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Le sujet

Par sujet on entend un être conscient, qui se sait être qui est présent à lui-même, qui fait dès lors de sa
condition et du sens de son existence l'enjeu d'une quête.
Si en étant conscient je me sais être, je sais que je suis, mais cela ne me dit pas encore qui je suis. La
simple conscience de soi n'est pas forcément une connaissance de soi.

Kant, Critique de la raison pure, pour qu'il y ait connaissance il faut qu'il y ait un sujet, un je qui pense,
un être conscient qui se rapporte à un objet. Le « je » n'est pas un objet de ma pensé parmi d'autres
mais le fondement de toutes mes représentations et de toutes mes pensées, ce que toute connaissance
présuppose.

Descartes, Méditations métaphysiques, la conscience est le fondement ultime de toute expérience et


connaissance possible. Le fondement pour une science véritable suppose la séparation de la simple
vraisemblance de la vérité elle-même. Notre existence fait fonds spontanément sur un ensemble
d'évidences, soit spontanés soit qui procèdent de notre éducation, sans que nous ne nous soyons jamais
interrogés sur leur vérité ou leur fausseté. Pour séparer les fausses évidences des vrais il faudra donc
mettre en œuvre un doute systématique, pourra être considérée comme vraie l'évidence qui aura
résisté à une telle épreuve. La plus immédiate de nos évidences est la certitudes sensible, c'est à dire
le certitude spontanée que tout ce que nous percevons existe et cela en tant justement que nous le
percevons. L'expérience du rêve met en crise cette certitude sensible: une chose peut bien être perçue
sans être pour autant. Parmi toutes nos certitudes, le certitude mathématique semble la plus à même
de donner un fondement certain à nos savoirs. Hypothèse de Descartes: si Dieu avait voulu que nous
nous trompions en prenant pour évidentes ces vérités. Il fait donc l'hypothèse d'un « malin génie » qui
se jouerait ainsi de notre esprit en nous faisant prendre pour certain et absolument certain ce qui
pourtant est faux. Il semble que nous ne puissions nous appuyer sur aucune évidence et que toutes
peuvent être mises en doute (première méditation). Il reste bien pourtant une vérité qui va résister à
ce soupçon d'illusion. En effet même si nous nous trompons il faut encore être pour se tromper. Une
certitude persiste: celle de mon existence même affirmée immédiatement par ma pensée et cela quel
que soit l'objet de ma pensée ou son contenu de vérités.
Douter de notre existence c'est encore affirmer notre existence par ce doute. Ainsi c'est dans l'acte
même de penser et non dans un contenu quelconque de pensée que nous éprouvons l'évidence de notre
existence.

Descartes, Discours de la méthode, « je pense donc je suis », c'est une vérité pauvre mais c'est la seule
vérité qui résiste à un doute absolu.
L'intérêt de la thèse de Descartes est de dévoiler la conscience comme le fondement même de tout
savoir et expérience possible en tant qu'elle déclare elle-même la certitude de notre existence,
certitude sans laquelle rien, nulle expérience ni connaissance, ne pourrait prendre sens.

Sachant que je suis je ne sais pas encore qui je suis. Par delà les formes extrêmes de la tragédie, on
peut relever que nos existences seraient allégées d'un bon nombre de questions angoissantes si nous
étions immédiatement transparents à nous-même dans la simple conscience que nous prenons de nous-
même: l'éthique serait inutile; chacun saurait immédiatement ce qui lui convient le mieux, nous ne
pourrions jamais nous tromper sur nous même et le bonheur serait aisé à atteindre. Ainsi la conscience
de soi ne semble pas être suffisante pour se connaître.
Vouloir se penser c'est donc exprimer une exigence paradoxale, le moi auquel je pense et que je cherche
à définir, suppose toujours un « je pense » qui lui ne tombera jamais sous mon propre regard.

Comme le souligne Kant dans Critique de la raison pure, je ne peux avoir « aucune connaissance de moi
tel que je suis, mais je me connais seulement tel que je m'apparais à moi-même ».
Spinoza, Éthique et Lettre à Schuller, la conscience que nous prenons de nous même n'est pas tant le
fondement de tout savoir ou la première vérité que nous pourrions découvrir. Au contraire la
conscience de soi est l'origine de toutes nos illusions. Seule la connaissance des causes véritables qui
déterminent notre action nous permettrait de comprendre la façon dont nous agissons, de tirer au clair
les déterminations qui nous font être ce que nous sommes.

