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ALIETTE DE BUFFIÈRES
PROFESSEUR DES ÉCOLES
CHRISTOPHE SAÏSSE
PROFESSEUR D’HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE
AVANT-PROPOS
Les huit séquences proposées dans ce guide correspondent aux huit chapitres qui composent les Dossiers
Hachette sur les Temps modernes. Chaque chapitre regroupe :
– une double page évoquant une figure historique ou un thème à l’aide de sources écrites et iconographiques,
de repères chronologiques et de cartes ;
– une double page Sur les traces de… précisant la biographie du personnage ou approfondissant le thème
précédemment abordé ;
– une double page L’héritage de… permettant à l’élève de repérer des traces du passé – l’Histoire reste,
comme l’écrivait Marc Bloch, « une connaissance par traces » – et de comprendre le présent de la société à
l’aune du passé.
Les huit séquences du guide se référant aux doubles pages du dossier ont une composition identique :
– un rappel des Instructions officielles, ce qui permet d’inscrire la séquence dans une problématique du
programme d’Histoire ;
– des objectifs qui portent à la fois sur les connaissances factuelles à transmettre aux élèves, mais aussi sur des
compétences de savoir-faire qu’il appartient à l’enseignant de fixer et d’évaluer selon une progression ;
– l’organisation de la séquence présentée sous forme d’activités en classe. Ces activités sont précédées d’une
rubrique « Le contexte historique » qui est une mise au point pour l’enseignant. La rubrique « Pour aller plus
loin » prolonge la mise au point. Toutes les activités (lecture, description, comparaison, mise en relation,
confrontation…) se fondent sur les documents sélectionnés dans le dossier et sur les questions qui s’y rapportent.
Le guide fournit aussi des indications de correction. Attention ! Les documents (textes ou œuvres) ne sont pas
destinés à simplement illustrer le programme ; très souvent, le texte ou l’image, dont on tire une ou deux infor-
mations en classe, sont utilisés comme des preuves a posteriori qui valident la parole de l’enseignant, parfois
tendent à se substituer à elle. Ces pratiques pédagogiques, peu scientifiques, ne sont pas conformes à l’épis-
témologie de l’Histoire. Les documents doivent être étudiés en eux-mêmes : les textes seront lus par les
élèves, les images seront décrites et expliquées avec soin. Ainsi, les documents entrent dans la mémoire des
élèves et contribuent à leur donner une culture commune par la reconnaissance de « traces » que les généra-
tions précédentes ont déjà distinguées au point d’en faire des références ;
– des notions (« Pour construire le résumé ») sont proposées à l’enseignant pour faire écrire le résumé de la
leçon en reprenant les mots-clés du chapitre. Les élèves retrouvent ces notions de l’école élémentaire à
l’enseignement supérieur, leur intelligibilité relevant de degrés de compréhension et d’expression différents ;
– des prolongements interdisciplinaires sont décrits. C’est une manière d’insister sur la complémentarité des
savoirs et des savoir-faire, pour éviter que se forme le préjugé de compétences exclusives les unes des autres ;
– enfin, une bibliographie non exhaustive est fournie à l’enseignant.
Toutes les trois séquences, une double page À la manière de… permet aux élèves de :
– découvrir et vivre des situations des Temps modernes ;
– pratiquer des activités interdisciplinaires.
Les auteurs.
ISBN : 978-2-01-117335-5
7. La naissance
3. Henri IV 15
des États-Unis 37
3
LES GRANDES DÉCOUVERTES
Pages 6 à 11 du dossier
1. Dans sa grande synthèse, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle (1979), l’historien Fernand Braudel fait entrer dans la réflexion
des économistes et des historiens le concept d’« économie-monde ». Il ne faut pas y entendre l’économie mondiale mais une économie qui est un monde en
soi, un espace économique cohérent, non limité par des frontières politiques, et animé par une dynamique planétaire.
5
arrivent en 1620 au cap Cod, sur la côte de ce qui sera le Les découvertes tirent aussi leur légitimité de la donation
Massachusetts. faite par le pape Alexandre VI en 1493. Les Antilles ser-
Christophe Colomb a toujours été persuadé d’avoir atteint vent de base d’expansion vers le continent vis-à-vis
les Indes. Pourtant, en 1507, un éditeur géographe de duquel les entreprises d’exploration se multiplient entre
Saint-Dié dans les Vosges, Martin Waldseemüller, baptise 1500 et 1517. À partir de 1519 s’ouvre une nouvelle
ces territoires du nom d’« Amérique ». L’Amérique est phase, qui a pour ambition une implantation durable et
donc baptisée du nom de celui qui ne l’a pas découverte, l’obtention de la reconnaissance royale de ces actions. La
le Florentin Amerigo Vespucci, mais qui a révélé, une conquista vise moins la terre que les hommes ; elle pro-
quinzaine d’années seulement après le premier contact de cède donc par bonds successifs, acceptant de ne pas s’oc-
Colomb, qu’il ne s’agissait pas des Indes mais d’un nou- cuper de vastes régions à l’intérieur du domaine qui a été
veau monde (question 2). En 1513, l’Espagnol Vasco annexé. Hernán Cortés est le conquistador qui domine
Nuñez de Balboa prend possession de l’isthme de Panama cette phase. En 1521 avec Mexico, l’Empire aztèque s’ef-
et découvre le Pacifique. Fernão de Magalhães dit fondre. Dès 1522, Francisco Pizarro et Diego de Almagro
Magellan achève l’exploration superficielle de la planète sont en compétition sur l’Altiplano andin : l’Empire inca
en bouclant le premier tour du monde. Ce navigateur tombera en 1532. Puis, la Couronne espagnole interdit
Portugais est passé au service du roi d’Espagne en 1512 et l’utilisation du mot « conquista » : c’est le signe que s’ou-
l’a convaincu de financer son projet de se rendre en Asie vre l’ère de la pacification.
par l’ouest en découvrant un passage plus au sud. Cinq
bateaux quittent l’Espagne le 20 septembre 1519 et attei- Insister sur le choc de la rencontre entre les humanités
gnent le Río de la Plata le 12 janvier 1520. Le 21 octobre d’Europe et d’Amérique. En février 1519, Hernán Cortés
1520, ils trouvent le passage qu’ils cherchaient et traver- monte une expédition d’exploration, de troc et de razzia à
sent le Pacifique jusqu’aux Philippines. Le 17 avril 1521, l’ouest des Antilles. Au départ de Cuba, sa troupe touche
Magellan est tué dans une échauffourée. Un seul navire la terre ferme au niveau du Río Grijalva : les conquista-
revient en Espagne le 6 septembre 1522. Avec la circum- dores sont dans l’Empire aztèque (25 millions d’habitants
navigation de Magellan, l’Amérique est enfin pensée de langue nahuatl) et les premières palabres évoquent déjà
comme un continent autonome ; les itinéraires de l’aven- les richesses de Mexico (ou Tenochtitlan). Le 8 ou 9
ture américaine deviennent autant de grandes routes du novembre 1519, les Espagnols entrent dans la capitale
commerce mondial (question 3). aztèque. Faire lire le document 3 p. 7 et faire répondre
aux questions 8, 9 et 10. Dès leur arrivée sur les côtes
Faire lire document 2 p. 7 et faire répondre aux questions mexicaines, les Espagnols passent pour des dieux aux
4, 5, 6 et 7. On a beaucoup spéculé sur l’erreur de yeux des Aztèques – « Quelques-uns nous ont assuré que
Christophe Colomb qui cherche l’Asie par la route de vous étiez des dieux » (question 9) – qui, conformément à
l’Ouest (question 5) mais la croit à 2 400 miles nautiques leurs mythes, s’imaginent que Quetzalcoatl est de retour.
des Canaries alors qu’elle s’en trouve à 10 600, soit Cette croyance ne dure que quelques mois et ne touche pas
19 600 km. De là, la colère des hommes d’équipage qui toutes les peuplades indigènes. La rencontre est d’autant
« se plaignent de la longueur du voyage » (question 4). plus brutale que les Indiens ne connaissent ni la roue, ni le
Certes, le Génois est piètre calculateur mais il partage son fer, ni la poudre à canon, ni les animaux domestiques –
erreur dans l’évaluation des longitudes avec Pierre excepté le lama – ; leur armement est de pierre et de bois
d’Ailly, dont il a annoté l’Imago mundi, comme avec les (propulseur, arc, fronde, lance et épée à deux mains faites
cosmographes Henricus Martellus et Martin Behaim, dont de lames d’obsidienne). Faire relever deux indices : les
les mappemondes sont contemporaines de la découverte chevaux sont « des bêtes farouches » ; les armes, « la fou-
de l’Amérique. La carte est à la fois représentation du dre entre vos mains » (question 8). Pourtant, si on suit la
monde connu, outil du navigateur, et bientôt, à Tordesillas relation de voyage laissée par Cortés, l’empereur
(1494), instrument des puissances pour le partage du Moctezuma n’est pas effrayé. Faire relever trois indices :
monde à découvrir. Les terres découvertes deviennent les chevaux sont « de grands cerfs que vous avez appri-
possessions du Christ en même temps que celles du roi – voisés » ; les armes « qui ressemblent à la foudre sont des
« Je déploie la bannière royale, j’en prends possession au tuyaux d’un métal que nous ne connaissons pas » ; finale-
nom du roi et de la reine d’Espagne » (question 6) – et la ment, « je vois que vous êtes des hommes comme nous »
plantation de la croix, du Mexique au Chili, atteste partout (question 10). Que fut réellement la rencontre entre les
du processus d’évangélisation à l’œuvre. Même si la humanités d’Europe et d’Amérique ? La rencontre de
recherche de l’or et des épices est l’un des moteurs de la deux mondes qui s’ignoraient jusque-là entraîne fatale-
découverte (question 7), ceux qui restent en Amérique ment un « choc microbien » : de l’épidémie de grippe pro-
veulent surtout exploiter les hommes. voquée à Cuba par l’arrivée de Colomb aux ravages de la
➤ Activité 2 : document 3 p. 7 variole, de la rougeole et de la peste pneumonique au
Mexique et au Pérou, les pandémies de l’Ancien Monde se
Avec la découverte de l’Amérique s’ouvre l’ère de la
déchaînent dans l’espace américain et leurs effets sont
conquista.
sans commune mesure avec les épisodes de peste qui frap-
Si les expéditions sont le résultat d’initiatives person- pent alors l’Europe. Les évaluations s’accordent sur la dis-
nelles, tout chef en Amérique a cependant besoin d’une parition en une génération des peuples arawak et caraïbe
licence qui lui est concédée par la Couronne espagnole. des Antilles (quelque 6 millions de personnes en 1492,
6
moins de 4 millions en 1494, une quinzaine de milliers en arrière sont surélevés, ce qui permet d’affronter les creux
1518), à un recul annuel de 3 à 6 % des populations du de la houle atlantique.
Mexique et du Pérou (25 millions d’habitants à l’arrivée
de Cortés en 1519, moins de 1 million un siècle plus tard ;
➤ Activité 2 : documents 1 et 3 p. 8
9 millions d’habitants dans l’Empire inca en 1530, Les prétentions universelles de l’Église romaine semblent
1,3 million en 1532). Rien de comparable non plus, l’uni- pouvoir se réaliser.
fication microbienne se faisant dans les deux sens, avec Les Écritures évoquent explicitement l’étendue de l’em-
l’arrivée en Europe de la syphilis, qui existe sous forme pire du Roi-Messie : « Il dominera d’une mer sur l’autre,
bénigne dans l’isolat américain et dont Martin Alonzo et du fleuve aux extrémités de la Terre. » Christophe
Pinzon, le compagnon de route de Colomb, est sans doute Colomb lui-même est l’un des premiers à envisager que
la première victime. Les Européens ne sont pas étrangers l’évangélisation de l’univers arrive à son terme. La
à cette hécatombe : la conquista visant les hommes, elle se croyance se répand en Occident que la fin de l’Histoire est
saisit de leurs corps par l’encomienda pour en faire des imminente… Faire lire le document 1 p. 8 et faire répon-
forces de travail ; elle se saisit de même de leurs âmes par dre à la question 1. La formule « service de Dieu et
l’évangélisation. service de Sa Majesté » montre que les découvreurs justi-
fient leurs actions sur ce double plan indissociable où
l’intérêt chrétien et l’intérêt du souverain se rejoignent
SUR LES TRACES DE CHRISTOPHE (question 1). Faire observer le document 3 p. 8 et faire
COLOMB ET DES CONQUISTADORES répondre aux questions 3 et 4. La découverte de
l’Amérique donne lieu à de multiples interprétations aussi
grandiloquentes que fantaisistes, véritable panégyrique de
L’exploitation pédagogique l’art pompier, tel ce tableau que José Garnelo y Alda,
des documents en classe peintre d’Histoire, réalise en 1892 et que des générations
➤ Activité 1 : document 2 p. 8 d’écoliers ont découvert dans leurs livres scolaires. Dans
la relation de son premier voyage, Colomb décrit ainsi les
Les Grandes Découvertes s’inscrivent dans une dyna- « premiers Américains » tels qu’ils lui sont apparus sur les
mique aux longues racines. plages de l’actuelle Watling Island : « Tous les hommes
Les Grandes Découvertes des XVe et XVIe siècles ne sont que j’ai vus étaient jeunes, aucun n’avait plus de trente
rendues possibles que par l’apparition et la consolidation ans ; ils étaient tous très bien faits, très beaux de corps et
d’innovations scientifiques et techniques. Dès le XIIIe siè- très avenants de visage… » (question 4). Dans les faits,
cle commencent à se rassembler les instruments de l’ex- les terres découvertes deviennent possessions du Christ en
ploration du monde : gouvernail d’étambot, astrolabe, même temps que celles du roi (ou de l’empereur), et la
boussole, projection cartographique avec orientation et plantation de la croix (question 3), du Mexique au Chili,
distances estimées en rhumbs. Au XVe siècle, un immense atteste partout du processus d’évangélisation à l’œuvre,
capital de ressources nautiques – les fameux portulans – et inséparable de la découverte et de la conquista. Des mis-
d’expériences maritimes se constitue au Portugal autour sionnaires accompagnent donc les découvreurs pour inté-
de ce que l’on nomme « l’école de Sagres ». Pour que grer les indigènes, par la force s’il le faut, à la commu-
l’Amérique soit découverte, il a fallu que l’Europe soit nauté chrétienne.
« prête ». A contrario, les techniques rudimentaires de ➤ Activité 3 : documents 4, 5 et 6 p. 9
navigation, l’absence de tout projet de colonisation, la fai-
Les conquistadores se heurtent aux civilisations indiennes.
blesse du soutien économique et démographique apporté à
l’exploration par le monde scandinave ont fait de l’épopée Les Européens s’installent partout où ils peuvent subsister,
des Vikings une entreprise sans lendemain2. Tout cela de préférence dans le cadre des civilisations indiennes en
explique que l’Amérique a pu être atteinte mais non place. C’est le cas des Espagnols, dont les grandes villes
« découverte » avant Colomb. coloniales sont Mexico, Lima (une création de Pizarro) et,
en Bolivie actuelle, Potosi (autre création), à cause de ses
Faire observer le document 2 p. 8 et faire répondre à la
mines d’argent (en 1600, 150 000 habitants vivent là, à
question 2. Cette maquette reproduit fidèlement les cara-
4 000 mètres d’altitude). Mais la substance humaine, il ne
velles – la Pinta, la Niña, la Santa Maria – du premier
faut pas l’oublier, est surtout indienne.
voyage de Colomb. Insister sur trois éléments : le gouver-
nail d’étambot, solidement fixé dans l’arrière de la cara- Faire observer le document 4 p. 9 et faire répondre aux
velle par des axes qui sont libres de jouer dans les pièces questions 5, 6, 7 et 8. Débarqué sur la terre ferme, le
de bois percées sortant de la coque, tourne donc sur un contingent d’Hernán Cortés se compose de 508 soldats et
plan vertical et permet une direction précise ; les deux de 109 marins ; il dispose de 16 chevaux et d’une dizaine
mâts en plus du grand mât permettent d’augmenter la voi- de canons. Malgré leur infériorité numérique, les conquis-
lure (les deux voiles carrées et la voile triangulaire) et tadores écrasent les bataillons indiens. Leur supériorité
donc d’accroître la vitesse (question 2) ; le centre d’iner- réside dans les armes offensives (poignard, épée, pique,
tie de la caravelle est haut sur l’eau, les châteaux avant et hallebarde, lance et arbalète) et les équipements de pro-
2. Les établissements scandinaves attestés dès l’an 1000 au Labrador et à Terre-Neuve ont été abandonnés au XIVe siècle.
7
tection (question 8). L’artillerie est un des éléments psy- chrétiens massacreurs : « À cause de leur cupidité et de
chologiques et stratégiques décisifs lors des sièges. Quant leur ambition insatiables, telles qu’il ne pouvait y en avoir
aux chevaux, inconnus des Amérindiens, ils permettent de pires au monde, et parce que ces terres étaient heu-
aux Espagnols de bousculer les rangs indigènes (ques- reuses et riches, et ces gens si humbles, si patients et si
tions 5 et 6). L’alliance avec quelques peuplades locales facilement soumis, ils [les Espagnols] n’ont eu pour eux ni
garantit aux conquistadores un surcroît de porteurs et de respect, ni considération, ni estime. Ils les ont traités je ne
soldats auxiliaires (question 7) ; ils seront environ 20 000 dis pas comme des bêtes (plût à Dieu qu’ils les eussent
lors de la destruction de Mexico (août 1521). Fin 1521, traités et considérés comme des bêtes), mais pire que des
Cortés domine tout le pays nahuatl, un territoire presque bêtes et moins que du fumier. […] Que l’on sache que ces
aussi grand que l’Espagne. Nommé gouverneur général de Indiens sont des hommes et qu’ils doivent être traités
la « Nouvelle-Espagne », Cortés refuse que la colonisation comme des hommes libres »4 (question 12).
du Mexique suive le même chemin que celle des Antilles :
il n’y aura ni pillages systématiques ni disparition du
monde indigène. Dans ses ordonnances de 1524, il rend L’HÉRITAGE DES GRANDES
obligatoire la culture de la vigne, du blé et des arbres frui-
DÉCOUVERTES
tiers, avec l’idée que le Mexique ne deviendra véritable-
ment fécond que sous la direction des Espagnols, ce qui ne
fait pas de la « Nouvelle-Espagne » une colonie au sens Des plantes nouvelles
moderne du terme mais une province à l’égal de la
Castille. Cette tentative pour faire du Nouveau Monde une Se reporter au texte du livre de l’élève.
réplique de l’Ancien Monde ne se limite pas à donner aux
villes fondées au Mexique et au Pérou les noms de cités La découverte d’autres civilisations
d’Estrémadure ou d’Andalousie ; il s’agit de reconstituer
en Amérique la civilisation de l’Europe par le mode de vie L’existence d’un monde neuf, étranger au christianisme,
et par l’évangélisation. Si l’Espagne et le Portugal indi- n’entre pas dans les schémas de pensée des explorateurs
quent le chemin, c’est l’Europe tout entière, des Flandres du XVIe siècle. La réalité doit pour eux se conformer
à l’Italie, qui constitue la référence de ce monde qu’elle à la mythologie, à la Bible et aux romans de chevalerie.
invente et qu’elle modèle : « L’Amérique est le faire de Ainsi, atteindre les Indes par l’ouest est, pour Colomb et
l’Europe, l’œuvre par laquelle elle révèle le mieux son pour ceux qui le suivront, une chance de se rapprocher
être. »3 du Paradis. Colomb propose en effet de modifier le
concept de rotondité de la Terre, laquelle a nécessaire-
Faire confronter les documents 5 et 6 p. 9 et faire répon- ment, croit-il, la forme d’une poire. Elle est pourvue d’un
dre aux questions 9, 10, 11 et 12. Pour l’Européen de la mamelon au sommet duquel se situe le jardin d’Éden,
Renaissance, il est légitime que la « civilisation » aille qui touche ainsi le ciel mieux que n’importe quel autre
s’étendre sur ces territoires sauvages et leurs populations lieu et qui a pu, grâce à cette altitude, échapper au Déluge.
« barbares », d’autant que l’Indien est cannibale (ques- Tous les voyages de circumnavigation permettent donc
tion 11). Le document 5 p. 9 dévoile la dimension rituelle de sentir la pente générale du monde, qu’il suffit de
des sacrifices humains chez les Aztèques : la victime est suivre pour se rapprocher du Paradis… Le premier regard
assommée, découpée, très souvent accommodée et man- jeté sur le Nouveau Monde est donc celui d’un émerveil-
gée (questions 9 et 10). La quantité et la concordance des lement biblique. Cette nature foisonnante montre l’envi-
témoignages ne laissent pas de doute sur la réalité d’une ronnement qui fut celui de l’homme d’avant la Chute.
pratique attestée de l’Alaska au Río de la Plata. Colomb Plus tard, Colomb croit avoir trouvé à Saint-Domingue le
n’est pas témoin de scènes d’anthropophagie ; Vespucci, royaume d’Ophir, à la Martinique celui des Amazones, et
en revanche, livre des descriptions qui imposent le cliché à l’embouchure de l’Orénoque le chemin du Paradis.
d’un Indien vorace. L’iconographie – relative surtout aux Les Européens ne décrivent pas l’Amérique, ils la
populations des côtes brésiliennes et uruguayennes, mais reconnaissent ou l’inventent. Aux prises avec les réalités
aussi mexicaines, vénézuéliennes et guyanaises – diverge des sociétés indiennes c’est aux cadres familiers des
seulement sur les modalités de la pratique de groupes par- sociétés de l’Europe lointaine que recourent les explora-
ticuliers. Pourtant, dès le XVIe siècle, les Indiens ont leurs teurs. Par exemple, les Espagnols assimilent les prêtres
défenseurs. Deux textes connaissent un grand succès en aztèques à des « ulémas » et le grand sanctuaire de
Europe et forment la base de ce qui est nommé « la Mexico à une « grande mosquée ». La démarche européo-
Légende noire » de la conquista : la Brevisíma relación de centrée doit aussi beaucoup aux difficultés de la
la destrucción de las Indias (1552) de Bartolomé de Las communication entre des cultures parvenues à des stades
Casas et la Historia del Mundo Nuevo (1572) de Girolamo différents de leur évolution. L’obstacle de la langue, les
Benzoni constituent des réquisitoires contre les pratiques perceptions différentes de l’espace et du temps, l’écart
sanglantes des Espagnols. L’indignation de Las Casas est entre les modes de raisonnement multiplient les malen-
justifiée par l’anomalie que constituent à ses yeux les tendus.
