mes préférés " termine Jésus en attirant près de Lui Pierre attristé
mais que cette promesse tranquillise.
" Alors, il vient avec nous ? "
" Oui, jusqu'à ce qu'il ait remis son cœur en place. Il est empoisonné par tant de haine qu'il a dû
absorber. Il est intoxiqué/ "
Jacques et Jean avec André rejoignent aussi le Maître, et ils écoutent.
" Vous ne pouvez pas évaluer l'immensité du mal que l'homme peut faire à l'homme par une
intransigeance hostile ; Je vous prie de vous souvenir que votre Maître a toujours été bienveillant
avec les malades spirituels. Vous croyez que mes plus grands miracles et ma principale vertu se
manifestent par la guérison des corps ; Non, amis.... Oui, venez vous aussi qui êtes devant et vous
qui êtes derrière Moi. La route est large et nous pouvons marcher en groupe. "
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Tous se serrent près de Jésus qui continue : " Mes principales œuvres, celles qui témoignent
davantage de ma nature et de ma mission, celles que mon Père regarde avec joie, ce sont les
guérisons d'un vice ou de plusieurs vices capitaux, soit les désolations qui abattent par la persuasion
d'être frappés par Dieu et abandonnés par Dieu.
Une âme qui a perdu cette certitude de l'aide de Dieu, qu'est-elle jamais ? C'est un faible liseron
qui se traîne dans la poussière car il ne peut s'accroche à l'idée qui était sa force et sa joie. Vivre
sans espérance est une horreur. La vie est belle avec ses duretés, seulement parce qu'elle reçoit le
flot du Soleil Divin. La vie a pour but ce Soleil. Est-il sombre le jour humain, trempé de larmes,
marqué de sang ? Oui, mais après il y aura le Soleil. Plus de douleurs, plus de séparations, plus de
duretés, plus de haines, plus de misères et de solitudes sous les nuages qui accablent, mais clarté et
chant, mais sérénité et paix, mais Dieu. Dieu : le Soleil Eternel ! Regardez comme elle est triste la
terre quand survient une éclipse. Si l'homme devait dire : 'Le soleil est mort' ne lui semblerait-il pas
qu'il vit pour toujours dans un obscur tombeau, emmuré, enseveli, mort avant d'être mort ? Mais
l'homme sait qu'au-delà de cet astre qui cache le soleil et donne au monde un aspect funèbre, il y a
toujours le gai soleil de Dieu. Il en est ainsi de la pensée de l'union à Dieu en cette vie. Les hommes
blessent, volent, calomnient ? Mais Dieu guérit, restitue, justifie. Et sans mesure. Les hommes
disent : 'Dieu t'a repoussé' ? Mais l'âme tranquille pense, doit penser 'Dieu est juste et bon. Il voit
les causes et Il est bienveillant. Et Il l'est encore plus que l'homme le plus bienveillant ne puisse
l'être. Il l'est infiniment. Par conséquent, non, Il ne me repoussera pas si j'incline mon visage en
pleurs sur son sein et Lui dis : 'Père. Toi seul me restes. Ton enfant est affligé et abattu. Donne-moi
ta paix ' ...
Maintenant, Moi, l 'Envoyé de Dieu, je rassemble ceux que l'homme a troublé ou que Satan a
renversé et je les sauve. C'est mon œuvre, une œuvre vraiment mienne. Le miracle sur la chair, c'est
la puissance divine. La rédemption des esprits, c'est l'œuvre de Jésus Christ, Sauveur et
Rédempteur. Je pense, et je ne me trompe pas, que ceux-là qui ont trouvé en Moi leur réhabilitation
aux yeux de Dieu et à leurs propres yeux, seront mes disciples fidèles, ceux qui, avec plus de force,
pourront entraîner les foules vers Dieu, en disant : 'Vous, pécheurs ? Moi, aussi. Vous avilis ? Moi
aussi. Vous désespérés ? Moi aussi. Et pourtant, vous le voyez, le
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Messie a eu pitié de ma misère spirituelle et il m'a voulu son prêtre. Car il est la Miséricorde et il
veut que le monde en soit persuadé, et nul n'est plus apte à persuader que celui qui l'a éprouvé'.
Maintenait Moi, à mes amis et à ceux qui m'ont adoré depuis ma naissance, à vous par conséquent
et aux bergers, j'unis ceux-ci. Je les unis aux bergers, à ceux que j'ai guéris, à ceux qui, sans choix
spécial comme celui de vous autres douze, ont pris mon chemin et le suivront jusqu'à la mort. Près
d'Arimathie se trouve Isaac..., pour qu'il s'unisse à Timon quand il nous rejoindra. Si tu crois qu'en
Moi il y a la paix et le but d'une vie entière, tu pourras t'unir à eux. Ils seront pour toi des bons
frères. "
" O mon réconfort ! C'est exactement comme tu dis. Mes grandes blessures, et d'homme e t de
croyant, se guérissent d'heur en heure. Depuis trois jours je suis avec Toi et il me semble que ce qui
était pour moi un déchirement il y a seulement trois jours, soit un rêve qui s'éloigne. Je l'ai fait, mais
plus le temps passe, et plus le rêve s'évanouit dans les détails cruels en présence de ta réalité. Ces
nuits dernières, j'ai beaucoup réfléchi. A Joppe j'ai un bon parent. C'est lui qui a été ... la cause
involontaire de mon malheur, car c'est par lui que j'ai connu cette femme. Et cela t'indique si nous
pouvions savoir de qui elle était fille... D'elle, de la première femme de mon père, oui, elle l'était,
mais pas de mon père. Elle portait un autre nom, elle venait de loin. Elle a connu mon parent par
échange de marchandises. Et moi, je l'ai connue ainsi. Mon parent désire vivement mon commerce.
Je le lui offrirai. Ce serait la ruine, si je le laissais sans propriétaire. Et lui les acquerra sans aucun
doute, pour ne pas éprouver tout le remords d'avoir été la cause de mon malheur. Et je pourrai me
suffire et te suivre tranquille. Je te demande seulement de m'accorder cet Isaac que tu nommes. J'ai
peur d'être seul avec mes pensées. Trop tristes encore ... "
" Je vais te donner Isaac. Il a l'âme bonne ; La souffrance l'a perfectionné. Pendant trente années il
a porté sa croix. Il sait ce que c'est souffrir... Nous, nous poursuivrons, pendant ce temps. Et, vous
nous rejoindrez à Nazareth. "
" Ne nous arrêtons-nous pas chez Joseph, dans sa maison ? "
" Joseph est à Jérusalem, probablement ... Le Sanhédrin a beaucoup à faire. Mais nous le
saurons par Isaac. S'il est chez lui, nous lui apporterons notre paix. Sinon, nous nous arrêterons une
nuit seulement pour nous reposer. J'ai hâte de rejoindre la Galilée. Il
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y a là une Mère qui souffre. Parce que, rappelez-le-vous, il y a quelqu'un qui se donne pour tâche de
l'affliger. Je veux la rassurer "
Jésus est avec ses douze. L'endroit est toujours montagneux, mais la route est suffisamment
praticable. Tous se tiennent en groupe et parlent entre eux.
" Pourtant, maintenant que nous sommes seuls, nous pouvons le dire : pourquoi tant de jalousie
entre les deux groupes ? " dit Philippe.
" Jalousie ? " réplique Jude d'Alphée. " Mais, non, ce n'est que de l'orgueil ! "
" Non. Je dis que ce n'est qu'un prétexte pour justifier, en quelque sorte, leur conduite injuste
envers le Maître. Sous le voile du zèle à l'égard du Baptiste, on arrive à s'éloigner sans trop
mécontenter la foule " dit Simon.
" Je les démasquerais. "
" Nous, Pierre, nous ferons tant de choses que Lui ne fait pas. "
" Pourquoi ne les fait-Il pas ? "
" Parce qu'Il sait qu'il est bien de ne pas les faire. Nous ne devons que le suivre. Ce n'est pas à
nous de le guider. Et il faut en être heureux . C'est un grand soulagement d'avoir seulement à
obéir. .."
" Tu as bien parlé, Simon " dit Jésus, qui, devant eux, semblait absorbé dans ses pensées. " Tu as
bien parlé. Il est plus facile d'obéir que de commander. Il n'y paraît pas. Mais c'est ainsi. C'est
certainement facile quand l'esprit est bon. Comme il est difficile de commander quand on a l'esprit
droit. Car si un esprit n'est pas droit, il donne des ordres fous et plus que fous. Alors il est facile de
commander. Mais ... comme il devient plus difficile d'obéir ! Quand quelqu'un a la responsabilité
d'être le premier d'un lieu ou d'une assemblée il doit avoir toujours présents à son esprit : charité et
justice, prudence et humilité, tempérance et patience, fermeté et pourtant pas d'entêtement.. Oh !
c'est difficile ! ... Vous, pour l'heure, n'avez qu'à obéir. A Dieu et à votre Maître. Toi, et non pas toi
seul, tu te demandes pourquoi je fais ou ne fais pas certaines choses, tu te demandes pourquoi Dieu
permet ou ne permet pas de telles choses. Vois, Pierre, et vous tous, mes amis. Un des secrets
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du parfait fidèle est de ne s'ériger jamais en interrogateur de Dieu. 'Pourquoi fais-Tu ceci ?'
demande quelqu'un qui est un peu formé à son Dieu. Et il paraît prendre l'attitude d'un adulte devant
un écolier pour dire : 'Ce n'est pas à faire. C'est une sottise. C'est une erreur.' Qui est supérieur à
Dieu ?
Maintenant, vous voyez que sous prétexte de zèle pour Jean, je me trouve chassé. Et vous vous
en scandalisez. Et vous voudriez que je redresse 'erreur en prenant une attitude polémique à l'égard
de ceux qui soutiennent cette façon de voir. Non, cela ne sera jamais. Vous avez entendu le Baptiste
par la bouche de ses disciples : 'Il faut que Lui croisse et que moi je diminue'. Pas de regrets, il ne
s'accroche pas à sa situation. Le saint ne s'attache pas à ces choses. Il travaille, pas pour le nombre
de ses 'propres' fidèles. Mais il travaille pour augmenter le nombre de ceux qui sont fidèles à Dieu.
Dieu seul a le droit d'avoir des fidèles. Par conséquent, je ne regrette pas que, de bonne ou de
mauvaise foi, tels ou tels demeurent disciples du Baptiste, et de la même façon, vous l'avez entendu,
lui ne s'afflige pas qu'il vienne à Moi de ses disciples. Et il est tout à fait étranger à ces petits calculs
statistiques. Il regarde le Ciel. Et moi, je regarde le Ciel. Ne restez donc pas à discuter entre vous s'il
est juste ou non que les juifs m'accusent de prendre des disciples au Baptiste, s'il est juste ou non
que cela se dise. Ce sont des querelles de femmes bavardes autour d'une fontaine. Les saints se
prêtent assistance, se donnent et s'échangent les esprits sans regret et avec bonne humeur, souriant à
l'idée de travailler pour le Seigneur.
J'ai baptisé, et même je vous ai fait donner le baptême, car l'esprit est tellement appesanti,
maintenant, qu'il faut lui présenter la pitié sous des formes matérielles, le miracle sous des formes
matérielles, l'enseignement sous des formes matérielles. A cause de cette pesanteur spirituelle je
devrai recourir à des substances matérielles quand je voudrai faire de vous des faiseurs de miracles.
Mais, croyez bien que ce ne sera pas dans l'huile, comme ce n'est pas dans l'eau, comme ce n'est pas
dans d'autres cérémonies que se trouve la puissance de sanctification. Il va venir le temps où une
chose impalpable, invisible, inconcevable pour les matérialistes, sera reine, la reine qui est
'revenue', cause de toute sanctification opérante en toute sanctification. C'est par elle que l'homme
reviendra 'fils de Dieu' et opérera ce que Dieu opère parce qu'il aura Dieu avec lui. La Grâce. La
voilà la reine revenue. Alors le baptême sera un sacrement. Alors l'homme parlera et comprendra
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le langage de Dieu. Et la Grâce donnera la vie et la Vie, donnera le pouvoir de savoir et d'agir,
alors ... oh ! alors ! Mais vous n'êtes pas encore mûrs pour savoir ce que vous apportera la Grâce. Je
vous en prie : aidez sa venue par un travail continuel de formation sur vous-mêmes et laissez,
laissez les préoccupations inutiles des esprits mesquins ...
Nous voici aux confins de la SaMarie. Croyez-vous que je ferais bien de parler chez eux ? "
" Oh ! " Ils sont tous plus ou moins scandalisés.
" En vérité, je vous dis que des samaritains il y en a partout. Et si je devais ne pas parler là où se
trouve un samaritain, je ne devrais plus parler nulle part. Venez donc. Je ne chercherai pas à parler.
Mais je ne dédegnerai pas de parler de Dieu si on vient m'en prier. Une année finit. La seconde
commence. Elle est à cheval entre le début et la fin. Au debout, dominait le Maître. Maintenant,
voici que se révèle le Sauveur. La fin aura le visage du Rédempteur. Allons. Le fleuve s'élargit en
approchant de son embouchure. Moi aussi, j'étends le travail de la miséricorde car l'embouchure
s'approche. "
" Nous allons vers quelque grand fleuve, après la Galilée ? Au Nil, peut-être ? A l'Euphrate ? "
chuchotent certains.
" Peut-être nous allons parmi les gentils ... " répondent d'autres.
" Ne parlez pas entre vous. Nous allons vers 'mon' embouchure. C'est à dire vers
l'accomplissement de ma mission. Soyez très attentifs parce qu'ensuite je vous quitterai et vous
devrez continuer en mon nom. "
3 . LA SAMARITAINE FOTINAÏ
" Je m'arrête ici. Allez en ville. Achetez tout ce qu'il faut pour le repas. Nous mangerons ici. "
" Nous y allons tous ? "
" Oui, Jean. C'est bien que vous allez en groupe. "
" Et Toi ? Tu restes seul ... Ils sont samaritains ... "
" Ce ne seront pas les pires parmi les ennemis du Christ. Allez, allez. Je prie, en vous attendant,
pour vous et pour eux. "
Les disciples s'en vont à regret et à trois ou quatre reprises ils se retournent pour regarder Jésus
qui s'est assis sur un muret exposé au soleil près du bas et large bord d'un puits. Un grand puits,
pres-
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que une citerne, tellement il est large. Et été il doit être ombragé par des grands arbres, maintenant
dépouillés. On ne voit pas l'eau, mais le terrain, près du puits, montre clairement qu'on a puisé de
l'eau à cause des petites mares et des empreintes circulaires laissées par les brocs humides. Jésus
s'assied et médite, dans son attitude ordinaire, les coudes appuyés sur les genoux et les mains jointes
en avant, le corps légèrement incliné et la tête penchée vers la terre. Puis il sent un bon petit soleil
qui le réchauffe et il laisse glisser son manteau de dessus sa tête et de ses épaules tout en le gardant
encore replié sur sa poitrine.
Il lève la tête pour sourire à une bande de moineaux querelleurs qui se disputent une grosse mie de
pain perdue par quelque personne près du puits. Mais les oiseaux s'enfuient à l'arrivée d'une femme
qui vient au puits avec une amphore vide qu'elle tient par une anse de la main gauche, pendant que
sa main droite écarte avec surprise son voile pour voir quel homme est assis là. Jésus sourit ça cette
femme sur les trente cinq à quarante ans, grande, aux traits fortement dessinés, mais beaux. Elle a,
dirions-nous, le type près que espagnol avec son teint olivâtre, les lèvres très rouges et plutôt
épaisses, des yeux démesurément grands et noirs sous de sourcils très touffus et les tresses couleur
de jais que l'on voit sous le voile léger. Même les formes, qui tendent à embonpoint, présentent
nettement le type oriental légèrement adouci comme celui des femmes arabes. Elle est vêtue d'une
étoffe à rayures multicouleures, serrée à la ceinture, tendue sur les hanches et la poitrine
grassouillettes, et retombant ensuite en une sorte de volant ondulant jusqu terre. Quantité de bagues
et de bracelets aux mains grassouillettes et brunes et aux poignets que l'on voit sous les manches de
lin. Au cou un lourd collier d'où pendent des médailles, je dirais des amulettes car il y en a de toutes
les formes. De pesantes boucles d'oreilles descendent jusqu'au cou et brillent sous le voile.
" La paix soit avec toi, femme. Me donnes-tu à boire ? J'ai beaucoup marché et j'ai soif. "
" Mais, n'es-tu pas juifs ? Et tu me demandes à boire, à moi samaritaine. Qu'est-il donc arrivé ?
Sommes-nous réhabilités ou est-ce vous qui êtes humiliés ? Sûrement un grand évènement est
survenu si un juif parle poliment à une samaritaine. Je devrais cependant te dire : 'Je ne te donne
rien pour punir en Toi tous les insultes que depuis des siècles les juifs nous adressent'. "
" Tu as bien parlé. Un grand évènement est survenu, et pour cela beaucoup de choses sont
changées et un plus grand nombre change-
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ront. Dieu a fait un grand don au monde et pour cela beaucoup de choses sont changées. Si tu
connaissais le don de Dieu et quel est Celui qui te dit : 'donne-moi à boire', peut-être toi-même, tu
Lui aurais demandé à boire, et Lui t'aurait donné de l'eau vive. "
" L'eau vive est dans les veines de la terre, et ce puits la possède. Mais il est à nous. " La femme
est railleuse et présomptueuse.
" L'eau appartient à Dieu. Comme la bonté appartient à Dieu. Comme la vie appartient à Dieu.
Tout appartient à un Dieu Unique, femme. Et tous les hommes viennent de Dieu : les Samaritains
comme les juifs. Ce puits n'est-il pas celui de Jacob ? Et Jacob n'est-il pas le chef de notre race ? Si
par la suite une erreur nous a séparés, cela ne change rien à notre origine. "
" Notre erreur, n'est-ce pas ? " demande la femme agressive.
" Ni la nôtre, ni la vôtre. Erreur de quelqu'un qui avait perdu de vue la Charité et la Justice. Moi,
je ne t'attaque pas et je n'attaque pas ta race. Pourquoi veux-tu être agressive ? "
" Tu es le premier juif que j'entends parler ainsi. Les autres ... Mais, pour revenir au puits, oui,
c'est celui de Jacob et il a une eau si abondante et si claire que nous de Sychar nous la préférons aux
autres fontaines. Mais il est très profond. Tu n'as pas de amphore ni d'outre. Comment pourrais-tu
donc atteindre pour moi l'eau vive ? Es-tu plus que Jacob, notre saint Patriarche, qui a trouvé cette
veine abondante, pour lui, ses enfants, ses troupeaux et nous l'a laissée en souvenir de lui et comme
cadeau ? "
" Tu l'as dit. Mais qui boit de cette eau aura encore soif. Moi, au contraire, j'ai une eau telle que
qui l'aura bue, ne sentira plus la soif. Mais elle n'appartient qu'à Moi et je la donnerai à qui me la
demande. Et, en vérité je te dis que celui qui aura de l'eau que je lui donnerai, aura toujours en lui la
fraîcheur et n'aura plus soif, car mon eau deviendra en lui une source intarissable, éternelle. "
" Comment ? je ne comprends pas. Es-tu un mage ? Comment un homme peut-il devenir un
puits ? Le chameau boit et fait une provision d'eau dans les creux de son ventre. Mais ensuite il la
consomme et elle ne lui dure pas toute sa vie. Et tu dis que ton eau dure toute la vie ? "
" Davantage encore : elle jaillira jusqu'à la vie éternelle. En celui qui la boit elle jaillira jusqu'à la
vie éternelle et donnera des germes de vie éternelle, car c'est une source de salut. "
" Donne-moi de cette eau s'il est vrai que tu la possèdes. Je me fatigue à venir jusqu'ici. Si je l'ai,
je n'aurai plus soif et je ne deviendrai jamais malade ni vieille. "
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" Il n'y a que cela qui te fatigue ? Rien d'autre ? Et tu n'éprouves pas d'autre besoin que de puiser
pour boire, pour ton misérable corps ? Penses-y. Il y a quelque chose qui est plus que le corps : c'est
l'âme. Jacob n'a pas seulement donné de l'eau du sol, pour lui et pour les siens. Mais il s'est
préoccupé de se procurer pour lui et de donner la sainteté, l'eau de Dieu. "
" Vous nous dites : païens, vous ... Si c'est vrai ce que vous dites, nous ne pouvons être saints... "
La femme a perdu son ton impertinent et ironique et elle est soumise et légèrement confuse.
" Même un païen peut être vertueux. Et Dieu, qui est juste, le récompensera pour le bien qu'il
aura fait. Ce ne sera pas une récompense parfaite, mais, je te le dis, entre un fidèle souillé d'une
faute grave et un païen sans faute, Dieu regarde avec moins de rigueur le païen. Et pourquoi, si vos
savez être tels, ne venez-vous pas au Vrai Dieu ? Comment t'appelles-tu ? "
" Fotinaï. "
" Eh bien réponds-moi, Fotinaï. Ne souffres-tu pas de ne pouvoir aspirer à la sainteté parce que
tu es païenne, comme tu dis, parce que tu es dans les nuées d'une antique erreur, comme Moi je
dis ? "
" Oui, j'en souffre. "
" Et alors, pourquoi ne vis-tu pas au moins en païenne vertueuse ? "
" Seigneur !... "
" Oui, peux-tu le nier ? Va appeler ton mari et reviens avec lui. "
" Je n'ai pas de mari. ... " La confusion de la femme grandit.
" Tu as bien dit. Tu n'as as de mari. Tu as eu cinq hommes et maintenant tu as avec toi
quelqu'un qui n'est pas ton mari. Etait-ce nécessaire, cela ? Même ta religion ne conseille pas
l'impureté. Le Décalogue, vous l'avez, vous aussi. Pourquoi alors, Fotinaï, vis-tu ainsi ? Ne te sens-
tu pas lasse d'être la chair de tant d'hommes, au lieu d'être l'honnête épouse d'un seul ? N'as-tu pas
peur de ta vieillesse, quand tu te trouveras seule avec tes souvenirs ? Avec tes regrets, Avec tes
peurs ? Oui,, même celles-là. La peur de Dieu et des spectres. Où sont tes enfants ? "
La femme baisse complètement la tête et ne parle pas.
" Tu ne les as pas sur la terre. Mais leurs petites âmes, auxquelles tu as interdit de voir la
lumière du jour, t'adressent des reproches. Toujours. Bijoux ... beaux vêtements ... riche maison ...
table bien garnie ... Oui, mais le vide, les larmes et la misère intérieure. Tu es une délaissée, Fotinaï.
Et ce n'est qu'avec un repentir sincère, moyennant le pardon de Dieu et par conséquent de tes
enfants que tu peux devenir riche. "
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" Seigneur, je vois que Tu es un prophète, et j'ai honte ... "
" Et à l'égard du Père qui est aux Cieux, tu n'éprouvais pas cette honte, quand tu faisais le mal ?
Ne pleure pas de découragement devant l'Homme... Viens ici, Fotinaï, près de Moi. Je te parlerai de
Dieu. Peut-être tu Le connaissais pas bien. Et c'est pour cela, certainement pour cela, que tu as tant
erré. Si tu avais bien connu le vrai Dieu, tu ne te serais pas ainsi avilie. Lui t'aurait parlé et t'aurait
soutenue... "
" Seigneur, nos pères ont adoré sue cette montagne. Vous dites que c'est seulement à Jérusalem
que l'on doit adorer. Mais, tu le dis : il n'y a qu'un seul Dieu. Aide-moi à voir où et comment je dois
adorer ... "
" Femme, crois-Moi. Bientôt viendra l'heure que sera adoré le Père. Vous adorez celui que vous
ne connaissez pas. Nous adorons Celui que nous connaissons, car le salut vient des juifs. Je te
rappelle les Prophètes. Mais l'heure viendra. Déjà elle est commencée où les vrais adorateurs
adoreront le Père en esprit et en vérité, non plus suivant les rites antiques, mais avec le rite nouveau
où il n'y aura plus de sacrifices, ni d'hosties d'animaux consumés par le feu ; Mais le sacrifice
éternel de l'Hostie Immaculée brûlée par le Feu de la Charité. Culte spirituel dans un Royaume
spirituel. Et il sera compris de ceux qui savent adorer en esprit et en vérité. Dieu est Esprit. Ceux
qui l'adorent doivent l'adorer spirituellement. "
" Tu as des saintes paroles. Moi, je sais, car nous aussi savons quelque chose, que le Messie est
sur le point de venir. Le Messie, Celui qu'on appelle aussi 'le Christ'. Quand il sera venu, il nous
enseignera toutes choses. Tout près d'ici se trouve aussi celui qu'on dit être son Précurseur. Et
beaucoup vont l'écouter. Mais il est si sévère ! ... Toi tu es bon ... et les pauvres âmes n'ont pas peur
de Toi. Je pense que le Christ sera bon. On l'appelle le Roi de la paix. Tardera-t-Il beaucoup à
venir ? "
" Je te l'ai dit que son temps est déjà présent. "
" Comment le sais-Tu ? Tu es, peut-être son disciple ? Le Précurseur a beaucoup de disciples. Le
Christ aussi en aura. "
" C'est Moi, qui te parle, qui suis le Christ Jésus. "
" Toi ! ... Oh !... " La femme, qui était assise près de Jésus, se lève et va s'en fuir.
" Pourquoi t'enfuis-tu, femme ? "
" C'est que je suis horrifiée de me mettre près de Toi. Tu es saint ... "
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" Je suis le Sauveur. Je suis venu ici -ce n'était pas nécessaire- parce que je savais que ton âme
était lasse d'être errante. Tu as la nausée de ta nourriture ... Je suis venu te donner une nourriture
nouvelle et qui t'enlèvera nausée et fatigue ... Voici mes disciples qui reviennent avec mon pain.
Mais déjà je suis nourri de t'avoir donné les premières miettes de ta rédemption. "
Les disciples lorgnent plus ou moins discrètement la femme, mais personne ne parle. Elle s'en
va sans plus penser à l'eau ni à son amphore.
" Voici, Maître " dit Pierre. " Ils nous ont bien traités. Il y a du fromage, du pain frais, des
olives, et des pommes. Prends ce que Tu veux. Cette femme a bien fait de laisser son amphore.
Nous aurons plus vite fait qu'avec nos petites gourdes. Nous boirons et nous les remplirons sans
avoir à demander autre chose aux samaritains, et sans les côtoyer aussi à leurs fontaines. Tu ne
manges pas ? Je voulais trouver du poisson pour Toi, mais il y en a pas. Peut-être cela t'aurait-il plu
davantage. Tu es fatigué et pâle. "
" J'ai une nourriture que vous ne connaissez pas. Ce sera mon repas. Je serai bien restauré. "
Les disciples se regardent entre eux, s'interrogent du regard.
Jésus répond à leurs muettes interrogations : " Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui
m'a envoyé pour achever l'œuvre qu'Il désire que j'accomplisse. Quand le semeur jette la semence
peut-il dire qu'il a déjà tout fait pour dire qu'il a la récolte ? Non, certainement pas, combien il a
encore à faire pour dire : 'Voici que mon travail est achevé !' Et jusqu'à cette heure, il ne peut se
reposer. Regardez ces champs sous le gai soleil de la sixième heure. Il y a seulement un mois, et
même moins, la terre était nue, sombre parce que les pluies l'avaient battue. Maintenant, regardez.
Des tiges innombrables de blé, qui viennent de percer, d'un vert très tendre qui dans cette grande
lumière semble encore plus clair, la couvrent, pour ainsi dire, d'un voile léger presque blanc. C'est la
moisson future et vous dites en la voyant : 'Dans quatre mois, c'est la récolte. Les semeurs
engageront des moissonneurs, parce que si un semeur suffit pour ensemencer, il faut un grand
nombre d'ouvriers pour moissonner. Semeurs et moissonneurs sont heureux. Celui qui a semé un
petit sac de grains et qui doit maintenant préparer ses greniers pour la récolte, aussi bien que ceux
qui, en quelques jours, gagnent de quoi vivre pendant quelques mois'. Dans le champ de l'esprit,
aussi, ceux qui moissonnent ce que j'ai semé se réjouissent avec Moi et comme Moi, parce que je
leur don-
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nerai mon salaire et ce qu'il leur est dû. Je leur donnerai de quoi vivre dans mon Royaume éternel.
Vous, vous n'avez qu'a moissonner ; le travail le plus dur, c'est Moi qui l'a fait. Et pourtant je vous
dis : 'Venez faire la moisson dans mon champ. Je suis heureux de vous voire chargés des gerbes de
ma récolte. Quand j'aurai semé tout mon grain, inlassablement, partout, et que vous aurez fait la
récolte, alors sera accomplie la volonté de Dieu et je m'assiérai au banquet de la céleste Jérusalem'.
Voici qu'arrivent les Samaritains avec Fotinaï. Usez de charité envers eux. Ce sont des âmes qui
viennent à Dieu. "
Voilà que viennent en groupe vers Jésus des notables samaritains conduits par Fotinaï. " Dieu
soit avec Toi, Rabbi. La femme nous a dit que tu es un prophète et que tu ne dédaignes pas de parler
avec nous. Nous te prions de rester avec nous et de ne pas nous refuser ta parole car, s'il est vrai que
nous sommes séparés de Juda, il n'est pas dit que seul Juda soit saint et que tout le péché soit en
SaMarie. Même parmi nous il y a des justes. "
" Moi aussi j'ai exprimé cette idée à la femme. Je ne m'impose pas, mais je ne me refuse pas si
quelqu'un me cherche. "
" Tu es juste. La femme nous a dit que tu es le Christ. Est-il vrai ? Réponde-nous, au nom de
Dieu. "
" Je le suis. Le temps messianique est venu. Israël est rassemblé par son Roi. Et non seulement
Israël. "
" Mais ru seras pour ceux qui ... qui ne sont pas dans l'erreur comme nous " observe un vieillard
imposant.
" Homme, je vois en toi le chef de tous ceux-ci et je vois aussi une recherche honnête du Vrai.
Maintenant, écoute, toi qui es instruit dans les saintes lectures. A Moi il a été dit ce que l'Esprit dit à
Ezéchiel quand Il lui annonça une mission prophétique : 'Fils de l'homme, Je t'envoie aux fils
d'Israël, aux peuples rebelles qui se sont éloignés de Moi ... Ce sont des fils à la tête dure et au cœur
indomptable. .. Il peut se faire qu'ils écoutent, puis ne tiennent pas compte de tes paroles qui sont
mes paroles, parce que c'est une maison rebelle mais, au moins, ils sauront qu'au milieu d'eux il y a
un prophète. Toi, n'aie donc pas peur d'eux, que leurs discours ne
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t'épouvantent pas parce qu'eux autres sont incrédules et révoltés .. Rapporte-leur mes paroles, soit
qu'ils te prêtent l'oreille ou refusent. Toi, fais ce que je te dis. Ecoute ce que Je te dis pour n'être pas
rebelle comme eux. Par conséquent, mange toute nourriture que Je te présenterai.' Et Moi je suis
venu. Je ne m'illusionne pas et je ne prétends pas être reçu en triomphateur. Mais, puisque la
volonté de Dieu est mon miel, voici que je l'accomplis et, si vous voulez, je vous dis les paroles que
l'Esprit a mises en Moi. "
" Comment l'Eternel peut-Il avoir pensé à nous, "
" Parce que Lui est Amour, fils. "
" Ce n'est pas ce que disent les rabbis de Juda "
" Mais c'est ce que vous dit le Messie du Seigneur. "
" Il est dit que le Messie naîtrait d'une vierge de Juda. Toi, de qui et comment es-Tu né ? "
" A Bethlehem d'Ephrata, de Marie de la race de David, par l'opération d'une conception
spirituelle. Veuillez-le croire. " La belle voix de Jésus est une sonnerie de joyeux triomphe lorsqu'Il
proclame la virginité de la Mère.
" Ton visage resplendit d'une grande lumière. Non, tu ne peux mentir. Les fils des ténèbres ont un
visage ténébreux et l'œil trouble. Tu es lumineux, limpide comme un matin d'avril est ton œil, et ta
parole est bonne. Entre dans Sychar, je t'en prie, et instruis les fils de ce peuple. Puis, Tu t'en iras ...
et nous nous souviendrons de l'Etoile qui a traversé notre ciel... "
" Et pourquoi ne la suivrez-vous pas ? "
" Comment veux-Tu qu'on le puise ? " Tout en parlant, ils se dirigent vers la ville. " Nous, nous
sommes les séparés. C'est du moins ce qu'on nous a dit. Mais désormais nous sommes nés dans
cette croyance et nous ne savons pas s'il est juste de l'abandonner. En outre ... Oui, avec Toi, nous
pouvons parler, je le sens. Et puis, nous aussi, nous avons des yeux pour voir et un cerveau pour
penser. Quand, en voyage ou pour commerce, nous passons par vos terres, tout ce que nous voyons
n'est pas saint au point de nous faire croire que Dieu est avec vous de Juda ou avec vous de galilée.
"
" En vérité je te dis, le fait de ne pas vous avoir persuadés ni ramenés à Dieu, non par les
offenses et les malédictions, mais par l'exemple et la charité, il en sera fait un chef d'accusation pour
le reste d'Israël "
" Quelle sagesse en Toi ! Écoutez !? "
Tous marquent leur assentiment par un murmure d'admiration. Entre temps, on est arrivé à la
ville et beaucoup d'autres gens
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s'approchent alors qu'ils se dirigent vers une maison.
Écoute, rabbi. Toi qui es sage et bon, éclaire notre doute. Beaucoup de choses de notre avenir
peuvent dépendre de cela. Toi qui es le Messie, le Restaurateur par conséquent du royaume de
David, tu dois te réjouir de réunir ce membre séparé au corps de l'état. N'est-ce pas "
" Non tant de réunir les membres séparés de cet état caduc, que de ramener à Dieu tous les esprits,
voilà mon souci et je me réjouis de rétablir la Vérité dans un cœur. Mais expose ton doute. "
" Nos pères ont péché. Dès lors les âmes de SaMarie sont odieuses à Dieu. Quel bien en
obtiendrons-nous donc si nous suivons le Bien, C'est pour toujours que nous sommes lépreux aux
yeux de Dieu. "
" C'est votre regret, l'éternel regret le mécontentement perpétuel de tous les schismatiques. Mais je
te réponds encore avec Ezéchiel. 'Toutes les âmes m'appartiennent' dit le Seigneur. Aussi bien celle
du père que celle du fils. Mais seule mourra l'âme qui a péché. Si un homme est juste, s'il n'est pas
idolâtre, s'il ne commet pas l'impureté, s'il ne dérobe pas et s'il n'est pas usurier, s'il a miséricorde
pour la chair et l'esprit d'autrui, il sera juste à mes yeux et vivra de la vraie vie. Et encore : si un
juste a un fils rebelle, ce fils aura-t-il peut-être la vie parce que son père était juste ? Non, il ne l'aura
pas. Et encore : si le fils d'un pécheur est juste, mourra-t-il comme le père parce qu'il est son fils ?
Non, il vivra de l'éternelle vie parce qu'il a été juste. Il ne serait pas juste que l'un porte le péché de
l'autre. L'âme qui a péché mourra. Celle qui n'a pas péché, ne mourra pas. Et si celui qui a péché se
repent et vient à la Justice, voici que lui aussi aura la vraie vie. Le Seigneur Dieu, unique et seul
Seigneur, dit : 'Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et ait la Vie.' C'est pour
cela qu'Il m'a envoyé, ô fils errants. Pour que vous ayez la vraie vie. Je suis la Vie. Celui qui croit
en Moi et en Celui qui m'a envoyé aura la vie éternelle, même si jusqu'à présent il a été pécheur. "
" Nous voici chez moi, maître. N'as-Tu pas horreur d'y entrer ? "
" Je n'ai horreur que du péché. "
" Viens, alors, et reste. Nous partagerons ensemble le pain et puis, si la chose ne te pèse pas, Tu
nous partageras la parole de Dieu. Elle a un autre goût cette parole qui vient de Toi ... et nous avons
ici un tourment : celui de ne pas nous sentir sûrs d'être dans le vrai ... "
" Tout s'apaiserait si vous osiez venir ouvertement à la Vérité.
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Dieu parle en vous, ô citadins. La nuit va bientôt tomber, mais demain , à la troisième heure, je vous
parlerai longuement, si vous le voulez. Partez en compagnie de la Miséricorde. "
5. EVANGELISATION A SYCHAR.
Jésus parle au milieu d'une place à une foule nombreuse. Il est monté sur le petit banc de pierre
qui se trouve près de la fontaine. Les gens l'entourent. Et tout autour sont aussi les douze avec des
visages ... consternés ou ennuyés ou qui manifestent même clairement le dégoût de certains
contacts. Barthélemy spécialement et l'Iscariote montrent ouvertement leur embarras et pour éviter
le plus possible le voisinage des samaritains, l'Iscariote s'est mis à cheval sur la branche d'un arbre,
comme s'il voulait dominer la scène, alors que Barthélemy s 'est adossé à une porte cochère à un
angle de la place. Les préjugés sont vivants et actifs en tous. Jésus, au contraire, n'a rien qui diffère
de l'ordinaire. Je dirais, au contraire, qu'il s'efforce de ne pas effrayer par sa majesté en même temps
qu'il cherche à la manifester pour enlever tout doute. Il caresse deux ou trois petits dont il demande
le nom, et il s'intéresse à un vieil aveugle auquel il donne personnellement l'obole ; Il répond à deux
ou trois questions qui Lui sont posées sur des choses qui ne sont pas d'ordre général, mais privé.
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L'une est la demande d'un père dont la file a fait une fugue par amour et maintenant demande
pardon.
" Accorde-lui sans retard ton pardon. "
" Mais j'ai souffert de cela, Maître ! Et j'en souffre. En moins d'une année, j'ai vieilli de dix ans.
"
" Le pardon t'apportera du soulagement. "
" Ce n'est pas possible. La blessure reste. "
" C'est vrai. Mais dans la blessure il y a deux pointes qui font souffrir. L'une c'est l'affront
indéniable que tu as reçu de ta fille. L 'autre, c'est l'effort que tu fais pour lui refuser ton amour.
Supprime au moins cette dernière. Le pardon, qui est la forme plus élevée de l'amour, la fera
disparaître. Pense, pauvre père, que cette fille est née de toi et qu'elle a toujours droit à ton amour.
Si tu la voyais malade d'une maladie physique et si tu savais qu'en ne la soignant pas toi,
précisément toi, elle mourrait, la laisserais-tu mourir ? Non, certainement pas. Et alors pense que
toi, toi précisément, tu peux par ton pardon arrêter son mal et même l'amener à une saine estimation
de l'amour. C'est que, vois-tu, c'est le côté matériel, le plus vil, qui chez elle a pris le dessus. "
" Alors, Tu dirais que je dois pardonner ?. "
" Tu le dois. "
" Mais comment faire pour la voir à la maison, après que celle a fait, sans la maudire ? "
" Mais alors, tu ne pardonnerais pas. Le pardon n'est pas dans l'acte de lui ouvrir la porte de la
maison, mais dans celui de lui ouvrir ton cœur. Sois bon, homme. Et quoi, la patience que nous
avons pour le bouvillon capricieux, nous ne l'aurions pas pour notre enfant ? "
Une femme, de son côté, demande s'il est bien qu'elle épouse son beau-frère pour donner un
père à ses orphelins.
" Es-tu sûre qu'il serait un vrai père ? "
" Oui, Maître. J'ai trois garçons. Il faut un homme pour les diriger. "
" Fais-le, alors et sois pour lui une épouse fidèle comme tu l'as été pour ton premier mari. "
Un troisième Lui demande s'il ferait bien ou mal à accepter une invitation qu'il a reçue d'aller à
Antioche.
" Homme, pourquoi veux-tu y aller ? "
" Parce qu'ici je n'ai pas de moyen d'existence pour moi et mes nombreux enfants. J'ai connu un
gentil qui me prendrait parce qu'il m'a vu capable au travail et il donnerait aussi du travail à
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mes fils. Mais je ne voudrais pas ... ce scrupule te paraîtra étrange de la part d'un samaritain, mais je
l'ai. Je ne voudrais pas qu'on perde la foi. C'est un païen, sais-Tu, cet homme ? "
" Eh bien ? Rien ne contamine si on ne veut pas être contaminé. Va donc à Antioche et sois
fidèle au Dieu Vrai. Lui te guidera et tu seras même un bienfaiteur pour le maître qui connaîtra Dieu
à travers ton honnêteté. "
Ensuite Il s'adresse à tout le monde.
" J'ai entendu parler beaucoup d'entre vous, et en tous j'ai découvert une secrète douleur, une
peine, de laquelle vous-mêmes ne vous rendez compte, mais qui pleure en vos cœurs. Cela fait des
siècles qu'elle grandit et ni les raisons que vous exprimez, ni les injures que l'on vous lance ne
peuvent la faire disparaître. Mais au contraire, elle durcit de plus en plus et pèse comme la neige
quand elle se transforme en glace.
Je ne suis pas vous et je ne suis pas non plus de ceux qui vous accusent. Je suis Justice et
Sagesse. Et pour résoudre votre cas, je vous cite encore Ezéchiel. Lui, en qualité de prophète, parle
de SaMarie et de Jérusalem en disant qu'elles sont les filles d'un même sein et en les appelant Ohola
et Oholiba. La première à tomber dans l'idolâtrie dans l'idolâtrie, ce fut la première, Ohola, car elle
était déjà privée de l'union spirituelle avec notre Père des Cieux. L'union avec Dieu est salut,
toujours. Elle échangea la véritable richesse, puissance, la véritable sagesse, avec la pauvre richesse,
puissance et sagesse de quelqu'un qui était, encore plus qu'elle même, au-dessous de Dieu, et elle fut
séduite par lui au point de devenir l'esclave de la manière de vivre de celui qui l'avait séduite. Pour
être forte, elle devint faible. Pour être plus, elle devint moins. Pour être imprudente, elle devint
folle. Quand quelqu'un s'est imprudemment contaminé par une infection, il lui est bien difficile de
s'en guérir.
Vous direz : 'Avons-nous été amoindris ? Non. Nous fûmes grands'. Grand, oui, mais comment ?
A quel prix ? Vous le savez. Combien, aussi parmi les femmes, conquièrent la richesse au prix
effroyable de leur honneur ! Elles acquièrent une chose qui peut ne pas durer. Elles perdent une
chose qui n'a jamais de fin : leur bonne renommée.
Oholiba, voyant que la folie d'Ohola lui avait valu des richesses, voulut l'imiter et devint folle plus
qu'Ohola et au prix d'une double faute. En effet, elle avait avec elle le Vrai Dieu et n'aurait jamais
dû piétiner la force qui lui venait de cette union. Et
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une dure, terrible punition est venue et viendra encore davantage à Oholiba doublement folle et
impure. Dieu lui tournera le dos. Il est en train de le faire pour s'en aller vers ceux qui ne sont pas de
juda. Et ne pourra accuser Dieu d'être injuste, car Lui ne s'impose pas. A tous Il ouvre ses bras, Il
invite tout le monde, mais si quelqu'un Lui dit : 'Va-t-en', Il s'en va. Il va chercher l'amour et en
inviter d'autres jusqu'à ce qu'Il trouve quelqu'un qui Lui dise : 'Je viens'.
C'est pour cela que je vous dis que vous pouvez avoir un soulagement à votre tourment, que
vous devez l'avoir, en pensant à cette chose. Ohola, reviens à toi ! Dieu t'appelle.
La sagesse de l'homme consiste à se repentir. La sagesse de l'esprit réside dans l'amour du Dieu
Vrai et de sa Vérité. Ne regardez ni Oholiba, ni la Phénicie, ni l'Egypte, ni la Grèce. Regardez Dieu.
C'est la Patrie de tout esprit droit : le Ciel. Il n'y a pas beaucoup de lois, mais une seule : celle de
Dieu. C'est par ce code que l'on a la Vie. Ne dites pas : 'Nous avons péché', mais dites : 'Nous ne
voulons plus pécher'. Que Dieu vous aime encore, la preuve en est dans le fait qu'Il vous a envoyé
son Verbe vous dire : 'Venez'. Venez, je vous le dis. Vous êtes injuriés et proscrits ? Et par qui ?
Part des êtres semblables à vous. Mais Dieu est plus qu'eux, et Lui vous dit : 'Venez'. Un jour
viendra où vous jubilerez de n'avoir pas été dans le Temple. ... Votre intelligence s'en réjouira. Mais
davantage jubileront les esprits parce que sur ceux qui ont le cœur droit, dispersés en SaMarie, sera
déjà descendu le pardon de Dieu. Préparez-en l'avènement. Venez au Sauveur universel, ô fils de
Dieu qui avez perdu la route. "
" Mais quelques-uns au moins nous viendrons. Ce sont ceux de l'autre côté qui ne veulent pas de
nous. "
" Et avec le prête et le prophète, je vous dis encore : 'Je prendrai le bois de Joseph qui est aux
mains d'Ephraïm avec les tribus d'Israël qui lui sont unies et je l'unirai au bois de Juda et je n'en
ferai un seul bois..' Oui. Pas du Temple. Venez à Moi. Je ne vous repousse pas. Je suis Celui que
l'on appelle l'universel Dominateur. Je suis le Roi des rois. Je vous purifierai tous, ô peuples qui
voulez être purifiés. Je vous rassemblerai, ô troupeaux qui êtes sans bergers ou avec des bergers
idolâtres, car Je suis le Bon Berger. Je vous donnerai un tabernacle unique et le placerai au milieu
de mes fidèles. Ce tabernacle sera la source de vie, pain de vie, il sera lumière, il sera salut,
protection, sagesse. Il sera tout car il sera le Vivant donné en nourriture aux morts pour les rendre
vivants ; il
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sera le Dieu qui se répand par sa sainteté pour sanctifier. Je suis et je serai cela. Le temps de la
haine, de l'incompréhension, de la crainte est passé. Venez ! Peuple d'Israël ! Peuple séparé ! Peuple
affligé ! Peuple éloigné ! Peuple cher, tellement cher, infiniment cher, parce que malade, parce que
affaibli, parce que saigné à blanc par une flèche qui a ouvert les veines de l'âme et en a fait fuir
l'union vitale avec ton Dieu, viens ! Viens au sein d'où tu es né, viens à la poitrine d'où t'est venue la
vie. Douceur et tiédeur s'y trouvent encore pour toi. Toujours. Viens ! Viens à la Vie et au Salut. "
Jésus dit aux samaritains de Sychar : " Avant de vous quitter, car j'ai d'autres fils à évangéliser,
je veux vous ouvrir les clairs chemins de l'espérance et vous y mettre en disant : allez, sachant bien
que vous arriverez au but. Et aujourd'hui, je ne prends pas le grand Ezéchiel, je prends le disciple
préféré de Jérémie, le très grand Prophète.
Baruch parle pour vous. Oh ! réellement il prend vos âmes et parle pour elles toutes au Dieu
Sublime qui réside dans les Cieux. Je ne dis pas seulement celles des samaritains, mais toutes vos
âmes, ô descendants du peuple élu qui êtes tombés dans des nombreux péchés, et il prend aussi les
vôtre, ô peuples gentils qui pressentez l'existence d'un Dieu inconnu parmi les nombreuses divinités
que vous adorez, un Dieu que votre âme pressent être l'Unique et le vrai et que votre pesanteur vous
empêche de chercher pour Le connaître comme votre âme le voudrait. Du moins une loi morale
vous avait été donnée, ô gentils, ô idolâtres, parce que vous êtes des hommes, et que l'homme a en
lui une essence qui vient de Dieu et qui s'appelle esprit et qui vous pousse à la réalité d'une sainte
vie. Et vous l'avez abaissée pour être esclave d'une chair vicieuse, brisant la loi morale humaine,
celle que vous aviez, et devenant, même humainement, pécheurs, rabaissant l'idée de vos croyances
et vous mêmes au niveau d'une bestialité qui vous rend inférieurs aux brutes. Et pourtant écoutez.
Écoutez tous. Et vous comprenez d'autant plus et par conséquent vous agissez d'autant plus que
vous connaissez davantage la Loi d'une morale surnatu-
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relle qui vous a été donnée par le Vrai Dieu.
Voici la prière de Baruch, et c'est elle qui doit être dans vos cœurs humiliés par une noble
humilité qui n'est pas dégradation et lâcheté, mais qui est la connaissance exacte de ses propres
misérables conditions et désir saint de trouver le moyen de les améliorer spirituellement. Voici donc
sa prière : 'Regarde-nous, ô Seigneur, de ta sainte demeure, tends tes oreilles et écoute-nous. Ouvre
les yeux et réfléchis que ce que ne sont pas les morts qui sont en enfer, dont l'esprit est séparé de
leur corps, qui seront ceux qui rendront justice et honneur au Seigneur, mais l'âme affligée par la
grandeur de ses malheurs, qui va courbée et faible, l'air abattu. C'est l'âme affamée de Toi, ô Dieu,
celle qui te rend gloire et justice'. Et Baruch pleure humblement et tous les justes doivent pleurer
avec lui en voyant et en nomment de leur vrai nom les malheurs qui d'un peuple fort on fait un
peuple triste, divisé et assujetti : 'Nous n'avons pas obéi à ta voix et Tu as accompli tes paroles dites
par tes serviteurs, les Prophètes ... Et voilà que les ossements de nos rois et de nos pères ont été
enlevés de leurs tombeaux et exposées à la chaleur du soleil, au gel de la nuit, et que les habitants
des villes sont morts dans d'atroces douleurs par la faim, l'épée, la peste. Et le Temple où était
invoqué ton Nom, Tu l'as réduit à l'état où il se trouve aujourd'hui à cause de l'iniquité d'Israël et de
Juda'.
Oh ! fils du Père, ne dites pas : 'Aussi bien notre Temple que le vôtre sont redressés et beaux'.
Non. Un arbre écartelé par la foudre depuis la cime jusqu'aux racines ne survit pas. Il pourra végéter
misérablement essayant de vivre avec les surgeons poussés des racines qui ne veulent pas mourir,
mais ce sera des broussailles sans fruits et plus jamais l'arbre opulent, riche de fruits sains et
agréables. La désagrégation qui a commencé avec la séparation s'accentue de pus en plus bien que
l'édifice matériel ne paraisse pas abîmé mais encore beau et neuf et désagrége les âmes qui
l'habitent. Et puis il viendra l'heure où toute flamme surnaturelle sera éteinte et où il manquera au
Temple l'autel de métal précieux qui pour subsister doit être tenu en état de continuelle fusion par la
foi et la charité de ses ministres, ce qui fait sa vie. Et lui, glacial, éteint, souillé, rempli de morts,
deviendra une pourriture sur laquelle les corbeaux étrangers et l'avalanche de la divine punition
s'abattront pour en faire une ruine.
Fils d'Israël, priez, en pleurant avec Moi, votre Sauveur. Que ma voix soutienne les vôtres, et
pénètre, elle qui le peut, jusqu'au
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trône de Dieu ; Celui qui prie avec le Christ, fils du Père, est écouté par Dieu, le Père du fils. Prions
avec l'antique, la juste prière de Baruch : 'Et maintenant , Seigneur Tout Puissant, ô Dieu d'Israël ,
toute âme angoissée, tout esprit que remplit l'anxiété crie vers Toi/ Ecoute, ô Seigneur, et air pitié.
Tu es un Dieu miséricordieux, aie pitié de nous parce que nous avons péché devant Toi. Toi, Tu
sièges éternellement et nous devrons périr pour toujours ? Seigneur Tout Puissant, Dieu d'Israël,
écoute la prière des morts d'Israël et de leurs fils qui ont péché en ta présence. Eux n'ont pas prêté
l'oreille à la voix du Seigneur leur Dieu et leurs maux se sont attachés à nous. Ne te souviens plus
de l'iniquité de nos pères, mais souviens-Toi de ta puissance et de ton Nom ... Pour que nous
invoquions ce Nom et nous nous convertissons de l'iniquité de nos prières, aie pitié'.
Priez ainsi et convertissez-vous réellement à la vraie sagesse qui est celle de Dieu et qui se
trouve dans le Livre des commandements de Dieu et dans la Loi qui dure éternellement et que
maintenant, Moi, Messie de Dieu, je suis venu apporter de nouveau dans sa forme simple et
inaltérable aux pauvres du monde, en leur annonçant la bonne nouvelle de l'ère de la Rédemption,
du Pardon, de l'Amour, de la Paix. Celui qui croira à cette Parole arrivera à la vie éternelle.
Je vous quitte, habitants de Sychar qui avez été bons avec le Messie de Dieu. Je vous laisse avec
ma paix. "
" Reste encore ! "
" Reviens encore ! "
" Jamais plus personne ne nous parlera comme Tu as parlé. "
" Sois Béni, bon Maître ! "
" Bénis mon petit ! "
" Prie pour moi, Toi le Saint ! "
" Permet-moi de garder une de tes franges comme bénédiction. "
" Souviens-toi d'Abel. "
" Et de moi timothée. "
" Et de moi Joraï "
" De tous, de tous . Que la paix vienne à vous. "
Ils l'accompagnent jusqu'au dehors de la ville pendant quelques centaines de mètres, puis
doucement, doucement ils reviennent ...
Jésus marche devant, seul, en frôlant une haie de cactus qui, se moquant de toutes les autres
plantes dépouillées, brillent au soleil avec leurs grosses palettes épineuses sur lesquelles il reste
quelques fruits que le temps a rendu rouge brique ou sur lesquelles déjà rit quelque fleur précoce
jaune teintée de cinabre.
Derrière, les apôtres parlottent entre eux et il me semble qu'ils ne font vraiment pas des
compliments au Maître. A un certain moment, Jésus se retourne brusquement et dit : " 'Qui regarde
d'où vient le vent ne sème pas, et qui reste à regarder les nuages ne moissonne jamais'. C'est un
vieux proverbe. Mais je m'y tiens. Et vous voyez que là où vous craignez de mauvais vent et ne
voulez pas rester, j'ai trouvé un terrain et possibilité de semailles. Malgré 'vos' nuages -soit dit en
passant, ce n'est pas bien que vous les fassiez voir là où la Miséricorde veut montrer son soleil- je
suis certain d'avoir déjà moissonné ".
" Mais, en attendant, personne ne t'a demandé de miracle. C'est une foi bien étrange qu'ils ont en
Toi ! "
" Et tu crois, Thomas, que seule la requête d'un miracle prouve qu'il y a foi ? Tu te trompes. C'est
tout le contraire. Celui qui veut un miracle pour pouvoir croire, témoigne que, sans le miracle,
preuve palpable, il ne croirait pas. Au contraire, celui qui dit : 'Je crois' sur simple parole d'autrui
manifeste la foi la plus grande. "
" De sorte que les Samaritains sont meilleurs que nous ! "
" Je ne dis pas cela. Mais dans leurs conditions d'affaiblissement spirituel, ils se sont montrés
beaucoup plus capables d'entendre Dieu que les fidèles de Palestine. Cela, vous le rencontrerez de
nombreuses fois dans votre vie et, je vous en prie, souvenez-vous aussi de cet épisode pour savoir
régler votre conduite sans préjugés à l'égard des âmes qui viendront à la foi du Christ. "
" Pourtant, pardonne-moi, Jésus, si je te le dis, il me semble qu'avec toute la haine qui te
poursuit, il est nuisible pour Toi de créer de nouvelles accusations. Si les membres du Sanhédrin
savaient que Tu as eu ... "
" Mais dis-le simplement : 'de l'amour' ", car c'est cela que j'ai eu, Jacques, et que j'ai encore. Et
toi, qui es mon cousin, tu peux comprendre que je ne puis avoir autre chose que de l'amour. Je t'ai
montré que je n'ai qu'amour, même pour ceux qui m'étaient hosti-
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les parmi ceux de mon sang et de mon pays. Et devrais-je pour ceux-ci qui m'ont respecté sans me
connaître ne pas avoir d'amour ? Les membres du Sanhédrin peuvent faire tout le mal qu'ils veulent.