La conscience de soi apparaît ici comme le premier obstacle à une connaissance de nous-même et de
notre position dans le monde qui, seule, nous permettrait de conquérir notre liberté. Par conséquent il
semble que la connaissance de soi engage une identité qui déborde la simple conscience que nous
prenons de nous-même.

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, la conscience est la forme la plus accidentelle de notre identité.
Opposition entre le pensée consciente comme expression de notre identité à la vérité du corps celui-ci
étant bien plus déterminant dans la façon dont notre identité s'affirme que notre conscience.
Ainsi la conscience de soi n'est peut être qu'un épiphénomène (phénomène de surface), en ce sens, loin
de déterminer notre identité elle est peut être déterminée par des conditions d'existence dont elle n'est
que la conséquence.
Marx réduit ainsi cette conscience à une forme idéologique, l'idéologie n'étant que le prolongement sous
forme spirituelle d'un jeu de force, d'un conflit matériel dont elle croit être l'auteur. « ce n'est pas la
conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui
détermine leur conscience ». (avant propos à la critique de l'économie politique).

Freud, hypothèse de l'inconscient, mon identité loin d'être transparente, serait tout au contraire une
énigme, dont l'interprétation consciente ne peut venir à bout. L'inconscient est le fond constitutif de
notre identité qui échappe à la conscience de soi et dont nous prenons conscience de façon
symptomatique, quand nous faisons en nous-même l'expérience du non-sens, de l'absurde, quand le moi
fait en lui même l'expérience de l'étrangeté, d'une non-coïncidence. Il y aurait ainsi des raisons aux
conduites les plus déraisonnables en apparence et un sens derrière les discours qui paraissent les plus
insensés. L'inconscient est ainsi le résultat d'un conflit dont notre identité même est l'expression:
conflit entre des forces qui cherchent à se satisfaire et la personnalité globale qui s'y refuse. Les idées
indésirables sont alors refoulées, et afin qu'elles ne reviennent plus à la conscience, des résistances
s'opposent à leur survenue. La névrose apparaît ainsi comme un processus de réminiscence, le signe que
mon identité prend forme sur une autre scène que celle de la conscience. Freud appelle le surmoi la
censure primitive inconsciente formée par l'intériorisation, dans la petite enfance, des interdictions
morales, familiales et sociales? Le ça est, à l'opposé, la dynamique aveugle des pulsions vitales,
notamment sexuelles, et des désirs refoulés, qui tendent à se satisfaire en forçant ou en trompant le
surmoi.
La conscience ne serait que la forme la plus superficielle de notre identité.

Montaigne, Essais, il n'y a pas un moi un et unique et toujours identique à lui-même mais un
mouvement perpétuel et contradictoire. La connaissance de soi fait l'épreuve de l'objet le plus
héraclitéen qui soit. Ainsi qui se cherche ne peut jamais assurer sa prise sur une vérité achevée. Se
chercher c'est se perdre c'est accepter de se perdre, faire l'épreuve d'une étrangeté à soi-même.
Arthur Rimbaud, Lettre à Georges Izambard, « Je est un autre » .
L'expérience poétique découvre que le Moi est sans titre de propriété, que nous ne possédons pas notre
identité comme un objet à manipuler ou à connaître.

Hume, Traité de la nature humaine, je ne suis et ne prend conscience de moi-même que tant que je
perçois quelque chose. Le moi n'a pas de réalité en dehors des sensations que nous éprouvons, ce n'est
pas une chose permanente et subsistante: le sentiment que j'ai de moi-même n'est pas le sentiment de
quelque chose; le moi n'est rien d'autre que ce sentiment lui-même.
Michel Foucault, l'Histoire de la sexualité, J me pense UN parce que l'existence social exige une telle
identité: le moi n'est peut être rien d'autre qu'une fiction utile, utile socialement et politiquement.
L'impératif de rechercher une vérité sur soi n'est rien d'autre que la forme la plus expressive du pouvoir
moderne. Le soucis moderne de la subjectivité, de la recherche d'une vérité sur soi même n'est que la
forme de soumission moderne des individus au pouvoir. Cette transparence des sujets qu'exige le
pouvoir moderne engage une domination intégrale du pouvoir sur l'expérience humaine. On nous a
constamment sollicités à chercher une vérité sur le sujet que nous sommes afin de faire de nous des
sujets dociles, au sens politique du terme, c'est à dire des individus pleinement assujettis à l'ordre
social et politique.