8
La conversion des Indiens chées par ce flux monétaire. Mais les métaux précieux ne
au christianisme font que passer : Gênes, et surtout Anvers, sont les villes
régulatrices du commerce transatlantique qui fonde la
À la brutalité du choc des cultures s’ajoute un processus puissance des dynasties marchandes, notamment des
d’acculturation dont la rapidité est unique dans l’histoire Fugger. En 1527, le marchand Robert Thorpe proclame :
de la colonisation européenne. La ruine soudaine des sys- « Il n’y pas de mer où l’on ne puisse naviguer, de terre où
tèmes politiques, la désagrégation des communautés natu- l’on ne puisse habiter. » En 1546, Rabelais s’enthou-
relles, la destruction des idoles5, la mort des dieux créent siasme des avancées du présent. Désormais, tout commu-
un vide tragique que les Européens s’empressent de com- nique, les frontières sont abolies, la Terre est unifiée :
bler par leurs croyances et leurs images. Le travail aposto- « Taprobana a vu Lappi ; Java a vu les monts Riphées ;
lique des ordres mendiants (franciscains, dominicains) est Phebol verra Thélème ; les Islandais et les Groenlandais
intense en Amérique, bientôt relayé, dans le dernier tiers boiront dans l’Euphrate ; Borée a vu le manoir d’Auster ;
du XVIe siècle, par la Compagnie de Jésus. Ce sont les Eurus a visité Zéphire. »6
acteurs d’une entreprise d’acculturation de masse.
L’évangélisation s’exprime autant par l’éducation des Le travail forcé
jeunes Indiens dans des collèges que par des baptêmes
La colonisation de l’Amérique repose sur le système de
collectifs, par l’écrit – le premier catéchisme en langue
l’encomienda, institution importée depuis l’Espagne, qui
nahuatl est publié à Anvers dès 1529 – que par l’image –
met à la disposition des Européens la force de travail
images pieuses importées d’Europe mais très vite et sur-
incarnée par la main-d’œuvre indigène arrachée à ses
tout images copiées et souvent réinterprétées par des
communautés naturelles. Ce système, imposé par Cortés
artistes indiens. Instrument privilégié de l’acculturation de
dans ses ordonnances de 1524, est à la base de la
l’Amérique, l’image n’a pas seulement créé un moyen de
conquista : tout colon marié qui s’engage à rester au
communication libéré des contraintes de la langue ; elle a
moins huit ans sur sa terre reçoit celle-ci en concession et
rendu aux Indiens les idoles perdues, leur a permis de
obtient le droit de faire travailler les Indiens à son profit,
reconstruire un monde imaginaire, fût-il peuplé des
à condition de les instruire dans la foi catholique. Cette
croyances européennes, et a finalement contribué à la
saisie des hommes et leur exploitation sous forme de tra-
naissance d’un christianisme « métissé ». L’exemple le
vail forcé ont un coût humain difficile à évaluer mais dont
plus célèbre est l’aventure mystique de la Vierge de
les effets s’ajoutent à ceux du « choc microbien ».
Guadalupe, vénérée dans un monastère d’Estrémadure,
berceau des conquistadores, qui devient la sainte patronne
du Mexique et s’identifie dans l’esprit des indigènes avec
la déesse Tonantzin, la femme du serpent, la mère des POUR CONSTRUIRE LE RÉSUMÉ
Aztèques…
La création d’empires coloniaux Solliciter les élèves pour qu’ils trouvent les mots-clés de
Avec la découverte de l’Amérique, l’Atlantique devient la leçon. Par exemple, « Grandes Découvertes »,
l’espace d’une compétition féroce entre les puissances « Christophe Colomb », « 1492 », « conquistadores »,
européennes pour le pillage et l’exploitation des terres « empires coloniaux ». Mettre en relation chacun de ces
nouvelles. Au cours des XVIe et XVIIe siècles, 400 000 à mots avec les repères figurant dans la chronologie p. 6.
500 000 personnes émigrent vers les Amériques, pour la Mettre en commun les réponses et écrire ensemble le
plupart des Espagnols, surtout des hommes qui espèrent résumé de cette séquence.
revenir au pays, fortune faite. Une part de l’économie est
réellement « mondialisée ». La route du Cap permet aux
produits des Indes orientales de parvenir en Europe par
l’Atlantique. Ainsi, soieries, cotonnades, laques, porce- BIBLIOGRAPHIE
laines, thé ou café reviennent souvent dans les achats
européens après 1560. On achemine depuis les Amériques
le bois brésil, puis le sucre, la cochenille (qui sert de tein- – C. Bernand et S. Gruzinski, Histoire du Nouveau
ture rouge) et l’indigo mexicains. Il y a surtout l’or dérobé Monde, tome 1 : De la découverte à la conquête, une
aux Indiens, puis l’argent : la découverte des mines amé- expérience européenne (1492-1550), Fayard, 1991.
ricaines après 1530 provoque une extraordinaire expan- – B. et L. Bennassar, 1492 : un monde nouveau ?, Perrin,
sion du commerce transatlantique, dont le volume est mul- 1991.
tiplié par huit entre 1510 et 1550, puis encore triplé entre – T. Gomez, L’Invention de l’Amérique. Rêve et réalités de
1550 et 1610. Séville et l’Espagne sont les premières tou- la Conquête, Aubier, 1992.
5. Zumarraga, le premier évêque de Mexico, se vantait d’avoir détruit plus de 500 temples et brisé plus de 20 000 idoles !
6. Rabelais, Le Tiers Livre, LI.
9
LA RENAISSANCE
Pages 12 à 17 du dossier
10
graphiques classiques. Cette dignité restaurée fait émerger anciennes et celui des « lecteurs royaux » (1530) que sub-
de nouveaux modèles : le prince3, l’artiste, l’humaniste, le ventionne François Ier sous l’impulsion de Guillaume
savant. Les élites culturelles se déplacent beaucoup pour Budé (futur Collège de France à Paris).
étudier, se rencontrer, parce qu’elles cherchent des protec- – Certaines villes qui sont des lieux de la Renaissance
teurs, parce qu’elles fuient les guerres ou les persécutions parce que ce sont de grands centres d’imprimerie ne sont
religieuses. Quand elles ne se déplacent pas, elles corres- pas des villes universitaires : c’est le cas de Venise, Lyon
pondent en latin. Leur statut change, elles prennent ou Anvers.
conscience de leur valeur et de leur individualité ; ratta- – Les académies (de Florence ou de Venise) et les cours
chées autrefois à des corporations, elles apprennent désor- sont souvent des lieux de rencontres, de réflexion et de
mais à proposer leurs services à titre individuel. création des idées nouvelles. Artistes, savants et huma-
nistes se déplacent d’un lieu à l’autre et correspondent
L’exploitation pédagogique entre eux et avec les souverains (Léonard de Vinci de
des documents en classe Florence à la cour du duc de Milan puis à celle de France,
➤ Activité 1 : document 1 p. 12 Pic de La Mirandole à Padoue, Florence et Rome, Holbein
à la cour de Londres).
Y a-t-il une patrie de la Renaissance ?
➤ Activité 2 : document 2 p. 12
Faire observer le document 1 p. 12 et faire répondre aux
Le nu est valorisé par les représentations renaissantes.
questions 1 et 2. Humanisme et Renaissance sont nés
simultanément grâce aux recherches et aux échanges des Les artistes innovent par rapport à la période précédente
élites intellectuelles et artistiques de deux espaces : l’Italie en copiant et en dépassant l’Antiquité. Faire observer le
et la Flandre. En Italie, Florence est le grand foyer de la document 2 p. 12 et faire répondre aux questions 3 et 4.
« civilisation de la Renaissance ». La protection des Ils recherchent un purisme qui se veut platonicien, une
Médicis est décisive. Le philosophe italien Pic de La esthétique sobre. Ils recherchent également une structure
Mirandole partage avec les autres humanistes du cercle mathématique de la beauté. Par exemple, les proportions
florentin la connaissance approfondie des Dialogues de humaines (question 3) parfaites sont liées aux figures
Platon, des Ennéades de Plotin, des Livres hermétiques, géométriques du carré et du cercle (question 4). L’artiste
des œuvres de Porphyre, Proclus, ou Denys l’Aréopagite. ambitionne d’atteindre le vrai par le beau. Se reporter aux
Ensuite, ce processus s’épanouit dans toute l’Europe des documents 2 p. 14 et 5 p. 15.
XVe et XVIe siècles. Faire repérer une dorsale Rome-
➤ Activité 3 : document 3 p. 13
Cambridge assez large dans sa partie centrale, à laquelle il
Le livre est la double révolution du papier et de l’imprimé.
faut joindre deux ensembles : celui des villes allemandes
de Munich à Rostock et celui de la péninsule Ibérique Faire observer le document 3 p. 13 et faire répondre aux
(question 1). À l’intérieur, faire identifier les pôles de dif- questions 5 et 6. Pourtant, le livre est antérieur à la révo-
fusion de la Renaissance (question 2) : lution du papier et de l’imprimé. Par le latin, il reste l’un
– Les grandes universités sont créées au Moyen Âge et des atouts du privilège universitaire. Jusqu’au XVe siècle,
leur existence n’est pas la preuve qu’elles offrent un ensei- en effet, les manuscrits continuent d’être transcrits sur par-
gnement rénové : les plus anciennes résistent aux idées chemin (sur peau d’agneau et de mouton) par les étudiants
nouvelles ; Vésale4 oppose l’enseignement qu’il a reçu à et les copistes (question 5). Force des usages, mais aussi
Paris (« Mon effort n’aurait pas abouti si, pendant mes désir d’employer une matière solide pour assurer une lon-
études de médecine à Paris, je n’avais mis personnelle- gévité aux textes. Plus de 2 000 exemplaires des traduc-
ment la main à la tâche et si je m’étais contenté des tions latines d’Aristote des XIIIe et XIVe siècles sont parve-
quelques viscères qu’au cours de l’une ou l’autre dissec- nus jusqu’à nous : cela prouve la puissance de l’appareil
tion publique, nous montraient à moi et à mes camarades, de diffusion universitaire du livre-copie latin et la solidité
superficiellement et sans insister, des barbiers d’une rare du support matériel qui lui est associé.
incompétence… ») à celui de Padoue (« l’école la plus La révolution du livre, c’est d’abord le papier. Le papier
célèbre de l’univers »). C’est en effet l’un des hauts lieux allège le livre, il le rend portatif et il en diminue le prix ;
de la Renaissance : Pic de La Mirandole y étudie l’hébreu, il multiplie aussi la surface couverte de signes. Le papier
l’araméen et le chaldaïque, Pomponazzi y enseigne l’idée apparaît en Italie au XIIe siècle ; il est fait de morceaux de
de l’harmonie de l’univers. Il y a aussi Louvain ou tissu et de vieux cordages de chanvre broyés. Mais on se
Cambridge et quelques universités récentes comme celle méfie de ce support fragile ; les interdits se multiplient au
d’Alcalá de Henares en Espagne, fondée par le cardinal XIIIe siècle. Pourtant, la technologie du papier sort d’Italie.
Cisneros en 1509, ou encore l’université de Pise reconsti- Dès cette époque, des négociants italiens apportent du
tuée par Laurent le Magnifique. papier aux foires de Champagne. De là, le papier gagne les
– Les collèges sont aussi des pôles actifs de diffusion des Pays-Bas et l’Angleterre. Au centre d’un réseau de distri-
idées nouvelles. Parmi les plus célèbres, celui qu’Érasme bution qui couvre toute l’Europe du nord-ouest, la
fonde en 1517 à Louvain pour l’enseignement des langues Champagne, centre distributeur relais, devient un centre
3. Charles Quint, homme de culture et de guerre, et Ludovic Sforza, homme de pouvoir et mécène, illustrent à deux niveaux différents l’image de ces grands
seigneurs de la Renaissance.
4. De humani corporis fabrica, op. cit.
11
producteur. Au milieu du XVe siècle, la France vient ainsi line ; la symétrie du bâti renvoie à la pente régulière de la
en deuxième position derrière l’Italie. Il y a ainsi une butte. La villa respecte un plan symétrique : deux axes
Europe consommatrice et exportatrice de papier, l’Italie ; perpendiculaires se recoupent au centre du cercle du salon
une Europe consommatrice et productrice qui se suffit à central ; chaque côté du bâtiment est précédé d’un por-
elle-même, la France ; une Europe importatrice du papier tique auquel on accède par un escalier monumental. La
qu’exporte l’Italie constituée par l’Espagne, l’Angleterre, façade de la Rotonda est un concentré des éléments consti-
les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse. tutifs du temple grec ionique et du Panthéon
L’autre versant de la révolution du livre est l’imprimé. romain (document 5) : portique à fronton triangulaire
L’imprimerie est née et s’est développée dans l’axe rhé- avec six colonnes à chapiteaux ioniques et décorés, cor-
nan, d’abord là où se trouve la plus forte concentration de niche marquant la séparation entre le rez-de-chaussée et
lisants en dehors du milieu universitaire, à proximité, l’attique (l’étage), statues de nus à la pointe du fronton...
aussi, d’un grand producteur de papier : la Champagne. La coupole est significative de l’art byzantin et revient en
Elle gagne immédiatement l’Italie du Nord, qui présente la force dans l’architecture de la Renaissance (questions 7
même configuration. L’imprimerie est le procédé de com- et 8). La villa a des proportions harmonieuses (par exem-
position au moyen de caractères mobiles indépendants. On ple, rapport entre la largeur et la hauteur d’un mur). Sa
part du poinçon, où le caractère est gravé en relief dans un façade est construite sur un rythme ternaire vertical (trois
métal dur. Le poinçon sert à fabriquer la matrice en creux niveaux) et horizontal (corps principal, deux portiques
dans un métal plus tendre. La matrice sert à fondre un accolés). Le rez-de-chaussée est le niveau le plus impor-
grand nombre de caractères en un métal fusible à basse tant. Au centre, une vaste salle circulaire traitée en
température (plomb ou étain). Les compositeurs sont assis « rotonde à l’italienne » occupe deux niveaux en hauteur ;
devant les casses inclinées, les caractères sont répartis c’est la salle de réception du maître. Sur les côtés, éclai-
dans des cassetins. Le manuscrit à reproduire est disposé rées par de hautes fenêtres à fronton, on trouve quatre
au-dessus de la casse. Le compositeur tient dans sa main grandes pièces identiques. À l’attique, les pièces, moins
gauche une cornière sur laquelle il dispose les caractères volumineuses, donnent sur une balustrade à colonnettes
qu’il prend de la main droite, ainsi que les cales qui main- qui fait le tour de la rotonde.
tiennent un espace entre les mots. Puis, il dépose chaque
ligne ainsi réalisée sur la galée, sorte de plateau en bois.
Chaque galée correspond à une page. Les pages sont réunies SUR LES TRACES DES HOMMES
dans une forme serrée à vis. On imprime plusieurs pages DE LA RENAISSANCE
sur une grande feuille qui sera ensuite pliée et découpée.
Les pages ne sont donc pas disposées dans l’ordre de la
lecture mais dans celui déterminé par le pliage et en tenant L’exploitation pédagogique
compte de l’impression de la feuille recto-verso. Les des documents en classe
pages sont frottées avec des tampons enduits d’encre, puis ➤ Activité 1 : documents 1, 2, 3 et 4 pp. 14-15
placées sur le marbre, c’est-à-dire le plateau qui reçoit la « Les arts étaient presque morts et à présent ils renais-
presse. Le papier est humide : il prend l’encre sans bavure sent. » (Lorenzo Valla)
et ne se déchire pas sous la presse (question 6).
Léonard de Vinci (1452-1519) fait son apprentissage dans
➤ Activité 4 : documents 4 et 5 p. 13 l’un des meilleurs ateliers florentins, celui du peintre et
L’architecture renaissante ressuscite l’architecture des sculpteur Andrea del Verrocchio. Léonard s’initie aux pro-
Anciens. cédés de la fonte du bronze et du travail des métaux ; il
apprend à élaborer peintures ou sculptures par l’étude de
Faire observer le document 4 p. 13. La villa Rotonda est
nus ou de draperies, et par l’étude des végétaux et des ani-
la plus célèbre des villas de l’architecte Andrea di Pietro
maux. Il se familiarise avec la perspective et avec le
de la Gondola (1508-1580), baptisé Palladio par les huma-
maniement des couleurs (question 1). On peut mesurer sa
nistes. Destinée à un clerc vénitien, la Rotonda sera
prodigieuse activité grâce aux soins qu’ont pris ses élèves
ensuite vendue à la famille Capra, dont les armes seront
de conserver à la postérité ses carnets de notes et ses cro-
placées au fronton du bâtiment et dont le patronyme sera
quis, au total des milliers de feuilles couvertes d’écritures
gravé sur la frise. Elle est construite entre 1566 et 1570, au
et de dessins, pleines de citations tirées des lectures du
sud-est de Vicence, dans l’arrière-pays de Venise. En effet,
maître et de notes concernant des projets de livres. C’est
à partir de 1530, le déclin des échanges avec l’Orient otto-
que Léonard de Vinci n’a jamais publié ses écrits ; il est
man oblige les négociants vénitiens à investir dans la
possible qu’il se soit censuré par crainte d’être déclaré
terre… et la pierre. Les nouveaux propriétaires se font
hérétique. Faire observer le document 3 p. 14 et faire
construire sur leurs exploitations agricoles d’élégantes
répondre à la question 5. On trouve dans ses carnets des
demeures rurales où ils peuvent recevoir comme en ville.
formules comme « Le Soleil ne bouge pas », qui indiquent
Faire confronter les documents 4 et 5 p. 13 et faire répon- bien que Léonard a pressenti les théories de Copernic et de
dre aux questions 7, 8 et 9. Galilée. Même si nous savons aujourd’hui que, dès
La Rotonda (document 4) ne s’impose pas au paysage l’Antiquité, des savants ont pensé que la Terre était un
mais elle procède de lui : l’escalier de la façade reprend la satellite du Soleil, la plupart des hommes croyaient que la
pente du terrain ; la coupole prolonge l’arrondi de la col- Terre était le centre de l’univers et que tous les astres tour-
12
naient autour d’elle. Cette vulgate s’appuie sur le mouve- si la forme est laissée un peu vague, l’impression de
ment apparent du Soleil. L’Église romaine valide cette sècheresse et de distance disparaît. C’est cette trouvaille
représentation qui lui semble en accord avec la cosmogo- que les Italiens nomment « sfumato » : un contour enve-
nie développée dans l’Ancien Testament. L’héliocentrisme loppé, des couleurs adoucies permettent aux formes de se
copernicien – la théorie de Copernic est publiée en 1544 – perdre les unes dans les autres et laissent quelque chose à
brise cette conception. Le savant italien Galilée (1564- l’imagination. Dans l’art du portrait, l’expression d’un
1642), qui vécut pourtant après Copernic (1473-1543), visage dépend surtout des commissures des lèvres et des
doit renoncer à professer que la Terre tourne autour du paupières : ce sont les points que Léonard laisse volontai-
Soleil sous la pression de l’Inquisition en 1633. rement dans le vague. C’est d’ailleurs bien plus qu’un
effet de vague. On observe une dissymétrie entre le côté
À une époque où les élites s’appuient sur l’autorité des gauche et le côté droit du tableau. À droite, l’horizon est
Anciens, Léonard ne croit qu’en ses propres expériences. beaucoup plus haut qu’à gauche. Suivant que l’on fixe
Faire lire le document 1 p. 14 et faire répondre à la ques- l’un ou l’autre horizon, Mona Lisa semble de stature et
tion 2. Par exemple, plus de trente fois, il s’attaque à la d’attitude différentes. De même, l’expression du visage
dissection d’un cadavre humain (question 2). Il essaie de change suivant que l’on fixe l’œil droit ou l’œil gauche.
percer le mystère de la croissance de l’embryon. Il étudie Mais le tableau ne se résume pas à ces audaces tech-
le mouvement des vagues et des courants, observe et ana- niques : faire remarquer la qualité du rendu de l’épiderme,
lyse le vol des insectes et des oiseaux et, par là, en vient à du modelé des mains et du plissé des tissus.
imaginer des machines volantes... Faire observer le docu-
ment 4 p. 14 et faire répondre aux questions 6, 7 et 8. Ce ➤ Activité 2 : document 5 p. 15
sont encore ses carnets qui nous font dire que Léonard de La dignité de l’homme est vécue comme un don du
Vinci a inventé l’hélicoptère, le sous-marin, l’hélice ou Créateur à une fragile créature.
encore le parachute (question 6). En fait, Léonard est un Un autre artiste Florentin donne au Cinquecento7 italien
ingénieur moins génial qu’on ne l’a dit : il faut le replacer son extraordinaire éclat : Michelangelo Buonarroti (1475-
dans la lignée des ingénieurs architectes de la Renaissance 1564) naît 23 ans après Léonard de Vinci et lui survivra de
(Brunelleschi5, Ghiberti, Alberti pour la première généra- 44 ans. À l’âge de 13 ans, il entre dans l’atelier d’un des
tion, San Gallo et Francesco di Giorgio pour la deuxième maîtres du Quattrocento déclinant, Domenico Ghirlandaio.
génération, qui est celle de Léonard). Le plus souvent, il Mais au lieu d’imiter le style de Ghirlandaio, Michel-
n’a qu’une intuition géniale que les conditions techniques Ange se met à étudier les maîtres du passé : Giotto,
du XVIe siècle ne permettent pas de réaliser. Il faut attendre Masaccio, Donatello et les sculpteurs grecs et romains
1797 pour voir le Français Garnerin sauter d’un ballon à dont il approche les œuvres à travers les collections des
680 mètres au-dessus de la plaine Monceau ; en 1912, Médicis. Il cherche dans la sculpture antique le corps
l’Américain Berry saute d’un avion au-dessus de Saint- humain en mouvement. Mais, de même que Léonard, il ne
Louis (question 7). peut se satisfaire d’une science de seconde main, et c’est
En digne héritier de ses prédécesseurs florentins, Léonard par la dissection et l’étude du dessin d’après modèle
de Vinci est convaincu que l’artiste doit explorer le monde vivant qu’il parvient à une connaissance approfondie de
visible avec toute la perspicacité dont il est capable. La l’anatomie humaine.
forme des rochers et des nuages, les effets de l’atmosphère En 1508, le pape Jules II fait appel à Michel-Ange pour
sur la couleur des objets lointains, la croissance des arbres décorer la voûte d’une chapelle du Vatican, bâtie selon la
et des plantes, l’harmonie des sons, tout est objet de ses volonté de Sixte IV entre 1477 et 1480, nommée pour
recherches, lesquelles fondent son art pictural. Faire cette raison « chapelle Sixtine ». Ses murs ont été décorés
observer le document 2 p. 14 et faire répondre à la ques- de fresques par des peintres de la génération précédente :
tion 4. Mona Lisa (peint entre 1503 et 1507) est le portrait Botticelli, Ghirlandaio, Pérugin, Signorelli… Le pro-
d’une dame florentine prénommée Lisa, épouse du négo- gramme iconographique de la chapelle comporte trois
ciant florentin Francesco del Giocondo. Les œuvres du cycles de fresques : sur les murs, deux cycles représentent,
Quattrocento6 italien ont un trait commun : leurs figures d’un côté, l’histoire du monde « sous la loi », c’est-à-dire
sont âpres et hiératiques. Or, ce qui impressionne avant après que Moïse a reçu les Dix Commandements, et de
tout avec La Joconde est l’expression vivante du person- l’autre, celle du monde « sous la grâce », c’est-à-dire à
nage. Mona Lisa nous regarde et nous croyons sonder son partir de la naissance du Christ ; le troisième cycle se
âme (question 3). Tout comme un être vivant, son visage trouve sur la voûte, où Michel-Ange décide de représenter
n’est pas exactement semblable chaque fois que nous y le monde d’« avant la loi ». Le côté matériel de l’entre-
revenons. On peut lire dans ses yeux une certaine moque- prise est à lui seul extraordinaire. Après avoir fait ses pré-
rie et deviner dans son sourire de la mélancolie (ques- parations et réalisé des esquisses détaillées, Michel-Ange
tion 4). Léonard est d’ailleurs conscient des artifices qu’il doit, pour les transférer sur la voûte, travailler étendu sur
déploie : si les contours du visage ne sont pas trop fermes, le dos. De plus, la voûte, primitivement recouverte d’un
5. Brunelleschi stupéfie ses contemporains en élevant la coupole octogonale de Santa Maria del Fiore en 1420 et 1436 sans échafaudages extérieurs, sans
contreforts ni arc-boutants.