Mais ce ne sera pas la perspective de ce mal à venir qui fermera les digues de mon amour
omniprésent et tout-opérant. Du reste ... mêle si j'agissais autrement ... je n'empêcherais pas le
Sanhédrin de trouver, dans sa haine, des motifs d'accusation. "
" Mais Toi, Maître, tu perds ton temps en pays idolâtre alors que l'on t'attend en tant d'endroits
en Israël. Tu dis que toute heure doit être consacrée au Seigneur. Ne sont-ce pas des heures
perdues ? "
" Elle n'est pas perdue la journée employée à rassembler les brebis éparses. Elle n'est pas
perdue, Philippe. Il est dit : 'Il fait beaucoup d'offrandes celui qui respecte la loi ... mais celui qui
use de miséricorde offre un sacrifice'. Il est dit : 'Donne au Très-Haut en proportion de ce qu'Il t'a
donné et offre avec joie selon tes moyens'. C "est ce que je fais, ami. Et ce n'est pas du temps perdu
celui du sacrifice. Je fais miséricorde et j'use des moyens que j'ai reçus en offrant mon travail à
Dieu. Restez donc calmes. Et du reste ... Qui de vous exigeait une requête de miracle pour se
persuader que les gens de Sychar croient en Moi, voici de quoi le contenter. Cet homme, qui nous
suit, sûrement a quelque motif de le faire. Arrêtons-nous. "
En effet un homme s'avance ; Il paraît courbé sous une lourde charge qu'il porte en équilibre sur
ses épaules. Il voit que le groupe s'arrête et il s'arrête lui aussi.
" Il veut nous faire du mal. Il s'arrête parce qu'il voit que nous nous en sommes aperçus. Oh !
ces samaritains ! "
" En es-tu certain, Pierre ? "
" Oh ! absolument ! "
" Alors, reste ici. Moi je vais à sa rencontre. "
" Pour cela, non, Seigneur. Si Tu y vas, je viens aussi. "
" Alors viens. "
Jésus va vers l'homme. Pierre trottine à son côté curieux et hostile à la fois. Quand ils sont à
quelques mètres l'un de l'autre, Jésus dit : " Que veux-tu, homme ? Qui cherches-tu ? "
" Toi. "
" Et pourquoi ne m'as tu pas cherché en ville ? "
" Je n'osais pas ... Si Tu m'avais repoussé devant tout le monde, j'en aurais eu trop de douleur et
de honte. "
" Tu pouvais m'appeler dès que j'ai été seul avec les miens. "
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" J'espérais te rejoindre quand Tu aurais été seul, comme Fotinaï. J'ai aussi un grand motif d'être
seul avec Toi ... "
" Que veux-tu ? Que portes-tu sur tes épaules avec tant de peine ? "
" Ma femme. Un esprit en a pris possession et en a fait un corps mort et une intelligence éteinte.
Je dois la faire manger, l'habiller, la porte comme une petite. Elle a été prise ainsi, sans maladie... Ils
l'appellent la 'possédée'. J'en souffre. Je peine et j'ai des dépenses. Regarde. " L'homme dépose sur
le sol son fardeau de chairs inertes enveloppées dans un manteau comme dans un sac et découvre un
visage de femme encore jeune, mais qu'on pourrait croire mort si elle ne respirait pas. Les yeux
clos, la bouche entrouverte .. la physionomie d'une personne qui a rendu le dernier soupir.
Jésus se penche sur la malheureuse, couchée par terre ; il la regarde, regarde l'homme : " Tu
crois que je puis ? Pourquoi le crois-tu ? "
" Parce que Tu es le Christ. "
" Mais tu n'en rien vu qui le prouve. "
" J'ai entendu ta parole. Elle me suffit. "
" Pierre, tu l'entends ? Que dis-tu que je doive faire maintenant, devant une fois aussi parfaite ? "
" Mais ... Maître .. Toi ... Moi ... Mais, en somme, fais-le Toi. " Pierre est très gêné.
" Oui. Je le fais. Homme regarde. " Jésus prend la femme par la main et commande : " Quitte-la.
Je le veux. "
La femme, jusqu'alors inerte, a une horrible convulsion d'abord muette et puis ce sont des cris et
des lamentations qui se terminent par un grand cri durant lequel elle ouvre les yeux jusqu'alors
fermés, se frottant les yeux, comme si elle s'éveillait d'un cauchemar. Puis elle se calme, et un peu
abasourdie regarde tout autour, dévisageant d'abord Jésus, l'Inconnu qui lui sourit ... elle regarde la
poussière du chemin sur lequel elle est allongée, une touffe d'herbe qui a poussé au bord du chemin
et sur laquelle les têtes blanches-rouges des pâquerettes sont comme des perles tout près de
s'épanouir. Elle regarde ha haie de cactus, le ciel azuré, et puis elle tourne les yeux et voit son
homme... son homme qui la regarde avec anxiété et observe attentivement tous ses mouvements.
Elle sourit, et puis avec la complète liberté qui lui est revenue, se dresse et se réfugie sur la poitrine
du mari qui la caresse et l'embrasse en pleurant.
" Comment ? Ici ? Pourquoi ? Quel est cet homme ? "
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" C'est Jésus, le Messie. Tu étais malade. Il t'a guérie. Dis-Lui que tu l'aimes bien. "
" Oh ! Oui ! Merci ... Mais qu'est-ce que j'avais, Mes enfants ... Simon .. Je ne me souviens pas
d'hier, mais je me rappelle que j'ai des enfants ... "
Jésus parle : " Il ne faut pas te rappeler hier. Souviens-toi toujours d'aujourd'hui. Et sois bonne.
Adieu. Soyez bons et Dieu sera avec vous. " Et Jésus, suivi par les bénédictions des deux, se retire
rapidement.
Quand il rejoint les autres, toujours adossés à la haie, il ne leur parle pas. Mais il s'adresse à
Pierre. " Et maintenant, toi, qui étais sûr que cet homme voulait me faire du mal, que dis-tu ?
Simon, Simon ! Que de choses il te manque encore pour être parfait ! Que de choses ! il vous
manque ! Moins l'idolâtrie évidente, vous avez tous le péchés de ces gens là et en plus l'orgueil dans
vos jugements. Maintenant, prenons notre repas. Nous dormirons dans quelque grange à foin si
nous ne trouvons pas mieux. "
Les douze, avec au cœur le sentiment du reproche, s'assoient sans parler et mangent leurs vivres.
Le soleil d'une journée tranquille illumine la campagne qui descend en molles ondulations vers
une plaine.
Le repas fini, ils s'arrêtent encore quelques temps jusqu'à ce que Jésus se lève et dise : " Viens,
toi, André, et toi, Simon. Je vais voir si cette maison est amie ou hostile. " et Il s'en va pendant que
les autres restent taciturnes jusqu ce que Jacques d'Alphée dit à Judas l'Iscariote : " Mais celle qui
vient, n'est-ce pas la femme de Sychar ? "
" Oui, c'est elle. Je la reconnais à son vêtement. Que voudra-t-elle ? "
" Suivre son chemin " répond Pierre boudeur.
" Non, elle nous fixe trop, en se protégeant les yeux avec sa main. "
Ils l'observent jusqu'à ce quelle arrive près d'eux et elle leur demande, toute humble : " Votre
Maître, où est-Il ? "
" Passe ton chemin. Pourquoi le demandes-tu ? "
" J'avais besoin de Lui ... "
" Il ne se perd pas avec les femmes' répond Pierre sèchement.
" Je le sais. Avec les femmes, non. Mais je suis une âme de femme qui a besoin de Lui. "
" Laisse-la faire " conseille Judas d'Alphée. Et il répond à Fotinaï :
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" Attend. Il reviendra bientôt. "
La femme se met dans un coin de la route à un tournant et elle reste immobile et silencieuse
pendant que tous la délaissent. Mais Jésus revient vite et Pierre dit : " Voici le maître. Dis-Lui ce
que tu veux, et vivement. "
La femme ne lui répond même pas, mais elle va aux pieds de Jésus et se baisse jusqu'au sol,
silencieuse.
" Fotinaï, que veux-tu de Moi ? "
" Ton aide, Seigneur. Je suis tellement faible, et je ne veux plus pécher. Je l'ai déjà dit à l'homme.
Mais maintenant que je ne suis plus une pécheresse, je ne sais plus rien. Le bien, je l'ignore. Que
dois-je faire ? Dis-le moi. Toi. Je ne suis que fange. Mais ton pied piétine la route pour aller vers les
âmes. Piétine ma fange, mais viens jusqu mon âme avec tes conseils " et elle pleure.
" Tu ne pourrais venir, femme seule, à ma suite. Mais si tu veux réellement ne plus pécher et
connaître la science de ne pas pécher, retourne chez toi avec l'esprit de pénitence, et attends. Le jour
viendra où, femme parmi d'autres également rachetées, tu pourrais être proche de ton Rédempteur et
apprendre la science du Bien. Va. N'aie pas peur. Sois fidèle à ta volonté actuelle de ne pas pécher.
Adieu. "
La femme baise la poussière, se relève et s'éloigne à reculons pendant quelques mètres, puis elle
s'en va vers Sychar ...
Une nuit avec un clair de lune si limpide qu'il révèle tous les détails du terrain et, avec le
jeune blé en herbe, les champs semblent des tapis de peluche vert-argenté traversés par les rubans
sombres des sentiers et gardées par les arbres tout éclairés du côté de la lune, tous noirs à l'opposé.
Jésus chemine, tranquille et seul. Il suit très rapidement son chemin jusqu'à ce qu'il se trouve un
cours d'eau qui descend en bouillonnant vers la plaine en direction nord-est. Il le remonte jusqu'à un
endroit solitaire pré d'une pente boisée. Il tourne encore, grimpe un sentier et arrive à un abri naturel
au flanc de la colline.
Il entre et se penche sur un être couché qu'on distingue à peine au
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clair de la lune qui éclaire le sentier mais ne pénètre pas dans la grotte. Il l'appelle : 'Jean'.
L'homme se réveille et s'assoit, encore pris par le sommeil. Mais vite il comprend quel est celui
qui l'appelle et se lève vivement, pour ensuite se prosterner à terre en disant : " Comment se fait-il
que mon Seigneur soit venu jusqu'à moi ? "
" Pour réjouir ton cœur et le mien. Tu m'as désiré, Jean. Me voici ; Lève-toi. Sortons au clair de
lune et assoyons-nous, pour parler, sur ce rocher près de la grotte. "
Jean obéit, se lève et sort. Mais, quand Jésus est assis, lui, dans sa peau de brebis qui couvre mal
son corps amaigri, se met à genoux en face du Christ, renvoie en arrière ses cheveux longs et en
désordre, qui lui retombent sur les yeux, pour mieux voir le Fils de Dieu.
Cela fait un très grand contraste. Jésus, pâle et blond, aux cheveux soyeux et peignés, avec une
barbe courte au bas du visage. L'autre qui n'est qu'un buisson de poils noirs d'où émergent
seulement deux yeux enfoncés, je dirai fiévreux, tant ils brillent de leur couleur noire de jais.
" Je suis venu te dire 'merci'. Tu as accompli et tu accomplis, avec toute la perfection de la Grâce
qui est en toi, ta mission d'être mon Précurseur. Quand l'heure viendra, tu entreras au Ciel à mes
côtés, car tu auras tout mérité de Dieu. Mais, en attendant, tu seras déjà dans la paix du Seigneur,
mon ami bien aimé. "
" Bientôt j'entrerai dans la Paix. Mon Maître et mon Dieu, bénis ton serviteur pour le fortifier dans
la dernière épreuve. Je n'ignore pas qu'elle est désormais très proche et que je dois encore donner un
témoignage : celui du sang. Et à Toi, plus encore qu'à moi, ce n'est pas chose inconnue que mon
heure va arriver. Ta venue, c'est la miséricordieuse bonté de ton cœur de Dieu qui l'a voulue pour
fortifier le dernier martyr d'Israël et le premier martyr des temps nouveaux. Mais dis-moi seulement
: aurai-je à attendre beaucoup ta venue ? "
" Non, Jean. Pas beaucoup plus qu'il ne s'est écoulé de temps de ta naissance à la mienne. "
" Que le très-Haut en soit béni. Jésus ... puis-je t'appeler ainsi ? "
" Tu le peux, à cause des liens du sang et de ta sainteté. Ce nom, que disent même les pécheurs,
peut être dit par le Saint d'Israël. Pour eux c'est le salut pour toi la douceur ; Que veux-tu de J "sus
ton Maître et ton cousin ? "
" Je vais mourir. Mais comme un père se préoccupe de ses enfants,
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Je me préoccupe de mes disciples. Mes disciples ... Tu es Maître et tu sais combien vif est en nous
l'amour pour eux. L'unique peine de ma mort, c'est la crainte qu'ils se perdent comme des brebis
sans berger. Recueille-les Toi. Je te rends les trois qui sont à Toi, et qui furent pour moi des parfaits
disciples, en t'attendant, Toi. En eux, et spécialement Mathias, la Sagesse est réellement présente.
J'en au d'autres, et ils viendront à Toi. Mais ceux-ci, permettes que je te les confie nommément. Ce
sont les trois qui me sont les plus chers. "
3Et ils me sont chers, à Moi aussi. Pars tranquille, Jean. Ils ne périront pas. Ni ceux-ci, ni les
autres qui sont tes vrais disciples. Je recueille ton héritage et je veillerai sur lui comme sur le trésor
le plus cher qui me vient de mon parfait ami et serviteur du Seigneur. "
Jean s'abaisse jusqu'à terre et, chose qui paraît impossible chez un personnage si austère, il
pleure secoué par des forts sanglots de joie spirituelle.
Jésus lui met la main sur la tête : "Tes pleurs, qui sont de joie et humilité, se rencontrent avec un
chant lointain au son duquel ton petit cœur a tressailli de joie. Ce chant et ces pleurs sont le même
hymne de louange à l'Eternel qui 'a fait de grandes choses, Lui qui est puissant chez les esprit
humbles'. Ma Mère aussi, va de nouveau entonner son cantique qu'Elle chanta alors. Mais ensuite,
pour Elle aussi viendra la plus grande gloire, comme pour toi, après le martyre. Je t'apporte aussi
son salut. Tous les souhaits et tous les réconforts. Tu les mérites. Ici ce n'est que la main du Fils de
l'homme qui se tient sur ta tête, mais du Ciel ouvert descend la Lumière et l'Amour pour te bénir,
Jean. "
" Je ne mérite pas tant. Je suis ton serviteur. "
" Tu es mon Jean. Ce jour là, au Jourdain, je fus le Messie qui se manifestait ; ici, maintenant,
c'est le cousin et le Dieu qui veut te donner le viatique de son amour de Dieu et de parent. Lève-toi,
Jean. Donnons-nous le baiser d'adieu. "
" Je ne mérite pas tant ... Je l'ai toujours désiré, pendant toute ma vie, mais je n'ose faire cet acte
sur Toi. Tu es mon Dieu. "
" Je suis ton Jésus. Adieu. Mon âme sera proche de la tienne, jusqu'à la paix. Vis et meurs en paix
pour tes disciples. Je ne puis te donner que cela, à présent. Mais au ciel je te donnerai le centuple,
car tu as trouvé toute grâce aux yeux de Dieu. "
Il l'a relevé et l'a embrassé en le baisant sur les joues et en recevant ses baisers. Puis Jean
s'agenouille encore et Jésus lui met les
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mains sur la tête et prie en tournant les yeux vers le ciel. Il semble qu'il le consacre. Il est imposant.
Le silence se prolonge ainsi pendant quelque temps. Puis Jésus lui fait ses adieux avec son doux
salut : " Que ma paix soit toujours avec toi. " et il prend le chemin du retour.
" Seigneur, pourquoi ne prends-tu pas de repos pendant la nuit ? Cette nuit, je me suis levé et je ne
t'ai pas trouvé. Ta place était vide. "
" Pourquoi m'as-tu cherché, Simon ? "
" Pour te passer mon manteau. Je craignais que Tu n'eusses froid dans cette nuit sereine, mais
très froide. "
" Et toi, tu n'avais pas froid ? "
" Je me suis habitué pendant les longues années de misère, à être mal couvert, mal nourri, mal
logé.. Cette vallée des morts ! Quelle horreur ! en ce moment, ce n'était pas le cas, mais une autre
fois que nous descendrons à Jérusalem, car certainement nous y irons, viens, mon Seigneur, vers ces
lieux de mort. Il se trouve là tant de malheureux ... et la misère matérielle n'est pas la plus grave ...
Ce qui ronge et consume davantage, c'est le désespoir.. Ne trouves-tu pas, mon Seigneur, qu'il y a
trop de dureté à l'égard des lépreux ? "
C'est l'Iscariote qui répond, avant même Jésus, au Zélote qui plaide en faveurs de ses anciens
compagnons. L'Iscariote dit ; " Et voudrais-tu alors les laisser au milieu du peuple ? Tant pis pour
eux s'ils sont lépreux ! "
" Il ne manquerait plus que cela pour faire des hébreux des martyrs ! même la lèpre se promenant
à travers les roues avec les troupes et le reste !... "s'exclame Pierre.
" Il me semble que c'est une mesure de juste prudence de les reléguer " observe Jacques d'Alphée.
" Oui, mais il faudrait le faire avec pitié. Tu ne sais pas ce que c'est d'être lépreux. Tu ne peux pas
en parler. Pourquoi, s'il est juste d'avoir soin de nos corps, n'avons-nous pas la même justice pour
les âmes des lépreux ? Qui leur parle de Dieu, Et Dieu seul sait à quel point ils ont besoin de penser
à un dieu et à une paix
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dans cette atroce désolation qui est la leur ! "
" Simon , tu as raison. J'irai les voir, parce que c'est juste et pour vous enseigner cette
miséricorde. Jusqu'à présent j'ai guéri les lépreux rencontrés par hasard. Jusqu'à ce moment, c'est à
dire jusqu'à ce que j'ai été chassé de Juda, je me suis tourné vers les grands de Juda comme étant les
plus éloignés et ayant le plus besoin d'être rachetés pour aider le Rédempteur. Maintenant,
convaincu de l'inutilité de cette tentative, je l'abandonne. Ce n'est plus vers les grands, mais vers les
plus petits, vers les misères d'Israël que je vais. Et parmi elles, il y aura les lépreux de la vallée des
morts. Je ne décevrai pas la foi qu'ont en Moi ceux qui ont été évangélisés par le lépreux
reconnaissant. "
" Comment sais-tu, Jésus, que je fais cela ? "
" Comme je sais ce que pensent de Moi amis et ennemis dont je scrute le cœur. "
" Miséricorde ! Mais sais-tu exactement tout ce qui nous concerne, Maître ? " s'écrie Pierre.
" Oui. Même que toi, et pas toi seul, tu voulais éloigner Fotinaï. Mais, ne sais-tu pas qu'il ne
peut être permis d'éloigner une âme du bien, Ne sais-tu pas que pour entrer dans un pays il faut
avoir une pitié tout empreinte de douceur, même pour ceux que la société, qui n'est pas sainte parce
qu'elle n'est pas intimement unie à Dieu, juge et déclare indignes de pitié ? Mais ne te trouble pas
parce que je le sais. Sois seulement peiné que ton cœur ait des mouvements que Dieu n'approuve
pas, et efforce-toi de ne plus les avoir. Je vous l'ai dit ; La première année est terminée. Au cours de
la nouvelle j'avancerai, et avec des formes nouvelles, sur ma route. Vous aussi devez progresser au
cours de cette seconde année. Autrement il serait inutile que je me fatigue à vous évangéliser et à
vous sur-évangéliser, vous, mes futurs prêtres. "
" Tu étais allé prier, maître ? Tu nous as promis de nous enseigner tes prières. Le feras-Tu cette
année ? "
" Je le ferai. Mais je veux vous enseigner à être bons. La bonté est déjà prière. Mais je le ferai,
Jean.. "
" Et est-ce que tu nous enseignerais aussi à faire des miracles, cette année ? " demande l'Iscariote.
" Le miracle ne s'enseigne pas. Ce n'est pas un jeu d'amuseurs. Le miracle vient de Dieu, l'obtient
qui est en grâce près de Dieu. Si vous apprenez à être bons, vous aurez la grâce et obtiendrez le
miracle. "
" Mais Tu ne réponds jamais à notre question. Simon te l'a posée
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ainsi que Jean, et Tu ne nous as jamais dit où Tu es allé cette nuit. Sortir ainsi, seul, en pays païen,
ce peut être dangereux. "
" Je suis allé faire plaisir à une âme droite, et puisqu'il doit mourir, pour recueillir son héritage. "
" Oui ? Il était si important ? "
" Très important, Pierre, et de grande valeur. Le fruit du travail d'un vrai juste. "
" Mais ... je n'ai rien vu dans ton sac. Ce sont peut-être des bijoux que tu as sur ton sein ? "
" Oui, ce sont des bijoux très chers à mon cœur. "
" Montre-les-nous, Seigneur. "
" Je les aurai après la mort de celui qui doit mourir. Pour l'heure, ils servent à lui et à Moi, en les
laissant où ils sont. "
" Il les a placés à intérêt ? "
" Mais crois-tu que tout ce qui a de la valeur soit de l'argent ? C'est la chose la plus inutile et
dégoûtante qui existe sur la terre. Il ne sert que pour les choses matérielles, le péché et l'enfer.
Rarement l'homme s'en sert pour le bien. "
" Alors, si ce n'est pas de l'argent, qu'est-ce ? "
" Trois disciples formés par un saint. "
" Tu as été près du baptiste. Oh ! Mais pourquoi ? "
" Pourquoi ... Vous, vous m'avez toujours. Et vous tous, vous valez moins qu'une ongle du
Prophète ; N'était-il pas juste que j'aille vers le saint d'Israël lui porter la bénédiction de Dieu pour le
fortifier dans son martyre ? "
" Mais s'il est saint ... il n'a pas besoin de fortification. Il se suffit ... "
" Un jour viendra où 'mes' saints seront conduits devant les juges et à la mort. Ils seront saints,
ils seront en grâce de Dieu, ils seront fortifiés par la foi , l'espérance et la charité. Et pourtant
j'entende déjà leur cri, le cri de leur esprit 'Seigneur, aide-nous à cette heure !' Ce n'est que par mon
aide que mes saints seront forts dans les persécutions. "
" Mais ... nous ne serons pas ceux là, ce n'est pas ? Parce que moi, je ne suis vraiment pas
capable de souffrir. "
" C'est vrai. Mais toi, Barthélemy, tu n'es pas encore baptisé. "
" Mais si, je le suis. "
" Dans l'eau. Mais il te manque encore un autre baptême. Alors tu sauras souffrir. "
" Je suis déjà âgé. "
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" Et, si vieux que tu seras, tu seras plus fort qu'un jeune. "
" Mais Tu nous aideras quand même, n'est-ce pas ? "
" Je serai avec vous toujours. "
" J'essaierai de m'habituer à souffrir. " dit Barthélemy.
" Moi, je prierai sans relâche, dès maintenant, pour avoir cette grâce de Toi " dit Jacques
d'Alphée.
" Je suis âgé, et je ne demande que de te précéder et d'entrer avec Toi dans la paix " dit Simon le
Zélote.
" Moi ... je ne sais pas ce que je voudrais : mourir avant Toi ou mourir en même temps que Toi "
dit Jude d'Alphée.
" Moi, j'aurai de la peine si je te survis, mais je me consolerai en prêchant aux peuples " professe
l'Iscariote.
" Moi, je pense comme ton cousin " dit Thomas.
" Moi, au contraire, comme Simon le Zélote " dit Jacques de Zébédée.
" Et toi, Philippe ? "
" Mais ... je dis que je ne veux pas y penser. L'Eternel me donnera ce qui est le mieux. "
" Oh ! mais taisez-vous ! Il semble que le maître doive mourir bientôt ! Ne me faites pas penser
à sa mort ! " s'exclame André.
" Tu as bien parlé, mon frère. Tu es jeune et en bonne santé, Jésus. Tu dois nous enterrer tous,
nous plus âgés que Toi. "
" Et s'ils me tuent ? "
" Que cela n'arrive jamais. Mais moi, je te vengerai. "
" Comment ? Par des vengeances sanglantes ? "
" Hé ... même ainsi si tu les permets. Mais autrement en enlevant par ma profession de foi parmi
les peuples les accusations qu'on jette sur Toi. Le monde t'aimera parce que je serai infatigable à te
prêcher. "
" C'est vrai. Il en sera ainsi. Et toi, Jean. Et toi, Mathieu ? "
" Moi, je dois souffrir et attendre d'avoir avec beaucoup de peine lavé mon esprit. " dit Mathieu.
" Et moi, moi ... je ne sais pas. Je voudrais mourir tout de suite pour ne pas te voir souffrir. Je
voudrais être à côté de Toi pour consoler ton agonie. Je voudrai vivre longtemps pour te servir
longtemps. Je voudrais mourir avec Toi, pour entrer avec Toi au Ciel. Je voudrai tout, parce que je
t'aime. Et je pense que moi, le plus petit parmi mes frères, je pourrai tout cela si je sais t'aimes à la
perfection. Jésus, augmente ton amour ! " dit Jean.
" Tu voudrais dire : 'Augmente mon amour' " explique l'Iscariote. " Parce que c'est nous qui
devons aimer toujours plus ... "
" Non, je dis : 'Augmente ton amour' parce que nous l'aimerons davantage s'il nous brûle de son
amour. "
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Jésus attire près de Lui le pur et passionné Jean. Il le baise au front en disant ensuite : " Tu as
révélé un mystère de Dieu sur la sanctification des cœurs. Dieu se répand sur les justes, et plus ils se
livrent à son amour, plus Lui l'augmente et plus la sainteté grandit. C'est la mystérieuse et ineffable
opération de Dieu et des esprits. Il s'accomplit dans les silences mystiques et sa puissance, que les
mots humains ne peuvent décrire, crie d'indescriptibles chefs-d'œuvre de sainteté. C n'est pas une
erreur mais une parole sage que de demander que Dieu augmente son amour dans un cœur. "
Jésus est seul ; Il marche rapidement sur la grande route proche de Nazareth et en entre dans la ville
en se dirigeant vers la maison. Quand il est proche, il voit la Mère qui de son côté va à la maison
avec, à côté d'elle, son neveu Simon chargé de bois sec. Il l'appelle : " Maman ! "
Marie se retourne en s'écriant : " Oh !mon Fils bien aimé ! " et les deux courent l'un vers l'autre
pendant que Simon, après avoir jeté son bois par terre, imite Marie, en allant vers son cousin qu'il
salue cordialement.
" Maman, je suis venu. Es-tu contente, maintenant ? "
" Tellement, mon Fils. Mais ... si c'est seulement à ma prière que Tu l'as fait, je te dis qu'il ne
m'est pas permis, ni à Toi, de suivre le sang plutôt que la mission. "
" Non, Maman. Je suis venu aussi pour d'autres choses. "
" C'est donc bien vrai, mon Fils ? Je croyais, je voulais croire que c'étaient des paroles
mensongères et que Tu n'étais pas haï à ce point ... " Il y a des larmes dans la voix et les yeux de
Marie.
" Ne pleure pas, Maman. Ne me donne pas cette douleur. J'ai besoin de ton sourire. "
" Oui, Fils, oui. C'est vrai. Tu vois tant de visages durs et hostiles que Tu as besoin de tant
d'amour et de sourire. Mais ici, vois-tu, il y a quelqu'un qui t'aime pour tous ... " Marie, qui s'appuie
légèrement à son Fils qui la tient par les épaules, marche lentement vers la maison et Elle essaye de
sourire pour effacer toute peine du cœur de Jésus. Simon a repris son fardeau et marche à côté de
Jésus.
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" Tu es pâle, Maman. Ils t'ont donné beaucoup de peine ? As-tu été malade ? Es-tu trop fatiguée ?
"
" Non, Fils, non. Je n'ai aucune peine que celle de te voir au loin et pas aimé. Mais ici, avec moi,
ils sont très bons. Je ne parle même pas de Marie et d'Alphée : tu sais ce qu'ils sont. Mais même
Simon, tu vois comme il est bon ? C'est toujours ainsi. Il m'a rendu service, ces mois-ci.
Maintenant, il m'approvisionne de bois. Il est si bon. Et même Joseph, sais Tu ? Tant de pensées
délicates pour leur Marie. "
" Dieu te bénisse, Simon, et qu'Il bénisse aussi Joseph. Que vous ne m'aimiez pas encore comme
Messie, je vous le pardonne. Oh ! à l'amour du Christ que je suis, vous y viendrez, mais comment
pourrais-je vous pardonner de ne pas l'aimer, Elle ? "
" Aimer Marie, c'est juste et c'est la paix, Jésus. Mais Toi aussi tu es aimé ... seulement, voilà,
nous avons trop de craintes pour Toi. "
" Oui,, vous m'aimez humainement. Vous viendrez à l'autre amour. "
" Mais, Toi aussi Tu es pâle et amaigri. "
" Oui, tu semble plus âgé. Je le vois moi aussi " observe Simon.
Ils rentrent dans la maison et Simon, après avoir mis son bois en place, se retire discrètement..
" Fils, maintenant que nous sommes seuls, dis-moi la vérité, toute entière. Pourquoi t'ont- ils
chassé ? " Marie parle, les mains sur les épaules de son Jésus et Elle fixe son visage amaigri.
Jésus a un sourire doux et las : " Parce que je cherchais à amener l'homme à l'honnêteté, à la
justice, à la vraie religion. "
" Mais qui t'accuse ? Le peuple ? "
" Non, Mère. Les pharisiens et les scribes, à l'exception de quelques justes qui se trouvent parmi
eux. "
" Mais, qu'as Tu fait pour attirer leurs accusations ? "
" J'ai dit la vérité. Ne sais-tu pas que c'est la plus grande faute auprès des hommes ? "
" Et qu'est ce qu'ils ont pu dire pour justifier leurs accusations ? "
" Des mensonges. Ceux que tu connais et d'autre encore. "
" Dis-les à ta Maman. " Ta douleur, mets-la toute entiere dans mon sein. Un sein de mère est
habitué à la douleur et il est heureux de la consumer pour l'enlever du cœur de son Fils. Donne-moi
ta douleur, Jésus. Mets-toi ici comme quand tu étais tout petit, et de pose tout ton amertume. "
Jésus s'assoit sur un petit banc aux pieds de sa mère et raconte tous ces mois de Judée, sans
rancœur, mais sans voile.
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Marie Lui caresse les cheveux avec sur les lèvres un héroïque sourire qui contraste avec la larme
qui scintille dans son œil azuré. Jésus parle aussi de la nécessité d'approcher des femmes pour les
racheter et la peine qu'il a de ne pouvoir la faire à cause de la malignité des hommes. Marie est
d'accord et Elle décide/ " Fils, Tu ne dois pas me refuser ce que je veux. Désormais je viendrai avec
Toi quand Tu t'éloigneras. Par n'importe quel temps, en n'importe quelle saison, en n'importe quel
endroit. Je te défendrai contre la calomnie. Ma seule présence fera tomber la boue. Et Marie viendra
avec moi. Elle le désire tant. C'est cela qu'il faut près du Saint contre le démon et le monde : le cœur
des mamans. "
11. A CANA. DANS LA MAISON DE SUZANNE. L'OFFICIER ROYAL
Jésus se dirige peut-être, vers le lac. Certainement il se rend à Cana en se dirigeant vers la maison
de Suzanne. Avec Lui, il y a ses cousins. Ils s'arrêtent dans la maison, se reposent et se restaurent.
Les parents et les amis de Cana l'écoutent comme on devrait toujours le faire. Jésus instruit
simplement ces bonnes personnes. Il console la peine de l'époux de Suzanne qui doit être malade
car elle n'est pas là et j'entends qu'on parle avec insistance de ses souffrances. C'est alors qu'entre un
homme bien vêtu qui se prosterne aux pieds de Jésus.
"Qui est-tu? Que veux-tu?"
Pendant que cet homme soupire et pleure, le maître de la maison tire Jésus par son vêtement et
Lui dit tout bas: "C'est un officier du Tétrarque. Ne te fie pas trop."
"Parle, donc. Que veux-tu de Moi?"
"Maître, j'ai appris que tu es venu. Je t'attendais comme on attend Dieu. Viens tout de suite à
Capharnaüm. Mon garçon est couché, tellement malade que ses heures sont comptées. J'ai vu Jean,
ton disciple. Il m'a appris que tu venais ici. Viens, tout de suite, avant qu'il ne soit trop tard."
"Comment? Toi qui es le serviteur du persécuteur du saint d'Israël, comment peux-tu croire en
Moi, Vous ne croyez pas au Précurseur du Messie. Comment, alors, pouvez-vous croire au
Messie?"
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"C'est vrai. Nous péchons par incrédulité et par cruauté. Mais aie pitié d'un père! Je connais
Chouza et j'ai vu Jeanne. Je l'ai vue avant et après le miracle, et j'ai cru en Toi."
"Oui, vous êtes une génération tellement incrédule et perverse que sans signes et sans prodiges
vous ne croyez pas. Il vous manque la première qualité indispensable pour obtenir le miracle."
"C'est vrai! C'est tout à fait vrai! Mais, tu le vois ... Je crois en Toi à présent, et je t'en prie: viens,
viens tout de suite à Capharnaüm. Je te ferai trouver une barque à Tibériade pour que tu viennes
plus rapidement. Mais viens avant que mon petit ne meure!" et il pleure, désolé.
"Je ne viens pas, pour l'instant. Mais va à Capharnaüm. Dès ce moment ton fils est guéri et il
vit."
"Que Dieu te bénisse, mon Seigneur. Je crois. Mais comme je veux que toute ma maison te
fasse fête, viens ensuite à Capharnaüm dans ma maison."
"Je viendrai. La paix soit avec toi."
L'homme sort en h" C'est vrai entend tout de suite après le trot d'un cheval.
" Mais, il est bien guéri, ce garçon ? " demande l'époux de Suzanne.
" Et peux-tu croire que je mente ? "
" Non, Seigneur. Mais Tu es ici et le garçon est là-bas. "
" Il n'y a pas de barrière pour mon esprit, ni de distance "
" Oh !, mon Seigneur ! Toi qui as changé l'eau en vin à mes noces, change mes pleurs en sourire,
alors, guéris Suzanne. "
" Que me donneras-tu en échange ? "
" La somme que Tu veux. "
" Je ne souille pas ce qui est saint avec le sang de Mammon. Je demande à ton esprit ce qu'il me
donnera. "
" Moi-même, si Tu veux. "
" Et si je te demandais, sans discussion, un grand sacrifice ? "
" Mon seigneur, je te demande la santé de mon épouse et notre sanctification à tous. Je crois que
pour l'obtenir je ne pourrais retenir aucun sacrifice trop grand ... "
" Tu souffres pour ta femme. Mais si Moi je la ramènerais à la vie, en la conquérant pour
toujours comme disciple, que dirais-tu ? "
" Que ... que Tu en as le droit... et que ... j'imiterai Abraham dans la promptitude du sacrifice ; "
" Tu as bien parlé. Écoutez tous : le temps de mon Sacrifice s'approche. Comme l'eau, il court
rapide et sans arrêt vers l'embouchure. Il me faut accomplir tout ce que je dois. Et la dureté
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des hommes me ferme un si large champ de mission. Ma Mère et Marie d'Alphée viendront avec
moi quand je m'éloignerai pour aller au milieu des populations qui ne m'aiment pas encore,, ou ne
m'aimeront jamais. Ma sagesse sait que les femmes pourront aider le Maître dan ce domaine
interdit. Je suis venu pour racheter aussi la femme, et dans mon ère, on verra les femmes semblables
à des prêtresses, servir le Seigneur et les serviteurs de Dieu. J'ai choisi mes disciples. Mais pour
choisir les femmes qui ne sont pas libres, je dois les demander à leurs pères et à leurs maris. Le
veux-tu ? "
" Seigneur ... j'aime Suzanne et jusqu'à présent je l'ai aimée plus comme chair que comme esprit.
Mais, sous ton enseignement, quelque chose déjà est changé en moi et je vois en ma femme une
âme aussi, en plus d'un corps. L'âme appartient à Dieu, et Tu es le Messie, Fils de Dieu. Je ne puis
te disputer le droit sur ce qui appartient à Dieu. Si Suzanne veut te suivre, je n'y serai plus hostile.
Seulement, je t'en prie, opère le miracle de la guérir dans sa chair, et moi dans mes sens... "
" Suzanne est guérie. Elle viendra dans quelques heures te dire sa joie. Laisse son âme suivre son
impulsion sans parler de ce que je t'ai dit. Tu verras que son âme viendra vers Moi avec la
spontanéité de la flamme qui tend vers le haut. Et cela ne fera pas mourir son amour d'épouse, mais
il montera au plus haut degré qui est de s'aimer avec ce qu'il y a de meilleur en nous : l'esprit. "
" Suzanne t'appartient, seigneur. Elle devait mourir lentement, avec des grandes souffrances. Et
une fois morte, je l'aurais vraiment perdue sur la terre. Les choses étant comme tu dis, je l'aurai
encore à mes côtés pour me conduire sur tes chemins. Dieu me l'a donnée et Dieu me l'en lève. Que
le Très-Haut soit béni pour le don qu'Il m'a fait et celui qu'Il me demande. "
Jésus se trouve dans une maison dont je comprends qu'elle est celle de Jacques et de Jean d'après
les conversations de ceux qui s'y trouvent. Avec Jésus, en plus des deux disciples, il y a Pierre et
André, Simon le Zélote, l'Iscariote et Mathieu. Les autres, je ne les
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vois pas.
Jacques et Jean sont heureux. Ils vont et viennent de leur mère à Jésus et vice versa comme deux
papillons qui ne savent quelle fleur préférer entre deux également aimées. Et Marie Salomé caresse
chaque fois ses enfants, heureuse, pendant que Jésus sourit. Ils doivent avoir terminé le repas, car je
vois que la table est encombrée. Mais ils veulent absolument faire manger à Jésus des grappes de
raisin blanc que leur mère a gardé en conserve et qui doit être doux comme du miel. Que ne
donneraient-ils pas à Jésus !
Mais Salomé veut donner et recevoir quelque chose de plus que du raisin et des caresses. Et,
après être restée un peu pensive en regardant Jésus, en regardant Zébédée, elle se décide. Elle va
vers le Maître qui est assis le dos appuyé à la table et elle s'agenouille devant Lui.
" Que veux-tu, femme ? "
" Maître, tu as décidé de faire venir avec Toi ta Mère et la mère de Jacques et Jude et aussi
Suzanne, et certainement aussi la grande Jeanne de Chouza viendra. Toutes les femmes qui te
vénèrent viendront, s'il en vient une seule. Je voudrais en être moi aussi. Prends-moi, Jésus.. Je te
servirai avec amour. "
" Tu as Zébédée dont tu dois t'occuper. Est-ce que tu ne l'aimes plus ? "
" Oh ! si, je l'aime. Mais je t'aime davantage, Toi. Oh ! je ne veux pas dire que je t'aime en tant
qu'homme. J'ai soixante ans, et depuis quarante ans je suis épouse et jamais je n'ai vu d'autre
homme que le mien. Je ne deviens pas folle, maintenant que je suis vieille. Et la vieillesse ne fait
pas mourir l'amour que j'ai pour mon Zébédée. Mais Toi.. Je ne sais pas parler. Je suis une pauvre
femme. Je parle comme je sais. Voici : Zébédée, je l'aime avec tout ce que j'étais jusqu'alors. Toi, je
t'aime avec tout ce que tu as su faire venir en moi par tes paroles et par celles que m'ont transmises
Jacques et Jean. C'est quelque chose de tout à fait différent... mais tellement beau. "
" Ce ne sera jamais aussi beau que l'amour d'un excellent époux. "
" Oh ! non ! C'est quelque chose de bien plus ! ... Oh ! ne le prends pas mal, Zébédée ! Je t'aime
encore avec tout moi-même. Mais Lui je l'aime avec quelque chose qui est encore Marie, mais qui
n'est plus Marie, la pauvre Marie, ton épouse ... qui est bien plus .. Oh ! je ne sais pas le dire ! "
Jésus sourit à la femme qui ne veut pas blesser son mari mais qui ne peut taire son grand, son
nouvel amour. Même Zébédée sourit
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gravement en s'approchant de son épouse qui, toujours à genoux, fait un tour sur elle-même pour se
tourner alternativement vers son époux et vers Jésus.
" Mais, sais-tu, Marie, que tu devras quitter ta maison, ? Tu y est tellement attachée ! Tes
colombes... tes fleurs.. cette vigne qui donne ce doux raisin dont tu es si fière .. et tes ruches, les
plus célèbres du pays ... et aussi ce métier sur lequel tu as tissé tant de lin et tant de laine pour tes
bien-aimés... Et tes petits enfants ? Comment feras-tu pour vivre sans ces petits ? "
" Oh ! mais, mon Seigneur ! Que veux-tu que ce soit, pour moi, les murs, les colombes, les
fleurs, la vigne, les ruches, le métier, toutes choses bonnes et chères, mais si mesquines par rapport
à Toi, à l'amour pour Toi ?! Les petits ... oh ! oui ! ce sera une peine de ne plus pouvoir les endormir
sur mon sein et de ne plus les entendre m'appeler ... Mais Toi, tu es bien plus ! Oh ! si tu es bien
plus que toutes ces choses que tu me nommes ! Et si toutes ces choses prises ensemble et à cause de
ma faiblesse m'étaient plus chères que de te servir et te suivre, moi, en pleurant, je les jetterais de
côté en pleurant comme une femme, pour te suivre avec mon âme souriante. Prends-moi, Maître.
Dites-le-Lui, vous, Jean, Jacques... et toi, mon époux. Soyez bons. Venez à mon aide, tous. "
" C'est bien. Tu viendras aussi avec les autres. J'ai voulu te faire bien réfléchir sur le passé et sur
le présent, sur ce que tu laisses, sur ce que tu prends. Mais viens, Salomé. Tu es mûre pour entrer
dans ma famille. "
" Oh ! mûre ! Je suis moins qu'un tout petit. Mais tu pardonneras mes erreurs et me tiendras par la
main. Toi ... parce que, grossière comme je suis, je rougirai beaucoup devant ta Mère et devant
Jeanne. Devant tous j'aurai honte, mais pas devant Toi, parce que tu es la Bonté et Tu comprends
tout, excuse tout, pardonnes tout. "
"Qu'as tu Pierre? Tu sembles mécontent" demande Jésus, qui suit un sentier de campagne suis les
branches des amandiers en fleurs qui annoncent à l'homme la fin de la mauvaise saison.
"Je réfléchis, Maître."
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"Tu réfléchis. Je le vois bien, mais ta physionomie fait voir que tu ne penses pas à des choses
gaies."
"Mais Toi qui sais tout ce qui nous concerne, tu le sais déjà."
"Oui. Je le sais déjà. Même Dieu le Père sait les besoins de l'homme, mais Il veut trouver dans
l'homme la confiance qui expose ses propres besoins et qui demande de l'aide. Moi, je peux te dire
que tu as tort de te tourmenter."
"Alors mon épouse ne t'est pas moins chère?"
"Mais non, Pierre. Et pourquoi devrait-elle l'être moins? Si nombreuses sont au Ciel les
demeures de mon Père. Si nombreuses sont sur la terre les fonctions de l'homme. Et pourvu qu'elles
soient faites saintement, elles sont toutes bénies. Pourrais-je dire qu'elles sont mal vues de Dieu
toutes les femmes qui ne suivent pas les Marie et Suzanne?"
"Hé! Non. Alors mon épouse aussi croit au Maître et ne suit l'exemple des autres" dit Barthélemy.
"Et la mienne non plus, avec ses filles. Elles restent à la maison, mais toujours prêtes à offrir
l'hospitalité, comme elles l'ont fait hier" dit Philippe.
"Je crois que ma mère en fera autant. Elle ne peut pas tout quitter... elle est seule" dit l'Iscariote.
"C'est vrai! C'est vrai! J'étais triste parce qu'il me semblait que la mienne était si ... si peu ... Oh!
je ne sais pas le dire!"
"Ne la critique pas, Pierre. C'est une honnête femme" dit Jésus.
"Elle est très timide. Sa mère les a toutes, filles et belles-filles, pliées sous ses volontés" dit André.
"Mais, depuis tant d'années qu'elle est avec moi, elle aurait dû changer!"
"Oh! frère! Tu n'es pas doux, toi non plus, sais-tu? Sur une personne timide tu produis l'effet
d'une grosse bûche qu'on vous lance entre les jambes. Ma belle-sœur est très bonne, et la preuve en
est d'avoir supporté avec patience sa mère avec toute sa méchanceté et toi avec ton autorité."
Tout le monde rit de la conclusion si franche d'André et du visage étonné de Pierre qui s'entend
proclamer autoritaire.
Même Jésus rit tout à fait de bon cœur. Puis il dit: "Les femmes fidèles qui ne se sentent pas
appelées à quitter leur maison pour me suivre me servent également en restant chez elles. Si toutes
avaient voulu venir avec Moi, j'aurais dû commander à certaines de rester. Maintenant que les
femmes s'uniront à nous, je dois aussi penser à elles. Il ne serait ni convenable ni prudent que des
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femmes se trouvent sans demeure allant ici et là. Nous, nous pouvons dormir n'importe où. La
femme a d'autres besoins, et il lui faut un abri. Nous, nous pouvons coucher sur une même litière.
Elles ne peuvent rester au milieu de nous par respect et par prudence pour leur constitution plus
délicate. On ne doit jamais tenter la Providence ni s'affranchir de la nature au-delà de certaines
limites. Maintenant je ferai de toute maison amie où habite une de vos femmes, un abri pour les
autres. De la tienne, Pierre, de la tienne Philippe, de la tienne Barthélemy, et de la tienne, Judas.
Nous ne pourrons imposer aux femmes les marches continuelles que nous ferons. Mais elles nous
attendront au lieu fixé pour le départ chaque matin et le retour chaque soir.
Nous leur donnerons des instructions pendant les heures de repos et le monde ne pourra plus
jaser si d'autres malheureuses créatures viennent vers Moi et il ne me sera pas interdit de pouvoir les
entendre. Les mères et les épouses qui nous suivront serviront de défense à leurs sœurs et à Moi
contre les calomnies du monde. Vous voyez que je suis en train de faire un rapide voyage pour
saluer là où ils se trouvent les amis que j'ai déjà et ceux que je pourrai avoir. Ceci n'est pas pour
Moi. Mais pur les plus faibles parmi les disciples dont la faiblesse soutiendra notre force et la rendra
utile auprès de tant, de tant de créatures."
"Mais, maintenant, nous allons à Césarée, as-tu dit. Qui est-ce qu'il y a là?"
"Les créatures qui aspirent au Dieu Vrai il y en a partout. Le printemps déjà s'annonce dans
cette blancheur rose des amandiers et fleurs. Les jours de gel sont finis. Dans peu de jours j'aurai
fixé les endroits où se dirigeront et auront un abri les femmes disciples et nous reprendrons alors
nos pérégrinations en semant la parole de Dieu sans avoir à nous préoccuper pour les soeurs, sans
craindre la calomnie. Leur patience vous instruira et aussi leur douceur. Pour les femmes aussi, va
arriver l'heure où sonnera sa réhabilitation. De vierges, d'épouses, de mères saintes il y en aura une
grande floraison dans mon Eglise."
Jésus est au milieu d'une place, grande et assez belle, que pro
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longe une route très large jusqu'au bord de la mer. Une galère, depuis peu, a quitté le port et gagne
le large poussée par le vent et propulsé par les rames. Une autre manœuvre pour entrer, car on
cargue les voiles et les rames se meuvent d'un seul côté pour faire tourner le navire dans une
position convenable. Le port ne se voit pas, de la place, mais il doit être proche. Sur les côtés de la
place sont alignées de vastes demeures aux murs extérieurs caractérisés par l'absence presque totale
d'ouvertures. Pas de boutiques.
"Où allons-nous, maintenant? Tu as voulu venir ici plutôt qu'au quartier oriental, ici ce sont des
lieux païens. Qui veux-tu qui t'écoute?" demande Pierre qui en fait reproche à Jésus.
"Nous allons là-bas, dans cet angle, près de la mer, et là je parlerai.
"Aux flots?"
"Même eux ont été créés par Dieu."
Ils y vont. Maintenant, ils sont justement dans ce recoin et voient le port où entre lentement la
galère vue auparavant et qu'on amarre. Quelques marins flânent le long des quais. Quelques
marchands de fruits se risquent à aller vers le bâtiment romain pour vendre leurs produits. Rien
d'autre.
Jésus, appuyé au mur, semble vraiment parler aux flots. Les apôtres, peu satisfaits de la situation
sont autour de Lui, les uns debout, les autres assis sur des rochers dispersés ça et là qui semblent
servir de sièges.
"Sot est l'homme qui se voyant puissant, en bonne santé et heureux dit: 'De quoi ai-je désormais
besoin? Et de qui? De personne. Rien ne me manque, je me suffis. Les lois ou les décrets de Dieu
ou ceux de la morale sont pour moi inexistants. Ma loi, c'est de faire ce qui m'est possible sans
réfléchir si c'est bien ou mal pour les autres'."
Un vendeur se retourne en entendant cette voix sonore et vient vers Jésus qui continue: "C'est
ainsi que parle l'homme et la femme sans sagesse et sans foi. Mais si, de cette façon, il manifeste
qu'il possède une puissance plus ou moins grande, il montre également sa parenté avec le Mal."
Des hommes descendent de la galère et d'autres barques viennent vers Jésus.
"L'homme montre, non par des paroles mais par les faits, sa parenté avec Dieu et avec la Vertu
quand il réfléchit que la vie est plus changeante que la mer, qui maintenant est tranquille et demain
sera en fureur. De la même façon, le bien-être et la puis
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sance aujourd'hui peut être demain misère et impuissance. Et que fera alors l'homme privé de
l'union avec Dieu? Combien y en a-t-il sur cette galère qui furent un jour heureux et puissants et qui
maintenant sont esclaves et considérés comme coupables! Coupables, par conséquent esclaves deux
fois: de la loi humaine dont on s'est moqué en vain car elle existe et elle punit ceux qui la
transgressent, et de Satan qui éternellement prend possession des coupables qui n'arrivent pas à haïr
leur faute."
"Salut, Maître! Toi ici? Tu me reconnais?"
"Que Dieu vienne à toi, Publius Quintilianus. Tu le vois, je suis venu."
"Et justement ici, dans le quartier romain. Je n'espérais plus te voir, mais j'ai plaisir à
t'entendre."
"Moi aussi. Sur cette galère il y a beaucoup de rameurs?"
"Beaucoup. Des prisonniers de guerre en majeure partie. Ils t'intéressent?"
"Je voudrais aller près du bateau."
"Viens. Faites place, vous autre" ordonne-t-il au peu de personnes qui s'étaient approchées et qui
s'écartent rapidement en marmonnant des injuries.
"Laisse-les donc. Je suis habitué à être serré parmi les gens."
"Jusqu'ici c'est possible. Pas plus loin. Galère militaire."
"Ça suffit. Dieu t'en récompense!"
Jésus recommence à parler pendant que le romain semble monter la garde à ses côtés, dans sa
tenue magnifique.
"Esclaves par suite d'un douloureux événement, c'est-à-dire esclaves une seule fois. Esclaves pour
toute la vie. Mais chaque larme qui tombe sur leurs chaînes, tout coup qui vient marquer une
douleur sur leur chair desserre les menottes, orne ce qui ne meurt pas, leur ouvre enfin la paix de
Dieu qui est l'ami de ses pauvres fils malheureux et qui leur donnera tant de joie en échange de tout
ce qui ici a été la douleur."
De l'intérieur de la galère s'avancent des hommes de la chiourme qui écoutent. Naturellement, les
galériens ne sont pas parmi eux. Mais certainement, par les ouvertures où passent les rames, ils
entendent arriver jusqu'à eux la voix puissante de Jésus qui se propage dans l'air tranquille à cette
heure de marée basse. Publius Quintilianus, appelé par un soldat, est parti.
"Je veux dire à ces malheureux que Dieu aime, d'être résignés dans leur souffrance, d'en faire
seulement une flamme qui rompt plus vite les chaînes de la galère et de la vie en consumant dans le
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désir de Dieu cette pauvre journée qu'est la vie, journée sombre, orageuse, remplie de peurs et de
privations, pour entrer dans le jour de Dieu lumineux, serein, sans plus jamais de peurs ni de
souffrances. Vous entrerez dans la grande paix, dans l'infinie liberté du Paradis, ô martyrs d'un sort
douloureux, pourvu que dans votre souffrance vous sachiez être bons et aspirez à Dieu."
Publius Quintilianus revient avec d'autres soldats et derrière lui arrive une litière portée par des
esclaves et laquelle les soldats font faire une place.
"Qui est Dieu? Je parle aux gentils qui ne savent pas qui est Dieu. Je parle aux fils des peuples
soumis qui ne savent pas qui est Dieu. Dans vos forêts, ô Gaulois, ô Ibères, ô Traces, ô Germaines,
ô Celtes, vous avez quelque chose qui manifeste Dieu. L'âme tend spontanément vers l'adoration,
car elle se souvient du Ciel. Mais vous ne savez pas trouver le Dieu Vrai qui a mis une âme dans
vos corps, une âme égale à la nôtre, fils d'Israël, égale à celle des Romains puissants qui vous ont
subjugués, une âme qui a les mêmes devoirs et les mêmes droits à l'égard du Bien et à laquelle le
Bien, c'est-à-dire le Dieu Vrai, sera fidèle. Soyez-le également vous aussi à l'égard du Bien. Le dieu
ou les dieux que vous avez jusqu'à présent adorés, dont vous avez appris le nom ou les noms sur les
genoux maternels, le dieu auquel peut-être ,maintenant vous ne pensez plus parce que de lui vous ne
voyez pas venir un réconfort dans vos souffrances, que peut-être vous arrivez haïr et à maudire dans
le désespoir de votre journée, n'est pas le vrai Dieu.
Le Vrai Dieu est Amour et Pitié. Étaient-ils cela, par hasard, vos dieux? Non. Ils n'étaient que
dureté, férocité, mensonge, hypocrisie, vice, vol. Et maintenant ils vous ont laissé sans le minimum
de réconfort qu'est l'espérance d'être aimés et la certitude du repos après tant de souffrances. Il est
ainsi, car vos dieux n'existent pas. Mais Dieu, le Dieu vrai qui est Amour et Pitié, et dont je vous
affirme l'existence, c'est Celui qui a fait les cieux, les mers, les montagnes, les forêts, les arbres, les
fleurs, les animaux, l'homme. C'est Celui qui inculque à l'homme victorieux de la pitié et un amour,
semblables aux siens, à l'égard des pauvres de la terre. O puissants, ô maîtres, pensez que vous avez
tous la même origine. Ne vous acharnez pas sur ceux qu'un malheur a fait tomber entre vos mains et
soyez humains aussi envers ceux qu'une faute a attachés aux bancs de la galère.
De nombreuses fois l'homme pèche. Personne n'est sans fautes plus ou moins secrètes. Si vous y
réfléchissez, vous serez bons pour
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des frères qui, moins chanceux que vous, ont été punis des fautes que vous aussi vous avez
commises, tout en restant impunis. La justice humaine est tellement incertaine dans ses jugements
qu'il serait malheureux que la justice divine le fût également. Il y a des coupables qui ne semblent
pas l'être, et des innocents qu'on estime coupables. Ne cherchons pas à savoir pourquoi. Ce serait
trop d'accusation pour l'homme injuste et rempli de haine envers son semblable! Il y a des
coupables qui le sont bien réellement mais qui ont été portés au crime par des forces puissantes qui
excusent en partie leur faute. Vous, par conséquent, qui êtes préposés aux galères, soyez humains.
Au-dessus de la justice humaine, il y a la justice divine qui est bien plus élevée. Celle du Dieu Vrai,
de Celui qui a créé le roi et l'esclave, le rocher et le grain de sable. Il vous regarde: vous les
rameurs, et vous préposés à la chiourme, et malheur à vous si vous êtes cruels sans raison. Moi,
Jésus le Christ, le Messie du vrai Dieu, je vous en donne la certitude: Lui, à votre mort, vous
attachera à une galère éternelle en confiant le fouet maculé de sang aux démons et vous subirez les
mêmes tortures et les mêmes coups que vous avez infligés. Car s'il y a une loi humaine qui prévoit
la punition du coupable, il faut dans la punition ne pas dépasser la mesure. Sachez vous en souvenir.
Celui qui est puissant aujourd'hui peut être misérable demain. Dieu seul est éternel.