Loin de pouvoir être atteinte au travers d'une réduction métaphysique doit être sans doute envisagée en
actes, dans le rapport concret aux autres, rapport qui me définit essentiellement.

L'identité est inséparable d'une condition si l'on entend par là comme le souligne Sartre dans
L'existentialisme est un humanisme, la nécessité qui est mienne « d'être dans le monde, d'y être au
travail, d'y être au milieu des autres et d'y être mortel ». C'est dans cet ensemble de relations que je
me forme et me découvre à moi-même. Mon identité se décide dans ma relation à l'autre. Et si les
autres peuvent être des obstacles à cette connaissance ils en sont aussi la condition de possibilité.
Hegel, Esthétique, distingue deux formes de la conscience de soi, l'une théorique qui serait le résultat
d'une introspection et l'autre pratique quand je m'éprouve moi-même dans « le spectacle de ma propre
activité », la seconde manifeste mon identité bien plus que la première. Ainsi, dans le travail ce n'est
pas simplement une matière à laquelle je donne forme mais c'est aussi mon identité » qui reçoit une
forme concrète dans mon activité. Étant dépossédé du produit de mon travail, c'est de moi dont je suis
dépossédé.
Ainsi notre identité serait inséparable d'une condition sociale et historique qui lui donne forme et sens.

Montaigne, Essais, l'identité est inséparable de sa représentation elle-même. C'est dans son
interprétation même que mon identité prend forme et sens et cette identité dépend essentiellement de
la façon dont je l'éclaire.

Se dire, ce n'est pas simplement s'apprendre à soi-même qui l'on est mais c'est se faire être: l'identité est
un acte d'interprétation et c'est aussi pour cela que cherchant à me connaître moi-même je peux dans
cette représentation me jouer de moi-même.
Si l'identité est inséparable de son interprétation, chercher à se connaître, c'est à la fois donner sens à
ce que je suis et transformer ce que je suis dans cette donation de sens.

Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, mon existence se dessine dans cet effort de ré


interprétation et ce n'est pas tant mon passé qui instruit mon présent que mon présent qui informe
mon passé. La connaissance de soi ne vise pas un objet, le « moi », déjà-là, pré constitué dans un passé
indéfini: cette connaissance recrée son objet en l'interrogeant. Toute quête de soi est une création de
soi.

L'identité n'est nullement une donnée immédiate mais bien plutôt une conquête, le conquête d'un sens
et d'une liberté jamais totalement accomplie. Prendre conscience de soi apparaît comme cet effort
perpétuellement recommencé pour accorder le Même et l'Autre.

Freud « Là ou le « ça » était, « je » doit advenir »: là où j'étais agis par une identité dont le sens
m'échappe, je dois ressaisir ce sens, l'assumer, pour le faire pleinement mien. Partant, nous avons à
devenir ce que nous sommes, comme le souligne le paradoxe antique (« Deviens qui tu es »)
L'être conscient est ainsi cet être qui, étant, cherche à s'atteindre, et cet écart a pour nom: le sens.

Sartre, l'Etre et le néant, le propre de la conscience est de ne jamais coïncider avec ce dont elle est la
conscience. Prendre conscience en ce sens c'est être dans l'écart avec ce dont nous avons conscience.
Cet écart est peut être la forme essentielle de notre liberté, le signe que nous ne saurions jamais être
défini ultimement et enfermé dans une identité quelconque, sociale, politique, professionnelle etc.
reconnaître dans tout individu conscient une personne (au sens moral) c'est estimer qu'on ne saurait
produire de cet individu un définition achevée et reconnaître, dès lors, que ses possibilités outrepassent
toujours le rôle qui lui est attribué socialement, professionnellement, politiquement et que l'on ne peut
réduire donc à un objet, une simple fonction, un « numéro » dans la grande machine à produire et à
obéir.

Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, nous ne pouvons jamais être réduits à de simples
moyens, nous sommes des « fins en soi », c'est à dire l'expression d'une liberté qui ne se laisse jamais
instrumentaliser. L'échec de la connaissance objective de notre subjectivité est ainsi le signe le plus
éclatant de notre liberté.

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