6. Le XIVe siècle italien (XVe siècle français).
7. Le XVe siècle italien (XVIe siècle français).
13
semis d’étoiles, est peu inclinée. Michel-Ange invente une Le livre imprimé /
structure en trompe-l’œil, dans le prolongement de celle Des œuvres littéraires majeures
des murs, faite d’une fausse corniche et de faux pilastres,
qui donnent une impression de plus grande hauteur de pla- C’est bien entre 1448 et 1450 que le tournant décisif est
fond et qui découpent la surface en 9 compartiments et 33 pris. Mayence est le berceau de cette nouvelle industrie
panneaux. Aux retombées de la voûte, entre les fenêtres dont le développement apparaît lié à trois noms : Jean
(cinq de chaque côté), Michel-Ange peint des figures de Gutenberg, Jean Fust (un riche bourgeois qui joue le rôle
l’Ancien Testament : les prophètes qui annoncent au peu- de banquier) et Pierre Schöffer (un ancien étudiant de
ple juif la venue du Messie, et les sibylles qui prédisent l’université de Paris qui fut peut-être copiste et xylographe
aux païens la venue du Christ. Au centre, sur le plafond, avant de devenir imprimeur). Au moins 15 à 20 millions
Michel-Ange peint la Création du monde et l’histoire de d’exemplaires ont été produits entre 1450 et 1500, et au
Noé. Faire décrire le document 5 p. 15 et faire répondre moins 150 à 200 millions d’exemplaires tout au long du
aux questions 9 et 10. Les panneaux 1 à 6 se situent avant XVIe siècle. Les sondages réalisés dans les inventaires
la Chute et surplombent les stalles des clercs : Dieu le après décès montrent que la masse des livres imprimés
Père, d’un geste puissant, appelle à la vie les plantes, les avant 1500 comprend une proportion énorme de livres
corps célestes, les animaux, et l’Homme. La scène repro- en latin (près de 80 %), puis environ 7 % de livres en
duite dans le manuel est le panneau 4, La création italien, 6 % en allemand, 5 % en français ; les textes
d’Adam. Comme porté par l’éther apparaît Dieu le Père religieux dominent (45 %), devant les livres à caractère
soutenu par Ses anges. Sa main tendue n’effleure pas littéraire, classiques, médiévaux et contemporains (un
encore celle d’Adam que, déjà, le premier homme peu plus de 30 %), suivis par les livres de droit et les
s’éveille comme d’un profond sommeil, contemplant son livres à caractère scientifique. En tête de toute l’édition
Créateur (question 9). Le toucher de la main divine est le du XVe siècle, bien avant la Réforme, on trouve bien
foyer de la composition. La facilité du geste et sa puis- sûr la Bible, dont la fameuse Bible de Gutenberg à
sance évoquent l’idée d’omnipotence (le deus ex 42 lignes.
machina). Le jeu des muscles exprime avec une maîtrise
digne des grands sculpteurs grecs le mystère de la
De nouvelles formes architecturales
Création (question 10). héritées de l’Antiquité
Se reporter à la description comparée de la Rotonda et du
Panthéon, documents 4 et 5 p. 13.
L’HÉRITAGE DE LA RENAISSANCE
14
HENRI IV
Pages 18 à 23 du dossier
15
cisme résistent : la Lorraine, le Nord, la Champagne, le – Enfin s’ajoute une légitimation populaire, avec l’entrée
Bassin parisien, la Bourgogne, le Lyonnais, sans oublier la d’Henri IV dans Paris, la capitale ligueuse reconquise, le
Bretagne (question 2). À la mort d’Henri II, un Français 22 mars 1594. Le roi assiste à une messe à Notre-Dame.
sur dix est protestant. Les élites urbaines, surtout la
noblesse, y compris à la cour, tout près du roi, sont
séduites par la simplicité du message protestant et les SUR LES TRACES DES PROTESTANTS
solutions qu’il avance pour assurer son salut. ET DES CATHOLIQUES
➤ Activité 2 : documents 2 et 3 p. 19
Henri IV est le premier roi à diffuser une image contrôlée À la suite des « malheurs des temps », les foules euro-
de son action et de son apparence. péennes vivent leur foi dans l’angoisse du Jugement
Faire observer le document 2 p. 19 et faire répondre aux dernier. L’inflation des messes pour les défunts et le suc-
questions 3, 4 et 5. Ce grand portrait de Frans Porbus le cès des indulgences1 sont les signes de la crise de la
Jeune célèbre la majesté d’Henri IV qui porte le cordon de conscience chrétienne. Les « bonnes œuvres », sur les-
l’ordre du Saint-Esprit, fondé par son prédécesseur en quelles le Moyen Âge a insisté, paraissent bien dérisoires
1578 afin de fidéliser les grands lignages. Le roi est repré- à ceux qui ont un sens aigu de leur situation de pécheur.
senté en pied, de trois quarts, tourné vers la droite ; le sou- D’autant que les abus de l’Église sont indiscutables : relâ-
verain nous regarde dans un mélange de clémence – le chement de la discipline dans les ordres monastiques,
« bon roy Henri » sensible aux doléances de ses sujets – et ignorance et vie dissolue du bas clergé, absentéisme des
d’autorité – un roi de guerre, couvert de l’armure (ques- évêques, cumul scandaleux des bénéfices, népotisme à la
tion 3). cour pontificale. Les préoccupations de papes comme
Alexandre VI, Jules II et Léon X sont avant tout sécu-
Henri IV cumule en effet plusieurs légitimations : lières. C’est dans ce climat que se forment Martin Luther
– D’abord, une légitimation militaire acquise sur les (1483-1546) et Jean Calvin (1509-1564).
champs de bataille contre les ultracatholiques. Henri IV a
dû reconquérir une partie de son royaume à la pointe de L’exploitation pédagogique
l’épée. Faire remarquer le panache blanc et l’écharpe des documents en classe
blanche. C’est Agrippa d’Aubigné qui prête au roi la for-
mule : « Ralliez-vous à mon panache blanc ! » Pourtant,
➤ Activité 1 : documents 1 et 2 p. 20
rien ne prédispose cette couleur à incarner l’État royal. En La Réformation assure le salut.
1562, Louis de Bourbon, prince de Condé, frère cadet La prédication des indulgences en Allemagne déclenche le
d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre, décide que le blanc processus qui aboutit au schisme protestant : en 1520, le
sera la marque militaire des Réformés. Le blanc austère théologien saxon Martin Luther est excommunié par le
des protestants contraste alors avec les textiles somptueux pape. Si les 95 thèses affichées par Luther le 31 octobre
des gentilshommes catholiques. C’est avec Henri IV que 1517 sur les portes de l’église de Wittenberg attaquent les
s’opère un complet retournement : durant l’été 1589, clercs prévaricateurs, les disputes théologiques qui suivent
l’écharpe blanche devient la marque du roi, alors que se l’obligent à expliciter sa doctrine :
multiplient les portraits du souverain accompagné du – Figée à force de commenter des commentaires de com-
blanc identitaire. Toutes les villes qui se rallient à Henri IV mentaires, la culture du Moyen Âge, cette méthode de
organisent des « fêtes des écharpes blanches » pour mani- l’École nommée pour cela « scholastique », ne donne plus
fester leur adhésion à la monarchie restaurée. de réponse satisfaisante à la seule question qui compte :
– Ensuite, une légitimation religieuse : en 1589, le nou- comment faire son salut ? Ou plutôt : qu’est-ce qui sauve ?
veau roi est protestant (question 4). Pour la ligue catho- Luther répond « la foi, non le mérite », c’est-à-dire les
lique, le souverain légitime est le cardinal de Bourbon, roi bonnes œuvres. La lecture littérale des Évangiles et des
de France sous le nom de « Charles X » (question 5). Épîtres de saint Paul (sola scriptura) lui permet d’élaborer
Deux sièges de Paris en 1589 et 1590 se soldent par deux sa doctrine du salut : le pécheur est sauvé non par ses
échecs pour Henri IV. Il lui faut acquérir une légitimation œuvres entachées du penchant indélébile de l’homme pour
religieuse. Faire observer le document 3 p. 19 et faire le péché, mais par le martyre de Jésus-Christ. La seule
répondre à la question 6. Elle a lieu le 25 juillet 1593 manière de collaborer au salut est de croire et d’espérer en
quand le roi abjure le protestantisme à l’abbatiale de l’infinie miséricorde de Dieu. C’est la « justification par
Saint-Denis. La conversion, qui fait coïncider la religion la foi » (sola fide), qui entraîne donc le rejet de tout ce qui
du roi avec celle de la majorité de ses sujets, est l’élément peut faire écran entre le chrétien et son Dieu : Vierge,
décisif du ralliement des villes à la cause royale (ques- saints intercesseurs, prêtres seuls dispensateurs des sacre-
tion 6). Quant au véritable sacre, il a lieu à Chartres le ments... Par exemple, l’eucharistie : les protestants com-
27 février 1594, Reims étant aux mains de la Ligue et de munient sous les deux espèces, où les matières du pain et
son archevêque, un Guise. Après cette consécration, il est du vin coexistent avec le corps et le sang du Christ, c’est
difficile pour un Français, même ligueur, d’affirmer que la la « consubstantiation » ; la « transsubstantiation » catho-
France n’a pas un roi « oint » de Dieu. lique (selon laquelle le pain et le vin deviennent corps et
1. La papauté romaine vend aux fidèles des réductions de peine pour les âmes du Purgatoire en échange de subsides destinés à financer la reconstruction de
Saint-Pierre de Rome.
16
sang du Christ) est écartée car l’hostie est considérée leur culte à l’extérieur des villes, décision révolutionnaire
comme objet d’idolâtrie. puisqu’elle décriminalise le culte réformé, mais qui pro-
– La doctrine du « sacerdoce universel » achève de sup- voque la fureur des ultracatholiques. Tout bascule le 1er
primer la distance entre clercs et laïcs. Tout baptisé est mars 1562 à Wassy en Champagne : le duc François de
prêtre de Jésus-Christ, tout baptisé a donc droit à la parole Guise laisse des hommes de son escorte attaquer des
de Dieu, qui ne peut être accaparée par un corps intermé- protestants célébrant leur culte à l’intérieur de la ville,
diaire et médiateur exclusif ; l’infaillibilité papale est niée. en infraction avec l’édit royal ; 74 auraient été massacrés
Faire observer le document 1 p. 20 et faire répondre aux et une centaine d’autres blessés. C’est le début de la
questions 1 et 2. Faire trouver sur l’image la critique première guerre de Religion. En mars 1563, Catherine
luthérienne de la prévarication : les préoccupations sécu- de Médicis offre la paix à Louis de Bourbon, chef des
lières du clergé catholique sont rendues par les velours protestants. À l’automne 1567, la « surprise de Meaux »
cramoisis rehaussés de broderies d’or et d’argent. Par – coup de main manqué des protestants contre la
opposition, faire remarquer le noir austère des protestants cour – a pour but de soustraire Charles IX de l’in-
(question 1). Faire trouver la sola scriptura : sur le plateau fluence de sa mère. Deux guerres s’ensuivent (1567-1568,
de la balance, les Écritures pèsent plus lourd que toute la 1568-1570).
hiérarchie ecclésiastique. Ceux qui croient en la parole Faire confronter les documents 3 et 4 p. 21 et faire répon-
révélée sont donc dans le vrai car la balance penche en dre à la question 5. La « michelade » de Nîmes (29 sep-
leur faveur (question 2). tembre 1567) fait partie de la deuxième guerre de
Faire lire le document 2 p. 20 et faire répondre aux ques- Religion. La violence protestante s’attaque d’abord aux
tions 3 et 4. Le réformateur Jean Calvin est fils de son symboles de l’idolâtrie plus qu’à la personne des idolâtres.
temps : il baigne dans le même climat d’interrogation Si des clercs sont molestés, c’est surtout la statuaire des
angoissée sur le salut que Luther ; il reprend à son compte églises ainsi que les tabernacles et les pierres d’autels qui
l’idée luthérienne de « sacerdoce universel » ; il est sont visés. Le contexte de la première guerre de Religion
convaincu qu’il ne pourra pas accomplir son salut dans (1562-1563) fait ensuite évoluer cette violence icono-
l’Église romaine telle qu’elle est de son temps (ques- claste. Les horreurs perpétrées par les chefs protestants
tion 4). Mais Calvin insiste moins sur les fameux abus, n’ont plus rien à envier à celles commises par les capi-
problèmes de mœurs ou de discipline, qui ont fait la for- taines catholiques. La « michelade » de Nîmes demeure
tune de Luther, que sur l’ignorance dans laquelle se trouve dans la mémoire nationale comme le symbole des cruau-
l’Église romaine face à la vérité de l’Évangile. Cette vérité tés protestantes qui, dans l’ensemble, ont fait moins de
n’y est pas prêchée. Le véritable abus concerne la doc- victimes que celles des catholiques. La paix de Saint-
trine : les prêtres romains croient mal et leurs « erreurs » Germain (1570) clôt cette période : Coligny devient le
– les pèlerinages, les interdits alimentaires, la confession, conseiller de Charles IX ; Catherine de Médicis appelle à
etc. – font écran entre le chrétien et son Dieu (question 3). Paris le jeune Henri de Navarre dans le but de l’unir à sa
Ces cultes éloignent de Dieu ceux qui forment véritable- fille Marguerite de Valois. Le mariage est célébré le
ment l’Église, ceux qui vivent dans la même espérance du 18 août 1572. Le 22 août, Maurevert, à la solde des Guise,
salut, que Calvin appelle « les élus ». S’ils sont élus, c’est tire sur Coligny. Cet attentat manqué surprend Charles IX.
par Dieu. Calvin Le désigne comme « le Très-Haut », « le Que faire ? Accuser les Guise serait s’aliéner les catho-
Tout-Puissant ». Il insiste sur le fait qu’Il n’est connu que liques ; ne pas agir serait laisser les protestants se venger.
quand et comme Il se révèle, à travers Jésus-Christ, sans Charles IX ordonne la mise à mort des chefs protestants.
que la raison puisse y comprendre rien. Le massacre « politique » de la Saint-Barthélemy (dans la
nuit du 23 au 24 août 1572) est vite dépassé par un mas-
➤ Activité 2 : documents 3 et 4 p. 21
sacre « populaire », incontrôlable à Paris, suivi de massa-
Les progrès de la Réformation alimentent l’intolérance cres dans d’autres villes (Meaux, Bourges, Orléans, Lyon,
religieuse. Rouen, Toulouse, Bordeaux…). Cette peinture (docu-
Pour faire barrage à l’intolérance religieuse, il faudrait un ment 4) est une représentation de l’hécatombe parisienne
souverain ferme. Mais après la mort d’Henri II en 1559, le vue par un calviniste, François Dubois (1529-1584), exilé
trône échoit à deux jeunes princes maladifs : François II à Genève : femmes éventrées, nouveau-nés et hommes
meurt en décembre 1560 ; son frère Charles IX (1560- massacrés, vieillards poignardés. Les rues sont jonchées
1574) est encore un enfant. Faire répondre à la question 6. de cadavres nus et mutilés. Le corps de Coligny est
Deux partis se disputent le pouvoir : celui des Guise, souillé : défenestré, puis décapité – faire repérer au centre
oncles de la jeune reine Marie Stuart, épouse de François II, du tableau le duc de Guise tenant triomphalement sa tête –,
qui poussent à un durcissement des persécutions, et celui émasculé, traîné au gibet de Montfaucon (à droite du
de la reine mère, Catherine de Médicis, qui assure la tableau). Surtout, le peintre accuse la mère et le fils :
régence et cherche la concorde. Ainsi, Catherine impose Catherine de Médicis est juchée sur un monceau de cada-
l’entrée au Conseil du roi d’un protestant notoire, l’amiral vres nus (à gauche du tableau) ; Charles IX tire à l’arque-
de Coligny, et fait nommer comme chancelier Michel de buse depuis une fenêtre du Louvre. Dubois démontre ainsi
L’Hospital, ami des Guise mais soucieux de paix (ques- que le souverain est devenu un tyran, qu’il est juste désor-
tion 6). Le 17 janvier 1562, l’édit de Saint-Germain mais de combattre par tous les moyens (question 5). La
accorde aux protestants le droit de pratiquer publiquement brèche régicide ouverte par la Saint-Barthélemy ne se
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refermera qu’après l’assassinat de deux rois : Henri III en Sully (1559-1641) ministre d’Henri IV /
1589 et Henri IV en 1610. Cette violence extrême alimen- Sully et l’agriculture
tera encore quatre guerres de Religion (1574-1576, 1577,
1579-1580, 1586-1598) jusqu’à l’édit de Nantes (13 avril Par l’étendue des responsabilités que lui confie Henri IV
1598). (finances, routes, fortifications, artillerie…), Sully inau-
gure la série des grands ministres du XVIIe siècle :
Richelieu, Mazarin, Colbert, Louvois. Par l’importance
des édits et des ordonnances qu’il a préparés, Sully est
l’initiateur de la monarchie administrative, qui s’épa-
L’HÉRITAGE D’HENRI IV nouira au temps de Louis XIV. Sully, surintendant des
Finances, mais aussi grand voyer (restaurateur des routes,
des ponts et des chemins) accompagne la remise au travail
Le souvenir du « bon roi Henri » de la société pacifiée (le fameux « labourage et pâtu-
rage »). La reprise de l’économie agricole est une certi-
C’est une petite troupe qui est élevée ensemble par le roi tude, comme en témoignent la stabilisation des prix et
de France : les enfants légitimes, tout d’abord, le dauphin l’absence de grande crise frumentaire, jusqu’au milieu des
Louis, le futur Louis XIII, né le 25 septembre 1601, et ses années 1610. Un peu partout, les paysans défrichent les
deux frères, le premier duc d’Orléans, né le 16 avril 1607, lopins, restaurent les murs et les toitures des chaumières,
et Gaston, né le 25 avril 1608 ; ses trois sœurs, Élisabeth tandis que les marchés ruraux retrouvent leur animation
(1602), Chrétienne (1606) et Henriette (1609). Les perdue… Des mesures fiscales favorables aux travailleurs
bâtards, ensuite, Alexandre de Vendôme, deuxième fils de la terre complètent cet effort de reconstruction à partir
d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées2, né en 1598, Henri de la cellule seigneuriale : dès 1596, le roi abandonne la
de Verneuil, fils d’Henriette d’Entragues, né en 1601, perception des années de taille échues et cette décharge est
et le comte de Moret, fils de Jacqueline de Bueil, né prolongée jusqu’à la fin de 1597, puis jusqu’en décembre
en 1607. 1599.
2. Gabrielle d’Estrées a trois enfants du roi. Elle meurt subitement au moment où Henri IV divorce de Marguerite de Valois et aurait pu faire d’elle une reine
de France.