Je voudrais changer le coeur et je voudrais surtout rompre les chaînes, vous rendre la liberté et vos
patries perdues. Mais, frères galériens, si vous ne voyez pas mon visage, je n'ignore pas votre coeur
avec toutes ses blessures. En échange de la liberté et de la patrie terrestre que je ne puis pas vous
donner, ô pauvres hommes esclaves des puissants, je vous donnerai une plus haute liberté et une
meilleure Patrie. Pour vous, je me suis fait prisonnier et j'ai, pour vous, même pour vous qui n'êtes
pas l'opprobre de la terre comme on vous appelle, mais la honte de l'homme oublieux de la mesure,
dans la rigueur de la guerre et de la justice, je ferai une nouvelle Loi sur la terre et une demeure au
Ciel. Rappelez-vous mon nom, fils de Dieu, qui pleurez. C'est le nom de l'Ami. Dites-le dans vos
peines. Soyez assurés que si vous m'aimez, vous me posséderez même si sur la terre nous ne nous
voyons jamais. Je suis Jésus Christ, le Sauveur, votre Ami.
Au nom du Dieu vrai, je vous réconforte. Que la paix, vite, vienne sur vous."
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La foule, en majeure partie romaine s'est groupée autour de Jésus dont les idées nouvelles ont
étonné tout le monde.
"Par Jupiter! Tu m'as fait penser à des choses nouvelles. Je n'y avais jamais pensé, mais je sens
qu'elles sont vraies..."
Publius Quintilianus, à la fois pensif et enthousiasmé, regarde Jésus.
"C'est ainsi, ami. Si l'homme s'adonnait à la réflexion, il n'arriverait jamais à commettre le crime."
"Par Jupiter, par Jupiter! Quelles paroles! Il faut que je m'en souvienne! Tu as dit: "Si l'homme
s'adonnait à la réflexion...'."
"..'il n'arriverait jamais à commettre le crime'."
"Mais c'est vrai! Par Jupiter! Mais sais-tu que tu es grand?!"
"Tout homme qui le voudrait, pourrait l'être comme Moi, s'il n'était qu'un avec Dieu."
Le romain continue sa litanie de 'par Jupiter' l'un plus administratif que l'autre. Mais Jésus lui
dit: 'Pourrais-je donner un réconfort à ces galériens? J'ai de l'argent... Un fruit, une douceur pour
qu'ils sachent que je les aime."
"Donne-le ici, je puis le faire. Et du reste, il y a là une dame qui a de grands pouvoirs. Je vais le
lui demander." Publius va vers la litière et il parle près du rideau à peine entrouvert. Il revient: "J'ai
pleins pouvoirs. Je vais surveiller la distribution pour que les argousins ne fassent pas d'abus. Et ce
sera l'unique fois qu'un soldat de l'empire usera de pitié envers des esclaves de guerre."
"La première fois. Pas la seule. Il viendra un jour où il n'y aura plus d'esclaves; mais auparavant
mes disciples seront descendus parmi les galériens et les esclaves pour les appeler frères."
Un autre série de 'par Jupiter' traverse l'air calme, pendant que Publius attend d'avoir
suffisamment de fruits et de vin pour les galériens. Puis, avant de monter sur la galère, il dit à
l'oreille de Jésus: "Là, à l'intérieur, se trouve Claudia Procula. Elle voudrait t'entendre encore mais,
en attendant, elle veut te demander quelque chose. Va."
Jésus va vers la litière.
"Salut, Mare." Le rideau s'écarte à peine, laissant voir une belle femme sur les trente ans.
"Que le désir de la sagesse vienne en toi."
"Tu as dit que l'âme se souvient des Cieux. Elle est donc éternelle, cette chose que vous dites
exister en nous?"
"Elle est éternelle. C'est pour cela qu'elle se souvient de Dieu, de Dieu qui l'a créée."
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"Qu'est-ce que c'est que l'âme?"
"L'âme est vraie noblesse de l'homme. Tu es fière d'appartenir à la gens Claudia. L'homme est
quelque chose de plus, car il appartient à la famille de Dieu. Tu as en sang de la gens Claudia, une
famille puissante qui a eu une origine et aura une fin. En l'homme par l'âme il y a le sang de Dieu.
Car l'âme est le sang spirituel -Dieu étant un très pur Esprit- du Créateur de l'homme: de Dieu
éternel, puissant, saint. L'homme est donc éternel, puissant, saint par l'âme qui est en lui et qui est
vivante tant qu'elle est unie à Dieu."
"Je suis païenne. Je n'ai donc pas d'âme..."
"Tu en as une, mais elle est tombée en léthargie. Éveille-la à la Vérité et à la Vie..."
"Adieu, Maître."
"Que la Justice te conquière. Adieu."
"Comme vous voyez, ici aussi j'ai eu des auditeurs" dit Jésus à ses disciples.
"Oui, mais à part les romains, qui t'aura compris? Ce sont des barbares!"
"Qui? Tous. La paix est en eux et ils se souviendront de Moi beaucoup plus que beaucoup d'autres
en Israël. Allons pour le repas dans la maison qui nous donne l'hospitalité."
"Maître, cette femme est la même qui m'a parlé le jour où tu as guéri ce malade. Je l'ai vue et
reconnue" dit Jean.
"Vous voyez donc qu'il y avait aussi ici quelqu'un qui nous attendait. Mais vous ne semblez pas
très satisfaits. J'aurai beaucoup fait, le jour où je vous aurai persuadés que ce n'est pas seulement
pour Israël, mais pour tous les peuples que je suis venu et que c'est pour tous que je vous ai
préparés. Je vous dis donc: mettez en votre mémoire tout ce qui vient de votre Maître. Il n'y a pas de
fait, pour insignifiant qu'il soit, qui ne doive devenir un jour une règle pour l'apostolat."
Personne ne répond, et Jésus a un sourire triste, plein de compassion.
[Ce matin, Il en a eu un aussi pour moi... J'étais prise par un tel découragement que je me suis mise
à pleurer pour tant de choses. La dernière n'était pas la fatigue d'écrire et d'écrire avec la conviction
que tant de bonté de la part de Dieu et de tant de fatigues pour le petit Jean étaient bien inutiles. Et
en pleurant j'ai appelé mon Maître. Et puis-que par bonté Il est venu tout pour moi, je Lui ai dit ma
pensée. Il a eu un haussement d'épaules qui équivalait à: 'Laisse tomber le monde et ses histoires' et
puis Il m'a caressée en me disant: "Et quoi? Tu ne voudrais plus m'aider? Le monde ne veut pas
connaître mes paroles?
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Eh bien, racontons-les nous entre nous pour la joie que j'ai de le répéter à un coeur fidèle et pour
celle que tu as de les entendre. Les lassitudes de l'apostolat!... Plus accablantes que celles de
n'importe quel travail! Elles assombrissent le jour le plus serein et remplissent d'amertume la plus
douce nourriture. Tout devient cendre et boue, nausée et fiel. Mais mon âme, ce sont les heures où
nous prenons sur nous le fardeau de la lassitude, du doute, de la misère des mondains qui meurent
de ne pas posséder ce que nous avons. Ce sont les heures où nous agissons davantage. Je te l'ai déjà
dit l'an passé. 'À quoi bon' se demande l'âme submergée par tout ce qui submerge le monde, c'est-à-
dire le flot qu'envoie Satan et où le monde se noie? Mais l'âme, clouée avec son Dieu sur la croix,
ne se noie pas. Elle perd pour un instant la lumière et s'engloutit sous les eaux nauséeuses de la
lassitude spirituelle, et puis se dégage, plus fraîche et plus belle. Ce que tu dis: 'Je ne suis plus
bonne à rien' est une conséquence de cette lassitude. Tu ne serais jamais bonne à rien. Mais Moi, je
suis toujours Moi et tu seras donc toujours bonne pour ton office de porte-parole. Certainement si je
le voyais que comme une pesante et très précieuse gemme mon don est avarement enfoui,
imprudemment utilisée ou que, par paresse, on ne cherche pas à le protéger sous ces garanties que la
méchanceté humaine impose de prendre dans certains cas pour protéger le don et la créature à
travers laquelle il arrive, je dirais mon 'ça suffit'. Et cette fois, sans retour. Ça suffit pour tous,
excepté pour ma petite âme qui aujourd'hui semble exactement une petite fleur sous une averse. Et
peux-tu, avec ces caresses douter que Moi, je t'aime? Allons! Tu m'as aidé en temps de guerre.
Aide-Moi, maintenant, encore... Il y a tant à faire."
Et je me suis calmé sous la caresse de la longue main et du sourire si doux de mon Jésus, en blanc,
comme toujours, quand Il est tout pour moi. ]
Jésus est encore à Césarée Maritime. Il n'est plus sur cette place d'hier mais plus à l'intérieur, en
un endroit d'où cependant l'on voit le port et les navires. Ici, il y a beaucoup d'entrepôts et de
boutiques. Et comme même par terre en cet endroit terreux il y a des nattes couvertes de produits
variés, j'en conclus que je suis près des marchés qui peut-être étaient situés dans le voisinage du
port et des magasins pour la commodité des navigateurs et de ceux qui viennent acheter les
marchandises apportées par bateaux. L'endroit est tout bourdonnant des allées et venues de la foule.
Jésus attend avec Simon et ses cousins que les autres aient pris les vivres dont ils ont besoin. Des
enfants regardent avec curiosité Jésus qui les caresse doucement tout en parlant avec ses apôtres.
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Jésus dit: "Il me déplaît de voir qu'on est mécontent parce que je vais vers les gentils. Mais je ne
peux que faire mon devoir et être bon avec tout le monde. Efforcez-vous d'être bons, au moins vous
trois et Jean; les autres vous suivront par imitation."
"Mais, comment faire pour être bons, avec tout le monde? Enfin, ces gens nous méprisent, nous
oppriment, ne nous comprennent pas, sont remplis de vices..." dit Jacques d'Alphée en s'excusant.
"Comment faire? Tu es content d'être né d'Alphée et de Marie?"
"Oui, bien sûr. Pourquoi me le demandes-tu?"
"Et si Dieu t'avait interrogé avant ta conception, aurais-tu voulu naître d'eux?"
"Mais oui. Je ne comprends pas..."
"Et si au contraire, tu étais né d'un païen, en t'entendant accuser d'avoir voulu naître d'un païen
qu'est-ce que tu aurais dit?"
"J'aurais dit: 'Je n'en suis pas responsable. Je suis né de lui, mais j'aurais pu naître d'un autre.'
J'aurais dit: 'Vous êtes injustes en m'accusant. Si je ne fais pas de mal, pourquoi me haïssez-vous?"
"Tu l'as dit. Ceux-ci aussi, que vous méprisez parce que païens, peuvent dire la même chose. Tu
n'as pas de mérite d'être né d'Alphée, véritable israélite. Tu dois seulement en remercier l'Eternel
parce qu'il t'a fait un grand don, et par reconnaissance et humilité chercher à amener au Dieu vrai
ceux qui n'ont pas reçu ce don. Il faut être bons."
"Il est difficile d'aimer ceux qu'on ne connaît pas!"
"Non. Regarde. Toi, petit, viens ici."
Un garçon s'approche, d'environ huit ans, qui joue dans un coin avec deux autres camarades. Un
garçon robuste aux cheveux très bruns alors que son teint est très blanc.
"Qui est tu?"
"Je suis Lucius, Caïus Lucius fils de Caïus Marius, je suis romain, fils du décurion de garde
resté ici après avoir été blessé."
"Et ceux-ci qui sont-ils?"
"Ce sont Isaac et Tobie. Mais on ne doit pas le dire, parce qu'ils seraient punis."
"Pourquoi?"
"Parce qu'eux sont hébreux, et moi je suis romain, et on ne peut pas."
"Mais tu restes avec eux. Pourquoi?"
"Parce que nous nous aimons bien. Nous jouons toujours ensemble aux dés, ou à sauter. Mais on
se cache."
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"Et Moi, tu m'aimerais bien? Je suis hébreu, Moi aussi et je ne suis pas un enfant. Réfléchis: je
suis un maître, comme qui dirait un prêtre."
"Et qu'est-ce que cela peut me faire à moi? Si tu m'aimes bien, je t'aime bien et je t'aime bien
parce que tu m'aimes bien."
"Comment le sais-tu?"
"Parce que tu es bon. Celui qui est bon aime bien."
"Voilà, mes amis, le secret pour aimer: être bons. Alors on aime sans se demander si un tel a ou
non la même foi."
Et Jésus, tenant par la main le petit Caïus Lucius, s'en va caresser les petits hébreux qui effrayés
se sont cachés derrière une porte cochère, et il leur dit: "Les enfants qui sont bons sont des anges.
Les anges ont une seule patrie: le Paradis. Ils ont une seule religion: celle du Dieu unique. Ils ont un
seul Temple: le coeur de Dieu. Aimez-vous bien, comme les anges, toujours."
"Mais, si on nous voit, on nous frappe..."
Jésus secoue tristement la tête et ne réplique pas...
Une femme élancée et plantureuse appelle Lucius qui quitte Jésus en criant: "La maman!" et il
crie à la femme: "J'ai un grand ami, sais-tu? C'est un maître!..."
La femme ne s'éloigne pas avec son fils mais au contraire vient vers Jésus et l'interroge: "Salut.
Es-tu l'homme de Galilée qui hier parlait au port?"
"Oui, c'est Moi."
"Attends-moi ici alors. J'aurai vit fait." Et elle s'en va avec le petit.
Entre temps même les autres apôtres sont arrivés, sauf Mathieu et Jean. Ils demandent: "Qui
était-ce?"
"Une romaine, je crois" répondent Simon et les autres.
"Et que voulait-elle?"
"Elle a dit d'attendre ici. Nous allons le savoir."
Des gens, pendant ce temps, se sont approchés et attendent avec curiosité.
La femme revient avec d'autres romains. "Tu es donc le Maître?", demande quelqu'un qui
semble le serviteur d'une maison riche. Et en ayant eu confirmation, il demande:" Cela t'ennuierait-
il de guérir une petite fille d'une amie de Claudia? L'enfant est mourante car elle s'étouffe et le
médecin ne sait pas de quoi elle meurt. Hier soir elle était en bonne santé. Ce matin elle est à
l'agonie."
"Allons-y."
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Ils font quelques pas dans une rue qui même à l'endroit où ils étaient hier et arrivent au portail
grand ouvert d'une maison qui semble habitée par des romains.
"Attend un moment." L'homme entre rapidement et revient aussitôt en disant: "Viens."
Mais, avant même que Jésus puisse entrer, en sort une jeune femme d'aspect distingué mais
visiblement tourmentée. Elle a dans les bras une petite fille de quelques mois qui s'abandonne,
livide comme quelqu'un qui se noie. Je dirais qu'elle a une diphtérie mortelle et qu'elle est sur le
point de mourir. La femme se réfugie sur la poitrine de Jésus, comme un naufragé sur un écueil. Ses
pleurs sont tels qu'elle ne peut parler.
Jésus prend la petite qui a des petits mouvements convulsifs dans ses menottes cireuses aux
ongles déjà violets. Il la lève. Sa petite tête pend sans force, en arrière. La mère, sans aucun orgueil
de romaine devant un hébreu, s'est glissée aux pieds de Jésus, dans la poussière, et elle sanglote le
visage levé, les cheveux à moitié défaits, les bras tendus qui s'accrochent au vêtements et au
manteau de Jésus. Derrière et autour, des romains de la maison et des hébreux de la ville qui
regardent.
Jésus mouille son index avec la salive et le met dans la petite bouche haletante, l'enfonce
profondément. La fillette se débat et devient encore plus noire. La mère crie: "Non! Non!" et semble
se tordre sous un couteau qui la transperce. Les gens retiennent leur souffle. Mais le doigt de Jésus
sort avec un amas de membranes purulentes. La fillette ne se débat plus et après avoir versé
quelques larmes se calme avec un sourire innocent, agitant ses menottes et remuant les lèvres
comme un oiseau qui pépie en battant des ailes, en attendant la becquée.
"Prends-la, femme. Donne-lui le lait. Elle est guérie."
La mère est tellement abasourdie, qu'elle prend la petite et restant comme elle est, dans la
poussière, la baise, la caresse, lui donne le sein, folle, oublieuse de tout ce qui n'est pas sa petite.
Un romain demande à Jésus: "Mais comment as-tu pu? Je suis le médecin du proconsul et je
suis savant. J'ai essayé d'enlever l'obstacle, mais il était enfoncé, trop enfoncé! ... Et toi! ... ainsi..."
"Tu es savant, mais tu n'as pas le Dieu vrai avec toi. Que Lui en soit béni! Adieu." Et Jésus va
s'éloigner.
Mais voici qu'un petit groupe d'israélites éprouve le besoin d'intervenir. "Comment t'es-tu permis
d'aborder des étrangers? Ils
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sont corrompus, impurs et quiconque les approche devient comme eux."
Jésus les regarde -il sont trois- fixement, avec sévérité, et puis il parle: "N'es-tu pas Aggée?
L'homme d'Azot venu ici au mois de Tisri dernier pour chercher à conclure des affaires avec un
marchand qui réside près des fondations de la vieille source? Et toi, n'es-tu pas Joseph de Rama,
venu ici pour consulter le médecin romain et, comme Moi, tu sais pourquoi? Et alors? Vous ne vous
croyez pas impurs?"
"Le médecin n'est jamais un étranger. Il soigne le corps, et le corps est le même pour tous."
"L'âme aussi, plus que le corps. Du reste qu'est-ce que j'ai soigné? Le corps innocent d'une
infante, et de la même manière j'espère guérir les âmes des étrangers, qui ne sont pas innocentes.
Comme médecin et comme Messie, je puis donc aborder n'importe qui."
"Non. Tu ne le peux pas."
"Non, Aggée? Et toi pourquoi fais-tu des affaires avec un marchand romain?"
"Il ne m'est voisin que par la marchandise et pour l'argent."
"Et, parce que tu ne touches pas sa chair mais seulement ce que sa main a touché, il ne me
semble pas que tu te contamines. Oh! aveugles et cruels!
Écoutez tous. Justement dans le livre du Prophète dont cet homme porte le nom, il est dit:
'Adresse aux prêtres cette question sur la Loi: 'Si un homme porte de la chair sanctifiée dans un pan
de son vêtement et qu'avec il touche ensuite du vin ou des plats, du pain ou de l'huile, ou d'autres
aliments, seront-ils sanctifiés?' Et les prêtres ont répondu: 'Non'. Alors Aggée dit: "Si quelqu'un
impur pour avoir touché un mort, touche une de ces choses, sera-t-elle souillée?' Et les prêtres ont
répondu: 'Oui'.
Par cette façon rusée mensongère, incohérente d'agir, vous excluez et condamnez le Bien et
vous n'acceptez que ce qui favorise vos intérêts. Alors, plus de mépris ni de dégoût. C'est pour
éviter un dommage personnel que vous décidez si une chose est impure ou rend impur, si une autre
ne l'est pas. Et, comment pouvez-vous, bouches de mensonge, professer que si ce qui est sanctifié
pour avoir touché une chair sainte ne sanctifie pas ce qu'il touche, et que ce qui a touché une chose
impure puisse rendre impur ce qu'il touche?
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Vous ne comprenez pas que vous vous démentez, ministres menteurs d'une Loi de Vérité qui en
tirez parti en la tordant comme une corde à seule fin d'en sortir quelque chose qui serve vos intérêts.
Pharisiens hypocrites qui sous un prétexte religieux déversez votre rancoeur humaine, toute
humaine, profanateurs de ce qui appartient à Dieu, ennemis de l'Envoyé de Dieu que vous insultez?
En vérité, en vérité je vous dis que chacun de vos actes, chacune de vos conclusions, chacune de
vos démarches est mue par tout un mécanisme astucieux auquel servent de roues, de ressort, de
poids et de tirants, vos égoïsmes, vos passions, vos manques de sincérité, vos haines, votre soif de
domination, vos envies.
C'est honteux! Avides, tremblants de peur, haineux, vous vivez dans la peur orgueilleuse qu'un
autre vous soit supérieur, même s'il n'est pas de votre caste. Et vous méritez alors d'être comme
celui qui vous inspire la peur et la colère! Vous qui, comme dit Aggée, d'un tas de vingt boisseaux
en faites un de dix et d'un tas de cinquante barils en faites un de vingt en empochant la différence
alors que, pour l'exemple que vous devriez donner à l'homme et pour l'amour que vous devriez
donner à Dieu, vous devriez au tas de boisseaux et au tas de barils non pas enlever mais ajouter de
votre propre bien pour ceux qui ont faim. Vous méritez que le vent brûlant, que la rouille et la grêle
stérilisent toutes les oeuvres de vos mains.
Quels sont parmi vous ceux qui viennent à Moi? Ceux-là. Ceux-là qui pour vous sont fumier et
immondices, ces ignorances totales qui ne savent même pas qu'existe le vrai Dieu, viennent ceux à
qui ce Dieu se rend présent dans les paroles et dans les oeuvres. Mais vous, mais vous! Vous vous
êtes fait une niche et y demeurez. Arides, froids comme des idoles attendant l'encens et les
admirations. Et puisque vous vous croyez des dieux, il vous paraît inutile de penser au vrai Dieu
comme il doit être pensé, et comme il vous semble dangereux que les autres, en dehors de vous,
osent ce que vous vous n'osez pas. Vous ne le pouvez pas, en vérité, l'oser, puisque vous êtes des
idoles et parce que vous êtes les serviteurs de l'Idole. Mais celui qui ose peut parce que ce n'est pas
lui, mais Dieu qui opère en lui.
Allez! Rapportez à ceux qui vous ont envoyés sur mes talons que je dédaigne les marchands qui
n'estiment pas être contamination le fait de vendre les marchandises ou la patrie ou le temple à ceux
dont ils reçoivent de l'argent. Dites-leur que j'ai du dégoût pour les brutes qui ont seulement le culte
de leur propre chair, de leur pro
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pre sang, et qui pour leur guérison n'estiment pas contamination les visites à un médecin étranger.
Dites-leur qu'il y a une seule mesure, égale pour tous et non pas deux mesures. Dites-leur que Moi,
le Messie, le Juste, le Conseiller, l'Admirable, Celui qui aura sur Lui l'Esprit du Seigneur avec ses
sept dons, Celui qui ne jugera pas selon les apparences, mais selon ce qui se cache dans les coeurs,
Celui qui ne condamnera pas après ce qu'il entend par ses oreilles, mais d'après les voix de l'esprit
qu'il entendra au-dedans de chaque homme, Celui qui prendra la défense des humbles et jugera les
pauvres avec justice, Celui qui je suis, parce que je suis cela, est déjà en train de juger et de frapper
ceux qui sur la terre ne sont que terre, et le souffle de ma respiration fera mourir l'impie et détruira
son repaire, alors qu'il sera Vie et Lumière, Liberté et Paix pour ceux qui, désirant la justice et la
foi, viendront à ma montagne sainte pour se rassasier de la science du Seigneur. Cela est d'Isaïe,
n'est-ce pas?
Mon peuple! Tout vient d'Adam et Adam vient de mon Père. Tout est donc oeuvre du Père, et j'ai
le devoir de vous rassembler tous au Père. Et Moi, je t le conduis, Père saint, éternel, puissant, je te
les amène les fils errants après les avoir rassemblés en les appelant avec les voix de l'amour, en les
rassemblant sous ma verge pastorale semblable à celle que Moïse éleva contre les serpents dont la
morsure était mortelle. Pour que Tu aies ton Royaume et ton peuple. Et je ne fais pas de différence
entre les hommes parce qu'au fond de chaque vivant je vois un point plus brillant que le feu: l'âme,
une étincelle qui vient de Toi, éternelle Splendeur. O mon éternel désir! O mon inlassable volonté!
C'est cela que je veux, c'est de cela dont je brûle. Une terre qui tout entière chante ton Nom.. Une
humanité qui t'appelle Père. Une Rédemption qui les sauve tous. Une volonté fortifiée qui les rend
tous soumis à ta volonté. Un triomphe éternel qui remplisse le Paradis d'un hosanna sans fin.... Oh!
Multitude des Cieux!... Voici que je vois le sourire de Dieu ... et ceci est une compensation pour
toute la dureté des hommes."
Les trois se sont enfuis sous la grêle des reproches. Tous les autres, romains ou hébreux, sont
restés, bouche bée. La femme romaine avec la petite rassasiée de lait, qui dort tranquille sur le sein
maternel est restée où elle était, presque aux pieds de Jésus, et elle pleure de joie maternelle et de
joie spirituelle. Un grand nombre pleurent à la conclusion irrésistible de Jésus qui paraît flamboyer
dans son extase.
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Et Jésus abaissant les yeux et son esprit du Ciel sur la terre, voit la foule, voit la mère ... et en
passant, après un geste d'adieu à tous, effleure de la main la jeune romaine comme pour la bénir à
cause de sa foi. Et Il s'en va avec les siens pendant que les gens encore sous le coup de l'émotion
restent en place...
[La jeune romaine, si ce n’est pas une ressemblance fortuite, est une des romaines qui étaient
avec Jeanne de Chouza sur le chemin du Calvaire. Comme personne n’a dit son nom, j’en
suis incertaine.]
Jésus, accompagné de Pierre, André et Jean, frappe à la porte de sa maison à Nazareth. La Mère
ouvre tout de suite, son visage s'éclaire d'un lumineux sourire quand Elle voit son Jésus.
"Tu arrives à propos, mon Fils! Depuis hier j'ai avec moi une pure colombe qui t'attend. Elle vient
de loin et la personne qui l'accompagnait ne pouvait rester plus longtemps; Comme elle demandait
conseil, je lui dit ce que je pouvais. Mais Toi seul, mon Fils, Tu es la Sagesse. Bon retour à vous
aussi. Venez vous restaurer tout de suite."
"Oui, restez ici. Moi, je vais tout de suite voir cette créature qui m'attend."
La curiosité est vive chez les trois, mais avec des aspects différents. Pierre lorgne de tous côtés
avec intérêt, comme s'il espérait voir à travers les murs. Jean semble vouloir lire sur le visage
souriant de Marie le nom de l'inconnue. André, au contraire, qui a vivement rougi, dirige tous ses
regards vers Jésus, et une muette supplication tremble dans son regard et sur ses lèvres.
Mais Jésus ne s'occupe de personne. Pendant que les trois se décident à entrer dans la cuisine où
Marie leur offre de la nourriture et la tiédeur du feu, Jésus soulève le rideau qui cache l'ouverture
conduisant au jardin et il sort. Un doux soleil rend encore plus aériens et plus irréels les rameaux
tout en fleurs du grand amandier du jardin. Seul en fleurs, le plus grand arbre du jardin, somptueux
dans son vêtement de soie blanc-rosé qui tranche sur la nudité des autres: poirier, pommier, figuier,
vigne, grenadier tous encore ari-
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des et dépouillés pompeux avec son voile mousseux et vif à côté de l'humble grisaille des oliviers, il
semble qu'avec ses longues branches il ait capturé un très léger nuage perdu dans le champ azuré du
ciel et qu'il s'en soit enrubanné pour dire à tout le monde: 'Les noces du printemps arrivent, exultez,
arbres et animaux. C'est l'heure des baisers échangés avec les vents, avec les abeilles ou les fleurs.
C'est l'heure des baisers sous les tuiles ou dans le feuillage des buissons, ô oiseux de Dieu, ô
blanches brebis. Aujourd'hui les baisers, demain les petits pour perpétuer l'oeuvre de Créateur notre
Dieu."
Jésus, les bras croisés sur la poitrine, sourit, debout dans le soleil à la grâce pure, tranquille du
jardin maternel avec des parterres de lis que dénoncent les premières touffes de feuilles, avec ses
rosiers encore dépouillés, et l'olivier argenté, avec les autres familles de fleurs répandues à travers
les humbles planches de légumes et de salade qui commencent tout juste à verdir. Pur, rangé, gentil,
il paraît exhaler la candeur d'une parfaite virginité.
"Fils, viens dans ma chambre. Je te la conduirai. Elle s'est réfugiée là-bas au fond, quand elle a
entendu tant de voix."
Jésus entre dans la petite chambre maternelle, la chaste, la très chaste, petite chambre qui a
entendu les paroles de l'angélique colloque et exhale plus que le jardin, la nature virginale,
angélique, sainte de celle qui l'habite depuis des années et de l'Archange qui en Elle a vénéré sa
Reine. S'est-il écoulé plus de trente ans ou bien était-ce hier ce rencontre? Encore aujourd'hui la
quenouille porte sa moelleuse et presque argentée touffe d'étain et voilà le fil sur le fuseau. Une
broderie pliée se trouve sur la petite table près de la porte entre n rouleau de parchemin et une
amphore de cuivre avec un rameau feuillu de l'amandier fleuri; et encore maintenant le rideau rayé,
tombé sur le mystère de la virginale demeure, palpite sous un vent léger et le lit rangé dans son
coin, qui a toujours son aspect gentil de lit de la fille qui arrive tout juste au seuil de la jeunesse.
Que de songes se sont faits et se feront sur le petit oreiller? ...
Le rideau se lève lentement sous la main de Marie. Jésus qui debout, tournant le dos à la porte
contemplait ce nid de pureté, se retourne.
"Voici mon Fils, je te l'amène. Une agnelle et Tu es son Berger" et Marie qui est entrée tenant
par la main une toute jeune brunette élancée qui rougit vivement en apparaissant devant Jésus, se
retire doucement en laissant tomber le rideau.
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"La paix soit à toi, jeune fille."
"La paix ... Seigneur ..." La jeune fille reste sans paroles, très émue, mais elle s'agenouille, la
tête penchée vers la terre.
" Lève-toi, que veux-tu de Moi ? N'aie pas peur... "
" Ce n'est pas la peur ... mais ... maintenant que je suis devant Toi ... après l'avoir tant voulu ...
tout ce qu'il me paraissait facile, nécessaire de te dire ... je ne le trouve plus ... il ne me vient plus
ce .. Je suis sotte ... pardonne-moi, Mon Seigneur ... "
" Tu demandes grâce pour la terre ? Tu as besoin de miracle ? Tu as des âmes à convertir ?
Non ? Et alors ? Allons, parle ! Tu as tant eu de courage et maintenant il te manque ? Ne sais-tu pas
que je suis un père pour toi. Tu es jeune. Quel âge as-tu ? "
" Seize ans, mon Seigneur. "
" " D'où viens-tu ? "
" De Jérusalem. "
" Quel est ton nom ? "
" Annalia ... "
" Le cher nom de ma grand-mère et de tant d'autres femmes d'Israël et avec lui, celui de la
bonne, douce, fidèle, affectueuse épouse de Jacob. Il te portera bonheur. Tu seras épouse et mère
exemplaire. Non ? Tu secoue la tête ? Tu pleures ? Tu as peut-être été repoussée ? Non plus,
L'homme que tu devais épouser est mort ? Personne ne t'a encore demandée ? "
La jeune fille secoue toujours la tête. Jésus fait un pas, la caresse , la force à lever la tête et à le
regarder. ... Le sourire de Jésus triomphe du trouble de la jeune fille. Elle s'enhardit : " Seigneur, je
serais épouse et heureuse grâce à Toi. Tu ne me reconnais pas, mon Seigneur ? Je suis la physique,
la fiancée mourante que tu as guérie sur le prière de ton Jean... Depuis ta grâce, moi ...moi j'ai eu un
autre corps : sain celui-là à la place de celui que j'avais auparavant, mourante ; et j'ai eu une autre
âme ... Je ne sais pas. Il me semblait que je n'étais plus moi ... La joie d'être guérie, la certitude donc
de pouvoir me Marier -c'était mon regret en mourant de ne pas arriver à être épouse- cela n'a duré
que pendant les premières heures. Et puis ... " La jeune fille s'enhardit toujours plus ; elle retrouve
les mots et les idées qu'elle avait perdus dans son trouble d'être seule avec le Maître ... " ... Et puis
j'ai compris que je ne devais pas être égoïste, ni penser seulement : 'Maintenant, je vais être
heureuse', mais que je devais penser à quelque chose de plus et qui devait venir à Toi, à Dieu, ton
Père et le mien. Une petite chose, mais qui
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disait que j'étais reconnaissante. J'ai beaucoup réfléchi et quand, le sabbat suivant, j'ai vu l'époux, je
lui ai dit : 'Ecoute, Samuel. Sans le miracle, je serais morte en quelques mois et tu m'aurais perdue
pour toujours. Maintenant, je voudrais faire à Dieu un sacrifice, toi avec moi, pour dire à Dieu que
je le loue et que je le remercie'. Et Samuel a dit tout de suite, car il m'aime : 'Allons au Temple
ensemble pour immoler la victime'. Mais moi, ce n'était pas ce que je voulais. Je suis pauvre et fille
du peuple, mon Seigneur. Je suis ignorante et j'ai peu de moyens. Mais à travers la main posée sur
ma poitrine malade, quelque chose était venue non seulement dans mes poumons rongés, mais à
l'intérieur de mon cœur. Dans les poumons la santé, dans le cœur la sagesse. Et j'ai compris que le
sacrifice d'un agneau n'était pas le sacrifice voulu par mon esprit qui t'aimait. ... Toi. " La jeune fille
se tait rougissante après sa déclaration d'amour.
" Continue sans crainte. Que voulait ton esprit ? "
" Te sacrifier quelque chose qui soit digne de Toi, Fils de Dieu ! Et alors ... et alors j'ai pensé
que ce devait être quelque chose de spirituel, comme ce qui vient de Dieu, c'est à dire le sacrifice de
suspendre mes noces pour l'amour de Toi, mon Sauveur. Grande joie, les noces, sais-Tu ? Quand on
s'aime, c'est une grande chose ! On désire, on hâte qu'elles soient accomplies !... Mais je n'étais plus
celle de quelques jours auparavant. Je ne les voulais plus comme ce qu'il y avait de plus beau... Je
l'ai dit à Samuel ... et lui m'a compris. Lui aussi a voulu se faire nazir pour un an à dater du jour qui
aurait dû être celui des noces, c'est à dire le jour qui suit les calendes d'Adar. En attendant il est allé
à ta recherche pour aimer Celui qui lui avait rendu l'épouse, l'aimer et le connaître : Toi. Et il t'a
trouvé après plusieurs mois à 'La belle Eau'. Moi aussi je suis venue... et ta parole a fini de changer
mon cœur. Maintenant le vœu d'avant ne me suffit plus.. Comme cet amandier là-déhors, qui sous le
soleil toujours plus chaud est revenu à la vie, après être resté mort pendant des mois et s'est garni de
fleurs, et puis ce sera les feuilles et les fruits, ainsi j'ai toujours progressée dans la sagesse de ce qui
est meilleur. La dernière fois, désormais sûre de moi et de ce que je voulais -pendant tous ces mois-
ci, j'y ai réfléchi- la dernière fois que je suis venue à 'La Belle Eau', tu y n'étais plus ... Ils t'avaient
chassé. J'ai tant pleuré et tant prié le Très-Haut qu'Il m'a exaucée, persuadant ma mère de m'envoyer
ici avec un parent qui allait à Tibériade, pour parler aux courtisans du Tétrarque. Le régisseur
m'avait dit que je t'aurais trouvé ici. J'ai trouvé ta
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Mère ... et ses paroles. Rien que de l'entendre et de rester à côté d'Elle pendant ces deux jours, a fini
de mûrir le fruit de ta grâce. " La jeune fille s'est agenouillée comme devant un autel avec les bras
croisées sur sa poitrine.
" C'est bien. Mais, que veux-tu de précis ? Que puis-je faire pour toi ? "
" Seigneur, je voudrais ... je voudrais une grande chose. Et Toi seul, Maître de la vie et de la
santé peux me la donner. Car je pense que ce que Tu peux donner, Tu peux aussi l'enlever ... Je
voudrais que la vie que Tu m'as donnée, tu me l'enlèves au cours de l'année de mon vœu, avant
qu'elle ne se termine... "
" Mais pourquoi ? N'es-tu pas reconnaissante à Dieu pour la santé que tu as recouvrée ? "
" Tellement ! Sans mesure ! Mais, pour une seule chose : car en vivant de sa grâce et de ton
miracle j'ai compris ce qui c'était le meilleur. "
" Qu "est-ce ? "
" C'est vivre comme les anges. Comme ta Mère, mon Seigneur.. comme Tu vis ... comme vit ton
Jean ... Les trois lis, les trois flammes blanches, les trois béatitudes de la terre, Seigneur. Oui, parce
que je pense que c'est une béatitude de posséder Dieu et que Dieu est en possession des purs. Celui
qui est pur, c'est un ciel avec Dieu au centre, et tout autour les anges... Oh ! mon Seigneur ! C'est
cela que je voudrais ! ... Je t'ai peu entendu, j'ai peu entendu ta Mère, et les disciples et Isaac. Je n'en
ai pas fréquenté d'autres qui me disent tes paroles. Mais il me semble que mon esprit t'entend
toujours et que Tu es pour lui un Maître ... J'ai fini, mon Seigneur... "
" Annalia, c'est beaucoup ce que tu demandes, et c'est beaucoup ce que tu donnes... Ma fille, tu
as compris Dieu et la perfection à laquelle la créature peut s'élever pour rassembler au Très Pur et
pour plaire au très Pur. " Jésus a pris entre ses mains la tête brune de la jeune fille agenouillée et lui
parle en se penchant sur elle ; 3Celui qui est né d'une Vierge -car il ne pouvait faire son nid que sur
un tas de lis- est écœuré par la triple convoitise du monde, et s'affaisserait écrasé par un tel
écœurement si le Père, qui sait de quoi vive son Fils, n'intervenait pas par des aides amoureuses
pour soutenir mon âme angoissée. Ceux qui sont purs sont ma joie. Tu me rends ce que le monde
m'enlève par son inépuisable bassesse. Que le Père en soit béni, et toi aussi, jeune fille. Va
tranquille. Il se produira quelque chose pour rendre éternel ton vœu. Sois un des lis répandus sur le
chemin sanglant du Christ. "
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" Oh ! Mon Seigneur ... je voudrais encore une chose... "
" Laquelle ? "
" Ne pas assister à ta mort ... Je ne pourrais voir mourir Celui qui est ma Vie. "
Jésus sourit doucement et de sa main il essuie deux ruisseaux de larmes qui descendent le long
du visage brun. " Ne pleure pas. Les lis ne sont jamais en deuil. Tu riras avec toutes les perles de ta
couronne angélique, quand tu verras le Roi couronné entrer dans son Royaume. Va. Que l'Esprit du
Seigneur te dirige entre l'une et l'autre de mes venues. Je te bénis par les flammes de l'éternel
Amour. "
Jésus s'avance dans le jardin et appelle : " Mère ! Voici une petite fille toute entière pour Toi.
Maintenant, elle est heureuse. Mais Toi, immerge-la dans ta blancheur, maintenant et chaque fois
que nous irons à la Cité Sainte, pour qu'elle soit une neige de pétales célestes répandus sur le trône
de l'Agneau. " Et Jésus revient vers les siens, pendant que Marie caresse le jeune fille en restant
avec elle.
Pierre, André et Jean le regardent, interrogateurs, et le visage resplendissant de Jésus leur dit
qu'il est heureux. Pierre n'y tient plus et demande : " Avec qui as-Tu tant parlé, mon Maître ? Et
qu'as-Tu entendu pour que la joie t'illumine ainsi ? "
" Avec une femme à l'aube de la vie, avec celle qui sera l'aube de tant d'autres qui viendront. "
" Qui ? "
" Les vierges. "
André murmure doucement, pour lui-même : " Ce n'est pas elle... "
" Non, ce n'est pas elle, mais te ne lasse pas de prier avec patience et bonté. Chaque mot de ta
prière est comme un rappel, une lumière dans la nuit, qui la soutient et la guide. "
" Mais qui est-ce qu'il attend, mon frère ? "
" Une âme, Pierre, une grande misère qu'il veut transformer en une grande richesse. "
" Et où l'a-t-il trouvée, André, qui ne bouge jamais, ne parle jamais, ne prend jamais d'initiatives
?"
" Sur mon sentier. Viens avec Moi, André. Allons chez Alphée le bénir au milieu de ses
nombreux petits-enfants. Vous, attendez-moi dans la maison de Jacques et Jude. Ma mère a besoin
qu'on la laisse seule, tout ce jour. "
Ils vont ainsi, les uns d'un côté, les autres de l'autre, et le secret entoure la joie de la première qui,
pour l'amour du Christ, s'est vouée à la virginité.
Jésus est encore à Nazareth, dans sa maison, ou plutôt dans son ancien atelier de menuisier. Avec
lui se trouvent les douze apôtres, et de plus : Marie, Marie mère de Jacques et Jude, Salomé,
Suzanne et, chose nouvelle, Marthe. Une Marthe bien affligée, avec sous les yeux des marques
évidentes de larmes. Une Marthe dépaysée, intimidée d'être ainsi seule, auprès d'autres personnes et
auprès, surtout, de la Mère du Seigneur. Marie cherche à lui faire prendre contact avec les autres et
à faire disparaître cette impression de malaise dont elle voit qu'elle souffre. Mais ses caresses
semblent plutôt gonfler le cœur de la pauvre Marthe. Rougeurs et grosses larmes alternent sous le
voile qu'elle tient abaissé sur sa douleur et son malaise.
Jean entre avec Jacques d'Alphée. " Elle n'est pas là, Seigneur. Elle est allée avec son mari en
visite chez une amie. C'est ce qu'ont dit les serviteurs. " dit Jean..
" Cela lui déplaira sûrement. Mais elle pourra toujours te voir et recevoir les enseignements "
conclut Jacques d'Alphée.
" C'est bien. Ce n'est pas le groupe des femmes disciples que je pensais. Mais, vous le voyez : à
la place de Jeanne absente, se trouve présente Marthe, fille de Théophile, sœur de Lazare. Les
disciples savent qui est Marthe. Ma Mère aussi, toi aussi, Marie, et peut-être toi aussi, Salomé vous
savez déjà par vos fils qui est Marthe, non pas tant comme femme selon le monde, que comme
créature aux yeux de Dieu. Toi, Marthe, de ton côté, tu sais quelles sont celles qui te considèrent
comme une sœur et qui t'aimeront tant. Sœur et fille. De cela tu as tant besoin, ma bonne Marthe,
pour avoir aussi le réconfort humain d'affections honnêtes que Dieu ne condamne pas mais qu'Il a
donné à l'homme pour le soutenir dans les difficultés de l'existence.
Et Dieu t' amenée ici, justement à l'heure que j'ai choisie pour donner les bases, je pourrai dire le
canevas sur lequel vous broderez votre perfection de disciples. Disciple veut dire qui suit la
discipline du Maître et celle de sa doctrine. Pour cette raison, au sens large on appellera disciples
tous ceux qui maintenant et dans les siècles à venir suivront ma doctrine. Et, pour éviter tant de
noms en disant : disciples de Jésus selon l'enseignement de Pierre ou d'André, de Jacques ou de
Jean, de Simon ou de Philippe, de Jude
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ou de Barthélemy ou de Thomas et Mathieu, on dira un seul nom qui les réunira sous un signe
unique : chrétiens. Mais dans la grande masse de ceux qui suivront ma doctrine, j'ai déjà choisi les
premiers et puis les seconds, et ainsi fera-t-on au cours des siècles en mémoire de Moi. Comme au
Temple, et avant encore, avec Moïse, il eut le Pontife, les prêtres, les lévites, ceux qui étaient
préposés aux divers services, offices et charges, les chanteurs et ainsi de suite, de la même façon,
dans mon nouveau Temple, grand comme la terre entière, destiné à durer autant qu'elle, il y aura des
grands et des petits, tous utiles, tous aimés de Moi, et de plus il y aura des femmes, la nouvelle
catégorie qu'Israël a toujours méprisée en le confinant dans le Temple aux cantiques des vierges ou
l'instruction des vierges, et rien de plus.
Ne discutez pas si c'était juste. Dans la religion fermée d'Israël et aux temps du Courroux, c'était
juste. Toute la honte retombait sur la femme, origine du péché. Dans la religion universelle du
Christ, et au temps du pardon, tout cela est changé. Toute la Grâce s'est ressemblée en une femme et
Elle l'a enfantée au monde pour qu'il soit racheté. La femme n'est donc plus marquée par le dédain
de Dieu, mais elle est l'aide de Dieu. Et par la Femme, l'aimée du Seigneur, toutes les femmes
pourront devenir disciples du Seigneur, non seulement comme la masse, mais comme prêtresses
d'ordre inférieur, coadjutrices des prêtres qu'elles peuvent tant aider, pour eux-mêmes, pour les
fidèles, et ceux qui ne sont pas fidèles, pour ceux qu'amènera à Dieu non pas tant le rugissement de
la parole sainte que le sourire saint de l'une de mes disciples.
Vous m'avez demandé de venir, comme les hommes, à ma suite. Mais, seulement venir,
seulement écouter, seulement en faire l'application, c'est trop peu pour moi en ce qui vous concerne.
Ce serait votre sanctification, grande chose, mais elle ne me suffit pas. Je suis le Fils de l'Absolu, et
de mes privilégiés je veux l'absolu. Je veux tout, car j'ai tout donné.
En outre, il n'y a pas que moi, mais il y a aussi le monde. Cette chose redoutable que est le
monde. Il devrait être redoutable en sainteté : une sainteté illimitée, en nombre et en puissance de la
multitude des fils de Dieu. Au contraire, le monde est redoutable par sa perversité. Sa complète
perversité est réellement illimitée dans le nombre de ses manifestations et sa puissance du vice.
Tous les péchés se trouvent dans le monde qui n'et plus la multitude des fils de Dieu, mais la
multitude des fils de Satan, et bien vivant est le péché qui porte le signe le plus claire de sa paternité
: la
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haine. Le monde hait. Celui qui hait, et veut faire voir même à ceux qui ne le voient pas, le mal dans
les choses les plus saintes. Si vous demandiez au monde pourquoi je suis venu, il ne vous dirait
pas : 'Pour faire du bien et racheter'. Mais il vous dirait : 'Pour corrompre et dominer'. Si vous
demandiez au monde ce qu'il pense de vous qui me suivez, il ne dirait pas : 'Vous le suivez pour
vous sanctifier et pour réconforter le Maître par la sainteté et la pureté'. Mais il dirait : 'Vous suivez
cet homme parce qu'il vous séduit. "
Le monde c'est cela. Et je vous le dis aussi pour que vous mesuriez tout avant de vous présenter
au monde comme des disciples choisies, les chefs de file des futures disciples, coopératrices des
serviteurs du Seigneur. Prenez bien votre cœur en mains, et dites-lui, à ce cœur sensible de femmes
qu'est votre cœur, que vous, et lui avec vous, serez ridiculisées, calomniées, qu'on vous crachera au
visage, que le monde vous piétinera par son mépris, ses mensonges, sa cruauté. Demandez-lui s'il
s'en sent capable de recevoir toutes les blessures sans crier d'indignation en maudissant ceux qui le
blessent. Demandez-lui s'il s'en sent capable d'affronter le martyre moral de la calomnie sans arriver
à haïr les calomniateurs et la Cause pour laquelle on le calomniera. Demandez-lui si, abreuvé et
recouvert par la rancœur du monde, il saura toujours exhaler l'amour, si empoisonnée par l'absinthe,
il saura présenter le miel , si, en souffrant toutes espèces de tortures par incompréhension, m épris,
dénigrement, il saura continuer à sourire en montrant du doigt le Ciel, le but auquel vous voulez
amener les autres, les amener par tendresse féminine, maternelle même chez les jeunes filles,
maternelle même si elle se donne à des personnes âgées qui pourraient être vos grands-parents mais
qui, du point de vue spirituel, viennent seulement de naître et sont incapables de comprendre et se
diriger sur leur route, dans la vie, dans la vérité, dans la sagesse que je suis venu donner en me
donnant Moi-même, Route, Vie, Vérité, Sagesse divine. Je vous aimerai de même, même si vous
me dites : 'Je n'en ai pas la force, Seigneur, de d "fier le monde entier pour Toi '.
Hier une jeune fille m'a demandé que je l'immole avant que ne sonne pour elle l'heure des noces,
car elle sent qu'elle m'aime, comme ion aime Dieu, c'est-à-dire avec toute elle-même, dans la
perfection absolue du don de soi. Et je le ferai. Je lui ai caché l'heure pour que son âme ne tremble
pas de peur et plus que son âme, sa chair. Sa mort sera semblable à celle d'une fleur qui un soir
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ferme sa corolle, croyant l'ouvrir encore le lendemain et ne l'ouvre plus parce que le baiser de la nuit
a aspiré sa vie. Et je le ferai, selon son désir, en anticipant de peu de jours son sommeil de mort du
mien. Pour ne pas la faire attendre aux Limbes, cette vierge, ma première vierge, pour la trouver
tout de suite en expirant ...
Ne pleurez pas ! Je suis le Rédempteur ... mais cette sainte jeune fille ne s'est pas bornée à
l'hosanna aussitôt après le miracle, mais elle a su exploiter le miracle, comme de l'argent prêté à
intérêt. Elle est passée de la reconnaissance humaine à une reconnaissance surnaturelle, d'un désir
terrestre à un désir ultra-terrestre. Elle a montré une maturité d'esprit supérieure à celle de presque
tout le monde. Je dis 'presque' parce que parmi vous qui m'écoutez il y a des perfections égales et
encore supérieures. Elle ne m'a pas demandé de me suivre. Au contraire elle a manifesté le désir
d'accomplir son évolution pour de jeune fille devenir ange, dans le secret de sa demeure. Et
pourtant, je l'aime tant qu'aux heures de dégoût pour ce qu'est le monde, j'évoquerai le souvenir de
cette douce créature, en bénissant le Père qui essuie mes larmes et mes sueurs de Maître d'un monde
qui ne veut pas de Moi, avec ces fleurs d'amour et de pureté.
Mais, si vous le voulez, si vous avez le courage de rester les femmes disciples choisies, je vais
vous indiquer le travail que vous devez faire pour justifier votre présence et votre élection auprès de
Moi, et auprès des saints du Seigneur. Vous pouvez faire tant auprès de vos semblables et à l'égard
des ministres du Seigneur.
Je l'ai indiqué à Marie d'Alphée, il y a maintenant plusieurs mois, comme il est nécessaire la
femme auprès de l'autel du Christ ! Les misères infinies du monde peuvent être soignées par une
femme beaucoup mieux que par un homme et puis être amenées à l'homme pour la guérison
complète. Beaucoup de cœurs, et spécialement des cœurs de femmes, s'ouvriront à vous, femmes
disciples. Vous devez les accueillir, comme si c'était des chers enfants dévoyés qui reviennent à la
maison paternelle et qui n'osent pas affronter leur père. Vous serez celle qui réconfortent le
coupable et amadouent le juge. Il en viendra à vous beaucoup qui cherchent Dieu. Vous les
accueillerez comme des pèlerins fatigués en leur disant : 'C'est ici la maison du seigneur. Il va venir
tout de suite', et, en attendant, vous l'entourez de votre amour. Si ce n'est pas Moi, ce sera un de mes
prêtres qui viendra.
La femme sait aimer. Elle est faite pour aimer. Elle a avili l'amour en en faisant une convoitise des
sens, lais, au fonds de sa
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chair, est toujours prisonnier le véritable amour, la gemme de son âme : l'amour dépouillé de
l'âcreté fangeuse des sens, fait d'ailes et de parfums angéliques, fait de flamme pure et de souvenirs
de Dieu, de son origine divine, de sa création faite par Dieu. La femme : le chef-d'œuvre de la bonté
auprès du chef-d'œuvre de la création qu'est l'homme : 'Et maintenant, qu'on a donné à Adam sa
compagne pour qu'il ne se sent pas seul', elle ne doit pas abandonner les Adam. Prenez donc cette
capacité d'amour et qu'elle serve à l'amour du Christ et par le Christ à celui du prochain. Soyez toute
charité auprès des coupables repentis. Dites-leur de ne pas avoir peur de Dieu. Comment ne sauriez-
vous pas remplir cet office, vous qui êtes mères et sœurs ? Combien de fois vos petits, ou vos frères
n'ont pas été malades et n'ont pas eu besoin du médecin ! Et ils avaient peur. Mais vous, avec des
caresses et des paroles d'amour, leur avez enlevé cette peur et avec leur petite main dans la vôtre, ils
se sont laissés soigner n'éprouvant plus leur terreur première. Les coupables sont vos frères et vos
enfants malades et ils craignent la main du médecin, son jugement... Non. Ce n'est pas ainsi. Dites-
le vous, qui savez combien Dieu est bon, que Dieu est bon, et qu'il ne faut pas le craindre. Même s'Il
dit franchement : 'Tu ne feras plus jamais cela', Il ne chassera pas celui qui l'a déjà fait et qui s'est
rendu malade. Mais Il le soignera pour le guérir.
Soyez des mères et des sœurs auprès des saints. Eux aussi ont besoin d'amour. Ils se fatigueront
et s'épuiseront dans l'évangélisation. Ils ne pourront arriver à faire tout ce qu'il y a à faire. Aidez-les
vous, discrètement et activement. La femme sait travailler. A la maison, près des tables et des lits,
près des métiers à tisser et de tout ce qui est nécessaire à la vie quotidienne. L'avenir de l'Eglise
amènera un flot continuel de pèlerins aux lieux choisis par Dieu. Vous, soyez-y les hôtesses,
chargez-vous des détails du plus humble travail pour laisser aux ministres de Dieu la liberté de
continuer le Maître.
Et puis viendront les temps difficiles, sanglants, cruels. Les chrétiens, même les saints, auront
des heures de terreur, de faiblesse. L'homme n'est jamais très fort dans sa souffrance. La femme, au
contraire, a sur l'homme cette supériorité royale de savoir souffrir ; Enseignez-la à l'homme en le
soutenant dans ces heures de peur, de découragement, de larmes, de fatigues, de sang . Dans notre
histoire, nous avons les exemples de femmes merveilleuses qui surent accomplir des actes
audacieux et libérateurs.
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Nous avons Judith, Yaël. Mais croyez qu'il n'y en a pas de plus grande jusqu'à présent que la mère
huit fois martyre : sept fois en ses fils, et une fois pour elle, au temps de maccabées. Puis, il y en
aura une autre... Mais après qu'Elle l'aura été, se multiplieront les femmes héroïnes de la douleur et
dans la douleur, les femmes réconforts des martyres et martyres elles aussi, les femmes anges des
persécutés, les femmes prêtresses silencieuses qui prêcheront Dieu par leur manière de vivre et qui
sans d'autre consécration que celle que leur a donné le Dieu-Amour seront, oh ! seront consacrées et
dignes de l'être.
Voilà, très schématisés, vos principaux devoirs ; Je n'aurai pas beaucoup de temps à vous
consacrer, à voue en particulier. Mais vous vous formerez en m'écoutant. Et vous vous formerez
davantage sous la conduite parfaite de ma Mère.
Hier, cette main maternelle (et Jésus prend dans la sienne la main de Marie) m'a amené la jeune
fille dont je vous ai parlé et celle-ci m'a dit que rien que le fait de l 'entendre, et de rester à ses côtés,
pendant quelques heures lui avait servi à mûrir le fruit de la grâce qu'elle avait eue, en l'amenant à
sa perfection. Ce n'est pas la première fois que ma Mère travaille pour le Christ son Fils. Toi et toi,
mes disciples, mais aussi mes cousins, vous savez ce qu'est Marie pour former les âmes à Dieu.
Vous pouvez le dire à ceux et à celles qui auront la crainte de n'avoir pas été préparés par Moi à la
mission ou de l'être encore insuffisamment quand je ne serai plus parmi vous. Elle, ma Mère, sera
avec vous maintenant, aux heures où je ne serai pas parmi vous, et puis, quand je ne serai plus au
milieu de vous. Elle vous reste, et avec elle reste la sagesse en toutes ses vertus. Suivez dorénavant
tous ses conseils.
Hier soir, quand nous fûmes seuls, Moi, assis à côté d'elle comme quand j'étais petit, la tête sur
son épaule si douce et si courageuse, ma Mère m'a dit -nous avions parlé de la jeune fille partie aux
premières heures de l'après-midi avec un soleil plus radieux que celui du firmament, enclos en son
cœur virginal : son secret saint- ma Mère m'a dit : 'Comme il est doux d'être la Mère du Rédempteur
!' Oui, comme c'est doux, quand la créature qui vient au Rédempteur est déjà une créature de Dieu
en laquelle il n'y a que la tache d'origine qui ne peut être lavée par un autre que Moi. Toutes les
autres petites taches des imperfections humaines, l'amour les a enlevées.
Mais, ma douce Mère, très pure Guide des âmes vers ton Fils, Etoile sainte qui les oriente, suave
Maîtresse des saints, tendre
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Nourrice des plus petits, Soin salutaire des infirmes, ce n'est pas toujours que viendront à toi ces
créatures qui ne refusent pas la sainteté ... Mais des lèpres, mais des horreurs, mais la puanteur,
mais un grouillement de serpents autour de choses immondes, viendront ramper jusqu'à tes pieds, ô
Reine du genre humain, pour te crier/ 'Pitié !' Secours-nous ! Conduis-nous à ton fils !' et tu devras
mettre ta main, cette blanche main sur les plaies, incliner ton regard de colombe du paradis sur les
laideurs infernales, respirer la puanteur du péché, et ne pas fuir. Mais au contraire serrer sur ton
cœur ceux que Satana mutilés, ces avortons, ces pourritures, et les laver dans les larmes et me les
amener ... Et alors tu diras : 'Comme il est difficile d'être la Mère du Rédempteur !' Mais tu le feras
parce que tu es la Mère ... Je baise et bénis tes mains, ces mains par lesquelles viendront à Moi tant
de créatures et chacune sera une de mes gloires. Mais, avant de l'être pour Moi, elle sera une de tes
gloires, Mère sainte.
Vous, chères femmes disciples, suivez l'exemple de celle qui fut ma Maîtresse, celle aussi de
Jacques et de Jude et de tous ceux qui veulent se former dans la Grâce et dans la Sagesse ; Suivez sa
parole. C'est la mienne qui s'est faite plus douce. Il n'y a rien à y ajouter, car c'est la parole de la
Mère de la Sagesse.
Et vous, mes amis, sachez avoir l'humilité et la constance des femmes et, abaissant l'orgueil de
l'homme, ne méprisez pas les femmes disciples, mais modérez votre force, et je pourrais dire votre
dureté et votre intransigeance au contact de la douceur des femmes. Et, par-dessus tout, apprenez
d'elles à aimer, à croire et à souffrir pour le Seigneur, parce qu'en vérité je vous dis qu'elles, les
faibles, deviendront les plus fortes dans la foi, dans l'amour, dans l'audace, dans le sacrifice pour
leur Maître, qu'elles aiment avec toutes elles-mêmes, sans rien demander, sans rien prétendre,
payées seulement par l'amour, pour me donner réconfort et joie.
Allez, maintenant dans vos maisons ou dans celles qui vous donnent l'hospitalité. Je reste avec ma
Mère. Dieu soit avec vous. "
Toutes partent sauf Marthe.
" Reste, toi, Marthe. J'ai déjà parlé à ton serviteur. Aujourd'hui ce n'est pas Béthanie qui donne
l'hospitalité, mais la petite maison de Jésus. Viens. Tu mangeras à côté de Marie et tu dormiras dans
la petite chambre près de la sienne. L'esprit de Joseph, notre réconfort, te réconfortera pendant que
tu reposeras. Et demain, tu retourneras à Béthanie plus forte et plus assurée, pour préparer là
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aussi des femmes disciples, en attendant celle qui à Moi et à toi est la plus chère. Ne doute pas,
Marthe, je ne promets jamais en vain. Mais, pour faire d'un désert rempli de vipères un bosquet du
paradis, cela demande du temps... Le premier travail ne se voit pas. Il semble qu'il n'y a rien de fait.
Mais, au contraire, la semence est déjà déposée. Les semences. Toutes. Et puis viendront les larmes,
ce sera la pluie qui les fait éclore... Et les bons arbres viendront ... Viens ! ... Ne pleure plus ! "
Jésus est sur le lac, dans la barque de Pierre, derrière deux autres barques ; l'une c'est la barque de
pêche ordinaire, jumelle de celle de Pierre, l'autre une barque de plaisance, légère, riche. C'est la
barque de Jeanne de Chouza, mais sa propriétaires n'y est pas ; elle est aux pieds de Jésus dans la
barque rustique de Pierre.
Je dirais que le hasard les a réunis en un endroit de la rive fleurie de Génésareth. Le rivage est très
beau en ce début du printemps de Palestine, qui répand ses nuées d'amandiers en fleurs et dépose
les perles des fleurs qui vont éclore sur les poiriers et les pommiers, les grenadiers, les cognassiers,
tous, tous les arbres les plus riches et les plus agréables pour leurs fleurs et leurs fruits. Quand la
barque suit une rive ensoleillée, déjà apparaissent les millions de boutons qui se gonflent sur les
branches en attendant de fleurir, pendant que papillonnent dans l'aire tranquille, jusqu'à ce qu'elles
se posent sur les claires eaux du lac, les pétales des amandiers précoces. Les rives, au milieu de
l'herbe nouvelle qui semble un gai tapis de soie verte, sont constellées des boutons d'or des
renoncules, des étoiles rayonnantes des marguerites et près d'elles, raides sur leurs tiges comme des
petites reines couronnées, sourient légers, tranquilles comme des yeux d'enfants, les myosotis
élégants, couleur d'azur et qui semblent dire 'oui, oui' au soleil, au lac, aux herbes leurs sœurs,
qu'elles sont heureuses de fleurir sous les yeux bleu-clairs de leur Seigneur.
En ce début de printemps, le lac n'a pas encore cette opulence qui le rendra triomphal les mois
suivants. Il n'a pas encore cette somptuosité, je dirais sensuelle, des mille et mille rosiers rigides ou
flexibles qui font des massifs dans les jardins ou qui voilent les
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murs, des milliers et des milliers de corymbes des cytises et des acacias, des milliers et des milliers
d'alignements de tubéreuses en fleurs, de mille et mille étoiles des agrumes, de tout ce mélange de
couleurs, de parfums violents, enivrants, qui environnent et excitent un désir humain de jouissance
qui profane, qui profane trop ce coin de terre si pur qu'est le lac de Tibériade, le lieu choisi depuis
des siècles, pour être le théâtre du plus grand nombre des prodiges de notre Seigneur Jésus.
Jeanne regarde Jésus absorbé par la beauté de son lac galiléen, et son visage sourit, reflétant
comme un miroir fidèle son sourire à Lui. Dans les autres barques, on parle. Ici, c'est le silence.
Seul bruit, le bruit sourd des pieds nus de Pierre et d'André qui règlent la manœuvre de la barque, et
le soupir de l'eau que fend la proue et qui murmure sa douleur aux flancs du bateau, une douleur qui
se change en rire à la poupe quand la blessure se referme en un sillage argenté que le soleil allume
comme si c'était une poussière de diamants.
Finalement Jésus arrête sa contemplation et tourne son regard vers la disciple. Il lui sourit. Il lui
demande : " Nous sommes presque arrivés, n'est-ce pas ? Et tu diras que le Maître est un
compagnon bien peu aimable. Je ne t'ai pas dit une seule parole. "
" Mais je les ai lues sur ton visage, Maître, et j'ai entendu tout ce que tu disais à ces choses qui
nous entourent. "
" Que disais-je, alors ? "
" Aimez, soyez purs, soyez bons. Parce que vous venez de Dieu, et que de sa main il n'est rien
sorti de mauvais ou d'impur. "
" Tu as bien lu. "
" Mais, mon Seigneur, les herbes le feront encore. Et le feront aussi les animaux. L'homme ...
pourquoi ne le fait-pas, lui qui est le plus parfait ? "
" Parce que la morsure de Satan est entrée seulement en l'homme. Il a essayé de démolir le
Créateur dans son prodige le plus grand, dans ce qui était le plus semblable à Lui. "
Jeanne baisse la tête et réfléchit. Elle paraît hésiter et comparer deux vouloirs opposés. Jésus
l'observe. A la fin elle relève la tête et dit : " Seigneur, dédaignerais-Tu d'approcher de mes amies,
païennes ? Tu sais ... Chouza appartient à la cour. Et le Tétrarque -et plus encore la véritable
maîtresse de la cour, Hérodiade, à la volonté de laquelle se soumet tout désir d'Hérode, par ... mode,
pour se montrer plus fins que les autres palestiniens, pour être protégés par Rome, en adorant Rome
et tout ce qui est romain -
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flatte les romains de la maison proconsulaire ... et nous les impose pour ainsi dire. En vérité je dois
dire que les femmes ne sont pas pires que nous. Même parmi nous, sur ces rives, il y en a qui sont
tombées bien bas. Et de quoi pouvons-nous parler, si nous ne parlons pas d'Hérodiade ? ... Quand
j'ai perdu mon enfant et que je fus malade, elles furent très bonnes pour moi qui ne les avais pas
recherchées. Et, depuis , l'amitié est restée. Mais, si tu me dis que c'est mal, j'y renonce. Non ?
Merci, Seigneur. Avant-hier, j'étais chez une de ces amies, visite d'amitié pour moi, de devoir de la
part de Chouza. C'était un ordre du Tétrarque qui ... voudrait bien revenir ici, mais qui ne s'y sent
pas très en sécurité et alors ... il noue les relations les plus intéressés avec Rome pour avoir sa
protection. Par ailleurs ... je te prie ... Tu es parent du Baptiste, n'est-ce pas ? Dis-lui alors de ne pas
trop se fier. Qu'il ne sort jamais des frontières de la SaMarie. Mais, au contraire, s'il ne le dédaigne
pas, qu'il se cache pour quelque temps. Le serpent s'approche de l'agneau et l'agneau a tout lieu de
craindre. De tout. Qu'il se tienne sur ses gardes, Maître. Et qu'on ne se sache. Pas que c'est moi qui
l'ai dit. Ce serait la ruine de Chouza. "
" Sois tranquille, Jeanne. J'avertirai le Baptiste de façon à lui rendre service sans qu'il en résulte de
dommage. "
" Merci, Seigneur. Je veux te servir, mais je ne voudrai pas ce faisant nuire à mon mari. D'autre
part ... moi... je ne pourrai pas venir toujours avec Toi. Parfois, je devrai rester, parce que lui le
veut, et c'est juste... "
" Tu resteras, Jeanne.. Je comprends tout. Ne dis rien de plus que ce qui est nécessaire. "
" Pourtant, aux heures les plus dangereuses pour Toi, Tu me voudras près de Toi ? "
" Oui, Jeanne. Certainement. "
" Oh ! cette chose comme il m'était difficile de devoir le dire, et de la dire ! Mais maintenant, je
suis soulagée... "
" " Si tu as foi en Moi, tu seras toujours soulagée... mais, tu parlais de l'une de tes amies
romaines ... "
" Oui, c'est une amie intime de Claudia et je crois qu'elle doit lui être parente. Elle voudrait
parler avec Toi ou, au moins, t'entendre parler. Et elle n'est pas la seule. Et maintenant que Tu as
guéri la petite de Valeria, et la nouvelle est arrivée rapide comme l'éclair, elles le désirent encore
plus vivement. Au banquet de l'autre soir, on a beaucoup parlé, pour et contre Toi. Il y avait en effet
des hérodiens et des sadducéens ... bien qu'ils n'en voulussent pas conve-
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nir quand on le leur demandait ... et puis, il y avait aussi des femmes ... riches ... et pas honnêtes. Il
y avait ... cela me déplaît de le dire parce que je sais que tu es un ami de son frère, Marie de
Magdala, avec son nouvel ami, et une autre femme, grecque je crois, et de mœurs aussi libres
qu'elle. Tu sais ... chez les païens, les femmes sont à table avec les hommes et c'est ... très ... très ...
Quel ennui ! Par gentillesse, mon amie m'avait choisie comme compagnon mon propre époux ce qui
m'avait beaucoup soulagée. Mais les autres ... oh ! ... Eh bien ... on parlait de Toi, car le miracle sur
Faustina a fait du bruit. Et si les romains admirent en Toi le grand médecin ou le mage -pardonne-
moi, Seigneur- les hérodiens et les sadducéens jetaient du venin sur ton nom, et Marie, oh ! Marie !
quelle horreur ! ... elle a commencé par les dérision et puis ... Non, cela, je ne veux pas te le dire.
J'en ai pleuré toute la nuit. "
" Laisse-la faire. Elle guérira. "
" Mais elle se porte bien, sais-Tu ? "
" La chair oui. Le reste est toute intoxiqué. Elle guérira. "
" Tu le dis ... Les romaines, tu sais comme elles sont, ont dit : 'Nous ne craignons pas les
sorcelleries et nous ne croyons pas aux racontars, mais nous voulons juger par nous-mêmes' et
ensuite elles m'ont dit : 'Ne pourrions-nous l'entendre ? "
" Dis-leur qu'à la fin de la lune de scebat, je serai chez toi. "
" Je le dirai, Seigneur. Tu crois qu'elles viendront à Toi ? "
" Chez elles, c'est surtout un monde à refaire. Il faut tout d'abord démolir, puis bâtir. Mais ce
n'est pas impossible... Jeanne, voici ta maison avec son jardin. Travailles-y pour ton Maître, comme
je te l'ai dit. Adieu, Jeanne. Que le Seigneur soit avec toi. Je te bénis en son nom. "
La barque accoste. Jeanne demande, insistante : " Tu ne viens pas ? "
" Pas maintenant. Il me faut réveiller la flamme. En peu de mois d'absence, elle s'est presque
éteinte. Et le temps s'envole. "
La barque s'est arrêtée dans la crique du jardin de Chouza. Les serviteurs accourent pour aider la
maîtresse à descendre . Sa barque vient, après celle de Pierre au débarcadère après que Jean,
Mathieu, l'Iscariote et Philippe l'ont quittée pour monter dans celle de Pierre qui, ensuite, lentement
quitte le rivage et reprend sa marche vers la rive opposée.
Jésus parle dans une cité que je n'ai jamais vue.. C'est du moins ce qui me semble, car elles sont
toutes à peu-près le même style et il est difficile de les différencier à première vue. Ici aussi une rue
borde le lac et les barques sont toutes près de la rive. Maisons et maisonnettes sont sur l'autre bord
de la rue, mais les collines sont ici beaucoup plus en retrait et ainsi la petite cité se trouve dans une
plaine riante qui se prolonge sur la rive orientale du lac., à l'abri des vents que les collines arrêtent.
Elle jouit donc d'un climat tiède qu'ici, plus encore que dans les autres campagnes, favorise la
floraison des arbres.
Il semble que le discours soit commencé, car Jésus dit : " ... C'est vrai. Vous dites : 'Nous ne
t'abandonnerons jamais, car t'abandonner ce serait abandonner Dieu'. Mais, ô peuple de Gerghesa,
rappelle-toi que rien n'est plus changeant que la pensée humaine. Je suis convaincu qu'en ce
moment vous avez réellement cette pensée. Ma parole et le miracle survenu vous ont exaltés en ce
sens et en ce moment vos paroles sont sincères. Mais, je vais vous rappeler un épisode. Je pourrais
en citer mille, lointains ou proches. Je ne vous cite que celui là.
Josué, serviteur du Seigneur, rassembla, avant de mourir, autour de lui les tribus, avec leurs
anciens, leurs chefs, leur juges, leurs magistrats, et leur parla en présence du Seigneur. Il leur
rappela tous les bienfaits et les prodiges accomplis par le Seigneur par son entremise. Après avoir
énuméré toutes ces choses, il les invita à rejeter tout dieu qui ne serait pas le Seigneur ou, du moins,
à être francs dans leur foi en choisissant avec sincérité ou le vrai Dieu, ou les dieux de Mésopotamie
et des Amorites de façon qu'il y eut une nette séparation entre les fils d'Abraham et ceux qui
s'attachent au paganisme.
Une erreur décidé vaut toujours mieux qu'une hypocrite profession de foi ou un mélange de
croyances qui est un opprobre pour Dieu et une mort pour les esprits. Et il n'est rien de plus facile et
de plus commun que ce mélange. L'apparence est bonne, mais par-dessous la réalité ne vaut rien.
Toujours, fils. Toujours. Les fidèles qui mélangent l'observance de la loi avec ce qu'elle interdit, ces
disgraciés qui hésitent comme des gens ivres entre la fidélité à la Loi et l'intérêt des marchés et des
compromissions avec les gens qui ne sont pas soumis à la Loi dont ils espèrent tirer profit, ces
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prêtres ou scribes ou pharisiens qui ne font plus du service de Dieu le but de leur vie, mais une
politique astucieuse pour triompher des autres et pour avoir tout pouvoir contre les autres plus
honnêtes, parce qu'ils savent fort et précieux pour les buts qu'ils poursuivent, ne sont que des
hypocrites qui mélangent notre Dieu avec des dieux étrangers.
Le peuple répondit à Josué : 'Qu'il n'arrive jamais que nous abandonnions le vrai Dieu pour
servir des dieux étrangers'. Josué leur dit ce que Moi, je vous ai dit naguère sur la sainte jalousie du
Père, sur sa volonté d'être aimé exclusivement, avec tout nous-mêmes, de son équité dans la
punition de ceux qui sont menteurs. Punir ! Dieu peut punir comme il peut récompenser. Il ne faut
pas être mort pour avoir récompense ou châtiment. Regarde, ô peuple hébreux, si Dieu, après t'avoir
tant donné en te délivrant des pharaons, en te conduisant sain et sauf à travers le désert et les
embûches des ennemis, en te permettant de devenir une nation grande et respectée, riche de gloires,
ne t'a-t-il pas, par la suite, une, deux, dix fois puni pour tes fautes ! Regarde ce que tu es devenu à
présent ! Et Moi qui te vois te précipiter dans la plus sacrilège des idolâtries, je vois aussi dans quel
gouffre tu vas te précipiter pour ton obstination à retomber toujours dans les mêmes fautes. Et c'est
pour cela que je te rappelle, peuple qui es deux fois mon peuple parce que je suis le Rédempteur et
que je suis né de toi. Ce n'est pas de la haine, pas de la rancœur, pas de l'intransigeance. Mon rappel,
même s'il est sévère, c'est encore de l'amour.
Josué dit alors : 'Vous êtes témoins : vous avez choisi le Seigneur', et tous répondirent : 'Oui'. Et
Josué, qui était sage et pas seulement brave, sachant combien est faible la volonté de l'homme
écrivit sur un livre toutes les paroles de la loi et de l'alliance et il les plaça dans le temple et de plus,
dans ce sanctuaire du Seigneur, à Sichem, qui contenait pour l'occasion le Tabernacle, il posa une
grande pierre en témoignage, disant : 'Cette pierre qui a entendu les paroles que vous avez dites au
Seigneur restera ici en témoignage pour que vous ne puisiez pas renier votre parole et mentir au
Seigneur votre Dieu'.
Une pierre, si grande et si dure qu'elle soit, peut toujours être réduite en poussière par l'homme,
par la foudre ou par l'érosion des eaux et du temps. Mais Moi, je suis la Pierre Angulaire et
Eternelle et je ne puis subir la destruction. Ne mentez pas à cette Pierre Vivante. Ne l'aimez pas
seulement parce qu'elle fait des prodiges.
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Aimez-la parce que par elle vous toucherez le Ciel. Je vous voudrais plus spirituels, plus fidèles au
Seigneur. Je ne dis pas à Moi. Moi je ne suis que parce que je suis la Voix du Père. En me piétinant,
vous blessez Celui qui m'a envoyé. Je suis l'intermédiaire. Lui c'est le Tout. Recueillez de Moi et
conservez en vous ce qui est saint, pour rejoindre ce Dieu. N'aimez pas l'Homme, aimez le Messie
du Seigneur, non pour les miracles qu'il fait, mais parce qu'il veut faire en vous le miracle intime et
sublime de votre sanctification. "
Jésus bénit et se dirige vers une maison. Il se trouve presque sur le seuil quand il est arrêté par un
groupe d'hommes âgés qui le saluent avec respect et Lui disent : " Pouvons-nous t'interroger,
Seigneur ? Nous sommes des disciples de Jean et puisque lui parle toujours de Toi et aussi parce
que la renommée de tes prodiges est venue jusqu'à nous, nous avons voulu te connaître. Maintenant,
en t'écoutant, il nous est venu à l'esprit une question. "
" Dites-la. Si vous êtes disciples de Jean, vous êtes déjà sur le chemin de la justice. "
" Tu as dit, en parlant des idolâtries habituelles chez les fidèles, qu'il y a parmi nous des personnes
qui commercent entre la loi et les gens qui sont en dehors de la loi. Toi aussi, cependant tu es leur
ami. Nous savons que Tu ne dédaignes pas les romains. Alors ? "
" Je ne le nie pas. Mais cependant, pouvez-vous dire que je le fais pour en tirer un avantage ?
Pouvez-vous dire que je le flatte pour avoir même seulement leur protection ? "
" Non ,Maître, et nous en sommes plus que certains. Mais le monde n'est pas composé de nous
seuls qui ne voulons croire qu'au mal que nous voyons et non pas au mal dont on vient nous parler.
Maintenant dis-nous les raisons qui rendent plausible la fréquentation des gentils, pour nous guider
et te défendre, si on te calomnie en notre présence. "
" Il est mal d'avoir des contacts quand ce n'est que dans un but humain. Ce n'est pas mal les
fréquenter pour les amener au Seigneur notre Dieu. C'est ce que je fais. Si vous étiez des gentils, je
pourrais m'attarder à vous expliquer comment tout homme vient d'un Dieu Unique. Mais vous êtes
hébreux et il n'est pas nécessaire que je vous explique cela. Vous pouvez donc comprendre et croire
qu'il est mon devoir, étant le Verbe de Dieu, de porter sa parole à tous les hommes, fils d'un Père
universel. "
" Mais eux ne sont pas des fils puisqu'ils sont païens ... "
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" Par la grâce, non, ils ne le sont pas. Pour leur foi erronée, ils ne le sont pas, c'est vrai. Mais,
jusqu'à ce que j'aie racheté l'homme, même l'hébreux aura perdu la grâce. Il en sera privé, parce que
la tache d'origine fait un écran au rayon ineffable de la Grâce, l'empêchant de descendre dans les
cœurs. Mais par la création, l'homme est toujours fils de Dieu. D'Adam, chef de l'humanité,
viennent tant les hébreux que les romains, et Adam est le fils du Père qui lui a donné sa
ressemblance spirituelle. "
" C'est vrai ; Une autre question, Maître ; Pourquoi les disciples de Jean font-ils de grands
jeûnes et ne pas les tiens, Nous ne disons pas que tu ne dois pas manger. Même le Prophète Daniel
fut saint aux yeux de Dieu, tout en étant un grand de la cour de Babylone, et Toi tu es plus que lui.
Mais eux ... "
" Bien souvent, ce qu'on n'obtient pas par le rigorisme, un l'obtient par la cordialité. Il y a des
êtres qui ne viendraient jamais au Maître, et c'est le Maître qui doit aller à eux. D'autres viendraient
au Maître, mais ils ont honte d'y aller parmi la foule. Vers eux aussi le Maître doit aller. Et
puisqu'ils me disent : ' Sois mon hôte pour que je puisse te connaître', j'y vais, en tenant compte non
pas de la jouissance d'une table opulente, ni des conversations qui pour Moi sont tellement pénibles,
mais encore et toujours de l'intérêt de Dieu. Ceci pour Moi. Et puisque souvent au moins une des
âmes que j'aborde de cette façon se convertit, et toute conversion est une fête nuptiale pour mon
âme, une grande fête à laquelle prennent part tous les anges du Ciel et que bénit le Dieu éternel,
ainsi mes disciples, les amis de Moi-l'Epoux, jubilent avec l'Epoux leur Ami. Voudriez-vous voir
les amis dans la douleur pendant que Moi je jubile, Pendant que je suis avec eux ? Mais le temps
viendra où ils ne m'auront plus. Et alors ils feront de grands jeûnes. A temps nouveaux, nouvelles
méthodes. Jusqu'à hier : auprès du Baptiste, c'était le cendre de la Pénitence Aujourd'hui, dans mon
aujourd'hui, c'est la douce manne de la Rédemption, de la Miséricorde, de l'Amour. Les méthodes
anciennes ne pourraient se greffer sur mon action, comme mes méthodes n'auraient pu être mises en
œuvre alors, hier seulement, car la Miséricorde n'était pas encore sur la terre, maintenant, elle y est.
Non plus le Prophète, mais le Messie à qui tout a été remis par Dieu, est sur la terre ; A chaque
temps les choses qui lui sont utiles. Personne ne coud un morceau d'étoffe neuve sur un vieux
vêtement, parce qu'autrement, surtout au moment du lavage, l'étoffe neuve se rétrécit et déchire
l'étoffe vieille et la déchirure s'élargit encore. De la même façon,
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personne ne met du vin nouveau dans des vieilles outres parce que autrement le vin fait éclater les
outres incapables de supporter le bouillonnement du vin nouveau et celui-ci se répand hors des
outres qu'il a crevées. Mais le vin vieux qui a déjà travaillé, on le met dans de vieilles outres, et le
vin nouveau dans des outres neuves. Car une force doit s'équilibrer avec une autre qui doit lui être
égale. Il en est ainsi maintenant. La force de la nouvelle doctrine impose des méthodes nouvelles
pour sa diffusion. Et Moi, qui je sais, je les emploie. "
" Merci, Seigneur. Maintenant nous sommes contents. Prie pour nous. Nous sommes de vieilles
outres. Pourrions-nous résister à ta force ? "
" Oui, parce que le Baptiste vous a tannés et parce que ses prières, unies aux miennes, vous
donneront cette possibilité. Partez avec ma paix et dites à Jean que je le bénis. "
" Mais ... selon Toi, vaut-il mieux pour nous rester avec le Baptiste ou avec Toi ? "
" Tant qu'il y a du vin vieux, il est plus agréable de le boire, parce qu'il flatte davantage le palais.
Plus tard ... parce que l'eau malsaine qui se trouve partout vous dégoûtera, vous aimerez le vin
nouveau. "
" Crois-Tu que le Baptiste sera repris ? "
" Certainement. Je lui ai déjà envoyé une mise en garde. Allez, allez. Jouissez de votre Jean tant
que vous le pouvez et faites-lui plaisir. Après, vous m'aimerez. Moi. Et cela vous sera pénible
aussi ... car personne, après avoir goûté le vin vieux désire tout de suite le vin nouveau. Il dit : 'Le
vin vieux était meilleur !'. Et en effet, j'aurai une saveur spéciale qui vous paraîtra âpre. Mais vous
vous habituerez à la longue à cette saveur vitale. Adieu, amis. Dieu soit avec vous. "
" Maître ! Maître ! Mais tu ne sais pas qui est devant nous ? C'est le rabbi Gamaliel ! Assis avec
des serviteurs, dan une caravane, à l'ombre du bois, à l'abri du vent. Ils sont en train de cuire un
agneau. Et maintenant, qu'allons-nous faire ? "
" Mais ce que nous voulions faire, amis. Nous suivons notre chemin ... "
" Mais Gamaliel appartient au temple. "
" Gamaliel n'est pas un perfide. N'ayez pas peur. Moi je vais de l'avant. "
" Oh ! je viens moi aussi " disent ensemble les cousins et tous les galiléens et Simon. Seul
l'Iscariote et, un peu moins, Thomas, paraissent peu décidés à s'avancer. Mais ils suivent les autres.
Quelques mètres encore, par un chemin de montagne creusé entre des parois boisées. Et puis le
chemin tourne et débouche sur une sorte de plateau qu'il traverse en s'élargissant pour redevenir
étroit et tortueux sous le couvert des branche entrelacés. Dans une clairière ensoleillée, mais en
même temps ombragée par les premières feuilles du bois, il y a quantité de gens sous une riche tente
et d'autres s'emploient dans un coin à faire tourner l'agneau au-dessus de la flamme.
Il n'y a pas à dire ! Gamaliel se soignait bien. Pour un homme en voyage, lui a mis en
mouvement un régiment de serviteurs et déplacé je sais pas combien de bagages. Maintenant il est
assis au milieu de sa tente : une toile tendue sur quatre piquets dorés, une sorte de baldaquin sous
lequel se trouvent des sièges bas couverts de coussins et une table montée sur des chevrettes ornées
de marqueteries, couverte d'une nappe très fine sur laquelle les serviteurs placent de la vaisselle
précieuse. Gamaliel semble une idole. Les mains ouvertes sur les genoux, raide, hiératique, il me
fait l'effet d'une statue. Autour de lui les serviteurs tournoient comme des papillons. Mais lui ne s'en
occupe pas. Il réfléchit, les paupières presque abaissées sur les yeux sévères et, quand il les lève, ses
yeux très foncés, profonds et pleins de pensée se découvrent, dans toute leur sévère beauté, de
chaque côté d'un nez allongé et fin et sous le front un peu dégarni d'un homme âgé, haut, marqué de
trois rides parallèles et où une grosse veine bleuâtre, dessine une V au milieu de la tempe droite.
Le bruit des pas de ceux qui arrivent fait retourner les serviteurs. Gamaliel aussi se retourne. Il
voit Jésus qui avance en tête et il a un mouvement de surprise. Il se lève et va au bord de la tente,
pas plus loin. Mais de là, il s'incline profondément, les bras croisées sur la poitrine. Jésus répond de
la même manière.
" Tu es ici, Rabbi ? " demande Gamaliel.
" Oui, rabbi " répond Jésus.
" Me permets-tu de te demander où tu vas ? "
" Il m'est agréable de te répondre. Je viens de Nephtali et je vais à
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Giscala. "
" A pieds ? Mais la route est longue et difficile à travers ces montagnes. Tu te fatigue trop. "
" Crois-moi. Si on me reçoit et si on m'écoute, cela m'enlève toute fatigue. "
" Alors ... permets-moi, pour une fois, d'être celui qui t'enlève la fatigue. L'agneau est prêt. Nous
aurions laissé les restes aux oiseaux car je n'ai pas l'habitude d'emporter les restes. Tu vois que cela
ne me dérange pas de t'inviter et, avec Toi, tes disciples. Je suis pour Toi, un ami, Jésus. Je ne te
crois pas inférieur à moi, mais plus grand. "
" Il le crois et je l'accepte. "
Gamaliel parle à un serviteur qui doit faire l'office du chef. Ce dernier communique les ordres, on
prolonge le tente et l'on décharge des nombreux mulets d'autres sièges pour les disciples de Jésus, et
de la vaisselle.
On apporte les coupes pour se purifier les doigts. Jésus, avec la plus grande dignité, accompli ce
rite pendant que les autres apôtres, que Gamaliel lorgne avec beaucoup d'attention, le font le moins
mal possible, à l'exception de Simon, Judas de Kériot, Barthélemy, Mathieu rompus aux finesses de
la Judée.
Jésus est à côté de Gamaliel qui est seul su un côté de la table. En face de Jésus, le Zélote. Après
la prière d'offrande, que Gamaliel dit avec une lenteur solennelle, les serviteurs découpent l'agneau
et le partagent entre les hôtes et ils emplissent les coupes de vin, ou hydromel pour ceux qui le
préfèrent.
" Le hasard nous a réunis, Rabbi. Je ne croyais pas vraiment pas te trouver en marche pour
Giscala. "
" Je vais vers tout le monde. "
" Oui, Tu es le Prophète infatigable. Jean est stable. Tu es un itinérant. "
" Il est plus facile, ainsi, aux âmes de Me trouver. "
" Je ne dirais pas cela. Avec ces déplacements, tu les désorientes. "
" Je désoriente les ennemis, mais ceux qui me veulent, parce qu'ils aiment la Parole de Dieu, me
trouvent. Non pas tous peuvent venir au Maître et le Maître, qui les veut tous, va vers eux. Je rends
ainsi service à ceux qui sont bons et je dépiste les manœuvres de ceux qui me haïssent. "
" Le dis-tu pour moi ? Moi je ne te haïs pas. "
" Non, ce n'est pas pour toi. Mais, puisque tu es juste et sincère, tu peux dire que ce que je dis
est vrai. "
" Oui. C'est vrai ; Mais ... vois-tu ... C'est que nous les anciens, nous
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te comprenons mal. "
" Oui, le vieil Israël me comprend mal, pour son malheur ... et par sa volonté. "
" Oh ! cela, non ! "
" Oui, rabbi. Il n'applique pas sa volonté à comprendre le Maître. Et qui se borne à cela fait mal,
mais est un mal relatif. Beaucoup, au contraire, appliquent leur volonté à comprendre de travers et à
déformer ma parole pour nuire à Dieu. "
" A Dieu, Lui est au-dessus des embûches des hommes. "
" Oui, mais toute âme qui égare ou qu'on égare -et c'est s'égarer que de déformer ma parole pour
soi-même ou pour les autres- nuit à Dieu dans l'âme qui se perd. Toute âme qui se perd est une
blessure faite à Dieu. "
Gamaliel baisse la tête et réfléchit, les yeux fermés. Puis il se frotte le front, de ses doigts longs
et maigres, en un mouvement involontaire de peine. Jésus l'examine attentivement. Gamaliel lève la
tête, ouvre les yeux, regarde Jésus et dit : " Cependant tu sais que moi, je ne suis pas de ces gens. "
" Je le sais ; Mais tu appartiens aux premiers. "
" Oh ! c'est vrai ! Mais ce n'est pas que je ne m'applique pas à te comprendre. C'est que ta parole
s'arrête à mon intelligence mais ne va pas plus loin. L'intelligence l'admire en tant que parole d'un
savant et l'esprit... "
" Et l'esprit ne peut la recevoir, Gamaliel, parce qu'il est encombré de trop de choses. Et ces
choses sont des ruines. Il y a peu de temps, en venant de Nephtali à cette direction, je suis passé par
une montagne isolée de la chaîne. J'ai eu le plaisir à y passer pour voir la beauté du lac de
Génésareth et du lac Meron, vus d'en haut comme les voient les aigles et les anges du Seigneur,
pour dire encore une fois : 'Merci, Créateur de la beauté que Tu nous donnes'. Toute la montagne
n'était que fleurs, touffes nouvelles, frondaisons printanières dans les près, les vergers, les champs,
les bois. Les lauriers répandaient leur parfum près des oliviers qui préparaient déjà la neige des
milliers de fleurs, et même les robustes rouvres se faisaient plus attrayantes en se revêtant de
clématites et de chèvrefeuilles. Voilà que là il n'y a pas de fleuraison, terre désertique que le travail
de l'homme et de la nature était impuissant à fertiliser ; Tout travail humain n'y aboutit à rien, ni
celui du vent qui transporte les semences car les ruines cyclopéennes de l'antique Hatzor
encombrent tout, et à travers ces champs de pierres ne peuvent croître que les orties et les ronces et
ne se nichent
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que les serpents, Gamaliel... "
" Je te comprends. Nous aussi nous sommes des ruines ... Je comprends la parabole, Jésus.
Mais ... je ne peux ... Je ne peux agir d'une autre façon. Les pierres sont trop profondément
enterrées. "
" Quelqu'un, en qui tu crois, t'a dit : 'Les pierres frémiront à mes dernières paroles'. Mais
pourquoi attendre les dernières paroles du Messie ? N'aurais-tu pas de remordre de n'avoir pas voulu
me suivre auparavant ? Les dernières .. ! Tristes paroles aussi, que celles d'un ami qui meurt et que
nous sommes allés écouter trop tard. Mais les miennes sont plus que les paroles d'un ami. "
" Tu as raison ... Mais je ne peux pas. J'attends ce signe pour croire. "
" Quand un terrain est désolé, un coup de foudre ne suffit pas pour le défricher. Ce n'est pas le
terrain qui le reçoit, mais les pierres qui le couvrent. Travaille au moins à le remuer, Gamaliel.
Autrement, si elles sont ainsi enfouies dans ton âme, le signe ne t'amènera pas à la croyance. "
Gamaliel se tait, absorbé. Le repas est fini. Jésus se lève et dit : " Je te rends grâce, mon Dieu,
du repas et d'avoir pu parler au sage. Et merci à toi, Gamaliel. "
" Maître, ne pars comme cela. Je crains que tu ne sois fâché avec moi. "
" Oh ! Non. Tu dois me croire. "
" Alors, ne pars pas. Je vais à la tombe de Hillel . Dédaignerais-tu de venir avec moi ? Nous
irons vite fait, car j'ai des mulets et des ânes pour tout le monde. Nous n'aurons qu'à les débarrasser
des bâts que porteront les serviteurs. Et ce sera pour Toi un raccourci dans la partie la plus difficile
de ton chemin. "
" Je ne dédaigne pas de t'accompagner sur la tombe d'Hillel. C'est pour moi un honneur. Allons-
y donc. "
Gamaliel donne des ordres, et pendant que tous travaillent à démonter la salle à manger
provisoire, Jésus et le rabbi montent sur une mule et, l'un à côté de l'autre, ils avancent sur la route
montante et silencieuse sue laquelle résonnent bruyamment les sabots ferrés.
Gamaliel garde le silence. Il demande seulement deux fois à Jésus si la selle est commode. Jésus
répond et puis se tait, absorbé dans ses pensées. Tellement qu'il ne voit pas que Gamaliel, en
retenant un peu sa mule le laisse passer devant d'une encolure pour étudier tous ses mouvements.
Les yeux du vieux rabbi paraissent des yeux de faucon guettant sa proie, tant ils sont attentifs et
fixes.
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Mais Jésus ne s'en aperçoit pas. Il avance calmement en s'adaptant au pas ondulant de sa monture. Il
réfléchit et pourtant examine chaque aspect de tout ce qui l'entoure. Il allonge la main pour cueillir
une touffe de cytise d'or qui retombe, il sourit à deux oiseaux qui font leur nid dans un genévrier
touffu, arrête la mule pour écouter une fauvette à tête noire et acquiesce, comme s'il bénissait, au cri
angoissé par lequel une tourterelle sauvage encourage son compagnon au travail.
" Tu aimes beaucoup les plantes et les animaux, n'est-ce pas ? "
" Beaucoup. C'est mon livre vivant. L'homme a toujours devant lui les fondements de la foi. La
Genèse vit dans la nature. Maintenant, qui sait regarder, sait aussi croire. Cette fleur, si douce en
son parfum et dans la matière de ses corolles pendantes, contrastant ainsi avec ce genévrier épineux
et cet ont piquant, a-t-elle pu se faire toute seule ? Et regarde ce rouge-gorge a-t-il pu ainsi se faire
tout seul avec cette pincée de sang séché sur sa douce gorge ? Et ceux deux tourterelles, où et
comment ont-elles pu se peindre ce collier d'onyx sur le voile de leur plumes grise, Et là, ces deux
papillons : l'un noir aux grands yeux d'or et de rubis, et l'autre blanc avec des rayures azurées, où
ont-ils trouvé les gemmes et les rubans pour leurs ailes ? Et ce ruisseau, C'est de l'eau. C'est bien.
Mais d'où est-elle vienne ? Quelle est sa source première de l'eau élément ? Oh ! regarder veut dire
croire, si on sait voir. "
" Regarder veut dire croire. Nous regardons trop peu la Genèse vivante qui est devant nous. "
" Trop de science, Gamaliel, et trop peu d'amour et trop peu d'humilité ".
Gamaliel soupire et secoue la tête.
" Voilà. Je suis arrivé, Jésus. Là est enterré Hillel. Descendons en laissant là nos montures. Un
serviteur les prendra. "
Ils descendent, attachent à un tronc d'arbre les deux mules et se dirigent vers un tombeau qui se
détache de la montagne, près d'une vaste demeure complètement close. " Je viens ici pour méditer,
pour préparer les fêtes d'Israël. Dit Gamaliel en montrant la maison.
" Que la Sagesse te donne toutes les lumières. "
" Et ici pour me préparer à la mort " et Gamaliel montre le tombeau. " C'était un juste. "
" C'était un juste. Je prie volontiers près de ses cendres. Mais, Gamaliel, Hillel ne doit pas
seulement t'apprendre à mourir. Il doit t'apprendre à vivre. "
" Comment, Maître ? "
" 'L'homme est grand quand il s'humilie'. C'était la pensée qu'il préférait... "
" Comme le sais-tu, si tu ne l'as pas connu ? "
" Je l'ai connu ... et du reste, si je n'avais pas connu le rabbi Hillel en personne, sa pensée, je l'ai
connu car je n'ignore rien de la pensée des hommes. "
Gamaliel baisse la tête et murmure : " Seul Dieu peut dire cela. "
" Dieu et son Verbe. Parce que le Verbe connaît la Pensée et la Pensée connaît le Verbe et l'aime
en se communiquant à Lui avec ses trésors pour le faire participer à Lui-Même. L'Amour resserre
les liens et en fait une seule Perfection ; C'est la Triade qui s'aime et qui divinement se forme,
s'engendre, procède et se complète. Toute pensée sainte est née dans l'Esprit parfait et en reste un
reflet dans l'esprit du juste. Alors le Verbe peut-Il ignorer les pensées des justes qui sont la pensée
de la Pensée ? "
Ils prient près du tombeau fermé. Longuement. Les disciples et puis les serviteurs les rejoignent,
les premiers sur leurs montures, les seconds sous le poids des bagages. Mais ils s'arrêtent à la limite
du près, au-delà duquel est le tombeau. La prière se termine.
" Adieu, Gamaliel. Elève-toi comme Hillel. "
" Que veux-tu dire ? "
" Elève-toi. Lui est devant toi parce qu'il a su croire plus humblement que toi. Paix à toi. "
Jésus se trouve à Jérusalem et précisément aux environs de l'Antonia. Avec Lui sont tous les
apôtres sauf l'Iscariote. Une grande foule se hâte vers le Temple. Tout le monde est en habits de
fête, tant les apôtres que les autres pèlerins, et je pense donc que ce sont les jours de la Pentecôte.
Des nombreux mendiants se mêlent à la foule. Ils racontent plaintivement leurs misères en des
refrains apitoyés et ils se dirigent vers les meilleurs endroits, près des portes du temple ou au
croisement des chemins par lesquels la foule arrive. Jésus passe en faisant l'aumône à ces
malheureux qui s'ingénient à exposer leurs misères tout en faisant le récit. J'ai l'impression que
Jésus est déjà allé au Temple car j'entends les apôtres qui parlent de Gamaliel qui a fait semblant de
ne pas les voir bien qu'Etienne, un de ses auditeurs, lui ait signalé le passage de Jésus.
J'entends aussi Barthlémy qui demande à ses compagnons : " Qu'a-t-il voulu dire ce scribe par
cette phrase : 'Un groupe de moutons de boucherie ?'
" Il parlait de quelqu'affaire qui le concernait " dit Thomas
" Non, il nous montrait du doigt. Je l'ai bien vu. Et puis, la seconde phrase confirmait
la première: 'D'ici peu l'Agneau sera Lui aussi tondu et puis mené à l'abattoir'.
" Oui, j'ai entendu moi aussi " affirme André.
" Bon ! Mais je brûle d'envie de revenir en arrière et de demander aux compagnons du
scribe ce qu'il sait de Judas de Simon " dit Pierre.
" Mais il ne sait rien ! Cette fois Judas n'y est pas parce qu'il est réellement malade,
nous le savons, nous. Peut-être il a trop souffert du voyage que nous avons fait. Nous
nous sommes plus résistants, lui a vécu ici, confortablement. Il se fatigue facilement "
répond Jacques d'Alphée.
" Oui, nous le savons. Mais ce scribe a dit : 'Il manque le caméléon au groupe'. Le caméléon, n'est-
ce pas cet animal qui à son gré change de couleur ? " demande Pierre.
" Oui, Simon. Mais il a sûrement voulu parler de ses habits toujours nouveaux. Il y tient, il est
jeune. Il faut l'excuser ... " dit d'un ton conciliant le Zélote.
" C'est vrai cela aussi. Pourtant ! ... Quelles phrases curieuses ! " conclut Pierre.
" Il semble que toujours ils nous menacent " dit Jacques de
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Zébédée.
" Le fait est que nous nous savons menacés et nous voyons des menaces même où il
n'y en a pas..." observe Jude Thaddée.
" Et nous voyons des fautes même où il n'y en a pas " conclut Thomas.
" C'est bien vrai ! Le soupçon est une vilaine chose ... Qui sait comment va Judas
aujourd'hui ? En attendant, il jouit de ce paradis et de la présence de ces anges... J'aurais
plaisir à être malade moi aussi pour posséder tous ces délices ! " dit Pierre, et Barthlémy
lui répond : " Espérons qu'il sera bientôt guéri. Il faut terminer le voyage parce que la
saison chaude nous presse. "
" Oh ! les soins ne lui manquent pas, et puis ... le Maître y pensera si jamais " assure
André.
" Il avait beaucoup de fièvre quand nous l'avons quitté. Je ne sais comment elle lui est venue, ainsi
... "dit Jacques de Zébédée, et Mathieu lui répond : " Comment la fièvre arrive ! Parce qu'elle doit
venir. Mais ce ne sera pas rien. Le Maître ne s'en inquiète pas du tout. S'il avait vu du danger, il
n'aurait pas quitté le château de Jeanne. "
En effet Jésus n'est pas du tout inquiet. Il parle avec Margziam et avec Jean et va devant en
donnant des aumônes. Il explique certainement à l'enfant beaucoup de choses car je vois qu'il lui
indique tel et tel détail. Il se dirige vers l'extrémité des murs du Temple à l'angle nord-est. Là se
trouve une foule nombreuse qui s'en va vers un endroit où il y a des portiques qui précèdent une
porte que j'entends nommer 'du Troupeau'.
" C'est la probatique, la piscine de Bethsaïda ; Maintenant, regarde bien l'eau. Tu vois comme
elle est calme en ce moment ? D'ici peu tu verras qu'elle a une sorte de mouvement et qu'elle se
soulève en touchant ce signe humide. Le vois-tu ? Alors l'Ange du Seigneur descend, l'eau sent sa
présence et le vénère comme elle peut. L'Ange porte à l'eau l'ordre de guérir l'homme qui s'y plonge
rapidement. Vois-tu quelle foule ? Mais un trop grand nombre sont distraits et ne voient pas le
premier mouvement de l'eau ; ou bien, sans pitié, les plus forts repoussent les plus faibles. On ne
doit jamais se distraire en présence des signes de Dieu. Il faut garder l'âme toujours éveillée parce
qu'on ne sait jamais quand Dieu se manifeste ou envoie son Ange. Et il ne faut jamais être égoïste,
même pour raison de santé. Bien de fois, parce qu'ils sont restés à discuter sur celui qui touche le
premier ou qui en a davantage besoin, ces malheureux manquent le bienfait de la venue de
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l'Ange. " Jésus donne toutes ces explications à Margziam qui le regarde, les yeux grands ouverts,
attentifs, et pendant ce temps surveille aussi l'eau.
" Peut-on voir l'Ange ? Cela me plairait. "
" Lévi, un berger de ton âge, le vit. Regarde bien toi aussi et sois prêt à le louer. "
L'enfant ne se distrait plus. Ses yeux regardent alternativement l'eau et au-dessus de l'eau, et il
n'entend plus rien, ne voit rien d'autre. Jésus, pendant ce temps, regarde ce petit peuple d'infirmes,
d'aveugles, d'estropiés, de paralytiques, qui attendent. Les apôtres aussi observent attentivement. Le
soleil produit des jeux de lumière sur l'eau et envahit royalement les cinq rangées de portiques qui
entourent les piscines.
" Voilà, voilà ! " crie Margziam ; " L'eau se gonfle, s'agite, resplendit ! Quelle lumière !
L'Ange ! " ... et l'enfant s'agenouille.
En effet, pendant le mouvement du liquide dans le bassin, ce liquide semble augmenter
de volume par un flot subit et immense qui le gonfle et s'élève vers le bord. L'eau
resplendit comme un miroir au soleil. Une lueur éblouissant pendant un instant. Un
boiteux se plonge rapidement dans l'eau pour en sortir peu après, avec sa jambe, déjà
marquée d'une grande cicatrice, parfaitement guérie. Les autres se plaignent et se
disputent avec l'homme guéri. Ils lui disent qu'enfin lui pouvait encore travailler, mais
pas eux. Et la dispute se prolonge.
Jésus regarde tout autour et voit sur un grabat un paralytique qui pleure doucement. Il
s'en approche, se penche et le caresse en lui demandant : " Tu pleures ? "
" Oui. Personne ne pense jamais à moi. Je reste ici, je reste ici, tous guérissent, moi, jamais. Cela
fait trente-huit ans que je suis sur le dos. J'ai tout dépensé, les miens sont morts, maintenant je suis à
charge à un parent éloigné qui me porte ici le matin et me reprend le soir... Mais comme cela lui
pèse de le faire ! Oh ! Je voudrais mourir ! "
" Ne te désole pas. Tu as eu tant de patience et de foi ! Dieu t'exaucera. "
" Je l'espère ... mais il me vient des moments de découragement. Toi, tu es bon, mais les
autres ... Celui qui est guéri pourrait par reconnaissance pour Dieu rester ici pour secourir les
pauvres frères... "
" Ils devraient le faire, en effet. Mais n'aie pas de rancœur. Ils n'y pensent pas, ce n'est pas de la
mauvaise volonté. C'est la joie de la
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guérison qui les rend égoïstes. Pardonne leur... "
" Tu es bon, Toi. Tu n'agirais pas ainsi. Moi, j'essaye de me traîner avec les mains jusque là,
lorsque l'eau du bassin s'agite. Mais toujours un autre me passe devant et je ne puis rester près du
bord, on me piétinerait. Et même si je restais là, qui m'aiderait à descendre ? Si je t'avais vu un peu
pus tôt, je te l'aurais demandé... "
" Veux-tu vraiment guérir ? Alors, lève-toi, prends ton lit et marche ! " Jésus s'est redressé pour
donner son ordre et il semble qu'en se relevant il relève aussi le paralytique, qui se met debout et
puis fait un, deux, trois pas, comme s'il n'y croyait pas, derrière Jésus qui s'en va, et comme il
marche vraiment, il pousse un cri qui fait retourner tout le monde.
" Mais, qui es-Tu ? Au nom de Dieu, dis-le-moi ! L'Ange du Seigneur, peut-être ? "
" Je suis plus qu'un ange. Mon nom est Pitié. Va en paix. "
Tous se rassemblent. Ils veulent voir.Ils veulent parler. Ils veulent guérir. Mais les gardes du
temple accourent. Je crois qu'ils surveillent aussi la piscine et ils dispersent par des menaces cette
assemblée bruyante.
Le paralytique prend son brancard -deux barres montées sur deux paires de roues et une toile
usée clouée sur les barres- et il s'en va, heureux en criant à Jésus : " Je te retrouverai. Je n'oublierai
pas ton nom et ton visage. "
Jésus, en se mêlant à la foule, s'en va d’un autre côté, vers les murs. Mais il n'a pas
encore dépassé le dernier portique qu’arrivent, comme s'ils étaient poussés par une rafale
de vent, un groupe de juifs des pires castes, tous enflammés par le désir de dire des
insolences à Jésus. Ils cherchent, regardent, scrutent. Mais ils n'arrivent pas bien à
comprendre de qui il s'agit, et Jésus s'en va alors que ceux-ci, déçus, d'après les
renseignements des gardiens, assaillissent le pauvre paralytique guéri et heureux et lui
font des reproches : " Pourquoi emportes-tu ce lit ? C'est le sabbat. Cela ne t'est pas
permis. "
L'homme les regarde et dit : " Moi je ne sais rien. Je sais que celui qui m'a guéri m'a dit
: 'Prends ton lit et marche.' Voilà ce que je sais. "
" C'est sûrement un démon car il t'a ordonné de violer le sabbat. Comment était-il ? Qui était-ce ?
Un juif ? Un galiléen ? Un prosélyte ? "
" Je ne sais pas. Il était ici. Il m'a vu pleurer et s'est approché de moi. Il m'a parlé. Il m'a guéri. Il
s'en est allé en tenant un enfant
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par la main. Je crois que c'est son fils, car il peut bien avoir un fils de cet âge. "
" Un enfant ? Alors ce n'est pas Lui !... Comment a-t-il dit qu'il s'appelait ? Ne le lui as-tu pas
demandé ? Ne mens pas ! "
" Il m'a dit qu'il s'appelait Pitié. "
" Tu es un imbécile ! Ce n'est pas un nom, cela ! "
L'homme hausse les épaules et s'en va.
Les autres disent : " C'était sûrement Lui. Les scribes Ania et Zachée l'ont vu au Temple. "
" Mais Lui n'a pas d 'enfants ! "
" Et pourtant, c'est Lui. Il était avec ses disciples. "
" Mais Judas n'y était pas. C'est celui que nous connaissons bien.. Les autres ... peuvent être des
gens quelconques. "
" Non, c'étaient eux. "
Et la discussion continue alors que les portiques se remplissent de malades ...
Jésus rentre dans le temple par une autre côté, du côté ouest qui est celui qui est
davantage en face de la ville. Les apôtres le suivent. Jésus regarde tout autour et
finalement voit ce qu'il cherche : Jonathas qui, de son côté, le cherche.
" Il va mieux, Maître. La fièvre tombe. Ta Mère dit aussi qu'Elle espère pouvoir venir d'ici le
prochain sabbat. "
" Merci, Jonathas, tu as été ponctuel. "
" Pas très. J'ai été retenu par Maximin de Lazare. Il te cherche. Il est allé au portique de
Salomon."
" Je vais le rejoindre. La paix soit avec toi, et porte ma paix à ma Mère et aux femmes
disciples, en plus de Judas. "
Et Jésus s'en va vivement vers le portique de Salomon où en effet il trouve Maximin.
" Lazare a su que Tu étais ici. Il veut te voir pour te dire une chose importante.
Viendras-tu ?"
" Sans aucun doute et sans tarder. Tu peux lui dire qu'il m'attende dans le courant de la
semaine. "
Maximin s'en va lui aussi après quelques autres paroles.
" Allons prier encore, puisque nous sommes revenus jusqu'ici " dit Jésus et il va vers l'atrium
des hébreux.
Mais, tout près de là, il rencontre le paralytique guéri qui est venu remercier le Seigneur. Le
miraculé le voit au milieu de la foule, il le salue joyeusement et Lui raconte ce qui est arrivé à la
piscine après son départ. Et il termine : " Quelqu'un qui est étonné de me voir ici en bonne santé m'a
dit qui Tu es. Tu es le Messie. Est-
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ce vrai ? "
" Je le suis.Mais même si tu avais été guéri par l'eau ou par une autre puissance, tu aurais
toujours le même devoir envers Dieu, celui d'user de ta santé pour bien agir. Tu es guéri. Va donc,
avec de bonnes intentions, reprendre les activités de la vie, et ne pèche jamais plus. Que Dieu n'ait
pas à te punir davantage encore. Adieu. Va en paix. "
" Je suis âgé ...je ne sais rien.. Mais je voudrais te suivre pour te servir et pour savoir. Veux-tu
de moi ? "
" Je ne repousse personne. Réfléchis cependant avant de venir, et si tu te décides, viens. "
" Où ? Je ne sais pas où tu vas... "
" A travers le monde. Partout tu trouveras des disciples qui te guideront vers Moi. Que le
Seigneur t'éclaire pour le mieux.
Jésus maintenant va à sa place et prie.
Je ne sais si le miraculé va spontanément trouver les juifs ou si ceux-ci, étant aux
aguets, l'arrêtent pour lui demander si celui qui lui a parlé est celui qui l'a
miraculeusement guéri. Je sais que l'homme parle avec les juifs et puis s'en va, alors que
ceux-ci vont près de l'escalier par lequel Jésus doit descendre pour passer dans les autres
courts et sortir du temple. Quand Jésus arrive, sans le saluer, Lui disent: "Tu continues
donc à violer le sabbat malgré tous les reproches qui t'ont été faits? Et tu veux qu'on te
respecte comme envoyé de Dieu?"
" Envoyé ? Davantage encore : comme Fils, car Dieu est mon Père. Si vous ne voulez
pas me respecter, abstenez-vous-en. Mais Moi, je ne cesserai pour autant d'accomplir ma
mission. Il n'est pas un seul instant où Dieu ne cesse d'œuvrer. Maintenant encore mon
Père œuvre et Moi aussi j'œuvre, car un bon fils fait ce que fait son Père, parce que c'est
pour œuvrer que je suis venu sur la terre. "
Des gens s'approchent pour écouter la discussion. Parmi eux il y en a qui connaissent Jésus,
d'autres à qui Il a fait du bien, d'autres encore qui le voient pour la première fois. Certains l'aiment,
d'autres le haïssent, beaucoup restent incertains. Les apôtres entourent le Maître. Margziam a
presque peur et son petit visage semble près des larmes.