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EXPLORER À LA MANIÈRE DE… LES GRANDS DÉCOUVREURS
Pages 24 et 25 du dossier
L’exploitation pédagogique en classe rations du XVe siècle, il est persuadé de pouvoir atteindre
l’Orient en traversant l’Atlantique. Le roi du Portugal
L’Empire espagnol a mené dès la fin de la conquête une
ayant refusé son projet, il s’adresse à la cour d’Espagne,
politique de colonisation très active. Pour leurs voyages,
qui accepte de le soutenir et lui accorde le titre de vice-roi
les navigateurs utilisent des portulans (de l’italien porto,
sur les terres qu’il pourrait découvrir.
qui signifie « port »), qui retracent la forme des côtes et
indiquent les noms des ports ; ces documents sont la pre- Le 3 août 1492, Colomb quitte le port de Palos avec ses
mière forme de nos cartes marines. trois navires. Le 12 octobre, ses marins aperçoivent les
Bahamas, qu’ils baptisent « San Salvador ». Les navires
➤ Activité 1 : « Je découvre les conquistadores repartent pour chercher les trésors dont parle Marco Polo.
espagnols » Ils découvrent Cuba et Haïti, baptisés « Hispaniola ». Le
Carte marine, environ 1519 (document 1) contact avec les populations autochtones est facile, ce qui
Ce portulan montre que les conquistadores avaient une amène Christophe Colomb à définir sa politique indigène :
connaissance développée des côtes (nombreux ports exploration, domination et évangélisation. Rentré en
représentés) mais connaissaient mal l’intérieur des terres Espagne en 1493, il fera encore trois voyages : il décou-
(peu de villages indiqués). Un texte légende la carte : vrira la Guadeloupe, explorera encore les côtes
« Les habitants sont foncés de peau, très cruels, ils se d’Amérique et trouvera l’île Trinité.
nourrissent de chair humaine. Ils sont aussi très habiles ➤ Activité 2 : « Je découvre la civilisation inca »
au maniement des arcs et des flèches. Dans ce pays vivent
des perroquets multicolores, des oiseaux innombrables, Au XVe siècle, l’Empire inca s’étend du sud de la
des bêtes sauvages monstrueuses… C’est là que pousse en Colombie jusqu’au Chili. Il est divisé en quatre districts ;
grandes quantités l’arbre appelé “brésil” qui est utilisé la capitale est Cuzco (qui se traduit par « nombril du
pour teindre les étoffes en pourpre. » La légende est mise monde »). Pour unifier ce territoire, les Incas imposent
en image dans la carte. Dans l’océan, les caravelles arbo- une langue et une religion communes. Le quechua devient
rent la croix du Christ. ainsi la langue de tous les peuples de l’Empire et les cultes
aux dieux Viracocha, créateur de toutes choses, et Iuti,
En 1494, le traité de Tordesillas pose les bases d’une dieu du Soleil, ainsi qu’aux divinités polythéistes (comme
réglementation internationale fixant un partage des terres la déesse de la Pomme de terre ou de la Fécondité) sont
entre les Espagnols et les Portugais. En 1529, le traité de rendus obligatoires. Les sacrifices humains ne sont prati-
Saragosse fixe la seconde ligne de partage dans le qués qu’au moment des famines, des épidémies, des
Pacifique. Avec ces traités, Espagnols et Portugais espè- guerres et pour célébrer la nomination d’un nouvel empe-
rent pouvoir arrêter les nombreux pirates et corsaires. reur. Un réseau routier de plus de 15 000 kilomètres relie
L’Empire colonial espagnol s’est construit très rapide- les quatre parties du territoire. Les routes, qui traversent
ment. Dès 1519, Cortés conquiert l’Empire aztèque en montagnes, déserts et ravins, sont toutes pavées et com-
deux ans. En 1532, l’Empire inca est conquis à son tour. portent un système d’irrigation.
En 1540, les Espagnols occupent plus de 2 millions de
Sur les hauts plateaux, les Incas cultivent la pomme de terre
kilomètres carrés du sol américain. En 1550, les Indes
et élèvent des lamas. Dans le reste de l’Empire, on cultive
occidentales sont définitivement conquises.
le maïs, offert aux dieux lors les cérémonies religieuses.
Journal du premier voyage de Christophe Colomb, La maison inca est rectangulaire, sans fenêtres. Le toit est
1492 (document 2) en chaume, le sol en terre battue. Dans les murs, des
Fils d’un tisserand italien, Christophe Colomb s’établit au niches accueillent les statues des divinités locales. Le feu
Portugal en 1476 après plusieurs voyages. Nourri des aspi- se fait à même le sol.
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Les vêtements sont très simples. Les femmes portent une b. Préparation des costumes et du décor en lien avec les
robe d’alpaga qu’elles enfilent par la tête et qui est nouée arts plastiques : recherche de documentation sur les vête-
à la taille avec une écharpe. Elles sont coiffées d’une pièce ments des Incas et des Aztèques ; recherche d’informa-
de tissu tenue par une épingle. Les hommes portent une tions sur les caravelles pour pouvoir les dessiner.
grande pièce de laine qu’ils passent par la tête et dont les c. Écriture de la lettre au roi (en lien avec les domaines de
bords sont cousus pour les bras. Ils tressent leurs cheveux la langue française).
avec des fils de laine colorés. d. Mise en place de la saynète avec les élèves.
Les Incas ne connaissent pas l’écriture. Ils utilisent des Pour aller plus loin
cordelettes (appelées quipu) qu’ils nouent et qui servent à
dénombrer la population, comptabiliser les taxes ou l’état Les différentes lettres peuvent être reliées dans un livre.
des greniers. Ce sont des informations numériques avec Les saynètes peuvent être jouées devant les parents
un système décimal où chaque chiffre est représenté par d’élèves ou les élèves des autres classes au cours d’une
un nœud (trois nœuds pour le 3, etc.). exposition des travaux réalisés autour de cette période
(exposé, article de journal, texte de théâtre…). On peut
➤ Activité 3 : « Je joue le contact entre un aussi mener des recherches sur les traditions gastrono-
conquistador et un Aztèque » miques des différents pays et proposer un atelier cuisine.
Avant l’activité, il sera possible d’engager un débat autour
du thème de la rencontre avec l’autre : comment entrer en
contact avec des peuples différents ? Quelles sont les dif-
férences les plus flagrantes ? Comment entrer en relation BIBLIOGRAPHIE
avec une personne qui parle une autre langue ? Qu’est-ce
qui pourrait, chez nous, choquer un autre peuple ? Par
– R. Karsten, La Civilisation de l’Empire inca, Payot,
quoi serions-nous choqués chez les autres ? Ce débat per-
1952.
mettra un lien avec le domaine de l’éducation civique.
– L. Baudin, La Vie quotidienne au temps des derniers
Matériel à prévoir : Incas, Hachette, 1955.
• Maquillage. – Le Codex Mendoza, commentaires K. Ross, trad. D.
• Plumes et tissus pour les pagnes des hommes. Bourne, Liber, 1984.
• Billes, fruits exotiques ou objets de couleur pour les – Les Civilisations précolombiennes, « Documentation
échanges. photographique » n° 5323, Documentation française,
Mise en place de l’activité : 1972.
• Activité rapide :
a. Subdiviser la classe en groupes de cinq élèves : un élève
joue le capitaine, un autre joue l’homme de veille,
les trois autres jouent les hommes des terres inconnues.
SITES
b. La scène se passe sans paroles. Il est important que les
élèves travaillent plus particulièrement les expressions du – http://www.portugalmania.com
visage (étonnement, stupéfaction, incompréhension…). Ce site propose des informations historiques sur les
c. Les contacts se terminent par l’échange d’objets. marins portugais.
• Activité plus large : – http://fr.wikipedia.org
a. Mise en place d’un travail de technique théâtrale : Le site est une bibliographie de Christophe Colomb.
quelles informations peut-on faire passer sans la parole ? – http://www.euvrard.net
Comment travailler son expression pour transmettre des Ce site donne des informations sur les caravelles et les
émotions ? voyages de Christophe Colomb.
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LOUIS XIV
Pages 26 à 31 du dossier
1. La mère de l’infante est Élisabeth de France, si bien que Marie-Thérèse est cousine germaine de Louis XIV.
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Louis XIV utilise la guerre pour agrandir le royaume. ➤ Activité 2 : document 2 p. 27
Depuis 1633, les Français tiennent la Lorraine, dont le duc Louis XIV diffuse une image contrôlée de son action et de
Charles est allié du roi d’Espagne ; ils tiennent également son apparence.
depuis 1640 une partie de l’Artois ; enfin, le Roussillon
est occupé en 1642. Depuis la paix de Münster (1648), le Avant que son petit-fils ne quitte la France, deux portraits
Saint Empire reconnaît l’occupation française des Trois- officiels de Louis XIV et du nouveau roi d’Espagne
Évêchés (Metz, Toul et Verdun) ; il cède en Alsace le land- Philippe V sont simultanément produits en 1701. Le pein-
graviat de Haute- et de Basse-Alsace, le Sundgau moins tre choisi est Hyacinthe Rigaud (1659-1743), artiste cata-
Mulhouse, dix préfectures impériales (dont Colmar, lan, lui-même symbole de cet « entre-deux-royaumes »,
Haguenau, Obernai et Sélestat) ; Strasbourg demeure ville mais de formation strictement française. Selon les théori-
libre d’Empire jusqu’en 1680. À la paix des Pyrénées en ciens italiens du XVIe siècle, le portrait doit figurer l’appa-
1659, Mazarin obtient le Roussillon, l’Artois (moins les rence physique, mais aussi l’essence même du modèle,
villes d’Aire et de Saint-Omer) et la Cerdagne. La soit, pour le roi, la monarchie dont il est l’incarnation : le
Lorraine est rendue à son duc, mais avec le droit pour la corps de Louis XIV idéalisé avec ses attributs représente
France d’y utiliser une route militaire vers l’Alsace. À la donc l’essence monarchique, le visage, réaliste (le roi a
fin de la guerre de Dévolution (1667-1668), le traité 63 ans), identifie la personne. Faire observer le document 2
d’Aix-la-Chapelle permet de compléter le lot des places p. 27 et faire répondre aux questions 3 et 4. Louis XIV est
fortes du Nord : Bergues et Furnes servent à couvrir représenté en pied, de trois quarts, tourné vers la gauche,
Dunkerque ; Armentières, Lille, Douai, Tournai, Ath et le regard nous fixant. Le roi est bien centré, vu légèrement
Charleroi ouvrent de nouvelles voies d’invasion chez l’en- de dessous en contre-plongée, assignant au spectateur une
nemi. À la paix de Nimègue (1678), la France acquiert ce position d’infériorité. Rigaud prête au souverain une
que l’Espagne a gardé de l’Artois ; les Français s’instal- aisance corporelle certaine, rompant avec la pose hiéra-
lent à Cambrai, Valenciennes et Maubeuge (question 1). tique des portraits français antérieurs. Faire remarquer la
position perpendiculaire des pieds reprenant une posture
Louis XIV mobilise aussi toutes les astuces du droit féo- de danseur, le poing gauche sur la hanche, le bras droit
dal. Ainsi, la guerre de Dévolution montre le parti tiré des tendu, la main appuyée sur le sceptre. L’allure royale appa-
usages anciens pour justifier les nouvelles conquêtes. Lors raît ainsi naturelle. Le décor est luxueux, mobilisant tapis,
de son mariage avec le roi de France en 1660, Marie- rideau, colonne, fauteuil, table recouverte d’une lourde
Thérèse, fille de Philippe IV d’Espagne, renonce à ses draperie, soit les ingrédients de la majesté dans la tradition
droits sur la couronne d’Espagne, moyennant le paiement italienne, puis française. La perruque est aussi caractéris-
d’une dot de 500 000 écus d’or à son futur époux ; la dot tique de la monarchie française depuis que Louis XIII l’a
ne fut jamais payée. En 1667, l’archevêque d’Embrun pré- adoptée pour dissimuler sa calvitie, imité par Louis XIV
sente à la cour de Madrid le Traité des droits de la Reine qui perd sa chevelure après 1656. Insister sur l’exhibition
Très Chrétienne sur divers États de la monarchie des attributs royaux (ou regalia) : le manteau de velours
d’Espagne et les troupes françaises entrent aussitôt en semé de fleurs de lys d’or et doublé d’hermine, l’épée de
campagne sans déclaration de guerre. Les juristes français Charlemagne, la couronne, le sceptre, la main de justice
exhument une coutume du Brabant, aux termes de laquelle (question 3) :
une fille du premier lit peut recevoir à la mort du père ou – la main de justice et le sceptre ne sont pas les objets uti-
de la mère tous les fiefs qui appartenaient au survivant des lisés à Reims en 1654 pour le sacre de Louis XIV, mais
deux conjoints. Louis XIV réclame ainsi pour son épouse, ceux qui servirent à Henri IV à Chartres en 1594, manière
fille aînée d’un premier mariage de Philippe IV, le de rappeler le fondateur de la dynastie des Bourbons. Faire
Brabant, le comté d’Artois, Cambrai, le Hainaut, la observer que le sceptre est tenu à l’envers, non par mala-
Franche-Comté et le duché de Luxembourg... En 1680- dresse, mais la main est posée sur la hampe comme elle le
1681, la politique dite « des réunions » procède de la serait sur une canne ou un bâton de commandement, ajou-
même méthode : Louis XIV revendique tous les territoires tant à la figure du roi sacré celle du roi de guerre ;
qui avaient dépendu de la France depuis les traités de – l’allégorie de la Justice (la femme tenant balance et
Westphalie (1648). Des chambres de réunion fonctionnent épée) sur le bas-relief de bronze à la base de la colonne
à Besançon, Brisach, Metz et Tournai. En pleine paix, redouble la signification de la main de justice ;
elles prononcent des annexions aussitôt réalisées. – sur le rabat d’hermine, au-dessous de la cravate en den-
Courtrai, Sarrelouis, Nancy, Sarreguemines, Lunéville et telle, Louis XIV porte le collier de l’ordre du Saint-Esprit
Commercy sont rattachés au royaume. Des fiefs apparte- (question 4).
nant à des princes allemands passent dans la mouvance du
➤ Activité 3 : documents 3 et 4 p. 27
roi de France par dizaines. À l’inverse, les enclaves étran-
gères parmi les terres françaises sont encore nombreuses : Versailles est une énorme entreprise à la gloire du Roi-
le comtat Venaissin et Avignon sont propriétés du pape ; la Soleil.
ville de Mulhouse est alliée aux cantons suisses depuis Il faut aborder avec prudence ce complexe palatial tout
1515 ; Montbéliard appartient au Wurtemberg ; la Savoie entier consacré à la souveraineté de Louis XIV, d’autant
et Nice sont possessions du roi de Piémont-Sardaigne. La qu’« il n’y a pas un endroit à Versailles qui n’ait été modi-
Corse, autrefois génoise, sera cédée par traité à la France fié dix fois », comme le souligne dans sa correspondance
en 1768 (question 2). la princesse Palatine, l’épouse allemande de « Monsieur »,
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le frère du roi. Faire observer le document 4 p. 27 et faire menté. Les vêtements à porter selon le lieu (Versailles en
répondre aux questions 7 et 8. Faire distinguer le jardin et habit d’apparat, Marly en habit plus simple), selon l’heure
le château : de la journée ou l’événement (un deuil, par exemple), les
– Le Versailles « louis-quatorzien » est d’abord un grand gestes à observer, tous ces détails obéissent à un code
jardin dessiné par Le Nôtre à partir de 1662, agrémenté de rigoureux de civilité : ôter son chapeau, le remettre, se
bosquets et d’un labyrinthe de verdure peuplé d’animaux lever, s’asseoir, se mettre à genoux, s’avancer de quelques
en pierre tirés des Fables d’Ésope, dont La Fontaine s’ins- pas, faire une ou plusieurs révérences, baiser avec défé-
pirera. Il y a aussi des fontaines et des cascades, ainsi que rence la robe d’une duchesse avant de lui adresser un com-
des statues mythologiques et allégoriques illustrant les pliment...
Métamorphoses d’Ovide. Le jardin est le cadre des
réjouissances royales. « Tous les jours, les bals, ballets,
comédies, musiques de voix et d’instruments de toutes
sortes, violons, promenades, chasses et autres divertisse- SUR LES TRACES DE LOUIS XIV
ments ont succédé les uns aux autres », écrit Colbert en
1663. La plus célèbre de ces fêtes est organisée en mai
1664 : six jours durant, devant six cents courtisans, une L’exploitation pédagogique
« Fête des plaisirs de l’île enchantée » – inspirée de des documents en classe
l’Orlando Furioso de l’Arioste, un poète italien de la ➤ Activité 1 : documents 1 et 2 p. 28
Renaissance – est donnée en l’honneur de Mlle de La
Vallière, favorite du roi. « Tout l’État est en lui. » (Bossuet)
– Conçu par les architectes Le Vau et Jules Hardouin- Faire lire le document 1 p. 28 et faire répondre aux ques-
Mansart à partir de 1669, le château est une large enve- tions 1 et 2. Dire aux élèves que le sacre, depuis les
loppe de pierre blanche qui s’appuie sur les quatre Capétiens, transforme le roi de France en un monarque de
pavillons en brique construits par Louis XIII. Côté parc, droit divin. Le sacre est un rite d’initiation qui fait du roi
les pavillons originels disparaissent derrière une façade désigné par la coutume de la primogéniture en ligne mas-
dont la taille, l’unité et la majesté, renforcées à partir de culine un souverain sacré par l’onction divine du saint
1679 par les longues ailes nord et sud, sont une nouveauté chrême – qu’une tradition liturgique rémoise du IXe siècle
pour les contemporains : rez-de-chaussée monumental à dit avoir été apporté à l’évêque Remi par une colombe
bossages, premier étage ionique avec la galerie des Glaces pour le baptême de Clovis –, versé sur lui par l’archevêque
(question 7), dernier étage corinthien, toit surbaissé caché de Reims. Cette huile consacrée est aussi celle qui sacre
derrière une balustrade. Cette construction inédite est les évêques. Comme eux, le roi sacré est le représentant de
mise en valeur par un impressionnant système de terrasses Dieu sur Terre (question 1). De plus, l’expérience histo-
étagées et d’escaliers monumentaux ponctués de parterres rique alimente le raisonnement selon lequel différents
d’eau (bassins et Grand Canal). L’allure imposante du types de gouvernements ont été identifiés parmi les États
complexe participe à ce que l’on appellera au XIXe siècle (monarchique, aristocratique, démocratique) ; or,
« le classicisme ». Mais ce terme ne peut à lui seul englo- l’Histoire montre que depuis le baptême de Clovis, la
ber la diversité des genres et des formes qui font de France est gouvernée par des rois. C’est la preuve que la
Versailles un espace d’expérimentations esthétiques, complexion de la France est monarchique. De là cette
notamment imitées de l’Italie baroque. impression des sujets du roi de France de vivre selon les
lois de l’Histoire. Enfin, puisque tous les pouvoirs procè-
Louis XIV s’installe définitivement à Versailles en 1682.
dent du roi et que celui-ci n’est responsable que devant
Faire lire le document 3 p. 27 et faire répondre aux ques-
Dieu, la monarchie conduit naturellement à la centralisa-
tions 5 et 6. En matière d’usage cérémoniel, le roi est l’or-
tion de l’autorité, et le souverain est investi du rôle pre-
ganisateur d’un rituel centré sur sa personne et organisé
mier car, en dernier ressort, le fonctionnement de l’auto-
autour du déroulement méticuleux et public d’une jour-
rité repose sur lui seul. On ne peut donc pas se révolter
née, des levers (grands et petits) aux couchers du
contre le roi (question 2).
monarque. Ce rituel manifeste à tout instant, par des actes
symboliques, une situation de prestige ou de soumission. Traduction concrète de l’ordre « louis-quatorzien », les
Après son réveil, le roi « reste au Conseil de dix heures à années 1660-1680 se distinguent par le nombre et l’im-
midi et demi », puis, en fin de journée, « tient encore un portance des réformes entreprises à l’instigation du roi et
Conseil » (question 5) ; entre ces deux séances de travail, de Colbert, premier contrôleur général des Finances à par-
« il visite les favorites […], puis dîne en public avec la tir de 1665. Faire lire le document 2 p. 28 et faire répon-
reine ; il va ensuite à la chasse ou à la promenade » (ques- dre à la question 3. Dans les mémoires qu’il adresse à
tion 6). Chaque détail du protocole, chaque place occupée Louis XIV, Colbert esquisse les linéaments d’une poli-
lors d’une séance solennelle est chargée d’une faveur. tique dite « mercantiliste » : la puissance de l’État, c’est-
Ainsi, l’honneur de tenir le bougeoir lors du coucher royal. à-dire du roi, suppose qu’il soit riche. Cette richesse
De même, les portes des appartements sont ouvertes à un dépend de la quantité d’or et d’argent amassée. Le seul
ou à deux battants selon le statut de celui qui est reçu par moyen de l’obtenir est de vendre plus et d’acheter moins.
le roi. Les courtisans savent que le droit au fauteuil, à la Il convient donc de surveiller, contrôler et protéger le
« chaise à dos » ou au tabouret est strictement régle- commerce et la production des biens. Le grand ressort de
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l’enrichissement est le travail, dont l’État royal sera l’or- manipulation des hommes par le roi, à partir d’un jeu de
donnateur (question 3). Ainsi, la création et la « royalisa- jalousies, d’amour-propre, de compétition, que le souve-
tion » de manufactures répond à cette priorité : fabriquer rain peut perturber d’un mot, d’un geste, d’un regard. « Il
des produits jusque-là importés, augmenter les volumes de utilisait la moindre occasion pour me manifester sa dis-
production, renforcer la qualité et œuvrer en même temps grâce, écrit Saint-Simon. Il ne parlait pas avec moi, ne me
pour la gloire du monarque. Saint-Gobain (fabrique de regardait que comme par hasard et ne me dit pas un mot
miroirs) ou les Gobelins (meubles destinés aux résidences sur mon départ de l’armée. » La force du roi tient à cette
royales, tapisseries célébrant le Roi-Soleil) sont un peu les capacité de contenir les ambitions des grands par l’ai-
vitrines industrielles du colbertisme. Par exemple, Saint- guillon de l’honneur et de l’intérêt (question 5). La cour
Gobain, grâce à un procédé exclusif de laminage sur table, est aussi un relais entre le pouvoir central et la société,
produit des glaces plus épaisses, plus grandes, et surtout d’abord celle des « gens de biens », invités à imiter et inté-
moins chères que les miroirs « à la façon de Venise ». La rioriser des comportements dont Molière se moque dans
grande galerie des Glaces à Versailles bénéficie en priorité son Bourgeois gentilhomme. Dans les Lettres persanes,
de sa production. Les compagnies commerciales et mari- Montesquieu souligne que « le Prince imprime le carac-
times visent le même but : conquérir des marchés, garan- tère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville aux
tir l’indépendance économique du royaume, attirer le provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la
numéraire. L’État royal subventionne la Compagnie des forme à toutes les autres. »
Indes orientales et débauche des techniciens étrangers. Il
pousse la noblesse à investir dans la modernisation des
instruments de production, tout en lui assurant qu’elle ne ➤ Activité 3 : documents 4 et 5 p. 29
risque aucune dérogeance si elle s’implique dans le L’État royal est un État mécène.