Les juifs, un mélange de scribes, pharisiens, et sadducéens, crient bien haut leur scandale : " Tu
oses ! Oh ! Il se dit le fils de Dieu ! Sacrilège ! Dieu est celui qui est et Il n'a pas de fils ! Mais
appelez Gamaliel ! Mais appelez Sadoc ! Rassemblez les rabbis pour qu'ils l'entendent et le
confondent. "
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" Ne vous agitez pas. Appelez-les et ils vous diront, s'il est vrai qu'ils savent, que Dieu est Un et
Trin : Père, Fils et Saint-Esprit et que le verbe, c'est-à-dire le Fils de la pensée, est venu, comme on
l'avait prophétisé, pour sauver du Péché Israel et le monde. Je suis le verbe. Je suis le Messie
annoncé. Pas de sacrilège donc si j'appelle mon Père celui qui est le Père. Vous vous inquiétez parce
que j'accomplis des miracles, parce que grâce à eux j'attire à Moi les foules et les persuade. Vous
m'accusez d'être un démon parce que j'opère des prodiges. Mais Bezébuth est dans le monde depuis
des siècles et, en vérité, il ne manque pas d'adorateurs dévoués... Pourquoi alors ne fait-il pas ce que
je fais ? "
Les gens chuchotent : " C'est vrai ! C'est vrai ! Personne ne fait ce qu'il fait, Lui. "
Jésus continue : " Je vous le dis : c'est parce que je sais ce que lui ne sais pas, et que je peux ce
que lui ne peut pas. Si je fais les œuvres de Dieu, c'est parce que je suis son Fils. De lui-même
quelqu'un ne peut arriver à faire ce qu'il a vu faire. Moi, le Fils, je ne puis faire que ce que j'ai vu
faire du Père car je suis Un avec Lui dans les siècles des siècles, pas différent de Lui en nature et en
puissance. Toutes les choses que fait le Père, je le fais Moi aussi qui suis son Fils. Ni Bezébuth ne
d'autres ne peuvent faire ce que je fais, parce que Belzébuth et les autres ne savent pas ce que je
sais. Le Père m'aime. Pour cela Il m'a montré et me montre tout ce qu'lI fait, afin que je fasse ce
qu'il fait, Moi, sur la terre en ce temps de grâce, Lui au Ciel, avant que le Temps existât pour la
terre. Et Il me montrera des œuvres toujours plus grandes afin que je les accomplisse et que vous
restiez émerveillés.
Sa Pensée est inépuisable dans son action. Moi, je l'imite, étant également inépuisable dans
l'accomplissement de ce que pense le Père et veut par sa pensée. Vous, vous ne savez pas encore ce
que crée sans jamais s'épuiser l'Amour. Nous sommes l'Amour. Il n'y a pas de limites pour Nous, et
il n'est rien qui ne puisse être appliqué aux trois degrés de l'homme : l'inférieur, la supérieur, le
spirituel. En effet, de même que le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, Moi également, le
Fils, je peux donner la vie à qui je veux et même , à cause de l'amour infini que le Père a pour le
Fils, il m'est accordé non seulement de rendre la vie à la partie inférieure, mais bien aussi à la partie
supérieure en délivrant la pensée de l'homme et son cœur des erreurs de l'esprit et des passions
mauvaises, et à la partie spirituelle en rendant à l'esprit l'indépendance à l'égard
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du péché. Le Père, en effet, ne juge personne, car Il a remis tout jugement au Fils, car le Fils est
Celui qui, par son propre sacrifice a acheté l'Humanité pour la racheter. Et cela, le Père le fait par
justice, car il est juste que l'on donne à Celui qui paie avec sa propre monnaie, et pour que tous
honorent le Fils, comme déjà ils honorent le Père.
Sachez que, si vous séparez le Père du Fils, ou le Fils du Père, et ne vous souvenez pas de
l'Amour, vous n'aimez pas Dieu comme Il doit être aimé : avec vérité et sagesse, mais vous
commettez une hérésie parce que vous n'honorez qu'un seul, alors qu'Eux sont une admirable trinité.
Aussi celui qui n'honore pas le Fils, c'est comme s'il n'honorait pas le Père, car le Père, Dieu,
n'accepte pas qu'une seule partie de Lui-même soit adorée, mais Il veut que soit adoré son Tout.
Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père qui l'a envoyé dans une pensée parfaite d'Amour.
Il refuse donc de reconnaître que Dieu sait faire des œuvres justes.
En vérité je vos dis que celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m'a envoyé possède la
vie éternelle et n'est pas frappé par la condamnation, mais il passe de la mort à la vie parce que
croire en Dieu et recevoir ma parole signifie recevoir en soi-même la Vie qui ne meurt pas. L'heure
arrive et même pour beaucoup elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et
où vivra celui qui l'aura entendue résonner vivifiante au fond de son cœur.
Que dis-tu, scribe ? "
" Je dis que les morts n'entendent plus rien et que tu es fou. "
" Le Ciel te persuadera qu'il n'en est pas ainsi et que ta science est nulle comparée à celle de
Dieu. Vous avez tellement humanisé les choses surnaturelles que vous ne donnez plus aux mots
qu'une signification immédiate et terrestre. Vous avez enseigné l'Haggadda avec des formules
figées, les 'votre', sans vous efforcer de comprendre les allégories dans leur vérité, et maintenant, en
votre âme, épuisée d'être pressée par une humanité qui triomphe de l'esprit, vous ne croyez même
plus à ce que vous enseignez. Et c'est la raison pour laquelle vous ne pouvez plus lutter contre les
forces occultes.
La mort, dont je parle, n'est pas celle de la chair, mais celle de l'esprit. Viendront ceux qui
entendent de leurs oreilles ma parole et l'accueillent en leur cœur et la mettent en pratique. Ceux-là,
même s'ils sont morts en leur esprit, recouvreront la vie parce que ma parole est Vie qui se répand.
Et Moi, je peux la donner à qui je
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veux, parce qu'en Moi existe la perfection de la Vie, parce que, comme le ¨ère a en Lui la Vie
parfaite, le Fils a eu du Père la Vie, en Lui-même parfaite, complète, éternelle, inépuisable et
transmissible. Et avec la Vie, le Père m'a donné le pouvoir de juger, car le Fils du Père est le Fils de
l'Homme, et il peut et doit juger l'homme.
Et ne vous étonnez pas de cette première résurrection, la spirituelle, que Moi j'opère par ma
parole. Vous en verrez de plus fortes encore, plus fortes pour vos sens alourdis, car en vérité je vous
dis qu'il n'y a rien de plus grand que l'invisible mais réelle résurrection d'un esprit. Bientôt viendra
l'heure où la voix du Fils de Dieu pénétrera dans les tombeaux et tous ceux qui s'y trouvent
l'entendront. Et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour aller à la résurrection de la Vie
éternelle, et ceux qui auront fait le mal à la résurrection de la condamnation éternelle.
Je ne vous dis pas que cela je le fais et le ferai pour Moi-même, par ma seule volonté, mais par
la volonté du Père unie à la mienne. Je parle et je juge d'après ce que j'entends et mon jugement est
droit parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m'a envoyé.
Je ne suis pas séparé du Père. Je suis en Lui, et Lui est en Moi, et je connais sa Pensée et la
traduis en paroles exactes.
Ce que je dis pour me rendre témoignage à Moi-même ne peut être acceptable pour votre esprit
incrédule qui ne veut voire en Moi rien d'autre que l'homme semblable à vous tous. Il y en a aussi
un autre qui rend témoignage pour Moi et dont vous dites que vous le vénérez comme un grand
prophète. Je sais que son témoignage est vrai, mais vous, vous qui dites que vous le vénérez, vous
n'acceptez pas son témoignage parce qu'il est différent de votre pensée qui m'est ennemie. Vous ne
recevez pas le témoignage de l'homme juste, du dernier Prophète d'Israel parce que, quand cela ne
vous convient pas, vous dites qu'il n'est qu'un homme et peut se tromper.
Vous avez envoyé de gens pour interroger Jean espérant qu'il dirait de Moi ce que
vous désirez,ce que vous pensez de Moi, ce que vous voulez penser de Moi. Mais Jean a
rendu un témoignage de vérité, et vous n'avez pu l'accepter. Puisque le Prophète dit que
Jésus de Nazareth est le Fils de Dieu, dans le secret de vos cœurs, parce que vous
craignez les foules, vous dites que le Prophète est un fou, comme l'est le Christ. Moi
aussi, cependant, je ne reçois pas le témoignage de l'homme, fût-il le plus saint d'Israel.
Je vous dis :
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il était la lampe allumée et lumineuse mais vous avez bien peu voulu jouir de sa lumière. Quand
cette lumière s'est projetée sur Moi, pour vous faire connaître le Christ pour ce qu'Il est, vous avez
laissé mettre la lampe sous le boisseau et avant encore vous avez dressé entre elle et vous un mur
pour ne pas voir dans sa lumière le Christ du Seigneur.
Je suis reconnaissant à Jean de son témoignage et le Père lui en est reconnaissant. Et
Jean aura une grande récompense pour le témoignage qu'il a rendu, lumineux aussi pour
ce motif au Ciel, le premier soleil qui y resplendira de tous les hommes là-haut,
lumineux comme le seront tous ceux qui auront été fidèles à la Vérité et affamés de
Justice. Mais Moi, cependant, j'ai un témoignage plus grand de celui de Jean et ce
témoignage ce sont mes œuvres. Parce que les œuvres que le Père m'a donné
d'accomplir, ces œuvres je les fais et elles témoignent que le Père m’a envoyé en me
donnant tout pouvoir. Et ainsi c'est le Père Lui-même qui m'a envoyé, c'est Lui qui
témoigne en ma faveur.
Vous n'avez jamais entendu sa Voix ni vu son Visage, mais Moi je l'ai vu et je le vois,
je l'ai entendu et je l'entends. Vous n'avez pas, demeurant en vous, sa Parole parce que
vous ne croyez pas à Celui qu'Il a envoyé.
Vous étudiez l'Écriture parce que vous croyez obtenir par sa connaissance le Vie éternelle. Et ne
vous rendez-vous pas compte alors que ce sont justement les Écritures qui parlent de Moi ? Et
pourquoi alors continuez-vous à ne pas vouloir venir à Moi pour avoir le Vie ? Moi, je vous le dis :
c'est parce que, quand une chose est contraire à vos idées invétérées, vous la repoussez. Il vous
manque l'humilité. Vous ne pouvez arriver à dire : 'Je me suis trompé. Celui-ci, ou ce livre, dit ce
qui est moi et je suis dans l'erreur.' C'est ainsi que vous avez agi avec jean, avec les Écritures, avec
le Verbe qui vous parle. Vous ne pouvez plus voir ni comprendre parce que vous êtes prisonniers de
l'orgueil et étourdis par vos voix.
Croyez-vous que je parle ainsi parce que je veux être glorifié par vous ? Non, sachez-le, je ne
cherche ni accepte la gloire qui vient des hommes. Ce que je cherche et veux, c'est votre salut
éternel. Voilà la gloire que je cherche. Ma gloire de Sauveur, qui ne peut exister si je ne possède pas
des sauvés, qui augmente avec le nombre de ceux que je sauve, qui doit m'être donnée par les
esprits que j'ai sauvés et par le Père, Esprit très pur. Mais vous, vous ne serez pas sauvés. Je vous
connais pour ce que vous êtes. Vous n'avez pas
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en vous l'amour de Dieu, vous êtes sans amour. C'est pour cela que vous ne venez pas à l'Amour qui
vous parle et vous n'entrerez pas dans le Royaume de l'Amour. Là vous êtes des inconnus. Le Père
ne vous connaît pas parce que vous ne me connaissez pas Moi qui suis dans le Père. Vous ne voulez
pas me connaître.
Je suis venu au nom de mon Père et vous ne me recevez pas, alors que vous êtes
disposés à recevoir quiconque viendrait en son propre nom, pourvu qu'il vous dise ce qui
vous plaît. Vous dites que vous êtes des esprit de foi ? Non, vous ne l'êtes pas. Comment
pouvez-vous croire,vous qui mendiez la gloire les uns aux autres et ne cherchez pas la
gloire de Cieux qui vient de Dieu seul? La gloire qui est vérité ne se complaît pas aux
intérêts qui s'arrêtent à la terre et caressent seulement l'humanité vicieuse des fils
dégradés d'Adam.
Moi, je ne vous accuserai pas auprès du Père. Ne le pensez pas. Il y a déjà quelqu'un
qui vous accuse. Ce Moïse en qui vous espérez. Lui vous reprochera de ne pas croire en
lui puisque vous ne croyez pas en Moi, car lui a écrit sur moi et vous ne me reconnaissez
pas d'après ce qu'il a laissé écrit de Moi. Vous ne croyez pas aux paroles de Moïse qui
est le grand sur lequel vos jurez. Comment pouvez-vous alors croire aux miennes, à
celles du Fils de l'Homme en qui vous n'avez pas foi, Humainement parlant, c'est
logique. Mais ici, nous sommes dans le domaine de l'esprit et vos âmes y sont
confrontées. Dieu les observe à la lumière de mes œuvres et confronte les actions que
vous faites avec ce que je suis venu enseigner. Et Dieu vous juge.
Quant à moi, je m'en vais. Pendant longtemps vous ne me trouverez pas. Et croyez aussi que ce
n'est pas pour vous un triomphe, mais un châtiment. Partons. "
Et Jésus fend la foule qui en partie est muette, en partie chuchote des approbations que la peur
des pharisiens réduit à des chuchotements. Jésus s'en va.
Jésus, en compagnie du Zélote, arrive au jardin de Lazare par une belle matinée d’hiver.
L’aurore n’est pas encore à sa fin, aussi
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tout est frais et riant.
Le jardinier, qui accourt recevoir la Maître, Lui montre un pan de vêtement blanc qui disparaît
derrière une haie et il dit : « Lazare va à la tonnelle des jasmins avec des rouleaux qu’il va lire. Je
vais l’appeler. »
« Non. J’y vais, seul. »
Et Jésus marche rapidement le long d’un sentier bordé d’une haie en fleurs. L’herbette, qui est le
long de la haie, atténue le bruit des pas, et Jésus cherche à poser le pied justement sur elle pour
arriver à l’improviste devant Lazare.
Il le surprend debout, avec ses rouleaux posés sur une table de marbre, qui prie à haute
voix : « Ne me déçois pas, Seigneur. Ce brin d’espérance qui est né dans mon cœur, Toi,
fais-le grandir. Donne-moi ce que par mes larmes, je t’ai demandé dix et cent et mille
fois. Ce que je t’ai demandé par mes actions, par le pardon, par tout moi-même. Donne-
le-moi en échange de ma vie. Donne-le-moi au nom de ton Jésus qui m’a promis cette
paix. Peut-Il mentir ? Dois-je penser que sa promesse a été un vain mot ? Que son
pouvoir est inférieur à l’abîme de péché qu’est ma sœur ? Dis-le-moi, Seigneur, pour que
je me résigne par amour pour Toi … »
« Oui, je te le dis ! » dit Jésus.
Lazare se retourne vivement et crie : « Oh ! mon Seigneur ! Mais quand es-Tu venu ? » et il se
penche pour baiser le vêtement de Jésus.
« Il y a quelques minutes. »
« Seul ? »
« Avec Simon le Zélote, mais ici, où tu es, je suis venu seul. Je sais que tu dois me
dire une grande . Dis-la-moi, donc. »
« Non. Auparavant réponds à la question que j’ai posée à Dieu. Suivant ta réponse, je te la dirai. »
« Dis-la-moi cette grande . Tu peux la dire… » et Jésus sourit en ouvrant les bras pour l’inviter.
« Dieu Très-Haut ! Mais est-ce vrai ? Toi, alors, tu sais que c’est vrai ?! » et Lazare se
réfugie dans les bras de Jésus pour Lui confier sa grande chose.
« Marie a appelé Marthe à Magdala. Et Marthe est partie, inquiète, craignant quelque grand
malheur…. Et moi, je suis resté seul ici, avec la même crainte. Mais Marthe m’a fait parvenir une
lettre par le serviteur qui l’a accompagnée, une lettre qui m’a rempli d’espoir. Regarde, je l’ai ici,
sur le cœur. Je la garde là, parce qu’elle m’est plus précieuse qu’un trésor. Ce ne sont que quelques
mots, mais je les lis de temps en temps pour être certain qu’ils ont
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bien été écrits. Regarde… » et Lazare sort de son vêtement un petit rouleau lié par un
ruban violet et il le déroule : « Tu vois ? Lis, lis à haute voix. Lue par Toi, la chose me
paraîtra plus certaine. »
<<« Lazare, mon frère, à toi paix et bénédiction. Je suis arrivée rapidement et en bonnes conditions.
Et mon cœur n’a plus palpité par la crainte de nouveaux malheurs, parce que j’ai vu Marie, notre
Marie, en bonne santé et … dois-je le dire ? Elle est moins agitée qu’auparavant. Elle a pleuré sur
mon cœur, des pleurs interminables… Et puis, à la nuit, dans la pièce dont elle m’avait conduite,
elle m’a demandé tant et tant de choses sur le Maître. Rien de plus pour le moment. Mais moi, qui
vois le visage de marie, et qui entends ses paroles, je dis qu’en mon cœur est née l’espérance. Prie,
mon frère. Espère. Oh ! si c’était vrai ! Je reste encore parce que je comprends qu’elle me veut
après d’elle comme pour être défendue contre la tentation et pour apprendre… Quoi ? Ce que nous
nous savons déjà : la bonté infinie de Jésus. Je lui ai parlé de cette femme venue à Béthanie … Je
vois qu’elle pense, pense, pense… Il nous faudrait Jésus. Prie. Espère. Le Seigneur soit avec
toi. »>> Jésus replie le rouleau et le rend.
« Maître… »
« J’irai. Peux-tu prévenir Marthe qu’elle vienne à ma rencontre à Capharnaüm d’ici une quinzaine
de jours, au plus ? »
« Oui, je peux, Seigneur. Et moi ? »
« Tu restes ici. Marthe aussi, je la renverrai ici. »
« Pourquoi ? »
« Parce que ceux qui sont rachetés ont une pudeur profonde et rien ne les impressionne plus que
l’œil d’un père ou d’un frère. Moi aussi je te dis : ‘Prie, prie, prie.’ »
Lazare pleure sur la poitrine de Jésus … Ensuite, après s’être repris, il parle encore de son
inquiétude, de ses découragements… « Cela fait presque un an que j’espère … que je désespère …
Comme il est long le temps de la résurrection !... » s’écrie-t-il. Jésus le laisse parler, parler, parler
… jusqu’à ce que Lazare s’aperçoit qu’il manque à ses devoirs de l’hospitalité, et il se lève pour
conduire Jésus à la maison. Pour y arriver, ils passent près d’hune haie touffue de jasmins en fleurs,
sur leurs corolles en forme d’étoiles bourdonnent des abeilles d’or.
« Ah ! J’ai oublié de te dire… Le vieux patriarche que tu m’as envoyé est retourné dans le sein
d’Abraham. Maximin l’a trouvé assis ici, la tête appuyée contre cette haie comme s’il s’était
endormi près des ruches dont il prenait soin comme si elles avaient
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été des maisons toutes pleines d’enfants dorées. C’est le nom qu’il donnait aux abeilles.
Il paraissait les comprendre et en être compris. Et sur le patriarche endormi dans la paix
de sa bonne conscience, quand Maximin le trouva, il y avait un voile précieux de petits
corps couleur d’or. Toutes les abeilles étaient posées sur leur ami. Les serviteurs eurent
du mal à les détacher de lui. Il était si bon que peut-être il avait un goût de miel… Il était
si honnête que peut-être pour les abeilles c’était comme une corolle non contaminée…
J’en ai eu du chagrin. J’aurais voulu l’avoir plus longtemps dans ma maison. C’était un
juste… »
« Ne le pleure pas. Il est dans la paix et du lieu de la paix il prie pour toi qui as adouci
ses derniers jours. Où est-il enterré ? »
« Au fond du verger, encore près de ses ruches. Viens que je t’y conduise… »
Et ils s’en vont par un petit bois de lauriers cireux, vers les ruches d’où arrive un
bourdonnement laborieux…
23 juillet, 8h du matin.
C’est un Judas bien pâle qui descend du char avec la Madone et les autres femmes
disciples, c'est-à-dire les Marie, Jeanne et Elise. ..
… et à cause du bruit qu’il y a eu dans la maison ce matin, je n’ai pas pu écrire pendant que je
voyais et alors, maintenant qu’il est 18 heures, je ne peux que dire ce que j’ai compris et entendu.
Judas convalescent est revenu auprès de Jésus, qui est à Gethsémani, avec marie qui l’a soigné et
Jeanne qui a insisté pour que les femmes et le convalescent reviennent en char en Galilée. Jésus est
d’accord et fait monter aussi l’enfant avec elles. Par contre Jeanne et Elise restent à Jérusalem pour
quelques jours pour retourner ensuite, Elise à Bétsur, Jeanne à Béther. Je me souviens qu’Elise
disait : « Maintenant j’ai le courage d’y retourner parce que ma vie n’est plus sans but. Je te ferai
aimer de mes amis. » Et je me rappelle que Jeanne ajoute : « Et moi, je le ferai sur mes terres, tant
que Chouza me laisse ici. Ce sera encore te servir bien que je préférerais te suivre. »
Je me souviens aussi que Judas disait qu’il n’avait pas regretté sa mère même aux heures les
plus mauvaises de sa maladie parce que « ta Mère a été une vraie mère pour moi, douce et aimante,
et je ne l’oublierai jamais » a-t-il dit. Le reste est confus (pour les paroles) et donc je n’en parle pas
parce que c’est moi qui les dirais et non les personnes de la vision.
Jésus est sur le lac de Galilée avec ses apôtres. C’est de grand matin. Tous les apôtres sont là
parce que même Judas, parfaite-
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ment guéri est avec eux, le visage rendu plus doux par la souffrance et par les soins
qu’on lui a donnés. Il y a aussi Margziam un peu ému de se trouver sur l’eau pour la
première fois. Il ne veut pas le faire paraître, mais à chaque tangage un peu violent, il
s’agrippe avec un bras au cou de la brebis qui parage sa peur en bêlant lamentablement,
et de l’autre bras il saisit ce qu’il peut, un mât, un siège, une rame qui se trouve à sa
portée, ou même à la jambe de Pierre ou d’André ou des mousses qui passent en faisant
leurs manœuvres et il ferme les yeux, persuadé peut-être que c’est sa dernière heure.
Pierre lui de temps en temps, en lui donnant une tape sur les joues : « Hé ! Tu n’as pas peur ? Un
disciple ne doit jamais avoir peur… » Et l’enfant, de la tête fait signe que non, mais comme le vent
augmente et que l’eau s’agite de plus en plus à mesure que l’on s’approche de l’embouchure du
Jourdain, il se raidit davantage et ferme plus souvent les yeux quand, à une embardée imprévue par
une vague qui prend la barque de flanc, il pousse un cri de terreur.
Alors il y en a qui rit et qui raille en plaisantant Pierre d’être devenu le père d’un
garçon qui n’a pas le pied marin, et qui plaisant Margziam qui dit toujours qu’il veut
aller par terres et par mers prêcher Jésus et qui a peur de faire quelques stades sur un lac.
Mais Margziam se défend en disant : « Chacun a peur d’une chose inconnue. Moi de
l’eau, Judas de la mort… »
Je comprends que Judas a eu grand peur de mourir, et je m’étonne qu’il ne réagisse pas à cette
observation mais qu’il au contraire dise : « Tu as bien dit. On a peur de ce qu’on ne connaît pas.
Mais maintenant nous allons arriver. Bethsaïda est à quelques stades et tu es sûr d’y trouver de
l’amour. Moi, je voudrais me trouver ainsi à peu de distance de la maison du Père et d’être sûr d’y
trouver de l’amour ! » Il le dit d’un air las et triste.
« Tu te méfies de Dieu ? » demande André étonnée.
« Non, c’est de moi que je me méfie. Pendant ces jours de maladie, entouré de tant de femmes
pures et bonnes, je me suis senti si petit en mon esprit ! Comme j’ai réfléchi ! Je me disais : ‘Si elles
s’efforcent de devenir toujours meilleurs et d’acquérir le Ciel, que ne dois-je pas faire moi ?’ Parce
qu’elles, et elles me paraissent toutes déjà saintes, se sentent encore pécheresses. Et moi ? … Y
arriverai-je jamais, Maître ? »
« Avec de la bonne volonté, on peut tout. »
« Mais ma volonté est très imparfaite. »
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« L’aide de Dieu lui donne ce que lui manque pour devenir complète. Ton humilité
présente est venue de la maladie. Tu vois donc que le bon dieu a pourvu, par un incident
pénible, à te donner une chose que tu n’avais pas. »
« C’est vrai, Maître. Mais ces femmes ! Quelles disciples parfaites ! Je ne parle pas de ta Mère,
pour Elle on le sait, je parle des autres. Oh ! Vraiment, elles nous ont surpassés ! J’ai été une des
premières épreuves de leur futur ministère. Mais, crois-le, Maître, tu peux te reposer en sécurité sur
elles. Elise et moi, nous étions soignées par elles, et Elise est retournée à Bétsur avec une âme
renouvelée, et moi … moi j’espère la refaire maintenant qu’elles l’ont travaillée… » Judas, encore
affaibli, pleure. Jésus, qui est assis près de lui, lui met une main sur la tête en faisant signe aux
autres de ne pas parler.
Mais Pierre et André sont très pris par les dernières manœuvres d’approche et ne parlent pas ;
quant au Zélote, Mathieu, Philippe et Margziam, ils n’essaient sûrement pas de parler, l’un distrait
par l’anxiété d’être arrivé, les autres par prudence naturelle.
La barque suit le cours du Jourdain et au bout d’un moment s’arrête sur le rivage : les garçons
descendent pour tenir la barque en place en l’attachant par une cordage à une pierre et pour installer
une planche qui servira de passerelle. Pierre prend son long vêtement et ainsi le frère André. La
seconde barque fait la même manœuvre et les autres apôtres descendent. Jésus et Judas descendent
aussi alors que Pierre passe à l’enfant son petit vêtement, l’ajuste pour qu’il soit présentable à sa
femme.
Les voilà tous à terre, y compris les brebis.
« Et maintenant, allons-y » dit Pierre. Il est vraiment ému. Il donne la main à l’enfant qui, à son
tour, est pris par l’émotion au point d’oublier les brebis dont Jean s’occupe. Il demande en un
sentiment imprévu de peur : « Mais, voudra-t-elle de moi ? Et est-ce qu’elle m’aimera bien ? »
Pierre le rassure, mais peut-être l crainte est-elle contagieuse et il dit à Jésus : « Dis-le-lui, Toi,
Maître, à Porphyrée. Moi, j’ai peur de ne pas savoir le dire. » Jésus sourit, mais promet de s’en
occuper.
Ils ont vite fait de rejoindre la maison en suivant la grève. Par la porte ouverte, on voit
que Porphyrée est occupée à ses besognes domestiques.
« La paix à toi » dit Jésus en s’avançant vers la porte de la cuisine où la femme est en
train de ranger la vaisselle.
« Maître ! Simon ! » La femme court se prosterner aux pieds de
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puis à ceux de son mari. Ensuite elle se redresse et, avec son visage, aimable s’il n’est
pas beau, dit en rougissant : « Il y a si longtemps que je vous attendais ! Etes-vous tous
en bonne santé ? Venez ! Venez ! Vous devez être fatigués… »
« Non. Nous venons de Nazareth où nous nous sommes arrêtés quelques jours et nous avons fait
un autre séjour à Cana. A Tibériade, il y avait les barques. Tu vois que nous ne sommes pas
fatigués. Nous avons avec nous un enfant et Judas de Simon affaibli par une maladie. »
« Un enfant ? Un disciple si petit ? »
« Un orphelin que nous avons recueilli en route. »
« Oh ! mon chéri ! Viens, mon trésor, que je t’embrasse ! »
L’enfant, qui était resté craintif à moitié caché derrière Jésus, se laisse prendre par la
femme qui s’est agenouillée comme pour être à sa hauteur et il se laisse embrasser sans
réticences.
« Et maintenant vous l’emmenez avec vous, toujours avec vous, si petit ? Il se fatiguera… » La
femme est toute apitoyée. Elle serre l’enfant dans ses bras et garde sa joue contre celle de l’enfant. »
« En réalité, j’avais une autre idée : celle de le confier à une femme disciple quand nous allons
loin de la Galilée, du lac… »
« A moi, no, Seigneur ? Moi, je n’ai jamais eu d’enfant, mais de neveux oui, et je sais comment
m’occuper des enfants. Je suis la disciple qui ne sait pas perler, qui n’a pas assez de santé pour te
suivre comme font les autres, qui … oh ! Tu le sais ! Je serais lâche, même, si tu veux, mais tu sais
dans quelles tenailles je suis prise. Tenailles, ai-je dit ? Non, je suis entre deux cordages qui me
tirent en directions opposées et je n’ai pas le courage d’en rompre un. Permets-moi pour cet enfant,
au moins de te servir un peu en étant la mère-disciple pour cet enfant. Je lui apprendrai ce que les
autres enseignent à tant de gens… A t’aimer, Toi … »
Jésus lui pose la main sur la tête, sourit et dit : « On t’a amené l’enfant ici parce qu’ici il aurait
trouvé une mère et un père. Voilà, faisons la famille. » Jésus met la main de Margziam dans celle de
Pierre, dont les yeux sont tout brillants, et de Porphyrée. « Et élevez saintement cet innocent. »
Pierre, qui est déjà au courant, s’essuye une larme du revers de la main, mais sa
femme, qui ne s’attendait pas, reste un moment muette de stupeur puis de nouveau
s’agenouille et dit : « Oh ! mon Seigneur, tu m’a pris mon époux en me rendant, pour
ainsi dire, veuve. Mais maintenant tu me donnes un fils … Tu rends donc
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toutes les roses à ma vie, non seulement celles que tu m’as prises, mais celle que je n’ai
jamais eues. Que tu sois béni ! Plus que s’il été né de mes entrailles ce petit me sera
cher, car c’est de Toi qu’il me vient. Et la femme baise le vêtement de Jésus et embrasse
l’enfant, le prend ensuite sur son sein … Elle est heureuse…
« Laissons-la à se épanchements » dit Jésus. « Reste, toi aussi, Simon. Nous allons en
ville pour prêcher. Nous viendrons ce soir sur le tard te demander nourriture et repos. »
Et Jésus sort avec les apôtres, laissant en paix les trois.
Jean dit : « Mon Seigneur, aujourd’hui Simon est heureux ! »
« Est-ce que tu veux aussi un enfant ? »
« Non. Je voudrais seulement une paire d’ailes pour m’élever jusqu’aux portes des Cieux et
apprendre le langage de la Lumière pour le redire aux hommes » et il sourit.
Ils attachent les brebis au fond du jardin près de la cabane des filets, ils leur donnent des
feuilles, de l’herbe et de l’eau du puits, et s’en vont vers le centre de la ville.
Jésus parle dans la maison de Philippe. Il y a beaucoup de gens rassemblés devant et Jésus est
debout sur le seuil où on accède par un double perron.
La nouvelle de l’adoption par Pierre d’un enfant qui est venu avec la petite fortune de
trois brebis pour retrouver la grande richesse d’une famille, s’est répandue comme une
tache d’huile sur un tissu. Tous en parlent et chuchotent en faisant des commentaires qui
correspondent aux différentes mentalités L’un sincère ami de Simon et de Porphyrée,
partage leur joie. Un autre, malveillant, dit : « Pour le faire accepter il y a dû le pourvoir
d’une dot. » Un autre, brave homme, dit : » Tous nous aimerons bien ce petit que Jésus
aime. » Un autre méchamment : « La générosité de Simon ? Oui, bien sûr ! Ce sera pour
lui un bénéfice, sinon !... »
D’autres, avides : « Je l’aurais fait, moi aussi si j’avais eu un enfant avec des brebis. Trois, vous
pensez ?! Un petit troupeau. Et belles ! C’est la laine et le lait assurés, et puis les agneaux à vendre
ou à garder ! C’est une richesse ! Et l’enfant peut être utile, travailler… »
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. D’autres élèvent la voix : « Oh ! quelle honte ! Se faire payer une bonne action ?
Simon n’y a sûrement pas réfléchi. Dans sa modeste richesse de pêcheur, nous l’avons
toujours connu généreux envers les pauvres, surtout envers les enfants. Il est juste,
maintenant que lui n’a plus le gain de la pêche et que sa famille compte une personne de
plus, qu’il y ait un peu de gain d’une autre façon. »
Pendant que chacun fait ses commentaires en tirant de son propre cœur ce qu’il a de
bon ou de mauvais, en l’habillant de paroles, Jésus parle avec un homme de Capharnaüm
qui est venu le rejoindre pour Lui dire de venir au plus tôt parce que la fille du chef de la
synagogue est mourante et aussi parce que, depuis quelques jours, une dame
accompagnée d’une servante est à sa recherche. Jésus promet de venir le matin suivant,
ce qui afflige ceux de Bethsaïda qui voudraient le garder plusieurs jours.
« Vous avez moins besoin de Moi que les autres. Laissez-moi aller. Du reste,
maintenant, tant que dure l’été, je resterai en Galilée et souvent à Capharnaüm. Nous
nous verrons facilement. Là-bas, il y a un père et une mère angoissés. C’est charité de
les secourir. Vous approuvez la bonté de Simon envers l’orphelin. Ceux qui sont bons
parmi vous. Mais seul le jugement des bons a de la valeur. Ceux qui ne le sont pas, il ne
faut pas écouter leurs jugements toujours imprégnés de poison et de mensonge. Alors
vous, les bons, devez approuver aussi ma bonté d’aller soulager un père et une mère.
Gardez-vous de laisser stérile votre approbation, mais qu’elle vous porte à imiter.
Tout le bien vient d’un acte de bonté, ce sont les pages de l’Ecriture qui le disent. Rappelons-nous
Tobit. Il mérita que l’Archange protégeât son Tobie et lui montrât comment rendre la vue à son
père. Mais quelle charité, et sans penser au profit, avait accompli le juste Tobit malgré les reproches
de sa femme et les dangers qui menaçaient sa vie ! Et, souvenez-vous des paroles de l’Archange :
« C’est une bonne chose que la prière accompagnée du jeune, et l’aumône a plus valeur que des
montagnes d’or, car l’aumône délivre de la mort, purifie des péchés, fait trouver la miséricorde et la
vie éternelle… Quand tu priais tout en larmes et que tu ensevelissais les morts,… je présentais tes
prières au Seigneur ».
Mon Simon, en vérité je vous le dis, surpassera de beaucoup les vertus du vieux Tobit.
Il vous restera pour être un tuteur de vos âmes en ma Vie, après que Moi je m’en serai
allé. Et maintenant il commence sa paternité d’âme pour être demain le père saint de
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toutes les âmes qui me seront fidèles. Ne médisez donc pas, mais si un jour, comme un
oiseau tombé du nid vous trouvez sur votre route une orphelin, recueillez-le. Ce n’est pas
la bouchée de pain partagée avec l’orphelin qui appauvrit la table des vrais fils mais, au
contraire, elle apporte à la maison les bénédictions de Dieu. Faites-le car Dieu est le Père
des orphelins et c’est Lui-même qui vous le présente pour que vous les aidiez à se
refaire le nid qui a été défaut par la mort. Et faites-le car c’est l’enseignement de la Loi
que Dieu a donnée à Moïse qui est notre législateur car, en terre ennemie et idolâtre, il a
trouvé pour s faiblesse d’enfant un cœur qui, plein de pitié, s’est penché sur lui pour le
sauver de la mort en le sauvant des eaux, à l’abri des persécutions, car Dieu l’avait
destiné à être un jour le libérateur d’Israel. Un acte de pitié a valu à Israel son chef. Les
répercussions d’un acte bon sont comme les ondes sonores qui se répandent très loin du
point où elles sont produites, ou si vous préférez, comme les ondes du vent qui
transportent très loin les semences enlevées à des terrains fertiles.
Allez, maintenant. La paix soit avec vous. »
La vision s’est manifestée alors que je priais très épuisée et soucieuse et donc bien
dans les plus mauvaises conditions pour penser, de moi-même, à des pareilles choses.
Mais l’épuisement physique et mental et les soucis se sont dissipés dès l’apparition de
mon Jésus et j’écris.
Jésus se trouve sur une route ensoleillée et poussiéreuse qui côtoie les rives du lac. Il
se dirige vers le pays, entouré d’une grande foule qui l’attendait certainement et qui se
presse autour de Lui, bien que les apôtres jouent des bras et des épaules pour qu’il puisse
passer et élèvent la voix pour amener la foule à laisser un peu de place.
Mais Jésus ne s’inquiète pas de cette bousculade. Dépassant de la tête la foule qui l’entoure, il la
regarde avec un doux sourire alors qu’elle se serre autour de Lui, répond aux saluts, caresse quelque
enfant qui réussit à se faufiler dans la masse des adultes et à s’approcher à Lui, il pose la main sur la
tête des petits enfants que les mères soulèvent au-dessus de la tête des gens, pour qu’Il les ouches.
Tout en marchant lentement, patiemment au milieu de tout ce
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vacarme et des continuelles bousculades qui ennuieraient tout autre que Lui.
Une voix d’homme crie : « Faits place, faites place. » C’est une voix angoissée et que beaucoup
doivent connaître et respecter comme celle d’un personnage influent car la foule, qui s’ouvre très
difficilement tellement elle est serrée, laisse passer un home d’une cinquantaine d’années, vêtu d’un
vêtement long et flou, la tête couverte d’un foulard blanc dont les pans retombent le long du visage
et du cou.
Arrivé devant Jésus, il se prosterne à ses pieds et dit : « Oh ! Maître, pourquoi as-tu été absent si
longtemps ? Ma fillette est si malade. Personne ne peut la guérir. Toi seul, tu es mon espoir et celui
de sa mère. Viens, Maître. Je t’ai attendu avec une angoisse infinie. Viens, viens, tout de suite. Mon
unique enfant est en train de mourir…. » et il pleure.
Jésus pose la main sur la tête de l’homme en larmes, sur la tête courbée et que
secouent les sanglots, et il lui répond : « Ne pleure pas. Aie foi. Ta fillette vivra. Allons
auprès d’elle. Lève toi ! Allons. » Jésus dit ces deux derniers mots sur un ton de
commandement. Tout d’abord, c’était le Consolateur, maintenant c’est le Dominateur
qui parle.
Ils se remettent en marche. Jésus a à son côté le père qui pleure, et le tient par la main. Quand un
sanglot plus fort secoue le pauvre homme, je vois Jésus qui le regarde et lui serre la main. Il ne fait
rien d’autre, mais quelle force doit refluer dans une âme quand elle se sent ainsi traitée par Jésus !
Auparavant, à la place du père il y avait Jacques, mais Jésus lui a fait céder la place au pauvre père.
Pierre est de l’autre côté. Jean est à côté de Pierre et il cherche avec lui à opposer une barrière à la
foule, comme font jacques et l’Iscariote de l’autre côté, près du père qui pleure ; les autres apôtres
sont en partie devant, en partie derrière Jésus ; mais il en faudrait d’autres ! Surtout les trois qui sont
derrière, parmi lesquels je voix Mathieu, n’arrivent pas à retenir la muraille vivante. Mais, quand ils
crient un peu trop et ; pour un peu, insulteraient la foule indiscrète, Jésus tourne la tête et dit
doucement : « Laissez faire ces petits qui sont à Moi… ! »
A un certain moment, cependant, il se retourne brusquement, il laisse la main du père et il
s’arrête. Non seulement il tourne la tête, mais il se retourne complètement. Il semble encore plus
grand, car il a pris un attitude de roi. Avec la figure et le regard devenu sévère, inquisiteur, il scrute
la foule. Ses yeux envoient des éclairs
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qui n’expriment non pas la dureté mais la majesté : « Qui m’a touché ? » demande-t-Il.
Personne ne répond.
« Qui m’a touché, je répète » insiste Jésus.
« Maître, répondent les disciples, « Tu ne vois pas comme la foule te presse de tous côtés ? Tous
te touchent, malgré nos efforts. »
« Qui m’a touché pour obtenir un miracle, je demande. J’ai senti un pouvoir miraculeux sortir
de Moi parce qu’un cœur le demandait avec foi. Quel est ce cœur ? »
Les yeux de Jésus s’abaissent deux ou trois fois, pendant qu’Il parle, sur une petite femme
d’environ quarante ans, très pauvrement vêtue et très ridée, qui cherche à s’éclipser dans la foule, à
se dissimuler dans la cohue. Ces yeux doivent la brûler, elle se rend compte qu’elle ne peut s’enfuir,
revient en avant et se jette à ses pieds, le visage près que dans la poussière, les mains tendues en
avant qui, cependant, n’osent pas toucher Jésus.
« Pardon ! C’est moi !. J’étais malade. Douze ans que j’étais malade ! Tout le monde
me fuyait. Mon mari m’a abandonnée. J’ai dépensé tout mon avoir pour qu’on ne me
considère pas comme déshonorée, pour vivre comme tout le monde. Mais personne n’a
pu me guérir. Tu vois, Maître ? Je suis vielle avant l’âge. Ma force s’en est allée avec ce
flux inguérissable et avec elle ma paix. On m’a dit que tu es bon. Celui qui me l’a dit a
été guéri par Toi de sa lèpre et qui, pour avoir vu pour tant d’années tout le monde le
fuir, n’a pas éprouvé de répulsion pour moi., Je n’ai pas osé le dire avant. Pardon ! J’ai
pensé que si je te touchais, je serais guérie. Mais je ne t’ai pas rendu impur. J’ai à peine
effleuré le bord de ton vêtement là où il traine sur le sol, sur les ordures du sol… Moi
aussi, je suis une ordure … Mais je suis guérie, que Tu sois béni ! Au moment où j’ai
touché ton vêtement, mon mal s’est arrêté. Je suis redevenue comme toutes les femmes.
Je ne serai plus évitée par tout le monde. Mon mari, mes enfants, mes parents pourront
rester avec moi, je pourrai les caresser. Je serai utile dans ma maison. Merci Jésus bon
Maître. Que Tu sois éternellement béni ! »
Jésus la regarde avec une infinie bonté. Il lui sourit et lui dit : « Va en paix, ma fille. Ta foi t’a
sauvée. Sois définitivement guérie. Sois bonne et heureuse. Va ! »
Pendant qu’Il parle encore, arriver un homme, un serviteur je pense. Il s’adresse au père resté
pendant tout ce temps dans une attitude respectueuse mais tourmentée comme s’il était sur la braise.
« Ta fille est morte, il est inutile d’importuner le Maître
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davantage. Elle a rendu l’esprit, et déjà les femmes chantent les lamentations. La mère
t’envoie dire cela et te prie de venir tout de suite. »
Le pauvre père pousse un gémissement. Il porte ses mains au front et le serre en se
comprimant les yeux et en se courbant comme s’il avait reçu un coup.
Jésus, qui parait ne devoir rien voir ni rien entendre, attentif comme il l’est à écouter la
femme et à lui répondre, se tourne au contraire et pose la main sur les épaules courbées
du pauvre père. « Homme, je te l’ai dit : ‘aie foi’. Je te le répète : ‘aie foi’. Ne crains pas.
Ta fillette vivra. Allons la trouver. » Et il se met en route en tenant étroitement serré
contre Lui l’homme anéanti. La foule, devant cette douleur et la grâce déjà survenue,
s’arrête intimidée, s’écarte, laisse passer librement Jésus et les siens et puis suit comme
un sillage la Grâce qui passe.
Ils font ainsi une centaine de mètres environ, peut-être plus- je ne sais pas calculer- et pénètrent
toujours plus au centre du pays. Il y a un rassemblement de gens devant une maison de belle
apparence, qui comment à haute voix l’évènement, répondant par des cris perçants à des cris plus
aigus qui viennent de la porte grande ouverte. Ce sont des cris perçants, aigus, tenus sur une note
fixe et seule qui semblent être dirigés par une voix plus aiguë qui s’élève toute seule et à laquelle
répond un groupe un group de voix plus faibles, puis un autre chœur de voix plus pleines. C’est un
vacarme qui ferait mourir quelqu’un qui se porte bien.
Jésus ordonne aux siens de rester devant la sortie et il appelle avec Lui Pierre, jean et jacques. Il
entre avec eux dans la maison en tenant toujours serré le bras du père en larmes. Il semble vouloir
lui infuser par cette étreinte la certitude que Lui est là pour le rendre heureux. Les … pleureuses (je
dirais : celle qui hurlent) en voyant le chef de famille et le Maître redoublent leurs cris. Elles battent
des mains, agitent des tambourins, font résonner des triangles et sur cet … accompagnement
appuient leurs lamentations.
« Taisez-vous » dit Jésus. « Il ne faut pas pleure. La fillette n’est pas morte, elle dort. »
Les femmes poussent des cris plus forts, et certaines se roulent par terre, se griffent,
s’arrachent les cheveux (ou plutôt font semblant) pour montrer qu’elle est bien morte.
Les musiciens et les amis secouent la tête devant l’illusion de Jésus. Ils croient bien qu’Il
s’illusionne. Mais Lui répète un : « Taisez-vous ! » tellement énergique que le vacarme,
s’il ne cesse pas complètement, devient
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un bourdonnement et Il avance.
Il entre dans une petite chambre. Sur le lit est étendue une fillette morte. Maigre, pâle,
elle gît déjà revêtue et ses cheveux bruns sont coiffés avec soin. La mère, à droite, pleure
près du petit lit et baise la petite main cireuse de la morte. Jésus … comme il est beau en
ce moment ! Comme je l’ai vu peu de fois ! Jésus s’approche avec empressement, il
semble glisser sur le sol, en volant, tant il se hâte vers ce petit lit .
Jésus va à la gauche du lit, il tend la main gauche et prend avec elle la petite main de la morte qui
s’abandonne. J’ai bien vu. C’est la main gauche de Jésus et la main gauche de la petite. Il lève le
bras droit en portant sa main ouverte à la hauteur de ses épaules et puis l’abaisse comme quelqu’un
qui jure ou commande. Il dit : « Fillette, je te le dis, lève-toi. »
Un instant où tous, sauf Jésus et la morte, restent en suspens. Les apôtres allongent le cou pour
mieux voir. Le père et la mère regardent leur enfant, les yeux mornes. Un instant. Puis un soupir
soulève la poitrine de la petite morte. Un légère couleur monte au visage de cire et en fait
disparaître la teinte livide de la mort. Un sourire se dessine sur les lèvres pâles avant encore que
s’ouvrent les yeux, comme si la fillette faisait un beau rêve. Jésus tient toujours la main dans sa
main. La fillette ouvre doucement les yeux, elle regarde tout autour d’elle comme si elle venait de
s’éveiller. Elle voit d’abord le visage de Jésus qui la fixe de se yeux magnifiques et qui lui sourit
avec une bonté qui l’encourage, et elle Lui sourit.
« Lève-toi » répète Jésus et, écartant avec sa main les préparatifs funèbres répandus sur
le lit et à côté (fleurs, voiles, etc.) , il l’aide à descendre, à lui faire faire ses premiers pas
en la tenant toujours par la main.
« Donnez-lui à manger, maintenant » commande-t-il. « Elle est guérie. Dieu vous l’a
rendue. Remerciez-le, et ne parlez à personne de ce qui est arrivé. Vous savez ce qui lui
est arrivé, vous avez cru et vous avez mérité le miracle. Les autres n’ont pas eu foi, il est
inutile de chercher à les persuader. A ceux qui nient le miracle, Dieu ne se manifeste
pas. Et toi, fillette, sois bonne. Adieu ! paix à cette maison » et il sort en renfermant la
porte derrière Lui.
La vision cesse.
Je vous dirai que les deux détails qui m’ont particulièrement réjoui ont été ceux où
Jésus cherche dans la foule qui l’a touché et surtout quand près de la petite morte, il lui
prend la main et lui ordonne de se lever. La paix, la sécurité sont entrées en moi. Il n’est
pas possible que quelqu’un qui a pitié comme Lui et qui est puissant puisse n’avoir pitié
de nous et ne pas vaincre le Mal qui nous fait mourir.
Jésus pour le moment ne fait pas de commentaires, comme il ne dit rien sur d’autres choses. Il me
voit presque morte et Il ne juge pas opportun que je sois mieux ce soir. Qu’Il soit fait comme Lui le
veut. Je suis déjà suffisamment heureuse de posséder en moi sa vision.
92. JESUS ET MARTHE A CAPHARNAUM
En sueur et couvert de poussière, Jésus avec Pierre et Jean, rentre dans la maison de
Capharnaüm.
Il a à peine mis pied dans le jardin, se dirigeant vers la cuisine, que la maître de maison l’appelle
familièrement en Lui disant : « Jésus, elle est revenue cette dame dont je t’ai parlé à Bethsaïda. Elle
est revenue te chercher. Je lui ai dit de t’attendre et je l’ai conduite là-haut dans la chambre du
haut. »
« Merci, Thomas, j’y vais tout de suite. S’il vient d’autres personnes, fais-les attendre ici. »
Jésus monte lestement l’escalier sans même enlever son manteau.
Sur la terrasse où l’escalier aboutit, se trouve immobile Marcelle, la servante de
marthe. « Oh ! Notre Maître ! Ma maîtresse est là, à l’intérieur. Elle t’attend depuis tant
de jours » dit l femme en s’agenouillant pour vénérer Jésus.
« Je m’y attendais. Je vais tout de suite la trouver. Dieu te bénisse, marcelle. »
Jésus lève le rideau qui protège contre la lumière encore violente, bien que le
crépuscule soit très avancé et enflamme l’air et paraît embraser les maisons blanches de
Capharnaüm par la réverbération rouge d’un énorme brasier. Dans la pièce, toute voilée
et enveloppée de son manteau, assise près d’une fenêtre, se trouve marthe. Peut-être
regarde-t-elle une anse du lac où plonge une avancée d’une colline boisée. Peut-être ne
regarde-t-elle que ses pensées. Elle est sûrement très absorbée au point qu’elle n’entend
pas le léger bruit des pas de Jésus qui s’approche. Et elle sursaute quand il l’appelle.
« Oh ! Maître ! s’écrie-t-elle, et elle se jette à genoux, les bras tendus comme pour
demander de l’aide, puis elle se penche jusqu’à
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toucher du front le sol, et elle pleure.
« Mais pourquoi ? Allons, lève-toi ! Pourquoi ce grand chagrin ? As-tu quelque
malheur à m’annoncer ? Oui ? Quoi donc ? Je suis allé à Béthanie, tu le sais ? Oui ? Et
j’y ai appris de bonnes nouvelles. Maintenant tu pleures… Qu’est-ce qui est arrivé ? » et
il la force à s’asseoir sur le siège placé contre le mur et Il s’assoit en face d’elle.
« Allons, enlève ton voile et ton manteau, comme je le fais. Tu dois étouffer là-
dessous. Et puis je veux voir le visage de cette Marthe troublée pour chasser tous les
nouages qui l’assombrissent. »
Marthe obéit, toujours en larmes, et l’on voit son visage rougi, aux yeux enflés.
« Et alors ? Je vais t’aider. Marie t’a fait appeler. Elle a beaucoup pleuré, elle a voulu
savoir beaucoup de choses sur Moi, et tu as pensé que c’était bon signe, au point que tu
as désiré que je vienne pour accomplir le miracle. Et moi, je suis venu. Et maintenant ?
…»
« Maintenant plus rien, Maître ! Je me suis trompée. C’est un trop vif espoir qui fait voir ce qui
n’est pas… Je t’ai fait vernir pour rien … Marie est pire qu’auparavant… Non ! Que dis-je’ C’est
une calomnie, je mens. Elle n’est pas pire car elle ne veut plus d’hommes autour d’elle. Elle est
différente, mais elle est toujours mauvaise. Elle me semble folle… je ne la comprends plus.
Auparavant, au moins, je la comprenais. Mais maintenant ! Qui peut la comprendre, maintenant ? »
Et Marthe pleure d’un air désolée.
« Allons, calme-toi et dis moi ce qu’elle fait. Pourquoi est-elle mauvaise ? Elle ne veut donc
plus d’hommes autour d’elle, je suppose donc qu’elle vit retirée dans sa maison. Est-ce ainsi ? Oui ?
C’est bien, c’est très bien. Elle t’a désirée auprès d’elle, comme pour se défendre de la tentation –ce
sont tes paroles- en empêchant les relations coupables, où même simplement ce qui pourrait amener
à des coupables relations, c’est un signe de bonne volonté »
« Tu l’affirmes, Maître ? Crois-tu vraiment qu’il en est bien ainsi ? »
« Mais bien sûr. En quoi alors te semble-t-elle méchante ? »
« Voilà. » Marthe, un peu plus rassurée par la certitude de Jésus, parle avec plus
d’ordre. « Voilà. Depuis que je suis venue, Marie n’est plus sortie de la maison et du
jardin, pas même pour aller en barque sur le lac, et sa nourrice m’a dit que même
auparavant elle ne sortait; pour ainsi dire, plus. C’est depuis la Paque qu’elle semble
avoir commencé de changer. Cependant, avant ma venue, il venait encore des personnes
la voir ; et elle ne les renvoyait pas tou-
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jours ; parfois elle donnait l’ordre de ne laisser entrer personne et cela paraissait un
ordre qui devait durer. Puis, elle arrivait à frapper les serviteurs, prise d’une injuste
colère lorsque, accourant qu vestibule parce qu’elle avait entendu les voix des visiteurs,
elle voyait qu’ils étaient déjà partis. Depuis ma venue, elle ne l’a plus fait. Elle m’a dit
la première nuit : ‘Retiens-moi, attache-moi, mais ne me laisse plus sortir pour que je
ne vois personne d’autre que toi et la nourrice. Car je suis une malade et je veux guérir.
Mais ceux qui viennent chez moi, ou qui veulent que j’aille chez eux, sont comme des
marais qui donnent la fièvre. Ils me rendent de plus en plus malade. Mais ils sont si
beaux, en apparence, ils sont si pleins de fleurs et de chansons, avec des fruits d’aspect
agréable que moi je ne sais pas résister car je suis une malheureuse, je suis une
malheureuse. Ta sœur est faible, Marthe : Et il y en a qui profitent de ma faiblesse pour
me faire faire des choses infâmes auxquelles ne consent pas quelque chose que j’ai ne
moi. Quelque chose qui me reste de maman, de ma pauvre maman… ‘ et elle pleurait,
elle pleurait.
E voici comment je me suis comportée : avec douceur aux heures où elle est plus raisonnable,
avec fermeté aux heures où elle me semble un fauve en cage. Elle ne s’est jamais révoltée contre
moi. Et même, après les moments de plus grande tentation, elle vient pleurer à mes pieds, la tête sur
mes genoux et elle dit : ‘Pardonne-moi ! Pardonne-moi !’ Et si je lui demande : ‘ Et quoi, ma
sœur ? Tu ne m’as pas fait souffrir’, elle me répond : ‘ Parce que, tout à l’heure, ou hier soir, quand
tu m’as dit : ,Tu ne sortiras pas d’ici’ , moi en mon cœur, je t’ai haie, maudite et j’ai désiré ta mort’.
Elle ne te fait pas de la peine, Seigneur ? Mais elle est folle, peut-être ? Son vice l’a rendue
folle ? Je pense qu’un amant lui a donné un philtre pour s’en faire une esclave de luxure et que cela
lui a monté au cerveau.. »
« Non, pas de philtre, pas de folie. C’est autre chose, mais continue. »
« Donc, avec moi, elle est respectueuse et obéissante. Les serviteurs aussi, elle ne l’a
plus maltraités. Mais pourtant, depuis le premier soir, elle n’a plus rien demandé à ton
sujet. Même si je parle de Toi, elle fait dévier la conversation, quitte ensuite à rester des
heures et des heures sur le rocher où se trouve le belvédère à regarder le lac, jusqu’à en
être éblouie et à me demander, à chaque barque qu’elle voit passer : ‘Tu crois que c’est
celle des pêcheurs galiléens ?’ Elle ne dit jamais ton Nom ni celui des apôtres, mais je
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sais qu’elle pense à eux et à toi dans la barque de Pierre. Et je comprends aussi qu’elle
pense à Toi parce que parfois, le soir, quand nous marchons dans le jardin ou quand nous
attendons l’heure du repos, moi en cousant, elle les bras croisés, elle me dit ‘C’est donc
ainsi qu’il faut vivre d’après la doctrine que tu suis ?’ Et parfois elle pleure, d’autre fois
elle rit d’un rire sarcastique de folle ou de démon.