négoce. Le relèvement des tarifs douaniers a aussi une
visée protectionniste. Faire décrire le document 4 p. 29 et faire répondre aux
questions 6 et 7. Dans ce tableau de Henri Testelin de
➤ Activité 2 : document 3 p. 28 1667, Louis XIV est montré assis près de Colbert ; le
Versailles est le centre de gravité du système de la cour. contrôleur général des Finances présente au monarque les
membres de l’Académie des sciences, qui vient alors
En supprimant le « principal ministre » après la mort de d’être installée (question 6). L’Académie française, fon-
Mazarin en 1661, Louis XIV s’arroge le monopole de la dée et organisée par le cardinal de Richelieu en 1634, sert
faveur, alors que, parallèlement, l’échec de la Fronde de modèle. L’Académie royale de peinture et de sculpture
marque le déclin du système féodal des fidélités privées et (1648), l’Académie des inscriptions et belles-lettres
emboîtées. (1663), l’Académie des sciences (1666), l’Académie de
musique (1669), l’Académie d’architecture (1671),
Faire étudier le document 3 p. 28 et faire répondre aux l’Imprimerie royale, les ateliers du Louvre sont calqués
questions 4 et 5. Depuis son enfance, Louis XIV a appris sur elle. Faire remarquer aux élèves les objets qui évo-
à se méfier de ce qu’il appelle « la malignité de la cour ». quent les sciences désormais soutenues par l’État royal :
La cour est donc investie d’un calcul politique : tenir dans squelettes d’animaux entre les colonnes, pendule et
un espace réduit les grands lignages du royaume – vers sphère, globes terrestres et célestes, sextant… Sur la table
1680, la cour regroupe 5 000 à 6 000 nobles – permet de sont amoncelés des traités scientifiques et des schémas, un
contrôler en même temps le système pyramidal des clien- plan de fortifications et un relevé de dissection. À droite,
tèles provinciales (question 4). Désormais, c’est par le roi deux serviteurs affichent un plan du canal des Deux-Mers
seul que passe le processus de patronage à la cour, obli- (entre la mer Méditerranée et l’océan Atlantique) dont la
geant les courtisans à une présence assidue auprès d’un réalisation a été décidée en 1666 (question 7). Faire lire le
souverain absolu distributeur des offices et des pensions. document 5 p. 29 et faire répondre à la question 8. En
Louis XIV tient au respect tatillon d’une étiquette qu’il 1662, Colbert fait dresser un recensement des gens de let-
transforme en instrument de domination : « Ceux-là tres susceptibles d’être pensionnés. Les distributions de
s’abusent lourdement, écrit-il à son fils dans ses subsides commencent en 1664 : 38 écrivains touchent
Mémoires, qui s’imaginent que ce ne sont là que des alors des subventions. Les bénéficiaires sont des savants,
affaires de cérémonie. Les peuples sur qui nous régnons, des historiens, des hommes de théâtre et des écrivains
ne pouvant pénétrer le fond des choses, règlent d’ordinaire comme Corneille, Racine, Molière ou, plus tard, Boileau.
leurs jugements sur ce qu’ils voient au-dehors, et c’est le La Fontaine est exclu parce qu’il a été l’un des protégés de
plus souvent sur les préséances et les rangs qu’ils mesu- Fouquet, le surintendant déchu en 1661. La volonté de fer
rent leur respect et leur obéissance. Comme il est impor- du roi sait s’imposer : les comédies de Molière – Les
tant au public de n’être gouverné que par un seul, il lui est Précieuses ridicules (1659), L’École des femmes (1662),
important aussi que celui qui fait cette fonction soit élevé Tartuffe (1664), Les Femmes savantes (1672), par exemple
de telle sorte au-dessus des autres qu’il n’y ait personne – jouissent de la faveur royale, malgré les polémiques
qu’il puisse ni confondre ni comparer avec lui, et l’on ne qu’elles provoquent (question 8). Ce système de gratifi-
peut, sans faire tort à tout le corps de l’État, ôter à son chef cations fonctionne jusqu’en 1690. À cette date, le budget
les moindres marques de la supériorité qui le distingue des de la guerre a dévoré tous les crédits alloués à la propa-
membres. » Ce système de la cour est donc fondé sur la gande du roi.
24
Le Roi-Soleil
L’HÉRITAGE DE LOUIS XIV Le 23 février 1653, le roi danse le Ballet royal de la nuit,
un ballet à forte signification politique dans le contexte de
la fin de la Fronde. Ce ballet, écrit par Isaac de Benserade
Le château de Versailles avec la collaboration probable de Lully, comporte quatre
et sa galerie des Glaces « veilles » (moments), qui suivent le déroulement de la
nuit. Le ballet évoque la disparition progressive de la
L’iconographie de la Grande Galerie des Glaces, fixée
lumière, puis son retour, au moment où la Fronde est défi-
après la paix de Nimègue (1678), est une véritable révolu-
nitivement matée. La Nuit et les Heures ouvrent la pre-
tion dans la représentation du roi. Pour sacraliser ce que
mière veille sur le ton allégorique. Quarante-cinq entrées
Louis XIV considère comme une victoire – le roi du plus
se succèdent, avant l’apparition de l’Aurore, suivie du
puissant royaume d’Europe n’a pourtant pas réussi à vain-
Soleil levant, vainqueur des ténèbres. Dans le rôle final, le
cre la petite république de Hollande –, une séance du
jeune roi – âgé de 15 ans –, après avoir tenu d’autres rôles,
Conseil décide de modifier le programme que Charles Le
figure le Soleil à la fonction ordonnatrice, brillant de l’or
Brun avait initialement conçu (un cycle sur le thème
irradiant son masque et son costume. Cette représentation
d’Apollon ou d’Hercule) : « Sa Majesté résolut que son
marque fortement les esprits. Friand de ballets, de théâtre
histoire sur les conquêtes devait y être représentée. » En
et d’opéra, le roi continuera de mimer, jusqu’en 1711, son
deux jours, Charles Le Brun réalise le projet complet de la
propre rôle : transfiguré dans des personnages historiques,
voûte : un grand programme iconographique représentant
mythologiques et fabuleux, il est tour à tour empereur
les campagnes militaires du roi lors des guerres de
romain, Apollon, Hercule, Alexandre...
Dévolution (1667-1668) et de Hollande (1672-1678).
Colbert recommande particulièrement de « n’y rien faire
entrer qui ne fût conforme à la vérité ». La grande galerie
des Glaces est achevée en 1684. La voûte, composée de POUR CONSTRUIRE LE RÉSUMÉ
vingt-sept tableaux, médaillons et camaïeux, est construite
comme un parcours initiatique à la gloire du Roi-Soleil.
L’histoire officielle du royaume de 1661 à 1678 s’y Solliciter les élèves pour qu’ils trouvent les mots-clés de
condense dans la seule action du souverain, présenté non la leçon. Par exemple, « monarchie de droit divin »,
plus par la médiation de l’Histoire ancienne, de la mytho- « Versailles », « étiquette », « Jean-Baptiste Colbert », « le
logie ou de l’allégorie, mais sous ses traits véritables : un Roi-Soleil ». Mettre en relation chacun de ces mots avec
roi de guerre et de triomphe terrassant tous ses ennemis. les repères figurant dans la chronologie p. 26. Mettre en
commun les réponses et écrire ensemble le résumé de
Des auteurs encore célèbres aujourd’hui cette séquence.
Nous ne devons pas juger le mécénat « louis-quatorzien »
à l’aune de nos valeurs, en concluant à une aliénation des
écrivains. En effet, l’indépendance de la création littéraire
est un anachronisme dans la société du XVIIe siècle, car BIBLIOGRAPHIE
chaque écrivain doit encore s’assurer du soutien financier
d’un protecteur (aristocrate, ministre, évêque…). Aussi
servir le roi apparaît-il comme un honneur. Le paradoxe – E. Le Roy Ladurie, L’Ancien Régime, 1610-1770,
est qu’en visant à instrumenter le processus de création – Hachette, 1991.
au service des programmes de représentation du roi –, – Y.-M. Bercé, La Naissance dramatique de l’absolutisme
Colbert et, plus tard, Louvois apportent aux écrivains une (1598-1661), coll. « Points Histoire », Le Seuil, 1992.
légitimation accrue et une plus grande liberté dans leur – J. Cornette, Absolutisme et Lumières, 1652-1783, coll.
métier. « Carré Histoire », Hachette, 1993.
25
LA FRANCE SOUS LOUIS XIV
Pages 32 à 37 du dossier
1. Voir le manuel de l’élève : « Sur les traces de Louis XIV », document 3 p. 28.
26
tée les agents de recouvrement et leurs escortes de cava- aux questions 4 et 5. La Charte de confirmation des droits
liers. Les insurgés contestent moins le principe de l’impôt de Dijon montre que ces corps sont trop nombreux pour
que l’inégalité de la répartition et les méthodes violentes être négligés, trop établis pour être combattus, trop liés à
de recouvrement. Les décennies 1660 et 1670 connaissent l’identité régionale des sujets – les privilèges urbains de
encore de graves troubles en Aquitaine et en Bretagne. En Dijon ont été concédés par les ducs de Bourgogne (ques-
1707, le Quercy vit la dernière grande révolte populaire : tion 4) – pour être contestés ; le roi doit donc les ménager
entre Dordogne et Lot, les insurgés des paroisses rurales (question 5).
rejettent un droit de papier timbré qui enchérit les transac-
➤ Activité 3 : documents 4 et 5 p. 33
tions de l’économie terrienne (question 1). Ensuite, aucun
trouble ne viendra plus gêner les levées d’impôts qui sont Les sujets du Roi-Soleil sont à plus de 80 % des paysans.
désormais regardées comme inévitables. Faire observer le document 4 p. 33 et faire répondre aux
questions 6 et 7. Louis le Nain a surtout peint la France
➤ Activité 2 : documents 2 et 3 p. 33
des campagnes, ici durant les troubles domestiques de la
Si Louis XIV a la tentation du despotisme, la structure de Fronde. Dans ce tableau, ni habits chatoyants, ni brocarts,
la société l’en empêche. ni dorures, et peu de couleurs, à l’exception de la chemise
du forgeron. Les deux hommes ont le cheveu assez court
Tout pouvoir tend naturellement à s’étendre et à augmen-
et la barbe taillée. La femme est coiffée d’un bonnet,
ter. Louis XIV n’échappe pas à cette tentation, mais son
usage courant à la campagne. L’enclume et le marteau sont
royaume est loin d’être centralisé, unifié et soumis2. Il
les outils du forgeron (question 6). Au-delà de la diversité
s’accommode d’une diversité linguistique et juridique3,
régionale, voire locale, de la France rurale, Le Nain mon-
administrative, judiciaire et provinciale, d’un tissu de
tre que la société rurale est hiérarchisée : bourgeoisie de
« privilèges » dont l’existence, l’enracinement et la vitalité
petits rentiers et artisans (charron, forgeron, boulanger…),
font barrage au pouvoir absolu. Car la société française est
fermiers ou métayers, manœuvriers plus ou moins pro-
une société corporative. Les corps sont des groupements
priétaires de parcelles, journaliers, sans parler de ceux qui
collectifs reconnus par l’usage et les lois fondamentales,
vivent de la charité du curé ou du seigneur. L’hétérogénéité
agencés selon une hiérarchie dictée par le prestige du ser-
de la société rurale résulte à la fois du fait que tous ne
vice rendu à la société, les distinctions de statut se dou-
vivent pas directement des ressources de l’agriculture –
blant de grandes inégalités de richesse. On trouve ainsi les
comme le forgeron – et de l’existence de monopoles – le
corps savants (universités et académies), les communautés
forgeron produit les fers des chevaux (question 7). Les
d’arts et de métiers, les corps de marchands, les compa-
campagnes sont reconnaissantes envers Louis XIV de
gnies de commerce et de finances, les chambres de com-
rétablir la paix et la sécurité, rien n’étant plus funeste aux
merce, les bureaux de finances, les corps médicaux, sans
paysans que la guerre et le pillage. Les paysans apprécient
oublier les compagnies d’officiers royaux, celles des auxi-
également les intendants, qui facilitent le paiement de la
liaires de justice. Ces corps constitués imposent leurs
taille mais leur garantissent représentation et défense contre
règles, leurs usages, voire leurs rites initiatiques et festifs à
les abus des seigneurs. Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, la
l’Administration et à l’économie. Faire lire le document 3
propriété paysanne progresse partout. L’enrichissement est un
p. 33 et faire répondre aux questions 2 et 3. En même
fait général, même si on observe une migration vers les villes.
temps, l’État royal reproduit l’ordonnancement corporatif
en multipliant les règlements particuliers. Par exemple, le Faire observer le document 5 p. 33 et faire répondre à la
marchand hollandais Van Robais bénéficie ainsi en 1665 question 8. Le cadre collectif des urbains est mieux défini
de privilèges exceptionnels pour mettre en place une qu’en campagne. Par exemple, le bourgeois propriétaire
manufacture de draps fins à Abbeville (question 2) : d’une maison jouit d’une condition particulière : il est sou-
« Lui, ses associés et ses ouvriers étrangers [seront] natu- vent exempté de taille et participe à l’administration muni-
ralisés français. Ils seront dispensés de payer les impôts. cipale, à la justice et au guet urbain. Ou encore, les tra-
Il sera interdit d’imiter la fabrication de ses draps pendant vailleurs sont organisés en communautés de métiers
vingt ans » (question 3). Ne pas faire d’anachronisme : dotées de règlements spécifiques distinguant maîtres,
s’il n’existe pas de statut personnel commun avant la compagnons et apprentis et donnant à tous des droits et
Révolution de 1789, les privilèges sont d’abord des des devoirs. La dépendance économique est d’autant plus
« libertés », concrètes, donc au pluriel. Et parce que la grave que l’achat des subsistances est une nécessité pour
fonction de ces corps constitués est de former le corps les urbains. L’évolution des revenus et des prix revêt donc
même du royaume, la remise en question de n’importe une importance vitale. Malgré l’existence d’hôpitaux
quel privilège hérisse les groupes privilégiés voisins. C’est généraux et d’institutions de charité, l’indigence prend en
pourquoi, à toute occasion, le roi doit reconnaître et ville des formes plus massives et plus spectaculaires qu’à
confirmer les anciens privilèges des provinces et des villes la campagne, où les pauvres sont intégrés à la commu-
annexées. Faire lire le document 3 p. 33 et faire répondre nauté villageoise4.
2. C’est la Révolution qui imposera le pouvoir absolu d’un État centralisateur. (Voir A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Gallimard, 1952.)
3. Langue de l’État royal, de la noblesse et de la bourgeoisie, la langue française est minoritaire ; dialectes et patois dominent partout. De même, les Français
ne sont pas soumis au même droit privé. Le droit coutumier du nord s’oppose au droit écrit du sud ; la coutume de Paris diffère de celle de Bretagne ou de
celle de Normandie.
4. Les communautés villageoises constituent des groupements d’habitants au sein desquels le voisinage, l’interconnaissance, l’endogamie et l’exploitation
d’un même terroir créent des liens puissants.
27
défensif de Vauban est conçu à partir du modelé du terrain
SUR LES TRACES DE LA SOCIÉTÉ et des lignes d’obstacles naturels (les fleuves, les mon-
FRANÇAISE SOUS LOUIS XIV tagnes, la morphologie du littoral)5.
➤ Activité 2 : documents 3 et 4 p. 35
L’exploitation pédagogique Louis XIV est un « roi de guerre ».
des documents en classe Faire observer le document 3 p. 35 et faire répondre aux
questions 5, 6 et 7. La scène représentée se déroule au
➤ Activité 1 : documents 1 et 2 p. 34
début de la guerre de Hollande (1672-1678). Louis XIV
« Le plus savant homme dans l’art des sièges et de la for- est au centre du tableau et dépasse tout le monde au pre-
tification et le plus habile ménager de la vie des mier rang (question 5). Parrocel montre Louis XIV sous
hommes. » (Saint-Simon). son visage réel, en roi de guerre, couvert de l’armure.
Faire observer le document 1 p. 34 et faire répondre aux D’un geste martial (question 6), le roi commande le fran-
questions 1 et 2. Sébastien Le Prestre de Vauban naît le 1er chissement du Rhin, que l’on devine à l’arrière-plan
mai 1633 près d’Avallon dans le Morvan. Selon Saint- (question 7). La guerre de conquête n’est pas un impéria-
Simon, c’est « un petit gentilhomme de Bourgogne, tout lisme lié à l’idée de frontière naturelle mais plutôt à des
au plus ». De 1651 à 1653, durant la Fronde, il est cadet règlements de succession d’ordre patrimonial, des pro-
dans l’armée de Condé ; fait prisonnier, il intègre l’armée blèmes de suzeraineté et de vassalité. Ainsi, l’avènement
royale et participe à son premier siège à Sainte- de Charles II d’Espagne en 1665 pose le problème des
Menehould. Deux ans plus tard, il reçoit son brevet d’in- droits au trône d’Espagne de la reine de France, l’infante
génieur ordinaire du roi. En 1667, Vauban participe aux Marie-Thérèse. Louis XIV se saisit de ce prétexte pour se
sièges de Tournai, Douai et Lille, où le roi le charge, pour lancer à la conquête des Pays-Bas espagnols et de la Franche-
la première fois, de coordonner l’assaut. En 1668, Vauban Comté6. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la
est chargé de construire les citadelles de Lille et d’Arras. notion de « limites », même si la coïncidence des idées de
Ses réalisations impressionnent par l’ampleur des bastions nation et d’État à partir du XVIe siècle oriente cette politique
et des demi-lunes (conçus pour porter une infanterie nom- de conquête vers un regroupement territorial d’un seul
breuse qui doit défendre les places). Vauban exerce de fait tenant, le « pré carré ». Faire observer le document 4 p. 35
la fonction de commissaire général aux Fortifications, et faire répondre à la question 8. À la fin de la guerre de
mais le titre officiel ne lui sera donné que le 4 janvier 1678 Dévolution en 1668, la paix d’Aix-la-Chapelle complète
(question 1). En 1703, Vauban est le premier officier du la ligne des places fortes de la frontière nord de la France,
génie à recevoir le bâton de maréchal de France (question 2). dont celle de Lille. Le magistrat municipal, agenouillé,
Il prend sa dernière ville, Vieux-Brisach. Entre 1653 et 1703, remet au roi les clés de la ville annexée et lui adresse ses
il participe à 42 sièges ; Louis XIV est présent à 19 d’entre doléances devant la foule rassemblée (question 8).
eux. Le roi affectionne la guerre de sièges car la prise ➤ Activité 3 : document 5 p. 35
d’une ville, par la logistique qu’elle implique, manifeste la Les années 1683-1715 s’identifient aux crises.
puissance de l’État absolu. Les sièges de Maastricht (1673)
Sur son lit de mort, Louis XIV avoue à son petit-fils, le
et de Gand (1678) sont choisis par Charles Le Brun pour
futur Louis XV, qu’il a « aimé trop la guerre » et n’a pu
orner le plafond de la galerie des Glaces à Versailles car
maintenir la paix ni soulager son peuple en raison des
Louis XIV en personne préside aux opérations qui abou-
« nécessités de l’État ». Dès 1667 (guerre de Dévolution),
tissent à la chute des deux villes. En tout, Vauban a
mais surtout à partir de 1672 (guerre de Hollande), les
construit 33 forteresses et en a aménagé environ 300. Il
conflits sont de plus en plus nombreux, de plus en plus
meurt le 30 mars 1707, regretté par le roi. Fontenelle dres-
lourds aussi, impliquant directement ou indirectement, par
sera de lui le portrait d’un nouvel homme de guerre, savant,
l’impôt, tous les Français. La guerre de la ligue
patriote, indépendant, animé de l’amour du bien public.
d’Augsbourg (1688-1697) inclut même les espaces colo-
Faire observer le document 2 p. 34 et faire répondre aux niaux des puissances européennes en lutte. Lors de la
questions 3 et 4. Jusqu’au XVe siècle, la fortification est guerre de Succession d’Espagne (1701-1713), 650 000
une muraille qui fait obstacle à des assaillants, qui ne peu- jeunes Français sont enrôlés, souvent de force, dans les
vent la franchir sans se mettre en position de faiblesse par régiments royaux. Pourtant, la guerre n’est pas à l’origine
rapport aux défenseurs. Avec l’artillerie, cette technique de toutes les saignées. Faire observer le document 5 p. 35
héritée de l’Antiquité est dépassée ; la fortification et faire répondre aux questions 9 et 10. Ainsi, de 1692 à
muraille ne résiste pas aux boulets de fonte utilisés pour la 1694, les sujets du Roi-Soleil doivent faire face à une
première fois par les Français lors des guerres d’Italie. grave crise de subsistance provoquée par une succession
C’est pourquoi la fortification s’abaisse et s’enterre de mois froids et pluvieux ; 2 millions de Français péris-
(question 4), tout en suivant un tracé bastionné qui lui sent, soit 10 % de la population. Le « gros hiver » de 1709
confère ce plan en étoile de fossés et remparts imbriqués déclenche aussi une crise de subsistance (question 9) :
pour protéger les canons (question 3). Les Italiens sont les « Tous les blés furent gelés. […] Les pruniers, les cerisiers
maîtres de cette technique jusqu’au XVIIe siècle. Le réseau moururent et les autres arbres furent gelés. Dès que les
5. Voir le manuel de l’élève : « L’héritage du Grand Siècle », document « Les fortifications de Vauban » p. 36.
6. Voir le manuel de l’élève : « Qui était Louis XIV ? », document 1 p. 26.
28
marchands de grains virent les grains gelés, ils en haussè- Pour les visites scolaires : musée de l’Armée (Hôtel des
rent le prix » (question 10). Invalides), 129 rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 44 42 38 77.
Un premier empire colonial
Outre-mer, la France possède un empire colonial voulu et lar-
L’HÉRITAGE DU GRAND SIÈCLE gement réalisé par Richelieu et Colbert. Si les traités d’Utrecht
(1713) l’amputent de Saint-Christophe (Antilles), de l’Acadie
(Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse), de Terre-Neuve
Les fortifications de Vauban et des établissements de la baie d’Hudson, si le Canada et la
La « ceinture de fer », ou « pré carré », est la contribution Louisiane sont perdus (1763 et 1803), il reste de riches ter-
la plus durable de Vauban à l’histoire du territoire natio- ritoires à plantations et de nombreux comptoirs. La France
nal : les forteresses qu’il fonde restent opérationnelles contrôle depuis 1638 une partie du Sénégal, Pondichéry (1674)
jusqu’en 1870. Cette ceinture de fer est édifiée après la et quelques places des Indes orientales, l’île Bourbon (la
paix de Nimègue (1678), sur l’ordre du roi et de Louvois, Réunion) depuis 1649 et l’île de France (île Maurice) depuis
ministre de la Guerre, pour protéger la frontière nord 1715, ainsi que la Guyane et trois florissantes Antilles : la
(Flandres, Hainaut). L’idée n’est pas neuve : « Il faut par- Martinique, la Guadeloupe et la partie occidentale de Saint-
faitement fortifier [les villes] qui sont frontières », indique Domingue (Haïti). Si les efforts pour créer des colonies de
Richelieu dans son Avis au roi du 13 janvier 1629. Il pense peuplement se sont révélés décevants, les possessions loin-
alors aux places du royaume vers l’Italie, les Pays-Bas et taines contribuent fortement à la prospérité du royaume.
le Saint-Empire. En novembre 1678, rédigeant un Mémoire La révocation de l’édit de Nantes
des places-frontières de Flandres qu’il faudrait fortifier Le 13 avril 1598, l’édit de Nantes, « perpétuel et irrévoca-
pour la sûreté du pays et l’obéissance au Roi, Vauban ble », est signé, assurant enfin la pacification religieuse7.
insiste sur la « nécessité de fermer les entrées de notre Mais Louis XIV rétablit l’unité religieuse du royaume,
pays à l’ennemi » et de « faciliter les entrées dans le sien ». d’abord par des mesures administratives et de terreur (les
Il propose d’installer dans le nord du royaume deux lignes « dragonnades »), ensuite en révoquant l’édit de Nantes en
de citadelles se renforçant mutuellement. La première, dite 1685. Quelque 200 000 protestants gagnent alors l’étran-
« ligne avancée », serait composée de treize grandes places ger (« le refuge ») ; ceux qui restent se retrouvent dans la
et deux forts, complétée par des canaux et des redoutes, clandestinité (« le désert »).
suivant un modèle hollandais ; la seconde, en retrait, compren-
drait aussi treize places. À la fin du règne de Louis XIV, le L’Académie française
travail de Vauban oppose nettement deux France : Fondée et organisée par le cardinal de Richelieu en 1634,
– la France des frontières terrestres et du littoral, qui appa- l’Académie française a pour tâche de rédiger un diction-
raît hérissée de villes anciennes aux murailles relevées ou naire qui doit permettre de conserver et de perfectionner la
de nouvelles cités places fortes (Neuf-Brisach, Longwy, langue française. Après Richelieu, le chancelier Séguier,
Sarrelouis, Mont-Louis, Fort-Louis, Montroyal, etc.) orga- puis Louis XIV lui-même protègent directement l’institu-
nisées de manière géométrique autour d’une place carrée, tion. Elle sert dès lors de modèle8.
la place d’armes, destinée aux revues et rassemblements
des troupes encasernées. Autour de cette place sont grou-
pés les services : arsenal, hôpital militaire, intendance, POUR CONSTRUIRE LE RÉSUMÉ
maison du gouverneur, église ;
– la France de l’intérieur, qui tend à devenir un espace
civil où les remparts des villes sont transformés en pro- Solliciter les élèves pour qu’ils trouvent les mots-clés de
menades, à l’image de ceux de Paris, dès 1670. la leçon. Par exemple, « Louis XIV », « guerres »,
« Vauban », « campagnes », « privilèges ». Mettre en rela-
➤ Activité possible tion chacun de ces mots avec les repères figurant dans la
Les plans-relief du musée de l’Armée reproduisent au chronologie p. 32. Mettre en commun les réponses et
1/600e les principales villes fortifiées du royaume, les for- écrire ensemble le résumé de cette séquence.
teresses, mais aussi leur environnement, avec les villages,
les accidents topographiques, le terroir reconstitué, le tout
sur une surface qui représente jusqu’à vingt fois la super- BIBLIOGRAPHIE
ficie de la ville, c’est-à-dire jusqu’à la limite de portée des
tirs de canons, soit environ 600 mètres. Ces plans-relief
sont installés en 1710 par Louis XIV dans la Grande – F. Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1990.
Galerie du Louvre : leur nombre (Vauban rédige en 1697 – E. Le Roy Ladurie, L’Ancien Régime, 1610-1770,
un inventaire comportant 144 plans-relief représentant Hachette, 1991.
101 places fortes) et leur qualité fournissent au roi une – J. Dupâquier, Histoire de la population française, II. De
information fiable sur l’état général de la ceinture de fer. la Renaissance à 1789, PUF, 1988.
7. Voir le manuel de l’élève : « Sur les traces des protestants et des catholiques », documents 3 et 4 p. 21 ; « L’héritage d’Henri IV », document « L’édit de
Nantes, 13 avril 1598 » p. 22.
8. Voir le manuel de l’élève : « Sur les traces de Louis XIV », documents 4 et 5 p. 29.
29
LE SIÈCLE DES LUMIÈRES
Pages 38 à 43 du dossier
30
les Grecs. » L’Europe des Lumières, espace culturel, réin- fique des années 1620-1660. Fontenelle écrit que c’est
troduit donc une appréciation favorable du christianisme René Descartes « qui a amené cette nouvelle méthode de
comme fait européen de civilisation. L’Encyclopédie raisonner, beaucoup plus estimable que la philosophie
ajoute : « Il importe peu que l’Europe soit la plus petite même, dont une bonne partie se trouve fausse ou fort
des quatre parties du monde par l’étendue de son terrain, incertaine, selon les propres règles qu’il nous a
puisqu’elle est la plus considérable de toutes par son com- apprises. » La méthodologie des Lumières procède avant
merce, par sa navigation, par sa fertilité, par ses lumières tout de l’observation, l’analyse, la comparaison, le calcul,
et par son industrie, par la connaissance des arts, des la classification. Ainsi, dans les années 1730, le naturaliste
sciences et des métiers. » L’Europe, espace culturel, c’est suédois Linné imagine un système de classification des
aussi le progrès. Hors d’elle, tout est immobile, barbare : végétaux d’après l’observation du nombre et de la dispo-
« Les auteurs anciens qui nous ont parlé des Indes nous sition des étamines. Dans son Histoire naturelle, Buffon
les dépeignent telles que nous les voyons aujourd’hui, dresse un tableau de toutes les connaissances de son temps
quant à la police, à la manière et aux mœurs. Les Indes en zoologie, en botanique, en géologie. Faire remarquer
ont été, les Indes seront ce qu’elles sont à présent […]. La aux élèves le sous-titre de l’Encyclopédie : « Dictionnaire
plupart des peuples des côtes de l’Afrique sont sauvages raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers » (ques-
ou barbares. »2 tion 2). Le primat du doute méthodique – et donc, à terme,
On réalise enfin qu’il existe un nouvel équilibre : effon- la critique du droit divin – s’arrime à la certitude de l’exis-
drement de l’Espagne, effacement de l’Italie, pleine maî- tence d’un monde naturel dissécable, tout entier écrit en
trise de la France, rude concurrence de l’Angleterre, de la langage mathématique. On passe ainsi facilement de la
Hollande, de l’Allemagne occidentale. Le mouvement de raison dans les sciences exactes à la gestion quantitative
bascule qui parvient à la conscience littéraire des de l’État, à l’arithmétique politique, à la comptabilité éco-
Lumières s’inscrit dans la très longue durée. Du VIIe au nomique et sociale… Dans son article « Arithmétique
XIVe siècle, le nord de l’Europe ne cesse de progresser au politique » de l’Encyclopédie méthodique (1784),
détriment du monde méditerranéen cassé en deux par la Condorcet écrit : « On conçoit aisément que ces décou-
conquête arabo-musulmane. La grande novation de la vertes […] étant acquises par des calculs fondés […], un
chrétienté latine se joue alors entre Loire et Rhin. Mais la ministre habile en tirerait une foule de conséquences pour
peste noire qui frappe plus au nord de même que l’exploi- la perfection de l’agriculture, pour le commerce […],
tation de l’Amérique contribuent à la remontée de la pour les colonies, pour les cours et l’emploi de l’argent. »
Méditerranée. Cette création de routes, de flux, d’espaces
Faire lire le document 4 p. 39 et faire répondre à la ques-
s’accompagne d’une puissante invention artistique et
tion 6. Ainsi stimulés par les Considérations sur le com-
intellectuelle : c’est la Renaissance3. Le prestige revient
merce de Vincent de Gournay, nombre d’écrivains et de
sur la Méditerranée. Sur la lancée des XVe-XVIe siècles, le
publicistes (Coyer, Dangeul, Forbonnais, Morellet,
XVIIe siècle continue de surestimer le versant méditerra-
Turgot…) réclament l’essor des forces productives par
néen de l’Europe… jusqu’aux Lumières.
l’affaiblissement des tutelles administratives et corpora-
➤ Activité 2 : documents 2, 3, 4 et 5 p. 39 tives4. Surtout, à partir de 1757-1758, les physiocrates – à
L’Encyclopédie est une étape décisive dans la constitution la suite des articles de François Quesnay dans
de notre modernité. l’Encyclopédie – exigent l’allègement des impôts directs
et l’élargissement de l’assiette fiscale, la disparition des
L’Encyclopédie est l’entreprise éditoriale la plus considé- privilèges seigneuriaux et ecclésiastiques, la liberté com-
rable du siècle des Lumières. Faire observer le document 2 plète des échanges à l’intérieur et à l’extérieur du royaume
p. 39 et faire répondre aux questions 2, 3 et 4. Mille cinq (question 6). Faire lire le document 5 p. 39 et faire répon-
cents personnes travaillent sur cette « somme » de dre aux questions 7 et 8. La négation du droit divin (ques-
25 000 pages compilant 70 000 articles. Le comité de tion 7) et son corollaire, la primauté du droit de nature
rédaction, qui se renouvelle régulièrement entre 1751 et (question 8), sont les versants politiques du libéralisme
1772, voit passer des écrivains et des savants célèbres économique. Dans l’article « Autorité politique », Diderot
(d’Alembert, Buffon, Diderot, Voltaire, Rousseau…), écrit : « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de
mais aussi des techniciens et des ingénieurs, des méde- commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel,
cins, des maîtres artisans (tels Ferdinand Berthoud, horlo- et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir
ger mécanicien de la marine, ou Étienne-Jean Bouchu, aussitôt qu’il jouit de la raison. » Dans l’article « Droit
maître des forges du duc de Penthièvre). À l’origine, on naturel », il ajoute : « C’est à la volonté générale que l’in-
prévoit 10 volumes – 8 volumes de texte et 2 volumes de dividu doit s’adresser pour savoir jusqu’où il doit être
planches – (question 3) ; finalement, 28 volumes – 17 homme, citoyen, sujet, père, enfant, et quand il lui convient
volumes de texte et 11 volumes de planches – sont publiés de vivre ou de mourir […]. Dites-vous souvent : je suis
(question 4). homme et n’ai d’autres droits naturels véritablement ina-
L’Encyclopédie promeut le paradigme du doute métho- liénables que ceux de l’humanité. » Si la raison est capa-
dique à partir de la vulgarisation de la révolution scienti- ble de régler l’ordonnancement de la société, elle est capa-
2. Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748.
3. Voir supra chapitre « La Renaissance » : « Qu’est-ce que la Renaissance ? »
4. Voir le manuel de l’élève : « Qu’était la France au temps de Louis XIV ? », documents 2 et 3 p. 33.
31
ble d’assurer tout à la fois le progrès et le bonheur du p. 40 et faire répondre aux questions 3 et 4. De sa jeu-
genre humain. Dans le bulletin de souscription de nesse, François Marie Arouet, dit Voltaire, garde la haine
l’Encyclopédie, Diderot écrit encore : « Le but d’une ency- du fanatisme (« Tu ne nous as pas donné un cœur pour
clopédie est de rassembler les connaissances éparses sur nous haïr et des mains pour nous égorger »). Son entrée
la surface de la Terre, d’en exposer le système général aux dans les milieux libertins, les premiers voyages et, surtout,
hommes avec qui nous vivons […] afin que nos neveux l’expérience anglaise le conduisent à une forte maturation
deviennent plus instruits, deviennent en même temps plus religieuse autour de deux principes : « Le Mal existe, donc
vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas Dieu est » (question 3), le déisme s’implantera sur les
sans avoir bien mérité du genre humain. » L’éloignement ruines de l’Église et sur l’écrasement du fanatisme. Le
des guerres, la fin des crises frumentaires, une réelle amé- déisme de Voltaire est un déisme du refus : refus de la doc-
lioration des conditions de vie justifient cette vulgate. Elle trine de l’Incarnation, refus du dieu de la prédestination,
explique aussi la grande importance accordée dans refus du dieu cruel et vengeur. Le dieu de Voltaire est un
l’Encyclopédie aux planches illustrées, qui mettent en dieu bon (« Fais que nous nous aidions mutuellement à
valeur les innovations scientifiques du siècle. Faire obser- supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère »), un
ver le document 3 p. 39 et faire répondre à la question 5. dieu libéré des mystères et des rites. Sa force est enracinée
Cette planche n’est pas prétexte à exposer tout ce que l’on dans l’universalité d’une vérité, celle de l’existence par-
sait sur l’économie du XVIIIe siècle, le processus d’indus- tout reconnue de Dieu : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait
trialisation ou encore les conditions de travail. En l’inventer, mais toute la nature nous crie qu’Il existe. »
revanche, elle invite à parler de la forme de culture que Dans ses Lettres philosophiques, Voltaire proclame les
représentent la production et la diffusion de ce document, bienfaits du pluralisme religieux et la nécessité d’un
comme de son rapport avec les réalités. Que voit-on ? Un « christianisme épuré ». Celui-ci va bénéficier de la
atelier propre, ordonné, paisible, des ouvriers peu nom- réflexion sur l’Histoire et du comparatisme religieux,
breux, quelques machines (question 5), en fait, une moyens de la désacralisation de la religion dominante et
légende dorée du processus d’industrialisation, une réalité de l’affirmation du fonds commun de toutes les religions
transformée dans une intention pédagogique : décrire une (question 4). À 80 ans, Voltaire défend encore sa méta-
fabrication – la production d’outils en métal – et non la physique contre les athées les plus bouillonnants –
condition ouvrière au XVIIIe siècle. Le passage par l’écrit et d’Holbach ou le Diderot de la Lettre sur les aveugles – et,
le livre transforme un savoir professionnel en une culture jusqu’à sa mort, il combat tout ce que le catholicisme
technique destinée aux élites. contient d’institutionnel, de dogmatique, d’intolérant : à
coups de libelles, de pamphlets, de contes satiriques, il
pourfend les accusateurs de Calas ou du chevalier de La
SUR LES TRACES Barre, réhabilite Sirven. Voltaire s’en prend aussi à la
DE L’EUROPE DES LUMIÈRES noblesse et à l’ordonnancement féodal de la société
d’Ancien Régime. Faire lire le document 3 p. 40 et faire
répondre aux questions 5 et 6. À la fin du XIIe siècle, la
L’exploitation pédagogique fusion entre les seigneurs fonciers et l’élite guerrière de la
des documents en classe chevalerie est largement accomplie en France. C’est la
➤ Activité 1 : document 1, 2 et 3 p. 40 naissance d’une véritable noblesse, dotée d’une identité
Le siècle des Lumières marque le sacre de l’écrivain. collective et d’un rôle idéal dans la société. Les moines
cherchent à l’exprimer en adoptant la théorie des ordres.
Le XVIIIe siècle est marqué par un changement du statut de Cet imaginaire social divise les hommes entre les clercs,
l’écrivain : le désir d’instruire et de vulgariser remplace les nobles et les gens du commun, et chaque groupe est
celui de plaire ou de servir les intérêts d’un mécène. soudé par une sorte de mission divine : les premiers prient
L’écrivain est donc engagé dans la vie publique avec l’in- et délivrent les sacrements, ce qui les désigne comme les
tention d’améliorer le sort de tous pour « éclairer le peu- intercesseurs naturels entre Dieu et Son peuple ; les
ple et les princes »5. Faire observer le document 1 p. 40 et deuxièmes combattent pour protéger les faibles et servir
faire répondre aux questions 1 et 2. C’est le sens du séjour l’Église ; les derniers travaillent pour nourrir les deux pre-
de Voltaire (1694-1778) à la cour du roi de Prusse Frédéric miers (question 5). Cette « tripartition fonctionnelle »6
II entre 1750 et 1753. Voltaire devient « le philosophe par devient anachronique au XVIIIe siècle : l’éloignement des
excellence », qui ignore souvent la situation des plus hum- guerres et l’essor des forces productives relèguent les
bles et cherche avant tout à gagner à sa cause les ministres nobles au rang de courtisans oisifs et inutiles pour le corps
et les princes. D’où sa stratégie pour séduire les cours, les social (question 6).
salons, les académies, les loges maçonniques, les théâtres,
les journaux. Le philosophe des Lumières a moins en vue ➤ Activité 2 : documents 4 et 5 p. 41
l’élaboration d’une philosophie systématique que la maî- Le siècle des Lumières se termine avec le plus brillant de
trise des médias de l’époque. Faire lire le document 2 ses enfants : Mozart.
32
Wolfgang Amadeus Mozart naît à Salzbourg le 21 janvier gement naturel. Cette affirmation est facilement illustrée
1756, dans un milieu consacré à la musique, tout comme par l’exemple du développement de la coal fuel techno-
Jean-Sébastien Bach. Faire observer le document 4 p. 41 logy, expression employée pour rendre compte de l’évolu-
et faire répondre aux questions 7 et 8. De l’âge de 6 ans à tion des technologies utilisatrices du charbon. Les accom-
l’âge de 21 ans, il compose la moitié d’une œuvre qui plissements atteints dans la sidérurgie du fer en Angleterre
compte parmi les plus abondantes et les plus géniales, depuis la fonte au coke de Darby jusqu’à l’acier au creu-
dans une course qui le propulse dans l’orbite de l’Europe set de Hunstman ne sont que les prolongements de la maî-
autrichienne, de cour en cour, de ville en ville (ques- trise acquise par les artisans et les ouvriers anglais depuis
tion 7) : de 1769 à 1771, il joue à Venise, Turin, Milan et le XVe siècle dans le domaine de la carbonisation du char-
Naples. En décembre 1771, il revient précipitamment bon. Ils ne font que prolonger d’un secteur à l’autre une
à Salzbourg, en raison de l’agonie du prince archevêque longue tradition de transfert des connaissances et des
von Schrattenbach. Le jeune Mozart tient l’orgue pour savoir-faire acquis : ainsi pour le sel, la brasserie et la tein-
ses funérailles ; le nouvel archevêque en fait son turerie au XVIe siècle, la poterie, la verrerie au XVIIe siècle,
Konzertmeister. En 1777, à l’âge de 21 ans, il accomplit ou la production des métaux à partir des années 1680.
un voyage décisif à Mannheim et à Paris. À Mannheim, il Faire observer le document 6 p. 41 et faire répondre à la
vit une double et fructueuse rencontre avec l’orchestre, question 10. La machine à vapeur elle-même, conçue par
l’un des facteurs déterminants de la création du style sym- James Watt en 1763 pour permettre l’épuisement de l’eau
phonique classique, et avec Aloysia et Constance Weber. des mines, doit être considérée comme l’un des aboutisse-
Mozart épousera Constance. En 1781 – date marquante ments de la coal fuel technology (question 10).
dans l’histoire sociale de la musique –, il rompt avec
Salzbourg, abandonne les cours et les tribunes d’orgue.