D’autres fois elle se détache les cheveux toujours si artistement coiffées, elle en fait deux tresses
et se passe un de mes vêtements et elle vient devant moi avec les tresses qui retombent sur les
épaules ou ramenées par devant, avec un col montant, pudique, ressemblant à une fillette avec son
habit, ses tresses et l’expression de son visage et elle dit encore : ‘C’est donc ainsi que devrait
devenir Marie ?’ et parfois aussi elle pleure en baisant ses deux tresses magnifiques, grosses
comme les bras et qui retombent jusqu’aux genoux, tout cet or éclatant qui était la gloire de ma
mère. D’autres fois, au contraire, elle pousse cet horrible éclat de rire ou bien elle me dit : ‘mais
regarde, plutôt voici que je fais et je quitte le monde’ et elle noue ses tresses autour de cou et les
serre jusqu’à en devenir violette comme si elle vouloir s’étrangler. D’autres fois, on comprend
qu’elle sent plus fortement sa … sa chair, alors elle se plaint ou se fait mal. Je l’ai trouvée qui se
frappait férocement la tête contre le mur, et si je lui demandais : ‘Mais pourquoi fais-tu cela ?’ elle
se tournait vers moi bouleversée, féroce en me disant : ‘Pour me rompre les entrailles et la tête. Les
choses nuisibles, maudites, il faut les détruire. Je me détruis’.
Et si je parle de la miséricorde divine, de Toi –en effet, je parle de Toi quand même comme si
elle était la plus fidèle de tes disciples, et je te jure que parfois j’ai du dégoût à parler ainsi devant
elle- elle me répond : ‘Pour moi, il ne peut y avoir de miséricorde, j’ai dépassé les bornes’. Et alors
elle est prise d’une furie de désespoir, elle crie en se frappant jusqu’au sang : ‘Mais pourquoi ?
Pourquoi, pour moi ce monstre qui me déchire, qui ne me donne pas la paix, qui me porte au mal
avec une voix ensorcelante ? Et puis viennent s’y unir les voix qui me maudissent, celle du père, de
maman, les vôtres, parce que toi aussi et Lazare, vous me maudissez et Israel me maudit, et ces voix
me font devenir folle…’
Moi, alors, quand elle parlait ainsi, je réponds : ‘Pourquoi penses-tu à Israel, ce n’est qu’un
peuple, au lieu de penser à Dieu ? Mais puisque tu n’as pas pensé avant à tout piétiner, pense
maintenant
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à passer par-dessus tout et à te soucier d’autre chose que le monde, c’es à dire de Dieu,
de ton père, de ta mère. Et eux ne te maudissent pas si tu changes de vie, mais ils
t’ouvrent leurs bras..’ Et elle m’écoute, pensive, étonnée comme si je lui racontais une
fable irréelle, et puis elle pleure… mais elle ne répond pas. Parfois, au contraire, elle
commande aux serviteurs des vins et des drogues, et elle boit et mange tous ces produits
et elle explique : ‘C’est pour ne pas penser’.
Maintenant depuis qu’elle sait que tu es sur le lac, elle me dit toutes les fois qu’elle s’aperçoit que
je viens vers Toi : ‘Un jour ou l’autre je viendrai, moi aussi’ et riant de ce rire qui est un insulte
pour elle-même, elle dit pour finir : ‘Ainsi, au moins, l’œil de Dieu tombera aussi sur le fumier’.
Mais je ne veux pas qu’elle vienne. Et maintenant, j’attends pour venir que, lassée par la colère, le
vin, les larmes, par tout, elle s’endorme épuisée. Aujourd’hui encore je suis partie ainsi de façon à
revenir de nuit, avant qu’elle ne se réveille. Voilà ma vie…. et maintenant, je n’espère plus,,, » et
ses pleurs, que n’arrêt plus la pensée de tout rapporter avec ordre, redoublent plus fortement
qu’avant.
« Te souviens-tu, Marthe, de ce que je t’ai dit une fois ? ‘Marie est une malade’. Tu ne voulais
pas le croire. Maintenant, tu le vois. Tu dis qu’elle est folle, elle-même se dit qu’elle est malade de
fièvres qui la poussent au péché. Moi, je dis : elle souffre d’une possession démoniaque. C’est
toujours une maladie. Ces incohérences, ces furies, ces pleurs, ces désolations, ces élans vers Moi,
ce sont les phases de son mal qui, arrivé au moment de la guérison, connaît les crises les plus
violentes. Tu fais bien d’être bonne avec elle, tu fais bien d’être patiente, tu fais bien de parler de
Moi ! N’éprouve pas de dégoût à dire mon Nom en sa présence. Pauvre âme de ma Marie ! Et
pourtant elle est sortie des mains du Créateur pas diffèrent des autres, de la tienne, de celle de
Lazare, de celles des apôtres et des disciples. Elle aussi, je la compte et je la vois parmi les âmes
pour lesquelles je me suis fait chair afin d’être Rédempteur. C’est même pour elle, plus que pour
toi, pour Lazare, les apôtres et les disciples que je suis venu. Pauvre, chère âme qui souffre, de ma
Marie ! De ma Marie empoisonnée par sept poisons en plus du poison originel et universel ! De ma
Marie prisonnière ! Mais laisse-la venir à Moi ! Laisse-la respirer ma respiration, entendre ma voix,
rencontrer mon regard ! … Elle s’appelle : ‘Fumier’… Oh ! Pauvre chère âme ! Des sept démons
qu’elle a en elle, le moins fort est celui de l’orgueil ! Mais, rien que pour cela, elle se sauvera ! »
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« Mais si elle en sortant elle trouve quelqu’un qui de nouveau la ramène au vice ? Elle-même le
craint… »
« Et toujours elle le craindra, maintenant qu’elle est arrivée à avoir la nausée du vice. Mais ne
crains pas ! Quand une âme a déjà le désir de venir au Bien, qu’elle n’est plus retenue que par
l’Ennemi diabolique qui sait qu’il va perdre sa proie, et par l’ennemi personnel du moi qui raisonne
encore en homme et se juge lui-même en homme, en appliquant à Dieu son jugement pour
empêcher l’esprit de dominer le moi humain, alors cette âme est déjà forte contre les assauts du vice
et des vicieux. Elle a trouvé l’Etoile Polaire et ne dévie plus.
Et également il ne faut plus lui dire : ‘Et tu n’as pas pensé à Dieu, mais tu penses à
Israël ?’ C’est un reproche implicite. Il ne faut pas le faire. Elle sort des flammes, elle
n’est que plaies. Il ne faut l’effleurer qu’avec les baumes de la douceur, du pardon, de
l’espérance…
Laisse-la libre de venir. Tu dois même lui dire quand tu comptes venir, mais ne lui dis pas :
‘Viens avec moi’. Et même, si tu arrives à comprendre qu’elle vient, ne viens pas toi. Reviens,
attends-la à la maison. Elle te viendra, frappée par la Miséricorde. Car Moi, je dois lui enlever la
force mauvaise qui maintenant la possède et, pendant un certain temps, elle sera comme saignée à
blanc, comme une personne à laquelle le médecin a enlevé les os. Mais après elle ira mieux. Elle
sera stupéfaite.
Elle aura un grand besoin de caresses et de silence. Assiste-la comme si tu étais pour elle un
second ange gardien, sans te faire entendre. Et si tu la vois pleurer, laisse-la pleurer. Et si tu
l’entends se poser des questions, laisse-la faire. Et si tu la vois sourire puis s’assombrir, et puis
sourire avec un sourire qui n’est plus le même, avec un regard changé, avec un visage changé, ne lui
pose pas des questions, ne la mets pas en tutelle. Elle souffre plus maintenant pour remonter que
quand elle est descendue. Et elle doit agir par elle-même, par elle-même elle a agi lorsqu’elle est
descendue. Elle n’a pas alors supporté vos regards quand vous la voyez descendre, parce que dans
vos yeux il y avait un reproche. Mais maintenant elle ne peut, dans sa honte finalement réveillée,
supporter votre regard. Alors elle était plus forte, parce qu’elle avait en elle Satan qui était son
maître, et la force mauvaise qui la conduisait et elle pouvait défier le monde, mais pourtant elle n’a
pas voulu être vue par vous dans son péché. Maintenant elle n’a plus Satan comme maître. Il est
encore son hôte, mais déjà, par sa
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volonté, Marie lui tient la gorge. Et elle ne m’a pas encore, moi, et c’est pour cela
qu’elle est trop faible. Elle ne peut même pas supporter la caresse de tes yeux fraternels
pour son retour au Sauveur. Toute son énergie s’emploie et se dépense pour serrer la
gorge du septuple démon. Pour tout le reste, elle est sans défense, nue. Mais Moi je la
revêtirai et la fortifierai.
Va en paix, Marthe. Et demain dis-lui que je parlerai près du torrent de la Source, ici à
Capharnaüm, après le crépuscule. Va en paix ! Va en paix ! Je te bénis. »
Marthe est encore perplexe.
« Ne tombe pas dans l’incrédulité, Marthe » lui dit Jésus qui l’observe.
« Non, Seigneur, mais je réfléchis… Oh ! Donne-moi quelque chose que je puisse donner à marie
pour lui donner un peu de force… Elle souffre tant… et moi j’ai si peur qu’elle ne réussisse pas à
triompher du démon ! »
« Tu es une enfant ! Marie nous a, toi et Moi. Peux-tu ne pas réussir ? Pourtant, viens
et tiens. Donne-moi cette main qui n’a jamais péché, qui a su être douce,
miséricordieuse, active, pieuse. Elle a toujours fait des gestes d’amour et de prière. Elle
n’est jamais devenue paresseuse. Elle ne s’est jamais corrompue. Voilà, je la tiens dans
les miennes pour la rendre plus sainte encore. Lève-la contre le démon, et lui ne la
supportera pas. Et prends cette ceinture qui m’appartient. Ne t’en sépare jamais, et
chaque fois que tu la verras, dis-toi à toi-même : ‘Plus forte que cette ceinture de Jésus
est la puissance de Jésus et avec elle on vient à bout de tout : démons et monstres. Je ne
dois pas craindre’. Es-tu contente, maintenant ? Ma paix soit avec toi. Va tranquille. »
Marthe le vénère et sort.
Jésus sourit en la voyant reprendre sa place dans le char que Marcelle a fait venir à la
porte pour aller à Magdala.
93. GUERISON DES DEUX AVEUGLES ET DU MUET POSSEDÉ
Après cela, Jésus descend à la cuisine et, voyant que Jean va se rendre à la fontaine, au lieu de
rester dans la cuisine chaude et enfumée Il préfère aller avec jean laissant Pierre aux prises avec
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des poissons que viennent d’apporter les garçons de Zébédée pour le souper du Maître et
des apôtres.
Ils ne vont pas à la source qui est à l’extrémité du pays, mais à la fontaine de la place et où
certainement l’eau arrive encore de cette source belle et abondante qui jaillit sur la pente de la
colline, près du lac. Sur la place, c’est la foule habituelle des pays de Palestine le soir. Les femmes
avec leurs amphores, les enfants qui jouent et les hommes qui s’entretiennent d’affaires ou… des
potins du pays. Passent aussi entourés de serviteurs ou de clients, les pharisiens qui regagnent leurs
riches maisons. Tout le monde s’écarte, avec respect, pour les laisser passer, quitte ensuite, à peine
sont-ils passés, à les maudire de tout cœur en racontant leurs dernières injustices et leurs usures.
Mathieu dans un coin de la place parle avec ses anciens amis, ce qui fait dire avec
mépris et à haute voix au pharisien Urie : « Les fameuses conversions ! L’attache au
péché demeure et cela se voit par les amitiés qui durent. Ah ! Ah ! »
A quoi Mathieu se retourne vivement pour répondre : « Elles durent pour les convertir. »
« Ce n’est pas nécessaire ! Ton ître suffit. Toi, reste loin d’eaux, pour que la maladie
ne revienne pas, en admettant que tu sois réellement guéri. »
Mathieu devient rouge, dans l’effort qu’il fait pour ne pas leurs dire quatre vérités, mais il se
borne à répondre : « Ne crains et n’espère rien.»
« Quoi ? »
« Ne crains pas que je redevienne Lévi le publicain, et n’espère pas que je t’imite pour perdre ces
âmes. Les séparations et le mépris, je les laisse à toi et tes amis. Moi, j’imite le Maître et je
fréquente les pécheurs pour les amener à la grâce.»
Urie voudrait répliquer, mais survient l’autre pharisien, le vieil Eli et il dit : « Ne souille pas ta
pureté et ne contamine pas ta bouche, mon ami. Viens avec moi » et il prend Urie par les bras et
l’amène vers sa maison.
Pendant ce temps la foule, où il y a surtout des enfants, s’est resserrée autour de Jésus.
Parmi les enfants il y a Jeanne et Tobie, la sœur et le frère qui, il y a déjà longtemps, se
disputaient pour des figues, et ils disent à Jésus en touchant de leurs petites mains la
taille élevée de Jésus pour attirer son attention : « Ecoute, écoute. Aujourd’hui aussi
nous avons été bons, sais-tu ? Nous n’avons jamais pleuré. Nous ne nous sommes jamais
taquinés par amour
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pour Toi. Nous donnes-tu un baiser ? »
« Vous avez donc été bons et par amour pour Moi ? Quelle joie vous me donnez. Voici mon
baiser, et demain, soyez meilleurs encore. »
Et il y a Jacques, le petit qui chaque sabbat portait à Jésus la bourse de Mathieu. Il dit : « Lévi
ne me donne plus rien pour les pauvres du Seigneur, mais moi, j’ai mis de côté toutes les piécettes
qu’on me donne quand je suis bon et maintenant je te les donne. Les donneras-tu aux pauvres pour
mon grand-père ? »
« Certainement. Qu’est-ce qu’il a ton grand-père ? »
« Il ne marche plus. Il est si vieux et ses jambes ne le portent plus. »
« Cela te désole ? »
« Oui, parce qu’il était mon maître quand on allait à travers la campagne. Il me disait tant de
choses, il me faisait aimer le Seigneur. Même maintenant il me parle de Job et me fait voir les
étoiles du ciel, mais de son siège … C’était plus beau auparavant. »
« Je viendrai demain voir ton grand-père. Es-tu content ? »
Et Jacques est remplacé par Benjamin, pas celui de Magdala, le Benjamin de
Capharnaüm, celui d’une lointaine vision. Arrivé sur la place en même temps que sa
mère et ayant vu Jésus, il quitte la main maternelle et se jette avec un cri qui parait un
gazouillis d’hirondelle au milieu de la petite foule remuante et, arrivé devant Jésus, il
Lui enlace les genoux en disant : « A moi aussi, à moi aussi une caresse ! »
Passe à ce moment-là le pharisien Simon qui s’incline pompeusement devant Jésus qui lui rend sa
salutation. Le pharisien s’arrête et, alors que la foule s’écarte comme intimidée, le pharisien dit :
« Et à moi, tu ne donnerais pas une caresse ? » et il sourit légèrement.
« A tous ceux qui me le demandent. Je me félicite avec toi de ton excellente santè. On m’avait
dit à Jérusalem que tu avais été quelque peu malade. »
« Oui, bien malade. J’ai désiré te voir pour guérir. »
« Croyais-tu que je le puisse ? »
« Je n’en ai jamais douté, mais j’ai dû me guérir tout seul parce que tu as été longtemps absent.
Où es-tu allé ? »
« Jusqu’aux confins d’Israel. C’est ainsi que j’ai occupé les jours entre pâque et pentecôte. »
« Beaucoup de succès ? J’ai entendu parler des lépreux d’Hinnon et de Siloan. Grandiose. Cela
seulement ? Certainement pas, mais cela, je le savais par le prêtre Jean. Celui qui est sans
préventions croit en Toi et il est heureux. »
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« Et celui qui ne croit pas parce qu’il a des préventions qu’en est de lui, sage Simon ? »
Le pharisien se trouble un peu … il se débat entre le désir de ne pas condamner ses trop
nombreux amis qui sont prévenus contre Jésus et celui de mériter les compliments de Jésus. Mais il
surmonte ce trouble et il dit : « Celui qui ne veut pas croire en Toi, malgré les preuves que tu
donnes, est condamné… »
« Je voudrais que personne ne le soit … »
« Toi, oui. Nous ne répondons pas à cette bonté que tu as pour nous. Trop ne te méritent pas…
Jésus, je voudrais que tu sois mon hôte demain … »
« Demain, je ne peux pas. Ce sera dans deux jours. Acceptes-tu ? »
« Toujours. J’aurai… des amis… et tu devrais les excuser si… »
« Oui, oui. Je viendrai avec Jean. »
Le pharisien s’en va et Jésus se joint aux apôtres.
Ils reviennent à la maison pour le souper. Mais pendant qu’ils mangent le poisson grillé, les
rejoignent des aveugles qui déjà avaient imploré Jésus sur la route. Ils répètent maintenant leur :
‘Jésus fils de David, aie pitié de nous !’
« Mais, partez ! Il vous a dit : ‘demain’ et que ce soit demain. Laissez-le manger » leur dit
Simon Pierre d’un ton de reproche.
« Non, Simon, ne les chasse pas. Tant de constance mérite une récompense. Venez vous deux »
dit-il ensuite aux aveugles et ils entrent en tâtant de leur bâton le sol et les murs. « Croyez-vous que
je puisse vous rendre la vue ? »
« Oh ! Oui, Seigneur ! Nous sommes venus parce que nous en sommes certains. »
Jésus se lève de table, s’approche d’eux, met ses doigts sur les paupières aveugles, lève
le visage, prie et dit : « Qu’il vous soit fait selon la foi que vous avez. » Il enlève les
mains, et les paupières immobiles remuent parce que la lumière frappe de nouveau les
pupilles qui sont revenues à la vie pour l’un et pour l’autre les paupières se dessillent et
là où il y avait une suture due certainement à des ulcères mal soignées, voilà que se
reforme sans défectuosité le bord de la paupière et elle se lève et s’abaisse comme des
ailes qui battent.
Les deux tombent à genoux.
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« Levez-vous et allez et veillez bien à ce que personne ne sache ce que je vous ai fait. Portez la
nouvelle de la grâce que vous avez reçue à votre ville, à vos parents, à vos amis. Ici, ce n’est pas
nécessaire ni favorable à votre âme. Gardez-la exempte de blessures dans sa foi, comme
maintenant, sachant ce qu’est l’œil, vous le préserverez de blessures pour ne pas être aveugles de
nouveau. »
Le repas se termine. Ils montent sur la terrasse où il y a un peu de fraîcheur. Le lac n’est que
scintillement sous le quartier de lune. Jésus s’assied sur le bord du muret et s’abstrait dans la
contemplation du lac aux vagues argentées. Les autres parlent entre eux à voix basse pour ne pas le
déranger.
Mais ils le regardent, comme fascinés. En effet, comme il est beau ! Tout auréolé par
la lune qui éclaire son visage à la fois sévère et serein, qui permet d’en étudier les plus
légers détails, il se tient, la tête légèrement appuyée contre le sarment rêche de la vigne
qui monte de là pour s’étendre ensuite sur la terrasse. Ses yeux allongés d’un bleu clair,
qui dans la nuit paraissent couleur d’onyx, semblent épandre sur toutes choses des ondes
de la paix. Parfois, ils se lèvent vers le ciel serein parsemé d’astres, d’autres fois ils
s’abaissent sur les collines, et plus bas sur le lac, parfois encore, ils fixent un point
indéterminé et ils semblent sourire à leur propre vision. Les cheveux ondulent un peu
sous le vent léger. Une jambe suspendue à peu de distance du sol, l’autre qui s’appuie
sur le sol, il reste ainsi, assis de biais avec ses mains qui, s’abandonnent sur les genoux
et son habit blanc parait accentuer sa blancheur lumineuse, le rendre plus argenté par
l’effet de la lumière lunaire, alors que les mains longues et d’un blanc d’ivoire semblent
accentuer leur teinte de vieil ivoire et leurs beauté virile bien qu’effilées. Le visage aussi,
avec son front haut, le nez rectiligne, l’ovale agréable des joues que prolonge la barbe
blonde légèrement cuivrée, semble sous cette lumière lunaire prendre la teinte du vieil
ivoire en perdant la nuance rosée que pendant le jour on remarque en haut des joues.
« Tu es fatigué, Maître ? » demande Pierre.
« Non. »
« Tu me sembles pâle et pensif… »
« Je réfléchissais. Mais je ne crois pas être plus pâle que d’habitude. Venez ici… la
lumière de la lune vous rend tous pâles, vous aussi. Demain, vous irez à Corozaïn. Peut-
être vous trouverez des disciples. Parlez leur et veillez à être ici demain, au crépuscule.
Je prêcherai près du torrent. »
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« Quelle belle chose ! Nous le dirons à ceux de Corozaïn. Aujourd’hui, au retour, nous avons
rencontré Marthe et marcelle. Elles sont venues ici ? » demande André.
« Oui. »
« A Magdala on parlait beaucoup de Marie, qui ne sort plus, qui ne donne plus de
fêtes. Nous nous sommes reposés chez la femme de l’autre fois. Benjamin m’a dit que
quand il veut faire le méchant il pense à Toi et .. »
« …et à moi, dis-le aussi, Jacques » dit l’Iscariote.
« Il ne l’a pas dit. »
« Mais il l’a sous-entendu en disant : ‘Je ne veux pas être beau et par contre méchant, moi’ et il
m’a regardé de travers. Il ne peut me souffrir… »
« Antipathie sans importance, Judas. N’y pense pas » dit Jésus.
« Oui, maître, mais c’est ennuyeux que… »
« Y a-t-il le Maître ? » crie une voix du chemin.
« Oui. Mais que voulez vous de nouveau ? Le jour ne vous suffit pas, long comme il est ? Est-ce
une heure pour déranger de pauvres voyageurs ? Revenez demain » ordonne Pierre.
« C’est que nous avons avec nous un muet qui est possédé et, pendant le trajet, il nous
a échappé trois fois. Sans cela, on serait arrivé plus tôt. Soyez bons ! Dans un moment,
quand la lune sera haute, il hurlera fort et épouvantera le pays. Voyez comme déjà il
s’agite ? »
Jésus se penche du haut du muret après avoir traversé toute la terrasse. Les apôtres l’imitent. Un
cercle de visages courbés sur une foule de gens qui lèvent la tête vers ceux qui se penchent.
Au milieu, avec des mouvements et des mugissements d’ours ou de loup enchaîné, un homme
avec les poignés bien attachés pour qu’il ne s’enfouie pas. Il mugit en s’agitant avec des
mouvements de bête et comme s’il cherchait sur le sol je ne sais pas quoi. Mais quand il lève les
yeux et rencontre le regard de Jésus, il pousse un hurlement bestial, inarticulé, un véritable
hurlement et il cherche à s’enfouir.
La foule, presque tous les adultes de Capharnaüm, s’écarte, effrayée. « Viens, par
charité ! Cela le reprend comme auparavant… »
« Je viens tout de suite. »
Et Jésus descend rapidement et va en face du malheureux qui est plus agité que jamais.
« Sors de lui : Je le veux. »
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Le hurlement s’évanouit en une seule parole : ‘Paix !’
« Oui, la paix. Aie la paix maintenant que tu es délivré. »
La foule crie, émerveillée, en voyant le brusque passage de la fureur à la tranquillité, de la
possession à la délivrance, du mutisme à la parole.
« Comment avez-vous su que j’étais ici ? »
« A Nazareth on nous a dit : ‘Il est à Capharnaüm. A capharnaüm cela nous a été confirmé par
deux hommes qui avaient eu les yeux guéris par Toi, dans cette maison.
» « C’est vrai ! C’est vrai ! A nous aussi ils l’ont dit… » crient plusieurs. Et ils commentent :
« Jamais on n’a vu pareilles choses en Israël. »
« S’il n’avait pas eu l’aide de Belzébuth, il ne l’aurait pas fait » ricanent les pharisiens de
Capharnaüm parmi lesquels ne se trouve pas Simon.
« Aide ou pas aide, je suis guéri et les aveugles aussi. Vous, vous ne pouvez le faire malgré vos
grandes prières « réplique le muet possédé qui a été guéri et il baise le vêtement de Jésus qui ne
répond pas aux pharisiens et se borne à congédier la foule avec son ‘La paix soit avec vous’. Il
retient le miraculé et ceux qui l’accompagnaient en leur offrant un abri dans la chambre du haut
pour se reposer jusqu’à l’aube. »
Jésus parle à la foule. Monté sur le bord planté d'arbres d'un torrent, il parle à une foule
nombreuse répandue dans un champ dont le blé est coupé et qui présente l'aspect désolant des
chaumes brûlés par le soleil.
C'est le soir. Le crépuscule descend, mais déjà la lune monte. Une belle et claire soirée d'un début
d'été. Des troupeaux rentrent au bercail et le tintinnement des sonnailles se mêle au chant perçant
des grillons ou des cigales, un grand : cri, cri, cri ...
Jésus prend la comparaison des troupeaux qui passent ; Il dit : " Votre Père est comme
un berger attentif. Que fait le bon pasteur ? Il cherche de bons pâturages pour ses brebis,
où il n'y a pas de ciguë ne des plantes dangereuses, mais des trèfles agréables, des herbes
aromatiques, et des chicorées amères mais bonnes pour la santé. Il
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cherche une place où se trouve en même temps que la nourriture de la fraîcheur, un ruisseau aux
eaux limpides, des arbres qui donnent de l'ombre, où il n'y a pas d'aspics au milieu de la verdure. Il
ne se soucie pas de trouver des pâturages plus gras parce qu'il sait qu'ils cachent facilement des
serpents aux aguets et des herbes nuisibles, mais il donne la préférence aux pâturages de montagne
où la rosée rend l'herbe pure et fraîche, mais que le soleil débarrasse des reptiles, là où l'on trouve
un bon air que remue le vent et qui n'est pas lourd et malsain comme celui de la plaine. Le bon
pasteur observe une par une ses brebis. Il les soigne si elles sont malades, les panse si elles sont
blessées. A celle qui se rendrait malade par gloutonnerie, il élève la voix, à celle qui prendrait du
mal à rester dans un endroit trop humide ou trop au soleil, il dit d'aller dans un autre endroit. Si une
est dégoûtée, il lui cherche des herbes acidulées et aromatiques capables de réveiller son appétit et
les lui présente de sa main en lui parlant comme à une personne amie.
C'est ainsi que se comporte le bon Père qui est aux Cieux avec ses fils qui errent sur la terre. Son
amour est la verge qui les rassemble, sa voix leur sert de guide,ses pâturages c'est la Loi, son bercail
le Ciel.
Mais voilà qu'une brebis le quitte. Combien il l'aimait! Elle était jeune, pure, candide comme
une nuée légère dans un ciel d'avril. Le berger la regardait avec tant d'amour en pensant à tout le
bien qu'il pouvait lui faire et à tout l'amour qu'il pourrait en recevoir. Et elle l'abandonne.
Le long du chemin qui borde le pâturage, un tentateur est passé. Il ne porte pas une casaque
austère, mais un habit aux milles couleurs. Il ne porte pas la ceinture de peau avec la hache et le
couteau suspendus, mais une ceinture d'or d'où pendent des sonnettes au son argentin, mélodieux
comme la voix du rossignol,et des ampoules d'essences enivrantes... Il n'a pas le bourdon avec
lequel le bon pasteur rassemble et défend les brebis, et si le bourdon ne suffit pas, il est prêt à les
défendre avec sa hache ou son couteau et même au péril de sa vie. Mais ce tentateur qui passe a
dans les mains un encensoir tout brillant de pierres précieuses d'où s'élève une fumée qui est à la
fois puanteur et parfum, qui étourdit comme éblouissent les facettes des bijoux, oh! combien faux!
Il va chantant et laisse tomber des poignées d'un sel qui brille sur le chemin obscur...
Quatre-vingt-dix-neuf brebis le regardent sans bouger.
La centième, la plus jeune et la plus chère, fait un bond et
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disparaît derrière le tentateur. Le berger l'appelle, mais elle ne revient pas. Elle va, plus rapide que
le vent, rejoindre celui qui est passé et, pour soutenir ses forces dans la course, elle goûte ce sel qui
pénètre au dedans et la brûle d'un délire étrange qui la pousse à chercher les eux noires et vertes
dans l'obscurité des forêts. Et, dans les forêts, à la suite du tentateur, elle s'enfonce, elle pénètre,
monte et descend et elle tombe ... une, deux, trois fois. Et une, deux, trois fois, elle sent autour de
son cou l'embrassement visqueux des reptiles, et assoiffée, elle boit des eaux souillées, et affamée,
elle mord des herbes qui brillent d'une bave dégoûtante.
Que fait pendant ce temps le bon pasteur? Il enferme en lieu sûr les quatre-vingt-dix-neuf brebis
fidèles et puis se met en route et ne s'arrête pas jusqu'à ce qu'il trouve des traces de la brebis perdue.
Puisqu'elle ne revient pas à lui, qui confie au vent ses appels, il va vers elle. Il la voit de loin,
enivrée et enlacée par les reptiles, tellement ivre qu'elle ne sent pas nostalgie du visage qui l'aime, et
elle se moque de lui. Il la revoit, coupable d'être entrée comme une voleuse dans la demeure
d'autrui, tellement coupable qu'elle n'ose plus le regarder... Et pourtant le pasteur ne se lasse pas... et
il va. Il la cherche, la suit, la harcèle. Il pleure sur les traces de l'égarée: lambeaux de toison:
lambeaux d'âme; traces de sang: délits de toutes sortes; ordures: témoignages de sa luxure. Il va et
la rejoint.
Ah! je t'ai trouvée, mon aimée! Je t'ai rejointe! Que de chemin j'ai fait pour toi! Pour te ramener
au bercail. Ne courbe pas ton front souillé. Ton péché est enseveli dans mon coeur. Personne,
excepté moi qui t'aime, ne le connaîtra. Je te défendrai contre les critiques d'autrui, je te couvrirai de
ma personne pour te servir de bouclier contre les pierres des accusateurs. Viens. Tu es blessée? Oh!
montre-moi tes blessures. Je le connais, mais je veux que tu me les montre, avec la confiance que tu
avais quand tu étais pure et quand tu me regardais moi, ton pasteur et ton dieu, d'un oeil innocent.
Les voilà. Elles ont toutes un nom. Oh! comme elle sont profondes! Qui te la as faites si
profondes ces blessures au fond du coeur? Le tentateur, je le sais. C'est lui qui n'a ni bourdon ni
hache mais qui blesse plus profondément avec sa morsure empoisonnée et, après lui, ce sont les
faux bijoux de son encensoir, qui t'ont séduite par leur éclat ... et qui étaient un soufre infernal qui
se produisait à la lumière pour te brûler le coeur. Regarde combien de toison déchirée, combien de
sang, combien de ronces!
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Oh! pauvre petite âme illusionnée! Mais dis-moi: si je te pardonne, tu m'aimeras encore? Mais,
dis-moi: si je te tends les bras, tu t'y jetteras? Mais, dis-moi: as-tu soif d'un amour bon? Et alors,
viens, et reviens à la vie. Reviens dans les pâturages saints. Tu pleures. Tes larmes mêlées aux
miennes lavent les traces de ton péché, et Moi, pour te nourrir, puisque tu es épuisée par le mal qui
t'a brûlée, je m'ouvre le poitrine, je m'ouvre les veines et je te dis: 'Nourris-toi, mais vis!'
Viens que je te prenne dans mes bras. Nous irons plus rapidement aux pâturages saints et sûrs.
Tu oublieras toute cette heure de désespoir et tes quatre-vingt-dix-neuf soeurs, les bonnes,
jubileront pour ton retour. Je te le dis, ma brebis perdue, que j'ai cherchée en venant de loin, que j'ai
retrouvée, que j'ai sauvée, qu'on fait une plus grande fête parmi les bons pour une brebis perdue qui
revient que pour les quatre-vingt-dix-neuf justes qui ne se sont pas éloignées du bercail."
Jésus ne c'est jamais retourné pour regarder vers le chemin qui se trouve derrière Lui et
par lequel est arrivée, dans la pénombre du soir, Marie Magdaleine, encore très élégante,
mais habillée, du moins, et couverte d'un voile foncé qui cache ses traits et ses formes.
Mais, quand Jésus arrive à ces paroles: 'Je t'ai trouvée, mon aimée', Marie passe la main
sous son voile et pleure doucement et sans arrêt. Les gens ne la voient pas car elle est au-
delà du talus qui borde le chemin. Il n'y a pour la voir que la lune désormais haute, et
l'esprit de Jésus...
qui me dit: 'Le commentaire est dans la vision, mais je t'en parlerai encore.
Maintenant repose-toi, car c'est l'heure. Je te bénis, Maria fidèle.']
Jésus dit:
[Depuis janvier, depuis le moment où je t'ai fait voir le souper dans la maison de Simon le lépreux,
toi et celui qui te guide, vous avez désiré connaître davantage Marie de Magdala et les paroles que
je lui avais adressée. Sept mois après, je vous découvre ces pages du passé pour vous faire plaisir et
pour donner une régie de conduite à
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ceux qui doivent savoir se pencher sur ces âmes lépreuses, et une voix qui s'adresse à ces
malheureux qui étouffent dans leur tombeau de vice, pour qu'ils s'en sortent.]
Dieu est bon. Avec tout le monde, Il est bon. Il ne se sert pas des mesures humaines. Il ne fait
pas de différence entre péché et péché mortel. Le péché, quel qu'il soit, l'afflige. Le repentir le rend
joyeux et prêt à pardonner. La résistance à la grâce le rend inexorablement sévère car la justice ne
peut pardonner à l'impénitent
qui meurt en cet état malgré tous les secours qu'il a eus pour se convertir.
Mais, dans les conversions manquées, il y en a sinon la moitié, au moins quatre sur dix, qui ont
pour cause première la négligence de ceux qui sont chargés des conversions, un zèle mal compris et
menteur qui est un voile qu'ils mettent sur un réel égoïsme et sur leur orgueil qui leur permet de
rester tranquilles dans leur propre asile, sans descendre dans la boue pour en arracher un coeur.
"Moi je suis pur, je suis digne de respect. Je ne vais pas là où il y a de la pourriture et où on peut me
manquer de respect". Mais celui qui parle ainsi n'a pas lu l'Évangile où il est dit que le Fils de Dieu
alla convertir les publicains et les prostituées pas seulement les honnêtes gens de l'ancienne Loi?
Mais ne pense-t-il pas celui-là que l'orgueil est une impureté de l'esprit, que le manque de charité est
une impureté de coeur? Tu seras vilipendé? Moi, je l'ai été avant toi et plus que toi, et j'étais le Fils
de Dieu. Tu devras mettre ton vêtement au contact de l'impureté? Et Moi, ne l'ai-je pas touchée de
mes mains, cette impureté, pour qu'elle se redresse et que je lui dise: 'Marche sur ce nouveau
chemin?'?
Ne vous souvenez-vous pas de ce que j'ai dit à vos premières prédécesseurs? 'Dans n'importe
quel cité ou village où vous entrerez, reinsegnez-vous s'il y a quelqu'un qui le mérite, et
Demeurez près de lui.' Cela pour que le monde ne jase pas. Le monde est trop disposé à
voir le mal en toutes choses.
Mais j'ai ajouté": 'En entrant ensuite dans les maisons -j'ai dit 'maisons' et non pas
'maison'- saluez en disant: 'Paix à cette maison'. Si la maison en est digne, la paix
viendra sur elle, si elle ne l'est pas, la paix reviendra vers vous'. Cela pour vous
enseigner que jusqu'à la preuve
Certaine de l'impénitente, vous devez avoir pour tous le même coeur. Et j'ai complété
l'enseignement en disant: 'Et si quelqu'un ne vous reçoit pas et n'écoute pas vos paroles,
en sortant de ces maisons et de ces cités, secouez la poussière qui est restée attachée à
vos semelles'. La fornication, sur les bons que la Bonté aimée avec constance
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transforme pour ainsi dire en un bloc poli de cristal, n'est que de la poussière.
Une poussière qu'il suffit de secouer ou de souffler sur elle pour qu'elle s'envole sans laisser de
blessure.
Soyez vraiment bons, un seul bloc, avec la Bonté éternelle au centre, et aucune
corruption ne pourra monter pour vous souiller au-dessus des semelles qui s'appuient sur
le sol. L'âme est tellement au-dessus! L'âme de celui qui est bon et de qui n'est qu'une
chose avec Dieu. L'âme est au Ciel. Là n'arrive pas la poussière et la boue, même si elle
est lancée avec rancoeur contre l'esprit de l'apôtre.
Elle peut atteindre la chair, vous blesser matériellement et moralement en vous persécutant parce
que la Mal hait le bien, ou en vous offensant. Et qu'est ce que cela fait? N'ai-je pas été offensé, Moi,
N'ai-je pas été blessé? Mais est-ce que ces coups et ces paroles obscènes on fait impression sur mon
Esprit? L'ont-ils troublé? Non. Comme un crachat sur un miroir et comme un caillou lancé contre la
pulpe juteuse d'un fruit, ils ont glissé sans pénétrer, ou bien ils ont pénétré, mais seulement en
surface, sans blesser le germe renfermé dans le noyau, en favorisant, au contraire, la germination
car il est plus facile pour le germe sortir d'une masse entrouverte que de celle toute entière. C'est en
mourant que le grain germe et que l'apôtre devient fécond. En mourant matériellement parfois, en
mourant presque journellement au sens métaphorique parce que le moi humain n'en est que brisé. Et
ce n'est pas la mort: c'est la Vie. C'est le triomphe de l'esprit sur ce qui n'est qu'humain.
Elle est venue à Moi par un caprice d'oisive qui ne sait comment occuper ses heures de
loisir. A ses oreilles assourdies par les adulations mensongères de ceux qui la berçaient
par des hymnes à la sensualité pour l'avoir comme esclave, à ses oreilles a résonné la
voix limpide et sévère de la Vérité.
De la Vérité qui n'a pas peur qu'on ma méprise et qu'on la méconnaisse et qui parle en
regardant Dieu.
Et comme un carillon un jour de fête, toutes les voix se sont fondues dans la parole. Les voix
habituées à résonner dans les cieux, dans le libre azur de l'air, en se propageant par les vallées et les
collines, les plaines et les lacs pour rappeler les gloires du Seigneur et ses festivités.
Ne vous rappelez-vous pas le carillon de fête qui, en temps de paix, rendait si gai le jour dédié
au Seigneur? La grosse cloche donnait, avec son battant, le premier son, au nom de la Loi divine.
Elle disait: 'Je parle au nom de Dieu, Juge et Roi'. Mais ensuite les
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plus,petites arpégeaient: 'Qui et bon, miséricordieux et patient' jusqu'à ce que la cloche la plus
argentine disait d'une voix angélique: 'Sa charité pousse au pardon et à la compassion pour vous
enseigner que le pardon est plus utile que la rancoeur et la compassion que l'inexorabilité. Venez à
Celui qui pardonne, ayez foi en Celui qui compatit'. Moi aussi, après avoir rappelé la Loi, piétinée
par la pécheresse, j'ai fait chanter l'espérance du pardon. Comme une bande soyeuse de vert et
d'azur, je l'ai secouée parmi les teintes noires pour y mettre ses paroles réconfortantes.
Le pardon! La rosée sur la brûlure du coupable. La rosée ce n'est pas comme la grêle qui frappe
comme une flèche, blesse, rebondit et s'en va sans pénétrer, en tuant les fleurs. La rosée descend si
légère que même la fleur la plus délicate ne la sent pas se poser sur ses pétales de soie. Mais ensuite,
elle en boit la fraîcheur et se restaure. Elle se pose près des racines, sur la glèbe brûlée et la
pénètre... C'est une moiteur de larmes, les pleurs des étoiles, les pleurs aimants d'une nourrice sur
ses enfants qui ont soif, et qui descend, en les restaurant en même temps que le lait doux et
nourrissant. Oh! le mystère des éléments qui agissent même quand l'homme repose ou pèche!
Le pardon est comme cette rosée. Il amène avec lui non seulement la netteté, mais les sucs
vitaux qu'il prend non aux éléments mais aux foyers divins. Puis, après la promesse du pardon, voici
la Sagesse qui parle et qui dit ce qui est licite et ce qui ne l'est pas, et rappelle et secoue. Pas par
dureté mais par souci maternel de sauver.
Que de fois votre silex ne se rend-il pas plus impénétrable et plus tranchant envers la Charité qui
sur vous se penche!... Que de fois vous vous enfuyez alors qu'Elle vous parle!... Que de fois vous
vous moquez d'Elle! Que de fois vous la haïssez!... Si la Charité en usait vers vous comme vous les
faites avec Elle, malheur à vos âmes! Au contraire, vous le voyez! Elle est l'Infatigable Marcheuse
qui va à votre recherche. Elle va vous rejoindre même si vous vous enfouissez dans de dégoûtantes
tanières.
Pourquoi ai-je voulu aller dans cette maison? Pourquoi n' ai-je pas opéré le miracle?
C'est pour enseigner aux apôtres comment ils doivent agir, en défiant les préventions et
les critiques pour accomplir un devoir si élevé qu'il échappe à ces choses du monde.
Pourquoi ai-je dit à Judas ces paroles? Les apôtres s'en tenaient beaucoup
à leur tempérament d'hommes. Tous les chrétiens en sont là, même les saints de la terre, à un
moindre degré. Quelque
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chose en survit, même chez ceux qui sont parfaits. Mais les apôtres n'en étaient encore là. Leur
pensée était pénétré d'humain. Je les élevais, mais le poids de leur humanité les ramenait en bas.
Pour les faire monter toujours plus, je devais mettre sur le chemin de la montée des choses capables
d'arrêter leur descente de façon qu'ils s'arrêtent contre elles à réfléchir et prendre du repos pour
ensuite monter plus haut que la fois précédente, des choses qui fussent d'un niveau capable de les
persuader que Moi j'étais un Dieu. Pour cela des introspection d'âmes, pour cela la victoire sur les
éléments, pour cela des miracles, pour cela la transfiguration, la résurrection et des ubiquités.
Je me trouvais sur le chemin d'Emmaüs alors que j'étais au Cénacle et l'heure des deux
présences, confrontée entre les apôtres et les disciples, fut une des raisons qui les secoua le plus en
les arrachant à leurs biens et en les lançant sur la voie du Christ.
Plus que pour Judas, membre qui couvait déjà en lui la mort, je parlais pour les autres onze. Je
devais nécessairement faire briller à leurs yeux que j'étais Dieu, non par orgueil, mais parce que
c'était nécessaire pour leur formation. J'étais Dieu et M[itre. Ces mots indiquaient qui j'étais. Je me
suis revelé par une puissance qui dépassait l'humain et j'enseignais une perfection: de ne pas avoir
des conversations mauvaises même en notre intérieur. Parce que Dieu voit et Dieu doit voir un
intérieur pur pour pouvoir y descendre et y faire sa demeure.
Pourquoi n'ai-je pas opéré le miracle en cette maison? Pour faire comprendre à tous que la
présence de Dieu exige une ambiance pure, par respect pour la grandeur de sa majesté. Pour parler
sans remuer les lèvres, mais avec une parole plus pénétrante, à l'esprit de la pécheresse et lui dire:
'Le vois-tu, malheureuse? Tu es tellement souillée que tout, autour de toi en est souillé, telement
souillée, que Dieu ne peut y agir. Toi, tu es plus souillée que celui-ci, parce que tu renouvelles la
faute d'Eve et quee tu offres le fruit aux Adams, en les tentant et en les enlevant à leur Devoir.Toi,
ministre de Satan'.
Pourquoi, cependant, je ne veux pas qu'elle soit appelée 'satan' par la mère angoissée? Parce
qu'aucune raison ne justifie l'insulte et la ahine. La première necessité qui s'impose et la première
condition pour avoir Dieuavec nous, c'est de n'avoir pas de rancoeur et de savoir pardonner. La
deuxième nécessité, c'est de savoir reconnaître qu'en nous aussi et en ce qui est nôtre il,y a de la
culpabilité. Ne pas voir seulement les fautes d'autrui. La troisième nécessité c'est de savoir se
conserver reconnaissants et fidèles après avoir eu la grâce, par justece envers l'Eternel. Malheureux
ceux qui, après avoir otenu la grâce, sont pires que des chiens et ne se souviennent pas de leur
Bienfaiteur, alors que le chien s'en souvient !
Je n'ai pas dit une parole à Marie Magdaleine. Comme si elle avait été une statue, je l'ai regardée
un instant, et puis je l'ai laissée. Je suis revenu aux 'vivants' que je voulais suver. Elle, matière morte
comme et davantage qu'une statue de marbre, je l'ai enveloppée d'une négligence apparente. Mais je
n'ai pas dit une parole ni fait un acte qui n'êut pas pour principal but sa pauvre âme que je voulais
racheter. Et ma dernière parole: 'Moi, je n'insulte pas. N'insulte pas. Prie pour les pécheurs. Rien
d'autre.' comme une guirlande de fleurs que l'on forme, ele est allée se souder à la première que
j'avais dite sur la montagne: 'Le pardon est plus hutile que la rancoeur, et la compassion plus que
l'inexorabilité'. Et elles l'ont enfermée, la pauvre malheureuse, dans un cercle velouté, frais, parfumé
de bonté, en lui faisant sentir combien l'amoureux service de Dieu est différent de l'esclavage féroce
de Satan, combien est souave le parfum céleste en comparaison de la puanteur de la faute et
combien il est reposant d'être aimé sainte,ent plutôt que d'être possedé sataniquement.
Voyez comme le Seigneur est moderé dans ses volontés. Il n'exige pas des conversions
foudroyantes. Il ne pretend pas à l'absolu d'un coeur. Il sait attendre. Il sait se contenter. Et pendant
qu'Il attend que celle qui est perdue retrouve le chemin, que la folle retrouve la raison. Il se contente
de ce que peut Lui donner la mère bouleversée.
Je lui demande seulement: 'Peux-tu pardoner?' Combien d'autres choses j'auraus eu à
lui demander, pour la rendre digne du miracle si j'avais jugé comme les hommes ! Mais
je mesure divinement vos forces. Pour cette pauvre mère bouleversée, c'était déjà
beaucoup d'arriver à pardonner, et je ne lui demande que cela à cette heure. Après, lui
ayant rendu son fils, je lui dis: 'Sois sainte et rends sainte la maison'. Mais pendant
qu'elle est bouleversée, je ne lui demende que le pardon pour la coupable. On ne doit pas
tout exiger de celui qui peu avant était dans le néant des ténèbres. Cette mère serait
ensuite venue à la lumière totale et, avec elle, l'épouse et les enfants. Sur le moment, à
ses yeux aveuglés par les larmes, il fallait faire arriver le crépuscule de la lumière: le
pardon, l'aube du jour de Dieu;
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De ceux qui étaient présents -je ne compte pas judas, je parle des gens accueillis à cet endroit, pas
mes discipes- un seul ne serait pas venu à la Lumière. Ces défaites accompagnent les victoires de
l'apostolat. Il y a toujours quelqu'un pour qui l'apôtre se fatigue vainement. Mais elles ne doivent
pas, ces défaites, faire perdre courage. L'apôtre ne doit pas pretendre tout obtenir. Contre lui
existent des forces adverses qui portent une fouile de noms et qui, comme les tentacules des
pieuvres, ressaisissent la proie qu'il leur avait été arrachée. Le mérite de l'apôtre reste le même.
Malheureux l'apôtre qui dit: 'Je sais que là je ne pourrai convertir, et donc je n'y vais pas'. Celui-là
est un apôtre sans valeur.
Il faut y aller même s'il n'y a qu'un sur mille qui se sauvera. La journée de l'apôtre sera
fructueuse pour ce seul homme, comme elle le serait pour mille. Car il aura fait tout ce qu'il pouvait,
et c'est cela que Dieu récompense. Il faut aussi penser que là où l'apôtre ne peut faire des
conversions parce que celui qu'on doit convertir est trop accaparré par Satan et que les forces de
l'apôtre sont insuffisantes pour l'effort demandé, Dieu peut intervenir. Et alors? Qui est plus que
Dieu?
Autre chose que doit absoluement pratiquer l'apôtre, c'est l'amour. L'amour manifeste. Pas
seulement l'amour secret des coeurs fidèles. Cela suffit pour les frères qui sont bons; Mais l'apôtre
est un ouvrier de Dieu, et il ne doit pas se borner à prier: il doit agir. Qu'il agisse avec amour, un
grand amour. La rigueur paralyse le travail de l'apôtre et le mouvement des âmes vers la Lumière.
Pas de rigueur, mais de l'amour.
L'amour c'est le vêtement d'amiante que les flammes des mauvaises passions ne peuvent
attaquer. L'amour vous sature d'essences préservatrices qui empèchent la pourriture humano-
satanique de péneter en vous. Pour conquerir une âme, il faut savoir l'aimer. Pour conquerir une
âme, il faut l'amener à aimer. Aimer le Bien en repoussant tous ses pauvres amours du péché.
J'ai voulu l'âme de marie; Et comme pour toi, petit Jean, je ne me suis pas borné à parler de ma
chair de maître. Je suis descendu la chercher sur les chemins du péché. Je l'ai poursuivie et
pesécutée de mon amour. Douce persecution ! Je suis entré, Moi, la Pureté", où elle était, elle,
l'Impureté.
Je n'ai pas redouté le scandale, ni pour Moi ni pour les autres. Le scandale ne pouvait
enter en Moi parce que j'étais la Miséricorde, et celle-ci pleure sur les fautes, mais ne
s'en scandalis pas. Malheureux le pasteur qui se scandalise et qui se retranche derrière ce
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paravent pour abandonner une âme ! Ne savez-vous pas que les âmes se relèvent plus facilement
que les corps et que la parole de pitié et d'amour qui dit: 'Ma soeur, relève-toi, pour ton bien' opère
souvent le miracle? Je ne craignais pas le scandale d'autrui. Aux yeux de Dieu, mon action était
justifiée. Aux yeux des bons, elle était comprise. L'oeil malveillant en qui fermente la malice qui se
degage d'unintérieur corrompu, n'a aucune valeur. Il trouve des fautes même en Dieu. Il ne voit de
parfait que lui-même. je ne m'en souciais donc pas;
Voici les trois conditions du salut d'une âme:
Etre d'une grande intégrité pour pouvoir parler sans crainte d'être réduit en silence. Parler à toute
une foule, de façon que notre parole apostolique qui s'adresse à elle qui se groupe autour de la
barque mystique aille, par des ondulations qui s'etendent, toujours plus loin, jusqu'à la rive boueuse
où sont couchés ceux qui stagnent dans la boue et ne se soucient pas de connître la Vérité.
C'est le premier travail à faire pour briser la croûte de la glèbe dure et la preparer aux semailles.
C'est le travail le plus sevère, pour celui qui l'accomplit et pour celui qui le supporte parce que la
paroe doit, comme le soc tranchant, blesser pour ouvrir. Et en vérité je vous dis que le coeur de
l'apôtre qui est bon se blesse et saigne par la souffrance de devoir blesser pour ouvrir. Mais cette
douleur aussi est féconde. C'est par le sang et les pleurs de l'apôtre que devient fertile la glèbe
inculte.
Seconde qualité: Travailler même là où quelqu'un, qui comprandra mal sa mission, s'enfouirait.
Se briser en s'efforçant d'arracher l'ivraie, le chiendent et les épines pour mettre à nu le terrain
labouré et faire briller sur lui, comme un soleil, la puissance de Dieu et sa bonté, et en même temps
en qualité de juge et de médecin être sevère et pourtant plein de pitié, s'arrêtant pour attendre, pour
donner le temps aux âmes de surmonter la crise, de reflechir, de décider.
Troisième point: Dès que l'âme qui dans le silence s'est repentie, en pleurant et en méditant ses
ereurs, ose venir timidement vers l'apôtre, craignant d'être chassée, que l'apôtre ait un coeur plus
grand que la mer, plus doux qu'un coeur de maman, plus enamouré qu'un coeur d'époux et qui
l'ouvre tout grand pour en faire couler des flots de tendresse.
Si vous avez Dieu en vous, Dieu qui est Charité, vous trouverez facilement les paroles de charité
qu'il faut dire aux âmes; Dieu pazrlera en vous et par vous et comme le miel qui coule d'un rayon,
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comme le baume qui coule d'une ampoule, l'amour ira sur les lèvres brûlées et d&goûtées, ira aux
esprits blessés et sera solagement et remède. Faites que les pécheurs vous aiment, vous, docteurs
des âmes. Faites qu'elle goûtent la saveur de la Charité céleste et en deviennent anxieuses de ne plus
chercher d'autre nourriture. Faites qu'elles éprouvent en votre douceur un tel soulagement qu'elles le
cherchent pour toutes leurs blessures.
Il faut que votre charité écarte d'eux toute crainte parce que, comme le dit l'ap^tre que tu as lue
aujourd'hui: 'la crainte suppose le châtiment. Celui qui craint, n'est pas parfait en charité' Mais ne
l'est pas nonplus celui qui fait craindre; Ne dites pas: 'Qu'as-tu fait?' Ne dites pas: 'Va-t-en!' Ne dites
pas: 'tu ne peux pas goûter l'amour bon'. Mais dites: 'Viens, les bras de Jésus sont ouverts'. Mais
dites: 'Goûte ce pain angélique et cette Parole et oublie la poix d'enfer et le mépris de Satan' Faites-
vous bêtes de somme pour les faiblesse d'autrui. L'apôtre doit porter son fardzeau et celui d'autrui
en même temps que ses croix et celles d'autrui; Et quand vous venez à moi chargés de brebis
blessées, rassurez-les, ces brebis errantes, et dites: 'Tout est oublié à partir de maintenant'; dites:
'N'aie pas peur du Sauveur; Il est venu du Ciel pour toi. Je ne suis que le pont pour te conduire à lui
qui t'attend, outre le canal de l'absolution pénitentielle, pour t'amener à ses pâturages saints, dont le
commencement est ici sur la terre, mais continuent ensuite, dans une Beauté éternelle qui nourrit et
charme, dans les Cieux'.
[Voici le commentaire; Il vous concerne peu, vous brebis fidèles au Bon Pasteur.
Mais pour toi, petite épouse, il sera un accroissement de confiance, pour le Père il sera
encore plus de lumière dans sa lumière de juge, pour beaucoup il sera non pas l'agouillon
qui pousse au Bien, mais il sera la rosée dont j'ai parlé, qui pénètre et nourrit et qui fait
se redresser les fleurs flétries.
Levez la tête. Le Ciel est là-haut. Va en paix, Marie. Se Seigneur est avec toi.']
Jésus va monter dans la barque. C’est une claire aurore d’été qui effeuille les roses sur le crêpe
de soie du lac, quand survient Mar-
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the avec sa servante. « Oh ! Maître ! Ecoute-moi pour l’amour de Dieu. »
Jésus redescend sur la rive et dit aux apôtres : « Allez m’attendre près du torrent. Entre temps,
préparez tout pour la mission vers Magedan. La Décapole aussi attend la parole. Allez. »
Et pendant que la barque de détache et prend le large, Jésus marche à côté de Marthe,
respectueusement suivie par Marcelle.
Ils s’éloignent ainsi du pays en cheminant sur la rive qui, tout de suite après une bande de sable,
déjà mélangée de rares herbes sauvages, se couvre de végétation et quitter la ligne horizontale pour
grimper en donnant l’assaut aux pentes qui se mirent dans le lac.
Quand ils ont rejoint un endroit solitaire, Jésus dit en souriant : « « Que veux-tu me dire ? »
« Oh ! Maître…cette nuit peu après la fin de la seconde veille, Marie est revenue à la
maison. Ah ! Mais j’oubliais de te dire qu’elle m’avait dit à sexte, pendant que nous
mangions : ‘Te déplairait-il de me prêter un de tes habits et un manteau ? Ils seront un
peu courts, mais je laisserai le vêtement flou et je descendrai le manteau…’ Je lui ai dit :
‘Prends ce que tu veux, ma sœur’ et le cœur me battait très fort parce que auparavant,
dans le jardin, j’avais dit en parlant à Marcelle : ‘Au crépuscule, il faut être à
Capharnaüm car le Maître parle à la foule ce soir’ et j’avais vue marie sursauter, changer
de couleur, ne sachant plus rester en place, mais elle allait et venait seule comme une
âme en peine, agitée, sur le point de décider… et ne sachant pas encore ce qu’accepter,
ce que repousser.