Mozart devient compositeur indépendant à Vienne, tout en
continuant à rayonner à travers l’Europe pour monter un L’HÉRITAGE DU XVIIIE SIÈCLE
opéra ou interpréter une de ses œuvres. Car le lien sub-
siste, que le XIXe siècle détruira, entre le compositeur et
l’interprète (question 8). L’Enlèvement au sérail (1781) et Des idées nouvelles
la symphonie Haffner (1782) tutoient les sommets. Puis, il
compose la Grande Messe en ut mineur (1783) : l’Europe On connaît le refrain par lequel, sous la Restauration, est
s’enflamme, Mozart joue à Versailles, les commandes moquée l’analyse de la Révolution par les royalistes : « Si
abondent. Faire observer le document 5 p. 41 et faire nous voici par terre / C’est la faute à Voltaire / Les pieds
répondre à la question 9. Mozart meurt le 5 décembre dans le ruisseau / C’est la faute à Rousseau… » Le rac-
1791, dans une indifférence qui détonne avec les courci ne manque pas de pertinence : l’affirmation de la
triomphes des Noces de Figaro (1786), de Don Giovanni liberté et du droit de nature sont en effet les « origines cul-
(1787) et de La Flûte enchantée (1791). turelles7 » de l’utopie de 1789. Cependant, on peut se
demander quelle est la portée véritable des « idées nou-
➤ Activité 3 : document 6 p. 41 velles ». En Europe, elles fournissent aux « despotes éclai-
La culture technique des Lumières est un facteur du décol- rés » (comme Frédéric II de Prusse et Catherine II de
lage économique de l’Europe. Russie) un vocabulaire et des prétextes pour réformer
leurs États. En France, leur impact varie selon que la phi-
Ramenée à l’essentiel, la révolution industrielle se dis- losophie du temps est appréciée par ses auteurs, par l’opi-
tingue par le perfectionnement des techniques, machines nion ou par l’État. Les intellectuels se grisent souvent de
et procédés de fabrication, et par une combinaison plus phrases, de paradoxes, sacrifiant beaucoup au plaisir de
rationnelle des facteurs de production, capital, main- faire un bon mot. C’est peut-être à ce caractère de jeu
d’œuvre et talent. Ce qui a pour conséquence une forte d’esprit, d’exercice rhétorique ou d’amusement de salon
hausse de la productivité : un seul homme exécute une que la philosophie du siècle des Lumières doit d’avoir eu
tâche que plusieurs peinaient à accomplir auparavant dans si peu d’influence sur les Français. Il ne faut pas trop iso-
la même unité de temps. Dès le début, le décollage est ler les Voltaire, Montesquieu, Diderot, Rousseau, comme
donc lié à la technique, à la machine. Une machine nou- si les Français du siècle des Lumières n’avaient eu que des
velle, un procédé original, et la production s’emballe, les lectures sérieuses. Nous savons aujourd’hui quelle place
coûts – et avec eux les prix – baissent. Dans un texte célè- tenaient les almanachs bon marché, les pamphlets vul-
bre du Peuple (1846), Michelet fait l’éloge de la machine gaires ou les romans faciles dans la culture populaire.
qui, en diminuant le prix de vente, met le tissu de coton à Reste la politique de l’État : malgré la rudesse de la légis-
la disposition des pauvres, c’est-à-dire du plus grand nom- lation en matière d’imprimerie et de presse, malgré les
bre. Mais les techniques de pointe que sont, à la fin du condamnations, les livres brûlés et les écrivains embastil-
XVIIIe siècle, la machine à vapeur, la mécanisation de l’in- lés, le pouvoir ne prend jamais au sérieux les « idées nou-
dustrie textile, la sidérurgie au coke ou la chimie de la velles ». Mieux, les philosophes trouvent leur meilleur
soude ne se sont pas épanouies sur les ruines du système allié en la personne de Lamoignon de Malesherbes, direc-
technique antérieur. Elles en sont au contraire le prolon- teur de la Librairie royale de 1750 à 1763.
33
Des techniques nouvelles Mais Mozart marque la revanche esthétique de l’Allemagne
Avant 1789, la France est la 2 puissance industrielle
e catholique, viennoise et italianisée.
d’Europe, donc du monde, et elle ne désespère pas de La critique de la religion
combler le retard technique (machines à vapeur, métiers à
tisser, etc.) qui la sépare encore de l’Angleterre. La ban- Il ne faut pas la surestimer. Le XVIIIe siècle n’est siècle des
lieue de Paris est parsemée de manufactures modernes. La Lumières (sous-entendu « de la raison ») que pour une
plus célèbre est la grande fabrique de Javel, établie en minorité intellectuelle et sociale : parlementaires, avocats,
1777 sous le patronage du comte d’Artois, frère de Louis notaires et médecins. Le peuple reste royaliste parce qu’il
XVI et futur Charles X ; elle fournit à la France et à demeure aussi et d’abord catholique. Il ne faut pas oublier
l’étranger une gamme variée de produits chimiques. En que la France du XVIIIe siècle vit encore dans l’élan et selon
1788, on ne peut encore parler de « révolution indus- la sensibilité de la Contre-Réforme – voir le concile de
trielle », comparable à celle qui débute en Angleterre. Les Trente (1545-1563). De nombreux évêques ont perdu les
guerres révolutionnaires et napoléoniennes, sur ce point, vertus didactiques de leurs prédécesseurs du Grand Siècle,
sont responsables d’un retard de cinquante ans. mais le clergé paroissial reste solide et écouté. Le clergé
régulier est largement en crise (formation intellectuelle
➤ Activité possible déficiente, diminution de la foi et corruption fréquente des
Organiser une visite du Conservatoire national des arts et mœurs), mais les jésuites (jusqu’à leur suppression en
métiers : 60 rue Réaumur, 75003 Paris, tél. 01 53 01 82 00. 1764) et les capucins sont efficaces. Les testaments des
fidèles ne débordent plus de dévotions et de dons charita-
Des musiciens de génie
bles, mais le catholicisme continue d’encadrer la vie des
Le génie musical du siècle des Lumières est au clavecin et Français : il n’y a pas d’état civil, car le baptême est tou-
à l’orgue. Clavecinistes et organistes sont souvent les jours plus important que la naissance ; le mariage et la
mêmes hommes : François Couperin, Jean-Sébastien mort sont impensables en dehors du patronage de l’Église.
Bach, Georg Friedrich Haendel, Domenico Scarlatti et Les sacrements continuent d’être respectés. Les proces-
Jean-Philippe Rameau sont parmi les plus grands claveci- sions sont suivies et populaires.
nistes et organistes de leur temps. De leur vivant, la gloire
de Bach et de Rameau ne franchit guère les frontières de
leur pays, tandis que Couperin, Haendel et Scarlatti sont
célébrés à travers l’Europe. Toutefois, la gamme instru- POUR CONSTRUIRE LE RÉSUMÉ
mentale se modernise et s’élargit :
– le clavecin ne cède pas avant 1770-1780, tandis que
le pianoforte s’impose avec les dernières décennies du Solliciter les élèves pour qu’ils trouvent les mots-clés de
siècle ; la leçon. Par exemple, « Lumières », « Encyclopédie »,
– le violon, que la France aristocratique de la première « philosophes », « Voltaire », « Montesquieu »,
moitié du XVIIIe siècle tient pour un instrument populaire « Rousseau », « Raison », « tolérance ». Mettre en relation
juste bon à faire danser les paysans dans les fêtes parois- chacun de ces mots avec les repères figurant dans la chro-
siales, affirme sa valeur ; nologie p. 38. Mettre en commun les réponses et écrire
– la basse de viole s’efface devant le violoncelle. ensemble le résumé de cette séquence.
La promotion du violon si apte à rendre les tourments de
l’âme et le tumulte des passions, et mieux encore du vio-
loncelle, est à mettre en rapport avec la modification de la
sensibilité au milieu du siècle, où un préromantisme com- BIBLIOGRAPHIE
mence à poindre. Nous assistons aussi, entre 1750 et 1770,
à une translation du centre de gravité de l’Europe musi-
cale. Le XVIIIe siècle musical se développe d’abord dans – D. Roche, La France des Lumières, Fayard, 1993.
l’univers des petites cours des cantors, des maîtres d’école – J. Cornette, Absolutisme et Lumières : 1652-1783, coll.
et des maîtres de chapelle de l’Allemagne moyenne, de « Carré Histoire », Hachette, 1993.
l’Allemagne luthérienne et catholicisante du Hanovre, de – P. Chaunu, La Civilisation de l’Europe des Lumières,
la Thuringe, de la Hesse, et de la Saxe jusqu’à la Silésie. Flammarion, 1982.
34
TRACER À LA MANIÈRE DE… UN POTAGER ROYAL
Pages 44 et 45 du dossier
L’exploitation pédagogique en classe ciers pour les cuisines. Jean de La Quintinie est chargé de
l’approvisionnement de la table du roi. Cet ancien avocat
Avec la construction du château de Versailles, Louis XIV
à la cour du parlement et maître des requêtes de la reine
veut montrer sa puissance. À partir de 1661, il fait trans-
s’était passionné pour les jardins au cours d’un voyage en
former la forêt et les marécages qui entourent son repaire
Italie et avait décidé de se consacrer à l’horticulture. Entre
de chasse en un palais à la mesure de son ambition.
1678 et 1683, il fait agrandir le potager existant (qui datait de
André Le Nôtre conçoit le parc de Versailles comme un
Louis XIII) en asséchant « l’étang puant », marécage situé
architecte. Il faut que les bâtiments et le jardin ne fassent
à côté de la pièce d’eau des Suisses.
qu’un. La géométrie du jardin doit être en harmonie avec
le château. Les perspectives se dégagent, laissant la place Le potager du roi permet de nourrir toute la cour ; les
aux parterres de fleurs. Les bosquets réalisent une transi- fruits et les légumes produits en saison et à contre-saison
tion harmonieuse avec les arbres qui ferment l’horizon. Le font la renommée du lieu. Les cultures à contre-saison
parc, où la puissance du roi s’exprime à travers trois axes sont obtenues en utilisant les fumiers des écuries et des
minéral, aquatique et végétal, compte environ 300 statues étables du château. La Quintinie a aussi l’idée ingénieuse
et vases en marbre, en plomb ou en bronze, souvent inspi- d’employer des cloches en verre en guise de serres indivi-
rés de l’Antiquité, réalisés entre 1666 et 1685. La figure duelles. La diversité des espèces cultivées permet au roi de
dominante est Apollon, dieu du Jour, et sa sœur jumelle savourer des fruits et des légumes toute l’année. Reconnu
Diane, déesse de la Nuit. par les savants de son époque, La Quintinie cherche
Le Nôtre fait drainer et assainir le terrain, ce qui explique constamment le moyen d’améliorer les espèces, leur goût,
la présence du Grand Canal et de la pièce d’eau dite « des leur texture. Il trouve de nouvelles façons de tailler les
Suisses ». Le développement des techniques lui permet arbres ou de traiter les plantes contre les parasites.
d’utiliser cette eau pour les fontaines et les jets. Les ingénieurs Le roi aime contempler le jardin, il apprend lui aussi à tail-
de la famille Francini, intendants des eaux et fontaines de ler les arbres fruitiers. Lorsque Louis XIV est en voyage,
Versailles, inventent une machine qui permet de la mettre La Quintinie lui fait envoyer les fruits et les légumes du
en mouvement. Les fontaines et les bassins deviennent des potager royal. Les poires « bon chrétien » sont si réputées
éléments prédominants du parc, à tel point que l’eau de qu’elles sont envoyées en cadeau aux monarques étran-
Versailles n’est plus suffisante. Elle doit être captée plus loin gers. Les produits jugés indignes de paraître sur la table du
(dans la Seine avec la machine de Marly, et même dans l’Eure roi sont donnés aux pauvres.
grâce à l’aqueduc de Maintenon). À la fin de la construc- ➤ Activité 2 : « J’observe le plan du potager
tion du parc, on dénombre 1 400 jets d’eau et fontaines.
du roi »
Le parc est organisé selon un axe de symétrie matérialisé
par le Grand Canal, qui permet au roi d’admirer le coucher Le potager s’articule autour d’une fontaine. Le grand
du soleil depuis la galerie des Glaces, en particulier le 25 carré est subdivisé en 16 carrés de légumes, eux-mêmes
août (jour de la Saint-Louis), où le soleil se couche exac- entourés d’arbres en buissons. Ce jardin en creux est sur-
tement dans l’axe du Grand Canal. La végétation permet plombé d’une terrasse d’où le roi vient admirer ses cul-
une mise en scène du parc : les buis taillés délimitent les tures. Autour, 29 jardins clos permettent aux arbres frui-
parterres de fleurs, les arbustes préservent l’intimité des tiers en espalier ainsi qu’aux cultures maraîchères de pro-
bosquets et renforcent la régularité des allées. fiter de la douceur du soleil et du microclimat créé par les
murs. Pour améliorer la production, La Quintinie plante
➤ Activité 1 : « Je découvre le potager du roi » un « jardin de biais ». Pour satisfaire le roi qui raffole des
Le faste de la cour de Louis XIV se traduit aussi dans l’art figues, il fait aussi construire une figuerie rassemblant
de la table : le service de bouche compte environ 500 offi- environ 700 figuiers en pots.
35
➤ Activité 3 : « Je fais le plan d’un jardin Ensuite, les élèves pourront élaborer des fiches de
potager » construction qui pourraient être publiées dans le journal
de l’école ou sur la page Web de la classe.
Matériel à prévoir :
• Feuilles A4 à petits carreaux.
• Feuilles cartonnées unies.
• Matériel de géométrie pour les tracés. BIBLIOGRAPHIE
• Matériel de coloriage.
Mise en place de l’activité :
– M. Baridon, Les Jardins : paysagistes – jardiniers –
Selon l’avancement du programme de géométrie, l’ensei-
poètes, coll. « Bouquins », Robert Laffont, 1998.
gnant peut opter pour diverses solutions :
– effectuer le tracé au tableau en même temps que les – S. de Courtois, Le Potager du roi, Actes Sud/ENSP,
élèves ; Arles/Versailles, 1998.
– débuter le travail directement sur une feuille de papier – J.-L. Flandrin, M. Montanari, Histoire de l’alimentation,
unie ; Fayard, 1996.
– effectuer le tracé seulement sur la feuille de papier qua- – P.-A. Lablaude, Les Jardins de Versailles, Fayard, 2005.
drillé ; – D. Meiller, P. Vannier, Le Grand Livre des fruits et
– proposer un travail de groupe dans lequel le tracé et le légumes, La Manufacture, 1991.
décor seront répartis entre les élèves du groupe selon – M. Mosser, G. Teyssot, Histoire des jardins de la
leurs compétences. Renaissance à nos jours, Flammarion, 1991.
– W. Wheeler, Le Potager du roi, Somogy, 1998.
Les élèves tracent un plan. La notion de plan a déjà été tra-
vaillée en cycle 2, mais on pourra approfondir les notions
de point de vue, vue de dessus, vue de face… Ces notions
sont aussi abordées dans le programme de géométrie dans SITES
les chapitres sur les solides. Ce travail de tracé géomé-
trique peut permettre de faire le lien avec le tracé des jar-
dins à la française. – http://www.potager-du-roi.fr
Ce site donne de nombreuses informations sur l’histoire
Pour aller plus loin du potager.
Après le tracé du potager du roi, on pourra proposer aux – http://www.chateauversailles.fr
élèves le tracé de jardins selon leur imagination. Pour que Le site propose des informations pratiques pour prépa-
les travaux aient une certaine cohérence, l’enseignant rer la visite de Versailles et du potager.
pourra proposer un thème de jardin (japonais, futuriste…), – http://www.passion-histoire.net
un type de tracé (3 carrés, 2 triangles…), un type de cou- Il s’agit d’un site de discussions entre passionnés sur
leur (utiliser 3 sortes de vert, 2 sortes de marron…). toutes les périodes de l’Histoire.
36
LA NAISSANCE DES ÉTATS-UNIS
Pages 46 à 51 du dossier
37
peuplement, des États nouveaux s’y forment jusqu’au manuscrit sur parchemin. Son titre complet est :
nombre de 48 (le 49e sera l’Alaska, le 50e Hawaï). Déclaration unanime des treize États-Unis d’Amérique en
Commencée en 1776 au moins, la poussée continentale est Congrès. Il comprend trois parties :
achevée peut-être avec la distribution des derniers lotisse- – un préambule qui expose les principes ;
ments de l’Oklahoma en 1907. – un rappel des griefs contre le roi d’Angleterre ;
➤ Activité 2 : documents 2, 3 et 4 p. 47 – la déclaration d’indépendance elle-même.
L’exposé des principes est introduit par une phrase posant
La jeune Amérique prend conscience d’elle-même.
que l’objet de la Déclaration d’indépendance est d’énu-
En mai 1775, le IIe Congrès continental prend une série de mérer les motifs de la séparation des colonies d’avec la
décisions révolutionnaires : il adopte une Declaration of métropole. Le texte se réfère au droit de nature défini par
the Causes and Necessity of Taking up Arms, il fait impri- John Locke – « lois de la nature et du Dieu de la nature »
mer du papier-monnaie, et nomme le planteur virginien (question 4) – pour fonder l’égalité des hommes et les
George Washington commandant en chef. Faire observer droits qui en découlent : la vie, la liberté, la recherche
le document 3 p. 47 et faire répondre aux questions 6 du bonheur (question 3). Il rappelle que les gouver-
et 7. Insister sur George Washington : premier président nements fondés sur le « consentement des gouvernés »
élu en 1789 (question 6), héros éponyme de la révolution ont pour fonction de garantir ces droits, ce qui justifie
américaine ; un État, sept montagnes, huit cours d’eau, dix la révolte contre ceux qui rompent le contrat. Les peuples
lacs, 33 comtés, 121 villes et la capitale fédérale portent ne doivent cependant recourir à la force que s’ils sont
son nom (question 7). Mais le véritable propagandiste soumis à un « despotisme absolu » (question 5). Or,
d’un patriotisme populaire est paradoxalement un émigré les colons accusent le roi d’Angleterre d’avoir rompu
anglais de fraîche date, Thomas Paine ; sa brochure le contrat par une « longue suite d’abus et d’usur-
Common Sense, publiée en janvier 1776, brûlot indépen- pations »…
dantiste, est un best-seller. En juin, la Virginie se déclare
indépendante. L’intervention de la France et de l’Espagne
accélère le succès des insurgés. L’indépendance est recon- SUR LES TRACES DES HOMMES
nue par Versailles le 17 décembre et, le 6 février 1778, une EN AMÉRIQUE DU NORD AU XVIIIE SIÈCLE
alliance militaire et un traité de commerce sont signés.
Déjà, de jeunes Français comme La Fayette ou Pierre
Charles L’Enfant, futur architecte de la ville de L’exploitation pédagogique
Washington, s’enflamment pour cette révolution, non seu- des documents en classe
lement parce qu’il s’agit de soutenir une utopie conforme ➤ Activité 1 : document 1 p. 48
à l’esprit des Lumières, mais aussi parce qu’elle est vécue
La colonisation anglaise bouscule l’ordonnancement des
comme une revanche contre la « perfide Albion ». En mai
populations indiennes.
1780, Louis XVI envoie 6 000 hommes en Amérique, sous
le commandement de Rochambeau. Début 1781, la flotte La différenciation des populations indiennes est profonde.
française de l’amiral de Grasse appuie le corps expédi- Elle se lit à la fragmentation et à la répartition des langues,
tionnaire de Rochambeau. Faire observer le document 4 à la diversité des genres de vie et à la manière dont elles
p. 47 et faire répondre aux questions 8 et 9. Huit mille tirent parti de l’environnement. En effet, toute la géogra-
Français et au moins autant d’Américains remportent la phie précolombienne de l’Amérique du Nord est marquée
bataille de Yorktown le 19 octobre 1781 contre les régi- par les conditions dans lesquelles l’agriculture a pris nais-
ments de l’Anglais Cornwallis. Faire repérer et identifier sance. Dans le Nouveau Monde, les espèces cultivées ne
les étendards des vainqueurs : à gauche, le blanc identi- peuvent se propager dans les zones sèches qu’à condition
taire des rois de France depuis Henri IV1 ; à droite, la ban- de bénéficier de l’irrigation. Au moment des premiers
nière étoilée à treize bandes horizontales des insurgés contacts, la diffusion ne dépasse pas le bassin du Colorado
(question 8). La victoire finale des Américains est consa- vers le nord et celui du haut Rio Grande. La façade
crée par la paix de Versailles signée le 3 septembre 1783 pacifique n’est pas concernée, ce qui limite les effectifs
entre la France et l’Angleterre (question 9). Mais si on et les relations. Vers le nord-est, en revanche, les condi-
s’intéresse au destin des États-Unis, ce n’est pas à cet tions climatiques qui caractérisent les façades orientales
aspect international de la guerre d’Indépendance qu’il faut des continents, avec leurs étés chauds et humides, per-
s’arrêter, ni à Louis XVI, ni aux exploits lointains de La mettent à l’agriculture d’essaimer de proche en proche
Fayette, mais à l’indépendance elle-même, à la jusqu’aux régions des Grands Lacs et du Saint-Laurent.
Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. Faire lire le Mais les Indiens n’ont ni outils métalliques ni animaux
document 2 p. 47 et faire répondre aux questions 3, 4 domestiques. Les possibilités de leur système de culture
et 5. Texte fondateur dont la commémoration annuelle s’en trouvent ainsi limitées. Le complément alimentaire
constitue la fête nationale, la Déclaration d’indépendance est assuré par la chasse-cueillette. Faire observer le
véhicule des valeurs que son auteur Thomas Jefferson document 1 p. 48 et faire répondre à la question 1.
qualifie d’« esprit américain ». Le document est un texte L’Iroquois est d’abord un chasseur. Au moment de la
38
conquête, une ligne de démarcation divise ainsi le ➤ Activité 3 : documents 3, 4 et 5 pp. 48-49
continent nord-américain, séparant les Chichimèques Le modèle de la plantation est transposé à l’Amérique du
dans le Mexique central, les Indiens au nord – demeurés Nord.
chasseurs et nomades même s’ils pratiquent l’agri-
culture –, et les sociétés agricoles au sud, structurées Faire observer le document 4 p. 49 et faire répondre aux
en États. questions 6 et 7. Les Espagnols introduisent l’agriculture
de plantation, qu’ils maîtrisent déjà dans le sud de la
➤ Activité 2 : document 2 p. 48 péninsule, puis aux Canaries. Dans la mesure où la main-
« C’est un homme civilisé qui se soumet à vivre au milieu d’œuvre indienne a disparu4, ils font venir d’Afrique des
des bois et qui s’enfonce dans les déserts du Nouveau esclaves noirs raflés à l’intérieur des terres (questions 6
Monde avec la Bible, une hache et des journaux. »2 et 7). Faire observer le document 5 p. 49 et faire répondre
Les Indiens opposent une résistance farouche aux nou- aux questions 8, 9 et 10. Les Européens achètent en
veaux venus, mais le seul ensemble – l’Empire aztèque – Afrique (question 8) les esclaves noirs à des potentats
où les institutions centrales et les densités rendent la par- locaux qui se spécialisent dans l’asservissement de leurs
tie égale s’effondre face aux conquistadores3. On retrouve voisins (question 9). La traite atlantique prend la forme
partout, parmi les Espagnols, parmi les Anglais installés d’un immense transfert forcé de populations concernant
en Virginie, ou chez les Français coureurs des bois, le 10 à 12 millions de personnes en l’espace de trois siècles
désir de promotion sociale. Faire observer le document 2 (question 10). La traite atlantique ravage les États du
p. 48 et faire répondre aux questions 2 et 3. Sur place, golfe de Guinée, alors que jusque-là, le processus d’asser-
l’appropriation et l’occupation du sol mobilisent toutes les vissement avait plutôt concerné l’est du continent, où il
ressources naturelles, comme le bois pour les maisons ou se poursuit cependant sous le contrôle des trafiquants
les fourrures pour les vêtements (question 2). Aux États- arabes.
Unis, ces pionniers créent la « première frontière », celle Au contact de l’Empire caraïbo-hispanique, les Anglais
des Alleghanies, des Appalaches, puis du Tennessee et du imitent les Espagnols. Leurs structures productives pater-
Cumberland. Leurs héros sont Daniel Boone et Davy nalistes et leur civilisation raffinée et dispendieuse repo-
Crockett. Insister sur le trafic des fourrures pour faire sent sur l’exploitation du milieu par une main-d’œuvre
comprendre aux élèves ce qu’est la « conquête de servile et un commerce colonial de produits agricoles et
l’Ouest ». L’arrivée des acheteurs provoque une surexploi- de produits manufacturés venus de la métropole. Or, à par-
tation des richesses locales qui oblige les coureurs des tir de la baie de Chesapeake, les étés sont déjà assez
bois à se ravitailler toujours plus loin vers l’ouest (cas chauds, assez longs et assez humides pour que certaines
typique d’une « frontière creuse »). Les Appalaches ne cultures tropicales soient possibles. Plus au sud, la palette
manquent pas de possibilités, mais c’est plus au nord que culturale s’élargit : tabac, canne à sucre, riz, coton. La
la prédation se révèle la plus rentable. Les Hollandais Caroline attire des colons qui ont appris à la Barbade
comprennent les premiers la valeur du site d’Albany, qui comment organiser une plantation à main-d’œuvre
contrôle les forêts des Adirondacks et du nord de la servile. Faire observer le document 3 p. 48 et faire
Nouvelle-Angleterre, et ouvre par la vallée de la Mohawk répondre aux questions 4 et 5. Cette illustration montre
la route des pays iroquois de la région des Grands Lacs. La une plantation de tabac sur fond de collines et de mâts. Le
vallée du Saint-Laurent est l’axe de la trappe : l’exploita- propriétaire blanc fume, assis à une table (question 4).
tion des forêts boréales s’opère à partir des affluents de la Surveillés par le planteur et son intendant, les esclaves
rive gauche du fleuve. Ici, le mot « frontière » ne désigne noirs s’activent : les feuilles de tabac sont ramassées,
pas la ligne indiquée sur les cartes par un trait plein (boun- puis conditionnées dans des fûts transportés jusqu’au
dary), mais le front pionnier (frontier). Dans l’imaginaire site d’embarquement (question 5). C’est autour de
des pionniers, la conquête de l’Ouest est reliée à la Charleston que s’opère la synthèse des techniques issues
conquête de la liberté, de l’espace à occuper, à organiser des prolongements subtropicaux de l’Europe, de la
face aux Indiens (question 3). La frontier est donc la connaissance des milieux développée par les tribus
matrice de la démocratie individualiste de type américain : indiennes et du trafic des esclaves noirs. De là se diffusent
là où les hommes fuient la dépendance parce que des ces savoir-faire qui dessinent de la Virginie à la Géorgie,
terres nouvelles s’ouvrent à leur initiative, les structures et plus tard à l’Alabama et à la Louisiane, une aire pro-
aristocratiques sont laminées. Tous débrident leur énergie ductive qui couvre tout le sud des États-Unis. La planta-
et la démocratie directe revivifie sans cesse les institutions tion détermine aussi une aire culturelle : ce système pro-
du pays. Mais cette thèse doit être nuancée. Dans le sud ductif reproduit les structures inégalitaires de l’Europe,
des États-Unis où l’espace n’est pas plus compté qu’au c’est-à-dire une société dominée par des maîtres dans
nord, l’esclavage permet de transposer un système pro- laquelle les Noirs doivent à la couleur de leur peau de ne
ductif – la plantation – qui ne laisse pas la moindre chance pouvoir se joindre aux Blancs pour participer à la
au mérite individuel. conquête de l’Ouest.
39
Pentagone, le fort Myers et le cimetière militaire
d’Arlington.
L’HÉRITAGE AMÉRICAIN
Des États indépendants en Amérique
L’indépendance de l’Amérique portugaise et espagnole
Le drapeau des États-Unis / Le Capitole, apparaît d’abord comme l’une des conséquences des bou-
symbole de la démocratie américaine / leversements politiques subis par l’Europe entre 1807 et
La Constitution des États-Unis (1787) 1823. En octobre 1807, l’alliance qui lie l’Espagne à la
France permet aux troupes napoléoniennes de franchir les
➤ Activités possibles
Pyrénées, en route vers le Portugal, allié de la Grande-
Faire dégager les enjeux de la « révolution américaine »5.
Bretagne et dont la famille royale et la cour s’embarquent
1. C’est la première guerre de décolonisation. Ce thème
pour le Brésil. Parallèlement, les tensions au sein de la
est à remettre dans une perspective de longue durée : les
cour d’Espagne aboutissent en mars 1808 à l’abdication
Européens se libèrent des métropoles (Amérique, XVIIIe et
forcée de Charles IV en faveur de son fils, le prince des
XIXe siècles) et les « indigènes » se libèrent des métropoles
Asturies, qui prend le nom de Ferdinand VII. Le 2 mai
européennes (XXe siècle).
1808, alors que Madrid est soumise au commandement de
2. C’est aussi la naissance d’une nation-État qui repose sur
Murat, une insurrection née dans les quartiers populaires
les concepts suivants :
de la ville éclate. Le 5 mai, Ferdinand VII est contraint
– le concept de liberté, de libération, d’abord vis-à-vis du
d’abdiquer en faveur de Napoléon, qui confie la nouvelle
fanatisme religieux, ensuite vis-à-vis des Anglais : c’est
couronne à son frère Joseph. Ce changement dynastique
une nation-État qui s’affirme d’emblée fédérale, et d’em-
n’a rien d’inédit dans l’histoire de la péninsule, mais il va
blée terre d’immigrants, une nation sans nationalisme du
se heurter à une idée neuve : celle que les princes ne peu-
sang ou de la langue. Un patriotisme spécifiquement amé-
vent disposer de leur peuple selon leur gré, ce qui produit
ricain se crée ;
des conséquences immédiates en Amérique. Sur le modèle
– le concept de Constitution écrite : c’est la plus ancienne des cités espagnoles qui ne reconnaissent plus d’autre
Constitution écrite (1787), une Constitution discutée et pouvoir légitime que celui du peuple, les grandes villes
acceptée par les citoyens qui repose sur l’esprit des hispano-américaines se dotent de juntes de gouvernement.
Lumières et, surtout, sur le principe de séparation des pou- Vers 1825, une nouvelle Amérique se dessine. Le Brésil
voirs. Le Congrès est la première institution souveraine. accède à l’indépendance (1822) sans guerre ni change-
Par respect pour ce texte fondateur, la Constitution améri- ment de régime et sans remise en cause des hiérarchies
caine n’a jamais été changée mais elle est amendée ; sociales. À l’inverse, l’Amérique espagnole se morcelle en
– le concept d’État de droit : dès l’origine, les institutions de multiples États.
sont basées sur les principes du droit. C’est l’héritage
anglo-saxon de la Grande Charte, de l’Habeas Corpus ou
du Bill of Rights, illustré par l’institution de la Cour suprême.
Faire décoder les différents symboles de la révolution POUR CONSTRUIRE LE RÉSUMÉ
américaine :
– le drapeau ;
Solliciter les élèves pour qu’ils trouvent les mots-clés de
– la statue de la Liberté ;
la leçon. Par exemple, « les treize colonies »,
– les monuments de la capitale (Capitole, Maison
« Déclaration d’indépendance », « États-Unis d’Amé-
Blanche, palais de la Cour suprême) ;
rique », « traite atlantique », « esclaves », « Constitution
– le plan de la ville de Washington : montrer le poids des
des États-Unis », « George Washington ». Mettre en rela-
institutions dans la structuration de la ville dessinée par
tion chacun de ces mots avec les repères figurant dans la
L’Enfant. Le district fédéral est constitué en 1791, à la
chronologie p. 46. Mettre en commun les réponses et
frontière du Maryland et de la Virginie, sur le Potomac, à
écrire ensemble le résumé de cette séquence.
l’ouest de la baie de Chesapeake. Son axe principal est
marqué par le monument à Lincoln (Lincoln Memorial), le
monument à Washington à la hauteur duquel se situe la
Maison Blanche, et le Mall, le long duquel sont alignés les BIBLIOGRAPHIE
treize musées du Smithsonian Institution, le musée de
l’Air et de l’Espace, et la National Gallery of Art. Devant
le Capitole, siège du Congrès, s’étend Union Square. La – H. Trocmé et J. Rovet, Naissance de l’Amérique
Library of Congress et la Cour suprême se trouvent der- moderne, XVIe-XIXe siècle, coll. « Carré Histoire »,
rière le Capitole. Les administrations fédérales sont Hachette, 1997.
situées de part et d’autre de cet axe. Sur la rive du Potomac – A. Kaspi, Les Américains, tome 1 : Naissance et essor
se trouve le centre J.-F. Kennedy ; de l’autre côté de la des États-Unis, 1607-1945, coll. « Points Histoire », Le
rivière, vers l’île Théodore-Roosevelt, on trouve le Seuil, 1986.
5. Les historiens français spécialistes de la question utilisent rarement l’expression « révolution américaine » : ils emploient les termes « révolte » pour 1763-
1775 et « guerre d’Indépendance » pour 1776-1789.
40
LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Pages 52 à 57 du dossier
1. Le servage, composante la plus archaïque des droits seigneuriaux, est devenu marginal ; on estime cependant à environ 1 million le nombre de paysans
non libres.
41
pouvoir de contrainte, le ban. La seigneurie banale a une large (décembre 1788), il ne dit rien sur le problème du
origine politique : le droit de ban, qui consiste dans le pou- vote. Le règlement électoral du 24 janvier 1789 montre
voir d’ordonner, de contraindre et de punir, résulte de l’ac- que la dernière assemblée convoquée, celle de 1614, reste
caparement des prérogatives du roi par des seigneurs la référence des jurisconsultes. Cette assemblée ne consti-
locaux, laïcs ou ecclésiastiques. Ce droit de ban s’exerce tue pas une représentation nationale, mais la juxtaposition
sur les hommes, non sur la terre. À ce titre, le seigneur de délégations des trois ordres chargées d’exprimer leurs
banal rend la justice. Il peut imposer tous types de taxes, points de vue. Ceux-ci sont adressés au roi qui conserve
aussi bien en nature qu’en travail ou en monnaie : ce sont seul le pouvoir de décision. Les délibérations et les votes
les « exactions », comprenant la corvée (travail gratuit se déroulent par ordre. Le rapport de force se trouve donc
effectué par le paysan), les péages (droits perçus sur les fixé d’avance puisque les privilégiés représentent deux
usages des voies publiques), les tonlieux (taxes sur les voix, et le tiers état, une seule. La culture politique des
marchandises), ou encore les « banalités » (privilèges Lumières donne à la notion de représentation un sens tout
commerciaux comme la banvin, c’est-à-dire le droit de différent : elle suppose l’égalité des représentants et la
vendre le produit de ses vignes avant les autres produc- délibération commune. De plus, dans cette perspective, la
teurs ou redevances exigées par le seigneur pour l’utilisa- mission de l’assemblée dépasse largement la simple
tion des instruments relevant de son monopole : moulins, consultation.
fours, pressoirs). Faire observer le document 1 p. 52 et Faire lire le document 3 et faire répondre aux questions 6
faire répondre aux questions 1 et 2. Les prérogatives sei- et 7. Si le règlement du 24 janvier maintient la séparation
gneuriales restent majoritairement détenues par des nobles des corps, il organise aussi, dans le cadre des 40 000 commu-
ou des clercs. Nombre de caricatures datant des années nautés paroissiales, des métiers urbains, puis des bail-
1780 dénoncent l’absence de statut personnel commun lages, une consultation des Français et la rédaction de
(question 2). Plusieurs gravures de ce type montrent le cahiers de doléances censés présenter au roi les vœux una-
tiers écrasé sous la charge des deux ordres privilégiés : il nimes de chaque ordre (question 6). Nos archives conser-
s’agit tantôt d’une pierre énorme, tantôt de sacs d’impôts vent plus de 50 000 cahiers. Les cahiers ruraux sont modé-
pesants. L’image acquiert un pouvoir critique, persuasif, rés et empreints de déférence à l’égard du roi, mais les
participant à la prise de conscience politique. Ainsi, cette revendications pour l’égalité fiscale et la refonte des
gravure montre une fermière portant littéralement sur son impôts indirects sont fermes. Les dénonciations des prélè-
dos le clergé et la noblesse (question 1). Faire observer le vements et monopoles seigneuriaux, du mauvais usage des
document 2 p. 52 et faire répondre aux questions 3, 4 ressources de l’Église sont presque unanimes (question 7).
et 5. Cette gravure rappelle que le seigneur détient seul le Bien que les propositions institutionnelles ne soient pas
droit de chasse (question 5) ; le braconnage – le paysan généralisées, la reprise courante des doléances demandant
tient un lièvre dans la main droite (question 3) – constitue le vote par tête et la réunion régulière des états témoigne
une infraction à cette exclusivité seigneuriale (question 4). d’une perméabilité aux mots d’ordre des bourgeoisies
➤ Activité 2 : document 3 et 4 p. 53 urbaines. L’idée qu’il est possible de bouleverser l’ordre
Au moment où l’image de Louis XVI est renforcée par le immuable des choses travaille toutes les consciences.
succès américain, la souveraineté du roi est sapée. ➤ Activité 3 : document 5 p. 53
Le 3 septembre 1783, la France et l’Angleterre vaincue Paris est le pôle de cristallisation de la Révolution.
signent à Versailles un traité par lequel les Anglais recon- Paris constitue une extraordinaire concentration humaine :
naissent l’indépendance des treize colonies. Deux mois 600 000 habitants, soit 20 % de la population urbaine du
plus tard, Calonne est nommé contrôleur général des royaume. Plus que toute autre, la société parisienne est
Finances. Au moment où la monarchie française retrouve polarisée et ségréguée. La capitale est d’abord une ville
le rang mondial qui avait été le sien sous Louis XIV, elle aristocratique. Inversement, au bas de l’échelle sociale, le
promeut un expert financier dont on espère qu’il sauvera petit peuple des faubourgs orientaux et méridionaux
les finances publiques… comme Saint-Antoine ou Saint-Marcel est gonflé par l’af-
Au moment où la haute société parisienne et versaillaise flux de migrants2, l’importance des domestiques (30 000 à
mène grand train, les grands se pressent chez le comte de 50 000), des gagne-petit, des chômeurs. La sensibilité aux
Vaudreuil le 25 septembre 1783, pour assister, malgré la crises de subsistance est donc extrême. Les classes
censure, à une représentation privée du Mariage de Figaro moyennes sont dominées par le monde de la boutique et de
de Beaumarchais. Faire lire le document 4 p. 53 et faire l’échoppe, avec en tête les métiers de l’alimentation, sui-
répondre à la question 8. Cette pièce ridiculise les privi- vis de la mode et des toilettes, et par les hommes de loi.
lèges de naissance. Elle trouvera un écho dans l’article 1 Le mouvement insurrectionnel de juillet 1789 commence
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui comme une révolte de la misère et du refus fiscal, par l’in-
fonde l’égalité civile : « Les hommes naissent et demeurent cendie des barrières d’octroi (12-13 juillet) et le pillage du
libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent couvent Saint-Lazare. La révolte aboutit, le 14 juillet, à la
être fondées que sur l’utilité commune » (question 8). prise de la Bastille. Faire observer le document 5 p. 53 et
Au moment où le roi autorise le doublement du tiers état faire répondre aux questions 9 et 10. Construite entre
et instaure pour sa désignation un suffrage masculin très 1369 et 1383, la forteresse de la Bastille est un donjon féo-
2. En 1793, seulement 27 % des hommes adultes sont nés à Paris.
42
dal flanqué de huit tours, dont Louis XIII a fait une prison convictions motivent néanmoins l’engagement section-
d’État. Même si elle est presque vide en 1789, la Bastille naire du sans-culotte :
continue cependant à incarner l’arbitraire royal, celui des – la défense de la petite propriété individuelle ;
lettres de cachet. Des canons sont braqués sur la ville et à – l’adhésion aux pratiques de la démocratie directe ;
l’intérieur des murs se trouve un véritable arsenal. La – l’acharnement, au nom de la République, à l’égard de la
foule se presse à la Bastille pour avoir des armes. Le gou- contre-Révolution.
verneur De Launay commande d’ouvrir le feu sur les
manifestants. Sur cette gravure hagiographique, faire
➤ Activité 2 : document 2 p. 54
repérer les bourgeois (en habit à culotte), les gardes natio- La vigilance révolutionnaire devient une affaire collective.
naux fédérés (en uniforme) et le petit peuple des fau- Dès le 26 août 1789, la Déclaration des droits de l’homme
bourgs, gens de métiers surtout. Faire repérer les fusils, les et du citoyen fixe le principe de limitation des pouvoirs.
piques et le canon au centre (question 9). En prenant d’as- Reste à établir l’équilibre des responsabilités entre le roi et
saut cette prison d’État et en massacrant son gouverneur, l’Assemblée nationale. Le 10 septembre, une majorité se
40 000 Parisiens trouvent un exutoire à plusieurs semaines dégage pour une chambre unique. Le lendemain, une
de tensions provoquées à la fois par la faim et par la majorité approuve l’octroi au roi d’un droit de veto sus-
rumeur du « complot aristocratique ». L’insurrection pari- pensif (et non absolu) qui lui permet seulement de retarder
sienne de juillet fait entrer la France dans la Révolution. l’application d’une loi pendant 4 ans. À la réduction de ses
Le comte de Mirabeau en tire la leçon : « Tout l’antique pouvoirs, Louis XVI oppose l’inertie ; il ne signe pas les
édifice, usé, vermoulu dans tous ses appuis, pourri dans textes votés depuis le 4 août3. Le peuple de Paris, toujours
tous ses liens, est tombé dès le premier choc pour ne se affamé, reçoit comme une nouvelle provocation l’annonce
relever jamais. » L’Europe des Lumières vibre à la nou- qu’un banquet d’officiers donné à Versailles en présence
velle de l’événement. En 1880, la IIIe République fera de de Marie-Antoinette a souillé la cocarde. Cette rumeur
ce jour la fête nationale (question 10). accrédite l’idée que la famille royale est gangrenée par le
complot aristocratique. Faire observer le document 2 p. 54
et faire répondre aux questions 3, 4, 5 et 6. Pour soustraire
SUR LES TRACES DES ACTEURS le roi aux influences néfastes, un cortège galvanisé par les
DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE femmes du petit peuple se forme place de Grève. Le soir
du 5 octobre, 5 000 à 6 000 manifestants sont à Versailles
(question 5) pour réclamer du pain et obliger le roi à reve-
L’exploitation pédagogique nir à Paris (question 6). Dans son palais cerné par la foule
des documents en armes – faire repérer les piques, les épées, les cognées
➤ Activité 1 : document 1 p. 54 et les haches (question 3) – Louis XVI est prisonnier. Le
6 au matin, des émeutiers envahissent le château, agres-
Les sans-culottes forment l’avant-garde révolutionnaire.
sent la reine, qui doit se cacher dans la chambre du roi, et
Dire d’emblée que le sans-culottisme n’est pas unique- massacrent les gardes du corps. Louis XVI apparaît au
ment parisien, mais qu’il trouve dans la capitale sa forme balcon, La Fayette et la famille royale à ses côtés. Il
la plus aboutie et la mieux étudiée. Faire observer le docu- annonce leur retour à Paris. Le roi quitte Versailles pour
ment 1 p. 54 et faire répondre aux questions 1 et 2. Le toujours, entouré par la foule qui fête le retour « du bou-
sans-culotte porte le pantalon rayé blanc et rouge, la car- langer, de la boulangère et du petit mitron » (le Dauphin),
magnole blanche, une cocarde tricolore aux couleurs de la scène et rengaine ô combien symboliques du processus
Commune de Paris (rouge et bleu) et du roi (blanc), et le révolutionnaire depuis le 14 juillet. La désacralisation du
bonnet phrygien ; les couleurs font évidemment penser au roi s’accélère sans que disparaissent pour autant ses liens
drapeau national (questions 1 et 2). La différenciation par avec ses « bons et loyaux sujets ». Les députés transposent
le costume contient le premier élément de définition de cette évolution dans la loi en décrétant que Louis XVI sera
cette figure révolutionnaire qui se proclame avant tout désormais appelé « roi des Français ». Son installation aux
adversaire des aristocrates, qui portent culottes courtes et Tuileries implique la tutelle de la foule parisienne sur le
bas. Depuis 1789, le mot « aristocrate » recouvre un monarque.
champ social élargi. Il s’applique non seulement aux
nobles mais aussi à tous ceux (financiers, marchands…)
➤ Activité 3 : document 3, 4 et 5 p. 55
que leur train de vie ou leur activité rendent suspects d’en- Louis XVI est le dernier roi absolu.
richissement abusif. Non seulement le sans-culotte réagit Le 10 août 1792, 42 sections sur les 48 sections pari-
à une situation d’exploitation, mais il se dresse contre la siennes participent à l’assaut contre les Tuileries, où réside
morgue que les élites reproduisent vis-à-vis du petit peu- la famille royale. Il s’agit là de la réponse des Parisiens au
ple. Le sans-culotte correspond aussi à un type social et à manifeste de Brunswick, le commandant de l’armée aus-
un engagement spécifique du contexte des années 1792- tro-prussienne qui les menaçait d’une « exécution mili-
1794. Le sans-culotte est majoritairement un petit patron. taire » s’ils ne se soumettaient pas à leur roi. Ce texte