Après le repas, elle est allée dans ma chambre et elle a pris le vêtement le plus sombre que
j’avais, le plus modeste, elle l’a essayé et a prié la nourrice de descendre tout l’ourlet parce que
l’habit était trop court. Elle avait essayé de le faire par elle-même, mais avait reconnu en pleurant :
‘Je ne sais plus coudre, j’ai oublié tout ce qui est utile et bon…’ et elle m’a jeté les bras autour du
cou en me disant : ‘Prie pour moi’. Elle est sortie seule, au crépuscule… Comme j’ai prié pour
qu’elle ne rencontre personne qui l’empêche de venir ici, pour qu’elle comprenne ta parole, pour
qu’elle réussisse à étrangler définitivement le monstre qui la rend esclave… regarde : J’ai ajouté à
ma ceinture ta ceinture bien serrée sous l’autre, et quand je sentais la pression du cuir sur ma taille
qui n’est plus habituée aux ceintures si rigides, je disais : ‘lui est plus fort que tout’.
Et puis, avec le char on a vite fait, puis nous sommes venues,
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Marcelle et moi. Je ne sais si tu nous as vu dans la foule… mais quelle douleur, quelle
épine dans le cœur, en ne voyant pas Marie ! Je pensais : ‘Elle a regretté, elle est revenue
à la maison. Ou bien… ou bien elle s’est enfouie, ne pouvant plus résister à mon autorité
qu’elle avait réclamée’. Je t’écoutais et je pleurais sous mon voile. Ces paroles
paraissaient faites pour elle… et elle ne les entendait pas ! Je pensais ainsi moi qui ne la
voyais pas. Je suis revenue à la maison découragée. C’est vrai. Je t’ai désobéi parce que
tu m’avais dit : ‘Si elle vient, attends-la à la maison’. Mais considère mon cœur. Maître !
C’était ma sœur qui venait vers Toi ! Est-ce que je pouvais n’être pas là pour la voir près
de Toi ? Et puis !... Tu m’avais dit : ‘Elle sera brisée’. Je voulais être près d’elle tout de
suite pour la soutenir…
J’étais agenouillée en larmes et en prière dans ma chambre et la seconde veille était finie depuis
longtemps quand elle est rentrée. Si doucement que je ne l’ai entendue que quand elle est tombée
sur moi, me serrant étroitement dans ses bras et disant : ‘C’est vrai tout ce que tu dis, sœur bénie. Et
même c’est beaucoup plus que tu ne dis. Sa miséricorde est beaucoup plus grande. Oh ! Ma
Marthe ! Tu n’as plus besoin de me retenir ! Tu ne me verras plus cynique et désespérée ! Tu ne
m’entendras plus dire : ‘Pour ne pas penser !’ maintenant je veux penser, je sais à quoi penser. A la
Bontè faite chair. Tu as prié, ma sœur, certainement tu as prié pour moi. Mais tu as déjà ta victoire
en main. Ta Marie qui ne veut plus pécher, qui renaît maintenant, la voilà. Regarde-la bien en face,
car c’est une nouvelle marie au visage lavé par les pleurs de l’espérance et du repentir. Tu peux me
baiser, sœur pure. Il n’y a plus de traces d’amour honteux sur mon visage. Il a dit qu’il aime mon
âme, car c’est à elle qu’il parlait. La brebis perdue, c’était moi. Il a dit, écoute si je dis bien. Tu la
connais la manière de parler du Sauveur…’ et elle m’a répété, mais parfaitement, ta parabole.
Elle est si intelligente, marie ! bien plus que moi. Elle sait se rappeler. Ainsi, je t’ai
entendu deux fois. Si sur tes lèvres ces paroles étaient saintes et adorables, sur les
siennes, elles étaient pour moi saintes, adorables et aimables car c’étaient les lèvres
d’une sœur, de ma sœur retrouvée, revenue au bercail familial qui me les disaient. Nous
sommes restées embrassées, assises sur la natte du sol, comme quand nous étions petites
et que nous restions ainsi dans la chambre de maman ou bien près du métier où elle
tissait ou brodait ses splendides étoffes. Nous sommes restées ainsi, nous n’étions plus
séparées par le péché et il me semblait que maman
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aussi était présente par son esprit. Nous avons pleuré sans douleur et même avec tant de
paix ! nous nous embrassions heureuses … Et puis Marie, fatiguée par le chemin qu’elle
avait fait à pieds, par l’émotion de tant de choses, s’est endormie dans mes bras et, avec
l’aide de la nourrice, je l’ai couchée sur mon lit… et je l’ai quittée pour accourir ici… »
et Marthe baise les mains de Jésus, radieuse.
« Je te dis, Moi aussi, ce que t’a dit marie : ‘Tu as ta victoire en main’. Va et sois heureuse. Va en
paix. Aie une conduite toute de douceur et de prudence avec celle qui vient de renaître. Adieu,
Marthe. Fais-le savoir à Lazare, qui là-bas se tourmente. »
« Oui, Maître. Mais Marie, quand viendra-t-elle avec nous, les disciples ? »
Jésus sourit et dit : « Le Créateur a fait la création en six jours, et le septième, Il s’est reposé. »
« Je comprends. Il faut avoir de la patience… »
« Patience, oui. Ne pas soupirer. C’est une vertu, cela aussi. La paix à vous, femmes. Nous nous
reverrons bientôt » et Jésus les quitte pour aller vers le lac où la barque attend près de la rive.
Je vois une salle très riche. Un riche lampadaire à becs multiples est suspendu au
milieu et il est tout allumé. Aux murs, des tapis très beaux, des sièges ornés de
marqueterie et incrustés d’ivoire et de lames précieuses, et aussi des meubles très beaux.
Au milieu, une grande table carrée, mais formée de quatre tables réunies. La table est
certainement disposée ce tette manière pour les nombreux convives (tous hommes) et
elle est couverte de très belles nappes et de riche vaisselle. Il y a de nombreuses
amphores et des coupes précieuses et les serviteurs se déplacent tout autour, apportant
des plats et versant des vins. Au milieu du carré, il n’y a personne. Je vois le très beau
dallage, sur lequel se reflète la lumière du lampadaire à huile. A l’extérieur, par contre, il
y a de nombreux lits-sièges tous occupés par des convives.
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Il me semble me trouver sans l’angle à moitié obscur situé au fond de la salle, près d’une porte
qui est grand ouverte à l’extérieur, mais qui est en même temps fermée par un lourd tapis ou
tapisserie qui pend de son architrave.
Du côté le plus éloigné de la porte, se trouve le maître de maison avec les invités de
marque. C’est un homme âgé, vu d’une ample tunique blanche serrée à la taille par une
ceinture brodée. L’habit a aussi au cou, au bord des manches et du vêtement lui-même,
des bandes de broderies appliquées comme si c’étaient des rubans brodés ou des galons,
si on préfère les appeler ainsi. Mais la figure de ce petit vieux ne me plait pas. C’est un
visage méchant, froid, orgueilleux et avide.
A l’opposé, en face de lui, se trouve mon Jésus. Je le vois de côté, je dirais presque par
derrière. Il a son vêtement blanc habituel, des sandales, les cheveux séparés en deux sur
le front et longs comme toujours.
Je remarque que Lui et tous les convives ne sont pas allongés comme je croyais qu’on
l’était sur ce lits-sièges, c’est-à-dire perpendiculairement à la table, mais parallèlement.
Dans la vision de noces de Cana, je n’avais pas fait beaucoup attention à ce détail,
j’avais vu qu’ils mangeaient appuyés sur le coude gauche, mais il me semblait qu’ils
n’étaient pas couchés parce que les lits étaient moins luxueux et beaucoup plus courts.
Ceux-ci sont des vrais lits, ils rassemblent aux divans modernes, à la mode turque.
Jésus a Jean pour voisin, et comme Jésus s’appuie sur le coude gauche (comme tout le monde) il
en résulte que Jean se trouve encastré entre la table et le corps du Seigneur, arrivant avec son coude
gauche à l’aine du Maître, de manière à ne pas le gêner pour manger et à Lui permettre aussi, s’il le
veut, de s’appuyer confidentiellement sur sa poitrine.
Il n’y a pas de femmes. Tout le monde parle, et le maître de maison s’adresse de temps en temps
à Jésus avec une familiarité pleine d’affectation et une condescendance manifeste. Il est clair qu’il
veut Lui montrer, et montrer à tous ceux qui sont présents, qu’il Lui a fait un grand honneur de
l’inviter dans sa riche maison, Lui, pauvre prophète que l’on juge aussi un peu exalté…
Je vois que Jésus répond avec courtoisie, paisiblement. Il sourit de son léger sourire à
ceux qui l’interrogent, il sourit d’un sourire lumineux si celui qui parle, ou même
seulement le regarde, est Jean.
Je vois se lever la riche tapisserie qui couvre l’embrasure de la
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porte et entrer une femme jeune, très belle, richement vêtue et soigneusement coiffée. La
chevelure blonde très épaisse fait sur sa tête un véritable ornement de mèches
artistement tressées. Elle semble porter un casque d’or tout en relief, tellement la
chevelure est fournie et brillante. Elle a un vêtement dont je dirais qu’il est très
excentrique et compliqué si je le compare à celui que j’ai toujours vu à la Vierge marie.
Des boucles sur les épaules, des bijoux pour retenir les froncis en haut de la poitrine, des
chaînettes d’or pour dessiner la poitrine, une ceinture avec des boucles d’or et des
pierres précieuses. Un vêtement provocant qui fait ressortir les lignes de son très beau
corps. Sur la tête un voile si léger…qu’il ne voile rien. Ce n’est qu’une parure, c’est tout.
Aux pieds de très riches sandales avec des boucles d’or, des sandales de cuir rouge avec
des brides entrelacées aux chevilles.
Tous sauf Jésus, se retournent pour la regarder. Jean l’observe un instant puis il se
tourne vers Jésus. Les autres la fixent avec une visible et mauvaise gourmandise. Mais la
femme ne les regarde pas du tout et ne se soucie pas du murmure qu s’est élevé à son
entrée et des clins d’œil de tous les convives, excepté Jésus et le disciple. Jésus fait voir
qu’il ne s’aperçoit de rien, il continue de parler en terminant la conversation qu’il avait
engagée avec le maître de la maison.
La femme se dirige vers Jésus et s’agenouille près des pieds du Maître. Elle pose par
terre un petit vase en forme d’amphore très ventrue, enlève de sa tête son voile en
détachant l’épingle précieuse qui la retenait fixée aux cheveux, elle enlève les bagues de
ses doigts et pose le tout sur le lit -siège près des pieds de Jésus, ensuite elle prend dans
ses mains les pieds de Jésus d’abord celui de droite, puis celui de gauche et en délace les
sandales, es dépose sur le sol, puis elle Lui baise les pieds en sanglotant et y appuie son
front, elle les caresse et ses larmes tombent comme une pluie qui brille à la lumière du
lampadaire et qui arrose la peau de ces pieds adorables.
Jésus tourne lentement la tête, à peine, et son regard bleu sombre se pose un instant sur la tête
inclinée. Un regard qui absout. Puis il regarde de nouveau vers le milieu. Il la laisse libre dans son
épanchement.
Mais les autres, non. Ils plaisantent entre eux, font des clins d’œil, ricanent. Et le pharisien se
met assis un moment pour mieux voir et son regard exprime désir, contrariété, ironie. C’est de sa
part la convoitise pour la femme, ce sentiment est évident. Il
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est fâché d’autre part qu’elle soit entrée si librement, ce qui pourrait faire penser aux
autres que la femme est … une habituée de la maison. C’est enfin un coup d’œil ironique
à Jésus….
Mais la femme ne fait attention à rien. Elle continue de verser des larmes abondantes, sans un cri.
Seulement de grosses larmes et de rares sanglots. Ensuite elle dénue ses cheveux en se retirant les
épingles d’or qui tenaient en place sa coiffure compliquée et elle pose aussi ces épingles près des
bagues et de la grosse épingle qui maintenait le voile. Les écheveaux d’or se déroulent sur les
épaules. Elle les prend à deux mains, les ramène sur sa poitrine et les passes sur les pieds mouillés
de Jésus, jusqu’à ce qu’ils soient secs. Puis elle plonge les doigts dans le petit vase et en retire une
pommade légèrement jaune et très odorante. Un parfum qui tient du lys et de la tubéreuse se répand
dans toute la salle. La femme y puise largement, elle étend, elle enduit, baise et caresse.
Jésus, de temps en temps, la regarde avec une affectueuse pitié. Jean, qui s’est retourné étonné
en entendant les sanglots, ne peut détacher le regard du groupe de Jésus et de la femme. Il regarde
alternativement l’Un et l’autre.
Le visage du pharisien est de plus en plus hargneux. J’entends ici les paroles connues de
l’Evangile et je les entends dites sur un ton, accompagnées d’un regard, qui font baisser la tête au
vieillard haineux.
J’entends les paroles d’absolution adressées à la femme qui s’en va en laissant ses
bijoux aux pieds de Jésus. Elle a enroulé son voile autour de sa tête en y enserrant le
mieux possible sa chevelure défaite. Jésus, en lui disant : « Va en paix » lui pose un
instant la main sur sa tête inclinée, mais avec une extrême douceur.
Aujourd’hui, je n’ai pas cessé de penser à la dictée de Jésus d’hier soir, et à ce que je
voyais et comprenais même sans qu’il parle.
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Cependant, je vous dis incidemment que les conversations des convives, pour celles
que je comprenais, c’est à dire celles qui s’adressaient particulièrement à Jésus, roulaient
sur les éventements du jour : les Romains, leurs oppositions à la Loi, et puis la mission
de Jésus en tant que Maître d’une nouvelle école. Mais sous une apparence bienveillante,
on comprenait que c’étaient des questions retorses et captieuses posées pour le mettre
dans l’embarras, chose qui n’était pas facile parce que Jésus opposait en peu de mots à
toute remarque, une réponse juste et décisive.
Comme on Lui demandait par exemple de quelle école ou secte particulière il s’était fait le
nouveau maître, il répondit simplement : « De l’école de Dieu. C’est Lui que je suis en sa sainte
Loi, et c’est de Lui que je me soucie en faisant en sorte que pour ces petits (et il regardait Jean avec
amour et en Jean il regardait tous ceux qui ont le cœur droit) elle soit renouvelée complètement en
son essence comme elle l’était le jour que le Seigneur Dieu la promulgua sur le Sinaï. Je ramène les
hommes à la Lumière de Dieu. »
A une autre question sur ce qu’il pensait de l’abus de César qui s’était rendu le maître souverain
de la Palestine, il avait répondu : « César est ce qu’il est parce que c’est la volonté de Dieu. -vous le
prophète Isaïe. N’appelle-t-il pas, lui, par inspiration divine, Assur le ‘bâton’ de sa colère, la verge
qui punit le peuple de Dieu qui s’est trop séparé de Dieu et a la feinte pour vêtement et pour
esprit ? ne dit-il pas qu’après s’en être servi pour punir, il le brisera parce qu’il aura abusé de sa
fonction, devenant orgueilleux et féroce ? »
Ce sont les deux réponses qui m’ont plus frappé.
« Je devrais t’appeler comme Daniel. Tu es celle qui désire et qui m’es chère parce que
tu désire tant ton Dieu et je pourrais continuer à te dire ce qui fut dit à Daniel par mon
ange : « Ne crains pas que, dès le premier jour où tu as appliqué ton cœur à comprendre
et à t’affliger en présence de Dieu, tes prières ont été exaucées et je suis venu à cause
d’elles » mais ici ce n’est pas l’ange qui parle. C’est Moi qui te parle, Jésus.
Toujours, ô Maria, je viens quand quelqu’un ‘applique son cœur à comprendre’. Je ne suis pas
un Dieu dur et sévère. Je suis la Miséricorde vivante, et plus rapide que la pensée, je viens vers celui
qui se tourne vers Moi.
Même pour la pauvre Marie de Magdala, si plongée dans son péché, je suis venu
rapidement avec mon esprit dès que j’ai senti s’élever en elle le désir de comprendre.
Comprendre la lumière de Dieu en son état de ténèbres. pour elle, je me suis fait
Lumière.
Je parlais à beaucoup de gens ce jour là, mais en vérité je parlais pour elle seule. Je ne
voyais qu’elle qui s’était approchée, poussée par la fougue d’une âme qui se révoltait
contre la chair qui la tenait assujettie. Je ne voyais qu’elle avec son pauvre visage en
détresse, avec son sourire contraint qui cachait, sous une appa-
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rence de sécurité et de joie trompeuse qui était un défi au monde et à elle-même, sa grande peine
intérieure. Je ne voyais qu’elle, bien plus enserrée par les ronces que la brebis égarée de la parabole,
elle qui se noyait dans le dégoût de sa vie venu à la surface comme ces vagues profondes qui
amènent avec elles l’eau du fond.
Je n’ai pas dites de grandes paroles, ni abordé un sujet indiqué pour elle, pécheresse bien
connue, pour ne pas la mortifier et pour ne pas la contraindre à fuir, à rougir d’elle-même ou à
venir. Je l’ai laissée tranquille. J’ai laissé ma parole et mon regard descendre en elle et y fermenter
pour faire de cette impulsion d’un moment, son glorieux avenir de sainte. J’ai parlé par une de mes
plus douces paraboles : un rayon de lumière et de bonté qui se répandait justement pour elle. Et, ce
soir-là, alors que je mettais le pied dans la maison du riche orgueilleux chez qui ma parole ne
pouvait fermenter en gloire future parce que tuée par l’orgueil pharisaïque, je savais déjà qu’elle
serait venue après avoir tant pleuré dans la pièce où elle avait péché et qu’à la lumière de ses pleurs
était déjà décidé son avenir.
Les hommes, brûlés par la luxure, en la voyant entrer ont tressailli en leur chair et ont
laissé pénétrer le soupçon en leur pensée. Tous l’ont désirée, sauf les deux ‘purs’ du
banquet : Jean et moi. Tous ont cru qu’elle venait poussée par une de ces probables
caprices qui, vraie possession démoniaque, la jetaient dans des aventure imprévues.
Mais Satan était désormais vaincu. Et tous ont pensé, envieux, en voyant qu’elle ne se
tournait pas vers eux, qu’elle venait pour Moi.
L’homme salit toujours même les choses les plus pures quand il est seulement homme de chair et
de sang. Seuls les purs voient juste parce qu’il n’y a pas de péché pour troubler la pensée. Mais
que l’homme ne comprenne pas, cela ne doit pas effrayer, Maria. Dieu comprend et cela suffit pour
le Ciel.
La gloire qui vient des hommes n’augmente pas d’un gramme la gloire qui est le sort des élus
dans le Paradis. Souviens-toi-s-en toujours. La pauvre marie de Magdala a toujours été mal jugée
dans ses bonnes actions. Elle ne l’avait pas été dans ses mauvaises actions parce que c’étaient des
bouchées de luxure offertes aux vicieux. Critiquée et mal jugée à Naïm, dans la maison du
pharisien, critiquée et accablée de reproches à Béthanie, dans sa maison.
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mais Jean, qui dit une grand parole, donne la clef de cette dernière critique : « Judas
… parce qu’il était voleur’. Moi je dis : « Le pharisien et ses amis parce qu’ils étaient
luxurieux ». Voilà, vois-tu ? L’avidité de la sensualité, l’avidité de l’argent élèvent la
voix pour critiquer une bonne action. Les bons ne critiquent pas. Jamais. comprennent.
Mais, je le répète, peu importe les critiques du monde. Ce qui importe, c’est le
jugement de Dieu.
Jésus se trouve sur le chemin qui du lac Meron va vers celui de Galilée. Il y a avec lui,
le Zélote et Barthélemy, et ils semblent attendre près d'un torrent, réduit à un filet d'eau
qui pourtant nourrit des plantes touffues, les autres qui arrivent de deux côtés différentes.
La journée est torride, et pourtant beaucoup de gens ont suivi les trois groupes qui ont
du prêcher à travers les campagnes en encheminant les malades vers le groupe de Jésus
et en parlant de Lui à ceux qui sont en bonne santé. Un grand nombre de miraculés
forment un groupe heureux assis parmi les arbres, et en eux la joie est telle qu'ils ne
sentent même pas l'ennui de la chaleur, de la poussière, de la lumière éblouissante, toutes
choses qui ne mortifient pas qu'un peu tous les autres.
Quand le groupe dirigé par Judas Thaddée arrive le premier près de Jésus, apparaît avec évidence
la fatigue de ceux qui le forment et de ceux qui les suivent. En dernier lieu vient le groupe dirigé
par Pierre où se trouvent beaucoup de gens de Corozaïn et de Bethsaida.
"Nous avons travaillé, Maître, mais il faudrait qu'il y ait plusieurs groupes ... Tu vois. Aller au
loin, ce n'est pas possible à cause de la chaleur. Et alors, comment faire? On dirait que le monde
s'agrandisse au fur et à mesure que nous travaillons davantage, en éparpillant les pays et en
allongeant les distances. Je ne m'étais jamais rendu compte que la Galilée était si grande. Nous n'en
travaillons qu'un coin, tout juste un coin, et nous n'arrivons pas à l'évangéliser, tant elle est vaste et
si nombreux sont ceux qui ont besoin de Toi et qui te désirent" soupire Pierre.
"Ce n'est pas que le monde s'agrandisse, Simon" répond le Thad-
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dée. "C'est que s'étend la notoriété de notre Maître."
"Oui, c'est vrai. Regarde combien de gens. Certains nous suivent depuis ce matin. Aux
heures les plus chaudes, nous nous sommes réfugiés dans un bois, mais même
maintenant que le soir approche, la marche est pénible. Et ces pauvres gens sont
beaucoup plus loins de leurs maisons que nous. Si cela continue d'augmenter ainsi, je ne
sais pas comment nous ferons..."dit Jacques de Zébédée.
"En octobre les bergers viendront aussi" dit André pour le réconforter.
"Hé oui!. Les bergers, les disciples, c'est bien! Mais ils ne servent que pour dire: 'Jésus
est le Sauveur. Il est ici'. Rien de plus » répond Pierre.
"Mais, au moins, les gens sauront où le trouver. Maintenant, au contraire! Nous venons
ici, et eux accourent ici; pendant qu'ils viennent ici, nous allons ailleurs et eux doivent
nous courir après. Et avec des enfants et des malades, ce n'est pas bien pratique."
Jésus parle: "Tu as raison, Simon-Pierre. J'ai Moi aussi compassion de ces âmes et de ces foules.
Pour beaucoup, ne pas me trouver à un moment donné, ce peut être une cause irréparable de
malheur. Regardez comme ils sont las et troublés ceux qui n'ont pas encore la certitude de ma
Vérité, et comme ils sont affamés ceux qui ont déjà goûté ma parole et ne savent plus s'en passer, et
nulle autre parole ne le content plus. Ils semblent des brebis sans berger qui errent ici et là sans
trouver quelqu'un pour les conduire et les nourrir. J'y pourvoirai, mais vous, vous devez m'aider. De
toutes vos forces, spirituelles, morales et physiques. Ce n'est plus en groupes nombreux, mais deux
par deux que vous devez savoir aller. Et j'enverrai deux par deux les meilleurs des disciples. C'est
que la moisson est vraiment grande. Oh! cet été, je vous préparerai à cette grande mission. Pour
Tamuz, nous serons rejoints par Isaac avec les meilleurs disciples. Et je vous préparerai. Vous n'y
suffirez pas encore, car si la moisson est vraiment grande, les ouvriers en revanche sont peu
nombreux. Priez donc le Maître de la terre qu'il envoie beaucoup d'ouvriers à sa moisson."
"Oui, mon Seigneur. Mais cela ne changera pas beaucoup la situation de ceux qui te cherchent"
dit Jacques d'Alphée.
"Pourquoi, mon frère?"
"Parce qu'ils ne cherchent pas seulement la doctrine et la parole de Vie, mais aussi la
guérison de leurs langueurs, de leurs maladies, de toutes leurs infirmités que la vie ou
Satan apportent à la partie inférieure ou supérieure de leur être. Et cela, il n'y a que Toi
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qui puisse le faire, parce qu'en Toi il y a la Puissance."
"Ceux qui sont avec Moi arriveront à faire ce que je fais et les pauvres seront secourus dans
toutes leurs misères. Mais vous n'avez pas encore en vous ce qu'il faut pour le faire. Essayez de
vous surpasser vous mêmes, de fouler vos tendances humaines pour faire triompher l'esprit.
Assimilez non seulement ma parole mais mon esprit, c'est-à-dire sanctifiez-vous par elle et ensuite
vous pourrez tout. Et maintenant allons leur dire ma parole puisqu'ils ne veulent pas s'en aller sans
que leur aie donné la parole de Dieu. Et ensuite nous retournerons à Capharnaüm. Là aussi il y a des
gens qui attendent ..."
"Seigneur, mais est-ce vrai que Marie de Magdala t'a demandé pardon dans la maison du
pharisien?"
"C'est vrai, Thomas."
"Et Tu le lui as donné?" demande Philippe.
"Je le lui ai donné."
""Mais Tu as mal fait!" s'écrie Barthélemy.
"Pourquoi? Elle avait un repentir sincère et méritait le pardon."
"Mais Tu ne devais pas le lui donner dans cette maison, publiquement.. Lui reproche l'Iscariote.
"Mais je ne vois pas en quoi je me suis trompé."
"En ceci: tu sais ce que sont les pharisiens, combien d'arguties ils ont en tête, comme ils te
surveillent, comme ils te calomnient, comme ils t'haïssent. Il y en avait un à Capharnaüm, qui était
un ami, et c'était Simon. Et tu appelles dans sa maison une prostituée pour profaner sa maison et
scandaliser l'ami Simon."
"Je ne l'ai pas appelée, Moi. Elle y est venue. Ce n'était pas une prostituée, c'était une repentie.
Cela change beaucoup.Si on n'avait pas de dégoût de l'approcher avant et de toujours la désirer,
même en ma présence, maintenant qu'elle n'est plus une chair mais une âme, on ne doit pas avoir de
dégoût de la voir entrer pour s'agenouiller à mes pieds et pleurer, en s'accusant, s'humiliant dans une
humble confession publique que renferment ces pleurs. Simon le pharisien a eu sa maison sanctifiée
par un grand miracle: 'la résurrection d'une âme'. Sur la place de Capharnaüm, il y a maintenant
cinq jours, il me demandait: 'Tu as fait ce seul miracle?' et il répondait lui-même: 'Certainement pas'
et il avait un grand désir d'en voir un. Je le lui ai donné. Je l'ai choisi pour être le témoin, le
paranymphe de ces fiançailles de l'âme avec la Grâce. Il doit en être fier."
"Au contraire, il en est scandalisé. Peut-être tu as perdu un ami."
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"J'ai trouvé une âme. Cela vaut la peine de perdre l'amitié d'un homme, sa pauvre amitié
d'homme, pour rendre à une âme l'amitié avec Dieu."
"C'est inutile. Avec Toi, on ne peut obtenir une réflexion humaine. Nous sommes sur la terre,
Maître! Rappelle-le-Toi. Et ce sont les lois et les idées de la terre qui prédominent. Tu agis suivant
la méthode du Ciel, tu te meus dans ton Ciel que tu as dans le coeur, tu vois tout à travers les clartés
du Ciel. Mon pauvre Maître! Comme tu es divinement incapable de vivre parmi nous qui sommes
pervers!" Judas l'Iscariote, l'embrasse, admiratif et désolé, disant pour terminer: "Et j'en m'afflige,
parce que tu crées tant d'ennemis par excès de ta perfection."
"Ne t'en afflige pas, Judas. Il est écrit qu'il en est ainsi. Mais comment sais-tu que Simon est
offensé?"
"Il n'a pas dit qu'il est offensé, mais à Thomas et à moi, il a fait comprendre que ce n'est pas une
chose à faire. Tu ne devais pas l'inviter dans sa maison, où il n'entre que des personnes honnêtes."
"Bien! Pour l'honnêteté des gens qui vont chez Simon, n'en parlons pas' dit Pierre.
"Et je pourrais dire que la sueur des prostitués a coulé plusieurs fois sur le dallage, sur les tables,
et ailleurs chez Simon le pharisien" dit Mathieu.
"Mais pas publiquement" réplique l'Iscariote.
"Non, avec une hypocrisie attentive à le cacher."
"Tu vois qu'il change alors."
"C'est un changement aussi l'entrée d'une prostituée qui entre pour dire: 'Je laisse mon péché
infâme' au lieu de celle qui entre pour dire: 'Me voici à toi pour accomplir ensemble le péché'."
"Mathieu a raison" disent-ils tous.
"Oui il a raison. Mais eux ne pensent pas comme nous et il faut en venir à des compromis avec
eux, s'adapter à eux pour les avoir comme amis."
"Cela jamais, Judas. En matière de vérité, d'honnêteté, de conduite morale, il n'y a pas
d'adaptation ni de compromis " dit Jésus d'une voix de tonnerre. Et il termine : " Du
reste, je sais que j'ai bien agi, et en vue du bien. Cela suffit. Allons congédier ces gens
fatigués. "
Et il s'en va vers ceux qui, éparpillés sous les arbres, regardent dans sa direction,
anxieux de l'entendre.
" La paix à vous tous qui, pendant des stades et à la canicule, êtes venus entendre la Bonne
Nouvelle. En vérité je vous dis que vous
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commencez à comprendre ce qu'est le Royaume de Dieu, combien précieuse est sa
possession et combien il est heureux de lui appartenir. Et pour vous toute fatigue perd la
valeur qu'elle a pour les autres, parce que l'âme commande en vous et dit à la chair :
'rejouis-toi que je t'accable. C'est pour ton bonheur que je le fais. Quand tu seras réunie à
moi, après la résurrection finale, tu m'aimeras dans la mesure où je t'ai piétinée et tu
verras en moi ton second sauveur'. N'est-ce pas ce que dit votre esprit ? Mais bien sûr
qu'il le dit ! Vous maintenant vous basez vos actions sur l'enseignement de mes
paraboles lointaines. Mais maintenant je vous donne d'autres lumières pour vous rendre
toujours plus énamourés de ce Royaume qui vous attend et dont la valeur est sans
mesure.
Ecoutez : Un homme était allé par hasard dans un champ pour prendre du terreau et le
porter dans son jardin. Voilà qu'en creusant avec fatigue la terre dure, il trouve sous une
couche de terre un filon de métal précieux. Que fait-il alors cet homme ? Il recouvre de
terre sa découverte. Il n'hésite pas à travailler davantage encore, car la découverte en
vaut la peine. Et puis, il va chez lui, rassemble toutes ses richesses en argent et en objets,
et ces derniers il les vend pour avoir beaucoup d'argent. Puis il va trouver le propriétaire
du champ et lui dit : 'Ton champ me plaît. Combien en veux-tu ?' 'Mais il n'est pas à
vendre' dit l'autre. Mais l'homme offre une somme toujours plus forte, disproportionnée
avec la valeur du champ et il finit pour décider le propriétaire qui pense : 'cet homme est
fou8 Mais, puisqu'il l'est, j'en profite. Je prends la somme qu'il m'offre. Ce n'est pas de
l'usure, puisque c'est lui qui veut me la donner. Avec elle je m'achèterai au moins trois
autres champs, et plus beaux' et il vend, convaincu d'avoir fait une affaire merveilleux.
Mais, au contraire, c'est l'autre qui fait une bonne affaire, car il se prive d'objets qu'un
voleur peut emporter ou que l'on peut perdre ou consommer, et il se procure un trésor
qui, parce qu'il sacrifie ce qu'il a pour cette acquisition, en restant pendant quelque temps
avec la seule possession du champ, mais en réalité il possède pour toujours le trésor qui
y est caché.
Vous vous l'avez compris, et vous faites comme l'homme de la parabole. Quittez les
richesses éphémères pour posséder le Royaume des Cieux. Vous les vendez aux
imbéciles de ce monde, les leur cédez, acceptez qu'on se moque de vous pour ce qui, aux
yeux du monde, paraît une sotte manière d'agir. Agissez ainsi, tou-
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jours, et un jour votre Père qui est dans les Cieux, avec joie vous donnera votre place dans le
Royaume.
Retournez dans vos maisons avant que vienne le sabbat et, pendant le jour du Seigneur, pensez à
la parabole du trésor qu'est le Royaume céleste. La paix soit avec vous. "
Les gens s'éparpillent lentement sur les routes et les sentiers de campagne pendant que jésus s'en
va en direction de capharnaüm dans le soir qui descend.
Il y arrive en pleine nuit. Ils traversent en silence la ville silencieuse au clair de la lune qui est la
seule lampe qui existe pour les ruelles obscures et mal pavées. Ils entrent en silence dans le petit
jardin à côté de la maison, croyant que tout le monde est au lit. Mais, au contraire, une lampe luit
dans la cuisine et trois ombres, rendues mobiles par le mouvement de la flamme, se projettent sur le
muret blanc du four qui est tout près.
" Il y a des gens qui t'attendent, Maître. Mais cela ne peut pas aller ainsi ! Maintenant je vais
leur dire que Tu es trop fatigué. Monte sur la terrasse, en attendant. "
"Non, Simon. Je vais à la cuisine; Si Thomas a retenu ces personnes, c'est signe qu'il a un motif
sérieux."
Mais, pendant ce temps, ceux qui sont à l'intérieur ont entendu le chuchotement et Thomas, le
propriétaire de la maison, vient sur le seuil;
"Maître, il y a la dame habituelle. Elle t'attend depuis hier au coucher du soleil. Elle est avec un
serviteur" et puis, à voix basse: "Elle est très agitée. Elle pleure sans arrêt..."
" C'est bien. Dis-lui de venir en haut.. Où a-t-elle dormi ? "
" Elle ne voulait pas dormir. Mais finalement elle s'est retirée pour quelques heures vers l'aube,
dans ma chambre. Le serviteur, je l'ai fait dormir dans un de vos lits. "
" C'est bien, il y dormira encore cette nuit, et toi, tu dormiras dans le mien. "
" Non, Maître. J'irai sur la terrasse. sur des nattes. Je dormirai aussi bien.
Jésus monte sur la terrasse.Voilà Marthe qui monte elle aussi.
" La paix à toi, Marthe. "
Un sanglot Lui répond.
" Tu pleures encore ? Mais n'est-tu pas heureuse ? "
« De la tête de Marthe fait signe que non.
" Mais pourquoi, donc ?... "
Une longue pause, pleine de sanglots. Enfin, dans un gémisse-
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ment : " Depuis plusieurs soirs, Marie n'est plus revenue. Et on ne la trouve pas. Ni moi, ni la
nourrice, ni Marcelle, ne la trouvons.. Elle était sortie en commandant le char. Elle était très bien
mise... Oh ! Elle n'avait pas voulu mettre mon vêtement !... Elle n'était pas a moitié nue, elle en a
encore de ceux-ci, mais elle était très provocante dans ce ... Et elle avait pris avec elle or et
parfums ... et elle n'est plus revenue. Elle a renvoyé le serviteurs aux premières maisons de
Capharnaüm en disant : "'Je reviendrai avec une autre compagnie.' Mais elle n'est plus revenue. Elle
nous a trompés ! Ou bien elle s'est sentie seule, peut-être tentée ... ou lui est arrivé malheur... Elle
n'est plus revenue... " Et Marthe se glisse à genoux, en pleurant la tête appuyée sur l'avant bras
qu'elle a mis sur un tas de sacs vides.
Jésus la regarde et dit lentement, avec assurance, dominateur : " Ne pleure pas. Marie est venue
à Moi, il y a trois jours. Elle m'a parfumé les pieds, elle a mis à mes pieds tous ses bijoux. Elle s'est
consacrée ainsi, et pour toujours, en prenant place parmi mes disciples. Ne le dénigre pas en ton
cœur. Elle t'a dépassée. "
" Mais où, où est alors ma sœur ? " crie Marthe en relevant son visage bouleversé. 3Pourquoi
elle n'est pas venue à la maison, Elle a, peut-être été attaquée ? Elle a peut-être pris une barque et
elle s'est noyée ? Peut-être un amant qu'elle a repoussé l'a enlevée, Oh ! Marie ! Ma Marie ! Je
l'avais retrouvée et je l'ai tout de suite perdue ! " Marthe est vraiment hors d'elle. Elle ne pense plus
que ceux qui sont en bas peuvent l'entendre. Elle ne pense plus que jésus peut lui dire où est sa
sœur. Elle est désespérée sans plus réfléchir à rien.
Jésus la prend par les poignets et la force à rester tranquille, à l'écouter, la dominant de sa haute
taille et de son regard magnétique. " Assez ! Je veux que tu aie foi en mes paroles. Je veux que tu
sois généreuse. Tu as compris ? " Il ne la laisse que quand Marthe s'est un peu calmée.
" Ta sœur est allée goûter sa joie, s'en tournant d'une solitude sainte, parce qu'elle a en elle la
pudeur super sensible de ceux qui sont rachetés. Je te l'ai dit à l'avance. Elle ne peut supporter le
regard doux mais inquisiteur des parents sur son nouveau vêtement d'épouse de la grâce. Et ce que
je te dis est toujours vrai. Tu dois me croire. "
" Oui, Seigneur, oui. Mais ma Marie a été trop, trop au pouvoir du démon. Il l'a reprise tout d'un
coup, il ... "
" Il se venge sur toi de la proie qu'il a perdu pour toujours. Dois-
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donc voir que toi, la courageuse, tu deviens sa proie pour une frayeur folle et sans raison d'être ?
Dois-je voir qu'à cause d'elle qui maintenant croit en Moi, tu perds la belle foi que je t'ai toujours
connue ? Marthe ! Regarde-moi bien. Ecoute-moi. N'écoute pas Satan. Ne sais-tu pas que quand il
est obligé d'abandonner sa proie par une victoire que Dieu remporte sur lui, il se met tout de suite à
agir, cet inlassable bourreau des êtres, cet inlassable voleur des droits de Dieu, pour trouver d'autres
proies ? Ne sais-tu pas que ce sont les tortures d'une tierce personne, qui résiste aux assauts parce
qu'elle est bonne et fidèle, qui affermissent la guérison d'un autre esprit ? Ne sais-tu pas que rien
n'est isolé de tout ce qui arrive et existe dans la création, mais que tout suit une loi éternelle de
dépendances et de conséquence qui fait qu'une action de quelqu'une des répercussions naturelles et
surnaturelles très étendues ? Tu pleures ici, toi tu connais ici le doute atroce et tu restes fidèle à ton
Christ même à cette heure des ténèbres. Là-bas, dans un endroit voisin que tu ne connais pas, Marie
sent se dissoudre le dernier doute sur l'infinité du pardon qu'elle a obtenu. Ses pleurs se changent en
sourire et ses ombres en lumière. C'est ton tourment qui l'a conduite là où se trouve la paix, là où les
âmes se régénèrent auprès de la Génératrice sans tâche, auprès de celle qui est tellement Vie, quElle
a obtenu de donner au monde le Christ qui est la Vie. Ta sœur est chez ma Mère. Oh ! ce n'est pas la
première qui rentre sa voile dans ce port paisible après que le doux rayon de la vivante Étoile Marie
l'a appelée sur ce sein d'amour, par l'amour muet et actif de son Fils ! Ta sœur est à Nazareth. "
" Mais comment ? y est-elle allée, ne connaissait pas ta Mère, ta maison ? ... Seule.. Pendant la
nuit ... Ainsi ... Sans moyens.. Avec ce vêtement ... un si long chemin .. Comment ? "
" Comment ? Comme l'hirondelle fatiguée va au nid natal traversant mers et montagnes,
triomphant des tempêtes, des nuages et des vents contraires. Comme vont les hirondelles aux lieux
de leur hivernage, par un instinct quiles guide, par une tiédeur qui les invite, par le soleil qui les
appelle. Elle aussi est accourue vers le rayon qui l'appelle ... vers la Mère universelle. Et nous la
verrons revenir à l'aurore, heureuse... sortie pour toujours des ténèbres, avec une Mère à son côté, la
mienne, et pour n'être jamais plus orpheline. Peux-tu croire cela ? "
" Oui , mon Seigneur. "
Marthe est comme fascinée. En effet Jésus a été un dominateur. Grand, debout, et pourtant
légèrement incliné au-dessus de Mar-
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the agenouillée ; Il a parlé lentement d'un ton pénétrant, comme pour passer dans la disciple
bouleversée. Peu de fois je l'ai vu avec cette puissance pour persuader par sa parole quelqu'un qui
l'écoute. Mais à la fin, quelle lumière, quel sourire pour son visage !
Marthe le reflète par un sourire et une lumière plus apaisée sur son propre visage.
" Et maintenant va te reposer, en paix. "
Et Marthe Lui baise les mains et descend rasserenée...
Maria Valtorta
L'Evangile tel qu'il m'a été revelé
* 20% en ligne *
Tables de matières
553
La cour des trois frères est moitié à l'ombre, moitié au soleil. Elle est pleine de
gens qui vont et viennent pour leurs achats alors qu'en dehors du portail, sur la petite
place, on entend la rumeur du marché d'Alexandroscène avec le va-et-vient confus des
acheteurs et des vendeurs, avec le bruit des ânes, des brebis, des agneaux, des poules.
On comprend qu'ici, il y a moins de complications et on apporte même les poulets au
marché sans craindre de contaminations d'aucune sorte. Braiments, bêlements,
gloussement des poules et cocorico triomphant des coqs se mêlent aux voix des
hommes en un choeur joyeux qui parfois monte à des notes aiguës et dramatiques à la
suite de quelque altercation.
Même dans la cour des frères il règne un bruit confus et il se produit quelque altercation ou pour le
prix ou parce qu'un acheteur a pris une chose qu'un autre voulait acquérir. Elle n’est pas absente non
plus la plainte lamentable des mendiants qui de la place, près du portail, défilent la litanie de leurs
misères sur un air triste comme la plainte d'un mourant.
Des soldats romains vont et viennent en maîtres dans l'entrepôt et sur la place. Je suppose que c'est
un service d'ordre, car je les vois armés, et jamais seuls, parmi les phéniciens tous armés.
Jésus aussi va et vient dans la cour, se promenant avec les six apôtres, attendant le moment
favorable pour parler. Et puis il sort un moment sur la place en passant près des mendiants auxquels
il donne une obole. Les gens se distraient pendant quelques minutes pour regarder le groupe des
galiléens et se demandent qui sont ces étrangers. Et il en est qui informent, parce qu'ils ont demandé
aux trois frères, qui sont leurs hôtes.
Un murmure suit les pas de Jésus qui s'en va tranquillement caressant les enfants qu'il trouve sur
son chemin. Il y a aussi, au milieu du murmure, les ricanements et les épithètes peu flatteuses pour
les hébreux, et aussi le désir honnête d'entendre ce «Prophète», ce «Rabbi», ce «Saint», ce «Messie»
d'Israël, auquel ils donnent ces noms lorsqu'ils en parlent, selon leur degré de foi et de rectitude de
leurs âmes.
J'entends deux mères: «Mais est-ce vrai?»
«C'est Daniel qui me l'a dit, justement à moi. Il a parts à Jérusalem avec des gens qui ont vu les
miracles du Saint.»
«Oui, d'accord! Mais est-ce bien cet homme?»
103
« Oh! Daniel m'a dit que ce ne peut être que Lui à cause de ce qu'il dit.»
«Alors... que dis-tu? Il me fera grâce même si je ne suis que prosélyte?»
«Je dirais que oui... Essaie. Peut-être il ne reviendra plus ici chez nous. Essaie, essaie! Il ne te fera
sûrement pas de mal!»
«J'y vais» dit la petite femme en laissant en plan le vendeur de vaisselle avec lequel elle
marchandait des assiettes; le vendeur qui a entendu la conversation des deux femmes, déçu, irrité à
cause de la bonne affaire qui s'en va en fumée, s'en prend à la femme qui est restée, la couvrant
d'injures telles que: «Prosélyte maudite. Sang d'hébreux. Femme vendue» et cætera.
J'entends deux hommes graves et barbus: «J'aimerais l'entendre. On dit que c'est un grand Rabbi.»
«Un Prophète, dois-tu dire. Plus grand que le Baptiste. Elie m'a s dit certaines choses! Certaines
choses! Il est au courant, car il a une soeur mariée à un serviteur d'un grand riche d'Israël, et pour
avoir de ses nouvelles s'informe auprès des serviteurs. Ce riche est très ami du Rabbi...»
Un troisième, un phénicien peut-être, qui a entendu parce qu'il était tout près, amène sa figure
sournoise, moqueuse entre les deux, et raille: «Belle sainteté! Confite dans la richesse! A mon avis,
un saint devrait vivre pauvrement!»
«Tais-toi, Doro, langue maudite. Tu n'es pas digne, toi païen, de juger ces choses.»
«Ah! vous en êtes dignes vous, toi spécialement, Samuel! Tu ferais mieux de me payer ce que tu me
dois.»
«Tiens! et ne me tourne plus autour, vampire à la face de faune!»...
J'entends un vieillard à moitié aveugle, accompagné d'une fillette, qui demande: «Où est? Où est le
Messie?» et la petite crie: «Laissez passer le vieux Marc! Veuillez dire au vieux Marc où se trouve
le Messie!»
Les deux voix, celle du vieillard: faible et tremblante, celle de la fillette: argentine et assurée, se
répandent sur la place, inutilement, jusqu'à ce qu'un autre homme dise: «Vous voulez trouver le
Rabbi? Il est revenu vers la maison de Daniel. Le voilà arrêté qui parle avec des mendiants.»
J'entends deux soldats romains: «Ce doit être celui que persécutent les juifs, les bonnes peaux! On
voit, rien qu'à le regarder, qu'il vaut mieux qu'eux.»
104
«C'est pour cela qu'il leur cause des ennuis!»
«Allons le dire au porte-drapeau. C'est l'ordre.»
«Un ordre stupide, Caïus! Rome a peur des agneaux et elle supporte, il faudrait dire, caresse les
tigres.» (Scipion).
«Il ne me semble pas, Scipion! Ponce massacre facilement!» (Caïus).
«Oui... mais il ne ferme pas sa maison aux hyènes qui le flattent.» (Scipion).
«Politique, Scipion! Politique!» (Caïus).
«Lâcheté, Caïus, et sottise. C'est de celui-ci qu'il devrait être l'ami, pour avoir de l'aide pour garder
dans l'obéissance cette racaille asiatique. Il ne sert pas bien Rome, Ponce, en négligeant cet homme
qui est bon, et en flattant les mauvais.» (Scipion).
«Ne critique pas le Proconsul. Nous sommes des soldats, et le supérieur est sacré comme un dieu.
Nous avons juré obéissance au divin César et le Proconsul est son représentant.» (Caïus).
«Cela va bien pour ce qui concerne le devoir envers la Patrie, sacrée et immortelle. Mais cela ne
vaut pas pour le jugement intérieur.» (Scipion).
«Mais l'obéissance vient du jugement. Si ton jugement se révolte contre un ordre et le critique, to
n'obéiras plus totalement. Rome s'appuie sur notre obéissance aveugle pour protéger ses
conquêtes.» (Caïus).
«Tu sembles un tribun et tu parles bien. Mais je te fais remarquer que si Rome est reine, nous ne
sommes pas des esclaves, mais des sujets. Rome n'a pas, ne doit pas avoir, de citoyens esclaves.
C'est l'esclavage qui impose le silence à la raison des citoyens. Moi, je dis que ma raison juge que
Ponce agit mal en négligeant cet israélite, appelle-le Messie, Saint, Prophète, Rabbi, à ton goût. Et
j'ai le sentiment que je puis le dire car ma fidélité à Rome n'en est pas amoindrie, ni mon amour.
Mais, au contraire, je le voudrais parce que Lui, en enseignant le respect envers les lois et les
Consuls, comme il le fait, coopère à la prospérité de Rome.» (Scipion).
«Tu es cultivé, Scipion... Tu feras ton chemin. Tu es déjà avancé! Moi, je suis un pauvre soldat.
Mais, en attendant, tu vois là? Il y a un rassemblement autour de cet Homme. Allons le dire aux
chefs.» (Caïus)...
En effet près du portail des trois frères, il y a un tas de gens autour de Jésus qui, par sa grande taille,
est bien en vue. Puis tout à coup un cri s'élève, et les gens s'agitent. Certains accourent du marché
alors que d'autres s'éloignent vers la place et au-delà.
105
Questions... réponses...
«Qu'est-il arrivé?»
«Qu'y a-t-il?»
«L'Homme d'Israël a guéri le vieux Marc!»
«Le voile de ses yeux a disparu.»
Jésus, entre temps, est entré dans la cour avec une suite de gens. En arrière, se traînant péniblement,
il y a un des mendiants, un bancal qui se traîne avec les mains plutôt qu'avec les jambes. Mais si les
jambes sont tordues et sans force, et sans l’aide de béquilles il ne saurait avancer, la voix est très
robuste! On dirait une sirène qui déchire l'atmosphère ensoleillée du matin: «Saint! Saint! Messie!
Rabbi! Pitié!» Il ne cesse de crier à perdre haleine.
Deux ou trois personnes se retournent: «Garde ton souffle! Marc est hébreu, toi, pas.»
«Il accorde des grâces aux vrais israélites, pas aux fils de chiens!»
«Ma mère était juive...»
«Et Dieu l'a frappée en to donnant à elle, toi monstre, à cause de son péché. Va t'en, fils de louve!
Retourne à ta place, être pétri de boue...»
L'homme s'adosse au mur, humilié, effrayé par la menace des poings tendus...
Jésus s'arrête, se retourne, regarde. Il commande: «Homme, viens ici!»
L'homme le regarde, regarde ceux qui le menacent... et il n'ose pas avancer.
Jésus fend la petite foule et il va à lui. Il le prend par la main, c'est-à-dire lui met la main sur
l'épaule, et dit: «N'aie pas peur. Viens avec Moi» et regardant les gens cruels, il dit, l’air sévère:
«Dieu appartient à tous les hommes qui le cherchent et sont miséricordieux.»
Les gens comprennent l'allusion, et maintenant ce sont eux qui restent en arrière, ou plutôt qui
s'arrêtent où ils sont.
Jésus se retourne. Il les voit là, confus, prêts à s'en aller, et il leur dit: «Non, venez vous aussi. Cela
vous fera du bien à vous aussi, cela redressera et fortifiera votre âme comme je redresse et fortifie
cet homme parce qu'il a su avoir foi. Homme, je te le dis, sois guéri de ton infirmité.» Et il retire la
main de l’épaule du bancal après que celui-ci ait éprouvé une sorte de secousse.
L'homme se redresse avec assurance sur ses jambes, jette ses vieilles béquilles et il crie: «Il m'a
guéri! Louange au Dieu de ma mère!» et puis il s'agenouille pour baiser le bord du vêtement de
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Jésus.
L'agitation des gens qui veulent voir, ou qui, ayant vu, font des commentaires, est à son comble.
Dans le fond de l'entrée qui mène de la place à la cour, les cris qui viennent de la foule résonnent
bruyamment et se répercutent contre les murs du Camp.
Les troupes doivent craindre qu'il se soit produit une rixe - cela doit se produire facilement dans ces
endroits où il y a tant d'oppositions de races et de religions - et le porte-drapeau accourt en se
frayant brutalement un chemin et en demandant ce qui arrive.
«Un miracle, un miracle! Jonas, le bancal,. a été guéri. Le voilà, près de l'Homme de Galilée.»
Les soldats se regardent entre eux. Ils ne parlent pas jusqu'à ce que toute la foule se soit écoulée,
mais en arrière, il s'en est rassemblé une autre des gens qui étaient dans les magasins ou sur la place,
où ne sont restés que les vendeurs pleins de dépit à cause de la diversion imprévue qui réduit à rien
le marché de ce jour. Puis, voyant passer un des trois frères, ils demandent: «Philippe, sais-tu ce que
va faire maintenant le Rabbi?»
«Il parle, il enseigne, et dans ma cour!» dit Philippe tout joyeux.
Les soldats s'interrogent: Rester? S'en aller?
«Le chef nous a dit de surveiller...»
«Qui? L'Homme? Mais pour Lui, nous pourrions jouer aux dés une amphore de vin de Chypre» dit
Scipion, le soldat qui auparavant défendait Jésus auprès de son compagnon.
«Moi, je dirais que c'est Lui qui a besoin qu'on le protège, pas le droit de Rome! Vous le voyez
là-bas? Parmi nos dieux, il n'y en a aucun de si doux et pourtant d'aspect si viril. Cette racaille n’est
pas digne de le posséder, et les indignes sont toujours mauvais. Restons pour le protéger. A
l'occasion, nous le tirerons d'affaire et nous caresserons les épaules de ces galériens» dit un autre.
Son intervention est un mélange de moquerie et d'admiration.
«Tu parles bien, Pudens. D'ailleurs Azio, va appeler Procore le chef. Il rêve toujours de complots
contre Rome et... d'avancement pour lui, pour récompenser son activité toujours en éveil pour le
salut du divin César et de la déesse Rome, mère et maîtresse du monde. Il se persuadera qu'ici il
n'acquerra pas de brassard ni de couronne.»
Un jeune soldat part en courant et revient de même en disant: «Procore ne vient pas. Il envoie le
triaire Aquila ... »
«Bien! Bien! Mieux vaut lui que Cecilius Maximus lui-même. Aquila a servi en Afrique, en Gaule,
et il a été dans les forêts cruel-
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les qui nous ont enlevé Varus et ses légions. Il connaît les grecs et les bretons et il a
un bon flair pour s'y reconnaître... Oh! Salut! Voilà le glorieux Aquila! Viens,
apprends-nous, à nous misérables, à connaître la valeur des êtres!»
«Vive Aquila, chef des troupes!» crient tous les soldats en donnant des tapes
affectueuses au vieux soldat, dont on ne compte plus les cicatrices sur le visage, les
bras et les mollets nus.
Lui sourit d'un air débonnaire et il s'écrie: «Vive Rome, maîtresse du monde! Pas moi, pauvre
soldat. Qu'y a-t-il donc?»
«Il faut surveiller cet homme grand et qui est blond comme le cuivre le plus clair.»
«Bien! Mais qui est-ce?»
«Ils l'appellent le Messie. Il s'appelle Jésus et il est de Nazareth. C'est celui, sais-tu, pour qui on a
transmis l'ordre...»
«Hum! Peut-être... Mais il me semble que nous courons après les nuages.»
«Ils disent qu'il veut se faire roi et supplanter Rome. Il a été dénoncé par le Sanhédrin, et les
pharisiens, les sadducéens, les hérodiens, à Ponce. Tu sais que les hébreux ont ce ver dans le crâne
et, de temps à autre, il en sort un roi...?»
«Oui, oui... Mais si c'est pour cela!... De toutes façons écoutons ce qu'il dit. Il me semble qu'il se
dispose à parler.»
«J'ai su par un soldat qui est avec le centurion que Publius Quintilianus lui en a parlé comme d'un
philosophe divin... Les femmes impériales en sont enthousiastes...» dit un autre soldat, qui est jeune.
«Je le crois! J'en serais enthousiaste moi aussi si j'étais une femme et je le voudrais dans mon lit...»
dit en riant franchement un autre jeune soldat.
«Tais-toi, impudique! La luxure te dévore!» plaisante un autre.
«Et toi pas, Fabius! Anne, Sira, Alba, Marie...»
«Tais-toi, Sabin. Il parle et je veux écouter» commande le triaire, et tous se taisent.
Jésus est monté sur une caisse installée contre un mur, il est donc bien visible pour tout le monde.
Son doux salut s'est déjà répandu dans l’air et il a été suivi par les paroles: «Enfants d'un unique
Créateur, écoutez» puis, dans le silence attentif des gens, il continue.
«Le Temps de la Grâce est venu pour tous, non seulement pour Israël, mais pour le monde entier.
Hébreux, qui vous trouvez ici pour diverses raisons, prosélytes,
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phéniciens, gentils, écoutez tous la Parole de Dieu, comprenez la Justice, connaissez
la Charité. Possédant la Sagesse, la Justice et la Charité, vous aurez le moyen d'arriver
au Royaume de Dieu, à ce Royaume qui n’est pas réservé aux seuls fils d'Israël, mais
à tous ceux qui désormais aimeront le Vrai, l'Unique Dieu et croiront à la parole de
son Verbe.
Ecoutez. Je suis venu de si loin non pas avec des visées d'usurpateur, ni avec la
violence de conquérant. Je suis venu seulement pour être le Sauveur de vos âmes. La
puissance, la richesse, les charges ne me séduisent pas. Elles ne sont rien pour Moi, et
je ne les regarde même pas. Ou plutôt, je les regarde pour en avoir pitié parce qu'elles
me font pitié, car ce sont autant de chaînes pour retenir prisonnier votre esprit, en
l'empêchant de venir au Seigneur Eternel, Unique, Universel, Saint et Béni. Je les
regarde et les approche comme les plus grandes misères. Et je cherche à guérir les
hommes de leurs fascinantes et cruelles tromperies qui séduisent les fils de l'homme,
pour qu'ils puissent en user avec justice et sainteté, non comme des armes cruelles qui
blessent et tuent l'homme, et toujours pour commencer l'esprit de ceux qui ne savent
pas en user saintement.
Mais, en vérité, je vous dis que pour Moi il est plus facile de guérir un corps
difforme qu'une âme difforme, il est plus facile de donner la lumière à des pupilles
éteintes, la santé à un corps qui meurt, que de donner la lumière aux esprits et la santé
aux âmes malades. Pourquoi cela? Parce que l'homme a perdu de vue la fin véritable
de sa vie et se laisse absorber par ce qui est transitoire. L'homme ne sait pas ou ne se
souvient pas, ou s'il se souvient, il ne veut pas obéir à cette sainte injonction du
Seigneur et, je parle aussi pour les gentils qui m'écoutent, de faire le Bien, car le Bien
existe à Rome comme à Athènes, en Gaule comme en Afrique, car la loi morale existe
sous tous les cieux, dans toute religion, dans tout coeur droit. Et les religions, depuis
celle de Dieu jusqu'à celle de la morale isolée, disent que ce qu'il y a de meilleur en
nous survit et que c'est selon comme il se sera comporté que son sort sera fixé de
l'autre côté.
La fin de l'homme est donc la conquête de la paix dans l'autre vie, non pas la bombance, l'usure, la
domination, le plaisir, ici-bas, pour un temps limité, qu'il faut payer pendant l'éternité, par des
tourments très durs. Eh bien, l'homme ne sait pas, ou ne se rappelle pas, ou ne veut pas se rappeler,
cette vérité. S'il ne la connaît pas, il est moins coupable. S'il ne s'en souvient pas, il a une cer-
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taine culpabilité, car il faut garder la vérité allumée comme un saint flambeau dans les
esprits et dans les coeurs. Mais, s'il ne veut pas s'en souvenir et si, quand elle flambe,
il ferme les yeux pour ne pas la voir, en la haïssant comme la voix d'un rhéteur
pédant, alors sa faute est grave, très grave.
Et pourtant Dieu lui pardonne, si l'âme répudie sa mauvaise façon d'agir et se
propose de poursuivre, pour le reste de sa vie, la vraie fin de l'homme qui est de
conquérir la paix éternelle dans le Royaume du vrai Dieu. Avez-vous jusqu'à
maintenant suivi une mauvaise route? Avilis, pensez-vous qu'il soit trop tard pour
prendre le bon chemin? Est-ce que, désolés, vous dites: "Je ne savais rien de tout cela!
Et maintenant je suis ignorant et je ne sais pas m'y prendre"? Non, ne pensez pas qu'il
en soit comme des choses matérielles et qu'il faut beaucoup de temps et de peine pour
refaire ce qui a déjà été fait, mais avec sainteté. La bonté de l'Eternel, le Véritable
Seigneur Dieu, est telle qu'Il ne vous fait certainement pas parcourir de nouveau à
rebours le chemin déjà fait, pour vous ramener au carrefour où vous, en errant, avez
quitté le bon sentier pour le mauvais. Elle est si grande que du moment où vous dites:
"Je veux appartenir à la Vérité", c'est-à-dire à Dieu parce que Dieu est Vérité, Dieu,
par un miracle tout spirituel, verse en vous la Sagesse par laquelle d'ignorants vous
devenez possesseurs de la Science surnaturelle, comme ceux qui depuis des années la
possèdent.
La Sagesse c'est vouloir Dieu, aimer Dieu, cultiver l'esprit, tendre au Royaume de
Dieu en répudiant tout ce qui est chair, monde et Satan. La Sagesse c'est obéir à la Loi
de Dieu qui est loi de Charité, d'Obéissance, de Continence, d'Honnêteté. La Sagesse
c'est aimer Dieu avec tout soi-même, aimer le prochain comme nous-mêmes. Ce sont
les deux éléments indispensables pour être sages de la Sagesse de Dieu. Et dans notre
prochain, il n'y a pas seulement ceux de notre sang ou de notre race et de notre
religion, mais tous les hommes riches ou pauvres, sages ou ignorants, hébreux,
prosélytes, phéniciens, grecs, romains...»
Jésus est interrompu par des cris menaçants de certains forcenés.
Il les regarde et il dit: «Oui, cela c'est l'amour. Je ne suis pas un maître servile. Je
dis la vérité, car c'est ainsi que je dois faire pour semer en vous ce qui est nécessaire
pour la Vie éternelle. Que cela vous plaise ou non, je dois vous le dire pour faire mon
devoir de Rédempteur. A vous de faire le vôtre de besogneux de la Rédemption.
Aimez donc le prochain, tout le prochain, d'un amour saint.
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Non pas d'un louche concubinage d'intérêts pour lequel est "anathème" le romain, le
phénicien ou le prosélyte ou vice versa, tant que ne se mêlent pas la sensualité ou
l'argent, alors que s'il y a soif de sensualité ou intérêt d'argent les "anathèmes"
disparaissent...»
Une autre rumeur de la foule alors que les romains, de leur place dans l'atrium,
s'écrient: «Par Jupiter! Il parle bien celui-ci!»
Jésus laisse la rumeur se calmer et reprend: «Aimer le prochain comme nous voudrions être aimés.
Car cela ne nous fait pas plaisir d'être maltraités, vexés, volés, opprimés, calomniés, insultés. Les
autres ont la même susceptibilité nationale ou personnelle. Ne faisons donc pas le mal que nous ne
voudrions pas réciproquement qu'il nous fût fait.
La Sagesse c'est d'obéir aux dix Commandements de Dieu: "Je suis le Seigneur ton Dieu. N’en aie
pas d'autre en dehors de Moi. N'aie pas d'idoles, ne leur rends pas un culte.
N'emploie pas le Nom de Dieu en vain. C'est le Nom du Seigneur, ton Dieu, et Dieu punira celui qui
s'en sert sans raison, ou pour des imprécations, ou pour valider un péché.
Souviens-toi de sanctifier les fêtes. Le sabbat est sacré pour le Seigneur qui s'y reposa de la
Création, et l'a béni et sanctifié.
Honore ton père et ta mère afin de vivre en paix longuement sur la terre et éternellement dans le
Ciel.
Ne tue pas.
Ne commets pas l'adultère.
Ne vole pas.
Ne parle pas faussement contre ton prochain.
Ne désire pas la maison, la femme, le serviteur, la servante, le boeuf, l'âne de ton prochain, ni autre
chose qui lui appartienne".
Cela, c'est la Sagesse. Celui qui fait cela est sage et il conquiert la Vie et le Royaume sans fin. Donc
à partir d'aujourd'hui, proposez-vous de vivre selon la Sagesse en la faisant passer avant les pauvres
choses de la terre.
Que dites-vous? Parlez. Vous dites qu'il est tard? Non. Ecoutez une parabole.
Un maître sortit au point du jour pour engager des travailleurs pour sa vigne et il convint avec eux
d'un denier pour la journée.
Il sortit de nouveau à l'heure de tierce et, réfléchissant que les travailleurs engagés étaient peu
nombreux, voyant d'autre part sur la place des travailleurs désoeuvrés qui attendaient qu'on les
embauche, il les prit et il leur dit: "Allez à ma vigne, et je vous don-
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nerai ce que j'ai promis aux autres". Et ils y allèrent.
Il sortit à sexte et à none et il en vit d'autres encore et il leur dit: "Voulez-vous
travailler dans mon domaine? Je donne un denier par jour à mes travailleurs". Ces
derniers acceptèrent et ils y allèrent.
Il sortit enfin vers la onzième heure et il en vit d'autres qui paressaient au coucher du soleil. "Que
faites-vous, ainsi oisifs? N'avez-vous pas honte de rester à rien faire pendant tout le jour?" leur
demanda-t-il. "Personne ne nous a embauchés pour la journée. Nous aurions voulu travailler et
gagner notre nourriture, mais personne ne nous a appelés à sa vigne". "Eh bien, je vous embauche
pour ma vigne. Allez et vous aurez le salaire des autres". Il parla ainsi, car c'était un bon maître et il
avait pitié de l'avilissement de son prochain.
Le soir venu et les travaux terminés, l'homme appela son intendant et lui dit: "Appelle les
travailleurs, et paie-leur leur salaire selon ce que j'ai fixé, en commençant par les derniers qui sont
les plus besogneux, n'ayant pas eu pendant la journée la nourriture que les autres ont eue une ou
plusieurs fois et qui, même par reconnaissance pour ma pitié, ont travaillé plus que tous. Je les ai
observés; renvoie-les, pour qu'ils aillent au repos qu'ils ont bien mérité et pour jouir avec les leurs
du fruit de leur travail". Et l'intendant fit ce que le maître ordonnait en donnant à chacun un denier.
Vinrent en dernier ceux qui travaillaient depuis la première heure du jour. Ils furent étonnés de ne
recevoir, eux aussi, qu'un seul denier, et ils se plaignirent entre eux et à l'intendant qui leur dit: "J'ai
reçu cet ordre. Allez vous plaindre au maître et pas à moi". Ils s'y rendirent et ils dirent: "Voilà, tu
n’es pas juste! Nous avons travaillé douze heures, d'abord à la rosée et puis au soleil ardent et puis
de nouveau dans l'humidité du soir, et tu nous a donné le même salaire qu'à ces paresseux qui n’ont
travaillé qu'une heure!... Pourquoi cela?" Et l'un d'eux, surtout, élevait la voix en se déclarant trahi
et indignement exploité.
"Ami, en quoi t'ai-je fait tort? De quoi ai-je convenu avec toi à l'aube? Une
journée de travail continu pour un denier de salaire. N’est-ce pas?"
"C'est vrai. Mais tu as donné la même chose à ceux qui ont si peu travaillé..."
"N'as-tu pas accepté ce salaire qui to paraissait convenable?"
"Oui, j'ai accepté, parce que les autres donnaient encore moins".
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"As-tu été maltraité ici par moi?"
"Non, en conscience, non".
"Je t'ai accordé un long repos pendant le jour et la nourriture, n’est-ce pas? Je t'ai donné trois repas.
Et on n'était pas convenu de la nourriture et du repos. N’est-ce pas?"
"Oui, ils n'étaient pas convenus."
"Pourquoi alors les as-tu acceptés?"
"Mais... Tu as dit: 'Je préfère agir ainsi pour que vous ne soyez pas trop lassés en revenant chez
vous'. Et cela nous semblait trop beau... Ta nourriture était bonne, c'était une économie, c'était..."
"C'était une faveur que je vous faisais gratuitement et personne ne pouvait y prétendre. N’est-ce
pas?"
"C'est vrai".
"Je vous ai donc favorisés. Pourquoi vous lamentez-vous? C'est moi qui devrais me plaindre de
vous qui, comprenant que vous aviez affaire à un bon maître, vous travailliez nonchalamment alors
que ceux qui étaient venus après vous, avec le bénéfice d'un seul repas, et les derniers sans repas,
travaillaient avec plus d'entrain faisant en moins de temps le même travail que vous avez fait en
douze heures. Je vous aurais trahis si, pour payer ceux-ci, je vous avais enlevé la moitié de votre
salaire. Pas ainsi. Prends donc ce qui te revient et va-t-en. Voudrais-tu venir chez moi pour
m'imposer tes volontés? Moi, je fais ce que je veux et ce qui est juste. Ne sois pas méchant et ne me
porte pas à l'injustice. Je suis bon".
O vous tous qui m'écoutez, je vous dis en vérité que Dieu le Père propose à tous les hommes les
mêmes conditions et promet un même salaire. Celui qui avec zèle se met au service du Seigneur
sera traité par Lui avec justice, même s'il n'a pas beaucoup travaillé à cause de l'imminence de sa
mort. En vérité je vous dis que ce ne sont pas toujours les premiers qui seront les premiers dans le
Royaume des Cieux, et que là-haut on verra de ceux qui étaient les derniers devenir les premiers et
d'autres qui étaient les premiers être les derniers. Là on verra beaucoup d'hommes, qui
n'appartiennent pas à Israël, plus saints que beaucoup d'Israël. Je suis venu appeler tout le monde,
au nom de Dieu. Mais si les appelés sont nombreux, peu nombreux sont les choisis, car peu
nombreux sont ceux qui veulent la Sagesse.
N'est pas sage celui qui vit du monde et de la chair, et non pas de Dieu. Il n'est pas sage, ni pour la
terre, ni pour le Ciel. Car sur la terre il s'attire des ennemis, des punitions, des remords. Et pour le
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Ciel, il perd tout pour l'éternité.
Je répète: soyez bons avec le prochain quel qu'il soit. Soyez obéissants, en laissant à Dieu le soin de
punir celui qui donne des ordres injustes. Soyez continents en sachant résister aux sens, honnêtes en
résistant à l’or. Soyez cohérents pour dire anathème à ce qui le mérite et à le refuser quand la chose
vous semble juste, quitte ensuite à établir des relations avec ceux dont vous aviez d'abord maudit
l'idée. Ne faites pas aux autres ce que vous ne vous ne voudriez pas qu'il vous soit fait, et alors...»
«Mais va-t-en, ennuyeux prophète! Tu nous a gâté le marché!... Tu nous as enlevé les clients!...»
crient les marchands en faisant irruption dans la cour... Et ceux qui avaient murmuré dans la cour
aux premiers enseignements de Jésus - ce n'était pas seulement des phéniciens mais aussi des
hébreux qui se trouvent dans la ville, pour je ne sais quel motif - s'unissent aux marchands pour
insulter et menacer et surtout pour le chasser... Jésus ne plaît pas parce qu'il ne pousse pas au mal...
Il croise les bras et regarde, attristé, solennel.
Les gens, divisés en deux partis, en viennent aux mains pour défendre ou attaquer le Nazaréen.
Insultes, louanges, malédictions, bénédictions, des apostrophes: «Ils ont raison les pharisiens. Tu es
vendu à Rome, l'ami des publicains et des courtisanes», ou par contre: «Taisez-vous,
blasphémateurs! C'est vous qui êtes vendus à Rome, phéniciens d'enfer!» «Vous êtes des Satans!»
«Que l'Enfer vous engloutisse!» «Hors d'ici! Hors d'ici!» «Hors d'ici, voleurs qui venez faire le
marché ici, usuriers» et cætera.
Les soldats interviennent en disant: «Ce n’est pas Lui qui met le trouble! Il le subit!» Et avec leurs
lances ils font évacuer la cour et ferment le portail.
Il reste avec Jésus les trois frères prosélytes et les six disciples.
«Mais comment vous est-il venu à l'idée de le faire parler?» demande le triaire aux trois frères.
«Il y en a tant qui parlent!» répond Elie.
«Oui. Et il n'arrive rien car ils enseignent ce qui plait à l'homme. Mais ce n’est pas cela que Lui
enseigne, et ils ne le digèrent pas...» Le vieux soldat regarde avec attention Jésus qui est descendu
de sa place et qui est debout, comme abstrait.
Au dehors la foule est toujours en effervescence. Aussi on fait sortir d'autres troupes de la caserne et
avec elles le centurion en personne. Ils frappent et se font ouvrir, alors que d'autres restent pour
repousser aussi bien ceux qui crient: «Vive le Roi d'Israël!»,
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que ceux qui le maudissent.
Le centurion s'amène inquiet et, en colère, s'en prend au vieil Aquila: «C'est ainsi
que tu fais respecter Rome, toi? En laissant acclamer un roi étranger sur une terre
soumise?»
Le vieux soldat salue avec froideur et répond: «Il enseignait le respect et l'obéissance et il parlait
d'un royaume qui n’est pas de cette terre. C'est pour cela qu'ils le haïssent. Car il est bon et
respectueux. Je n'ai pas trouvé motif d'imposer le silence à quelqu'un qui n'attaquait pas notre loi.»
Le centurion se calme et bougonne: «Alors c'est une nouvelle sédition de cette
infecte racaille... C'est bien. Donnez l'ordre à l'homme de s'en aller immédiatement. Je
ne veux pas d'histoires, ici. Obéissez et escortez-le hors de la ville dès que le chemin
sera libre. Qu'il aille où il Lui plaira, aux enfers s'il le veut, mais qu'il sorte de ma
juridiction. Compris?»
«Oui. Nous le ferons.»
Le centurion tourne le dos en faisant briller sa cuirasse et ondoyer son manteau pourpre, et il s'en va
sans même regarder Jésus.
Les trois frères disent au Maître: «Nous sommes désolés...»
«Ce n'est pas votre faute. Et ne craignez pas, vous n'en éprouverez pas de mal. C'est Moi qui vous le
dis...»
Les trois changent de couleur... Philippe dit: «Comment connais-tu notre peur?»
Jésus sourit doucement, un rayon de soleil sur son visage attristé: «Je sais ce qu'il y a dans les
coeurs et je connais l'avenir.»
Les soldats, en attendant, se sont mis au soleil. Ils lorgnent, commentent...
«Comment donc pourraient-ils nous aimer, s'ils le détestent Lui qui ne les opprime pas?»
«Et qui fait des miracles, devrais-tu dire...»
«Par Hercule! Quel est celui de nous qui est allé prévenir qu'il y avait un suspect?»
«C'est Caïus!»
«Celui qui fait du zèle! En attendant, nous avons manqué la soupe et je prévois que je vais perdre le
baiser d'une fillette!... Ah!»
«Epicurien! Où est ta belle?»
«Je ne to le dirai sûrement pas à toi, ami!»
«Elle est derrière le potier, du côté des Fondations. Je le sais. Je t'ai vu, il y a quelques soirs...» dit
un autre.
Le triaire, comme s'il passait, va vers Jésus et Lui tourne autour,
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il le regarde, le regarde. Il ne sait que dire... Jésus lui sourit pour l'encourager.
L'homme ne sait que faire... Mais il s'approche davantage. Jésus montre les cicatrices:
«Toutes des blessures? Tu es un preux et un fidèle, alors...»
Le vieux soldat rougit à ce compliment.
«Tu as beaucoup souffert pour I'amour de ta Patrie et de ton empereur... Ne voudrais-tu pas souffrir
un peu pour une plus grande Patrie: le Ciel? Pour un Empereur éternel: Dieu?»
Le soldat secoue la tête et il dit: «Je suis un pauvre païen, mais il n’est pas dit que je n’arrive pas
moi aussi à la onzième heure. Mais qui va m'instruire? Tu vois!... Ils te chassent. Et ce sont des
blessures qui font mat, pas les miennes!... Moi, au moins, je les ai rendues aux ennemis. Mais Toi,
que donnes-tu à ceux qui te blessent?»
«Le pardon, soldat. Le pardon et l'amour.»
«Moi, j'ai raison. Le soupçon qu'ils font peser sur Toi est stupide. Adieu, galiléen.»
«Adieu, romain.»
Jésus reste seul jusqu'à ce que les frères et les disciples reviennent avec des vivres. Les frères en
offrent aux soldats pendant que les disciples en offrent à Jésus. Ils mangent sans appétit, au soleil,
pendant que les soldats mangent et boivent joyeusement.
Puis un soldat sort pour regarder sur la place silencieuse. «Nous pouvons aller» crie-t-il. «Ils sont
tous partis. Il n'y a plus que les patrouilles.»
Jésus se lève docilement, il bénit et réconforte les trois frères auxquels il donne un rendez-vous pour
la Pâque au Gethsémani, et il sort, encadré par les soldats avec ses disciples humiliés qui viennent
par derrière et ils suivent la route vide jusqu'à la campagne.
«Salut, galiléen» dit le triaire.
«Adieu, Aquila. Je t’en prie: ne faites pas de mal à Daniel, Elie et Philippe. C'est Moi seul le
coupable. Dis-le au centurion.»
«Je ne vais rien dire. A cette heure, il ne s'en souvient même plus, et les trois frères nous fournissent
un bon ravitaillement, spécialement de ce vin de Chypre que le centurion aime plus que la vie. Sois
tranquille. Adieu.»
Ils se séparent. Les soldats repassent les portes. Jésus et les siens se dirigent vers l’est, à travers la
campagne silencieuse.
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Jésus s'achemine à travers une région très montagneuse. Ce ne sont pas des hautes
montagnes mais une succession de montées et de descentes de collines et une quantité
de torrents, joyeux en cette fraîche et nouvelle saison, limpides comme le ciel, jeunes
comme les premières feuilles de plus en plus nombreuses sur les branches.
Mais bien que la saison soit belle, joyeuse, capable de soulager le coeur, il ne semble pas que Jésus
ait l'esprit très soulagé et encore moins que Lui les apôtres. Ils vont très silencieux dans le fond
d'une vallée. Des bergers et des troupeaux seulement se présentent à leurs yeux, mais Jésus ne paraît
même pas les voir.
C'est le soupir découragé de Jacques de Zébédée et ses paroles inattendues, fruit d'une réflexion
soucieuse, qui attirent l'attention de Jésus... Jacques dit: «Et défaites sur défaites!... Il semble que
nous soyons des maudits...»
Jésus lui met la main sur l'épaule: «Ne sais-tu pas que c'est le sort des meilleurs?»
«Hé! je le sais depuis que je suis avec Toi! Mais de temps à autre, il faudrait quelque chose de
différent, et avant nous l'avions, pour remonter notre coeur et notre foi...»
«Tu doutes de Moi, Jacques?» Quelle douleur fait trembler la voix du Maître!
«Non!...» Le «non» n'est pas très assuré, en vérité.
«Mais pour ce qui est de douter, tu doutes. De quoi, alors? Tu ne m'aimes plus comme autrefois? De
me voir chassé, ridiculisé, ou même seulement laissé de côté sur ces confins phéniciens, a-t-il
affaibli ton amour?» Des pleurs tremblent dans les paroles de Jésus, bien qu'il n'y ait pas de sanglots
ni de larmes. C'est vraiment son âme qui pleure.
«Pour cela non, mon Seigneur! Au contraire mon amour pour Toi augmente quand je te vois
incompris, récusé, humilié, affligé. Et pour ne pas te voir ainsi, pour pouvoir changer le coeur des
hommes, je serais prêt à donner ma vie en sacrifice. Tu dois me croire. Ne me brise pas le coeur,
déjà si affligé, en pensant que tu doutes de mon amour. Autrement... Autrement je tomberais dans
des excès. Je reviendrais en arrière, et j'exercerais une vengeance contre celui qui t'afflige, pour te
prouver que je t'aime, pour t'enlever ce doute, et si j'étais pris et tué cela ne m'importerait en rien. Il
me suffirait de t'avoir donné une preuve d'amour.»
117
«Oh! fils du tonnerre! D'où te vient cette véhémence? Veux-tu donc être une
foudre exterminatrice?» Jésus sourit de la fougue et des projets de Jacques.
«Oh! au moins je te vois sourire! C'est déjà un fruit de mes projets. Qu'en dis-tu, Jean? Devons-nous
mettre en pratique ce que je pense pour soulager le Maître humilié par tant de refus?»
«Oh! oui. Allons et mettons-nous à parler. Et s'ils l'insultent encore comme un roi de paroles, un roi
de comédie, un roi sans argent, un roi fou, frappons dur pour qu'ils s'aperçoivent que le roi a aussi
une armée de fidèles et qu'ils ne sont pas disposés à le laisser mépriser. La violence est utile en
certaines choses. Allons, frère!»
«Mais écoutez-les! Et Moi, qu'ai-je prêché pendant tant de temps? Oh! surprise des surprises!
Même Jean, ma colombe, est devenu un épervier! Regardez-le, vous, comme il est laid, troublé,
ébouriffé, déformé par la haine! Oh! honte! Et vous vous étonnez que des phéniciens restent
indifférents, que des hébreux soient haineux, que des romains m'intiment l'expulsion, quand vous,
les premiers, vous n'avez encore rien compris depuis deux années que vous êtes avec Moi, quand
vous êtes devenus fiel par la haine que vous avez dans le coeur, quand vous rejetez de votre coeur
ma doctrine d'amour et de pardon, quand vous l'expulsez comme une sottise, et accueillez comme
une bonne alliée la violence! Oh! Père Saint! Cela, oui, c'est une défaite! Au lieu d'être comme
autant d'éperviers qui aiguisent leurs becs et leurs griffes, ne vaudrait-il pas mieux que vous soyez
des anges qui prient le Père de donner le réconfort à son Fils? Quand donc a-t-on vu un orage faire
du bien par ses foudres et sa grêle? Eh bien, en souvenir de ce péché que vous avez commis contre
la Charité, en souvenir du moment où j'ai vu affleurer sur votre visage l'animal-homme au lieu de
l'homme-ange, que je veux toujours voir en vous, je vais vous surnommer "les fils du tonnerre".»
Jésus est mi-sérieux quand il parle aux fils de Zébédée tout enflammés. Mais ses reproches ne
durent pas devant leur repentir et, avec un visage que l'amour rend lumineux, il les serre contre son
coeur en disant: «Et plus jamais, mauvais comme cela. Et merci pour votre amour. Et aussi pour le
vôtre, amis» dit-il en s'adressant à André, Mathieu et les deux cousins. «Venez ici que je vous
embrasse vous aussi. Mais ne savez-vous pas que si je n'avais pas d'autre joie que celle de faire la
volonté de mon Père et votre amour, je serais toujours heureux même si le monde entier me
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souffletait? Je suis triste, non pas pour Moi, pour mes défaites, comme vous dites,
mais par pitié pour les âmes qui repoussent la Vie. Voilà, maintenant nous sommes
tous contents, n’est-ce pas, grands enfants que vous êtes? Alors, allons. Allez trouver
ces bergers qui sont en train de traire le troupeau et demandez un peu de lait, au nom
de Dieu. N'ayez pas peur» dit-il en voyant l’air désolé des apôtres. «Obéissez avec foi.
Vous aurez du lait et non des coups de bâton, même si l'homme est phénicien».
Et les six s'en vont alors que Jésus les attend sur la route. Et il prie pendant ce
temps, le Jésus affligé dont personne ne veut... Les apôtres reviennent avec un petit
seau de lait et ils disent: «L'homme a dit que tu ailles là-bas, il doit te parler, mais il
ne peut laisser les chèvres capricieuses aux petits bergers.»
Jésus dit: «Alors allons manger leur pain.»
Et ils vont tous sur la pente sur laquelle s'accrochent les chèvres capricieuses.
«Je te remercie du lait que tu m'as donné. Que veux-tu de Moi?»
«Tu es le Nazaréen, n’est-ce pas? Celui qui fait des miracles?»
«Je suis celui qui prêche le Salut Eternel. Je suis le Chemin pour aller au Dieu Vrai, la Vérité qui se
donne, la Vie qui vous vivifie. Je ne suis pas un sorcier qui fait des prodiges. Ceux-ci sont les
manifestations de ma bonté et de votre faiblesse, qui a besoin de preuves pour croire. Mais que
veux-tu de Moi?»
«Voilà... Tu étais il y a deux jours à Alexandroscène?»
«Oui. Pourquoi?»
«Moi aussi j'y étais avec mes chevrettes et quand j'ai compris qu'il y avait de la bagarre j'ai filé,
parce qu'on a l'habitude de les provoquer pour voler ce qui se trouve sur les marchés. Ce sont tous
des voleurs: les phéniciens... comme les autres. Je ne devrais pas le dire car mon père était prosélyte
et ma mère syrienne, prosélyte moi aussi. Mais c'est la vérité. Bien. Revenons à notre récit. Je
m'étais mis dans une étable avec mes bêtes, en attendant le char de mon fils. Et le soir, au sortir de
la ville, j'ai rencontré une femme en pleurs avec une fillette dans les bras. Elle avait fait huit milles
pour venir vers Toi, parce qu'elle habite hors de la ville, dans la campagne. Je lui ai demandé ce
qu'elle avait. C'est une prosélyte. Elle était venue pour vendre et acheter. Elle avait entendu parler
de Toi. Et l'espoir lui était venu au coeur. Elle était accourue à la maison. Elle avait pris sa fillette.
Mais avec un fardeau, on marche lentement! Quand elle fut au magasin des frères, tu n'y étais plus.
Eux, les frères, lui ont dit: "Ils l'ont chassé. Mais il nous a dit hier
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soir qu'il refera les escales de Tyr". Moi - je suis père moi aussi - je lui ai dit: "Et alors
va là-bas". Mais elle m'a répondu: "Et, si après ce qui est arrivé, il passe par d'autres
chemins pour retourner en Galilée?". Je lui ai dit: "Oh! écoute. Ce sera une des deux
routes des frontières. Moi, je fais paître mes troupeaux entre Rohob et Lesemdan,
justement sur la route des frontières entre ici et Nephtali. Si je le vois, je le Lui dis.
Parole de prosélyte". Et voilà je to l'ai dit.»
«Et que Dieu t'en récompense. J'irai trouver la femme. Je dois retourner à Aczib.»
«Tu vas à Aczib? Alors nous pourrons faire route ensemble si tu ne dédaignes pas un berger.»
«Je ne dédaigne personne. Pourquoi vas-tu à Aczib?»
«Parce que là, j'ai des agneaux. A moins que... je n'en aie plus.»
«Pourquoi?»
«Parce qu'il y a la maladie... Je ne sais pas si c'est de la sorcellerie ou autre chose. Je sais que mon
beau troupeau est devenu malade. C'est pour cela que j'ai amené ici les chèvres, qui sont encore
saines, pour les séparer des brebis. Ici vont rester mes deux fils. Maintenant ils sont à la ville pour
les commissions. Mais je retourne là... pour les voir mourir, mes belles brebis laineuses...»
L'homme soupire... Il regarde Jésus et il s'excuse: «Te parler à Toi, qui es Celui qui est, de ces
choses et t'affliger, Toi certainement déjà affligé de la façon dont ils te traitent, c'est de la sottise.
Mais les brebis, nous les aimons et c'est notre fortune, sais-tu?»
«Je comprends, mais elles vont guérir. Ne les as-tu pas fait voir à des gens qui s'y connaissent?»
«Oh! Ils m'ont tous dit la même chose: "Tue-les et vends leurs peaux. Il n'y a rien d'autre à faire" et
même ils m'ont menacé si je les fais sortir... Ils ont peur de la maladie pour les leurs. Je dois les
garder ainsi enfermées... et elles meurent en plus grand nombre. Ils sont méchants, tu sais? ceux de
Aczib...»
Jésus dit simplement: «Je le sais.»
«Moi, je dis qu'ils me les ont ensorcelées...»
«Non. Ne crois pas ces histoires... Quand tes fils vont venir, vas-tu partir tout de suite?»
«Tout de suite. Ils vont être ici dans un moment. Est-ce que ce sont tes disciples, eux? N'y a-t-il
qu'eux seuls?»
«Non, j'en ai encore d'autres.»
«Et pourquoi ne viennent-ils pas ici? Une fois, près de Méron, j'ai rencontré un groupe de ceux-ci.
Ils avaient à leur tête un berger.
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C'est ce qu'on disait. C'était un homme grand, robuste, qui s'appelait Elie. C'était en
octobre, me semble-t-il, avant ou après les Tabernacles. Maintenant il t'a quitté?»
«Aucun disciple ne m'a quitté.»
«On m'avait dit que...»
«Quoi?»
«Que tu... que les pharisiens... En somme que les disciples t'avaient quitté par peur, et parce que tu
étais un...»
«Un démon. Dis-le simplement. Je le sais. Double mérite pour toi, qui crois malgré cela.»
«Et pour ce mérite, ne pourrais-tu pas... mais peut-être je demande une chose sacrilège...»
«Dis-la. Si elle est mauvaise, je te le dirai.»
«Ne pourrais-tu pas, en passant, bénir mon troupeau?» l'homme est tout angoissé...
«Je vais bénir ton troupeau. Celui-ci...» et il lève la main pour bénir les chèvres éparses, «...et celui
des brebis. Crois-tu que ma bénédiction les sauve?»
«Comme tu sauves les hommes des maladies, ainsi tu pourras sauver les bêtes. On dit que tu es le
Fils de Dieu. Les brebis, c'est Dieu qui les a créées. Ce sont donc des choses du Père. Moi... je ne
savais pas s'il était respectueux de te le demander. Mais si c'est possible, fais-le, Seigneur, et je
porterai au Temple de grandes offrandes de louange. Ou plutôt, non! Je te les donnerai pour les
pauvres et ce sera mieux.»
Jésus sourit et se tait. Les fils du berger arrivent, et peu après Jésus avec les siens et le vieux berger
partent, en laissant les jeunes gens à la garde des chèvres.
Ils marchent rapidement, dans l'intention d'arriver vite à Cédès pour en sortir aussitôt en essayant de
rejoindre la route qui va de la mer vers l'intérieur. Ce doit être la même, qui bifurque au pied du
promontoire, qu'ils ont faite en allant à Alexandroscène. Du moins c'est ce que je comprends d'après
les conversations du berger avec les disciples. Jésus est en avant tout seul.
«Mais n'aurons-nous pas d'autres ennuis?» demande Jacques d'Alphée.
«Cédès ne dépend pas de ce centurion. Elle est hors des frontières phéniciennes. Les centurions, il
suffit de ne pas les piquer, ils se désintéressent de la religion.»
«Et puis nous ne nous y arrêtons pas...»
«Arriverez-vous à faire plus de trente milles en un jour?»
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demande le berger.
«Oh! nous sommes des pèlerins perpétuels!»
Ils marchent sans arrêt... Ils arrivent à Cédès et la dépassent sans incidents. Ils
prennent la route directe. Sur la borne est indiquée Aczib. Le berger la montre en
disant: «Demain, nous y serons. Cette nuit, vous viendrez avec moi. Je connais des
paysans des vallées, mais beaucoup sont dans les frontières phéniciennes... C'est bien!
Nous sortirons des frontières, et sûrement on ne nous découvrira pas tout de suite...
Oh! la surveillance! Il vaudrait mieux l'exercer pour les voleurs!...»
Le soleil tombe et les vallées n'aident certainement pas à garder sa lumière,
boisées comme elles le sont. Mais le berger est au courant et il va avec assurance.
Ils arrivent à un petit village, exactement une poignée de maisons.
«S'ils nous donnent l'hospitalité ici, ce sont des israélites. Nous sommes vraiment sur les frontières.
S'ils ne veulent pas de nous, nous irons dans un autre village qui est phénicien.»
«Je n'ai pas de préventions, homme.»
Ils frappent à une maison.
«Toi, Anna? Avec des amis? Viens, viens et que Dieu soit avec toi» dit une femme très âgée.
Ils entrent dans une vaste cuisine que réjouit un grand feu. Une famille nombreuse de tous les âges,
est réunie à table, mais courtoisement fait place à ceux qui viennent d'arriver.
«Voici Jonas. Voilà sa femme, ses enfants, ses petits-enfants et les belles-filles. Une famille
patriarcale, fidèle au Seigneur» dit le berger Anna à Jésus. Et puis, se tournant vers le vieux Jonas:
«Et celui qui est avec moi, c'est le Rabbi d'Israël celui que tu désirais connaître.»
«Je bénis Dieu de Lui donner l'hospitalité et d'avoir de la place, ce soir. Et je bénis le Rabbi d'être
venu dans ma maison, et je demande sa bénédiction.»
Anna explique que la maison de Jonas est comme une auberge pour les pèlerins qui vont de la mer
vers l'intérieur.
Tous s'assoient dans la cuisine chaude et les femmes servent les nouveaux arrivés. Il y a un tel
respect qu'il en est paralysant. Mais Jésus détend la situation en prenant autour de Lui, tout de suite
après le repas, les nombreux enfants et en s'intéressant à eux qui tout de suite fraternisent. Et
derrière eux, dans le bref espace de temps qui sépare le souper du repos, les hommes de la maison
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s'enhardissent racontant ce qu'ils ont appris du Messie et demandant de nouveaux
détails. Et Jésus rectifie, confirme, explique avec bienveillance, dans une paisible
conversation, jusqu'à ce que pèlerins et gens de la famille aillent se reposer après que
Jésus les ait tous bénis.
Le lendemain du sabbat.
Jésus est réuni avec les six dans une pièce où il y a des lits très misérables, entassés les uns près des
autres. L'espace qui reste libre suffit à peine pour aller d'un bout à l'autre de la pièce. Ils mangent
leur nourriture plus que humble, assis sur les lits, car il n'y a pas de tables ni de sièges. Et Jean, à un
certain moment, va s'asseoir sur le bord de la fenêtre à la recherche du soleil. C'est ainsi qu'il voit le
premier ceux que l'on attend: Pierre, Simon, Philippe et Barthélemy qui se dirigent vers la maison.
Il les appelle et puis sort dehors, suivi de tous. Il ne reste que Jésus qui pour tout mouvement se lève
et se tourne pour regarder du côté de la porte...
Ceux qui viennent d'arriver entrent, et il est facile d'imaginer l'exubérance de Pierre, comme il est
facile de se représenter la révérence profonde de Simon le Zélote. Ce qui surprend, c'est l'attitude de
Philippe et surtout de Barthélemy. Ils entrent, je dirais comme craintifs, angoissés, et bien que Jésus
leur ouvre les bras pour échanger avec eux le baiser de paix déjà donné à Pierre et à Simon, eux
tombent à genoux et se penchent, le front jusqu'au sol, en baisant les pieds de Jésus et ils restent
ainsi... et les soupirs étouffés de Barthélemy montrent qu'il pleure silencieusement sur les pieds de
Jésus.
«Pourquoi cette angoisse, Barthélemy? Tu ne viens pas dans les bras du Maître? Et toi, Philippe,
pourquoi es-tu si craintif? Si je ne savais pas que vous êtes deux hommes honnêtes, dont le coeur ne
peut loger la malice, je devrais soupçonner que vous êtes coupables. Mais il n’en est pas ainsi.
Allons, donc! Il y a si longtemps que
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je désire votre baiser et de voir le regard limpide de vos yeux fidèles...»
«Nous aussi, Seigneur...» dit Barthélemy en levant son visage sur lequel brillent
des larmes. «Nous n’avons désiré que Toi, nous demandant en quoi nous pouvions
t'avoir déplu pour mériter de rester si longtemps séparés. Et cela nous paraissait une
chose injuste... Mais maintenant, nous savons... Oh! pardon, Seigneur! Nous te
demandons pardon. Moi surtout, parce que Philippe a été séparé de Toi à cause de
moi. Et à lui, je l'ai déjà demandé. C'est moi le seul coupable, moi, le vieil israélite si
dur à se renouveler, qui t'ai donné la douleur...»
Jésus se penche et le lève de force, et de même pour Philippe, et il les embrasse ensemble en disant:
«Mais de quoi t'accuses-tu? Tu n'as pas fait de mal. Aucun mal! Et Philippe non plus. Vous êtes
mes chers apôtres, et aujourd'hui je suis heureux de vous avoir avec Moi, réunis pour toujours...»
«Non, non... pendant longtemps nous avons ignoré le motif pour lequel tu t'es justement méfié de
nous, au point de nous exclure de ta famille apostolique. Mais maintenant nous le savons... et nous
te demandons pardon, pardon, pardon, moi surtout, Jésus, mon Maître...» Et Barthélemy le regarde
avec anxiété, avec amour, avec compassion. Agé comme il l’est, il semble un père qui regarde son
fils affligé, qui regarde son visage amaigri par une peine qu'il n’avait pas remarquée et dont tout
d'abord il n'avait pas vu l'amaigrissement, le vieillissement... Et de nouvelles larmes coulent sur les
joues de Barthélemy. Et il s'écrie: «Mais que t'ont-ils fait? Que nous ont-ils fait pour nous faire
souffrir tous ainsi? Il semble qu'un esprit mauvais soit entré parmi nous, pour nous troubler, nous
rendre tristes, affaiblis, apathiques, stupides... Stupides au point de ne pas comprendre que tu
souffrais... Au contraire, au point d'accroître tes souffrances par nos mesquineries, notre stupidité,
nos respects humains, notre vieille humanité... Oui, le vieil homme a triomphé en nous, toujours,
sans que ta Vitalité parfaite ait jamais pu nous renouveler. C'est cela, cela qui ne me donne pas la
paix! Avec tout mon amour je n'ai pas su me renouveler, et te comprendre, et te suivre... Ce n’est
que matériellement que je t'ai suivi... Mais Toi, tu voulais que nous te suivions spirituellement... et
que nous te comprenions dans ta perfection... pour devenir capables de te perpétuer... Oh! mon
Maître! Mon Maître qui t’en iras un jour, après tant de luttes, d'embûches, de dégoûts, de douleurs,
et avec la douleur de nous savoir encore non
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préparés!...» Et Barthélemy penche sa tête sur l'épaule de Jésus, et il pleure, vraiment
désolé, brisé par la conscience d'avoir été un disciple sans intelligence.
«Ne te laisse pas abattre, Nathanaël. Tu vois tout avec un grossissement qui te
surprend. Mais ton Jésus savait que vous étiez des hommes... et il n'exige rien de plus
que ce que vous pouvez donner. Oh! vous me donnerez tout, vraiment tout. Mais
maintenant vous devez croître, vous former... Et c'est un travail lent. Mais je sais
attendre, et je jouis de votre croissance car vous croissez continuellement dans ma
Vie. Même ton chagrin, même la concorde de ceux qui étaient avec Moi, même la
pitié qui succède à des duretés qui étaient votre nature, à des égoïsmes, des cupidités
spirituelles, même votre gravité actuelle, tout est phase de votre croissance en Moi.
Allons, donc! Reste en paix puisque je sais. Tout. Ton honnêteté, ta bonne foi, ta
générosité, ton sincère amour. Pourrais-je douter de mon sage Barthélemy et de
Philippe, si bien équilibré et fidèle? Ce serait faire tort à mon Père qui m'a accordé de
vous avoir parmi mes plus chers. Mais maintenant... Allons, assoyons-nous ici, et que
ceux qui se sont déjà reposés s'occupent des frères fatigués et affamés en leur donnant
une nourriture et repos. Et pendant ce temps, racontez à votre Maître et à vos frères ce
qu'ils ignorent.»
Et il s'assoit sur son lit avec à ses côtés Philippe et Nathanaël, alors que Pierre et Simon s'assoient
sur le lit voisin, en face de Jésus, genoux contre genoux.
«Parle-toi, Philippe. Moi, j'ai déjà parlé. Et tu as été plus juste que moi pendant ce temps...»
«Oh! Barthélemy! Juste! J'avais seulement compris que ce n'était pas malveillance ou inconstance
du Maître de n'avoir pas voulu de nous... Et j'essayais de te tranquilliser ainsi... en t'empêchant de
penser à des choses qui ensuite t'auraient donné de la douleur de les avoir pensées, et du remords...
Moi, j'avais un seul remords... De t'avoir retenu de désobéir au Maître quand tu voulais suivre
Simon de Jonas qui allait à Nazareth pour prendre Margziam... Après... je t'ai vu tant souffrir dans
ton corps et dans ton âme, que je me disais: "Il aurait mieux valu que je le laisse faire! Le Maître lui
aurait pardonné sa désobéissance et Barthélemy n'aurait plus eu l’âme empoisonnée par ces idées"...
Mais, tu le vois! Si tu étais parti, tu n'aurais jamais eu la clef du mystère... et peut-être le soupçon
que tu avais sur l'inconstance du Maître ne serait plus jamais tombé. Ainsi, au contraire...»
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«Oui. Ainsi, au contraire, j'ai compris. Maître, Simon de Jonas et Simon le
Zélote, que j'ai assailli de questions pour savoir beaucoup de choses, pour avoir la
confirmation de nombreuses choses que je savais déjà, m'ont dit seulement: "Le
Maître a beaucoup souffert au point qu'il est amaigri et vieilli. Israël tout entier, et
nous les premiers, en avons la responsabilité. Lui nous aime et nous pardonne. Mais il
désire ne pas parler du passé. C'est pour cela que nous vous conseillons de ne pas le
questionner et de ne pas parler..." Mais je veux parler. Pour ce qui est de te
questionner, je ne te questionnerai pas, mais je dois parler pour que tu saches. Car rien
ne doit t'être caché de ce qu'il y a dans l'âme de ton apôtre. Un jour - Simon et les
autres étaient partis depuis quelques jours - est venu chez moi, Michaël de Cana. Un
peu parent, très ami, et compagnon d'études dès l'enfance... Lui, j'en suis certain, est
venu de bonne foi, par affection pour moi. Mais celui qui l'a envoyé n’est pas de
bonne foi. Il voulait savoir pourquoi j'étais resté à la maison... alors que les autres
étaient partis. Et il m'a dit: "Alors c'est vrai? Tu t'es séparé parce que, en bon israélite,
tu ne peux approuver certaines choses. Et volontiers les autres te laissent de côté, à
commencer par Jésus de Nazareth, parce qu'ils sont certains que tu ne les aiderais pas,
même en devenant un complice silencieux. Tu fais bien! Je reconnais en toi l'homme
d'autrefois. Je croyais que tu t'étais corrompu, en reniant Israël. Tu fais bien pour ton
esprit et pour ton bien-être et pour celui des tiens. Car ce qui arrive ne sera pas
pardonné par le Sanhédrin et on persécutera ceux qui y ont pris part". Moi, je lui ai
dit: "Mais de quoi parles-tu? Je t'ai dit que j'avais eu l'ordre de rester à la maison à
cause de la saison et pour diriger vers Nazareth les éventuels pèlerins, ou de leur dire
d'attendre le Maître pour la fin de scebat à Capharnaüm et toi, tu me parles de
séparations, de complicité, de persécutions? Explique-toi!..." N’est-ce pas, Philippe,
que c'est ainsi que j'ai parlé?»
Philippe approuve.
«Alors» reprend Barthélemy, «Michaël m'a dit qu'il était connu que tu t'étais révolté contre le
conseil et le commandement des membres du Sanhédrin, en gardant avec Toi Jean d'Endor et une
grecque... Seigneur, je te donne de la douleur, n’est-ce pas? Mais pourtant, je dois parler. Je te
demande: est-ce vrai qu'ils étaient à Nazareth?»
«Oui. C'est vrai.»
«Est-il vrai qu'ils sont partis avec Toi?»
«Oui. C'est vrai.»
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«Philippe: Michaël avait raison! Mais comment pouvait-il le savoir?»
«Mais, voilà! Ce sont ces serpents qui nous ont arrêtés, Simon et moi, et qui sait combien d'autres.
Ce sont les vipères habituelles» dit Pierre avec véhémence.
Jésus, au contraire, demande paisiblement: «Il ne t'a rien dit d'autre? Sois sincère avec ton Maître, à
fond.»
«Rien d'autre. Il voulait savoir de moi... Et moi, j'ai menti à Michaël. J'ai dit: "Jusqu'à Pâque je reste
à la maison". Par peur qu'il me suive, que... je ne sais pas... Par peur de te faire du mal... Et alors j'ai
compris aussi pourquoi tu m'as quitté... Tu avais senti que j'étais encore trop Israël...» Barthélemy
se remet à pleurer... «...et tu as douté de moi...»
«Non. Cela, non! Absolument pas. Tu n'étais pas nécessaire en cette heure auprès de tes
compagnons, alors que tu l'étais, et tu le vois, à Bethsaïda. A chacun sa mission, et à chaque âge ses
fatigues...»
«Non, non! Ne me mets plus de côté pour aucune fatigue, Seigneur. Ne tiens
compte de rien... Tu es bon, mais je veux rester avec Toi. C'est une punition d'être
loin de Toi... Et moi, sot, incapable de tout, j'aurais pu au moins te consoler, si je ne
pouvais faire autre chose. J'ai compris... Tu les as envoyés avec ces deux. Ne me le
dis pas. Je ne veux pas le savoir. Mais je me rends compte qu'il en est ainsi, et je le
dis. Eh bien, alors j'aurais pu et dû être avec Toi. Mais tu ne m'as pas pris pour me
punir d'être si rétif à devenir "nouveau". Mais, je te jure, Maître, que ce que j'ai
souffert m'a renouvelé, et que jamais plus tu ne reverras le vieux Nathanaël.»
«Tu vois donc que la souffrance s'est, pour tous, terminée en joie. Et maintenant
nous allons, sans nous presser, à la rencontre de Thomas et de Judas, sans attendre
qu'ils arrivent au lieu qui était prévu. Puis, avec eux, nous irons encore... Il y a tant à
faire!... Demain, nous nous mettrons en route, de bonne heure.»
«Et tu feras bien. Le temps va changer au nord. Malheur pour les cultures... dit Philippe.
«Oui! Les dernières grêles ont dévasté la campagne par bandes. Si tu voyais, Seigneur! Il semble
que le feu soit passé dans certains endroits. Et c'est curieux ce sont de vrais malheurs, comme je l'ai
dit: par bandes» dit Pierre.
«Pendant que vous n'étiez pas là, il a beaucoup grêlé. Un jour, au milieu de la lune de tébeth, cela
semblait un vrai fléau. On me dit que dans la plaine, on doit recommencer les semailles. Il faisait
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d'abord plus chaud, mais depuis lors, on recherche le soleil avec plaisir. On
revient en arrière... Quels signes étranges! Que sont-ils?» demande Philippe.
«Rien de plus que des effets de lunaisons. N'y pense pas. Ce ne sont pas ces choses qui doivent nous
faire impression. Du reste nous allons nous diriger vers la plaine et il fera bon marcher. Du temps
froid, mais pas tellement, mais par contre sec. Venez, en attendant. Sur la terrasse il y a un beau
soleil. Nous allons nous reposer là-haut, tous ensemble...»
La cour des trois frères est moitié à l'ombre, moitié au soleil. Elle est pleine de
gens qui vont et viennent pour leurs achats alors qu'en dehors du portail, sur la petite
place, on entend la rumeur du marché d'Alexandroscène avec le va-et-vient confus des
acheteurs et des vendeurs, avec le bruit des ânes, des brebis, des agneaux, des poules.
On comprend qu'ici, il y a moins de complications et on apporte même les poulets au
marché sans craindre de contaminations d'aucune sorte. Braiments, bêlements,
gloussement des poules et cocorico triomphant des coqs se mêlent aux voix des
hommes en un choeur joyeux qui parfois monte à des notes aiguës et dramatiques à la
suite de quelque altercation.
Même dans la cour des frères il règne un bruit confus et il se produit quelque altercation ou pour le
prix ou parce qu'un acheteur a pris une chose qu'un autre voulait acquérir. Elle n’est pas absente non
plus la plainte lamentable des mendiants qui de la place, près du portail, défilent la litanie de leurs
misères sur un air triste comme la plainte d'un mourant.
Des soldats romains vont et viennent en maîtres dans l'entrepôt et sur la place. Je suppose que c'est
un service d'ordre, car je les vois armés, et jamais seuls, parmi les phéniciens tous armés.
Jésus aussi va et vient dans la cour, se promenant avec les six apôtres, attendant le moment
favorable pour parler. Et puis il sort un moment sur la place en passant près des mendiants auxquels
il donne une obole. Les gens se distraient pendant quelques minutes pour regarder le groupe des
galiléens et se demandent qui sont ces étrangers. Et il en est qui informent, parce qu'ils ont demandé
aux trois frères, qui sont leurs hôtes.
Un murmure suit les pas de Jésus qui s'en va tranquillement caressant les enfants qu'il trouve sur
son chemin. Il y a aussi, au milieu du murmure, les ricanements et les épithètes peu flatteuses pour
les hébreux, et aussi le désir honnête d'entendre ce «Prophète», ce «Rabbi», ce «Saint», ce «Messie»
d'Israël, auquel ils donnent ces noms lorsqu'ils en parlent, selon leur degré de foi et de rectitude de
leurs âmes.
J'entends deux mères: «Mais est-ce vrai?»
«C'est Daniel qui me l'a dit, justement à moi. Il a parts à Jérusalem avec des gens qui ont vu les
miracles du Saint.»
«Oui, d'accord! Mais est-ce bien cet homme?»
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« Oh! Daniel m'a dit que ce ne peut être que Lui à cause de ce qu'il dit.»
«Alors... que dis-tu? Il me fera grâce même si je ne suis que prosélyte?»
«Je dirais que oui... Essaie. Peut-être il ne reviendra plus ici chez nous. Essaie, essaie! Il ne te fera
sûrement pas de mal!»
«J'y vais» dit la petite femme en laissant en plan le vendeur de vaisselle avec lequel elle
marchandait des assiettes; le vendeur qui a entendu la conversation des deux femmes, déçu, irrité à
cause de la bonne affaire qui s'en va en fumée, s'en prend à la femme qui est restée, la couvrant
d'injures telles que: «Prosélyte maudite. Sang d'hébreux. Femme vendue» et cætera.
J'entends deux hommes graves et barbus: «J'aimerais l'entendre. On dit que c'est un grand Rabbi.»
«Un Prophète, dois-tu dire. Plus grand que le Baptiste. Elie m'a s dit certaines choses! Certaines
choses! Il est au courant, car il a une soeur mariée à un serviteur d'un grand riche d'Israël, et pour
avoir de ses nouvelles s'informe auprès des serviteurs. Ce riche est très ami du Rabbi...»
Un troisième, un phénicien peut-être, qui a entendu parce qu'il était tout près, amène sa figure
sournoise, moqueuse entre les deux, et raille: «Belle sainteté! Confite dans la richesse! A mon avis,
un saint devrait vivre pauvrement!»
«Tais-toi, Doro, langue maudite. Tu n'es pas digne, toi païen, de juger ces choses.»
«Ah! vous en êtes dignes vous, toi spécialement, Samuel! Tu ferais mieux de me payer ce que tu me
dois.»
«Tiens! et ne me tourne plus autour, vampire à la face de faune!»...
J'entends un vieillard à moitié aveugle, accompagné d'une fillette, qui demande: «Où est? Où est le
Messie?» et la petite crie: «Laissez passer le vieux Marc! Veuillez dire au vieux Marc où se trouve
le Messie!»
Les deux voix, celle du vieillard: faible et tremblante, celle de la fillette: argentine et assurée, se
répandent sur la place, inutilement, jusqu'à ce qu'un autre homme dise: «Vous voulez trouver le
Rabbi? Il est revenu vers la maison de Daniel. Le voilà arrêté qui parle avec des mendiants.»
J'entends deux soldats romains: «Ce doit être celui que persécutent les juifs, les bonnes peaux! On
voit, rien qu'à le regarder, qu'il vaut mieux qu'eux.»
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«C'est pour cela qu'il leur cause des ennuis!»
«Allons le dire au porte-drapeau. C'est l'ordre.»
«Un ordre stupide, Caïus! Rome a peur des agneaux et elle supporte, il faudrait dire, caresse les
tigres.» (Scipion).
«Il ne me semble pas, Scipion! Ponce massacre facilement!» (Caïus).
«Oui... mais il ne ferme pas sa maison aux hyènes qui le flattent.» (Scipion).
«Politique, Scipion! Politique!» (Caïus).
«Lâcheté, Caïus, et sottise. C'est de celui-ci qu'il devrait être l'ami, pour avoir de l'aide pour garder
dans l'obéissance cette racaille asiatique. Il ne sert pas bien Rome, Ponce, en négligeant cet homme
qui est bon, et en flattant les mauvais.» (Scipion).
«Ne critique pas le Proconsul. Nous sommes des soldats, et le supérieur est sacré comme un dieu.
Nous avons juré obéissance au divin César et le Proconsul est son représentant.» (Caïus).
«Cela va bien pour ce qui concerne le devoir envers la Patrie, sacrée et immortelle. Mais cela ne
vaut pas pour le jugement intérieur.» (Scipion).
«Mais l'obéissance vient du jugement. Si ton jugement se révolte contre un ordre et le critique, to
n'obéiras plus totalement. Rome s'appuie sur notre obéissance aveugle pour protéger ses
conquêtes.» (Caïus).
«Tu sembles un tribun et tu parles bien. Mais je te fais remarquer que si Rome est reine, nous ne
sommes pas des esclaves, mais des sujets. Rome n'a pas, ne doit pas avoir, de citoyens esclaves.
C'est l'esclavage qui impose le silence à l